GALLIA - TABLEAU SOMMAIRE DE LA GAULE SOUS LA DOMINATION ROMAINE

 

CHAPITRE VII. — L’ADMINISTRATION PROVINCIALE.

 

 

1. Les circonscriptions provinciales. — Au-dessus des cités, en face des Conseils nationaux, se trouvent les représentants de l’État romain, les gouverneurs des provinces.

Le pays entre le Rhin et les Pyrénées a formé, pendant les trois premiers siècles de l’empire, neuf subdivisions administratives appelées provinces, provinciæ : la Gaule Narbonnaise, Gallia Narbonensis, qui n’était autre que la province, de Gaule Transalpine d’avant César ; — le long des Alpes, les trois petites provinces des Alpes Maritimes, Pennines et Cottiennes, Alpes Maritimæ, Alpes Cottiæ, Alpes Pœninæ ; — le long du Rhin, les deux provinces militaires de Germanie, Germania superior et Germania inferior, démembrées du reste de la Gaule dans les premières années de l’empire ; — enfin, ce qu’on appelait la Gaule Chevelue, Gallia Comata, ou les Trois Gaules, Tres Galliæ, c’est-à-dire les provinces qui envoyaient leurs délégués à Lyon : l’Aquitaine, Gallia Aquitanica, des Pyrénées à la Loire, la Lyonnaise ou Celtique, Gallia Lugdunensis ou Celtica, entre la Loire et la Marne, et la Belgique, Gallia Belgica.

Sous le bas-empire, au IVe et au Ve siècle, la Gaule comprenait dix-sept provinces, réparties en deux diocèses. Voici les noms de ces provinces et de leurs métropoles :

I. DIOCÈSE DES GAULES, diœcesis Galliarum.

Province

métropole

1. Belgica prima,

Trèves.

2. Belgica secunda,

Reims.

3. Germania prima,

Mayence.

4. Germania secunda,

Cologne.

5. Maxima Sequanorum,

Besançon.

6. Lugdunensis prima,

Lyon.

7. Lugdunensis secunda,

Rouen.

8. Lugdunensis tertia,

Tours.

9. Lugdunensis Senonia,

Sens.

10. Alpes Graiæ et Pœninæ,

Moutiers.

II. DIOCÈSE DE VIENNE OU DES SEPT PROVINCES, diœcesis Viennensis ou Septem Provinciarum.

Province

métropole

11. Viennensis,

Vienne.

12. Narbonensis prima,

Narbonne.

13. Narbonensis secunda,

Aix.

14. Novempopulana,

Eauze, plus tard Auch.

15. Aquitanica prima,

Bourges.

16. Aquitanica secunda,

Bordeaux.

17. Alpes Maritimæ,

Embrun.

Les Alpes Cottiennes étaient alors rattachées aux ressorts italiens, mais elles avaient perdu celles de leurs cités qui étaient situées de ce côté-ci des Alpes : on les avait données à la province des Alpes Maritimes.

Ces deux diocèses dépendaient du préfet du prétoire des Gaules, qui résidait à Trèves.

2. Les titres des gouverneurs. — A la tête de chacune de ces provinces était un gouverneur, qu’on appelait indifféremment præses, président, rector, gouverneur, judex, juge. Mais les titres officiels de ces gouverneurs variaient suivant leur dignité et l’importance des provinces.

Sous le haut empire, les petites provinces alpestres étaient administrées par des intendants du prince, procuratores Cæsaris, chevaliers romains en règle générale ; la Gaule Narbonnaise obéissait à un ancien préteur, désigné par le sénat, et qui prenait le titre de proconsul ; les cinq autres provinces dépendaient de délégués choisis par l’empereur, legati augusti : les légats des Trois Gaules n’étaient que d’anciens préteurs, ceux des deux Germanies étaient de rang consulaire.

Sous le bas-empire, les provinces les plus importantes, par exemple celles de la frontière du Rhin et de la Moselle, étaient administrées par des consulaires, viri clarissimi ; les autres par des præsides, qui avaient le rang inférieur de viri perfectissimi.

3. Les pouvoirs des gouverneurs. — Mais, quels que fussent le rang et le titre de ces différents gouverneurs, leur autorité à tous était sensiblement la même.

Le gouverneur romain, qu’il soit envoyé par César ou par le sénat, est le délégué souverain du peuple romain ; il exerce sur les provinciaux tous les droits que la conquête a conférés à la cité conquérante. Seuls les citoyens romains échappaient à son pouvoir et ressortissaient directement aux magistrats de Rome. Encore, à partir du IIe siècle, s’occupait-il au même titre des citoyens romains de la province et des pérégrins.

Le gouverneur a l’imperium, c’est-à-dire la puissance souveraine, le droit de juger, de condamner, même à mort ; il possède ce qu’on appela le droit du glaive, jus gladii ; comme dit saint Paul dans ses Épîtres, il tient l’épée. Avant tout, le gouverneur est un juge, il doit parcourir incessamment sa province, tenir des assises régulières, conventus, pour punir les criminels et juger les affaires qui se présentent à lui. S’il y a des troupes cantonnées dans les limites de la province, c’est lui qui les commande et qui les mène à l’ennemi.

C’est aussi le chef administratif des cités ; il contrôle leur budget, c’est leur curateur naturel. Il veille à la légalité des élections municipales. Il surveille la rentrée des impôts, la construction des routes. C’est lui qui est chargé de maintenir la paix publique dans la province. Il doit la purger, dit un jurisconsulte, de tous les malfaiteurs, faire rechercher les sacrilèges, les brigands, les voleurs d’hommes, tous les voleurs en général, et punir chacun suivant son délit.

Quelques changements se produisirent au début du IVe siècle. Les gouverneurs perdirent l’autorité militaire et le coin mandement des troupes. On plaça au-dessus d’eux, comme des degrés intermédiaires entre eux et le pouvoir central, le préfet du prétoire des Gaules et les vicaires des diocèses. Vicaires et préfet étaient, du reste, ainsi que les gouverneurs, des chefs administratifs et des juges. Il ne leur manquait que les attributions militaires, qui, depuis Constantin, étaient séparées du pouvoir civil et conférées à des chefs spéciaux.

4. Précautions prises contre les gouverneurs. — Mais cette omnipotence théorique du gouverneur était, en fait, limitée et contenue. De singulières précautions furent prises contre lui, d’abord pour protéger les provinciaux contre ses abus de pouvoir, puis pour l’empêcher d’accroître sa puissance au détriment des droits souverains de l’État.

Ses attributions, surtout vis-à-vis des cités, furent soigneusement réglées par une loi qui définissait jusqu’où allaient ses pouvoirs et où commençaient ceux des magistrats municipaux ; c’est ce qu’on appelait la loi de la province, lex provinciæ. Puis les deux grands Conseils des Gaules devaient discuter et contrôler ses actes à la fin de son année de charge, et ce contrôle pouvait amener un acte d’accusation. Le gouverneur n’avait aucun représentant dans les cités ; il avait des secrétaires, des archivistes, des trésoriers, un bureau assez compliqué, mais c’étaient des employés qui restaient près de lui ; il n’entretenait aucun agent dans les villes : à la différence de nos grandes communes, elles n’étaient point soumises à l’action permanente et toujours présente des délégués du pouvoir central. Enfin, il était permis au condamné d’en appeler de la sentence du gouverneur au tribunal du prince ou du préfet du prétoire. La loi de la province, l’appel au prince, la discussion du Conseil, voilà autant de garanties qui protégeaient la province contre l’envoyé tout-puissant de l’État romain.

L’État, de son côté, prenait ses précautions pour l’empêcher de s’élever trop haut dans sa province ou d’y acquérir une indépendance dangereuse. Le gouverneur recevait un traitement, payé par l’État. Il lui fut souvent interdit de se créer trop d’attaches dans le pays par des alliances de famille ou des achats de biens-fonds. Enfin, il n’était nommé que pour un petit nombre d’années, d’ordinaire pour un an. Il ne pouvait espérer, dit Fustel de Coulanges, de se perpétuer dans sa dignité ou de faire de sa province un petit royaume.

Enfin les lois impériales ne cessaient, dans un langage très élevé, de rappeler aux gouverneurs qu’ils avaient plus encore de devoirs envers les provinciaux que de droits sur eux. Que le tribunal du juge ne soit point vénal, disait Constantin, qu’on n’achète pas l’accès du prétoire, et que les oreilles du gouverneur soient également accessibles aux plus pauvres comme aux riches. Valentinien recommande que les sentences soient prononcées en public, toutes portes ouvertes, et, quand le juge voyage, que ce ne soit pas pour se divertir, mais pour montrer qu’il est à la disposition de tous.

5. Les bons gouverneurs de la Gaule. — La meilleure garantie qu’avaient les provinces fut encore le soin apporté par le rince ou son conseil au choix des gouverneurs. On peut croire qu’il y en eût de détestables ; mais on sait qu’un grand nombre de ceux que reçut la Gaule furent des hommes intelligents, probes et actifs, et ce ne furent pas les plus mauvais princes qui envoyèrent les gouverneurs les moins bons. Germanicus administra toute la Gaule pendant les trois premières années du règne de Tibère ; Galba fut gouverneur au temps de Néron ; Vespasien envoya Agricola en Belgique ; le jurisconsulte Julien gouverna l’Aquitaine sous Hadrien ; au temps de Commode, Septime Sévère commanda en Celtique, et il y fut, dit son biographe, aimé comme pas un.