GALLIA - TABLEAU SOMMAIRE DE LA GAULE SOUS LA DOMINATION ROMAINE

 

CHAPITRE VI. — LE RÉGIME MUNICIPAL.

 

 

1. La cité gauloise ; son origine, ses limites, son nom. — La Gaule romaine comprenait un certain nombre de communes, qu’on appelait des États, respublicæ, ou plus fréquemment des cités, civitates. La cité était, en Gaule comme presque partout dans l’empire, l’unité administrative ; les provinces n’étaient, à vrai dire, que des associations de petits États ; l’empire lui-même était une vaste fédération de cités.

Nos communes d’aujourd’hui sont d’étendue fort inégale, mais toutes sont infiniment plus petites que la cité gauloise. Elle occupait un très vaste territoire. La plus petite civitas de la Gaule, celle de Marseille, avait encore trois ou quatre lieues carrées ; la plus grande, celle des Pictons, était aussi étendue que trois de nos départements. Plus nombreuses dans le midi de la Gaule, les cités y étaient aussi moins considérables que dans le Nord. Vers l’an 400 de notre ère, il n’y avait en tout que cent quatorze cités entre le Rhin et les Pyrénées.

Une cité comprenait une ville importante qui en était le chef-lieu et un territoire rural divisé en un certain nombre de circonscriptions qu’on appelait des cantons, pagi.

Ces subdivisions administratives ne sont pas une création de Rome. Quand elle conquit le pays, elle y avait trouvé une centaine de gentes, de nations indépendantes. La gens, la peuplade, devint la commune romaine, la respublica ou la civitas, et conserva son territoire. Les cités de la Gaule romaine étaient donc composées de familles qui, depuis des siècles, avaient eu les mêmes intérêts et le même gouvernement, qui avaient les mêmes traditions historiques, et qui, sous les lois de Rome, continuaient à vivre d’une vie commune. Entre la peuplade gauloise et la cité gallo-romaine il n’y a aucune solution de continuité.

Au sud de la Gaule, cependant, nous constatons quelques changements dans les limites et les noms. La grande nation des Volques entre autres fut morcelée ; elle forma plusieurs cités qui toutes prirent le nain de leur chef-lieu, les cités de Nîmes, de Toulouse, de Béziers, de Carcassonne, de Narbonne. Partout ailleurs les limites furent conservées et l’intégrité de la gens maintenue ; les anciens noms subsistèrent également.

Officiellement, les cités s’appelèrent du nom traditionnel de la peuplade. La gens des Parisii forma la civitas Parisiorum, qui eut pour chef-lieu la ville de Lutèce, Lutetia.

Vers le milieu du IIIe siècle, on prit l’habitude d’appeler du même nom le chef-lieu de la cité et la cité tout entière. Presque partout, ce nom fut l’ancien nom du peuple. Lutetia devint Parisii et est aujourd’hui Paris. Avaricum, chef-lieu des Bituriges, prit leur nom, s’appela Bituriges et est devenu Bourges. C’est pour cela que la plupart de nos grandes villes conservent aujourd’hui encore le nom des vieilles peuplades gauloises. Il y eut un petit nombre d’exceptions ; on en rencontre surtout, comme nous l’avons vu, dans le Midi. En Gaule propre, elles sont infiniment rares : deux seulement sont importantes. Rotomagus, Rouen, ne prit pas le nom des Veliocasses dont il était le chef-lieu ; Burdigala, Bordeaux, imposa son nom à la civitas des Bituriges Vivisci, à qui elle servait de capitale.

2. Les colonies. — Il y avait plusieurs catégories de cités, suivant la condition sociale ou les droits politiques que les lois de Rome avaient conférés aux habitants.

Les cités les plus considérées portaient le nom de colonies romaines ou colonies latines. Cela signifiait que leurs habitants étaient citoyens romains ou pouvaient le devenir sous certaines conditions. De plus, ce titre de colonie établissait un lien moral entre la ville qui en jouissait et la ville de Rome : elle était censée la fille de la Cité Éternelle, sa fondation et comme son image en petit.

Du reste, la plupart des villes qui obtinrent ce titre glorieux et recherché reçurent en même temps des immigrants et des colons de Rome ou d’Italie, presque tous des vétérans des guerres civiles. Fréjus, Arles, Narbonne, Béziers, Orange furent, sous Jules César ou Auguste, créées colonies romaines, et on y établit les vétérans des huitième, sixième, dixième, septième et seconde légions : ce qui explique la longue série d’épithètes qu’on donnait officiellement à ces villes ; Arles, par exemple, s’appelait colonia Julia Paterna Arelate Sextanorum, colonie des soldats de la sixième légion, fondée par Jules le père.

Presque toutes les autres villes de l’ancienne province, sauf Marseille et deux ou trois autres, reçurent, sous Auguste, le titre de colonies latines, et, selon toute vraisemblance, on y envoya en même temps, comme colons, des vétérans pris parmi les troupes auxiliaires de l’armée romaine. C’est ainsi qu’à Nîmes on établit des soldats originaires d’Égypte, peut-être de ceux qui se soumirent après la bataille d’Actium ; aussi les habitants de Nîmes gardèrent-ils longtemps, sous l’empire, un culte de prédilection pour Isis et les divinités égyptiennes, et Nîmes conserva toujours, sur ses médailles et dans ses armoiries, comme un symbole parlant de son origine coloniale, le crocodile attaché au rameau de palmier.

Les colonies étaient beaucoup plus rares dans la Gaule propre : on n’en rencontre que près de la frontière de Germanie ; Lyon et Trèves sont les plus célèbres de cette région. Les colonies formaient donc à la Gaule une vaste ceinture le long de la Méditerranée, du Jura et du Rhin.

3. Cités alliées, libres et tributaires. — Toutes les villes de l’intérieur étaient de vraies cités gauloises. Mais les unes, les plus privilégiées, en souvenir de services rendus par elles au peuple romain, portaient le titre d’alliées, fœderatæ : telles étaient les cités des Éduens, les anciens frères du peuple romain, et des Rèmes, les principaux auxiliaires de Jules César dans la conquête (le la Belgique. D’autres s’intitulèrent cités libres, liberæ, par exemple les Santons, les Arvernes, les Bituriges, les Trévires. Les autres cités, c’est-à-dire la majorité des cités de la Gaule, étaient cités tributaires, stipendiariæ.

Les cités alliées et libres devaient jouir, au début de l’empire, de privilèges politiques et d’immunités financières ; mais, dès le IIIe siècle, les titres qu’on leur donnait n’étaient plus que des appellations honorifiques.

A la fin de l’empire, on appelait également toutes les villes de la Gaule des municipes, municipia. Mais le terme de civitas était encore le plus usité, et c’est celui qui passera au moyen-âge.

4. Les magistrats municipaux. — Quelle que fût d’ailleurs la qualification de la respublica ou de la commune gallo-romaine, l’organisation était à peu prés partout la même, et calquée, au moins en apparence, sur l’organisation primitive de la ville de Rome. L’empire n’eut d’ailleurs qu’à maintenir ou rétablir le régime aristocratique qui dominait en Gaule avant la conquête et qui s’adaptait fort bien à ses habitudes (le gouvernement.

La cité obéissait, comme autrefois la gens, à des magistrats suprêmes ; seulement, le nom latin de préteur, prætor, prévalut d’abord sur l’appellation celtique de vergobret. Plus tard, et dès la fin du Ier siècle, toutes les villes de la Gaule eurent uniformément quatre magistrats supérieurs, qu’on appela duumvirs ou quatuorvirs, duoviri ou quattuorviri : deux étaient chargés de rendre la justice, duoviri jure dicundo ; les deux autres veillaient à la police, duoviri ædiles. A ces quatre magistrats s’ajoutait le questeur, quæstor, chargé, comme le questeur de Rome, de la gestion de la caisse municipale.

De temps à autre l’empereur envoyait un délégué dans les villes pour vérifier les comptes et contrôler l’administration des biens municipaux ; on l’appelait un curateur, curator reipublicæ.

A la fin de l’empire, le système d’une magistrature supérieure unique reparut : le chef de la cité prit le titre de défenseur, defensor.

5. Le sénat municipal. — Le vrai maître de la cité était, comme autrefois, le sénat. Il y avait bien des assemblées du peuple pour nommer les magistrats ; mais il est probable que dans ces assemblées les sénateurs municipaux avaient la haute main : d’ailleurs elles tombèrent en désuétude d’assez bonne heure.

L’ordre des sénateurs municipaux ou curiales, ordo curiatium, était composé des principaux propriétaires du pays ; il formait l’aristocratie de la cité. Les chefs du gouvernement n’administraient qu’avec son aide. Les curiales étaient responsables, vis-à-vis de l’État romain, de la gestion des affaires locales, et notamment de la levée des impôts : ce qui ne laissait pas de rendre la dignité de curiale presque aussi lourde qu’elle était honorable. Aussi, vers le IVe siècle, beaucoup de villes furent-elles abandonnées par leurs sénateurs, désireux d’échapper aux obligations attachées à leur titre. Les empereurs durent faire des lois pour les contraindre à demeurer dans leurs cités, à siéger au sénat, à diriger l’administration, à veiller à la rentrée des impôts, pour empêcher en un mot l’effondrement du régime municipal. Toutefois cette décadence des sénats locaux parait avoir été moins grave en Gaule que dans le reste de l’empire. Car, à la veille même de l’invasion, nous trouvons encore dans les cités gauloises des sénateurs riches, considérés et patriotes, dont leurs concitoyens étaient fiers et qui étaient fiers de gouverner leurs villes.

6. Les droits des villes. — Ce qui manquait à la cité gallo-romaine, c’était l’indépendance politique. II ne restait à ses magistrats ni le droit de paix, de guerre et d’alliance, ni le droit de vie et de mort. Leurs attributions judiciaires étaient limitées aux affaires correctionnelles ou à des affaires civiles et commerciales concernant de très petites sommes. C’étaient surtout des juges de paix et des commissaires de police.

Mais les villes avaient la libre disposition de leur budget, sauf, de temps à autre, l’obligation de le soumettre au contrôle d’un curateur impérial. Elles possédaient des terres, des bois, des prairies ; des immeubles, et ses magistrats les affermaient à leur gré. La ville était souveraine en matière religieuse et pouvait choisir à sa guise entre les dieux et les cultes répandus dans l’empire. Elle avait même, jusqu’à un certain point, une autorité militaire. Sauf la plupart des colonies et quelques villes privilégiées (comme Autun), les cités n’étaient point entourées de murailles ; mais il semble qu’il ne leur était pas défendu d’avoir des armes et de s’armer, sous les ordres de ses magistrats, pour repousser une attaque subite ou poursuivre des bandes de brigands.

On voit la profonde différence qui séparait la commune gallo-romaine de la nôtre. Aujourd’hui, les chefs municipaux n’ont que des attributions de police et de finance ; autrefois, ils étaient aussi des juges, des chefs militaires, des administrateurs tout-puissants pour le compte de Rome. La cité était alors, comme l’indiquait son nom de respublica, un État politique plus encore qu’un district administratif M. Guiraud l’a dit fort justement : Il est vrai qu’au-dessus d’elle planait la puissante autorité de Rome. Mais, si cette domination s’était brusquement évanouie, toutes ces cités auraient pu, du jour au lendemain, et presque sans aucun changement, former autant de petits États souverains, pourvus de leurs organes essentiels, et capables de se suffire pleinement à eux-mêmes.

7. Le patriotisme municipal. — Aussi, malgré la perte de son indépendance, la cité gauloise, qui conservait son nom, son foyer sacré, la solidarité de ses membres et la tradition de soit passé, a-t-elle toujours vécu d’une vie intense sous les lois de Rome. Les ressources d’argent et d’intelligence que les anciens sénateurs gaulois gaspillaient dans les guerres civiles ou dans de vaines rivalités, ils les appliquaient maintenant à la prospérité de leurs villes. En trois générations, la cité gauloise se transforma. D’une bourgade en chaume, en terre et en bois sortit une ville de pierre et de marbre. A la fin du Ier siècle, le chef-lieu des civitates était déjà une grande ville, ornée de statues, de fontaines, de mosaïques, avec des aqueducs, des thermes, des basiliques, des portiques décorés de bas-reliefs, des théâtres et souvent même de vastes arènes. Tous ces monuments furent élevés, non pas aux dépens du budget municipal, mais surtout aux frais des magistrats ou des sénateurs. D’autres fondaient des écoles, d’autres instituaient des sacrifices. La ville gagna en richesse ce qu’elle avait perdu en liberté ; mais le patriotisme municipal ne s’affaiblit pas. Ceux-là mêmes d’entre les Gaulois qui devinrent consuls n’oublièrent pas leur ville natale : Si je vénère Rome, j’aime ma petite patrie, écrivait le Bordelais Ausone qui fut consul ; si j’ai là-bas ma chaise curule, je n’oublie pas qu’ici j’ai mon berceau : car, après avoir rempli les plus hautes fonctions de l’empire, Ausone était revenu dans sa chère ville de Bordeaux, pour en faire le nid de sa vieillesse.

 

TABLEAU DES PROVINCES ET CITÉS DE LA GAULE VERS L’AN 400

I. ALPES MARITIMÆ

 

Nom de la cité.

Nom actuel du chef-lieu.

1.

Ebrodunensium

Embrun.

2.

Diniensium

Digne.

3.

Rigomagensium

Chorges ?

4.

Salinensium

Castellane.

5.

Sanitiensium

Senez.

6.

Glannativa

Glandèves.

7.

Cemenelensium

Cimiez.

8.

Vintiensium

Vence.

II. NARBONENSIS SECUNDA

9.

Aquensium

Aix.

10.

Aptensium

Apt.

11.

Reiensium

Riez.

12.

Forojuliensium

Fréjus.

13.

Vapincensium

Gap.

14.

Segesteriorum

Sisteron.

15.

Antipolitana

Antibes.

III. VIENNENSIS

16.

Viennensium

Vienne.

17.

Genavensium

Genève.

18.

Gratianopolitana

Grenoble.

19.

Albensium

Aps.

20.

Deensium

Die.

21.

Vasiensium

Vaison.

22.

Valentinorum

Valence.

23.

Tricastinorum

Saint-Paul-Trois-Châteaux.

24.

Arausicorum

Orange.

25.

Carpentoratensium

Carpentras.

26.

Cabellicorum

Cavaillon.

27.

Avennicorum

Avignon.

28.

Arelatensium

Arles.

29.

Massiliensium

Marseille.

IV. NARBONENSIS PRIMA

30.

Narbonensium

Narbonne.

31.

Tolosalium

Toulouse.

32.

Beterrensium

Béziers.

33.

Nemausensium

Nîmes.

34.

Lutevensium

Lodève.

V. ALPES PŒNINÆ

35.

Centronium

Moutiers.

36.

Vallensium

Martigny-en-Valois.

VI. NOVEMPOPULANA

37.

Elusatium

Eauze.

38.

Aquensium

Dax.

39.

Lactoratium

Lectoure.

40.

Convenarum

Saint-Bertrand-de-Comminges.

41.

Consoranorum

Saint-Lizier-de-Conserans.

42.

Boiatium

La Teste-de-Bach.

43.

Benarnensium

Lescar dans le Béarn.

44.

Aturensium

Aire.

45.

Vasatica

Bazas.

46.

Turba

Tarbes.

47.

Horonensium

Oloron.

48.

Ausciorum

Auch.

VII. AQUITANICA PRIMA

49.

Bilurigum

Bourges.

50.

Arvernorum

Clermont en Auvergne.

51.

Albigensium

Alby.

52.

Cadurcorum

Cahors.

53.

Rutenorum

Rodez.

51.

Lemovicum

Limoges.

55.

Gabalum

Javols.

56.

Vellavorum

Saint-Paulien-en-Velay.

VIII. AQUITANICA SECUNDA

57.

Burdigalensium

Bordeaux.

58.

Agennensium

Agen.

59.

Ecolismensium

Angoulême.

60.

Santonum

Saintes.

61.

Pictavorum

Poitiers.

62.

Petrocoriorum

Périgueux.

IX. LUGDUNENSIS PRIMA

63.

Lugdunensium

Lyon.

64.

Æduorum

Autun.

65.

Lingonum

Langres.

X. LUGDUNENSIS SECUNDA

66.

Rotomagensium

Rouen.

67.

Baiocassium

Bayeux.

68.

Abrincatum

Avranches.

69.

Ebroicorum

Evreux.

70.

Sagiorum

Sées.

71.

Lexoviorum

Lisieux.

71.

Constantia

Coutances.

XI. LUGDUNENSIS TERTIA

73.

Turonorum

Tours.

71.

Cenomanorum

Le Mans.

75.

Redonum

Rennes.

76.

Andecavorum

Angers.

77.

Namnetum

Nantes.

78.

Coriosopitum

Quimper ?

79.

Venetum

Vannes.

80.

Osismorum

Coz-Castell-Ach ?

81.

Diablintum

Jublains.

XII. LUGDUNENSIS SENONIA

82.

Senonum

Sens.

83.

Autissiodorum

Auxerre.

81.

Carnotum

Chartres.

85.

Aurelianorum

Orléans.

86.

Tricassium

Troyes.

87.

Melduorum

Meaux.

98.

Parisiorum

Paris.

XIII. MAXIMA SEQUANORUM

89.

Vesontiensium

Besançon.

90.

Equestrium

Nyon.

91.

Helveliorum

Avenches.

92.

Basiliensium

Bâle.

XIV. BELGICA SECUNDA

93.

Remorum

Reims.

91.

Catuellaunorum

Châlons.

95.

Suessionum

Soissons.

96.

Veromanduorum

Saint-Quentin (Vermandois) ?

97.

Atrabatum

Arras.

98.

Camaracensium

Cambrai.

99.

Turnacensium

Tournai.

100.

Silvanectum

Senlis.

101.

Bellovacorum

Beauvais.

102.

Ambianensium

Amiens.

103.

Morinorum

Thérouanne.

101.

Bononiensium

Boulogne.

XV. BELGICA PRIMA

103.

Treverorum

Trèves.

106.

Mediomatricorum

Metz.

107.

Leucorum

Toul.

108.

Verodunensium

Verdun.

XVI. GERMANIA PRIMA

109.

Magonliacensium

Mayence.

110.

Argentoratensium

Strasbourg.

111.

Nemetum

Spire.

112.

Vangionum

Worms.

XVII. GERMANIA SECUNDA

113.

Agrippinensium

Cologne.

114.

Tungrorum

Tongres.