1. Phéniciens et Grecs. — La civilisation et l’unité allaient être rapidement données à la Gaule par les deux grandes nations du monde antique, les Grecs et les Romains. Nous ne parlons pas des phéniciens : des légendes les promenaient un peu partout clans le midi et l’orient de la Gaule, et il n’est pas douteux qu’ils n’aient fondé quelques comptoirs isolés sur les rivages de la Méditerranée, par exemple à Marseille et à Monaco. Mais ils n’ont laissé aucune trace durable de leur séjour en Gaule, et ils ont cédé de bonne heure la place aux négociants grecs. Les Phocéens, venus de l’Asie Mineure, s’établirent à Marseille vers l’an 600 avant notre ère. Marseille, Massilia, donna naissance à son tour à Nice, Antibes, Tauroentum (près de la Ciotat), Agde. Elle étendit ses domaines et multiplia ses comptoirs mène dans la vallée du Rhône, et elle sut presque toujours vivre en très bonne intelligence avec les Gaulois, sinon avec les Ligures. De la colonie phocéenne partaient sans cesse des caravanes de marchands et de banquiers pour se rendre dans les trois grandes vallées de la Gaule océanienne. Elles descendaient la Garonne jusqu’à Bordeaux, la Loire jusqu’à Nantes, la Seine jusqu’à Rouen : des Grecs allaient s’embarquer dans ces bourgades, pour commercer avec les îles Britanniques. En même temps, la civilisation grecque, soit par la vallée du Rhône, soit par celle du Danube, rayonnait sur tout le monde gaulois, lorsque les Romains arrivèrent pour compléter et achever son œuvre. 2. La première province romaine. — Ce sont les Grecs qui les ont introduits dans notre pays. Marseille avait été de tout temps l’alliée de Rome. Dés l’année 155, inquiétée par les peuplades ligures qui l’avoisinaient, elle appela les Romains à son secours. Trente ans plus tard, vers 125, elle eut recours à eux une seconde fois ; mais dès lors ils ne quitteront plus le sol gaulois. Il y eut, de 124 à 118, une série de campagnes contre les Ligures, les Allobroges, les Arvernes surtout ; une grande victoire fut remportée, près du Rhône, sur le roi de ce dernier peuple, Bituit : on dit que cent vingt mille Gaulois périrent dans la bataille. Ces combats heureux donnèrent aux Romains la suprématie sur tout le pays compris entre les Cévennes et les Alpes, de Toulouse à Genève et à Nice. Ils en firent une province de l’empire sous le nom de Gaule Transalpine. Leur principale ville fut Narbonne, oit ils envoyèrent une colonie. Toulouse, Aix (Aquæ Sextiæ) étaient les autres places importantes de leur domination. Toutefois les Romains laissèrent aux Marseillais un très grand domaine entre le Rhône, la Durance et les Alpes Maritimes. En même temps, ils préparèrent la voie à leur influence dans le reste de la Gaule. La plus civilisée des peuplades de la Celtique était celle des Éduens. Ils reçurent le titre glorieux d’alliés et d’amis du peuple romain et ils appelèrent les Romains du nom de frères. 3. Le rôle des Romains en Gaule. — L’empire de Rome valut bientôt à la Gaule du Midi un premier bienfait. Il la sauva de la terrible invasion des Cimbres et des Teutons. Le consul Marius écrasa les Teutons dans une grande bataille livrée près d’Aix, l’an 103. Ce fut la première des invasions germaniques qui devaient désoler notre pays jusqu’au Ve siècle, et Rome montra, au lendemain même de son arrivée, quel allait être son rôle chez les Gaulois : leur donner un pouvoir assez fort pour les défendre contre les envahisseurs germains. Un général romain, Cérialis, le dit un jour à des Gaulois mécontents de Rome : Les mêmes motifs de passer en Gaule subsistent toujours pour les Germains : l’amour du plaisir et celui de l’argent, et le désir de changer de lieu ; on les verra toujours, quittant leurs solitudes et leurs marécages, se jeter sur ces Gaules si fertiles pour asservir vos champs et vos personnes. Et, faisant allusion aux motifs qui appelèrent Jules César en Gaule, Cérialis disait : Lorsque les généraux de Rome entrèrent sur votre territoire, ce ne fut point par esprit de cupidité. Ils y vinrent à la prière de vos ancêtres, que fatiguaient de meurtrières dissensions, et parce que les Germains avaient réduit indistinctement à l’esclavage alliés et ennemis. Je ne parlerai point de tous nos combats coutre les Cimbres et les Teutons, des grands exploits de nos armées et du succès de nos guerres avec les Germains ; ils sont assez connus. Si nous nous sommes fixés sur le Rhin, ce n’a pas été pour protéger l’Italie, mais c’est pour veiller à ce qu’un nouvel Arioviste ne s’élevât pas sur vos têtes. 4. L’état de la Gaule romaine sous la République. — Toutefois, si Rome sut bien défendre sa nouvelle province contre les barbares, elle ne chercha pas tout de suite à faire l’éducation des habitants et à développer la richesse du sol. Narbonne devint sans doute le centre d’un trafic très important ; le pays fut rempli de négociants et de banquiers italiens, qui se répandirent même de là dans la Gaule indépendante ; il y eut un gouverneur, qui avait le litre de propréteur. Mais tout ce monde d’étrangers, plus avides encore qu’ambitieux, traitèrent la6aule en pays conquis : ils l’exploitèrent, mais pour leur compte, pillant les temples, ruinant les riches, spéculant sur les biens des villes, multipliant les impôts. Un des propréteurs, Fontéius, se rendit par ses déprédations aussi célèbre en Transalpine que Verrès le fut en Sicile. Les peuples de la Gaule envoyèrent à Rome une députation pour accuser leur gouverneur : défendu par Cicéron (en 69 av. J.-C.), Fontéius fut sans doute absous. Un de ses successeurs, Calpurnius Pison, se rendit coupable des mémés excès : il fut l’objet d’une semblable accusation, mais il trouva le même défenseur et fut également renvoyé absous (en 67). Si la république romaine avait vécu, la Gaule n’aurait peut-être jamais atteint le degré de prospérité auquel elle arrivera sous l’empire ; en tout cas, Rome n’y serait jamais devenue respectée et populaire. 5. L’intervention de César en Gaule. — C’est du reste la Gaule qui fut le point de départ de l’empire, car c’est clans la conquête de ce pays que le vrai fondateur du régime impérial, Jules César, trouva la puissance, l’armée et la gloire qui lui permirent de renverser les lois de son pays. C’est en qualité de proconsul des Gaules Transalpine et Cisalpine qu’il commença, en 58, la conquête de la Gaule propre. Sans doute, il y avait songé depuis longtemps dans ses rêves ambitieux ; car, de toutes les grandes contrées que touchaient au monde romain, la Gaule était la plus célèbre par la gloire ale son passé, la bravoure de ses hommes, la richesse de son sol. De plus, l’occasion semblait y appeler César : le moment était propice pour lui de paraître en Gaule, plutôt comme libérateur que comme conquérant, et d’y affirmer la politique que Rome y avait prise dès le début. Les Suèves, puissante nation germaine, avaient franchi le Rhin et dominaient l’est du pays. Leur roi Arioviste parlait couramment de sa Gaule. Les Éduens, alliés de Rome, réclamèrent alors le secours de César, jouant au centre de la Gaule le môme rôle que les Marseillais au Sud. Une première campagne délivra la Gaule des Germains. Il est à croire que c’en était fait d’elle, faute d’unité et d’union, si les Romains n’étaient venus à temps pour la secourir, et qu’elle serait tombée sous l’empire des barbares. Il arrivera nécessairement, disait un Gaulois en implorant le secours de César, qu’en peu d’années tous les Gaulois seront chassés de la Gaule, et que tous les Germains auront passé le Rhin ; car le sol de la Germanie et celui de la Gaule ne peuvent se comparer non plus que la manière de vivre des habitants. Si le peuple romain ne vient à rentre secours, il ne nous restera d’autre parti à prendre que d’émigrer ; d’aller chercher loin des Germains d’autres demeures, une autre patrie, et de tenter les chances d’une meilleure fortune. La Gaule divisée n’avait plus que le choix entre les deux dominations. En la débarrassant des Germains, même au prix de sa liberté, Rome l’a préservée de la barbarie et a peut-être sauvé sa race et son existence historique. Mais, nue fois les Germains écartés, Jules César resta et commença la conquête pour son propre compte, plus encore peut-être que pour le compte de Rome. Pendant cinq ans, de 58 à 53, il soumit peu à peu tout le pays entre le Rhin et les Pyrénées ; il ne se heurta guère qu’à des résistances régionales et fut en partie aidé par les dissensions locales et les rivalités entre les peuples. Quelques-unes de ces nations se montrèrent dès le début des alliées sincères des armes romaines : les Rèmes leur ouvrirent la Belgique, comme les Éduens les avaient entraînées en Celtique. 6. La guerre de l'indépendance ; Vercingétorix. — Mais en 52, sous la direction de l'Arverne Vercingétorix, la Gaule entière se leva. Une seconde fois l’Arvernie fournit à Rome le plus redoutable de ses adversaires gaulois. C’était un jeune homme, riche et populaire, de haute condition. Il était d’ailleurs désigné pour le rôle de chef dans la lutte suprême : son père, tout-puissant chez les Arvernes, avait exercé sur toute la Gaule une sorte de suprématie politique. A la tête d’une troupe d’amis et de fidèles, Vercingétorix va de ville en ville, invoquant le nom de ses ancêtres, les glorieux souvenirs des conquêtes gauloises, et rappelant à tous le devoir de s’armer pour la liberté de la patrie. Ses paroles, son exemple, son action décidèrent enfin le pays à une action commune. Des extrémités de l’Armorique aux bords de la Marne, de la Garonne aux monts d’Auvergne, toutes les cités envoyèrent à Vercingétorix des soldats et des chevaux et lui confièrent le commandement suprême. César dut reconnaître cette fois le merveilleux accord de la Gaule pour ressaisir son indépendance. Il y eut alors chez les Gaulois, dit-il, une telle ardeur unanime pour reconquérir la liberté et pour ressaisir l’ancienne gloire militaire de leur race, que même les anciens amis de Rome oublièrent les bienfaits qu’ils avaient reçus d’elle et que tous, de toutes les forces de leur âme et de toutes leurs ressources matérielles, ne songèrent plus qu’il se battre. Toutefois, il fallut céder devant la ténacité du proconsul et la solidité des légions romaines. Des combats acharnés se livrèrent à Avaricum (Bourges), à Gergovie en Auvergne, à Alésia dans la Côte-d’Or. Vercingétorix dut s’avouer vaincu. Si le nombre des hommes et leur courage, dit Fustel de Coulanges, avaient suffi pour être vainqueur, Vercingétorix l'aurait été. Vaincu, il tomba en homme de cœur. Vercingétorix, raconte Plutarque, avait été l’âme de toute cette guerre. Il se couvrit de ses plus belles armes et sortit d’Alésia sur un cheval magnifiquement paré ; il le fit caracoler autour de César, qui était assis sur son tribunal ; puis il mit pied à terre, se dépouilla de ses armes et alla s’asseoir aux pieds du proconsul. Il se tint ainsi en silence. César le remit en garde à des soldats et le réserva pour son triomphe. Il y eut, en 51, un dernier soulèvement et une résistance obstinée de la ville d’Uxellodunum, chez les Cadurques. Mais, à partir de l’an 50, sauf des révoltes isolées, toute la Gaule se déclara soumise. 7. Le patriotisme gaulois. — De toutes les contrées qui ont formé l’empire romain, aucune n’a été plus vite réduite que la Gaule. Ce sont les Romains eux-mêmes qui l’ont remarqué et répété. Est-ce à dire que le patriotisme lui a manqué ? Certains partis politiques et certaines villes ont été favorables aux Romains ; mais la même désertion s’est produite en Grèce aux temps de l’invasion des Perses et des guerres contre la Macédoine et contre Rome ; on la retrouve encore en Italie lors des luttes pour l’indépendance ; elle se rencontre sans cesse dans les litais du monde ancien, où les passions politiques ont toujours tenu en échec les intérêts nationaux. La résistance de la Gaule a été plus courte que celle de l’Espagne ; mais elle a été plus générale, elle s’est vite centralisée, elle a pris rapidement ce caractère d’unité que nécessitait la structure du pays et que provoquaient les instincts de la race. Devenue compacte, elle a pu être brisée d’un seul coup. Pour être courte, elle n’en fut pas moins intense. Songeons que la Gaule a eu affaire au plus grand capitaine des temps anciens, que ses légions ne l’ont pas quittée pendant huit ans, qu’il l’a parcourue, pillée, piétinée, sans une minute de répit. Songeons surtout à l’étal où il l’a laissée : Qu’on se représente, dit un écrivain romain, un malade pâle, décharné, défiguré par une longue fièvre brûlante, qui a tari son sang et abattu sa force, pour ne lui laisser qu'une soif importune et qu'il ne peut satisfaire. Voici l'image de la Gaule épuisée et domptée par César, d'autant plus altérée de la soif ardente de sa liberté perdue que ce bien précieux semble lui échapper pour jamais. De là la perte de l'espérance même. César, nous apprend Plutarque, avait pris de force plus de huit cents villes, soumis plus de trois cents nations, combattu en divers temps contre trois millions d'hommes, sur lesquels un million périt en bataille rangée et un million fut réduit en captivité. À l'étendue des souffrances, on devine l'énergie de la lutte : on peut affirmer que les Gaulois n'ont pas montré dans Alésia moins d'union et de patriotisme que les Espagnols à Numance ou les Grecs à Salamine. |