1. Nom, populations et limites de la Gaule. — A la fin du IIe siècle avant l’ère chrétienne, les Romains entamèrent la conquête de notre pays. On commençait, en ce temps-là, à donner le nom de Gaule, Gallia, à la vaste contrée qui s’étendait des Alpes aux Pyrénées et de la mer Méditerranée jusqu’aux rives lointaines de l’Océan. Ce nom lui venait de la principale nation qui l’habitait, celle des Gaulois ou Celtes, Galli, Celtœ. Celte ou Gaulois étaient d’ailleurs à ce moment deux termes synonymes. Les Celtes s’appelaient ainsi dans leur langue ; les Romains leur donnaient volontiers le nom de Gaulois, comme ils donnaient aux Hellènes celui de Grecs, comme nous donnons aux Deutschen celui d’Allemands. La Gaule ne formait pas à cette époque un seul État ; elle n’était même pas habitée tout entière par des peuples appartenant à la même race. A côté des Gaulois, qui lui donnaient son nom, d’autres populations moins importantes y étaient établies. — Au Sud-Ouest, entre la Garonne et les Pyrénées, étaient les Aquitains, Aquitani : ils passaient pour ressembler aux Ibères, leurs voisins, qui peuplaient une grande partie de l’Espagne, et qui avaient valu à la presqu’île son nom d’Ibérie. — Au Sud-Est, le long de la Méditerranée, on rencontrait les Ligures, qui s’étendaient aussi sur les côtes italiennes jusqu’à l’embouchure de l’Arno. Ibères et Ligures avaient autrefois possédé une bien plus grande partie de la Gaule ; mais les Celtes les avaient refoulés au Midi, il y avait deux ou trois siècles à peine. — Du côté du Rhin, les Gaulois avaient jadis débordé dans les grandes plaines de l’Allemagne du Nord. En ce moment ils se trouvaient rejetés eu deçà du fleuve par les Germains, leurs voisins immédiats et souvent leurs ennemis : le pays que nous appelons l’Alsace avait été conquis par ces derniers, sans doute depuis peu de temps. Le Rhin n’avait jamais servi de barrière entre les deux races. Toutefois, la nature avait fait de ce fleuve la frontière véritable de la Gaule, et dès que Ies géographes grecs ou romains s’occuperont de cette contrée, c’est le Rhin qu’ils lui assigneront comme limite orientale. 2. Anciennes destinées des Gaulois. — La grande nation qui occupait le centre de la Gaule avait autrefois étendu son empire bien au delà des bornes de ce pays. Elle avait été, quelques siècles auparavant, la principale nation conquérante de l’occident et du nord de l’Europe. Sous la suprématie de sa peuplade la plus centrale, les Bituriges (qui habitaient le pays de Bourges), elle avait vu sa domination rayonner au loin par le monde : de grandes migrations d’hommes étaient parties de la Gaule, portant la terreur du nom celtique aux Grecs et aux Romains et aux autres barbares. En Espagne s’était formée la population mixte des Celtibères ; les îles Britanniques étaient devenues à peu près gauloises ; en Italie, une seconde Gaule, Gallia Cisalpina, s’était créée dans la vallée du Pô, et les Celtes, vainqueurs des Romains à la bataille de l’Allia (390 av. J.-C.), ne s’étaient arrêtés qu’au pied du Capitole. D’autres avaient occupé la vallée du Danube ; on en avait vu piller la Grèce, et, plus loin encore, les Gaulois avaient fondé en Asie un petit État que les Grecs appelaient la Galatie. Au delà du Rhin, ils s’étaient répandus jusqu’aux bords de la Vistule. Bien des grandes villes européennes doivent leur origine aux Celtes : Cracovie en Pologne, Vienne en Autriche, Coïmbre en Portugal, York en Angleterre, Milan en Italie ont des noms qui viennent, du gaulois : ce sont des fondations d’hommes de notre pays et de notre race. Cette immense étendue de terres s’était jadis appelée la Celtique. Mais peu à peu les Gaulois avaient vu leur empire se démembrer et leur nom se limiter à la Galatie asiatique, à la Gaule Cisalpine et à la Gaule Transalpine. Puis, sur tous ces points, ils durent reculer, et toujours devant les Romains. Au IIe siècle, les Romains achevèrent la conquête de la Cisalpine, écrasèrent les Galates et, vers l’an 125, pénétrèrent en conquérants dans la Gaule Transalpine. 3. Principales peuplades gauloises. — Les Celtes de la Gaule n’étaient pas encore arrivés à l’unité politique. On distinguait chez eux deus groupes de peuples qui ne parlaient pas le même dialecte et n’avaient ni les mêmes mœurs, ni les mêmes usages : les Gaulois proprement dits, entre la Garonne, la Seine et la Marne ; et les Belges, Belgæ, entre la Marne et le Rhin. Ces derniers, arrivés sans doute plus récemment en Gaule, étaient plus guerriers et plus sauvages que les autres Celtes. Gaulois et Belges comprenaient environ quatre-vingts peuplades, gentes. Chacune d’elles, établie à demeure sur un territoire bien délimité, avait ses villes, sa constitution, ses magistrats et son indépendance ; elle formait un véritable État politique, une nation autonome. C’est à ces petites nations gauloises que la France doit ses premières cités et ses plus anciennes divisions géographiques : elles sont l’origine de nos provinces, de nos pays et de nos grandes villes, qui pour la plupart conservent encore le nom de ces peuplades. Les principales étaient les Bituriges, Bituriges (Bourges et le Berry), les Éduens, Ædui (Autun), les Arvernes, Arverni (Auvergne), les Séquanes, Sequani (Besançon), les Helvètes, Helvetii (Suisse), au centre de la Gaule ; au Nord-Est, les Rèmes, Remi (Reims), les Trévires, Treveri (Trèves), les Nerviens, Nervii (Hainaut) ; au Sud-Ouest, les Santons, Santones (Saintes et Saintonge), les Pictons, Pictones (Poitiers et Poitou). La petite peuplade des Parisiens, Parisii, fort peu importante en ce temps-là, avait pour principale ville Lutèce, Lutetia, dans une île de la Seine : plus tard, Lutèce prendra le nom du peuple qui l’a habitée. Au Sud, les Volques, Volcæ, s’étendaient des Pyrénées au Rhône ; les Allobroges, Allobroges, du Rhône aux Alpes. Au Nord-Ouest, les nations comprises entre la Loire et la Seine formaient, sous le nom d’Armorique, Armorica, une confédération particulière. Les autres peuplades se groupaient d’ordinaire autour des États les plus forts, comme les Arvernes, les Éduens ou les Séquanes, et ces ligues étaient en lutte incessante l’une contre l’autre. Comme il n’y avait aucune nation assez puissante pour imposer longtemps sa suprématie à ses voisines et à ses rivales, la Gaule était, au IIe siècle, en pleine anarchie. 4. Institutions politiques. — L’anarchie se retrouvait à l’intérieur de chacun de ces petits États. Les querelles politiques y maintenaient la discorde dans les villes, dans les campagnes, dans les familles même. Le gouvernement était à peu près partout aristocratique ; le pouvoir appartenait à un sénat nombreux, composé sans doute des hommes les plus riches et les plus influents. Il élisait nu chef suprême, annuel ou viager, qui s’appelait assez souvent, semble-t-il, le juge, vergobret eu gaulois. Ce magistrat avait à peu près les mêmes droits que les premiers consuls de Rome, qui, eux aussi, s’étaient nommés des juges, judices. Dans beaucoup de peuplades il s’était formé un parti démocratique autour de quelques chefs plus riches et plus ambitieux : ce parti tenait l’aristocratie en échec et amenait parfois la création d’une royauté populaire. Toutes les nations gauloises se trouvaient dans un état de crise et de transformation politique assez semblable à celui qui précéda, à Rome et à Athènes, l’établissement définitif du régime républicain. La puissance effective était partout entre les mains de quelques nobles, riches en terres et en clients. 5. Les druides. — Le clergé était, avec la noblesse, la classe dominante. La Gaule possédait un corps de prêtres appelés druides, qui tenaient la première place dans la vie publique et sociale des nations. Les druides dirigeaient la religion officielle et le culte privé. Ils instruisaient la jeunesse et lui apprenaient, nous dit César, le cours des astres, la grandeur du monde et des terres, la force et la puissance des dieux. Ils lui enseignaient surtout que l’âme ne meurt point, mais qu’après la mort elle passe d’un corps à un autre. L’enseignement était donné sous forme de longs poèmes, qu’ils n’écrivaient jamais et que l’on se transmettait par la parole à travers les tiges. Les druides étaient aussi une grande puissance politique. Chaque année, ils tenaient, au centre de la Gaule, dans le pays de Chartres, de véritables assises, où ils jugeaient de tous les procès publics et privés. Contre ceux qui ne répondaient pas à leur appel, ils lançaient des sentences d’excommunication, ce qui était, pour les Gaulois, le plus redoutable des châtiments. Cette domination du clergé a frappé beaucoup tous les écrivains anciens qui se sont occupés de la Gaule. Il n’y avait à ce moment rien de semblable dans le monde grec ou romain. L’Orient seul offrait, en Égypte ou en Chaldée, une caste sacerdotale aussi puissante que celle des druides. Aussi les Romains disaient-ils volontiers que les Gaulois étaient la plus superstitieuse des nations, ne se rappelant pas que leurs ancêtres avaient également mérité ce reproche. 6. Les dieux. — La religion présentait le même morcellement, la même absence d’unité que la société politique. Comme dans le culte primitif de la Grèce et de l’Italie, les dieux abondaient en Gaule. C’étaient surtout des divinités locales, dont l’adoration était limitée à un canton ou à une bourgade. Chaque cité avait sou dieu, qui était d’ordinaire le dieu de la source qui l’arrosait ou de la montagne sur laquelle elle était bâtie. Ou adorait à mimes la fontaine Nemausus, l’Yonne, Icaunis, à Auxerre, la Seine, Sequana, à la source du fleuve, Dumias au Puy de Dôme, la fontaine Divona à Bordeaux, la déesse Arduenna dans les Ardennes, le dieu Vosegus dans les Vosges, le dieu fluvial Vasio à Vaison, et bien d’autres. C’étaient ces divinités des sources et des bois qui étaient l’objet de la plus ardente dévotion : c’est la plus ancienne religion de nos ancêtres, et c’est celle qui a le plus longtemps duré. Cependant, au-dessus des innombrables divinités locales, quelques grands dieux commençaient à s’élever, représentant les forces éternelles de la nature ou les grands principes de la vie humaine. Les Gaulois les appelaient Teutates, Esus, Taranis : les Romains nous apprennent qu’ils ressemblaient aux plus hautes divinités de leur religion, et la ressemblance paraissait même si grande qu’ils n’appelaient jamais les dieux gaulois que des noms latins de Jupiter, Mercure ou Mars. Mercure, dit Jules César, est le principal dieu. C’est de lui qu’il y a le plus d’images ; c’est lui, à ce que croient les Gaulois (et remarquons que les Romains et les Grecs ne croyaient pas autre chose), c’est lui qui a inventé les arts, qui préside au commerce, protège les routes, fait gagner de l’argent. Puis viennent Apollon, qui écarte les maladies, Minerve, l’éducatrice des artistes et des travailleurs, Jupiter, le roi du ciel, ]Mars, le chef de guerre. Dans la pensée de César, le panthéon gaulois ne différait pas du panthéon classique des Grecs et des Romains. 7. — Mais c’étaient les croyances populaires des Gaulois qui étonnaient le plus-les Latins. On racontait mille choses étranges sur les pratiques superstitieuses, les sortilèges, les amulettes, les charmes auxquels les druides, disait-on, habituaient la Gaule : les Romains du temps de César oubliaient un peu que les mêmes dévotions populaires s’étaient rencontrées dans l’ancienne Italie. Deux surtout excitaient l’étonnement, celle de l’œuf de serpent et celle du gui de chêne. Durant l’été, raconte Pline le Naturaliste, on voit se rassembler dans certaines cavernes de la Gaule des serpents sans nombre qui se mêlent, s’entrelacent et, avec leur salive, jointe à l’écume qui suinte de leur peau, produisent une espèce d’œuf. Lorsqu’il est parfait, ils l’élèvent et le soutiennent en l’air par leurs sifflements ; c’est alors qu’il faut s’en emparer, avant qu’il ait touché la terre. Un homme aposté à cet effet s’élance, reçoit l’œuf dans un linge, saute sur un cheval qui l’attend, et s’éloigne à toute bride, car les serpents le poursuivent jusqu’à ce qu’il ait mis une rivière entre eux et lui. L’œuf de serpent servait, croyait-on, à faire gagner les procès et à se faire bien voir des rois et des puissants. — Le gui de chêne guérissait de toutes les maladies ; on l’appelait le guérit-tout, omnia sanans. Mais, pour qu’il fût efficace, il fallait le cueillir suivant les rites : Le prêtre, dit encore Pline, est vêtu d’une robe blanche, il tient une faucille d’or : c’est ainsi qu’il monte sur l’arbre, coupe le gui, qui doit être reçu dans une saie blanche. Alors ont lieu les prières et les sacrifices. L’œuf de serpent était un talisman, le gui de chêne une panacée. — Le chêne était au reste l’arbre religieux par excellence aux yeux des druides et des Gaulois, comme il le fut dans les temps les plus anciens de la Grèce et de l’Italie, et la superstition qui s’attachait au gui peut aisément se retrouver dans les religions primitives ou les croyances populaires de beaucoup de nations antiques. Notre imagination se représente volontiers les druides au fond des bois et dans de vastes clairières, immolant des victimes et accomplissant leurs sacrifices sur de grands monuments en pierre brute, isolés, tristes et nus ; il est resté bon nombre de ces monuments par toute la France, en Bretagne surtout : les dolmens, en forme de table ; les menhirs, qui se dressent, isolés, comme des obélisques ; les alignements et les cromlechs, gigantesques rangées de pierres plantées dans le sol. Nous sommes mêmes habitués à appeler ces monuments des pierres druidiques. Mais tout cela n'est que légende et poésie. Ces pierres n'ont en réalité aucun rapport avec la religion des druides ; la tradition qui s'est formée à leur propos n'a rien d'historique, et il est fort douteux qu'un druide ait jamais sacrifié sur un dolmen ou prié dans l'enceinte d'un cromlech. Ce sont, selon toute vraisemblance, des ruines de tombeaux ou des pierres de souvenir, destinées à recueillir les cendres des morts ou à perpétuer la mémoire des hommes disparus. Il s’en trouve de semblables en Afrique, en Orient, dans le monde entier : ce sont là des formes de sépulcres ou de monuments qui ont été également naturelles à lotis les peuples, primitifs. 8. Caractère des Gaulois. — A ces Gaulois dont ils raillaient la superstition, les anciens reconnurent cependant deux grandes qualités : le courage et l’éloquence. On disait couramment à Rome qu’il y avait deux arts où ils étaient passés maîtres, l’art de se battre et celui de bien parler. Il y a deux choses, disait Caton l’Ancien, qu’ambitionne la Gaule par-dessus tout : le métier de la guerre et l’habileté de la parole, rem militarem et argute loqui. Ils ont conservé, jusqu’à la fin du monde ancien, ce double renom, et leurs descendants, les Français d’aujourd’hui, méritent encore l’éloge que faisait d’eux un géographe grec : Le caractère commun de toute la race gauloise, dit Strabon d’après le philosophe Posidonius, c’est qu’elle est irritable et folle de guerre, prompte au combat ; du reste, simple et sans malignité. Si on les irrite, ils marchent ensemble droit à l’ennemi, et l’attaquent de front, sans s’informer d’autre chose. Aussi, par la ruse, on en vient aisément à bout ; on les attire au combat quand ou veut, on l’on veut, peu importent les motifs ; ils sont toujours prêts, n’eussent-ils d’autre arme que leur force et leur audace. Toutefois, par la persuasion, ils se laissent amener sans peine aux choses utiles ; ils sont susceptibles de culture et d’instruction littéraire. Forts de leur haute taille et de leur nombre, ils s’assemblent aisément en grande foule, simples qu’ils sont et spontanés, et prennent volontiers en main la cause de celui qu’on opprime. Peuples de guerre et de bruit, dit Michelet dans un passage célèbre, ils courent le monde l’épée à la main, moins, ce semble, par avidité que par un vague et vain désir de voir, de savoir, d'agir. De grands corps mous, blancs et blonds ; de l'élan, peu de force et h'haleine ; jovialité féroce, espoir immense ; vains, n'ayant rien encore rencontré qui tint devant eux... ce sont les enfants du monde naissant. 9. Progrès de la civilisation et de l’unité. — Mais ce sont des enfants qui veulent apprendre. Les anciens ont souvent fait ressortir cette éternelle curiosité de la race gauloise, la plus sympathique et la plus perfectible des races humaines, dit encore Michelet. On citait d’eux un trait singulier : quand un étranger venait chez eux, ils le gardaient, le forçaient à parler, à leur raconter les choses des pays lointains. Dès qu’ils furent mis en contact avec les Grecs, ceux de Macédoine ou les Phocéens établis à Marseille, ils se laissèrent peu à peu par la civilisation méditerranéenne. Ils apprirent la culture de l’olivier et de la vigne ; ils remplacèrent par le lait et la bière, leurs boissons ordinaires. Ils frappèrent des pièces à l’imitation des monnaies de la Grèce et copièrent les statues de ses divinités. Leurs grands dieux se transformèrent sur le type des dieux voisins, plus élégants et plus visibles, et en particulier sur le modèle de cet Hermès ou de ce Mercure, (lotit les négociants de Marseille devaient leur parler sans cesse et leur montrer les curieuses images. Aux tarauds monuments informes de l’âge primitif, aux dolmens, aux menhirs, succédèrent des stèles soigneusement dégrossies et ornées bientôt de naïves sculptures. Les Grecs enseignèrent aux Celtes à écrire : le premier alphabet gaulois fut composé de lettres grecques[1]. Peut-être même la philosophie hellénique s’insinua-t-elle dans les dogmes enseignés par les druides, et il ne serait pas impossible d’y trouver un écho lointain de l’enseignement de Pythagore. Tout concourait donc à développer en Gaule la culture gréco-romaine. Les Gaulois appartenaient d’ailleurs, comme les Hellènes et les Latins, à la grande race indo-européenne ; peut-être même étaient-ils plus proches parents d’eux que les Germains et les autres nations barbares. Leur langue avait quelques affinités avec la langue grecque. Leur religion, leurs dieux et leurs superstitions ne différaient pas sensiblement des vieilles croyances de l’Italie ou de l’Hellade ; leur constitution ressemblait aux constitutions primitives de toutes les cités du monde méditerranéen. Entre Gaulois, Grecs et Romains, il y avait des différences d’âge ; il n’y avait pas des oppositions de nature. En même temps, la Gaule, malgré son état d’anarchie, tendait à l’unité. Les Gaulois en occupaient les trois quarts, ils en tenaient le massif central et là étaient leurs nations les plus puissantes, les Bituriges, les Arvernes, les Éduens. Ils avaient, en dépit de leurs divisions, la conscience d’une origine commune et les mêmes souvenirs de leurs exploits d’autrefois. Les ligues que les principales peuplades formaient pour établir leur suprématie, montrent au moins nu besoin de groupement et le désir de l’union. Peut-être la Gaule possédait-elle déjà de grandes assemblées politiques où se réunissaient les représentants de tontes les nations. Il y avait en tout cas de ces conseils généraux pour les affaires religieuses, conseils présidés par les druides. Le clergé commençait l’unité religieuse : la Gaule avait de grands dieux communs, précurseurs de l’unité politique. Certes elle ne formait pas plus un État que l’Italie avant la conquête romaine, que la Grèce de l’indépendance. D’unité semblable nous ne trouverions d’exemple dans aucune contrée du monde ancien. Mais, plus que l’Italie et plus que la Grèce, elle était destinée par la nature à devenir rapidement une nation compacte, à former nue seule patrie ; nulle contrée n’avait une structure si harmonieuse, nu organisme si parfait ; les anciens admiraient la Gaule comme ils eussent fait d’une couvre d’art, et l’on ne peut mieux la juger qu’en résumant ce que disait d’elle le géographe Strabon : Il semble qu’une Providence a élevé ces chaînes de montagnes, rapproché ces mers, tracé et dirigé le cours de tous ces fleuves, pour faire un jour de la Gaule le lieu le plus florissant du monde. |