Texte numérisé par Marc Szwajcer
La paix conclue avec Mithridate et le départ des légions de Sylla ne rendirent pas à la Grèce l’ordre et la sécurité publique. A la suite de la guerre, elle se vit, pendant plus de vingt ans, sans défense, en proie aux attaques d’ennemis que les circonstances avaient rendus redoutables, les corsaires. Personne ne faisant plus la police des mers, ni les rois ou les cités libres, abattus par les Romains, ni les Romains eux-mêmes, tout entiers occupés de leurs guerres civiles ; la piraterie avait envahi la Méditerranée. La Grèce offrait à ses ravages plus de prise qu’aucun pays, par sa forme très découpée, par le développement de ses côtes, l’accès facile de ses anses et de ses ports, et le grand nombre d’îlots ou d’écueils qui peuvent servir de retraite aux corsaires le long de son littoral. D’ailleurs la piraterie, dans ces contrées, est, comme le brigandage, un mal endémique, et qui renaît de lui-même dès qu’on cesse de le combattre. La piraterie est aussi ancienne dans l’Archipel que la navigation. Les Grecs, dit Thucydide[1], et ceux des barbares qui habitaient les îles ou les côtes du continent, ne surent pas plus tôt communiquer entre eux à l’aide de vaisseaux, que, guidés par des hommes puissants, ils se mirent à exercer la piraterie. Fondant à l’improviste sur des villes ouvertes, composées de bourgades séparées, ils les pillaient et tiraient de là leur principale subsistance. Cette industrie, loin d’être ignominieuse, procurait plutôt de l’honneur. Dans l’Odyssée, Nestor offre à Télémaque une hospitalité généreuse ; il le fait asseoir à sa table ; et quand son hôte inconnu a bu et mangé, il lui dit : « Etrangers, qui êtes-vous ? D’où venez-vous, naviguant par les sentiers humides ? Est-ce pour le négoce, ou bien errez-vous au hasard, comme des pirates, qui courent sur la mer, exposant leur vie et portant le ravage[2] ? Ainsi la piraterie est bien vieille ; ce qui étonne encore plus, c’est que sa fin soit si récente ; les derniers pirates ont disparu de la Méditerranée non pas, comme on le dit souvent, après la prise d’Alger en 1830, mais seulement vingt-cinq ans plus tard, pendant la guerre de Grimée. Gomme il a fallu les chemins de fer pour mettre fin au brigandage, la marine à vapeur a seule expulsé définitivement les corsaires des eaux européennes. Le dix-septième siècle avait vu fleurir encore leur industrie non seulement sur les côtes barbaresques, mais dans l’Archipel où les corsaires chrétiens faisaient concurrence à ceux d’Alger. Les corsaires français furent parmi eux, dans ce temps-là, les plus illustres, les plus redoutés, je dirais volontiers les plus admirés. Le voyageur Tournefort, le célèbre botaniste, écrit encore, au commencement du dix-huitième siècle, dans son Voyage au Levant : « Les plus fameux corsaires de l’Archipel n’avaient rien d’odieux que le nom de corsaire. C’étaient des gens de qualité qui suivaient la mode de ce temps-là. » Il nomme quelques-uns de ces gens de qualité ; la plupart ont de fort beaux noms, et plusieurs, des titres de noblesse authentiques. En 1700, raconte Tournefort, l’aga turc qui commandait dans l’île d’Andros demeurait dans une tour où l’on n’avait accès qu’au moyen d’une échelle. L’aga, dès qu’il apercevait une voile en mer, courait s’enfermer dans sa tour, et relevait son échelle. Car les corsaires chrétiens se montraient surtout friands d’enlever les magistrats turcs. De leur côté, les corsaires turcs faisaient main basse sur les évêques. On ne comprend pas comment l’Archipel et les côtes ont pu vivre et relativement prospérer jusqu’à notre époque, au milieu de ces transes mortelles ; chacun pouvant craindre à tout moment d’être enlevé, mis à rançon ou vendu comme esclave ; ou tout au moins, s’il ne valait pas l’honneur d’être pris, de voir son champ saccagé, sa maison au pillage. Que sont cependant les faibles exploits des modernes corsaires, comparés avec ceux des pirates ciliciens, qui régnèrent sur la Méditerranée après la première guerre contre Mithridate ? Les Romains détournés par leurs discordes civiles, avaient presque abandonné la mer. Nous avons vu Sylla sans un vaisseau pour faire le siège du Pirée. Les pirates, enhardis par l’impunité, favorisés d’ailleurs par Mithridate, ne se bornèrent pas longtemps à n’attaquer que les navires ; ils commencèrent à ravager les îles et les côtes. En devenant puissants, ils cessèrent de paraître infâmes. Il y avait longtemps qu’un pirate avait dit à Alexandre : « Nous ne différons, toi et moi, que du petit au grand. » Plutarque[3] nous dit que les hommes les plus riches, les plus distingués par leur naissance et par leurs talents, allaient se joindre aux corsaires. Il semblait que la piraterie allait devenir un métier honorable et propre à flatter une ambition légitime. La société avait été profondément bouleversée par la guerre, dans le monde entier, depuis un siècle. En dernier lieu, la lutte engagée par Mithridate avait détruit ou ruiné des villes par centaines, et jeté dans les aventures, par l’excès de la misère, leurs habitants dispersés ou fugitifs. Cependant les guerres civiles rejetaient hors des cités, en Italie et en Orient, des milliers de bannis, dépourvus de toute ressource ; ils se faisaient corsaires. Les circonstances expliquent ainsi comment les peuples qui ont le plus souffert des déprédations des pirates paraissent n’avoir pas ressenti contre eux beaucoup de haine et les avoir plutôt redoutés que haïs. On semblait ne pas les confondre avec des voleurs et des assassins vulgaires, mais volontiers leur reconnaître un caractère politique, et, comme nous dirions aujourd’hui, la qualité de belligérants. Les historiens parlent d’eux avec modération ; et, jusque dans notre temps, ils ont rencontré des juges peu sévères. M. Mommsen, dans son Histoire romaine, les traite avec toutes sortes de ménagements. Ils n’en avaient pas de si grands envers leurs victimes. Dion dit qu’à la fin, lorsqu’ils étaient vainqueurs, ils tuaient tous ceux qui avaient osé leur résister ; vaincus, ils s’échappaient sans qu’on pût les atteindre[4]. D’un bout à l’autre de la Méditerranée, ils étaient étroitement unis et se soutenaient les uns-les autres de toutes leurs forces, quoiqu’on ne connaisse le nom d’aucun chef commun de leur association. Aussi avides de plaisirs que de butin, ces hommes donnaient à la débauche tous les jours qu’ils pouvaient dérober aux périls ; mais leur mollesse et leurs vices n’ôtaient rien à leur audace. « Ils avaient, » dit Plutarque[5], « des arsenaux, des places fortifiées, des flottes, qui non seulement, par la valeur des matelots, l’habileté des pilotes, la rapidité des navires, étaient bien aménagées pour leur objet ; mais l’orgueil odieux de l’appareil choquait plus encore qu’il n’épouvantait. Ils avaient des mâts dorés, des voiles de pourpre, des rames argentées ; ils regorgeaient de richesses, et en jouissaient avec ostentation. Sur tous les rivages, on entendait le bruit des fiâtes et des chansons qui accompagnaient leurs orgies ; on ne parlait que de personnes enlevées et mises à rançon, de villes prises par eux à la honte de la domination romaine. Ils avaient plus de mille navires ; ils prirent plus de quatre cents villes. » La Grèce que les Romains avaient désarmée et démantelée après sa défaite, souffrait horriblement, ne pouvant se défendre et n’étant pas défendue. Aux témoignages des historiens qui racontent ses misères, se joint le témoignage plus frappant des inscriptions. Plusieurs font allusion aux désastres alors soufferts ; quelques-unes renferment de dramatiques détails. L’une de ces inscriptions fut érigée par un homme de Syros en l’honneur d’un citoyen de Siphnos, qui avait recueilli et sauvé ce malheureux, lorsqu’il s’était enfui à la nage du bâtiment corsaire qui l’emmenait en captivité[6]. Les pirates enlevèrent du golfe Maliaque de si riches dépouilles, qu’ils l’appelaient le Golfe d’or[7]. Tous les temples fameux de la Grèce furent pillés : Hermione, Epidaure, Ténare, Calaurie, Argos, celui de l’isthme, et surtout Délos. Délos avait survécu, quoique fort ébranlée dans sa prospérité, à l’incursion du lieutenant de Mithridate. Elle fut saccagée par le corsaire Athénodoros, et entièrement détruite. Jadis le nom d’Apollon avait suffi à la défendre. « Délos, au milieu de la mer Egée, » dit Cicéron[8], « Délos, où de tous côtés venaient débarquer des cargaisons immenses, regorgeait de richesses, et malgré sa petitesse, sans murailles pour se protéger, Délos ne craignait rien. » La première guerre contre Mithridate avait montré que le respect des dieux ne suffisait plus à protéger une ville opulente et faible. La piraterie acheva la ruine du plus grand marché de l’Orient. Les corsaires connaissaient trop bien le chemin de Délos : c’est là qu’ils avaient vendu au grand jour, comme esclaves, la plupart des malheureux capturés dans leurs premières expéditions[9]. Délos expia l’avidité de ses négociants ; les pirates reprirent d’un seul coup tout l’or qu’ils y avaient fait affluer en approvisionnant ce commerce infâme. Délos resta déserte, et les Athéniens durent y envoyer un petit nombre de colons, pour le service du temple d’Apollon. Un poète de l’Anthologie fait gémir ainsi l’île sainte[10] : « Plût aux dieux que je fusse encore le jouet des flots et des vents ! je serais moins délaissée ! Infortunée ! je vois les vaisseaux grecs passer devant moi sans daigner jeter l’ancre, et Délos, autrefois l’objet du culte de la Grèce, n’est plus maintenant qu’un désert ! » Pendant le même temps, le brigandage infestait les routes de terre. C’est là encore une ancienne plaie delà Grèce, et Hercule et Thésée s’illustrèrent déjà, il y a trois mille ans, en détruisant les brigands. Mais les brigands ont reparu après eux. Du temps de Strabon, c’est-à-dire trente années après l’expulsion des corsaires, la région de l’Olympe était encore aux mains d’un chef de voleurs nommé Cléon, qui traitait d’égal à égal avec Octave et Antoine, et qui obtint du premier un acte de reconnaissance officielle, qui fit de lui une façon de petit roi indépendant[11]. Mais, sur terre, les préparatifs d’une action étaient plus difficiles à dissimuler[12] ; la résistance, au contraire, s’organisait plus aisément ; le mal demeura donc local et circonscrit ; les brigands ne déployèrent jamais une puissance comparable à celle des pirates, et causèrent de bien moindres désastres. La répression de leurs méfaits s’exécuta obscurément. Ils n’eurent pas, comme les corsaires, l’honneur d’appeler contre eux l’action directe de Rome et les armes du plus illustre de ses généraux. Tant que Rome ne souffrit pas directement des entreprises de la piraterie, elle ne se soucia pas de les réprimer. Sylla et ses successeurs au pouvoir avaient d’ailleurs assez à faire de combattre la faction renaissante de Marius, et Sertorius en Espagne, et Spartacus en Italie. Le malheur des provinces intéressait peu la capitale ; et cette idée, si simple et si juste, que les vainqueurs devaient au moins la sécurité aux vaincus en échange de la liberté, n’était pas encore un principe établi dans l’esprit des Romains. Il faut avouer que sur ce point les empereurs eurent une notion plus exacte de leurs devoirs que les chefs de la République. Rome s’émut seulement quand les pirates enhardis s’attaquèrent à elle directement. Cicéron, dans le discours pour la loi Manilia, peint en termes brûlants les affronts qu’ils infligèrent à la fin à l’Italie elle-même[13]. « Pendant ces dernières années, dans toute l’étendue des mers, quelle côte fut assez fortifiée pour se défendre contre les pirates, assez cachée pour leur échapper ? Qui prit la mer sans se hasarder au péril de perdre la vie ou la liberté ? car il fallait naviguer l’hiver, ou se risquer dans une mer semée de brigands. » (Dion Cassius[14] assure même qu’ils attaquaient parfois en plein hiver...) « Quelle puissance avez-vous préservée des pirates pendant ce temps ? Quel revenu assuré vous est resté ? Quel allié avez-vous pu défendre ? Qui vos flottes ont-elles protégé ? Combien d’îles sont désertes, pensez-vous ? Combien de villes alliées, que la terreur a fait abandonner, ou que les pirates ont prises ?... Nos armées, elles-mêmes, n’osaient franchir le détroit de Brindes qu’en hiver. Me plaindrai-je que des envoyés des nations étrangères aient été pris, quand il nous a fallu racheter nos propres ambassadeurs ? Que la mer ne fut pas sûre aux négociants, quand douze faisceaux sont tombés aux mains des pirates ... ? Ignorez-vous que le port de Caiète, si fréquenté, si rempli de navires, a été pillé par eux sous les yeux d’un préteur ? Qu’à Misène, les propres enfants du préteur ont été capturés ? Dirai-je le désastre d’Ostie, cette tache, cette ignominie de la République ? Presque sous vos yeux, la flotte commandée par le consul du peuple romain a été prise par les pirates et coulée à fond[15]... Comment les magistrats du peuple romain osent-ils encore monter à cette tribune aux harangues, qui s’appelle les rostres, parce que nos ancêtres l’ont décorée des dépouilles des flottes vaincues ? » La longue patience de Rome avait fini par rendre son nom méprisable aux corsaires. Plutarque raconte[16] que lorsqu’un de leurs prisonniers se déclarait citoyen romain, ils se jetaient à genoux devant lui, en affectant le repentir, le respect, la crainte ; ils le conjuraient de leur pardonner leur erreur ; et, quand ils s’étaient assez joués de lui par ces démonstrations, ils l’invitaient à retourner chez lui en lui montrant une échelle qui, du pont du navire plongeait dans la mer ; et s’il refusait d’obéir, eux-mêmes le précipitaient dans les flots. Leur plus illustre capture fut celle de Jules César, Il n’avait guère plus de vingt ans, et était allé chercher un refuge en Asie contre les soupçons méfiants de Sylla, qui voyait en lui l’étoffe de plusieurs Marius. Il fut pris en mer, près des îles Pharmacuses, et sa rançon fut fixée à la somme de vingt talents. S’il faut en croire Plutarque[17], il se moqua des pirates, leur dit qu’ils ne savaient pas qui était leur prisonnier ; et se taxa lui-même à cinquante talents. Il demeura trente-huit jours parmi les corsaires, affectant de les traiter avec mépris, et les menaçant de les faire pendre. Eux riaient de son audace. Mais le soir même du jour où César fut rendu à la liberté, après sa rançon payée, il rassembla en hâte et de sa propre autorité quelques vaisseaux, surprit les pirates, dispersa une partie de leurs navires, en coula plusieurs à fond, prit le reste, et fit de nombreux prisonniers qu’il laissa sous bonne garde à terre. Puis, il courut en Bithynie solliciter de Junius, proconsul d’Asie, l’autorisation de livrer les pirates au supplice ; Junius refusa par avarice, autant que par jalousie, préférant mettre à rançon les prisonniers. César, sans insister, revient précipitamment, et devançant les ordres du proconsul, fait mettre en croix tous les corsaires sur le rivage. Peu après, il dut repasser en Italie. Les pirates avaient juré sa mort. Pour leur échapper, il traversa l’Adriatique dans une barque à quatre rameurs, avec deux amis et dix esclaves. Pendant le trajet, on crut apercevoir un vaisseau corsaire. César tira un poignard, résolu à s’en percer, plutôt que d’être pris vivant. Mais ce que les voyageurs avaient pris pour les mâts d’un navire, n’était qu’une rangée d’arbres sur le rivage à l’horizon. Lorsqu’on voulut enfin exterminer les pirates, l’événement montra aux Romains qu’ils étaient bien coupables d’avoir autant tardé avant d’agir. Trois mois suffirent à cette œuvre qu’on croyait interminable. Il est vrai qu’il fallut donner la dictature à Pompée, et Dion Cassius dit que les sénateurs auraient mieux aimé tout souffrir des pirates que lui confier un tel pouvoir. Mais la pression populaire triompha de leur indécision. L’on mit aux mains du généralissime des moyens formidables ; il eut le mérite de les faire agir de concert, et de savoir envelopper les corsaires au lieu d’user ses forces à leur faire la chasse en détail. C’est peut-être de toutes ses campagnes celle qui lui fait le plus d’honneur. Il avait réparti entre ses lieutenants la garde de toutes les côtes. Dans les eaux grecques, Lucius Sisenna gardait les rivages du Péloponnèse, ceux de l’Attique et de la Béotie. L. Lollius fouillait les îles de la mer Egée. Plotius Varus et Terentius Varron veillaient sur l’Acarnanie. Ce dernier, homme énergique, plus tard illustre érudit, fut, après la guerre, honoré par Pompée d’une couronne rostrale[18]. Pour fermer l’Adriatique aux corsaires, il avait conçu le gigantesque projet, déjà rêvé par Pyrrhus, de joindre Apollonie en Epire à l’Italie, par un pont qui aurait eu cinquante mille pas de longueur[19]. Toute la Grèce attendait avec anxiété le résultât de cette guerre singulière. Pompée s’était réservé la surveillance générale des opérations de ses lieutenants, avec l’honneur de porter les derniers coups dans la Cilicie, patrie et boulevard de la piraterie. II traversa la Grèce en s’arrêtant à Athènes (l’an 67 avant J.-C). Il arrivait des côtes d’Espagne, qu’A venait d’affranchir en quarante jours. Athènes lui fit un accueil enthousiaste. Les portes par où il devait passer furent chargées d’inscriptions à la louange du vainqueur. L’attente publique ne fut pas déçue. Six semaines plus tard, la guerre était terminée. Pompée montra d’ailleurs envers les pirates plus d’énergie que de sévérité. Evidemment, comme la plupart de ses contemporains, il les considérait plutôt comme des braves gens égarés que comme des misérables indignes de toute pitié. « Les bêtes sauvages elles-mêmes, » dit Plutarque, « lorsqu’on les accoutume à une vie plus douce, dépouillent leur férocité. » Pompée résolut ainsi d’apprivoiser les pirates en leur fournissant les moyens de vivre honnêtement, et en leur distribuant des terres incultes, qu’ils pourraient seconder par leur travail. Ainsi furent formées de corsaires pris et graciés les colonies de Soles et de Dymé. La première en Cilicie ; Pompée ne dédaigna pas de lui donner son nom : elle s’appela Pompéiopolis. La seconde colonie fut en Grèce ; Dymé était en Achaïe, à l’ouest de Patras, sur les confins de la riche et fertile Elide. Elle avait beaucoup souffert pendant les guerres contre Philippe, et elle était restée presque déserte. Pompée y établit un grand nombre de pirates, avec l’espoir d’en faire d’honnêtes gens ; le sol qu’il leur donna était bon. Cependant l’entreprise n’eut pas un plein succès, comme il est arrivé de beaucoup d’autres analogues. A la faveur des guerres civiles qui éclatèrent quelques années plus tard, le plus grand nombre de ces corsaires mal convertis, abandonnèrent leurs terres et reprirent leur ancien métier : « Voilà les Dyméens qui se refont pirates, » écrit Cicéron à Atticus ; « je ne m’en étonne pas. » Il ajoute qu’ils avaient été chassés de leurs possessions[20]. Nous ignorons dans quelles circonstances ce fait a pu avoir lieu ; mais c’est à l’époque où César venait de périr par un coup imprévu ; et partout s’ébranlait l’ordre éphémère que sa dictature avait apporté au monde romain. Il se peut que les Grecs aient voulu se débarrasser d’un voisinage qu’ils jugeaient incommode ou peu honorable. En tout cas, Rome conserva ses droits sur le territoire de Dymé ; car nous savons qu’au temps de Pausanias ce territoire dépendait de la colonie romaine de Patras. Athènes revit encore une fois Pompée, cinq ans après la brillante campagne qui avait délivré la Grèce des corsaires. L’heureux général revenait alors de sa triomphante expédition d’Asie. Mithridate vaincu était mort ; Pompée, à l’apogée de sa gloire et de sa fortune ; la Grèce l’accabla de flatteries, il lui prodigua les caresses. Il combla de présents les philosophes, qui, de plus en plus, devenaient les représentants les plus accrédités de la société athénienne. Pompée fit à Athènes un don de cinquante talents, pour l’aider à relever les ruines qu’y avait laissées l’expédition de Sylla. Ainsi la reconnaissance aurait suffi pour attacher Athènes et la Grèce au parti de Pompée pendant la guerre civile qui éclata dix années plus tard, si la sympathie des Grecs pour la cause de l’aristocratie républicaine n’avait eu d’ailleurs, comme nous verrons bientôt, un motif plus désintéressé, dans le sentiment politique encore dominant chez les Grecs, même après leur asservissement. |
[1] Thucydide, I, 5.
[2] Homère, Odyssée, III, 71.
[3] Plutarque, Pompée, XXIII. Cf. Dion Cassius.
[4] Dion Cassius, l. XXXVI.
[5] Plutarque, Pompée, XXIV.
[6] Corpus inscr. græc., 2347, 2335, addenda 2263.
[7] Florus, II, 7.
[8] Cicéron, pro lege Manilia, 18.
[9] Strabon, XIV, c. 5, 2.
[10] Anthologie, Epigrammes descriptives, 408.
[11] Strabon, XII, c. 2. 9.
[12] Dion Cassius, XXXVI.
[13] Cicéron, pro lege Manilia, c. 11, 12.
[14] Dion Cassius, XXXVI.
[15] Cicéron, pro lege Manilia, 18.
[16] Plutarque, Pompée, 24.
[17] Plutarque, César, 2. — Velleius Paterculus, II, 41-53. — Cf. Suétone.
[18] Pline l’Ancien, XVI, 4.
[19] Pline l’Ancien, III, 16.
[20] Cicéron, Lettres, XVI, 1.