HISTOIRE SOCIALISTE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

LIVRE VIII. — LA RÉVOLUTION DES 31 MAI ET 2 JUIN

 

TROISIÈME PARTIE.

 

 

LE RÉCIT DES RÉVOLUTIONS DE PARIS

Le pleutre Prudhomme, habile à couvrir d'une fausse sentimentalité les combinaisons mercantiles ou les calculs de la peur, passe le mot d'ordre à son journal de donner à toute la journée une couleur idyllique. Il ne tiendrait qu'à lui que le 31 mai ne figurât pas au calendrier des Révolutions, mais dans la douce série des fêtes printanières ; est-ce que par hasard on n'aurait pas célébré ce jour-lit les charmes de Flore ? Et comme le cœur de Paris se fondait de bonté ingénue dans cette lumière attendrissante !

« Quelle leçon pour 200 législateurs, toujours divisés, que l'harmonie, la fraternité qui régnaient au milieu de 300.000 citoyens ! et toute une journée s'est passée dans l'attitude la plus fière, mais la plus calme, la plus sage ! On demandait une fédération ; en est-il une plus parfaite ? et celle-ci n'a point été préméditée, mendiée ; tous les patriotes se sont levés à la fois et ont semblé dire aux calomniateurs : « Vile espèce, écris aux départements, va leur dire que Paris est une ville de meurtre et de pillage, va leur répéter que la représentation nationale court journellement des risques au sein de cette ville, et que tôt ou tard nous nous serons teints du sang des législateurs de la République. »

O doucereux Prudhomme, Prudhomme béat, Prudhomme paternel, relisez donc, avant de parler de « la vile espèce de calomniateurs », votre perfide article contre les comités révolutionnaires, votre article empoisonné.

L'idylle fleurie se déroule encore :

« Ah ! plutôt que tous les départements n'ont-ils pu être les témoins de la solennité du 31 mai ? car c'était une espèce de fête nationale. Que ne peuvent-ils voir le peuple de Paris en masse, ils sauraient que s'il est sensible aux outrages, il est grand, il est généreux ! Il sait immoler ses ressentiments à ses droits et au salut de la Patrie. Qu'on l'abandonne à lui-même, et il se respectera et fera respecter le dépôt précieux qu'il a en garde.

« La journée du 31 mai est véritablement son ouvrage : et la sublimité de l'ensemble de ce spectacle n'était due ni à la Convention ni aux autorités constituées. Il ne fallut ni décret ni arrêté pour maintenir l'ordre. Les choses ne se seraient pas si bien passées si la Convention et les autres pouvoirs ne s'étaient pas contentés d'être les spectateurs de ce mouvement, qui, produira son effet. Quand il ne ferait qu'imposer silence à la calomnie, c'est déjà beaucoup. »

Tocsin des cloches ; grondement du canon d'alarme ; qu'était-ce que cela, sinon l'accompagnement de la fête ? Mais, en cet effort de placidité, il y a encore une perfidie. Prudhomme veut noyer les révolutionnaires dans un océan de sérénité.

« On dit que la journée du 31 mai avait été préparée dans toute autre vue. On parle d'anarchistes, de séditieux ; mais cette journée leur prouvera que leur règne est passé. Les citoyens de Paris sont trop éclairés aujourd'hui pour être d'humeur à s'entr'égorger pour le bon plaisir de telle ou telle faction ; une guerre civile devient de jour en jour plus impraticable. »

 

LES RÉCITS DES JOURNAUX GIRONDINS

La Chronique de Paris donne une note apaisante :

« La journée était superbe et, comme vers midi il n'y avait eu aucun événement sinistre, chacun se promenait riant librement, toutes les femmes étaient assises tranquillement sur leurs portes pour voir passer l'insurrection, aucun désordre n'a été commis ; il n'y a eu qu'un cul de fouetté dans les tribunes de la Convention. »

Pauvre Théroigne ! comme on fait bon marché de son humiliation !

« ... Toutes les sections se sont retirées tranquillement avec le jour. Paris a été illuminé, mais très tranquille : hier (c'est-à-dire le 1er juin) tous les ateliers ont recommencé leurs travaux et rien n'annonce que le calme doive être troublé. »

Le Patriote français affecte d'abord l'optimisme et bientôt il laisse percer de l'inquiétude : « On a décrété que toutes les sections de Paris avait bien mérité de la Patrie. En effet, elles ont été constamment rassemblées en armes, pendant toute la journée, et par leur ardeur, par leur vigilance continue, elles ont prévenu de grands malheurs. Elles ont été en insurrection contre la sédition. On avait prévenu les sections du faubourg Saint-Antoine contre celles de la Butte-des-Moulins, de 1792, du Mail, etc. ; on avait dit aux premières que celles-ci étaient en état de contre-Révolution. Mais on s'est expliqué, on s'est éclairé, on s'est embrassé, et il n'est resté aux amateurs de guerre civile que la honte et la rage. »

Voilà ce que dit le numéro du 1er juin, mais, dès le numéro suivant, le jugement porté sur la journée du 31 mai est plus sombre. Le Patriote montre la Convention dominée par la Commune et par le Département de Paris, par « cette administration nulle dont les convulsions sont les seules marques d'existence... » Et il n'accepte qu'avec bien des réserves les décrets rendus.

« Alors les décrets se succèdent avec rapidité ; il ne pouvait, il ne devait plus y avoir de résistance ; nous sommes loin cependant d'improuver toutes les dispositions qui ont été arrêtées, mais les bonnes se perdent dans la foule des mauvaises. »

Au fond, les Girondins comprenaient bien que la journée était mauvaise pour eux. Ils avaient été, malgré tout, à la merci de l'insurrection. Ils n'avaient même pas osé demander (sauf par un discours de Guadet qui ne conclut pas et qui n'eut pas de suite) que l'on traduisît à la barre ceux qui avaient fait sonner le tocsin et tirer le canon d'alarme. Les décrets rendus ne se bornaient pas à casser la Commission des Douze. Le Comité de salut public était chargé d'inventorier tous les papiers de la Commission et d'en faire un rapport dans un délai de trois jours. Ainsi, la Commission avait, dès lors, la posture d'un coupable ou tout au moins d'un suspect. Qui sait, d'ailleurs, si les révolutionnaires de l'Evêché, si les sectionnaires les plus ardents, mal contenus par une Commune, plus qu'à demi complice, assurés maintenant de l'impunité, ne vont pas reprendre leur tentative et la pousser plus loin ?

Les Girondins se sentaient si menacés que même les plus courageux d'entre eux ne couchèrent point chez eux cette nuit-là. Pétion, qui avait un sang-froid admirable, mais qui cédait à l'évidence du péril, raconte tristement :

« Lorsque je sortis de l'Assemblée, je m'aperçus que, loin d'avoir renoncé à leurs projets, les groupes menaçants (qu'il avait traversés le matin) les suivaient avec la plus grande activité. Je fus prendre un gîte dans un hôtel garni rue Jean-Jacques-Rousseau. Le mari, bon patriote et capitaine de la garde nationale, était persécuté par les maratistes. Il était, dans ce moment, à subir un interrogatoire, et sa femme craignait beaucoup qu'on ne le mît en état d'arrestation. »

 

LA DÉCEPTION DES ENRAGÉS - LEUR ACTION A LA COMMUNE

Chez les révolutionnaires les plus véhéments de l'Evêché et de la Commune il y avait un mélange de déception et d'ardeur. Non, le coup décisif n'avait pas été porté, mais on recommencera, et cette fois on n'écoutera pas les conseils des timides. Dans la séance de la Commune, avant même que la Convention se sépare, et quand il commence à apparaître que le mouvement n'aboutit qu'à peine, des récriminations s'élèvent. Pourquoi la municipalité a-t-elle été aussi hésitante et aussi faible ?

« Un citoyen monte à la tribune et propose de prendre les mesures les plus promptes et les plus sûres, de ne pas consumer en longs discours (cela était dit pour Chaumette) un temps qui ne doit être employé qu'en action. Le procureur de la Commune, en applaudissant au zèle et au patriotisme de l'orateur, observe qu'il faut joindre la prudence à la grandeur des mesures ; que les aristocrates ne demanderaient pas mieux de voir les citoyens de Paris dirigés en sens contraire, s'agiter tumultueusement sans savoir où ils vont ni où ils tendent.

« Le préopinant insiste sur les mesures qu'il a proposées, accuse de faiblesse le procureur de la Commune et s'offre pour présider le Conseil et diriger les opérations révolutionnaires. »

Quelle que fût l'audace, audace d'action ou audace de vanité, de l'orateur inconnu, il fallait que le crédit révolutionnaire des dirigeants officiels de la Commune fût largement atteint par l'insuccès à peu près constaté de la journée pour qu'une proposition pareille pût se produire.

« Le substitut du procureur de la Commune (Hébert sans doute) prend la parole, et parlant dans le même sens que le citoyen Chaumette, il invite les citoyens à se rendre dans leurs sections et à y exposer ingénument les raisons qui ont fait manquer cette grande journée. Il accuse l'impétuosité des personnes qui en ont médité le plan ; il pense qu'il serait temps d'exécuter demain ce que l'on se proposait d'exécuter aujourd'hui. »

La Commune, assez fortement assaillie, dégageait sa responsabilité. Elle accusait l'Evêché d'avoir agi avec trop fie hâte, c'est-à-dire sans doute d'avoir sonné le tocsin et le canon d'alarme avant d'être assuré que le vaste écho des sections répondrait. Au demeurant, Hébert s'engageait et engageait la Commune, pour le lendemain. « Non, tout de suite, » s'écrient des impatients, qui ne s'aperçoivent pas qu'il est aussi impossible de ramener au plus haut niveau révolutionnaire cette journée qui décline que de ramener au zénith le soleil qui s'abaisse.

« Un citoyen, à qui ces mesures paraissent pusillanimes, offre de se mettre à la tête des bataillons de paris et de se porter à la Convention. »

Devant la brutalité du plan, la Commune eut une révolte :

« Le Conseil général témoigne toute son indignation, toute son horreur pour une telle proposition. Le citoyen qui en est l'auteur est invité à se rendre au bureau pour y déclarer son nom, sa qualité et sa profession. Il répond aux diverses interpellations qui lui sont faites, et demande à être entendu jusqu'à la fin de sa motion. Il assure qu'il n'avait d'autre intention que de faire mettre en arrestation les membres soupçonnés de la Convention, pour les livrer ensuite à leurs départements qui en feraient justice. Le Conseil, attribuant à l'ignorance et au défaut d'expérience le discours du préopinant, croit ne devoir donner aucune suite à cette affaire. »

Mais quelle suite eût-il pu lui donner ? Et comment aurait-il pu châtier un homme qui ne faisait que préciser le but réel de l'insurrection ?

« Le maire prend la parole à cette occasion. Il fait connaître que le peuple de Paris sait distinguer ses vrais amis des énergumènes et des imbéciles qui cherchent à l'égarer, et qui veulent l'engager dans de fausses démarches. Il prouve surtout que les mesures que vient de proposer le préopinant détacheraient à jamais Paris des départements et amèneraient la guerre civile. »

Quel jeu jouait donc la Commune ? et d'où venait cette sévérité subite pour un plan que déjà le maire, au nom des sections, avait soumis en avril à la Convention ? Croyait-elle la partie perdue pour le moment et jugeait-elle prudent de se taire ? Ou bien voulait-elle, si le peuple se portait à la Convention et imposait l'arrestation des Girondins déjà dénoncés, que le mouvement fût spontané et qu'il émanât directement du peuple même ? L'expérience pourtant venait de démontrer que sans une impulsion vigoureuse et une direction certaine et centralisée le peuple ne marcherait pas, et la Révolution, comme un chariot grinçant et discordant, s'attarderait dans l'ornière.

Mais, plus le Conseil de la Commune se dérobe, plus les hommes d'action le pressent. Il essaie en vain de les apaiser en rééditant des mesures révolutionnaires vagues et dilatoires, qui ne répondent pas aux nécessités immédiates de la crise. Qu'importe qu'il arrête que le lendemain « dans le jour, tous les citoyens suspects seront désarmés, et leurs armes remises aux patriotes qui n'en ont pas », si ces patriotes ne sont pas admis à s'en servir, s'ils ne peuvent arracher à la Convention, par la menace, la mise en jugement des traîtres ? Qu'importe encore que le Conseil décide « que l'emprunt forcé sera requis conformément au mode précédemment indiqué par la Commune ; que le produit de cet emprunt sera employé en secours pour les veuves, pères, mères, épouses et enfants des soldats citoyens qui servent la patrie dans nos armées, ainsi qu'à la fabrication d'armes et à la paie des citoyens qui formeront la garde soldée révolutionnaire de Paris » ?

Oui, qu'importe tout cela ? C'est le mensonge d'une philanthropie dilatoire qui ruse avec le devoir présent, le devoir révolutionnaire. La Commune, en s'agitant ainsi dans le vide, ne donne le change à personne et va se déconsidérer. C'est cette minute que choisit Jacques Roux pour reparaître avec le projet d'une nouvelle adresse à la Convention ; sans aucun doute une adresse politico-sociale, où la question du droit à la vie était posée de nouveau.

Le prêtre têtu savourait sans doute l'humiliation de la Commune impuissante et son embarras, il éprouvait une joie orgueilleuse et âpre à répéter ses formules devant son adversaire d'hier affaibli et abaissé, comme il eût récité auprès d'un agonisant des litanies amères, toutes pleines de la saveur de la mort. Et l'assaut contre la Commune officielle redoublait.

« Un jeune citoyen monte à la tribune et propose les mesures les plus violentes. Le Conseil invite ce jeune imprudent à se retirer. Il s'obstine à vouloir parler ; mais enfin, cédant aux observations du ci-devant président Dobsen, et repoussé par l'indignation que lui manifeste le Conseil, il se retire de la tribune. »

Cependant, les délégués des communes voisines de Bercy, de Sèvres, de Drancy, du Bourget viennent promettre de s'associer au mouvement de Paris. Lequel, si Paris reste couché ? Aussi les motions décisives se renouvellent. « Un membre demande que les membres de la Convention, dénoncés à l'opinion publique, soient mis en arrestation. » Si ce n'était pas le programme de la journée, quel sens avait-elle donc ? Et comment le Conseil de la Commune pourra-t-il désavouer ce que tout à l'heure, au nom de toutes les autorités constituées de Paris et du Département, demandait Lullier, ce que demandait aussi Robespierre ? Mais Chaumette a perdu pied.

« Le procureur de la Commune s'élève avec indignation contre cette proposition représentée pour la troisième fois. Il dit que si quelqu'un ose encore la renouveler, il le-dénoncera à ce même peuple qui applaudit sans savoir qu'il applaudit à sa ruine. »

La Commune va-t-elle donc se jeter entre la Révolution et la Gironde ? Va-t-elle couvrir celle-ci ? Un moment on put le croire, tant elle paraissait fléchir sous le poids de cette journée, dont le vide était accablant.

« Un membre propose d'afficher à la porte de la salle l'improbation formelle de toute proposition tendant à violer la représentation nationale. »

Oui, voilà les vingt-deux sous la protection officielle de la Commune. Celle-ci pourtant s'effraya de son glissement et elle éluda la motion décisive :

« L'on observe que cette improbation est dans les cœurs, que les citoyens et les autorités constituées de Paris sont trop pénétrés de leur devoir pour avoir besoin d'en être avertis. »

Ce n'est pas pour la Commune une heure glorieuse : elle est toute de défaillance, de fausse agitation, d'impuissance systématique et d'hypocrisie. Mais qui ne sent qu'elle va être débordée, soulevée ?

La manœuvre de Vergniaud félicitant les sections avait d'abord surpris : les commissaires de la Commune, chargés de correspondre avec la Convention nationale, quand ils écrivirent au Conseil dans l'après-midi lui dirent : « C'est sur la proposition de Vergniaud, ce qui vous étonnera peut-être. » Et qui sait si elle n'avait pas contribué un peu à cette détente, à ce fléchissement du Conseil général de la Commune ? Mais, à la réflexion, les révolutionnaires d'action comprirent le parti qu'ils en pouvaient tirer. Les sections glorifiées, la force populaire félicitée : c'était, sous des formes suspectes, une capitulation essentielle de la Gironde. L'ennemi avait donc peur : il fallait le pousser à fond. Levasseur, dont les impressions sont si nettes, assure que pour la Montagne ce fut un triomphe. « Le Marais abandonnait la Gironde, ou plutôt les Girondins s'abandonnaient eux-mêmes ; car en présence des bataillons armés contre eux, au son du tocsin, du canon d'alarme et de la générale, Vergniaud proposa de déclarer que les sections de Paris avaient bien mérité de la patrie. On pense bien que cette motion inexplicable de sa part fut accueillie de notre côté avec joie ; la Commune elle-même en triompha ; il lui était prouvé par ce seul fait que ses adversaires n'avaient ni la volonté ni le front de combattre. »

 

LA SÉANCE DES JACOBINS

Aux Jacobins, le soir, la journée fut jugée d'une vue plus nette et d'un cœur plus ferme qu'à la Commune. Les députés qui se rendaient parmi eux au sortir de la Convention avaient vu la bataille de son centre même : ils dominaient l'horizon de plus haut que la Commune qui était restée en quelque sorte tout le jour dans un pli de terrain, attendant des nouvelles et n'agissant pas. Pourtant les Jacobins non plus ne conclurent point. Ils virent bien ce qu'il y avait de dangereux et de captieux dans la manœuvre de Vergniaud : c'était l'appel au peuple vaste et diffus, appesanti encore par bien des instincts de 'servitude et des préjugés conservateurs, contre les comités révolutionnaires, contre les groupes agissants et résolus. Guadet n'avait-il pas déjà exprimé sa confiance dans les présidents des sections ? Boissel signala le péril :

« Il faut que les sections se constituent en sociétés populaires : elles ne doivent pas se mêler des affaires publiques ; autrement elles rendraient tout à fait inutiles toutes les mesures révolutionnaires que les représentants décréteraient. Il ne faut pas que ces mesures soient entravées par les ennemis de la chose publique. Les sections, en un mot, ne doivent que surveiller, et s'occuper uniquement du discernement des personnes suspectes. »

Qu'est-ce à dire ? C'est que les plus ardents de la Montagne redoutent l'intervention contre-révolutionnaire d'un peuple encore mal éduqué. Si les sections restent souveraines ou le deviennent, elles pourront briser ou amortir le mouvement. Les correspondances de Marseille (Journal de la Montagne du 1er juin) ne font-elles pas connaître que là « on a profité de l'absence de nos braves sans-culottes qui sont allés exposer leur vie contre les ennemis de la République, pour établir à Marseille un système qui tend à les opprimer » et que « tous les riches, tous les gros capitalistes, trop lâches pour prendre les armes et même pour parler expressément des sans-culottes, se sont emparés des sections et y dominent avec insolence » ? Ne sait-on pas que « dans ces fausses sections, où 1a voix du peuple est étouffée, on vomit des horreurs contre la Montagne, contre les Jacobins de Paris, contre toutes les sociétés qui professent les principes du pur républicanisme » ?

De même les « fausses sections » de Paris, stipendiées par les aristocrates, pouvaient devenir dangereuses : elles répondraient, si on n'y prenait garde, à l'appel insidieux de la Gironde. L'implicite conclusion révolutionnaire de Boissel, c'est qu'il faut moins compter sur la force diffuse et incertaine du peuple que sur les comités d'action vigoureux et reliés les uns aux autres. Au fond, il proclame la faillite de la tactique confiante et abandonnée du 31 mai, et propose, pour un jour prochain, une tactique plus concentrée et plus efficace.

C'est dans le même sens qu'insiste un autre citoyen :

« Le citoyen Mittié vous a dit que la peur avait fait faire une bonne action à Vergniaud ; moi je le regarde comme un remerciement aux aristocrates d'avoir empêché les patriotes de donner à leur insurrection le caractère qu'elle devait avoir. »

 

LA FÊTE-DIEU DE 1793

Qu'attendre de net et de vigoureux, à moins qu'on ne l'organise et qu'on ne l'entraîne, d'un peuple asservi encore à toutes les superstitions du passé ? Un militaire s'indigne de l'attitude de Paris à la Fête-Dieu. La veille, 30 mai, dans son bulletin de police, Dutard avait écrit à Garat :

« J'arrive dans la rue Saint-Martin, près de la rue Saint-Merri, j'entends un tambour et j'aperçois une bannière. Déjà, dans toute cette rue, on savait que Saint-Leu allait sortir en procession. J'accours au-devant. Tout y était modeste. Une douzaine de prêtres, à la tête desquels était un vieillard respectable, le doyen, qui portait le rayon sous le dais. Un suisse de bonne mine précédait le cortège ; une force armée de douze volontaires à peu près sur deux rangs, devant et derrière ; une populace assez nombreuse suivait dévotement. Tout le long de la rue, tout le monde s'est prosterné ; je n'ai pas vu un seul homme qui n'ait ôté son chapeau. En passant devant le corps de garde de la section Bon-Conseil, toute la force armée s'est mise sous les armes.

« J'étais chez un marchand au milieu des Halles juste un moment après. Le tambour qui précédait et ceux qui suivaient ont annoncé la procession. Ah ! quel a été l'embarras de toutes nos citoyennes de la Halle ! Elles se sont concertées à l'instant pour examiner s'il n'y aurait pas de moyen de tapisser avant que la procession ne passe. Quand on ne mettrait qu'un drap, chacune aurait volontiers mis son tablier ; une partie se sont prosternées d'avance à genoux, et enfin, lorsque le Dieu a passé, toutes à peu près se sont prosternées à genoux ; les hommes en ont fait de même. Des marchands se sont mis à rôder devant. Chez eux, d'autres ont tiré des coups de fusil : plus de cent coups ont été tirés. Tout le monde approuvait la cérémonie, et aucun que j'aie entendu ne l'a désapprouvée. C'est un tableau bien frappant que celui-là. La présence d'un Dieu de paix, de notre ancien maître qui n'a pas cessé de l'être, a porté la consternation dans tous les esprits.

« C'est là que l'observateur a pu dessiner les physionomies, images parlantes des impressions qui se sont faites si vivement sentir au fond de l'âme de chacun des assistants.

« J'y ai vu le repentir, j'y ai vu le parallèle que chacun fait forcément de l'état actuel des choses avec celui d'autrefois ; j'y ai vu la privation qu'éprouvait le peuple par l'abolition d'une cérémonie qui fut jadis la plus belle de l'Eglise. J'y ai vu les regrets sur la perte des profits que cette fête et d'autres valaient à des milliers d'ouvriers. Le peuple de tous les rangs, de tous les âges, est resté honteux, silencieux, abattu... quelques personnes avaient les larmes aux yeux. Les prêtres et le cortège m'ont paru fort contents de l'accueil qu'on leur fit. »

C'est précisément de cet accueil que s'inquiète et s'indigne aux Jacobins un militaire véhément : « Il y a trente-six heures que je devais partir, et j'ai retardé mon voyage parce que le canon d'alarme devait tirer il y a huit jours. J'ai vu avec indignation que hier la garde nationale escortait enclore le Saint-Sacrement. »

Voilà le germe révolutionnaire de l'hébertisme. Ne faudra-t-il pas lutter contre cette réaction sentimentale qui alanguit la force du peuple ? Voilà aussi le signal de l'action ramassée et dictatoriale qui va se substituer, le 2 juin, à la molle entreprise du 31 mai. Car les Jacobins sont résolus à aller jusqu'au bout. La Commission des Douze est cassée : « Mais fallait-il donc attendre jusqu'à ce jour pour détruire le monument le plus caractéristique du despotisme ? Vous n'avez pu arracher que ce soir ce décret salutaire. Ne nous reposons pas. Lâches ennemis, renoncez à votre espoir, il est chimérique et la constance de la liberté est telle qu'elle triomphera de tous vos efforts.

« ... Hébert vous a dit que les membres du Comité dictatorial étaient hors la lor et qu'on pouvait courir sus. Je dis que tous les citoyens doivent poursuivre et ces dictateurs et les vingt-deux députés indignes de la confiance du peuple, et je pense que le peuple ne doit pas cesser d'être debout tant que les vingt-deux n'auront pas porté la peine due à leurs crimes. »

 

BILLAUD VARENNE RÉCLAME L'ACHÈVEMENT DE L'INSURRECTION

Mais voici le dur et soupçonneux Billaud Varenne. Il dit âprement son mécompte ; il accuse presque de faiblesse ou tout au moins d'illusion la Montagne qui n'a pas poussé sa victoire ; et comme si son esprit inquiet cherchait de tous côtés des périls et des ombrages, en même temps qu'il appelle au combat contre la Gironde, il dénonce aux Jacobins un mot imprudent de Marat :

« J'arrive de la Convention ; la séance vient de se lever. On a décrété le projet qui avait été proposé par le Comité de salut public ; la Montagne, qui a lutté toute la journée, s'est contentée de ce triomphe (la cassation des Douze). Moi, je pense, d'après l'audace des conspirateurs, que la Patrie n'est pas sauvée. Certes, il y avait de grandes mesures de salut public à prendre, et c'est aujourd'hui qu'il fallait porter les derniers coups à la faction. Je ne conçois pas comment les patriotes ont pu quitter leur poste sans avoir décrété d'accusation les ministres Lebrun et Clavière. C'est contre les contre-révolutionnaires du côté droit qu'est dirigée l'insurrection ; elle ne doit conséquemment cesser que quand ils seront tous anéantis. »

A s'arrêter à mi-chemin, on n'aura que la charge des événements sans le bénéfice. Les Girondins calomnieront tant qu'ils ne seront pas détruits, et la journée, qui les menaça sans les frapper, va grossir leurs litanies calomnieuses.

« Ne nous dissimulons pas que le mouvement qui vient d'avoir lieu à Paris va tourner contre nous dans les départements. On a envoyé dans les départements des courriers extraordinaires pour annoncer qu'on égorgeait les députés. »

Et il ajoute soudain, comme pour accumuler les nuées sombres sur l'horizon et défier toutes les menaces de tyrannie en quelque point qu'elles se forment :

« Je déclaré ici que j'ai entendu dire à un membre de la Montagne que le temps était venu où la Nation devait choisir un chef. Je déclare aux Jacobins, je déclare à l'univers que, je ne veux courber ma tête sous aucun chef, et je demande que tout homme qui osera faire cette proposition soit puni dans les vingt-quatre heures. »

Billaud Varenne craignait-il vraiment que Marat prétendit à la dictature ? Visiblement, c'est l'impuissance de cette journée anarchique et chaotique où la force du peuple avait flotté à l'aventure qui avait arraché à Marat, une fois de plus, son éternel refrain sur la nécessaire unité d'action.

Mais Billaud Varenne revenait à l'objet immédiat de la lutte :

« J'ai entendu dire, conclut-il, à des hommes faibles que c'était une trop forte mesure d'arrêter trente-deux députés. Je déclare que nous ne devons point transiger avec la tyrannie. Paris doit rester debout. Il faut, comme Brutus, se poignarder quand la liberté est perdue ou s'ensevelir sous ses ruines. »

Chabot insiste, mais il note en même temps que Danton manque de vigueur : « Le peuple restera debout jusqu'à ce que les égoïstes aient baisé la poussière du sans-culottisme. Cependant j'ai une inquiétude : Danton a perdu de son énergie depuis qu'on a cassé la Commission des Douze. Cette Commission était un instrument dans la main des intrigants. Elle n'agissait pas par elle-même : c'est la faction qui la dirigeait. Le peuple s'est insurgé contre cette faction, et il ne s'arrêtera pas que cette faction ne soit terrassée. »

Que d'étranges pressentiments s'éveillent au cœur ! La lutte contre la Gironde n'est pas terminée, et déjà les sombres soupçons de Billaud Varenne, les réserves de Chabot présagent d'autres déchirements et d'autres combats. La méfiance de Billaud Varenne contre quiconque veut être chef aboutira un jour à frapper, non Marat, mais Robespierre. Les factions de Chabot et de Danton se dévoreront l'une l'autre. Appelez les sorcières de Shakespeare, de celui que Brissot appelait « l'Eschyle anglais », près de la chaudière où la fatalité remue tant d'éléments humains, tant de passions, de générosités et de haines : penchées sur cette confusion ardente et sombre, elles verront s'élever une vapeur de sang.

Mais, les Jacobins, même quand ils étaient le plus résolus, discutaient, préparaient, formulaient : ils n'agissaient pas. Le commandant provisoire Henriot les avait invités à communiquer avec lui, ils avaient nommé des commissaires à cet effet ; mais ils n'avaient pas donné le mot d'ordre que Henriot attendait sans doute pour le lendemain. Et, après s'être déclarés en permanence, ils avaient levé la séance.

Pourtant une grande confiance était en eux, et une certitude de l'avenir. L'indice le plus décisif peut-être, c'est que les Jacobins inaugurent, le 1er juin même, leur organe officiel, le Journal de la Montagne. Pour la première fois, la Montagne avait un organe ; par le titre seul, elle s'annonçait à la France dans son unité et dans sa force. L'épigraphe était faite du mot d'Hérault de Séchelles, présidant la Convention : « La force de la raison et la force du peuple ne font qu'un. » Ce n'était pas la révolte de misère qui éclate dans l'épigraphe du journal de Marat. C'était l'affirmation doctrinaire et solennelle que la Révolution ne pouvait aboutir que par la grande énergie populaire soumise à la discipline des principes. C'est par ce mot qu'Hérault avait consacré et légitimé la sommation du peuple à la Convention contre les Girondins. Ainsi cette seule épigraphe était tout un programme d'action révolutionnaire un peu formaliste et guindée, mais vigoureuse et décisive.

Ni Robespierre ni Marat n'avaient paru ce soir-là aux Jacobins. Marat y allait peu : il trouvait qu'on y parlait trop, et d'ailleurs, épuisé par la maladie, il suffisait à peine à la Convention et à son journal. Robespierre fut-il, ce soir-là, écrasé de fatigue ? Après une séance de douze heures, et où il avait lutté, c'est possible. J'imagine pourtant qu'il n'était point fâché de n'avoir pas à donner, à cette minute, des conseils trop précis.

 

LE JUGEMENT DE MARAT SUR LA JOURNÉE DU 31 MAI

C'est seulement dans le numéro du 5 juin que Marat donne ses impressions sur la journée du 31 mai :

« Le Comité de salut public, quoique composé d'hommes instruits et bien intentionnés, avait très mal jugé des mouvements populaires qui avaient lieu le 31 mai. La journée s'était passée sans orage, malgré que le tocsin eût sonné toute la nuit, et que le peuple eût été tout le jour sous les armes.

« La Convention avait été plus agitée que la ville. La faction des hommes d'Etat, tremblotante, cherchait à se rassurer et à donner le change sur les causes de l'insurrection, et la séance entière avait été employée à entendre les autorités constituées appelées à la barre. Le ministre de l'Intérieur avait démontré jusqu'à conviction la fausseté du prétendu complot tramé contre les appelants ; le maire avait fait voir que les auteurs du rassemblement de la force armée autour du Sénat étaient ces mêmes hommes d'Etat qui s'étaient si fort récriés contre cette mesure audacieuse, car elle était composée des bataillons de ces mêmes sections aristocratiques qui avaient dénoncé ce prétendu complot. — Marat, dont la tête lassée par un travail constant s'obscurcissait parfois, confond ici, pour le ministre de l'Intérieur et pour le maire, la journée du 27 mai et celle du 31 ; de même, quand Guadet proposait que la Convention se réunît à Bourges, il avait entendu Tours, alors menacé par les Vendéens, et il avait bâti là-dessus tout un système. — Enfin le Département avait prouvé que les mouvements populaires de la journée n'avaient d'autre cause que l'indignation excitée par les arrestations arbitraires de la Commission des Douze, les calomnies atroces répandues depuis si longtemps contre Paris, les vues horribles que laissait entrevoir le discours d'Isnard, les nouvelles trahisons de quelques généraux, et la poursuite des desseins sinistres des meneurs de la faction.

« Ces meneurs, qui voulaient consommer leur trahison dans les ténèbres, et qui ne redoutent rien tant au monde que l'insurrection du peuple, demandaient, par l'organe de Valazé, que le commandant provisoire de l'armée parisienne fût traduit à la barre et puni de mort pour avoir ordonné de tirer le canon d'alarme, proposition qui fut couverte de huées. Plusieurs membres avancent divers avis. Thuriot, Jeanbon Saint-André, Drouet et plusieurs autres renouvellent la demande que j'avais faite dans la matinée, de supprimer la Commission des Douze, de casser tous les ordres émanés d'elle, et de mettre en liberté les citoyens qu'elle avait incarcérés. Ces propositions sont décrétées. Ainsi s'en alla en fumée l'insurrection d'une ville immense ; mais le feu couvait scias ici cendre. »

 

L'ACTION DU COMITÉ RÉVOLUTIONNAIRE

C'est le Comité révolutionnaire de l'Evêché qui l'attisa. Tout de suite, à l'heure même où la Commune se perdait en vagues propos, il avait formé son plan. Devant le Conseil général de la Commune, renforcé de dix membres du Directoire du Département, un délégué de la Commission révolutionnaire fait son rapport (vers dix heures du soir) sur les mesures qu'elle a prises :

« Il divise ces mesures en deux espèces : les mesures cachées et les mesures qui peuvent être rendues publiques. Il entre dans le détail de ces dernières, parmi lesquelles se trouve la mesure d'arrestation de toutes les personnes qui ont donné lieu au mouvement contre-révolutionnaire de ces derniers temps. »

Comme pour ouvrir la voie à la Convention et l'entraîner par la force du fait accompli, le Comité révolutionnaire ordonne dans la nuit qu'on arrête Roland ; il n'était point à son domicile. Mais, le matin, vers sept heures, Mme Roland est arrêtée et conduite à l'Abbaye. C'était signifier à la Convention que, si elle ne procédait pas en bloc à l'arrestation des Girondins dénoncés, la Révolution parisienne saurait mettre la main sur eux. Le Comité préparait, dès le matin du 1er juin, un appel aux quarante-huit sections, appel encourageant et habile, qui prenait acte de tous les résultats obtenus la veille et affirmait la volonté d'aller jusqu'au bout :

« Citoyens, vous étiez sur les bords de l'abîme, entourés d'ennemis puissants au dehors et de conspirateurs audacieux au dedans. C'en était fait de la liberté si vous ne vous fussiez levés. Une conjuration ourdie au sein de la Convention menaçait les plus fermes patriotes et les magistrats les plus chéris du peuple. Dans ce danger, les commissaires que vous avez investis de vos pouvoirs et de votre confiance, voulant sauver la patrie, se sont hâtés de prendre les mesures extraordinaires que commandait l'intérêt de la liberté. Ils ont assuré la fidélité de la correspondance publique. Ils ont porté à vos délégués vos justes plaintes, vos réclamations pressantes, et demandé la punition des traîtres que la Convention recèle dans son sein. Ils ont ordonné l'arrestation de tous les gens suspects qui se cachent dans les sections de Paris. Cette arrestation s'effectue en ce moment de toutes parts.

« Vos commissaires ont en outre concerté le projet de formation d'une armée révolutionnaire de vingt mille hommes pour garder et défendre Paris. Cette armée sera entretenue par une contribution prise sur les riches, et principalement sur ceux reconnus pour leur incivisme.

« Déjà nous avons obtenu un premier succès : la Convention a cassé la Commission inquisitoriale des Douze et renvoyé à l'examen d'un comité l'examen de la conduite coupable de ses membres. Un autre décret confirme l'arrêté de la Commune qui accorde quarante sous par jour aux ouvriers qui seront requis de prendre les armes dans ces jours de crise... Enfin, la Convention a déclaré que les sections ont bien mérité de la Patrie. Par ce qu'elle a fait hier, nous attendons ce qu'elle va faire aujourd'hui. Citoyens, restez debout, les dangers de la Patrie vous en font une loi. »

Cet appel fut jugé trop modéré, et ajourné. C'est une action immédiate et forte que voulait l'Evêché.

Le plan du Comité révolutionnaire était de revenir à la charge Le jour même, de peser de nouveau sur la Convention ; les autorités constituées lui soumettraient une pétition énergique demandant l'arrestation et la mise en jugement des chefs girondins, et la Convention, lassée, vaincue par cette insistance du peuple, céderait, sans qu'il y eût une goutte de sang versé. Aussi bien, pour agir plus fortement sur elle, le commandant Henriot saurait l'envelopper de bataillons dévoués à la Révolution ; on ne permettrait pas aux sectionnaires modérés d'approcher de la Convention ; c'est là sans doute « la mesure secrète » que les délégués de l'Evêché ne voulaient pas communiquer publiquement à la Commune. Et c'est par là aussi que tout bas Hébert et Dobsen répondaient aux récriminations de Varlet dénonçant la mollesse de la Commune.

 

LE RAPPORT DE BARÈRE SUR LE 31 MAI

Cependant la Convention entendait un optimiste rapport (le Barère, expliquant aux départements que la journée du 31 niai n'avait été que douceur fraternelle. Il fallait qu'en tombant la Gironde fît le moins de bruit possible, et Barère ouatait la chute. La Convention adopta l'adresse, malgré les réclamations de Lasource et de Vergniaud, qui craignaient que la Gironde fût engloutie silencieusement et sans que personne s'en doutât. L'Assemblée, épuisée sans doute des émotions de la veille, ne prolongea pas sa séance : elle se sépara vers cinq heures, c'est-à-dire au moment même où la Commune venait de décider qu'une adresse menaçante lui serait portée. Est-ce que la Convention se jouait du peuple ? Faudrait-il que les sections révolutionnaires se portent au domicile des députés coupables, au lieu d'obtenir de la Convention justice légale ?

Le Comité de salut public, sans doute sous l'influence de Danton, décida que la Convention serait convoquée d'urgence le soir même. C'était proclamer officiellement la force de l'insurrection, qui ne consentait pas à attendre, et qui assignait elle-même un rendez-vous impérieux à ceux qu'elle voulait contraindre. Pache et Marat, sortant ensemble du Comité de salut public, coururent à la Commune pour lui expliquer l'état des choses et prévenir un mouvement convulsif.

« Je sors, dit le maire, du Comité de salut public, où j'ai été invité à me rendre. Je l'ai trouvé dans les meilleures dispositions. Il témoigne d'une manière non équivoque le désir du bon ordre et de l'ensemble qui doit présider à toutes les démarches du peuple souverain auprès de ses représentants. Marat, qui en a été le témoin, vous attestera le même fait.

« En effet, quelle est la situation des choses ? Nous voulons présenter aujourd'hui à la Convention une adresse dont le succès intéresse la République entière. Le peuple de Paris, attentif, apprend que la Convention a levé la séance. Il était à craindre que ce contretemps ne donnât lieu à quelques excès de la part de ceux qui se voyaient frustrés ; mais le Comité de salut public a convoqué pour ce soir tous les membres de la Convention pour mesures urgentes. Nous pouvons donc présenter aujourd'hui notre adresse, et Marat, qui s'est rendu avec moi dans votre sein, se propose de vous donner un conseil dans cette circonstance. »

C'était bien la politique de Pache qui triomphait : assurer le succès de la Révolution en évitant les chocs trop violents ; éliminer la Gironde sans brutalité, sans effusion de sang, avec une sorte de régularité apparente qui ménage la susceptibilité des départements, et épargner à la France menacée au dedans et au dehors les convulsions funestes de la guerre civile.

 

L'ACTION DE MARAT AU 1ER JUIN

Marat abondait dans cette politique de vigueur et de sagesse, et il était pour Pache, en ces heures difficiles, un allié tout à fait sûr. Lui-même a conté comment il avait, au juin, tracé le plan politique, désavouant à la fois la tiède rhétorique de Barère qui ne pouvait qu'endormir les esprits, et l'impatience meurtrière des Enragés. Il fut, en cette journée du 1er juin, le vrai chef du peuple. Il a dit, sans forfanterie, ce que fut son rôle à la Convention, dans la rue, au Comité de salut public, à la Commune.

« La proclamation de Barère, adoptée avec quelques légères modifications, porte l'éloge de l'attitude fière et calme qu'ont déployée les Parisiens, la déclaration qu'ils ont bien mérité de la Patrie, et la proposition d'une nouvelle fédération le 14 juillet prochain. — Non, le 10 août. Marat, très énervé, n'avait plus une grande sûreté de mémoire.

« Je m'approche de Barère pour lui dire que ces mesures sont insuffisantes, que le calme dont il loue les Parisiens n'est qu'un assoupissement momentané, que le seul moyen de rétablir la tranquillité à Paris est la justice éclatante faite des traîtres de la Convention. Il repoussa mes observations avec un sourire moqueur ; on connaît ses principes de modérantisme et ses petits expédients : le moyen d'en être surpris !

« Je sors pour porter diverses affaires importantes au Comité de sûreté générale, prévoyant trop qu'on ne prendrait aucune grande mesure à la Convention. De là, je me rends chez un citoyen pour avoir des renseignements sur plusieurs meneurs aristocratiques de la section de la Butte-des-Moulins. A mon retour, je trouve grand rassemblement dans la rue Saint-Nicaise ; je suis reconnu et suivi par la foule. De toutes parts retentissaient des réclamations contre le défaut d'énergie de la Montagne ; de toutes parts on demandait L'arrestation des députés traîtres et machinateurs ; de toutes parts on criait : Marat, sauvez-nous ! Arrivé à la place du Carrousel, j'y trouve une multitude de citoyens en armes ; la foule augmente et répète les mêmes cris. Je supplie la multitude de ne pas me suivre, j'entre dans le château des Tuileries, puis dans l'hôtel du Comité de sûreté générale pour me dérober à ces instances. Peine perdue, il fallut la traverser de nouveau pour me rendre au Comité de salut public, qui était assemblé avec les ministres, le maire et quelques membres du Département. Je rendis compte de ce qui venait de m'arriver, je représentai au Comité l'insuffisance des mesures présentées par Barère, j'observai que les seules efficaces étaient l'arrestation des membres dénoncés et de la Commission des Douze.

« Le Comité était à délibérer sur ces mêmes mesures ; il m'invita à me rendre à la municipalité avec le maire, à l'effet de prévenir tout mouvement désordonné. »

Mais, quand le Comité de salut public chargeait Marat de maintenir la tranquillité publique, il s'engageait par là même à y mettre le prix marqué par Marat, c'est-à-dire à en finir avec la Gironde.

« Le maire annonce l'objet de ma mission ; je prends la parole en ces mots (je rapporte fidèlement mon discours, parce que la plupart des journalistes soudoyés l'ont malignement tronqué et défiguré) : « Citoyens, le Comité de salut public est occupé de grandes mesures pour punir et réprimer les traîtres, restez levés, déployez vos forces, et ne posez les armes qu'après avoir obtenu « une justice éclatante, après avoir pourvu à votre sûreté. »

« Le président, que je sais modéré (c'est Destournelles), voulant m'engager à sanctionner ses conseils, me demande s'il est vrai qu'un peuple trahi et soulevé contre les traîtres doit s'en rapporter uniquement à ses magistrats et n'employer que les moyens prescrits par la loi pour se rendre justice. Je sentis le piège, et je répondis à son apostrophe en ces termes : « Lorsqu'un peuple libre a confié l'exercice de son pouvoir, le maintien de ses droits et de ses intérêts à des mandataires choisis par lui, tandis qu'ils sont fidèles à leurs devoirs, il doit, sans contredit, s'en rapporter à eux, respecter leurs décrets, et les maintenir dans le paisible exercice de leurs fonctions. Mais lorsque ces mandataires abusent continuellement de sa confiance, lorsqu'ils trafiquent de ses droits, trahissent ses intérêts, qu'ils le dépouillent, le ruinent, l'oppriment, et qu'ils machinent sa perte, alors le peuple doit leur retirer ses pouvoirs, déployer sa force pour les faire rentrer dans le devoir, punir les traîtres et se sauver lui-même. Citoyens, vous n'avez plus de ressource que dans votre énergie, présentez à la Convention une adresse pour demander la punition des députés infidèles à la Nation ; restez levés, et ne posez les armes qu'après l'avoir obtenue. »

« Plusieurs membres de la Commune m'invitèrent à passer au Comité révolutionnaire ; je leur représentai que mon poste était à la Convention, et j'allai au Comité de salut public rendre compte de ma mission.

« Il s'agissait de convoquer l'Assemblée, et il était impossible d'en charger le président ; la plupart des membres étaient dispersés, et on ne savait où les trouver. Mais on battait la générale dans différents quartiers ; le tocsin sonnait et le canon d'alarme allait tirer. Il était donc tout simple d'attendre que les députés se rendissent à. leur poste. »

Heure étrange, où c'était en somme le tocsin et le canon d'alarme qui étaient chargés de convoquer la Convention pour qu'elle reçût l'adresse des sections. Le tocsin disait aux députés : Venez ! et le canon d'alarme disait aux délégués révolutionnaires : Vous avez la parole. Marat avait un moment secoué et enfiévré la Commune. Lui parti, elle retombe à son indécision, et le procureur s'oppose à ce que l'on fasse tirer le canon et sonner le tocsin « pour ne pas fatiguer les citoyens ». Mais ni les cloches ni le canon n'attendaient le signal de l'hésitante Commune, et la ville s'emplissait de vibrations révolutionnaires.

 

LA SÉANCE DE NUIT À LA CONVENTION

Cependant était-il possible d'espérer que la Convention céderait le soir même ? Un moment les plus exaltés le crurent. Le Lyonnais Leclerc s'écria aux Jacobins dans une sorte de transport révolutionnaire : « Je serai court : l'agonie des aristocrates commence ; le tocsin sonne, le canon d'alarme a été tiré ; la Commune est debout ; le peuple se porte à la Convention ; vous êtes peuple, vous devez vous y rendre. »

Cette faible tête se grisait des sonneries violentes, et croyait tout possible quand les cloches avaient parlé.

« Restons ici, dit un militaire, nous sommes à notre poste pour sauver la chose publique. — Non, dit un autre citoyen : le poste des patriotes est au Conseil général de la Commune et dans les comités révolutionnaires » ; et les Jacobins, vers dix heures, se dispersèrent, emportant au vent tiède de la nuit leur fièvre incertaine.

Henriot n'avait probablement pas eu le temps de rassembler ses bataillons fidèles, de les grouper à part et de les porter tout autour de la Convention, ainsi isolée des sections modérées. En tout cas, il n'avait pu leur communiquer encore le mot d'ordre.

Les sections rassemblées (c'est le récit de la Chronique de Paris) se sont portées sur la Convention avec leurs canons, la force armée en a investi toutes les approches ; le Pont-National, les quais, les Tuileries, et toutes les rues adjacentes ont été occupées par divers bataillons. On a bientôt connu la cause de ces rassemblements... les citoyens armés sont demeurés sur la place jusqu'à une heure du matin ; on leur a fait porter du pain.

« Ces rassemblements, en réunissant quelques sections, ont produit quelques scènes touchantes ; la section de 1792, celle de la Fraternité, calomniées comme celle de la Butte-des-Moulins l'avait été, ont offert le spectacle de la réunion, de la concorde et de l'amitié. »

Non, l'action décisive ne serait point pour cette nuit-là ; les sections mal averties encore retombaient dans les tâtonnements vagues du 31 mai. Et c'est peut-être pour les organiser en vue de l'opération du lendemain que la Commune et le Comité révolutionnaire rappelèrent, sous prétexte de ménager leurs forces, les patriotes armés.

 

LA PÉTITION D'HASSENFRATZ

Pourtant l'effet de cette soirée ne fut pas perdu. Les douze délégués de la Commune et les six délégués du Comité révolutionnaire purent lire leur adresse impérieuse à la Convention.

C'était Hassenfratz qui parlait en leur nom. Avait-il été choisi pour protester contre la calomnie de Lanjuinais, auquel il venait d'adresser une véhémente lettre de rectification ?

« Le peuple est levé, il est debout. Nous demandons le décret d'accusation contre Pétion, Guadet, Gensonné, Vergniaud, Buzot, Brissot, Barbaroux, Chambon, Birotteau, Rabaut, Gorsas, Fonfrède, Lanthenas, Grangeneuve, Lehardi, Lesage, contre vingt-sept députés. »

La Convention décréta que le Comité de salut public ferait un rapport sous trois jours sur l'adresse des pétitionnaires. Trois jours, c'était bien long. Mais le délai pouvait être abrégé, et c'était déjà une victoire d'avoir amené la Convention à délibérer en effet sur l'arrestation des Girondins. Marat s'étonna que le vieux Dussault fût sur la liste. Cette impartialité même était pour les autres un sinistre avertissement. Elle signifiait que cette fois la motion était grave, puisque Marat se préoccupait d'en exempter un homme qu'il jugeait innocent. Au fond, c'est le lendemain que la question devait être réglée : comment Paris aurait-il pu supporter longtemps encore cette tension des nerfs, cet appel des cloches, ce frisson terrible et vain ? La Commune avait beau décider, vers une heure du matin, pour ne pas trop fatiguer la force armée, qu'elle serait rappelée. La Révolution, cette fois, ne voulait pas se coucher. Le lendemain devait être un dimanche, le peuple savait qu'il ne serait point pris par l'atelier, et déjà on se demandait de quels grands événements serait comblé le vide de cette longue journée.

 

LES FINANCES DU COMITÉ RÉVOLUTIONNAIRE

Le Comité révolutionnaire, lui, considérait si bien le prolongement de l'insurrection comme une chose nécessaire et normale qu'il demandait que la liste des ouvriers sans-culottes soit dressée dans chaque section et que chacun d'eux reçoive 6 Hures... Six livres, à quarante sous par jour, c'était le salaire de trois jours. Or, le 31 mai, le 1er juin, cela faisait deux. Le troisième devait être le jour décisif, et il s'agissait de le payer d'avance. Chaumette, un peu ahuri, demande où sont les fonds. Mais, telle était alors la confusion paradoxale de l'insurrection morale et de la légalité que le rapporteur du Comité répond « qu'on les demandera à la Convention ». C'est la Convention qui devait fournir les subsides à la force armée chargée de peser sur elle ! On n'eut pas besoin de recourir à elle, et le lendemain, 2 juin, le Comité révolutionnaire annonça qu'il avait tes sommes nécessaires. Comment ne les eût-il pas eues, puisque depuis des semaines, il avait, par les comités révolutionnaires des sections qu'il centralisait, le droit de réquisition chez les riches ? Donc, dans la comptabilité de l'insurrection, elle devait être terminée en un jour, au soir du 2 juin, en comptant ce dimanche 2 juin comme jour ouvrable.

C'était bien, en effet, l'agonie de la Gironde qui commençait, elle n'avait plus à vivre (politiquement) que quelques heures de détresse et d'angoisse. Les journalistes du Patriote français rédigeaient en hâte le numéro qui allait paraître le 2 juin et qui devait être le dernier. Ils y calomniaient encore la Commune en paroles savamment empoisonnées. Elle voulait emprunter des millions pour Paris, mais ces millions, qu'en ferait-elle ? Elle les volerait.

« Elle les pacherait, elle les chaumettiserait, et chacun de la bande en aurait sa part ; le surplus serait employé à soudoyer des brigands pour opprimer la liberté publique, peut-être même, et je le crains tous les jours, s'empareraient-ils de la trésorerie et de la caisse de l'extraordinaire. »

Et cela finit par un cri de folie et de contre-Révolution impuissante : « La majorité de la Convention a beau faire : elle sera subjuguée par la Commune, si elle ne terrasse et si elle ne ferme les clubs des Jacobins et des Cordeliers. »

Quand je dis que c'est la fin du Patriote, non, je me trompe : les toutes dernières lignes sont l'annonce d'un cours de chimie du grand savant Vauquelin : « Le citoyen Vauquelin commencera lundi 3 juin, à quatre heures après-midi, un cours de chimie appliquée aux arts, qu'il continuera les mercredis et vendredis à la même heure. S'adresser au laboratoire du citoyen Fourcroy, rue des Bourdonnais, à la Couronne d'or. »

Ô Girondins ! pourquoi n'avez-vous pas emprunté un peu de sa sérénité impersonnelle et de sa patience à la science éternelle et lente ? Quel malheur que sous son rayon, aimé de vous pourtant, ne se soient pas un peu apaisées vos agitations misérables !

 

LA DERNIÈRE RÉUNION DES GIRONDINS

Dès le 1er juin, les plus clairvoyants d'entre eux se sentirent perdus. Ils essayèrent de délibérer chez l'un d'eux, mais ils ne purent se réunir en assez grand nombre ni arrêter un plan commun.

C'est dans une vaste maison appartenant à Meillan, assez écartée et discrète, que les Girondins se réunirent.

« Nous arrêtâmes, raconte mélancoliquement Pétion, d'y passer toute la nuit étendus sur des chaises et de ne pas nous quitter. Nous convînmes de réunir le lendemain, dès le matin, les trente-deux proscrits et les douze membres de la Commission extraordinaire afin (le prendre une mesure commune.

« La générale battit, le tocsin sonna une partie de la nuit. Malgré toutes nos démarches, nous ne pûmes réunir qu'une vingtaine de membres. Les principaux étaient Brissot, Vergniaud, Gensonné, Guadet, Buzot. »

Solitude précaire et menacée, détresse et désarroi, c'était déjà comme un campement en désordre sur les routes de la proscription, de la souffrance et de la mort. La dispersion des volontés préludait à la dispersion de l'exil. Ceux mêmes qui se trouvaient rassemblés chez Meillan ne purent s'entendre pour une action commune. Iraient-ils en cette journée du 2 juin à la Convention ? La plupart renoncèrent à braver inutilement un péril que désormais nul ne pouvait conjurer. Mais Barbaroux s'évada presque de force pour aller affronter la tempête. Resteraient-ils tous à Paris pour ne pas exaspérer la Révolution victorieuse par la menace d'une guerre civile des départements et de la capitale ? Ou bien iraient-ils tous faire appel aux départements pour 'que l'étendue même de leur protestation avertît la conscience publique ? Louvet insista avec force pour que tous quittassent Paris ; mais il ne put entraîner toute la Gironde.

« Désormais, disait-il, nous ne ferlons plus rien à la Convention, où la Montagne et les tribunes ne nous permettraient plus de dire un mot, rien qu'animer les espérances des conjurés, charmés d'y pouvoir saisir d'un seul coup toute leur proie. Il n'y aurait non plus rien à faire à Paris, dominé par la terreur qu'inspiraient les conjurés, maîtres de la force armée et des autorités constituées ; ce n'était plus que l'insurrection départementale qui pouvait sauver la France. Nous devions chercher quelque asile sûr pour cette soirée, et demain et les jours suivants partir les uns après les autres, usant de nos différents moyens, et nous réunir soit à Bordeaux, soit dans le Calvados, si les insurgés, qui déjà s'y montraient, prenaient une attitude imposante. Surtout il fallait éviter de demeurer en étage entre les mains de la Montagne, il fallait ne pas retourner à l'Assemblée.

« Que ne m'avez-vous cru, Brissot, Vergniaud, Gensonné, Mainvielle, Valazé, Ducos, Duprat, Fonfrède, vous tous, honorables victimes que la postérité vengera ! Peut-être tous ensemble n'aurions-nous pas réussi davantage à réveiller dans les cœurs l'ardent amour de la Patrie, la haine vigoureuse due à l'oppression, mais du moins je n'aurais point à gémir aujourd'hui sur votre chute prématurée.

 

LA NOUVELLE DE LA CONTRE-RÉVOLUTION LYONNAISE

Pendant que les Girondins se perdaient ainsi dans l'incertitude de leurs pensées, l'adversaire frappait les coups décisifs. Précisément Paris venait d'apprendre qu'à Lyon, dans la journée du 29 mai, les sections modérées et bourgeoises avaient livré bataille à la municipalité jacobine, et celle-ci était vaincue. Chalier était dans un cachot. Or quelques-uns de ceux qui transmettaient ces redoutables nouvelles avaient beau en atténuer le caractère, ils avaient beau dire que les sections s'étaient levées au cri de : Vive la République ! Même l'ambiguïté des correspondances de Gauthier et de Nieche, qui n'osaient pas approfondir tout le danger, ne parvenaient pas à donner le change aux révolutionnaires de la Commune et de l'Evêché. Ils comprenaient très bien qu'à Lyon la contre-Révolution était victorieuse, et qu'eux-mêmes allaient être enveloppés dans la contagion de ce mouvement, s'ils ne frappaient pas ce jour même le coup suprême sur l'ennemi. Jeanbon Saint-André signala le péril à la Convention en quelques paroles décisives que Marat a notées.

« Vous venez d'apprendre des nouvelles fâcheuses du département de la Lozère. L'aristocratie, dans cette contrée, ose lever un front menaçant ; des mouvements contre-révolutionnaires se manifestent dans plusieurs parties des départements méridionaux. A Lyon, les contre-révolutionnaires triomphent, les patriotes ont été massacrés. Les troubles de la Lozère doivent d'autant plus fixer votre sollicitude que, par le département du Cantal, les rebelles de la Lozère peuvent se réunir à ceux du département de Rhône-et-Loire. »

C'était comme un bloc énorme de contre-Révolution, où le dur fanatisme cévenol avait pour noyau ardent la fervente réaction lyonnaise. Oui, il fallait en finir. Encore quelques jours, et les sections bourgeoises de Paris, animées par cet exemple, pouvaient tenter d'accabler la Commune et la Montagne.

 

LA JOURNÉE DU 2 JUIN

Henriot, cette fois, avait pris ses dispositions mieux qu'au 31 mai. Il ne se fiait plus à la spontanéité incertaine et contradictoire du peuple. Il avait massé autour de la Convention des bataillons soigneusement choisis par lui, cinq à six mille révolutionnaires décidés. Au-delà, le reste du peuple n'était plus qu'une foule, qui ne serait rattachée aux événements que par une chaîne de rumeurs flottantes. Aussi, quand les pétitionnaires de la Commune vinrent demander l'arrestation des vingt-deux, on chercha bien à amortir le coup, mais presque personne ne songea à l'éluder. Des cris menaçants partaient des tribunes. L'appel aux armes retentissait.

« Sauvez le peuple de lui-même, s'écria Richou ; sauvez vos collègues, décrétez leur arrestation provisoire. »

Provisoire ? C'était avouer qu'on ne cédait qu'à la force brutale du peuple. C'était proclamer que sans doute l'innocence des députés dénoncés serait reconnue quand les menaces de la foule se seraient dissipées. La Montagne s'indigna de cette combinaison. Levasseur protesta avec véhémence contre « le lâche tempérament proposé par le Marais ».

« J'ai toujours été partisan des mesures énergiques, sans approuver les violences inutiles et j'ai toujours eu horreur du sang inutilement répandu, aussi me trouvai-je en cette journée décisive dans une triste alternative. Prononcer le décret d'accusation contre mes collègues, c'était les envoyer à la mort ; les déclarer innocents, c'était à la fois mentir à ma conscience et perdre le succès d'une journée qui pouvait nous sauver. Le lâche terme moyen du Marais était la plus mauvaise mesure possible, car, en déclarant implicitement les accusés innocents, elle rendait nulle une insurrection qui devait porter ses fruits, et en même temps elle livrait à la fureur populaire des hommes dont nous étions loin de désirer la mort ; d'ailleurs elle déshonorait la Convention, en constatant en quelque sorte que nous avions cédé à la peur et à l'oppression. »

Et Levasseur demande l'arrestation immédiate des vingt-deux et de la Commission des Douze. Dans la Convention muette deux protestations seulement s'élèvent, celles de Barbaroux et de Lanjuinais. Eux, ils ne veulent pas plier. Lanjuinais, comme s'il pouvait encore être accusateur, dénonce l'autorité usurpatrice de la Commune. Barbaroux défend contre le rapport de Moïse Bayle et de Boisset les sections marseillaises. Mais voici que, par Barère, le Comité de salut public vient proposer une solution équivoque, précisément celle du Marais.

« Le Comité n'a pas cru devoir accepter la mesure de l'arrestation ; il a pensé qu'il devait s'adresser au patriotisme, à la générosité et à l'amour de leur Patrie des membres accusés et leur demander la suspension de leurs pouvoirs, en leur représentant que c'est la seule mesure qui puisse faire cesser les divisions qui assiègent la République et y ramener la paix. »

C'est seulement pour un temps déterminé qu'ils devaient se suspendre.

Quelques-uns des Girondins, Dussault, Fauchet, Isnard acceptèrent ce compromis étrange ; Isnard avec solennité. Mais Barbaroux, Lanjuinais protestèrent : « J'ai, je crois, s'écria Lanjuinais, montré jusqu'à ce moment quelque courage et quelque énergie. N'attendez donc de moi ni démission, ni suspension. »

Et, comme il était interrompu par quelques murmures :

« Sachez, dit-il, que la victime qu'on traîne à l'autel n'est pas insultée par le prêtre qui l'immole : les anciens la couronnaient de fleurs. »

« — Non, ajouta Barbaroux, n'attendez de moi aucune démission. J'ai juré de mourir à mon poste, je tiendrai mon serment. »

Marat était très irrité contre la combinaison équivoque imaginée par le Comité de salut public et la Gironde, et qui grandissait celle-ci :

« Je désapprouve, dit-il à la Convention, la mesure proposée par le Comité, en ce qu'elle donne à des accusés de conspiration les honneurs du dévouement. Il faut être pur pour offrir des sacrifices à la Patrie ; c'est à moi, vrai martyr de la liberté, à me dévouer. J'offre donc ma suspension du moment où vous aurez ordonné la détention des contre-révolutionnaires ; en ajoutant à la liste Fermont et Valazé qui n'y sont pas, et rayant Ducos, Lanthenas et Dussault qui n'y doivent pas être. »

Il parlait comme s'il était le maître, avec une sorte de désintéressement dictatorial. Il insiste dans son journal :

« L'énergie qu'avait montrée la veille le Comité de salut publie s'était évanouie... il ne fut point question dans le rapport de sévir contre les députés infidèles. Au lieu d'un décret d'accusation à proposer, ce fut une invitation adressée indistinctement aux membres de la Convention qui ont été une pomme de discorde de donner leur démission ou simplement de suspendre l'exercice de leurs fonctions jusqu'à ce que la paix fût rétablie. Une mesure aussi fausse ne pouvait qu'aigrir les esprits et révolter le peuple en lui faisant pressentir qu'il n'avait aucune satisfaction à attendre ; elle tournait même en faveur des traîtres dénoncés par les autorités constituées : on eût dit qu'elle avait été concertée par eux, aussi la saisirent-ils avec empressement.

« Isnard s'élance à la tribune pour faire l'éloge de son civisme et afficher les marques de son dévouement à la Patrie en donnant sa démission.

« Lanthenas veut l'imiter : on lui crie qu'il peut s'en dispenser... Voyant très bien où allait cette farce sentimentale, je m'empresse de tourner les choses à leur vrai point de vue en faisant sentir que ce n'est pas à des accusés de trahison de se dévouer pour la Patrie, mais aux députés intacts, victimes de leurs vertus et de la calomnie. J'offre ma démission et je demande l'arrestation de tous les membres dénoncés. Ma demande est appuyée par tous les vrais Montagnards ; elle était prête à passer lorsque plusieurs hommes d'Etat s'écrient qu'ils ne sont pas libres, que la salle est entourée de citoyens qui ne veulent pas les laisser sortir. »

 

L'INVESTISSEMENT DE LA CONVENTION

L'investissement de la Convention était, en effet, plus étroit à chaque minute. Des femmes encombraient les couloirs, et des soldats apostés par Henriot gardaient les issues de la salle.

Barère, presque toujours élevé au-dessus de son propre courage quand la majesté et l'intégrité de la Convention étaient brutalement menacées, s'emporte contre ces mesures avilissantes.

« Ce n'est pas à des esclaves à faire la loi : la France désavouerait celles émanées d'une Assemblée asservie. Comment ces lois seraient-elles respectées si vous ne les faites qu'entourés de baïonnettes ? Nous sommes en danger, car des tyrans nouveaux veillent sur nous ; leur consigne nous entoure ; cette tyrannie est dans le Comité révolutionnaire de la Commune ; et le Conseil général, s'il ne prend de promptes mesures pour prévenir ces violences, mériterait de graves reproches. Il se trouve dans son sein des membres, du moral de qui je ne voudrais pas répondre.

« Le mouvement dont nous sommes menacés appartient à Londres, à Madrid, à Berlin, un des membres du Comité révolutionnaire, nommé Gusman, m'était connu pour être espagnol... Peuple, on vous trahit. »

Mais à quoi servait tout cela ? Que signifiait cette demi-résistance ? Et pourquoi Barère, qui consentait, sous la pression de la force populaire, à demander leur démission aux Girondins, affectait-il soudain ces scrupules d'indépendance ? Sur quelle force armée aurait-il pu compter ? et comment pouvait-il espérer, à ce moment, mettre en contradiction le Comité révolutionnaire de l'Evêché et le Conseil général de la Commune tout pénétré d'influences révolutionnaires ?

La gauche de la Convention était dans un embarras terrible. Elle voulait frapper la Gironde. Mais, s'il était déjà dangereux d'amputer la représentation nationale, combien cette mutilation était-elle plus périlleuse encore quand elle paraissait s'accomplir sous la menace de la rue soulevée ? Que resterait-il demain du privilège de la Convention, c'est-à-dire de l'autorité morale de la Révolution elle-même ? Levasseur a bien marqué dans ses Mémoires cette douleur inerte.

« Une sorte de stupeur régnait dans l'Assemblée ; nous-mêmes, membres de la Montagne, qui désirions mettre un terme à la domination de quelques collègues incapables de remplir leurs fonctions, nous-mêmes nous ne pouvions pas voir sans douleur les efforts de l'insurrection populaire contre le seul' corps constitué qui pût sauver la Patrie. Nul ne demandait la parole ; aucune délibération ne s'engageait... Hors cinq ou six hommes d'action, parmi lesquels ne se trouvait aucun ami de Danton, la Montagne partageait la consternation du côté droit. Le président Mallarmé avait quitté le fauteuil de lassitude et Hérault de Séchelles présidait silencieusement sur une Assemblée muette. »

Cependant Danton, préoccupé d'éviter tout excès de la force populaire et de sauvegarder, jusque dans l'acte d'amputation nécessaire, la dignité de la Convention, demande que le Comité de salut public recherche par quel ordre des soldats barrent les portes de la salle : « Vous pouvez compter, dit-il, sur le zèle du Comité de salut public pour venger vigoureusement la majesté nationale outragée en ce moment. »

L'officier Lesain, capitaine de la force armée de la section du Bon-Conseil, qui avait donné la consigne, est mandé à la barre, et soudain Barère conseille à la Convention de sortir de la salle et d'aller délibérer au milieu de la force armée, comme pour prendre conscience de sa propre liberté et pour l'attester au monde.

C'était, avec de grands airs de fierté, la démarche la plus frivole et la plus vaine. La force révolutionnaire armée qui enveloppait la Convention voulait que les Girondins fussent frappés. Pour prouver qu'elle était libre au milieu des baïonnettes, la Convention' aurait dû couvrir la Gironde ; ou ce que proposait Barère n'était qu'une parade, ou c'était le conflit violent, direct de la Convention avec les sections révolutionnaires armées.

Quelle revanche pour Vergniaud qui avait tenté vainement, le 31 mai, d'organiser cette sortie en masse de la Convention ! Il est malaisé de démêler, dans les Mémoires mêmes de Barère, le plan exact qu'il avait formé, ni même s'il avait un dessein très précis.

« Je monte à la tribune, bien résolu à périr ou à faire punir le commandant Henriot, qui appuyait de la force armée une telle violation de la représentation. Je m'élève contre cette violence publique, j'engage l'Assemblée à sortir et à aller se placer au-devant de cette artillerie sacrilège conduite par des scélérats. L'Assemblée s'émeut, s'indigne, elle est au moment de sortir. Alors Robespierre monte à la tribune et me dit à voix basse : « — Que faites-vous là ? Vous faites un beau gâchis. » Cette expression me dévoile la part que cet hypocrite prenait à tout cela, sans oser se montrer. « — Eh bien ! lui dis-je tout haut, le gâchis n'est point à la tribune, il est au Carrousel, il est là. » J'indiquai la place où étaient nos assassins ; et reprenant la parole, je tâchai d'exciter de nouveau la Convention à aller, par sa courageuse présence, neutraliser elle-même les efforts des factieux et les accuser en face. C'est alors que je tins le propos qui me fut si souvent reproché : « Je demande la punition exemplaire et instantanée de ce soldat insolent qui ose outrager et violer la représentation nationale. »

« Malheureusement, Hérault de Séchelles, dénué de caractère et obéissant à l'influente de Danton, était président à cette époque. — Non, mais comme ex-président il remplaçait Mallarmé épuisé.

« Il est cependant forcé de sortir et de se mettre à la tête des députés qui se précipitent pour affronter au Carrousel les batteries des canons de la Commune.

« Notre présence arrête le bras des canonniers qui avaient la mèche allumée. A ce moment, Héraut de Séchelles s'approche poliment de Henriot et lui demande, de la part de la Convention, le sujet de ce mouvement militaire. Henriot lui répond qu'il vient au nom du peuple de Paris demander l'arrestation et l'éloignement de trente-deux députés qui mettent un obstacle journalier aux délibérations de l'Assemblée et qui s'opposent au bien public. Pendant cette réponse, un aide de camp de Henriot, que j'ai vu s'approcher de Danton, lui parle à l'oreille ainsi qu'à Lacroix. J'ai entendu (ainsi qu'un de mes cousins, Hector B..., que le bruit des dangers avait fait accourir à côté de moi sur la place du Carrousel) :

« — C'est bien cela, cela va bien » et Danton serre la main à l'aide de camp. Alors Hérault dit que l'Assemblée voulait se séparer et que l'attroupement devait se dissiper. Marat survint, Marat cet atroce aide de camp de Danton ; il dit que l'Assemblée, pour prouver que sa liberté n'était pas violée, n'avait qu'à se promener dans les Tuileries. Les députés allèrent en masse vers les différentes grilles ou issues ; ils les trouvèrent garnies de troupes de Henriot, ayant défense de laisser sortir personne. Marat était triomphant et souriait comme le tigre qui va tomber sur sa proie. Il força, par ses cris, les députés à rentrer dans la salle ; et, dès lors, la liberté publique fut perdue. »

Je ne relève point tous les traits contre-révolutionnaires par lesquels Barère, en ses Mémoires, cherchait à désarmer les haines de la réaction. Je ne discute pas non plus les jugements si sévères portés sur le rôle et le caractère de Robespierre, de Danton, de Marat. Il avait double raison pour les calomnier. Il cherchait à se dégager de leurs « excès » et il se justifiait en même temps d'avoir sacrifié ou laissé sacrifier les grands révolutionnaires. Mais, en vérité, que se proposait-il par cette sortie ? et qu'en attendait-il ? Voulait-il simplement que la Convention fît preuve de sa liberté ? Mais il tallait alors périr plutôt que de rentrer aux Tuileries et de se laisser clore dans un cercle de fer. Pensait-il que la Convention pourrait dissiper l'attroupement et ajourner ensuite le débat au lendemain pour délibérer hors de toute menace ? C'était exaspérer la Révolution en l'ajournant. C'était aggraver et sans doute ensanglanter la crise en la prolongeant.

Il semble, à quelques traits d'un récit de Marat, que Barère aurait voulu entraîner la Convention assez loin, jusqu'au Champ-de-Mars : et de là peut-être elle se fût dispersée après avoir juré de ne pas permettre à la force insurrectionnelle de ne pas faire violence à ses décisions. Mais, alors la Convention devenait, sans le vouloir, un centre de modérantisme contre-révolutionnaire. Marat avait eu bien plus de sens politique en refusant d'abord de s'associer à cette sortie ou inutile, ou funeste, et en ramenant ensuite la Convention.

« On demande le général à la barre ; il ne se trouve pas ; plusieurs officiers paraissent et déclarent que ce ne sont pas eux qui ont donné les consignes. Le trouble augmente : on va, on vient, on court de tous côtés, on dit que tout est perdu, qu'une garde étrangère tient captive la Convention jusqu'à ce que le moment de l'égorger soit arrivé. Que les prétendus sages sont petits ! Ils s'étaient effrayés d'une poignée de sentinelles, armées de piques, qui gardaient les portes, qui ne permettaient à personne ni d'entrer, ni de sortir : mesure de prudence qu'avaient prise les meilleurs citoyens, pour empêcher que quelques députés de la faction ne fussent maltraités par quelques scélérats apostés. Au milieu du désordre on propose au président de sortir à la tête de la Convention ; il descend du fauteuil, presque tous les membres le suivent, il se présente à la porte de bronze ; à l'instant la garde ouvre le passage. Au lieu de revenir sur ses pas et de constater la fausseté des clameurs, il conduit la Convention en promenade dans les cours et dans le jardin. J'étais resté à mon poste avec une trentaine de Montagnards. Les tribunes, impatientes de ne pas voir revenir l'Assemblée, murmuraient hautement ; je les apaise ; je vole après la Convention ; je la trouve au pont tournant, d'où Barère proposait, dit-on, de la mener au Champ-de-Mars ; je la presse de revenir à son poste ; elle s'y rend et reprend ses fonctions. »

Le Marais avait pu voir que les sections révolutionnaires étaient résolues à en finir. Sur le passage de la Convention, le peuple avait crié : « Vive la République ! Sauvez-nous ! A bas les vingt-deux ! »

 

LE DÉCRET D'ARRESTATION DES CHEFS GIRONDINS

Ce n'était pas seulement contre les canons d'Henriot, c'est contre la Révolution elle-même qu'il aurait fallu lutter pour disputer plus longtemps la Gironde au destin. Couthon demanda que les députés dénoncés fussent mis en état d'arrestation chez eux, ainsi que les ministres Clavière et Lebrun. Il fut acclamé, et le décret immédiatement rendu frappa Vergniaud, Brissot, Guadet, Gorsas, Pétion, Salle, Chambon, Barbaroux, Buzot, Birotteau, Rabaut Saint-Etienne, Lasource, Lanjuinais, Grangeneuve, Lesage (d'Eure-et-Loir), Louvet (du Loiret), Valazé, Doulcet, Lidon, Lehardi (du Morbihan), et tous les membres de la Commission des Douze (sauf Fonfrède et Saint-Martin), et les ministres Clavière et Lebrun.

Aussitôt le Département de Paris, après avoir remercié l'Assemblée d'un vote qui est le salut de la Patrie, s'offre à constituer des otages pris dans son sein, en nombre égal à celui des députés arrêtes, et pour répondre à leurs départements de leur sûreté.

Non, ce n'était pas à la vie des Girondins que les révolutionnaires en voulaient. Vergniaud, en un de ces jours tragiques, s'était écrié : « Donnez donc à boire à Couthon un verre de sang ; il a soif ». Vergniaud se trompait, Couthon n'avait pas soif de sang. Mais, la Gironde était devenue un péril mortel pour la France révolutionnaire. Elle devait disparaître. Au 2 juin ; sa puissance politique s'effondre.