LE RÉCIT DES RÉVOLUTIONS
DE PARIS Le
pleutre Prudhomme, habile à couvrir d'une fausse sentimentalité les
combinaisons mercantiles ou les calculs de la peur, passe le mot d'ordre à
son journal de donner à toute la journée une couleur idyllique. Il ne
tiendrait qu'à lui que le 31 mai ne figurât pas au calendrier des
Révolutions, mais dans la douce série des fêtes printanières ; est-ce que par
hasard on n'aurait pas célébré ce jour-lit les charmes de Flore ? Et comme le
cœur de Paris se fondait de bonté ingénue dans cette lumière attendrissante ! « Quelle
leçon pour 200 législateurs, toujours divisés, que l'harmonie, la fraternité
qui régnaient au milieu de 300.000 citoyens ! et toute une journée s'est
passée dans l'attitude la plus fière, mais la plus calme, la plus sage ! On
demandait une fédération ; en est-il une plus parfaite ? et celle-ci n'a
point été préméditée, mendiée ; tous les patriotes se sont levés à la fois et
ont semblé dire aux calomniateurs : « Vile espèce, écris aux départements, va
leur dire que Paris est une ville de meurtre et de pillage, va leur répéter
que la représentation nationale court journellement des risques au sein de
cette ville, et que tôt ou tard nous nous serons teints du sang des
législateurs de la République. » O
doucereux Prudhomme, Prudhomme béat, Prudhomme paternel, relisez donc, avant
de parler de « la vile espèce de calomniateurs », votre perfide article
contre les comités révolutionnaires, votre article empoisonné. L'idylle
fleurie se déroule encore : « Ah
! plutôt que tous les départements n'ont-ils pu être les témoins de la
solennité du 31 mai ? car c'était une espèce de fête nationale. Que ne
peuvent-ils voir le peuple de Paris en masse, ils sauraient que s'il est
sensible aux outrages, il est grand, il est généreux ! Il sait immoler ses
ressentiments à ses droits et au salut de la Patrie. Qu'on l'abandonne à
lui-même, et il se respectera et fera respecter le dépôt précieux qu'il a en
garde. « La
journée du 31 mai est véritablement son ouvrage : et la sublimité de
l'ensemble de ce spectacle n'était due ni à la Convention ni aux autorités
constituées. Il ne fallut ni décret ni arrêté pour maintenir l'ordre. Les
choses ne se seraient pas si bien passées si la Convention et les autres
pouvoirs ne s'étaient pas contentés d'être les spectateurs de ce mouvement,
qui, produira son effet. Quand il ne ferait qu'imposer silence à la calomnie,
c'est déjà beaucoup. » Tocsin
des cloches ; grondement du canon d'alarme ; qu'était-ce que cela, sinon
l'accompagnement de la fête ? Mais, en cet effort de placidité, il y a encore
une perfidie. Prudhomme veut noyer les révolutionnaires dans un océan de
sérénité. « On
dit que la journée du 31 mai avait été préparée dans toute autre vue. On
parle d'anarchistes, de séditieux ; mais cette journée leur prouvera que leur
règne est passé. Les citoyens de Paris sont trop éclairés aujourd'hui pour
être d'humeur à s'entr'égorger pour le bon plaisir de telle ou telle faction
; une guerre civile devient de jour en jour plus impraticable. » LES RÉCITS DES JOURNAUX GIRONDINS La Chronique
de Paris donne une note apaisante : « La
journée était superbe et, comme vers midi il n'y avait eu aucun événement
sinistre, chacun se promenait riant librement, toutes les femmes étaient
assises tranquillement sur leurs portes pour voir passer l'insurrection,
aucun désordre n'a été commis ; il n'y a eu qu'un cul de fouetté dans les
tribunes de la Convention. » Pauvre
Théroigne ! comme on fait bon marché de son humiliation ! « ...
Toutes les sections se sont retirées tranquillement avec le jour. Paris a été
illuminé, mais très tranquille : hier (c'est-à-dire le 1er juin) tous les
ateliers ont recommencé leurs travaux et rien n'annonce que le calme doive
être troublé. » Le Patriote
français affecte d'abord l'optimisme et bientôt il laisse percer de
l'inquiétude : « On a décrété que toutes les sections de Paris avait
bien mérité de la Patrie. En effet, elles ont été constamment rassemblées en
armes, pendant toute la journée, et par leur ardeur, par leur vigilance
continue, elles ont prévenu de grands malheurs. Elles ont été en
insurrection contre la sédition. On avait prévenu les sections du
faubourg Saint-Antoine contre celles de la Butte-des-Moulins, de 1792, du
Mail, etc. ; on avait dit aux premières que celles-ci étaient en état de
contre-Révolution. Mais on s'est expliqué, on s'est éclairé, on s'est
embrassé, et il n'est resté aux amateurs de guerre civile que la honte et la
rage. » Voilà
ce que dit le numéro du 1er juin, mais, dès le numéro suivant, le jugement
porté sur la journée du 31 mai est plus sombre. Le Patriote montre la
Convention dominée par la Commune et par le Département de Paris, par
« cette administration nulle dont les convulsions sont les seules
marques d'existence... » Et il n'accepte qu'avec bien des réserves les
décrets rendus. « Alors
les décrets se succèdent avec rapidité ; il ne pouvait, il ne devait plus y
avoir de résistance ; nous sommes loin cependant d'improuver toutes les
dispositions qui ont été arrêtées, mais les bonnes se perdent dans la foule
des mauvaises. » Au
fond, les Girondins comprenaient bien que la journée était mauvaise pour eux.
Ils avaient été, malgré tout, à la merci de l'insurrection. Ils n'avaient
même pas osé demander (sauf par un discours de Guadet qui ne conclut pas et
qui n'eut pas de suite) que l'on traduisît à la barre ceux qui avaient fait
sonner le tocsin et tirer le canon d'alarme. Les décrets rendus ne se
bornaient pas à casser la Commission des Douze. Le Comité de salut public
était chargé d'inventorier tous les papiers de la Commission et d'en faire un
rapport dans un délai de trois jours. Ainsi, la Commission avait, dès lors,
la posture d'un coupable ou tout au moins d'un suspect. Qui sait, d'ailleurs,
si les révolutionnaires de l'Evêché, si les sectionnaires les plus ardents,
mal contenus par une Commune, plus qu'à demi complice, assurés maintenant de
l'impunité, ne vont pas reprendre leur tentative et la pousser plus loin ? Les
Girondins se sentaient si menacés que même les plus courageux d'entre eux ne
couchèrent point chez eux cette nuit-là. Pétion, qui avait un sang-froid
admirable, mais qui cédait à l'évidence du péril, raconte tristement : « Lorsque
je sortis de l'Assemblée, je m'aperçus que, loin d'avoir renoncé à leurs
projets, les groupes menaçants (qu'il avait traversés le matin) les suivaient
avec la plus grande activité. Je fus prendre un gîte dans un hôtel garni rue
Jean-Jacques-Rousseau. Le mari, bon patriote et capitaine de la garde
nationale, était persécuté par les maratistes. Il était, dans ce moment, à
subir un interrogatoire, et sa femme craignait beaucoup qu'on ne le mît en
état d'arrestation. » LA DÉCEPTION DES ENRAGÉS - LEUR ACTION A LA COMMUNE Chez
les révolutionnaires les plus véhéments de l'Evêché et de la Commune il y
avait un mélange de déception et d'ardeur. Non, le coup décisif n'avait pas
été porté, mais on recommencera, et cette fois on n'écoutera pas les conseils
des timides. Dans la séance de la Commune, avant même que la Convention se
sépare, et quand il commence à apparaître que le mouvement n'aboutit qu'à
peine, des récriminations s'élèvent. Pourquoi la municipalité a-t-elle été
aussi hésitante et aussi faible ? « Un
citoyen monte à la tribune et propose de prendre les mesures les plus
promptes et les plus sûres, de ne pas consumer en longs discours (cela était
dit pour Chaumette) un temps qui ne doit être employé qu'en action. Le
procureur de la Commune, en applaudissant au zèle et au patriotisme de
l'orateur, observe qu'il faut joindre la prudence à la grandeur des mesures ;
que les aristocrates ne demanderaient pas mieux de voir les citoyens de Paris
dirigés en sens contraire, s'agiter tumultueusement sans savoir où ils vont
ni où ils tendent. « Le
préopinant insiste sur les mesures qu'il a proposées, accuse de faiblesse le
procureur de la Commune et s'offre pour présider le Conseil et diriger les
opérations révolutionnaires. » Quelle
que fût l'audace, audace d'action ou audace de vanité, de l'orateur inconnu,
il fallait que le crédit révolutionnaire des dirigeants officiels de la
Commune fût largement atteint par l'insuccès à peu près constaté de la
journée pour qu'une proposition pareille pût se produire. « Le
substitut du procureur de la Commune (Hébert sans doute) prend la parole, et
parlant dans le même sens que le citoyen Chaumette, il invite les citoyens à
se rendre dans leurs sections et à y exposer ingénument les raisons qui
ont fait manquer cette grande journée. Il accuse l'impétuosité des personnes
qui en ont médité le plan ; il pense qu'il serait temps d'exécuter demain ce
que l'on se proposait d'exécuter aujourd'hui. » La
Commune, assez fortement assaillie, dégageait sa responsabilité. Elle
accusait l'Evêché d'avoir agi avec trop fie hâte, c'est-à-dire sans doute
d'avoir sonné le tocsin et le canon d'alarme avant d'être assuré que le vaste
écho des sections répondrait. Au demeurant, Hébert s'engageait et engageait
la Commune, pour le lendemain. « Non, tout de suite, » s'écrient des
impatients, qui ne s'aperçoivent pas qu'il est aussi impossible de ramener au
plus haut niveau révolutionnaire cette journée qui décline que de ramener au
zénith le soleil qui s'abaisse. « Un
citoyen, à qui ces mesures paraissent pusillanimes, offre de se mettre à la
tête des bataillons de paris et de se porter à la Convention. » Devant
la brutalité du plan, la Commune eut une révolte : « Le
Conseil général témoigne toute son indignation, toute son horreur pour une
telle proposition. Le citoyen qui en est l'auteur est invité à se rendre au
bureau pour y déclarer son nom, sa qualité et sa profession. Il répond aux
diverses interpellations qui lui sont faites, et demande à être entendu
jusqu'à la fin de sa motion. Il assure qu'il n'avait d'autre intention que de
faire mettre en arrestation les membres soupçonnés de la Convention, pour les
livrer ensuite à leurs départements qui en feraient justice. Le Conseil,
attribuant à l'ignorance et au défaut d'expérience le discours du préopinant,
croit ne devoir donner aucune suite à cette affaire. » Mais
quelle suite eût-il pu lui donner ? Et comment aurait-il pu châtier un homme
qui ne faisait que préciser le but réel de l'insurrection ? « Le
maire prend la parole à cette occasion. Il fait connaître que le peuple de
Paris sait distinguer ses vrais amis des énergumènes et des imbéciles qui
cherchent à l'égarer, et qui veulent l'engager dans de fausses démarches. Il
prouve surtout que les mesures que vient de proposer le préopinant
détacheraient à jamais Paris des départements et amèneraient la guerre
civile. » Quel
jeu jouait donc la Commune ? et d'où venait cette sévérité subite pour un
plan que déjà le maire, au nom des sections, avait soumis en avril à la
Convention ? Croyait-elle la partie perdue pour le moment et jugeait-elle
prudent de se taire ? Ou bien voulait-elle, si le peuple se portait à la
Convention et imposait l'arrestation des Girondins déjà dénoncés, que le
mouvement fût spontané et qu'il émanât directement du peuple même ?
L'expérience pourtant venait de démontrer que sans une impulsion vigoureuse
et une direction certaine et centralisée le peuple ne marcherait pas, et la
Révolution, comme un chariot grinçant et discordant, s'attarderait dans
l'ornière. Mais,
plus le Conseil de la Commune se dérobe, plus les hommes d'action le
pressent. Il essaie en vain de les apaiser en rééditant des mesures
révolutionnaires vagues et dilatoires, qui ne répondent pas aux nécessités
immédiates de la crise. Qu'importe qu'il arrête que le lendemain « dans le
jour, tous les citoyens suspects seront désarmés, et leurs armes remises aux
patriotes qui n'en ont pas », si ces patriotes ne sont pas admis à s'en
servir, s'ils ne peuvent arracher à la Convention, par la menace, la mise en
jugement des traîtres ? Qu'importe encore que le Conseil décide « que
l'emprunt forcé sera requis conformément au mode précédemment indiqué par la
Commune ; que le produit de cet emprunt sera employé en secours pour les
veuves, pères, mères, épouses et enfants des soldats citoyens qui servent la
patrie dans nos armées, ainsi qu'à la fabrication d'armes et à la paie des
citoyens qui formeront la garde soldée révolutionnaire de Paris » ? Oui,
qu'importe tout cela ? C'est le mensonge d'une philanthropie dilatoire qui
ruse avec le devoir présent, le devoir révolutionnaire. La Commune, en
s'agitant ainsi dans le vide, ne donne le change à personne et va se
déconsidérer. C'est cette minute que choisit Jacques Roux pour reparaître
avec le projet d'une nouvelle adresse à la Convention ; sans aucun doute une
adresse politico-sociale, où la question du droit à la vie était posée de
nouveau. Le
prêtre têtu savourait sans doute l'humiliation de la Commune impuissante et
son embarras, il éprouvait une joie orgueilleuse et âpre à répéter ses
formules devant son adversaire d'hier affaibli et abaissé, comme il eût
récité auprès d'un agonisant des litanies amères, toutes pleines de la saveur
de la mort. Et l'assaut contre la Commune officielle redoublait. « Un
jeune citoyen monte à la tribune et propose les mesures les plus violentes.
Le Conseil invite ce jeune imprudent à se retirer. Il s'obstine à vouloir
parler ; mais enfin, cédant aux observations du ci-devant président Dobsen,
et repoussé par l'indignation que lui manifeste le Conseil, il se retire de
la tribune. » Cependant,
les délégués des communes voisines de Bercy, de Sèvres, de Drancy, du Bourget
viennent promettre de s'associer au mouvement de Paris. Lequel, si Paris
reste couché ? Aussi les motions décisives se renouvellent. « Un membre
demande que les membres de la Convention, dénoncés à l'opinion publique,
soient mis en arrestation. » Si ce n'était pas le programme de la journée,
quel sens avait-elle donc ? Et comment le Conseil de la Commune pourra-t-il
désavouer ce que tout à l'heure, au nom de toutes les autorités constituées
de Paris et du Département, demandait Lullier, ce que demandait aussi
Robespierre ? Mais Chaumette a perdu pied. « Le
procureur de la Commune s'élève avec indignation contre cette proposition
représentée pour la troisième fois. Il dit que si quelqu'un ose encore la
renouveler, il le-dénoncera à ce même peuple qui applaudit sans savoir qu'il
applaudit à sa ruine. » La
Commune va-t-elle donc se jeter entre la Révolution et la Gironde ? Va-t-elle
couvrir celle-ci ? Un moment on put le croire, tant elle paraissait fléchir
sous le poids de cette journée, dont le vide était accablant. « Un
membre propose d'afficher à la porte de la salle l'improbation formelle de
toute proposition tendant à violer la représentation nationale. » Oui,
voilà les vingt-deux sous la protection officielle de la Commune. Celle-ci
pourtant s'effraya de son glissement et elle éluda la motion décisive : « L'on
observe que cette improbation est dans les cœurs, que les citoyens et les
autorités constituées de Paris sont trop pénétrés de leur devoir pour avoir
besoin d'en être avertis. » Ce
n'est pas pour la Commune une heure glorieuse : elle est toute de
défaillance, de fausse agitation, d'impuissance systématique et d'hypocrisie.
Mais qui ne sent qu'elle va être débordée, soulevée ? La
manœuvre de Vergniaud félicitant les sections avait d'abord surpris : les
commissaires de la Commune, chargés de correspondre avec la Convention
nationale, quand ils écrivirent au Conseil dans l'après-midi lui dirent : « C'est
sur la proposition de Vergniaud, ce qui vous étonnera peut-être. » Et
qui sait si elle n'avait pas contribué un peu à cette détente, à ce
fléchissement du Conseil général de la Commune ? Mais, à la réflexion, les
révolutionnaires d'action comprirent le parti qu'ils en pouvaient tirer. Les
sections glorifiées, la force populaire félicitée : c'était, sous des formes
suspectes, une capitulation essentielle de la Gironde. L'ennemi avait donc
peur : il fallait le pousser à fond. Levasseur, dont les impressions sont si
nettes, assure que pour la Montagne ce fut un triomphe. « Le Marais abandonnait
la Gironde, ou plutôt les Girondins s'abandonnaient eux-mêmes ; car en
présence des bataillons armés contre eux, au son du tocsin, du canon d'alarme
et de la générale, Vergniaud proposa de déclarer que les sections de Paris
avaient bien mérité de la patrie. On pense bien que cette motion inexplicable
de sa part fut accueillie de notre côté avec joie ; la Commune elle-même en
triompha ; il lui était prouvé par ce seul fait que ses adversaires n'avaient
ni la volonté ni le front de combattre. » LA SÉANCE DES JACOBINS Aux
Jacobins, le soir, la journée fut jugée d'une vue plus nette et d'un cœur
plus ferme qu'à la Commune. Les députés qui se rendaient parmi eux au sortir
de la Convention avaient vu la bataille de son centre même : ils dominaient
l'horizon de plus haut que la Commune qui était restée en quelque sorte tout
le jour dans un pli de terrain, attendant des nouvelles et n'agissant pas.
Pourtant les Jacobins non plus ne conclurent point. Ils virent bien ce qu'il
y avait de dangereux et de captieux dans la manœuvre de Vergniaud : c'était
l'appel au peuple vaste et diffus, appesanti encore par bien des instincts de
'servitude et des préjugés conservateurs, contre les comités
révolutionnaires, contre les groupes agissants et résolus. Guadet n'avait-il
pas déjà exprimé sa confiance dans les présidents des sections ? Boissel
signala le péril : « Il
faut que les sections se constituent en sociétés populaires : elles ne
doivent pas se mêler des affaires publiques ; autrement elles rendraient tout
à fait inutiles toutes les mesures révolutionnaires que les représentants
décréteraient. Il ne faut pas que ces mesures soient entravées par les
ennemis de la chose publique. Les sections, en un mot, ne doivent que
surveiller, et s'occuper uniquement du discernement des personnes suspectes.
» Qu'est-ce
à dire ? C'est que les plus ardents de la Montagne redoutent l'intervention
contre-révolutionnaire d'un peuple encore mal éduqué. Si les sections restent
souveraines ou le deviennent, elles pourront briser ou amortir le mouvement.
Les correspondances de Marseille (Journal de la Montagne du 1er
juin) ne font-elles
pas connaître que là « on a profité de l'absence de nos braves sans-culottes
qui sont allés exposer leur vie contre les ennemis de la République, pour
établir à Marseille un système qui tend à les opprimer » et que « tous les
riches, tous les gros capitalistes, trop lâches pour prendre les armes et
même pour parler expressément des sans-culottes, se sont emparés des sections
et y dominent avec insolence » ? Ne sait-on pas que « dans ces fausses
sections, où 1a voix du peuple est étouffée, on vomit des horreurs contre la
Montagne, contre les Jacobins de Paris, contre toutes les sociétés qui
professent les principes du pur républicanisme » ? De même
les « fausses sections » de Paris, stipendiées par les aristocrates,
pouvaient devenir dangereuses : elles répondraient, si on n'y prenait garde,
à l'appel insidieux de la Gironde. L'implicite conclusion révolutionnaire de
Boissel, c'est qu'il faut moins compter sur la force diffuse et incertaine du
peuple que sur les comités d'action vigoureux et reliés les uns aux autres.
Au fond, il proclame la faillite de la tactique confiante et abandonnée du 31
mai, et propose, pour un jour prochain, une tactique plus concentrée et plus
efficace. C'est
dans le même sens qu'insiste un autre citoyen : « Le
citoyen Mittié vous a dit que la peur avait fait faire une bonne action à
Vergniaud ; moi je le regarde comme un remerciement aux aristocrates d'avoir empêché
les patriotes de donner à leur insurrection le caractère qu'elle devait
avoir. » LA FÊTE-DIEU DE 1793 Qu'attendre
de net et de vigoureux, à moins qu'on ne l'organise et qu'on ne l'entraîne,
d'un peuple asservi encore à toutes les superstitions du passé ? Un militaire
s'indigne de l'attitude de Paris à la Fête-Dieu. La veille, 30 mai, dans son
bulletin de police, Dutard avait écrit à Garat : « J'arrive
dans la rue Saint-Martin, près de la rue Saint-Merri, j'entends un tambour et
j'aperçois une bannière. Déjà, dans toute cette rue, on savait que Saint-Leu
allait sortir en procession. J'accours au-devant. Tout y était modeste. Une
douzaine de prêtres, à la tête desquels était un vieillard respectable, le
doyen, qui portait le rayon sous le dais. Un suisse de bonne mine précédait
le cortège ; une force armée de douze volontaires à peu près sur deux rangs,
devant et derrière ; une populace assez nombreuse suivait dévotement. Tout le
long de la rue, tout le monde s'est prosterné ; je n'ai pas vu un seul homme
qui n'ait ôté son chapeau. En passant devant le corps de garde de la section
Bon-Conseil, toute la force armée s'est mise sous les armes. « J'étais
chez un marchand au milieu des Halles juste un moment après. Le tambour qui
précédait et ceux qui suivaient ont annoncé la procession. Ah ! quel a été
l'embarras de toutes nos citoyennes de la Halle ! Elles se sont concertées à
l'instant pour examiner s'il n'y aurait pas de moyen de tapisser avant que la
procession ne passe. Quand on ne mettrait qu'un drap, chacune aurait
volontiers mis son tablier ; une partie se sont prosternées d'avance à
genoux, et enfin, lorsque le Dieu a passé, toutes à peu près se sont
prosternées à genoux ; les hommes en ont fait de même. Des marchands se sont
mis à rôder devant. Chez eux, d'autres ont tiré des coups de fusil : plus de
cent coups ont été tirés. Tout le monde approuvait la cérémonie, et aucun que
j'aie entendu ne l'a désapprouvée. C'est un tableau bien frappant que
celui-là. La présence d'un Dieu de paix, de notre ancien maître qui n'a pas
cessé de l'être, a porté la consternation dans tous les esprits. « C'est
là que l'observateur a pu dessiner les physionomies, images parlantes des
impressions qui se sont faites si vivement sentir au fond de l'âme de chacun
des assistants. « J'y
ai vu le repentir, j'y ai vu le parallèle que chacun fait forcément de l'état
actuel des choses avec celui d'autrefois ; j'y ai vu la privation
qu'éprouvait le peuple par l'abolition d'une cérémonie qui fut jadis la plus
belle de l'Eglise. J'y ai vu les regrets sur la perte des profits que cette
fête et d'autres valaient à des milliers d'ouvriers. Le peuple de tous les
rangs, de tous les âges, est resté honteux, silencieux, abattu... quelques
personnes avaient les larmes aux yeux. Les prêtres et le cortège m'ont paru
fort contents de l'accueil qu'on leur fit. » C'est
précisément de cet accueil que s'inquiète et s'indigne aux Jacobins un
militaire véhément : « Il y a trente-six heures que je devais partir, et j'ai
retardé mon voyage parce que le canon d'alarme devait tirer il y a huit
jours. J'ai vu avec indignation que hier la garde nationale escortait enclore
le Saint-Sacrement. » Voilà
le germe révolutionnaire de l'hébertisme. Ne faudra-t-il pas lutter contre
cette réaction sentimentale qui alanguit la force du peuple ? Voilà aussi le
signal de l'action ramassée et dictatoriale qui va se substituer, le 2 juin,
à la molle entreprise du 31 mai. Car les Jacobins sont résolus à aller
jusqu'au bout. La Commission des Douze est cassée : « Mais fallait-il donc
attendre jusqu'à ce jour pour détruire le monument le plus caractéristique du
despotisme ? Vous n'avez pu arracher que ce soir ce décret salutaire. Ne
nous reposons pas. Lâches ennemis, renoncez à votre espoir, il est
chimérique et la constance de la liberté est telle qu'elle triomphera de tous
vos efforts. « ...
Hébert vous a dit que les membres du Comité dictatorial étaient hors la lor
et qu'on pouvait courir sus. Je dis que tous les citoyens doivent poursuivre
et ces dictateurs et les vingt-deux députés indignes de la confiance du
peuple, et je pense que le peuple ne doit pas cesser d'être debout tant que
les vingt-deux n'auront pas porté la peine due à leurs crimes. » BILLAUD VARENNE RÉCLAME L'ACHÈVEMENT DE L'INSURRECTION Mais
voici le dur et soupçonneux Billaud Varenne. Il dit âprement son mécompte ;
il accuse presque de faiblesse ou tout au moins d'illusion la Montagne qui
n'a pas poussé sa victoire ; et comme si son esprit inquiet cherchait de tous
côtés des périls et des ombrages, en même temps qu'il appelle au combat
contre la Gironde, il dénonce aux Jacobins un mot imprudent de Marat : « J'arrive
de la Convention ; la séance vient de se lever. On a décrété le projet qui
avait été proposé par le Comité de salut public ; la Montagne, qui a lutté
toute la journée, s'est contentée de ce triomphe (la cassation des Douze).
Moi, je pense, d'après l'audace des conspirateurs, que la Patrie n'est pas
sauvée. Certes, il y avait de grandes mesures de salut public à prendre, et
c'est aujourd'hui qu'il fallait porter les derniers coups à la faction. Je ne
conçois pas comment les patriotes ont pu quitter leur poste sans avoir
décrété d'accusation les ministres Lebrun et Clavière. C'est contre les
contre-révolutionnaires du côté droit qu'est dirigée l'insurrection ; elle ne
doit conséquemment cesser que quand ils seront tous anéantis. » A
s'arrêter à mi-chemin, on n'aura que la charge des événements sans le
bénéfice. Les Girondins calomnieront tant qu'ils ne seront pas détruits, et
la journée, qui les menaça sans les frapper, va grossir leurs litanies
calomnieuses. « Ne
nous dissimulons pas que le mouvement qui vient d'avoir lieu à Paris va
tourner contre nous dans les départements. On a envoyé dans les départements
des courriers extraordinaires pour annoncer qu'on égorgeait les députés. » Et il
ajoute soudain, comme pour accumuler les nuées sombres sur l'horizon et
défier toutes les menaces de tyrannie en quelque point qu'elles se forment : « Je
déclaré ici que j'ai entendu dire à un membre de la Montagne que le temps
était venu où la Nation devait choisir un chef. Je déclare aux Jacobins, je
déclare à l'univers que, je ne veux courber ma tête sous aucun chef, et je
demande que tout homme qui osera faire cette proposition soit puni dans les
vingt-quatre heures. » Billaud
Varenne craignait-il vraiment que Marat prétendit à la dictature ?
Visiblement, c'est l'impuissance de cette journée anarchique et chaotique où
la force du peuple avait flotté à l'aventure qui avait arraché à Marat, une
fois de plus, son éternel refrain sur la nécessaire unité d'action. Mais
Billaud Varenne revenait à l'objet immédiat de la lutte : « J'ai
entendu dire, conclut-il, à des hommes faibles que c'était une trop forte
mesure d'arrêter trente-deux députés. Je déclare que nous ne devons point
transiger avec la tyrannie. Paris doit rester debout. Il faut, comme Brutus,
se poignarder quand la liberté est perdue ou s'ensevelir sous ses ruines. » Chabot
insiste, mais il note en même temps que Danton manque de vigueur : « Le
peuple restera debout jusqu'à ce que les égoïstes aient baisé la poussière du
sans-culottisme. Cependant j'ai une inquiétude : Danton a perdu de son
énergie depuis qu'on a cassé la Commission des Douze. Cette Commission était
un instrument dans la main des intrigants. Elle n'agissait pas par elle-même
: c'est la faction qui la dirigeait. Le peuple s'est insurgé contre cette
faction, et il ne s'arrêtera pas que cette faction ne soit terrassée. » Que
d'étranges pressentiments s'éveillent au cœur ! La lutte contre la Gironde
n'est pas terminée, et déjà les sombres soupçons de Billaud Varenne, les
réserves de Chabot présagent d'autres déchirements et d'autres combats. La
méfiance de Billaud Varenne contre quiconque veut être chef aboutira un jour
à frapper, non Marat, mais Robespierre. Les factions de Chabot et de Danton
se dévoreront l'une l'autre. Appelez les sorcières de Shakespeare, de celui
que Brissot appelait « l'Eschyle anglais », près de la chaudière où la
fatalité remue tant d'éléments humains, tant de passions, de générosités et
de haines : penchées sur cette confusion ardente et sombre, elles verront
s'élever une vapeur de sang. Mais,
les Jacobins, même quand ils étaient le plus résolus, discutaient,
préparaient, formulaient : ils n'agissaient pas. Le commandant provisoire
Henriot les avait invités à communiquer avec lui, ils avaient nommé des
commissaires à cet effet ; mais ils n'avaient pas donné le mot d'ordre que
Henriot attendait sans doute pour le lendemain. Et, après s'être déclarés en
permanence, ils avaient levé la séance. Pourtant
une grande confiance était en eux, et une certitude de l'avenir. L'indice le
plus décisif peut-être, c'est que les Jacobins inaugurent, le 1er juin même,
leur organe officiel, le Journal de la Montagne. Pour la première fois, la
Montagne avait un organe ; par le titre seul, elle s'annonçait à la France
dans son unité et dans sa force. L'épigraphe était faite du mot d'Hérault de
Séchelles, présidant la Convention : « La force de la raison et la force du
peuple ne font qu'un. » Ce n'était pas la révolte de misère qui éclate dans
l'épigraphe du journal de Marat. C'était l'affirmation doctrinaire et
solennelle que la Révolution ne pouvait aboutir que par la grande énergie
populaire soumise à la discipline des principes. C'est par ce mot qu'Hérault
avait consacré et légitimé la sommation du peuple à la Convention contre les
Girondins. Ainsi cette seule épigraphe était tout un programme d'action
révolutionnaire un peu formaliste et guindée, mais vigoureuse et décisive. Ni
Robespierre ni Marat n'avaient paru ce soir-là aux Jacobins. Marat y allait
peu : il trouvait qu'on y parlait trop, et d'ailleurs, épuisé par la
maladie, il suffisait à peine à la Convention et à son journal. Robespierre
fut-il, ce soir-là, écrasé de fatigue ? Après une séance de douze heures, et
où il avait lutté, c'est possible. J'imagine pourtant qu'il n'était point
fâché de n'avoir pas à donner, à cette minute, des conseils trop précis. LE JUGEMENT DE MARAT SUR LA JOURNÉE DU 31 MAI C'est
seulement dans le numéro du 5 juin que Marat donne ses impressions sur la
journée du 31 mai : « Le
Comité de salut public, quoique composé d'hommes instruits et bien
intentionnés, avait très mal jugé des mouvements populaires qui avaient lieu
le 31 mai. La journée s'était passée sans orage, malgré que le tocsin eût
sonné toute la nuit, et que le peuple eût été tout le jour sous les armes. « La
Convention avait été plus agitée que la ville. La faction des hommes d'Etat,
tremblotante, cherchait à se rassurer et à donner le change sur les causes de
l'insurrection, et la séance entière avait été employée à entendre les
autorités constituées appelées à la barre. Le ministre de l'Intérieur avait
démontré jusqu'à conviction la fausseté du prétendu complot tramé contre les
appelants ; le maire avait fait voir que les auteurs du rassemblement de la
force armée autour du Sénat étaient ces mêmes hommes d'Etat qui s'étaient si
fort récriés contre cette mesure audacieuse, car elle était composée des
bataillons de ces mêmes sections aristocratiques qui avaient dénoncé ce
prétendu complot. — Marat, dont la tête lassée par un travail constant
s'obscurcissait parfois, confond ici, pour le ministre de l'Intérieur et pour
le maire, la journée du 27 mai et celle du 31 ; de même, quand Guadet
proposait que la Convention se réunît à Bourges, il avait entendu Tours,
alors menacé par les Vendéens, et il avait bâti là-dessus tout un système. —
Enfin le Département avait prouvé que les mouvements populaires de la journée
n'avaient d'autre cause que l'indignation excitée par les arrestations
arbitraires de la Commission des Douze, les calomnies atroces répandues
depuis si longtemps contre Paris, les vues horribles que laissait entrevoir
le discours d'Isnard, les nouvelles trahisons de quelques généraux, et la
poursuite des desseins sinistres des meneurs de la faction. « Ces
meneurs, qui voulaient consommer leur trahison dans les ténèbres, et qui ne
redoutent rien tant au monde que l'insurrection du peuple, demandaient, par
l'organe de Valazé, que le commandant provisoire de l'armée parisienne fût
traduit à la barre et puni de mort pour avoir ordonné de tirer le canon
d'alarme, proposition qui fut couverte de huées. Plusieurs membres avancent
divers avis. Thuriot, Jeanbon Saint-André, Drouet et plusieurs autres
renouvellent la demande que j'avais faite dans la matinée, de supprimer la
Commission des Douze, de casser tous les ordres émanés d'elle, et de mettre
en liberté les citoyens qu'elle avait incarcérés. Ces propositions sont
décrétées. Ainsi s'en alla en fumée l'insurrection d'une ville immense ; mais
le feu couvait scias ici cendre. » L'ACTION DU COMITÉ RÉVOLUTIONNAIRE C'est
le Comité révolutionnaire de l'Evêché qui l'attisa. Tout de suite, à l'heure
même où la Commune se perdait en vagues propos, il avait formé son plan.
Devant le Conseil général de la Commune, renforcé de dix membres du
Directoire du Département, un délégué de la Commission révolutionnaire fait
son rapport (vers dix heures du soir) sur les mesures qu'elle a prises : « Il
divise ces mesures en deux espèces : les mesures cachées et les mesures qui
peuvent être rendues publiques. Il entre dans le détail de ces dernières,
parmi lesquelles se trouve la mesure d'arrestation de toutes les personnes
qui ont donné lieu au mouvement contre-révolutionnaire de ces derniers temps.
» Comme
pour ouvrir la voie à la Convention et l'entraîner par la force du fait
accompli, le Comité révolutionnaire ordonne dans la nuit qu'on arrête Roland
; il n'était point à son domicile. Mais, le matin, vers sept heures, Mme
Roland est arrêtée et conduite à l'Abbaye. C'était signifier à la Convention
que, si elle ne procédait pas en bloc à l'arrestation des Girondins dénoncés,
la Révolution parisienne saurait mettre la main sur eux. Le Comité préparait,
dès le matin du 1er juin, un appel aux quarante-huit sections, appel
encourageant et habile, qui prenait acte de tous les résultats obtenus la
veille et affirmait la volonté d'aller jusqu'au bout : « Citoyens,
vous étiez sur les bords de l'abîme, entourés d'ennemis puissants au dehors
et de conspirateurs audacieux au dedans. C'en était fait de la liberté si
vous ne vous fussiez levés. Une conjuration ourdie au sein de la Convention
menaçait les plus fermes patriotes et les magistrats les plus chéris du
peuple. Dans ce danger, les commissaires que vous avez investis de vos
pouvoirs et de votre confiance, voulant sauver la patrie, se sont hâtés de
prendre les mesures extraordinaires que commandait l'intérêt de la liberté.
Ils ont assuré la fidélité de la correspondance publique. Ils ont porté à vos
délégués vos justes plaintes, vos réclamations pressantes, et demandé la
punition des traîtres que la Convention recèle dans son sein. Ils ont ordonné
l'arrestation de tous les gens suspects qui se cachent dans les sections de
Paris. Cette arrestation s'effectue en ce moment de toutes parts. « Vos
commissaires ont en outre concerté le projet de formation d'une armée
révolutionnaire de vingt mille hommes pour garder et défendre Paris. Cette
armée sera entretenue par une contribution prise sur les riches, et
principalement sur ceux reconnus pour leur incivisme. « Déjà
nous avons obtenu un premier succès : la Convention a cassé la Commission
inquisitoriale des Douze et renvoyé à l'examen d'un comité l'examen de la
conduite coupable de ses membres. Un autre décret confirme l'arrêté de la
Commune qui accorde quarante sous par jour aux ouvriers qui seront requis de
prendre les armes dans ces jours de crise... Enfin, la Convention a déclaré
que les sections ont bien mérité de la Patrie. Par ce qu'elle a fait hier,
nous attendons ce qu'elle va faire aujourd'hui. Citoyens, restez debout, les
dangers de la Patrie vous en font une loi. » Cet
appel fut jugé trop modéré, et ajourné. C'est une action immédiate et forte
que voulait l'Evêché. Le plan
du Comité révolutionnaire était de revenir à la charge Le jour même, de peser
de nouveau sur la Convention ; les autorités constituées lui soumettraient
une pétition énergique demandant l'arrestation et la mise en jugement des
chefs girondins, et la Convention, lassée, vaincue par cette insistance du
peuple, céderait, sans qu'il y eût une goutte de sang versé. Aussi bien, pour
agir plus fortement sur elle, le commandant Henriot saurait l'envelopper de
bataillons dévoués à la Révolution ; on ne permettrait pas aux sectionnaires
modérés d'approcher de la Convention ; c'est là sans doute « la mesure
secrète » que les délégués de l'Evêché ne voulaient pas communiquer
publiquement à la Commune. Et c'est par là aussi que tout bas Hébert et
Dobsen répondaient aux récriminations de Varlet dénonçant la mollesse de la
Commune. LE RAPPORT DE BARÈRE SUR LE 31 MAI Cependant
la Convention entendait un optimiste rapport (le Barère, expliquant aux
départements que la journée du 31 niai n'avait été que douceur fraternelle.
Il fallait qu'en tombant la Gironde fît le moins de bruit possible, et Barère
ouatait la chute. La Convention adopta l'adresse, malgré les réclamations de
Lasource et de Vergniaud, qui craignaient que la Gironde fût engloutie
silencieusement et sans que personne s'en doutât. L'Assemblée, épuisée sans
doute des émotions de la veille, ne prolongea pas sa séance : elle se sépara
vers cinq heures, c'est-à-dire au moment même où la Commune venait de décider
qu'une adresse menaçante lui serait portée. Est-ce que la Convention se
jouait du peuple ? Faudrait-il que les sections révolutionnaires se portent
au domicile des députés coupables, au lieu d'obtenir de la Convention justice
légale ? Le
Comité de salut public, sans doute sous l'influence de Danton, décida que la
Convention serait convoquée d'urgence le soir même. C'était proclamer
officiellement la force de l'insurrection, qui ne consentait pas à attendre,
et qui assignait elle-même un rendez-vous impérieux à ceux qu'elle voulait
contraindre. Pache et Marat, sortant ensemble du Comité de salut public,
coururent à la Commune pour lui expliquer l'état des choses et prévenir un
mouvement convulsif. « Je
sors, dit le maire, du Comité de salut public, où j'ai été invité à me
rendre. Je l'ai trouvé dans les meilleures dispositions. Il témoigne d'une
manière non équivoque le désir du bon ordre et de l'ensemble qui doit
présider à toutes les démarches du peuple souverain auprès de ses
représentants. Marat, qui en a été le témoin, vous attestera le même fait. « En
effet, quelle est la situation des choses ? Nous voulons présenter
aujourd'hui à la Convention une adresse dont le succès intéresse la
République entière. Le peuple de Paris, attentif, apprend que la Convention a
levé la séance. Il était à craindre que ce contretemps ne donnât lieu à
quelques excès de la part de ceux qui se voyaient frustrés ; mais le Comité
de salut public a convoqué pour ce soir tous les membres de la Convention
pour mesures urgentes. Nous pouvons donc présenter aujourd'hui notre adresse,
et Marat, qui s'est rendu avec moi dans votre sein, se propose de vous donner
un conseil dans cette circonstance. » C'était
bien la politique de Pache qui triomphait : assurer le succès de la
Révolution en évitant les chocs trop violents ; éliminer la Gironde sans
brutalité, sans effusion de sang, avec une sorte de régularité apparente qui
ménage la susceptibilité des départements, et épargner à la France menacée au
dedans et au dehors les convulsions funestes de la guerre civile. L'ACTION DE MARAT AU 1ER
JUIN Marat
abondait dans cette politique de vigueur et de sagesse, et il était pour
Pache, en ces heures difficiles, un allié tout à fait sûr. Lui-même a conté
comment il avait, au juin, tracé le plan politique, désavouant à la fois la
tiède rhétorique de Barère qui ne pouvait qu'endormir les esprits, et
l'impatience meurtrière des Enragés. Il fut, en cette journée du 1er juin, le
vrai chef du peuple. Il a dit, sans forfanterie, ce que fut son rôle à la
Convention, dans la rue, au Comité de salut public, à la Commune. « La
proclamation de Barère, adoptée avec quelques légères modifications, porte
l'éloge de l'attitude fière et calme qu'ont déployée les Parisiens, la
déclaration qu'ils ont bien mérité de la Patrie, et la proposition d'une
nouvelle fédération le 14 juillet prochain. — Non, le 10 août. Marat, très
énervé, n'avait plus une grande sûreté de mémoire. « Je
m'approche de Barère pour lui dire que ces mesures sont insuffisantes, que le
calme dont il loue les Parisiens n'est qu'un assoupissement momentané, que le
seul moyen de rétablir la tranquillité à Paris est la justice éclatante faite
des traîtres de la Convention. Il repoussa mes observations avec un sourire
moqueur ; on connaît ses principes de modérantisme et ses petits expédients :
le moyen d'en être surpris ! « Je
sors pour porter diverses affaires importantes au Comité de sûreté générale,
prévoyant trop qu'on ne prendrait aucune grande mesure à la Convention. De
là, je me rends chez un citoyen pour avoir des renseignements sur plusieurs
meneurs aristocratiques de la section de la Butte-des-Moulins. A mon retour,
je trouve grand rassemblement dans la rue Saint-Nicaise ; je suis reconnu et
suivi par la foule. De toutes parts retentissaient des réclamations contre le
défaut d'énergie de la Montagne ; de toutes parts on demandait L'arrestation
des députés traîtres et machinateurs ; de toutes parts on criait : Marat,
sauvez-nous ! Arrivé à la place du Carrousel, j'y trouve une multitude de
citoyens en armes ; la foule augmente et répète les mêmes cris. Je supplie la
multitude de ne pas me suivre, j'entre dans le château des Tuileries, puis
dans l'hôtel du Comité de sûreté générale pour me dérober à ces instances.
Peine perdue, il fallut la traverser de nouveau pour me rendre au Comité de
salut public, qui était assemblé avec les ministres, le maire et quelques
membres du Département. Je rendis compte de ce qui venait de m'arriver, je
représentai au Comité l'insuffisance des mesures présentées par Barère,
j'observai que les seules efficaces étaient l'arrestation des membres
dénoncés et de la Commission des Douze. « Le
Comité était à délibérer sur ces mêmes mesures ; il m'invita à me rendre à la
municipalité avec le maire, à l'effet de prévenir tout mouvement désordonné. » Mais,
quand le Comité de salut public chargeait Marat de maintenir la tranquillité
publique, il s'engageait par là même à y mettre le prix marqué par Marat,
c'est-à-dire à en finir avec la Gironde. « Le
maire annonce l'objet de ma mission ; je prends la parole en ces mots (je
rapporte fidèlement mon discours, parce que la plupart des journalistes
soudoyés l'ont malignement tronqué et défiguré) : « Citoyens, le Comité de
salut public est occupé de grandes mesures pour punir et réprimer les
traîtres, restez levés, déployez vos forces, et ne posez les armes qu'après
avoir obtenu « une justice éclatante, après avoir pourvu à votre sûreté. » « Le
président, que je sais modéré (c'est Destournelles), voulant m'engager à
sanctionner ses conseils, me demande s'il est vrai qu'un peuple trahi et
soulevé contre les traîtres doit s'en rapporter uniquement à ses magistrats
et n'employer que les moyens prescrits par la loi pour se rendre justice. Je
sentis le piège, et je répondis à son apostrophe en ces termes : « Lorsqu'un
peuple libre a confié l'exercice de son pouvoir, le maintien de ses droits et
de ses intérêts à des mandataires choisis par lui, tandis qu'ils sont fidèles
à leurs devoirs, il doit, sans contredit, s'en rapporter à eux, respecter
leurs décrets, et les maintenir dans le paisible exercice de leurs fonctions.
Mais lorsque ces mandataires abusent continuellement de sa confiance,
lorsqu'ils trafiquent de ses droits, trahissent ses intérêts, qu'ils le
dépouillent, le ruinent, l'oppriment, et qu'ils machinent sa perte, alors le
peuple doit leur retirer ses pouvoirs, déployer sa force pour les faire rentrer
dans le devoir, punir les traîtres et se sauver lui-même. Citoyens, vous
n'avez plus de ressource que dans votre énergie, présentez à la Convention
une adresse pour demander la punition des députés infidèles à la Nation ;
restez levés, et ne posez les armes qu'après l'avoir obtenue. » « Plusieurs
membres de la Commune m'invitèrent à passer au Comité révolutionnaire ; je
leur représentai que mon poste était à la Convention, et j'allai au Comité de
salut public rendre compte de ma mission. « Il
s'agissait de convoquer l'Assemblée, et il était impossible d'en charger le
président ; la plupart des membres étaient dispersés, et on ne savait où les
trouver. Mais on battait la générale dans différents quartiers ; le tocsin
sonnait et le canon d'alarme allait tirer. Il était donc tout simple
d'attendre que les députés se rendissent à. leur poste. » Heure
étrange, où c'était en somme le tocsin et le canon d'alarme qui étaient
chargés de convoquer la Convention pour qu'elle reçût l'adresse des sections.
Le tocsin disait aux députés : Venez ! et le canon d'alarme disait aux
délégués révolutionnaires : Vous avez la parole. Marat avait un moment secoué
et enfiévré la Commune. Lui parti, elle retombe à son indécision, et le
procureur s'oppose à ce que l'on fasse tirer le canon et sonner le tocsin « pour
ne pas fatiguer les citoyens ». Mais ni les cloches ni le canon n'attendaient
le signal de l'hésitante Commune, et la ville s'emplissait de vibrations
révolutionnaires. LA SÉANCE DE NUIT À LA CONVENTION Cependant
était-il possible d'espérer que la Convention céderait le soir même ? Un
moment les plus exaltés le crurent. Le Lyonnais Leclerc s'écria aux Jacobins
dans une sorte de transport révolutionnaire : « Je serai court : l'agonie des
aristocrates commence ; le tocsin sonne, le canon d'alarme a été tiré ; la
Commune est debout ; le peuple se porte à la Convention ; vous êtes peuple,
vous devez vous y rendre. » Cette
faible tête se grisait des sonneries violentes, et croyait tout possible
quand les cloches avaient parlé. «
Restons ici, dit un militaire, nous sommes à notre poste pour sauver la chose
publique. — Non, dit un autre citoyen : le poste des patriotes est au Conseil
général de la Commune et dans les comités révolutionnaires » ; et les
Jacobins, vers dix heures, se dispersèrent, emportant au vent tiède de la
nuit leur fièvre incertaine. Henriot
n'avait probablement pas eu le temps de rassembler ses bataillons fidèles, de
les grouper à part et de les porter tout autour de la Convention, ainsi
isolée des sections modérées. En tout cas, il n'avait pu leur communiquer
encore le mot d'ordre. Les
sections rassemblées (c'est le récit de la Chronique de Paris) se sont
portées sur la Convention avec leurs canons, la force armée en a investi
toutes les approches ; le Pont-National, les quais, les Tuileries, et toutes
les rues adjacentes ont été occupées par divers bataillons. On a bientôt
connu la cause de ces rassemblements... les citoyens armés sont demeurés sur
la place jusqu'à une heure du matin ; on leur a fait porter du pain. « Ces
rassemblements, en réunissant quelques sections, ont produit quelques scènes
touchantes ; la section de 1792, celle de la Fraternité, calomniées comme
celle de la Butte-des-Moulins l'avait été, ont offert le spectacle de la
réunion, de la concorde et de l'amitié. » Non,
l'action décisive ne serait point pour cette nuit-là ; les sections mal
averties encore retombaient dans les tâtonnements vagues du 31 mai. Et c'est
peut-être pour les organiser en vue de l'opération du lendemain que la
Commune et le Comité révolutionnaire rappelèrent, sous prétexte de ménager
leurs forces, les patriotes armés. LA PÉTITION D'HASSENFRATZ Pourtant
l'effet de cette soirée ne fut pas perdu. Les douze délégués de la Commune et
les six délégués du Comité révolutionnaire purent lire leur adresse
impérieuse à la Convention. C'était
Hassenfratz qui parlait en leur nom. Avait-il été choisi pour protester
contre la calomnie de Lanjuinais, auquel il venait d'adresser une véhémente
lettre de rectification ? « Le
peuple est levé, il est debout. Nous demandons le décret d'accusation contre
Pétion, Guadet, Gensonné, Vergniaud, Buzot, Brissot, Barbaroux, Chambon,
Birotteau, Rabaut, Gorsas, Fonfrède, Lanthenas, Grangeneuve, Lehardi, Lesage,
contre vingt-sept députés. » La
Convention décréta que le Comité de salut public ferait un rapport sous trois
jours sur l'adresse des pétitionnaires. Trois jours, c'était bien long. Mais
le délai pouvait être abrégé, et c'était déjà une victoire d'avoir amené la
Convention à délibérer en effet sur l'arrestation des Girondins. Marat
s'étonna que le vieux Dussault fût sur la liste. Cette impartialité même
était pour les autres un sinistre avertissement. Elle signifiait que cette
fois la motion était grave, puisque Marat se préoccupait d'en exempter un
homme qu'il jugeait innocent. Au fond, c'est le lendemain que la question
devait être réglée : comment Paris aurait-il pu supporter longtemps encore
cette tension des nerfs, cet appel des cloches, ce frisson terrible et vain ?
La Commune avait beau décider, vers une heure du matin, pour ne pas trop
fatiguer la force armée, qu'elle serait rappelée. La Révolution, cette fois,
ne voulait pas se coucher. Le lendemain devait être un dimanche, le peuple
savait qu'il ne serait point pris par l'atelier, et déjà on se demandait de
quels grands événements serait comblé le vide de cette longue journée. LES FINANCES DU COMITÉ RÉVOLUTIONNAIRE Le
Comité révolutionnaire, lui, considérait si bien le prolongement de
l'insurrection comme une chose nécessaire et normale qu'il demandait que la
liste des ouvriers sans-culottes soit dressée dans chaque section et que
chacun d'eux reçoive 6 Hures... Six livres, à quarante sous par jour, c'était
le salaire de trois jours. Or, le 31 mai, le 1er juin, cela faisait deux. Le
troisième devait être le jour décisif, et il s'agissait de le payer d'avance.
Chaumette, un peu ahuri, demande où sont les fonds. Mais, telle était alors
la confusion paradoxale de l'insurrection morale et de la légalité que le
rapporteur du Comité répond « qu'on les demandera à la Convention ». C'est la
Convention qui devait fournir les subsides à la force armée chargée de peser
sur elle ! On n'eut pas besoin de recourir à elle, et le lendemain, 2 juin,
le Comité révolutionnaire annonça qu'il avait tes sommes nécessaires. Comment
ne les eût-il pas eues, puisque depuis des semaines, il avait, par les
comités révolutionnaires des sections qu'il centralisait, le droit de
réquisition chez les riches ? Donc, dans la comptabilité de l'insurrection,
elle devait être terminée en un jour, au soir du 2 juin, en comptant ce
dimanche 2 juin comme jour ouvrable. C'était
bien, en effet, l'agonie de la Gironde qui commençait, elle n'avait plus à
vivre (politiquement) que quelques heures de détresse et d'angoisse. Les
journalistes du Patriote français rédigeaient en hâte le numéro qui
allait paraître le 2 juin et qui devait être le dernier. Ils y calomniaient
encore la Commune en paroles savamment empoisonnées. Elle voulait emprunter
des millions pour Paris, mais ces millions, qu'en ferait-elle ? Elle les
volerait. « Elle
les pacherait, elle les chaumettiserait, et chacun de la bande
en aurait sa part ; le surplus serait employé à soudoyer des brigands pour
opprimer la liberté publique, peut-être même, et je le crains tous les jours,
s'empareraient-ils de la trésorerie et de la caisse de l'extraordinaire. » Et cela
finit par un cri de folie et de contre-Révolution impuissante : « La
majorité de la Convention a beau faire : elle sera subjuguée par la Commune,
si elle ne terrasse et si elle ne ferme les clubs des Jacobins et des
Cordeliers. » Quand
je dis que c'est la fin du Patriote, non, je me trompe : les toutes dernières
lignes sont l'annonce d'un cours de chimie du grand savant Vauquelin : « Le
citoyen Vauquelin commencera lundi 3 juin, à quatre heures après-midi, un
cours de chimie appliquée aux arts, qu'il continuera les mercredis et
vendredis à la même heure. S'adresser au laboratoire du citoyen Fourcroy, rue
des Bourdonnais, à la Couronne d'or. » Ô
Girondins ! pourquoi n'avez-vous pas emprunté un peu de sa sérénité
impersonnelle et de sa patience à la science éternelle et lente ? Quel
malheur que sous son rayon, aimé de vous pourtant, ne se soient pas un peu
apaisées vos agitations misérables ! LA DERNIÈRE RÉUNION DES GIRONDINS Dès le
1er juin, les plus clairvoyants d'entre eux se sentirent perdus. Ils
essayèrent de délibérer chez l'un d'eux, mais ils ne purent se réunir en
assez grand nombre ni arrêter un plan commun. C'est
dans une vaste maison appartenant à Meillan, assez écartée et discrète, que
les Girondins se réunirent. « Nous
arrêtâmes, raconte mélancoliquement Pétion, d'y passer toute la nuit étendus
sur des chaises et de ne pas nous quitter. Nous convînmes de réunir le
lendemain, dès le matin, les trente-deux proscrits et les douze membres de la
Commission extraordinaire afin (le prendre une mesure commune. « La
générale battit, le tocsin sonna une partie de la nuit. Malgré toutes nos
démarches, nous ne pûmes réunir qu'une vingtaine de membres. Les principaux
étaient Brissot, Vergniaud, Gensonné, Guadet, Buzot. » Solitude
précaire et menacée, détresse et désarroi, c'était déjà comme un campement en
désordre sur les routes de la proscription, de la souffrance et de la mort.
La dispersion des volontés préludait à la dispersion de l'exil. Ceux mêmes
qui se trouvaient rassemblés chez Meillan ne purent s'entendre pour une
action commune. Iraient-ils en cette journée du 2 juin à la Convention ? La
plupart renoncèrent à braver inutilement un péril que désormais nul ne
pouvait conjurer. Mais Barbaroux s'évada presque de force pour aller
affronter la tempête. Resteraient-ils tous à Paris pour ne pas exaspérer la
Révolution victorieuse par la menace d'une guerre civile des départements et
de la capitale ? Ou bien iraient-ils tous faire appel aux départements pour
'que l'étendue même de leur protestation avertît la conscience publique ?
Louvet insista avec force pour que tous quittassent Paris ; mais il ne put
entraîner toute la Gironde. « Désormais,
disait-il, nous ne ferlons plus rien à la Convention, où la Montagne et les
tribunes ne nous permettraient plus de dire un mot, rien qu'animer les
espérances des conjurés, charmés d'y pouvoir saisir d'un seul coup toute leur
proie. Il n'y aurait non plus rien à faire à Paris, dominé par la terreur
qu'inspiraient les conjurés, maîtres de la force armée et des autorités
constituées ; ce n'était plus que l'insurrection départementale qui pouvait
sauver la France. Nous devions chercher quelque asile sûr pour cette soirée,
et demain et les jours suivants partir les uns après les autres, usant de nos
différents moyens, et nous réunir soit à Bordeaux, soit dans le Calvados, si
les insurgés, qui déjà s'y montraient, prenaient une attitude imposante. Surtout
il fallait éviter de demeurer en étage entre les mains de la Montagne, il
fallait ne pas retourner à l'Assemblée. « Que
ne m'avez-vous cru, Brissot, Vergniaud, Gensonné, Mainvielle, Valazé, Ducos,
Duprat, Fonfrède, vous tous, honorables victimes que la postérité vengera !
Peut-être tous ensemble n'aurions-nous pas réussi davantage à réveiller dans
les cœurs l'ardent amour de la Patrie, la haine vigoureuse due à
l'oppression, mais du moins je n'aurais point à gémir aujourd'hui sur votre
chute prématurée. LA NOUVELLE DE LA CONTRE-RÉVOLUTION LYONNAISE Pendant
que les Girondins se perdaient ainsi dans l'incertitude de leurs pensées,
l'adversaire frappait les coups décisifs. Précisément Paris venait
d'apprendre qu'à Lyon, dans la journée du 29 mai, les sections modérées et
bourgeoises avaient livré bataille à la municipalité jacobine, et celle-ci
était vaincue. Chalier était dans un cachot. Or quelques-uns de ceux qui
transmettaient ces redoutables nouvelles avaient beau en atténuer le
caractère, ils avaient beau dire que les sections s'étaient levées au cri de
: Vive la République ! Même l'ambiguïté des correspondances de Gauthier et de
Nieche, qui n'osaient pas approfondir tout le danger, ne parvenaient pas à
donner le change aux révolutionnaires de la Commune et de l'Evêché. Ils
comprenaient très bien qu'à Lyon la contre-Révolution était victorieuse, et
qu'eux-mêmes allaient être enveloppés dans la contagion de ce mouvement,
s'ils ne frappaient pas ce jour même le coup suprême sur l'ennemi. Jeanbon
Saint-André signala le péril à la Convention en quelques paroles décisives
que Marat a notées. « Vous
venez d'apprendre des nouvelles fâcheuses du département de la Lozère.
L'aristocratie, dans cette contrée, ose lever un front menaçant ; des
mouvements contre-révolutionnaires se manifestent dans plusieurs parties des
départements méridionaux. A Lyon, les contre-révolutionnaires triomphent, les
patriotes ont été massacrés. Les troubles de la Lozère doivent d'autant plus
fixer votre sollicitude que, par le département du Cantal, les rebelles de la
Lozère peuvent se réunir à ceux du département de Rhône-et-Loire. » C'était
comme un bloc énorme de contre-Révolution, où le dur fanatisme cévenol avait
pour noyau ardent la fervente réaction lyonnaise. Oui, il fallait en finir.
Encore quelques jours, et les sections bourgeoises de Paris, animées par cet
exemple, pouvaient tenter d'accabler la Commune et la Montagne. LA JOURNÉE DU 2 JUIN Henriot,
cette fois, avait pris ses dispositions mieux qu'au 31 mai. Il ne se fiait
plus à la spontanéité incertaine et contradictoire du peuple. Il avait massé
autour de la Convention des bataillons soigneusement choisis par lui, cinq à
six mille révolutionnaires décidés. Au-delà, le reste du peuple n'était plus
qu'une foule, qui ne serait rattachée aux événements que par une chaîne de
rumeurs flottantes. Aussi, quand les pétitionnaires de la Commune vinrent
demander l'arrestation des vingt-deux, on chercha bien à amortir le coup,
mais presque personne ne songea à l'éluder. Des cris menaçants partaient des
tribunes. L'appel aux armes retentissait. « Sauvez
le peuple de lui-même, s'écria Richou ; sauvez vos collègues, décrétez leur
arrestation provisoire. » Provisoire
? C'était avouer qu'on ne cédait qu'à la force brutale du peuple. C'était
proclamer que sans doute l'innocence des députés dénoncés serait reconnue
quand les menaces de la foule se seraient dissipées. La Montagne s'indigna de
cette combinaison. Levasseur protesta avec véhémence contre « le lâche
tempérament proposé par le Marais ». « J'ai
toujours été partisan des mesures énergiques, sans approuver les violences
inutiles et j'ai toujours eu horreur du sang inutilement répandu, aussi me
trouvai-je en cette journée décisive dans une triste alternative. Prononcer
le décret d'accusation contre mes collègues, c'était les envoyer à la mort ;
les déclarer innocents, c'était à la fois mentir à ma conscience et perdre le
succès d'une journée qui pouvait nous sauver. Le lâche terme moyen du Marais
était la plus mauvaise mesure possible, car, en déclarant implicitement les
accusés innocents, elle rendait nulle une insurrection qui devait porter ses
fruits, et en même temps elle livrait à la fureur populaire des hommes dont
nous étions loin de désirer la mort ; d'ailleurs elle déshonorait la Convention,
en constatant en quelque sorte que nous avions cédé à la peur et à
l'oppression. » Et
Levasseur demande l'arrestation immédiate des vingt-deux et de la Commission
des Douze. Dans la Convention muette deux protestations seulement s'élèvent,
celles de Barbaroux et de Lanjuinais. Eux, ils ne veulent pas plier.
Lanjuinais, comme s'il pouvait encore être accusateur, dénonce l'autorité
usurpatrice de la Commune. Barbaroux défend contre le rapport de Moïse Bayle
et de Boisset les sections marseillaises. Mais voici que, par Barère, le
Comité de salut public vient proposer une solution équivoque, précisément
celle du Marais. « Le
Comité n'a pas cru devoir accepter la mesure de l'arrestation ; il a pensé
qu'il devait s'adresser au patriotisme, à la générosité et à l'amour de leur
Patrie des membres accusés et leur demander la suspension de leurs pouvoirs,
en leur représentant que c'est la seule mesure qui puisse faire cesser les
divisions qui assiègent la République et y ramener la paix. » C'est
seulement pour un temps déterminé qu'ils devaient se suspendre. Quelques-uns
des Girondins, Dussault, Fauchet, Isnard acceptèrent ce compromis étrange ;
Isnard avec solennité. Mais Barbaroux, Lanjuinais protestèrent : « J'ai,
je crois, s'écria Lanjuinais, montré jusqu'à ce moment quelque courage et
quelque énergie. N'attendez donc de moi ni démission, ni suspension. » Et,
comme il était interrompu par quelques murmures : « Sachez,
dit-il, que la victime qu'on traîne à l'autel n'est pas insultée par le
prêtre qui l'immole : les anciens la couronnaient de fleurs. » « —
Non, ajouta Barbaroux, n'attendez de moi aucune démission. J'ai juré de
mourir à mon poste, je tiendrai mon serment. » Marat
était très irrité contre la combinaison équivoque imaginée par le Comité de
salut public et la Gironde, et qui grandissait celle-ci : « Je
désapprouve, dit-il à la Convention, la mesure proposée par le Comité, en ce
qu'elle donne à des accusés de conspiration les honneurs du dévouement. Il
faut être pur pour offrir des sacrifices à la Patrie ; c'est à moi, vrai
martyr de la liberté, à me dévouer. J'offre donc ma suspension du moment où
vous aurez ordonné la détention des contre-révolutionnaires ; en ajoutant à
la liste Fermont et Valazé qui n'y sont pas, et rayant Ducos, Lanthenas et
Dussault qui n'y doivent pas être. » Il
parlait comme s'il était le maître, avec une sorte de désintéressement
dictatorial. Il insiste dans son journal : «
L'énergie qu'avait montrée la veille le Comité de salut publie s'était
évanouie... il ne fut point question dans le rapport de sévir contre les
députés infidèles. Au lieu d'un décret d'accusation à proposer, ce fut une
invitation adressée indistinctement aux membres de la Convention qui ont été
une pomme de discorde de donner leur démission ou simplement de suspendre
l'exercice de leurs fonctions jusqu'à ce que la paix fût rétablie. Une mesure
aussi fausse ne pouvait qu'aigrir les esprits et révolter le peuple en lui
faisant pressentir qu'il n'avait aucune satisfaction à attendre ; elle
tournait même en faveur des traîtres dénoncés par les autorités constituées :
on eût dit qu'elle avait été concertée par eux, aussi la saisirent-ils avec
empressement. « Isnard
s'élance à la tribune pour faire l'éloge de son civisme et afficher les
marques de son dévouement à la Patrie en donnant sa démission. « Lanthenas
veut l'imiter : on lui crie qu'il peut s'en dispenser... Voyant très bien où
allait cette farce sentimentale, je m'empresse de tourner les choses à leur
vrai point de vue en faisant sentir que ce n'est pas à des accusés de
trahison de se dévouer pour la Patrie, mais aux députés intacts, victimes de
leurs vertus et de la calomnie. J'offre ma démission et je demande
l'arrestation de tous les membres dénoncés. Ma demande est appuyée par tous
les vrais Montagnards ; elle était prête à passer lorsque plusieurs hommes
d'Etat s'écrient qu'ils ne sont pas libres, que la salle est entourée de
citoyens qui ne veulent pas les laisser sortir. » L'INVESTISSEMENT DE LA CONVENTION L'investissement
de la Convention était, en effet, plus étroit à chaque minute. Des femmes
encombraient les couloirs, et des soldats apostés par Henriot gardaient les
issues de la salle. Barère,
presque toujours élevé au-dessus de son propre courage quand la majesté et
l'intégrité de la Convention étaient brutalement menacées, s'emporte contre
ces mesures avilissantes. « Ce
n'est pas à des esclaves à faire la loi : la France désavouerait celles
émanées d'une Assemblée asservie. Comment ces lois seraient-elles respectées
si vous ne les faites qu'entourés de baïonnettes ? Nous sommes en danger, car
des tyrans nouveaux veillent sur nous ; leur consigne nous entoure ; cette
tyrannie est dans le Comité révolutionnaire de la Commune ; et le Conseil
général, s'il ne prend de promptes mesures pour prévenir ces violences,
mériterait de graves reproches. Il se trouve dans son sein des membres, du
moral de qui je ne voudrais pas répondre. « Le
mouvement dont nous sommes menacés appartient à Londres, à Madrid, à Berlin,
un des membres du Comité révolutionnaire, nommé Gusman, m'était connu pour
être espagnol... Peuple, on vous trahit. » Mais à
quoi servait tout cela ? Que signifiait cette demi-résistance ? Et pourquoi
Barère, qui consentait, sous la pression de la force populaire, à demander
leur démission aux Girondins, affectait-il soudain ces scrupules
d'indépendance ? Sur quelle force armée aurait-il pu compter ? et comment
pouvait-il espérer, à ce moment, mettre en contradiction le Comité
révolutionnaire de l'Evêché et le Conseil général de la Commune tout pénétré
d'influences révolutionnaires ? La
gauche de la Convention était dans un embarras terrible. Elle voulait frapper
la Gironde. Mais, s'il était déjà dangereux d'amputer la représentation
nationale, combien cette mutilation était-elle plus périlleuse encore quand
elle paraissait s'accomplir sous la menace de la rue soulevée ? Que
resterait-il demain du privilège de la Convention, c'est-à-dire de l'autorité
morale de la Révolution elle-même ? Levasseur a bien marqué dans ses Mémoires
cette douleur inerte. « Une
sorte de stupeur régnait dans l'Assemblée ; nous-mêmes, membres de la
Montagne, qui désirions mettre un terme à la domination de quelques collègues
incapables de remplir leurs fonctions, nous-mêmes nous ne pouvions pas voir
sans douleur les efforts de l'insurrection populaire contre le seul' corps constitué
qui pût sauver la Patrie. Nul ne demandait la parole ; aucune délibération ne
s'engageait... Hors cinq ou six hommes d'action, parmi lesquels ne se
trouvait aucun ami de Danton, la Montagne partageait la consternation du côté
droit. Le président Mallarmé avait quitté le fauteuil de lassitude et Hérault
de Séchelles présidait silencieusement sur une Assemblée muette. » Cependant
Danton, préoccupé d'éviter tout excès de la force populaire et de
sauvegarder, jusque dans l'acte d'amputation nécessaire, la dignité de la
Convention, demande que le Comité de salut public recherche par quel ordre
des soldats barrent les portes de la salle : « Vous pouvez compter,
dit-il, sur le zèle du Comité de salut public pour venger vigoureusement la
majesté nationale outragée en ce moment. » L'officier
Lesain, capitaine de la force armée de la section du Bon-Conseil, qui avait
donné la consigne, est mandé à la barre, et soudain Barère conseille à la
Convention de sortir de la salle et d'aller délibérer au milieu de la force
armée, comme pour prendre conscience de sa propre liberté et pour l'attester
au monde. C'était,
avec de grands airs de fierté, la démarche la plus frivole et la plus vaine.
La force révolutionnaire armée qui enveloppait la Convention voulait que les
Girondins fussent frappés. Pour prouver qu'elle était libre au milieu des
baïonnettes, la Convention' aurait dû couvrir la Gironde ; ou ce que
proposait Barère n'était qu'une parade, ou c'était le conflit violent, direct
de la Convention avec les sections révolutionnaires armées. Quelle
revanche pour Vergniaud qui avait tenté vainement, le 31 mai, d'organiser
cette sortie en masse de la Convention ! Il est malaisé de démêler, dans les
Mémoires mêmes de Barère, le plan exact qu'il avait formé, ni même s'il avait
un dessein très précis. « Je
monte à la tribune, bien résolu à périr ou à faire punir le commandant
Henriot, qui appuyait de la force armée une telle violation de la
représentation. Je m'élève contre cette violence publique, j'engage
l'Assemblée à sortir et à aller se placer au-devant de cette artillerie
sacrilège conduite par des scélérats. L'Assemblée s'émeut, s'indigne, elle
est au moment de sortir. Alors Robespierre monte à la tribune et me dit à
voix basse : « — Que faites-vous là ? Vous faites un beau gâchis. » Cette
expression me dévoile la part que cet hypocrite prenait à tout cela, sans
oser se montrer. « — Eh bien ! lui dis-je tout haut, le gâchis n'est point à
la tribune, il est au Carrousel, il est là. » J'indiquai la place où étaient
nos assassins ; et reprenant la parole, je tâchai d'exciter de nouveau la
Convention à aller, par sa courageuse présence, neutraliser elle-même les
efforts des factieux et les accuser en face. C'est alors que je tins le
propos qui me fut si souvent reproché : « Je demande la punition exemplaire
et instantanée de ce soldat insolent qui ose outrager et violer la
représentation nationale. » « Malheureusement,
Hérault de Séchelles, dénué de caractère et obéissant à l'influente de
Danton, était président à cette époque. — Non, mais comme ex-président il
remplaçait Mallarmé épuisé. « Il
est cependant forcé de sortir et de se mettre à la tête des députés qui se
précipitent pour affronter au Carrousel les batteries des canons de la
Commune. « Notre
présence arrête le bras des canonniers qui avaient la mèche allumée. A ce
moment, Héraut de Séchelles s'approche poliment de Henriot et lui demande, de
la part de la Convention, le sujet de ce mouvement militaire. Henriot lui
répond qu'il vient au nom du peuple de Paris demander l'arrestation et
l'éloignement de trente-deux députés qui mettent un obstacle journalier aux
délibérations de l'Assemblée et qui s'opposent au bien public. Pendant cette
réponse, un aide de camp de Henriot, que j'ai vu s'approcher de Danton, lui
parle à l'oreille ainsi qu'à Lacroix. J'ai entendu (ainsi qu'un de mes
cousins, Hector B..., que le bruit des dangers avait fait accourir à côté de
moi sur la place du Carrousel) : « —
C'est bien cela, cela va bien » et Danton serre la main à l'aide de camp.
Alors Hérault dit que l'Assemblée voulait se séparer et que l'attroupement
devait se dissiper. Marat survint, Marat cet atroce aide de camp de Danton ;
il dit que l'Assemblée, pour prouver que sa liberté n'était pas violée,
n'avait qu'à se promener dans les Tuileries. Les députés allèrent en masse
vers les différentes grilles ou issues ; ils les trouvèrent garnies de
troupes de Henriot, ayant défense de laisser sortir personne. Marat était
triomphant et souriait comme le tigre qui va tomber sur sa proie. Il força,
par ses cris, les députés à rentrer dans la salle ; et, dès lors, la liberté
publique fut perdue. » Je ne
relève point tous les traits contre-révolutionnaires par lesquels Barère, en
ses Mémoires, cherchait à désarmer les haines de la réaction. Je ne discute
pas non plus les jugements si sévères portés sur le rôle et le caractère de
Robespierre, de Danton, de Marat. Il avait double raison pour les calomnier.
Il cherchait à se dégager de leurs « excès » et il se justifiait en même
temps d'avoir sacrifié ou laissé sacrifier les grands révolutionnaires. Mais,
en vérité, que se proposait-il par cette sortie ? et qu'en attendait-il ?
Voulait-il simplement que la Convention fît preuve de sa liberté ? Mais il
tallait alors périr plutôt que de rentrer aux Tuileries et de se laisser
clore dans un cercle de fer. Pensait-il que la Convention pourrait dissiper
l'attroupement et ajourner ensuite le débat au lendemain pour délibérer hors
de toute menace ? C'était exaspérer la Révolution en l'ajournant. C'était
aggraver et sans doute ensanglanter la crise en la prolongeant. Il
semble, à quelques traits d'un récit de Marat, que Barère aurait voulu
entraîner la Convention assez loin, jusqu'au Champ-de-Mars : et de là
peut-être elle se fût dispersée après avoir juré de ne pas permettre à la
force insurrectionnelle de ne pas faire violence à ses décisions. Mais, alors
la Convention devenait, sans le vouloir, un centre de modérantisme
contre-révolutionnaire. Marat avait eu bien plus de sens politique en
refusant d'abord de s'associer à cette sortie ou inutile, ou funeste, et en
ramenant ensuite la Convention. « On
demande le général à la barre ; il ne se trouve pas ; plusieurs officiers
paraissent et déclarent que ce ne sont pas eux qui ont donné les consignes.
Le trouble augmente : on va, on vient, on court de tous côtés, on dit que
tout est perdu, qu'une garde étrangère tient captive la Convention jusqu'à ce
que le moment de l'égorger soit arrivé. Que les prétendus sages sont petits !
Ils s'étaient effrayés d'une poignée de sentinelles, armées de piques, qui
gardaient les portes, qui ne permettaient à personne ni d'entrer, ni de
sortir : mesure de prudence qu'avaient prise les meilleurs citoyens, pour
empêcher que quelques députés de la faction ne fussent maltraités par
quelques scélérats apostés. Au milieu du désordre on propose au président de
sortir à la tête de la Convention ; il descend du fauteuil, presque tous les
membres le suivent, il se présente à la porte de bronze ; à l'instant la
garde ouvre le passage. Au lieu de revenir sur ses pas et de constater la
fausseté des clameurs, il conduit la Convention en promenade dans les cours
et dans le jardin. J'étais resté à mon poste avec une trentaine de
Montagnards. Les tribunes, impatientes de ne pas voir revenir l'Assemblée,
murmuraient hautement ; je les apaise ; je vole après la Convention ; je la
trouve au pont tournant, d'où Barère proposait, dit-on, de la mener au
Champ-de-Mars ; je la presse de revenir à son poste ; elle s'y rend et
reprend ses fonctions. » Le
Marais avait pu voir que les sections révolutionnaires étaient résolues à en
finir. Sur le passage de la Convention, le peuple avait crié : « Vive la
République ! Sauvez-nous ! A bas les vingt-deux ! » LE DÉCRET D'ARRESTATION DES CHEFS GIRONDINS Ce
n'était pas seulement contre les canons d'Henriot, c'est contre la Révolution
elle-même qu'il aurait fallu lutter pour disputer plus longtemps la Gironde
au destin. Couthon demanda que les députés dénoncés fussent mis en état
d'arrestation chez eux, ainsi que les ministres Clavière et Lebrun. Il fut
acclamé, et le décret immédiatement rendu frappa Vergniaud, Brissot, Guadet,
Gorsas, Pétion, Salle, Chambon, Barbaroux, Buzot, Birotteau, Rabaut
Saint-Etienne, Lasource, Lanjuinais, Grangeneuve, Lesage (d'Eure-et-Loir), Louvet (du Loiret), Valazé, Doulcet, Lidon,
Lehardi (du
Morbihan), et tous
les membres de la Commission des Douze (sauf Fonfrède et Saint-Martin), et les ministres Clavière et
Lebrun. Aussitôt
le Département de Paris, après avoir remercié l'Assemblée d'un vote qui est
le salut de la Patrie, s'offre à constituer des otages pris dans son sein, en
nombre égal à celui des députés arrêtes, et pour répondre à leurs
départements de leur sûreté. Non, ce n'était pas à la vie des Girondins que les révolutionnaires en voulaient. Vergniaud, en un de ces jours tragiques, s'était écrié : « Donnez donc à boire à Couthon un verre de sang ; il a soif ». Vergniaud se trompait, Couthon n'avait pas soif de sang. Mais, la Gironde était devenue un péril mortel pour la France révolutionnaire. Elle devait disparaître. Au 2 juin ; sa puissance politique s'effondre. |