LES RAISONS DU SOULÈVEMENT Brusquement,
en effet, les périls de la Révolution s'aggravent, au dedans et au dehors. En
Vendée, le fanatisme religieux, qui couvait depuis deux ans, éclate. Dans ces
pays de petites métairies et de petites fermes, où les villes étaient rares,
où les bourgs même étaierm.t clairsemés, le prêtre était à cette époque le
seul lien social. Sans cloute, les paysans s'étaient réjouis de la
suppression des dîmes et ils avaient pris, aux enchères publiques, leur part
des biens de l'Eglise, des couvents et abbayes. Mais il leur déplaisait que
le prêtre, qui vivait avec eux depuis des années et qui leur parlait
familiarité à la fois de très près et de très haut, puisque dans la
familiarité de la vie commune il leur parlait au nom de Dieu, fût remplacé
brusquement pour avoir refusé le serment à la Constitution civile, par un
inconnu, qui n'avait peut-être pas reçu la véritable investiture divine. Plus
d'une fois déjà, des symptômes inquiétants avaient révélé une sourde colère,
un malaise profond. D’égoïsme
étroit et d'horizon borné, les hommes de ces régions acceptaient les
bienfaits de la Révolution et en répudiaient les charges. Les difficultés
inévitables qui accompagnent les grands changements sociaux même les plus
favorables les blessaient. Les
districts, fermiers des biens des émigrés avaient dû, en plusieurs districts,
payer la totalité de l'impôt, celui qui était dû par l'émigré comme celui qui
était dû par le fermier lui-même. Les acquéreurs de biens nationaux
n'entraient pas immédiatement en jouissance, parce que les administrations de
la régie nationale prélevaient encore sur le revenu du domaine certaines
redevances qui y étaient attachées et qui n'avaient pas été vendues avec lui.
Tous ces griefs, emportés ailleurs par le grand mouvement de la Révolution et
par une audacieuse espérance, fermentaient dans la vie immobile et stagnante
de l'Ouest et achevaient l'exaspération du fanatisme blessé Quand
le roi fut condamné à mort, il y eut en ces régions une émotion d'égoïsme
plus encore que de pitié. L'Europe allait se soulever sans doute et il
faudrait partir : il faudrait que les jeunes hommes quittent leurs fiancées,
abandonnant le champ paternel. Pourquoi ? Parce que des révolutionnaires
dénoncés par d'autres révolutionnaires comme des meurtriers, comme des
cannibales, avaient eu soif du sang d'un roi. Le procureur syndic du district
des Sables-d'Olonne a très bien traduit, dans une lettre du 24 janvier aux
administrateurs du département de la Vendée, ce mélange confus et redoutable
de griefs : « Quant
au moral, je crois que la très grande partie du peuple, que le sot orgueil de
l'aristocratie appelait paysans, est entièrement corrompue par le fanatisme
et par les efforts des ennemis intérieurs. J'ai souvent eu des exemples que
le parjure n'était pas même un frein pour cette classe d'hommes égarés et
simples ; j'en ai souvent eu encore de son injustice et de sa cruauté ; ces
hommes d'ailleurs sont continuellement inquiets, irrésolus et beaucoup
d'entre eux ne prendront sûrement d'autre parti que celui du plus fort. « Quant
au politique, les mêmes individus sont également incapables d'en raisonner
comme d'y rien concevoir. La Révolution est pour eux une longue suite
d'injustices dont ils se plaignent sans savoir pourquoi. Ils regrettent leurs
anciens privilégiés, tandis que ces hommes ambitieux les écrasaient de leur
morgue et de leur tyrannie ; ils regrettent les prêtres déportés, tandis que
ces hypocrites les trompaient en volant leur argent. Ils croient la religion
perdue par un serment qui n'a eu pour but que d'assurer l'exécution d'une loi
civile ; ils haïssent les prêtres fidèles à la loi parce que, moins
dissimulés ou moins fourbes que les prêtres réfractaires, ils parlent le
langage de la liberté et de la nature. Ils 'redoutent les autorités
constituées, comme ils s'en défient, tandis qu'elles ne sont créées que pour
faire leur bonheur... « ...
La régie nationale est le fléau le plus meurtrier. Tous les colons, fermiers,
régisseurs de biens d'émigrés, qui ont payé l'imposition entière de 1791, ne
peuvent obtenir le remboursement de la portion due par les propriétaires, les
receveurs refusent impitoyablement de payer et l'on appelle ces refus des
vexations... « ...
Les fermiers des droits casuels et des droits fixes en argent n'ont rien
perçu ; les fermiers des droits incorporels en nature ont éprouvé des
réductions considérables ; cependant la régie décerne impitoyablement des
contraintes contre ces fermiers pour la totalité de leur prix de ferme... « Les
acquéreurs des biens nationaux ont sans doute acquis pour jouir : eh bien !
ils ne jouissent pas, ni peut-être ne jouiront de longtemps. Les receveurs de
l'enregistrement, qui tous ont connaissance des ventes nationales, qui les
enregistrent, ont très certaine ment connaissance de toutes les aliénations
qui ont été faites ; mais parce que la presque totalité des biens vendus
s'est trouvée affermée avec des biens incorporels, ils ont délicatement reçu
les prix de ferme entiers, et les acquéreurs ont eu une recette bien faible... « Je
finis, citoyens, par une dernière réflexion que les circonstances du moment
produisent. Depuis que le procès de Louis Capet est commencé, le peuple
des campagnes murmure plus vivement. On lui a parlé de la création de
nouveaux bataillons. Hier soir, la nouvelle du jugement de Louis Capet
fut mal reçue. Au club des Amis de la liberté, certains personnages osèrent
traiter de brigands et de scélérats les législateurs qui avaient condamné
Louis à la mort. Ce matin, on a remarqué sur tous les visages un air sombre
et consterné. » Matis,
c'est quand la Révolution, en lutte avec l'Europe, fut oblige, en effet, de
faire appel à de nouveaux soldats et de recruter de vastes armées, que
l'égoïsme des paysans dans la Loire-Inférieure, dans le Maine-et-Loire, dans
les Deux-Sèvres, dans la Vendée, se souleva jusqu'à la fureur. Dès les
premiers jours de mars, les administrateurs de la Vendée, craignant un
débarquement des Anglais et des émigrés, tentent de réorganiser les gardes
nationales et se heurtent, dans un grand nombre de paroisses, à une
résistance très vive. Le tocsin sonne : les paysans se rassemblent par bandes
et vont courant les villages pour exciter partout les colères. Les détachements
des gardes nationaux patriotes sont enveloppés, et les troubles de Beaulieu,
les émeutes du district de Challans annoncent la « grande insurrection ». Les
paysans ne veulent pas de « conscription », ils ne veulent pas de «
tirage au sort ». « Pas
de tirement ! — Malheur à qui annoncera la milice ! » Tous
les villages étaient debout, et de métairie en métairie couraient les
propagateurs de guerre civile. LA TACTIQUE DES NOBLES Tout
d'abord la tactique des nobles fut de se réserver, d'attendre. Certes, ils
n'étaient pas restés inactifs : tous ceux qui, depuis le 10 août, étaient
revenus dans leur gentilhommière avaient travaillé les esprits contre la
Révolution. Ils avaient envenimé la jalousie des paysans contre les bourgeois
révolutionnaires des villes « Nous,
du moins, nous vivons parmi vous et c'est parmi vous que nous dépensons le
revenu de nos terres. Eux, ils ont acheté des biens nationaux où ils ne
résident pas, et tout le fermage, toute la substance de la terre s'en va à la
ville et ne revient pas. Et maintenant, ces beaux messieurs, sous prétexte
qu'ils sont administrateurs du département ou du district, ils n'iront pas à
la guerre. Ils resteront dans leurs confortables maisons ; ils surveilleront
la croissance de leurs arbres dans leurs jardins : et vous, paysans, bonnes
âmes, vous irez vous faire tuer au loin pour une Révolution qui vous a pris
vos curés, qui les a déportés par milliers, et qui enrichit de ses dépouilles
tous les citadins avides. » Ainsi
allaient les propos des nobles, ainsi la contre-Révolution féodale se faisait
démagogique, et les hobereaux dénonçaient les bourgeois. Les nobles,
machiavéliques, attendaient que les paysans, une fois engagés à fond dans
l'aventure, leur en remissent la direction. Eux-mêmes, avertis par l'échec de
la conspiration de la Rouerie en Bretagne, ne prenaient pas d'emblée
l'initiative du mouvement. Une conspiration qui tient en quelque sorte dans
quelques têtes peut tomber en un jour avec ces têtes mêmes. Mieux valait,
pour déconcerter la Révolution, un soulèvement vaste et diffus qui peu à peu
s'ordonnerait sous la main des hommes d'ancien régime. Ce soulèvement, les
nobles qui avaient été les confidents de la Rouerie auraient voulu qu'il
n'éclatât qu'à la fin de mars, mais qu'il s'étendit alors soudainement à tout
l'Ouest, à la Bretagne, à la Normandie, au Maine, à l'Anjou, au Poitou.
D'Elbée, Bonchamp, Lescure, Sapinaud, Vaugiraud, espéraient qu'en quelques
semaines la loi du recrutement aurait produit partout tout son effet de
révolte ; dès lors, à la fin de mars ou au commencement d'avril, le mouvement
serait si vaste qu'il épouvanterait la Révolution et qu'il obligerait aussi
les bandes paysannes à se grouper, à s'ordonner sous la conduite des
gentilshommes royalistes, plus experts aux grandes combinaisons militaires.
Peut-être encore étaient-ils informés des espérances que, dès le début de
mars, les puissances coalisées avaient conçues de la trahison pressentie de
Dumouriez. L'ASTUCE PAYSANNE Quel
coup admirable si l'on pouvait faire coïncider avec les effets décisifs de
cette trahison le mouvement soudain de tout l'Ouest I Mais les hauts
gentilshommes furent débordés par l'impatience fanatique et par l'astuce
paysanne. Les esprits, surchauffés de messages divins, ne se contenaient
plus. Les prêtres insermentés, traqués de retraite en retraite, craignaient
d'être pris si l'on ne brusquait le mouvement, et les plébéiens endoctrinés
par le clergé se hâtaient aussi pour prendre, en quelque sorte, possession
officielle de leur commandement avant l'intervention des nobles. Ils voulaient
rester les chefs des bandes levées par eux ; et les prêtres qui se
rappelaient l'incroyance des nobles à peine convertis d'hier par l'égoïsme et
la peur, comptaient davantage sur les fanatiques de la plèbe. L'ancien
receveur des gabelles, Souchon de Machecoul, le perruquier Gaston de
Saint-Christophe-du-Ligneron, le garde-chasse au service de Maulévrier,
Stofflet, le colporteur exalté et dévot du Pin-en-Mauges, Cathelineau,
étaient les hommes du clergé, et ils ne se souciaient pas de se livrer à
discrétion aux nobles ; ils ne marchèrent d'abord qu'avec cette petite
noblesse « de peu de fortune et de peu de race » qui ne leur portait pas
ombrage. Baudry
d'Asson, notamment, sortit du souterrain où il se tenait caché, près de la
Forêt-sur-Sèvre, depuis l'affaire de Bressuire, et se mit en campagne avec
les plébéiens. — Mais
les cléricaux se moquent quand ils représentent le mouvement vendéen comme «
radicalement populaire », et les documents recueillis par M. Chassin font la
lumière décisive. Oui, les prêtres faisaient directement appel aux paysans,
oui, ils ne voulaient ni abandonner toute la direction aux nobles ni produire
ceux-ci trop tôt. Mais le clergé savait bien que l'insurrection ne pouvait
aboutir qu'à la restauration du régime ancien où le privilège de la noblesse
aurait sa place. Il savait bien que la noblesse, avilie et matée par la
Révolution, comprendrait désormais la nécessité de faire cause commune avec
les prêtres. Et il se rendait compte que le mouvement, à mesure qu'il
s'étendrait et s'organiserait, passerait aux mains des nobles. En fait, le
clergé servait d'intermédiaire tout puissant entre la noblesse encore masquée
et le peuple. LE PLAN VENDÉEN D'APRÈS MERCIER DU ROCHER Dans
l'apparente spontanéité du mouvement il y a d'emblée une organisation, un
plan, et quoique la colère des paysans ait devancé le signal, quoique la
vaste et soudaine insurrection préparée par les chefs secrets de l'Ouest, par
le clan des confidents de La Rouerie, ait éclaté de façon un peu hâtive et
incohérente, les traces d'une pensée directrice s'y retrouvent dès le début.
Mercier du Rocher l'a noté avec beaucoup de précision et de force. « Il ne
faut que rapprocher les dates des combats pour se convaincre que le plan des
rebelles était combiné. Ils attaquaient sur plusieurs points à la fois. Ils
étaient, le 10, à Coueron, à Mauves, à Saint-Philbert, à Clisson ; ils y
furent battus le 12 par les Nantais, tandis qu'ils attaquaient nos troupes à
Saint-Hilaire-la-Forêt, à Machecoul, à Challans, à Montaigu, à Saint-Fulgent.
Le 14, ils s'emparent de Cholet, repoussent les patriotes à Chantonnay et aux
Herbiers. Les 12, 13, 14, 15, 16, les Nantais faisaient des sorties sur eux
par les routes de Rennes et de Paris ; tandis que le 15 les Brigands, s'étant
ralliés après leur défaite de Clisson, tombaient sur les gardes nationales,
et les harcelaient pendant cinq lieues. Le 17, l'armée de Nantes fit une
sortie générale et repoussa les rebelles, leur tua beaucoup de monde au pont
du Cens, ce qui rouvrit la communication avec Rennes. Le même jour, les
Brigands se montrèrent sur les hauteurs de Chantonnay, d'où le général Marcé
les débusqua. Les patriotes se trouvèrent donc assaillis sur tous les points
en même temps. « (Les insurgés) enlevaient des armes, quelques
munitions, s'emparaient des canons des châteaux et de ceux qui bordaient les
côtes de la mer, et de plusieurs milliers de pondre et de boulets, que le
lieutenant-général Verteuil avait laissés à leur disposition. Le tocsin
sonnait dans toutes les communes. Les prêtres réfractaires étaient sortis de
leurs repaires, les valets des nobles et des émigrés couraient à toutes
brides dans les campagnes avec des chapelets. Ils annonçaient le retour de
leurs maîtres qui descendaient sur la côte avec les Anglais. Les prêtres
rassemblaient les cultivateurs égarés ; ils les exhortaient à mourir pour le
rétablissement de la religion de leurs pères ; ils leur montraient la
couronne du ciel pour récompense de cette sainte croisade ; ils bénissaient
leurs armes en leur chantant des cantiques, en leur expliquant des passages
de l'Ecriture sainte qui, disaient-ils, avait prédit tout ce qui se passait.
« Toute la France est debout, leur criaient-ils ; Paris même a vengé sur
l'Assemblée nationale le martyre de notre roi. Courage, mes amis ! Il faut
rétablir son fils sur le trône. Le bras du Seigneur nous soutiendra. Qui
pourrait abandonner une si belle cause ? La victoire nous attend. Marchons !
Le Dieu des armées marche avec nous ! Que peuvent les impies contre lui ? » « Les
nobles n'avaient osé se déclarer d'abord. Ils attendaient que les choses
eussent pris une certaine consistance. Ils se contentaient de porter le cœur
de Jésus à leur boutonnière, avec le chapelet, et d'assister aux cérémonies
religieuses vêtus en paysans. Ils se firent presser par eux de les commander
; mais ils ne le firent que lorsqu'ils crurent avoir avec eux des hommes
déterminés à bien combattre. Ils eurent l'hypocrisie de se laisser faire
violence avant d'accepter le commandement, ils le laissaient de préférence
aux bourgeois de leur parti qui avaient servi dans les troupes de ligne. Les
chefs qui dirigeaient les premiers mouvements furent des gardes-chasse ou des
vieux soldats. Tels étaient Joly et Sapin, dans le district des Sables...
Mais, quand les nobles virent que les révoltés se battaient avec une
intrépidité dont le fanatisme pouvait seul les rendre capables, qu'ils se
précipitaient sur les canons des républicains, qu'ils les mettaient en
déroute et leur enlevaient des munitions et des armes, ils ne balancèrent
plus à se rendre aux invitations des paysans, ils se mirent à leur tête ;
Royrand, Sapinaud, La Rochejacquelein, Bonchamp, d'Elbée se joignirent à
Saint-Pol, à Chouppes, à Verteuil ; ces trois .derniers qui étaient, en
quelque sorte, le rebut de la noblesse, s'étaient jetés parmi les attroupés,
dès le commencement. Un très grand nombre de nobles qui n'avaient pas émigré
ne tardèrent pas à les imiter. » Ainsi
les nobles avaient beau se faire modestes et presque humbles. Ils avaient
beau se confondre par l'habit avec les paysans et adopter en signe de
ralliement Le cœur de Jésus, comme pour immoler à l'Eglise leur impiété
d'hier ; ils n'attendaient qu'une occasion de prendre le commandement. C'est
pure légende que de prétendre, comme l'ont fait quelques écrivains
catholiques, que les paysans durent faire violence aux nobles. Ils l'avaient
dit surtout du jeune La Rochejacquelein. Or voici ce que raconte le royaliste
de la Boutetière « Près
de Bressuire.se cachait comme suspect, chez le marquis de Lescure, son
cousin, Henri de La Rochejacquelein, dont le nom allait en quelques mois
passer glorieux à la postérité. Agé de vingt ans, bouillant et plein
d'ardeur, dès qu'il apprit la victoire du 19 mars, il accourut au camp de
l'Oie pour se joindre aux insurgés, et s'adressa au chevalier de La Vérie,
auquel il demanda de le prendre pour aide de camp. Sapinaud devina le héros
sous cette figure d'enfant et, après quelques instants d'entretien, il refusa
l'offre du jeune homme, en lui disant : « Vous êtes fait pour commander et a
non pas pour être commandé ». Puis il l'engagea à user de l'influence que son
nom lui donnait aux environs du château de La Barbelière, domaine de sa
famille, pour se mettre à la tête des paysans des environs de Châtillon,
évidemment dévoués à la révolte, bien que, sous le coup de la répression
terrible de 1792, ils n'eussent pas encore bougé. « La
Rochejacquelein fut vite convaincu, Sapinaud lui donna un peu de poudre, et
il partit vers Châtillon, avec le jeune Baudry d'Asson. Comme ils arrivaient,
l'ordre d'effectuer le recrutement était venu de Niort. Quétineau, avec une
colonne, approchait. Monsieur Henri, que tous les paysans connaissaient,. se
déclara prêt à marcher à leur tête. C'était plus qu'il n'en fallait. Dans la
nuit du 12 au 13 avril, le tocsin sonne dans toutes les paroisses voisines de
la Barbelière, et le lendemain matin, le nouveau général adressait à 4 ou
5.000 paysans cette harangue si connue, chef-d'œuvre d'éloquence militaire :
« Mes amis, si mon père était ici, vous auriez confiance en lui ; pour moi,
je ne suis qu'un enfant, mais, par mon courage, je me montrerai digne de vous
commander. Si j'avance, suivez-moi ; si je recule, tuez-moi ; si je meurs,
vengez-moi ». Ainsi
ce qu'il y avait de « populaire » à l'origine du mouvement, était capté
aussitôt par les forces sociales d'ancien régime. Les
Mémoires de Lareveillère-Lépeaux, publiés en 1895 par son arrière-petit-fils,
confirment en ce point, de la manière la plus nette, les déclarations de
Mercier du Rocher. «
L'argument tiré de ce que les paysans sont allés chercher les nobles dans
leurs châteaux et les en ont pour ainsi dire arrachés de force pour les
mettre à leur tête, lorsque ceux-ci pensaient à rien moins qu'à entreprendre
la guerre civile, cet argument, dis-je, est de nulle valeur. A qui fera-t-on
croire cette ridicule assertion ? Est-ce que la population d'une ou plusieurs
provinces peut se lever dans un même jour sans qu'il y ait des meneurs et un
plan concerté ? Mais ces mêmes meneurs, qui étaient et ne pouvaient être que
les prêtres et les nobles, devaient-ils agir ostensiblement avant que la
partie fût tellement engagée qu'ils n'eussent point à craindre de se perdre,
en se montrant avant d'être soutenus ? » Laréveillère,
qui est né à Montaigu, dans le Bas-Poitou, connaissait très bien les choses
de Vendée. Au
demeurant, la contre-Révolution de l'Ouest savait bien qu'elle ne pourrait
triompher qu'avec l'appui de l'étranger. Or,
c'étaient les princes et les émigrés qui étaient auprès des souverains, et ce
n'était pas pour restaurer le culte catholique, c'était pour rétablir dans
l'ordre civil le principe d'autorité que les rois intervenaient. Ce qu'il y
avait de spontanéité plébéienne et de fanatisme paysan dans les premiers
soulèvements du Poitou et de l'Anjou allait donc être absorbé rapidement par
l'idée monarchique et féodale. En Vendée, l'armée du Centre prend d'emblée le
nom d'armée « catholique royale » et, peu à peu, ce nom s'étendra à
toutes les armées de l'Ouest. La religion ne réclame donc pas sa part de
liberté dans l'ordre nouveau. Elle réclame sa part de privilège dans l'ordre
ancien. L'ORGANISATION DE L'ARMÉE CATHOLIQUE ET ROYALE Ce
n'est pas que tout d'abord le mouvement soit discipliné et centralisé. Chaque
région avait son armée distincte, qui entendait garder son autonomie. Dans un
même département, il y avait plusieurs armées indépendantes : celle de la
Basse Vendée, puis celle du Centre. D'un autre côté se formait l'armée
d'Anjou. Enfin, dans la région nantaise il y avait un autre centre
d'insurrection. Charette et Joly, ces deux rivaux implacables, étaient en
Vendée, chacun' avec sa bande. Stofflet opérait dans l'Anjou. Chacun des
chefs essayait de mettre un peu d'ordre dans l'anarchie du mouvement paysan.
Ainsi, en Vendée, les chefs de l'armée du Centre, unis « aux commissaires de
21 paroisses », établissent un rudiment d'organisation. « Il
sera fait en chaque paroisse un conseil de trois à- neuf membres, suivant la
population. — Tous ceux, dont les sentiments et la conduite ont été reconnus
mauvais, pendant la malheureuse Révolution qui a désolé la France, ne seront
point élus aux conseils ; tous les autres seront nommés par acclamation, et
non au scrutin. Nul homme ne peut prendre le titre de général ou commandant
d'armée, ni être déclaré chef d'armée ou de troupes s'il n'a des pouvoirs
émanés de généraux avoués et reconnus en cette qualité. Quiconque
s'arrogerait le titre de général, de commandant ou de chef de troupe, serait
arrêté par la force armée. » C'est
au carrefour de l'Oie que fut délibéré ce règlement. Il servit de base à
l'institution des conseils de paroisse substitués dans les communes insurgées
aux anciennes municipalités, mais bientôt le Conseil supérieur (le Châtillon
abolit ce système, « considérant que, dans plusieurs endroits, les
conseils s'étaient formés par des élections populaires incompatibles avec les
vrais principes du gouvernement monarchique. » Mais, ce n'est qu'en
tâtonnant et à travers de terribles rivalités de personnes que les forces
vendéennes arrivaient à un commencement d'organisation et d'unité. LE TERRORISME VENDÉEN Dans
cette confusion pourtant une tactique se dégage. Elle consiste d'abord à
semer l'épouvante, à terroriser les patriotes par d'abominables cruautés.
Certes, il y eut un prodigieux déchaînement des instincts de meurtre chez ces
paysans égoïstes et fanatisés. Tuer était pour eux une âpre joie, une volupté
farouche. Le docteur Guépin, de Nantes, a raconté ceci à M. Elie Sorin (Histoire de
la République française) : « Un
jour, on lui amena un paysan vendéen. Ce vieillard était aveugle, et il
venait prier le praticien de lui rendre la vue. Quand il fut en présence de
M. Guépin, il fut pris d'une sorte de délire : « Ah
! vous ne voudrez pas me guérir... Vous connaissez ce que j'ai fait. Mais, si
vous saviez comme le sang saoûle... Quand on tue, on veut tuer toujours...
Nous leur arrachions le cœur ! » Ce
n'était pas seulement cette ivresse de sang qui s'empare des foules. A Paris
aussi, aux massacres de septembre, le peuple avait été saisi de ce vertige
affreux. Mais, dans les grandes cités où les individus ne se connaissent pas
les uns les autres, ces grandes et terribles ivresses des foules ne sont pas
aggravées et exagérées par des ressentiments individuels. Au
contraire, le paysan vendéen savait qui il tuait : c'était le bourgeois
révolutionnaire qu'il avait souvent rencontré aux champs de foire : c'était
le « monsieur », qu'il avait appris à haïr. C'était le patriote qui allait à
la messe de l'assermenté, à la messe du diable. Et, comme l'impie sortait de
l'église profanée par lui, le paysan l'avait traversé plus d'une fois d'un
regard de haine. Qu'on l'abatte maintenant, qu'on le déchire, qu'on le
mutile. Mais souvent ces atrocités auraient pu être évitées sans la
complaisance des chefs et sans les excitations des prêtres. Les chefs
voulaient ou écraser dans le sang ou aplatir dans la terreur tous les
groupements de patriotes. Ces petites villes de bourgeois audacieux et animés
de l'esprit nouveau, c'étaient comme des épines de révolution et d'impiété
enfoncées dans l'Ouest. Il fallait s'en débarrasser à tout prix pour que
l'Ouest tout entier fût au roi. Et les prêtres réfractaires, exaspérés par la
souffrance et le danger, s'assouvissaient en croyant ne venger que Dieu. Ils
liaient les paysans par le crime irréparable. Ils donnaient au meurtre je ne
sais quoi de sacré : ils nouaient entre Dieu et l'homme un horrible pacte
sanglant. Ecoutez
l'aveu qu'un prêtre réfractaire, François Chevalier, fait de ces abominables
violences ; écoutez surtout comment il les justifie « C'est
à Machecoul que commencèrent et se perpétuèrent ces horreurs, un carnage que
l'on aurait peine à imaginer. Dans le premier jour, c'est-à-dire le lundi 11
mars, on ne se fut pas plutôt saisi des patriotes qu'on les conduisit en
prison l'un après l'autre ; mais, chemin faisant, plusieurs furent assommés à
coups de bâton, d'autres furent fusillés. Il est vrai que la gendarmerie et
la garde nationale avaient eu l'imprudence de faire feu les premières et,
quoiqu'elles n'eussent tué ni blessé personne, au moins grièvement, cette
décharge fut le signal de la guerre. On leur riposta sur-le-champ avec un peu
plus d'effet, et de là suivirent des massacres, des vols, des pillages et
des violences sans nombre. « La
même chose à peu près se passa en même temps dans les autres petites villes
de district, tant de la Loire-Inférieure que de la Vendée, comme Legé,
Rocheservière, Montaigu et autres semblables. Mais il n'y en eut point qui,
comme la capitale du pays de Retz, aient été si longtemps le théâtre des
cruautés et des vengeances. « L'insurrection
fut générale dans les environs de cette ville et, par un changement qui
parut un effet de la Providence, ceux qui, depuis deux ans, se faisaient
un jeu d'incarcérer, de persécuter et d'inquiéter tous les citoyens,
éprouvèrent, en ce moment, la peine du ta lion. Le pillage, qu'ils avaient
désigné pour le 12 de ce mois, fut tourné contre eux-mêmes. Il ne faut pas
s'étonner si ces machinateurs de guerres intestines, de schismes et de
révolutions furent traités sans miséricorde ; ils n'avaient fait grâce à
personne et comptaient encore moins en faire par la suite. « Ce
n'est pas qu'on veuille ici excuser les traits d'inhumanité et d'illégalité
des proscriptions auxquelles le peuple se porta dans ces événements tragiques
; mais on ne peut s'empêcher d'apercevoir la vengeance de Dieu sur la France
en général et sur toutes ses parties... « On
trouva, le jour du sac de Machecoul, sur l'autel de l'église des religieuses
du Calvaire, une peau de veau bourrée de paille, se tenant debout et
représentant cet animal vivant. En parallèle, de l'autre côté, était un
cheval de bois, nouvellement enlevé d'une paroisse voisine, à qui il servait
d'instrument pour une espèce de quintaine. On sut après que c'est en présence
de ces deux idoles que se jouaient les pièces de théâtre et les bacchanales
mystérieuses et nocturnes des habitants de l'un et l'autre sexe de cette
malheureuse ville ; quelques-uns disent que c'étaient les pastorales ou
exercices innocents de l'enfance sur la naissance du Messie, ce qui est plus
probable, mais n'excuse rien, l'autel ne pouvant servir de théâtre à un
exercice profane. Il semblait qu'on eût abjuré partout, et il n'est point
d'impiétés auxquelles les écrivains et les libertins ne se livrassent, soit
dans les lieux publics, soit dans les maisons particulières. On peut dire que
cette malheureuse Révolution est l'époque de l'infâme substitution du
paganisme aux principes catholiques... Est-il donc étonnant que Dieu ait
enfin vengé sa cause et livré des scélérats qui ne connaissaient plus de
frein au bras vengeur de toute une population effrénée ? » Notez
que cette apologie abominable est aggravée par le mensonge et par
l'hypocrisie. Il est faux que les patriotes eussent annoncé et organisé le
moindre pillage. Il est faux qu'une seule exécution ait eu lieu en Vendée
avant les massacres de Machecoul. Et comment qualifier le prêtre qui fait un
crime à toute une ville de ces habitudes de culte populaires et un peu
enfantines que le clergé lui-même avait propagées, et qui voit là une excuse
à une tuerie de vingt jours ? « Chaque
jour, ajoute le bon prêtre, était marqué par des expéditions sanglantes, qui
ne peuvent que faire horreur à toute âme honnête et ne paraissent soutenables
qu'aux yeux de la philosophie. Il faut cependant convenir qu'on ne fit point,
à beaucoup près, autant d'horreurs qu'au 2 septembre, à Paris ; on n'y fit
même rien d'approchant. Cependant, les choses en étaient à un point que l'on disait
hautement qu'il était indispensable et essentiel à la paix de ne laisser
aucun patriote en France. Telle était la fureur populaire qu'il suffisait
d'avoir été à la messe des intrus, pour être emprisonné d'abord, et ensuite
assommé ou fusillé, sous prétexte que les prisons étaient pleines comme au 2 septembre.
» Et,
quand les prêtres, tout en affectant de blâmer ces excès de barbarie, y
voient une juste vengeance de Dieu sur la France impie, qui arrêtera les
paysans fanatisés, instruments de cette vengeance divine ? LES MASSACRES DE MACHECOUL M.
Germain Bethuis, fils d'un des massacrés de Machecoul, a très bien noté les
deux traits de la tactique vendéenne : la démagogie rétrograde qui ameutait
toutes les passions jalouses contre la bourgeoisie, classe révolutionnaire,
et la systématique extermination des patriotes. « Machecoul,
petite ville alors remarquable par son commerce de grains et de farines,
était situé sur les confins des Marches poitevines. Elle réunissait une
population de 1.500 à 2.000 habitants. Elle avait cessé d'être capitale du
duché de Retz pour devenir chef-lieu de district. La bourgeoisie, quoique
nombreuse, était dominée par le bas peuple qu'elle employait et faisait
vivre. C'était dans le faubourg de Sainte-Croix qu'habitait cette populace
envieuse, méchante et prête à se ruer sur les bourgeois, qu'elle croyait
devoir remplacer dans leurs biens. Car on n'avait pas oublié d'exciter chez
elle le sentiment de la cupidité. » Que
nous importe le ton de bourgeois censitaire de M. Bethuis, avocat, avoué et
fonctionnaire sous Louis-Philippe ? Il a vu juste au fond et il dit vrai.
C'est le procédé habituel de la contre-Révolution féodale et cléricale, pour
avoir raison de la bourgeoisie, d'exciter contre elle la colère jalouse des
pauvres. Les socialistes, ni dans l'histoire d'hier, ni dans l'histoire
d'aujourd'hui, ne sont dupes de cette manœuvre. Il ne suffit pas pour qu'un
mouvement soit populaire, que le peuple y soit mêlé ; il ne suffit pas pour
qu'une agitation soit prolétarienne, que des prolétaires y participent. Il
faut que ce mouvement et cette agitation aient pour but l'affranchissement du
peuple et du prolétariat. Combattre la bourgeoisie au profit de l'avenir est
révolutionnaire. La combattre au profit du passé est réactionnaire. Les
ouvriers massacreurs de Machecoul, enrôlés par le fanatisme clérical et
l'insolence féodale, n'étaient pas du peuple, historiquement. Ils étaient des
agents de contre-Révolution, comme les paysans superstitieux, égoïstes et
barbares. Il y avait en ces exécutions un plan politique sinistre. « On
peut attribuer à l'effervescence du moment ou à l'instinct cruel qui
sommeille dans le cœur de l'homme, les assassinats qui eurent lieu dans les
premiers jours, mais, dans les jours suivants, une pensée toute politique
dirigea les bourreaux, car le calme était revenu dans les esprits. Ils
obéissaient à une impulsion étrangère. Ce n'était pas" une foule
désordonnée qui frappait, c'étaient des hommes choisis, qui étaient appelés à
remplir l'horrible office de bourreaux et de sbires... « ...
En considérant l'ensemble des meurtres, il s'y manifeste une pensée : celle
de frapper la classe intermédiaire des bourgeois, comme partisans de la
Révolution, laquelle est dominée par une pensée plus horrible encore : c'est
que l'on a voulu compromettre tellement les paysans qu'ils eussent tout à
redouter et ne pussent reculer dans la voie d'extermination... » Le
rapport officiel écrit par le conventionnel Villers et contresigné par son
collègue Fouché, en même temps qu'il retrace le détail d'atrocités presque
surhumaines, marque très fortement la responsabilité des chefs. « Les
plus cruels étaient les vieillards, les femmes et les enfants ; les femmes
criaient : « Tue ! tue ! », les vieillards assommaient, et les enfants
chantaient victoire. Un de ces monstres courait les rues avec un cor de
chasse ; quand passait un citoyen, il sonnait la vue, c'était le signal
d'assommer ; puis, il revenait sur la place, sonner l'hallali ; des enfants
le suivaient en criant : « Victoire ! Vive le Roi ! » « Le
curé constitutionnel, Le Tort, fut saisi. Les barbares ne l'assommèrent pas ;
ils le firent périr à coups de baïonnettes dans le visage. Son supplice dura
environ dix minutes. Un des monstres qui l'avaient assassiné disait encore en
s'en allant : « Ce bougre de prêtre n'a cependant pas vécu longtemps. » « On
arrête le citoyen Pinot avec son fils âgé de dix-sept ans. « Renonce à
la Nation, lui disent les brigands, et nous ne te ferons point de mal. — Non,
je mourrai fidèle à ma patrie : Vive la Nation ! » Et on l'assomme. Les
bourreaux se retournent vers son fils : « Tu vois le sort de ton père ?
Sois des nôtres. Crie : Vive le Roi ! vivent les aristocrates ! Nous ne te
ferons point de mal. — Mon père est mort fidèle à sa patrie ; je mourrai de
même : Vive la Nation ! » et on l'assomme. « Le
citoyen Paynot, juge de paix, mourut aussi en criant : « Vive la Nation ! » « Dans
les journées des 11 et 12 mars, il fut assassiné 44 patriotes dans les rues,
et à peu près autant furent mis en prison. « Une
femme (Mme
Saurin), dont on
venait d'assassiner le mari, le frère et un des ouvriers, fut forcée par ces
barbares de prendre un bout de la civière sur laquelle était le cadavre de
son mari, pour le porter en terre. « On
ne fit aucun mal aux prisonniers jusqu'à l'arrivée de Charette, commandant
général des brigands. Il arriva à Machecoul, le 14, et se rendit aussitôt sur
la place où il harangua sa troupe, en lui parlant surtout des dangers que
courait la religion catholique. On finit par crier : « Vivent le roi, la
noblesse et les aristocrates ! » « Dès
le soir, tous les serruriers furent occupés à forger des menottes,
tranchantes au point qu'en remuant les bras, les malheureux prisonniers se
coupaient les poignets. « Parmi
les paysans, et habillés comme eux, étaient des ci-devant nobles des deux
sexes — selon une lettre au Moniteur, parmi les « furies de
Machecoul » il y avait trois filles de La Rochefoucauld habillées en
paysannes —, beaucoup de prêtres réfractaires, entre autres un ancien vicaire
de Machecoul nommé Drion — je le nomme parce qu'il faut que les monstres
soient connus comme les héros —. On l'invita à dire la messe dans l'église. « Non,
dit-il, elle n'a pas été purifiée depuis que le curé constitutionnel en est
sorti. » Mais que fait-il ? Il fait dresser un autel dans l'endroit même où
l'on avait massacré presque tous les citoyens ; il y dit la messe les pieds
dans le sang qui coulait encore ; le bas de son aube était sanglant, et il
finit par le Domine salvum fac regem. « Depuis
le vendredi 15 mars jusqu'au lundi 22 avril, à peine se passa-t-il un jour
qui ne fût marqué par des assassinats. Pour les légitimer en quelque sorte
aux yeux de ceux qui commençaient à s'en lasser, Charette écrivait des
lettres qu'il s'adressait à lui-même ; tantôt c'était de Nantes, tantôt
c'était de Paris. La veille de Pâques, il lut en public une de ces lettres
prétendues, dans laquelle on lui marquait que tous les prêtres sexagénaires,
détenus dans la ville de Nantes, venaient d'être saignés à la gorge. Dès le
lendemain, cette ruse barbare eut l'effet qu'il en attendait. On se porte aux
prisons ; 24 de nos malheureux frères sont assassinés le matin et 56 le soir,
et ces anthropophages disaient en soupant : « Nous sommes bien décarêmés
aujourd'hui ! » « Ils
n'assommaient plus, mais ils attachaient les prisonniers à une longue corde
qu'on leur passait au bras (les brigands appelaient cela leur chapelet) ;
puis on les menait dans une vaste prairie où on les faisait mettre à genoux
devant un grand fossé. Ils étaient fusillés ; ensuite des piquiers et des
assommeurs se jetaient sur ceux qui n'avaient pas reçu de coups mortels. « Le
citoyen Joubert, président du district, eut les poignets sciés avant d'être
assassiné ; il le fut à coups de fourches et de baïonnettes. « Ces
barbares ont enterré des hommes vivants. Un jeune homme de dix-sept ans,
nommé Gigault, s'est soulevé de dessous les cadavres enterrés avant lui ;
mais, n'ayant pas assez de force pour aller loin, il fut bientôt repris et
assommé. On voyait encore, le 23 avril, dans cette prairie qui a servi de
tombeau à tant de braves et malheureux citoyens, un bras hors de terre, dont
la main, encore accrochée à une poignée d'herbe, semblait celle d'un homme
qui avait voulu sortir de. la tombe. « Ces
monstres avaient assommé dans Machecoul 542 citoyens, et tant de victimes ne
suffisaient pas encore à leur fureur. Ils voulaient détruire les femmes, .et,
pour y parvenir, Charette s'écrit encore une lettre de Nantes, où on lui
mande que sa femme vient d'être massacrée dans cette ville. Aussitôt toutes
les femmes citoyennes sont conduites en prison ; mais le moment n'étant pas
venu, on les fit sortir. « Ces
scélérats se partageaient déjà les propriétés des citoyens. L'un d'eux disait
un jour à sa femme : « Tu te plaignais de faire ta métairie à moitié, hé
bien ! je te la donne ; je viens de tuer le propriétaire. » « Ils
disaient qu'ils combattaient pour la foi, et les prêtres, pour les
encourager, leur persuadaient qu'ils iraient droit en paradis, s'ils
mouraient en combattant, et en enfer si c'était en se sauvant ; et que,
d'ailleurs, s'ils avaient de la foi, les balles ne les atteindraient pas. « Charette
et l'ancien vicaire de Machecoul, sachant que l'armée de Beysser était en
chemin, craignaient que cette nouvelle ne jetât l'alarme parmi leur troupe ;
ils imaginèrent un moyen pour arrêter la désertion. Le prêtre crie au miracle
; il s'associe un vieillard sur lequel il avait fait tirer quinze coups de
fusil à poudre, et ces deux scélérats courent de rue en rue, en disant qu'une
prieure de la communauté, morte depuis plusieurs années, leur a parlé. On les
questionne ; le prêtre dit que la sainte a recommandé qu'on ne tuât plus
personne qu'au combat, et qu'elle a assuré au vieillard, au-devant duquel
elle s'est placée lorsqu'on le fusillait, que tous les Bleus mourraient dans
la journée du 22. Le commandant Charette fait allumer des cierges autour de
la tombe de la prétendue sainte ; on se met à genoux, le prêtre pose la main
sur la pierre tombale, et il s'écrie qu'il la sent se soulever. Aussitôt on
crie au miracle, on fait des prières, et cette fanatique cérémonie finit par
une invitation à revenir le lendemain chercher les paroles de la sainte,
écrites derrière une petite Vierge nichée au mur. Quelles étaient les paroles
de la sainte ? La liste de toutes les femmes patriotes qu'on devait
assassiner avec leurs enfants dans la nuit du 22... » C'est,
depuis l'origine, la même supercherie criminelle attisant le fanatisme et
la-cruauté. Les missionnaires de Saint-Laurent, on s'en souvient, faisaient
promener sur les murs des chapelles des ombres magiques. Et bientôt les chefs
vendéens, désirant avoir avec eux un évêque pour donner plus d'élan aux
paysans crédules, permettent à un aventurier, Guillot de Folleville, de se
dire évêque d'Agra. Il est désavoué par un bref du pape. Les chefs vendéens
cachent au peuple cette lettre, et Guillot de Folleville continue à parader
avec sa crosse dorée. Quel mépris pour les simples ! Et quel mélange
monstrueux de mensonge et de férocité ! LES PREMIERS SUCCÈS DES VENDÉENS Dès les
premiers jours de l'insurrection, et par un mouvement à la fois dispersé et
concerté, les insurgés s'emparent du district de Challans, en Vendée, de
Cholet, dans l'Anjou, et ils occupent si fortement les abords de Nantes que
toutes les communications sont coupées entre la grande ville révolutionnaire
et l'Ouest. Leur plan était d'occuper solidement les villes et de s'emparer
de celles de la côte, pour assurer le débarquement des Anglais. Ils
n'attendent pas, pour appeler l'étranger, d'être acculés ou affolés par une
longue lutte. C'est tout de suite qu'ils comptent sur lui. C'est vers lui
qu'est tournée leur tactique. Les royalistes angevins, vers le milieu de
mars, se disaient les uns aux autres : « Nous
avons commencé la contre-Révolution quinze jours trop tôt ; nous attendions
des Anglais et des émigrés qui devaient débarquer aux Sables-d'Olonne. » « C'est
dans l'espoir d'ouvrir la France aux Anglais que Joly, avec ses bandes, livra
à la vaillante petite ville des Sables-d'Olonne, si héroïquement dévouée à la
Révolution, des assauts répétés Après l'échec de ces premières tentatives,
aux premiers jours d'avril, « les commandants des armées catholiques
royales des Bas-Anjou et Poitou députaient vers Messieurs du comité de
Noirmoutier, René-Augustin Guerry, président du comité de Tiffauges »,
afin de se procurer « d'Espagne ou d'Angleterre la poudre qui leur manquait,
si Messieurs de Noirmoutier ne pouvaient leur en procurer suffisamment ». Et
M. Chassin ajoute : « A
cette commission, datée de Saint-Fulgent, le 6 avril 1793, les c9,mmandants
d'Elbée, Berrard et Sapinaud joignirent, le 8, deux billets à remettre aux
chefs militaires de l'un des ports d'Angleterre et d'Espagne où leur
émissaire aborderait « les priant de leur procurer, dans le plus court délai,
des munitions de guerre et des troupes de ligne, pour parvenir aux fins
qu'ils se proposaient ». Il est
vrai que l'Angleterre ne se rendit pas compte d'abord de l'importance du
mouvement et de l'aide qu'elle y pouvait trouver. Pendant plusieurs mois, les
puissances étrangères ne connaissent que le nom d'un des chefs bretons, le
perruquier Gaston. Les princes aussi, le comte de Provence et le comte
d'Artois, méconnaissent d'abord le mouvement de Vendée. Pressé de rejoindre
ceux qui combattaient pour lui, le comte d'Artois se dérobe. Catherine de
Russie a beau Fui dire : « Vous êtes un des plus grands princes de
l'Europe, mais il faut oublier cela et être un bon et valeureux partisan. »
Elle a beau lui offrir, en présence de toute sa Cour, une épée portant sur la
lame cette inscription : « Donnée par Dieu pour le roi », le comte
d'Artois hésite à se jeter dans les aventures. Il évita la Vendée. LE RÉTABLISSEMENT DE L'ANCIEN RÉGIME DANS LE PAYS
INSURGÉ De
quels égoïsmes monstrueux les paysans étaient enveloppés ! On les avait si
bien affolés de fanatisme, de pieuses supercheries et de mensonges, qu'on les
jetait à la plus terrible lutte dans l'intérêt de prétendants qui, eux, se
ménageaient, et qu'on ne craignait pas de -leur proposer comme but la
restauration de tout l'ancien régime et des privilèges mêmes dont ils avaient
le plus souffert. C'était le rétablissement de la dîme. C'était la
reconstitution du domaine d'Eglise repris sur les paysans aussi bien que sur
les bourgeois. Le Conseil supérieur de Châtillon-sur-Sèvre ne tardera pas, en
effet, à « annuler les ventes des biens ecclésiastiques, domaniaux et autres,
dits biens nationaux, faites en vertu des soi-disant Assemblées nationales »,
ainsi que « les cessions et reventes desdits biens consenties par les
premiers acquéreurs. » Il déclarera « qu'il n'appartient qu'au roi, à
l'Eglise et aux ordres de l'Etat réunis de prononcer sur la dîme ». Les
abonnements de dîmes et autres redevances, qui se payaient en nature,
devaient « continuer à être payés de la même manière qu'en 1790 ». Sans
doute, les fermiers et propriétaires jouissant par eux-mêmes étaient
autorisés à « lever tous les fruits de leur récolte, sans en laisser aucune
partie sur les champs sujets aux droits et redevances ». Mais il leur était
enjoint « de faire déclaration sincère et exacte des fruits qu'ils
auraient dû laisser sur les terres pour l'acquit des dîmes », afin de rendre compte
de ces fruits « dans le cas où le roi, l'Eglise et les ordres de l'Etat
le jugeraient à propos, si mieux n'aimaient se libérer tout de suite, en
payant sur quittance. » Les dîmes perçues et les revenus des anciens biens
ecclésiastiques étaient affectés « aux frais du culte catholique, apostolique
et romain, et au traitement de ses membres. » (Voir Chassin.) Ainsi,
ce n'était pas seulement le rétablissement éventuel des dîmes : elles étaient
rétablies en fait, puisque les cultivateurs en étaient, même pendant cette
période de crise, comptables à l'Eglise et au roi, et qu'un terrible passif
s'accumulait sur eux d'année en année. Selon le code des pays insurgés, « les
titulaires de bénéfices résidant dans le pays conquis étaient maintenus dans
la jouissance desdits bénéfices nonobstant toute vente ou aliénation faite en
vertu des décrets de l'Assemblée nationale. Ils ne pouvaient cependant
résilier les baux et expulser les fermiers. « Les
acquéreurs des biens nationaux n'étaient maintenus dans la jouissance desdits
biens que d'une manière provisoire et comme fermiers ou régisseurs comptables
envers les titulaires résidant dans le pays conquis. Les baux étaient
maintenus jusqu'à leur échéance. Les fermages des biens nationaux, dont les
titulaires ou anciens propriétaires ne résidaient pas dans le pays, étaient
payés au trésorier de l'armée. » A vrai
dire, quand les paysans connurent ces dispositions, quand ils commencèrent à
comprendre que, sous prétexte de défendre la religion, la noblesse la plus
égoïste et le clergé le plus avide voulaient les dépouiller à nouveau, il y
eut des murmures et, au témoignage de Mercier du Rocher, ils allaient disant
: « Nous ne sommes pas mieux traités d'un côté que de l'autre ». Mais ce
n'est qu'au bout de quelques mois que les chefs, prêtres et nobles, se
risquèrent à faire connaître tout leur plan de contre-Révolution. Et tout
d'abord, les paysans, stupides de fanatisme grossier et exaspérés contre le
recrutement, marchaient sans hésitation au combat. LA VENDÉE PATRIOTE Ah ! de
quel péril les cités patriotes et révolutionnaires de l'Ouest sauvèrent la
Patrie et la liberté ! Si les bourgeois de Fontenay, de Nantes, des
Sables-d'Olonne avaient fléchi, s'ils n'avaient pas gardé la contenance de
fermes républicains », si les bandes vendéennes avaient pu saisir d'emblée le
grand port de la Loire, Nantes, et le port sur l'Océan, les Sables-d'Olonne,
l'attention des émigrés et des Anglais aurait été appelée aussitôt sur le
soulèvement de l'Ouest, et l'Anglais aurait abordé les côtes de France à
l'heure même où l'Autrichien menaçait ses frontières du Mord. Mais, en
Vendée, ces petites villes au grand cœur s'obstinèrent dans la résistance.
Les patriotes sablais surtout, en gardant à la Révolution le port de l'Ouest
vendéen, rendirent un service immense. Et la lutte de ce que M. Chassin a si
bien nommé « la Vendée patriote », le sang-froid de ces groupes comme perdus
en un pays hostile étaient d'autant plus héroïques que, tout d'abord, il ne
fut pas aisé aux révolutionnaires vendéens de faire comprendre à Paris, à la
Convention, l'étendue du péril. LES MESURES DE RÉPRESSION L'Assemblée
sut, par le directeur des postes, le 17 mars, que les courriers de Nantes
étaient interceptés. Elle apprit aussi que la révolte avait éclaté aux
environs de Redon. Elle porta le 19 une loi terrible, qui condamnait à mort
tous ceux qui seraient « prévenus d'avoir pris part aux révoltes ou émeutes
contre-révolutionnaires qui éclataient ou éclateraient à propos du
recrutement, tous ceux qui auraient pris ou garderaient la cocarde blanche ».
S'ils étaient pris ou arrêtés les armes à la main, ils devaient être dans les
vingt-quatre heures livrés à l'exécuteur des jugements criminels. Un
procès-verbal de deux signatures suffisait à rendre le fait constant : la
confiscation des biens suivait la peine de mort. Toute
la Convention vota cette loi. Même c'est Lanjuinais qui y fit introduire les
dispositions les plus terribles. C'est lui qui avait demandé que la peine de
mort frappât ceux qui « porteraient la cocarde blanche ». Et Marat
s'était révolté contre cet excès : « La
mesure proposée par Lanjuinais est la plus insensée, la plus indigne d'un
être pensant et bien intentionné pour la République. Elle ne tend à rien•
moins qu'à faire égorger les vrais patriotes. Ce ne sont pas les hommes
égarés contre lesquels il faut sévir, ce sont les chefs. » Lanjuinais
était un homme intrépide et d'esprit inflexible. Il ne faisait pas corps avec
les Girondins ; il n'aimait ni leur inconsistance un peu bruyante ni leur «
impiété », il était janséniste et chrétien fervent. Il avait le sens de la
liberté et de la loi, mais son esprit étroit ne comprenait pas les grands
mouvements populaires, les nécessités de la Révolution, et toujours, pour
combattre l'anarchie et la démagogie, il s'opposait aux actes de vigueur
nécessaires. Cette fois, s'il fut terrible, c'est parce que les insurgés de
l'Ouest outrageaient la loi, et que Lanjuinais voulait défendre la loi contre
tous. J'observe cependant que dans l'opuscule qu'il a écrit pour sa défense
en 1793, et qui a été publié par son petit-fils sous le titre : Examen de
la conduite de Lanjuinais, député proscrit, il néglige une occasion très
naturelle de rappeler sa motion. « Camille
Desmoulins, écrit-il, dans une adresse du 7 juin dernier, au nom des Jacobins
de Paris, m'a accusé d'avoir été le pape de la Vendée. Je n'examinerai point
si c'est une faute ou un crime... Je ne lui dirai point qu'il est le pape des
calomniateurs ; je laisse là les figures dont il fait un si ridicule emploi.
J'affirme simplement que je n'ai jamais eu aucune sorte de relations avec les
rebelles de la Vendée, que je n'ai jamais été dans ce pays, que je n'y
connais personne et que je n'y ai jamais eu de correspondance. C'est à lui de
prouver le contraire ou d'avouer sa turpitude. » Oui,
mais pourquoi Lanjuinais ne répond-il pas que c'est lui qui a proposé contre
tous les rebelles de l'Ouest la loi la plus redoutable ? C'eût été une
réplique très forte. Mais, sans doute, ses impressions à ce sujet s'étaient
modifiées un peu, et il laissait volontiers dans l'ombre cette terrible
motion. LA GIRONDE ET LA VENDÉE La
Gironde, dans l'ensemble, accueillit assez froidement les communications et
les appels de la Vendée patriote. Elle ne prit pas au sérieux le péril
vendéen. Mercier du Rocher l'affirme très nettement. Prévinquières et lui,
délégués auprès de la Convention, allèrent, le 23 mars, au Comité de défense
générale — et non de sûreté générale, comme l'imprime par erreur M. Chassin à
la page 517 : « Pétion,
présidant ce Comité, et la plupart des membres qui le composaient étaient du
parti qu'on appelait girondin. J'y vis Barbaroux, Vergniaud et Gensonné. On
discuta longtemps sur les moyens de ramener la tranquillité dans les
départements révoltés. Lamarque proposa de charger le pouvoir exécutif de cet
objet. Je répondis que cette disposition était insuffisante ; je représentai
la guerre civile et toutes ses horreurs répandues sur le territoire de la
Vendée qui serait peut-être bientôt à la merci des Anglais. On me dit
qu'il ne fallait pas m'exprimer aussi énergiquement ; mais je répliquai
que je n'étais pas là pour cacher la vérité et qu'il fallait bien connaître
le mal pour y appliquer le remède. Gensonné dit au Comité que le département
de la Vendée était entièrement fanatisé et que, sur vingt citoyens de ce
pays, à peine rencontrait-on un patriote. « Gensonné, répondis-je, il y
a encore des patriotes dans la Vendée ; mais pourquoi n'as-tu pas dit au
Corps législatif la vérité dans le rapport que tu lui en as fait dans ta
mission sur a notre territoire ? Pourquoi lui as-tu caché la disposition où
étaient les esprits dans ces contrées ? Pourquoi ne démasquas-tu pas
l'incivisme de Péchard, qui était l'âme de l'administration ? Elle était bien
coupable, elle a favorisé les prêtres réfractaires et les nobles. » « Gensonné
se tut. On continua la délibération. Santerre, commandant de la garde de
Paris, était présent. « D'après ce que vient d'exprimer ce citoyen,
dit-il en me montrant, il n'y a pas un instant à perdre. Il faut faire partir
pour la Vendée vingt mille hommes de la garde nationale de cette ville dans
toutes les voitures qu'on pourra se procurer. Ils seront rendus dans huit
jours en présence des brigands, qui rentreront bien vite dans le devoir. Nous
saisirons les prêtres, les nobles et les scélérats qui les excitent. Les bons
cultivateurs reconnaîtront leurs erreurs ; nous leur parlerons le langage de
la raison et de la fraternité, et le « calme sera rétabli ». Cette
proposition fut appuyée par Marat, mais elle ne fut pas mise aux voix. « On
ne s'inquiétait même pas de recueillir des renseignements sur l'objet dont on
s'occupait. Je tombai par hasard sur un carton qui renfermait les pièces que
nous avions fait passer au Conseil. J'y retrouvai les lettres que nous avions
écrites le 4 et le 14, et les -copies des correspondances que nous avions
trouvées sur les chefs des brigands. Tous ces écrits étaient propres à
éclairer la discussion. Ils ne furent pas même consultés en cette
circonstance. On eût dit que la malveillance dirigeait les opérations du
Comité. Barère, qui était vice-président, était d'une froideur qui ne peut
s'exprimer ; il se tenait serré auprès de Pétion ; on eût dit qu'il attendait
l'issue de la lutte entre la Gironde et la Montagne pour se déclarer...
Cependant il paraissait plus disposé à se ranger du côté de Guadet que du
côté de Marat. « Ce
dernier dit au Comité « que le salut public était la suprême loi, que
les ennemis de la Patrie levaient un front audacieux, qu'il fallait armer les
bons citoyens et leur distribuer des poignards. » En disant ces paroles, il
en tira un qu'il avait sous la nappe et l'étendit sur la table : « Voilà le
modèle de l'arme que je vous propose, ajouta-t-il ; examinez bien cette arme,
comme elle est aiguë ! Comme elle est tranchante ! Que chacun de vous essaie
comme moi de percer le sein des ennemis de la République ! » « Barère
répondit que « le Comité n'était point assemblé pour s'occuper de la
forme des poignards. — De quel parti es-tu ? lui demanda fièrement Marat. —
Du parti de la République, répondit Barère ; quant à moi, je ne sais si Marat
en est bien. — Toi, répliqua ce dernier, un républicain ! Barère un
républicain ! c'est impossible ! » On fit cesser le débat qui devenait
très chaud. » C'est une des séances violentes dont parle Barère dans ses
Mémoires : « Dans
ces temps de crise et de trahison, le Comité de défense crut devoir
transporter ses séances dans les appartements des Tuileries, et il prit la
résolution de délibérer tous les soirs, sous les yeux mêmes de tous les
membres de la Convention qui voudraient se rendre dans son sein. Les séances (fin de mars) étaient extrêmement nombreuses
et duraient fort avant dans la nuit. Chacun y portait le tribut de ses
lumières ; quelques-uns y portèrent le tribut plus dangereux de leurs
passions. Tel fut Marat et quelques autres députés irascibles et défiants. » Mais,
entre l'exaltation souvent clairvoyante, parfois puérile de Marat et l'esprit
d'inaction et d'indifférence de la Gironde, le Comité ne décidait rien. Les
Girondins, de même qu'ils avaient essayé, au commencement de mars, de cacher
à eux-mêmes et aux autres la portée des événements de Belgique, essayaient
maintenant de jeter ou de laisser un voile sur les redoutables événements de
l'Ouest. Justement, en cette fin de mars, les sections de Marseille, prenant
parti contre Barbaroux et ses amis, avaient demandé par une pétition à la
Convention qu'ils fussent rappelés. Et Barbaroux, pour relever le défi, avait
proposé la convocation des assemblées primaires et l'appel aux électeurs. L'appel
aux départements était, pour la Gironde, la suprême ressource ou tout au
moins la suprême tactique. Elle sentait que du côté de la Belgique et de
Dumouriez des nouvelles terribles allaient venir. Elle prévoyait un
soulèvement de Paris, et elle s'apprêtait à refouler les forces
insurrectionnelles parisiennes en s'appuyant sur des forces départementales.
Mais, comment invoquer les départements contre Paris au nom de la liberté, de
la Patrie et de la Révolution, si déjà les départements de l'Ouest trahissaient
au profit des émigrés, du roi et de l'étranger, la Révolution et la Patrie ?
Avouer la gravité de l'insurrection de l'Ouest, c'était ou bien reconnaître
avec la Montagne que Paris était le centre de salut, la sauvegarde
nécessaire, le foyer inviolable et sacré, ou bien se condamner soi-même par
un pacte public avec la contre-Révolution. BRISSOT DÉNONCE LE COMPLOT DE PITT D'ailleurs,
la thèse de la Gironde, c'était que tous les désordres, tous les malheurs,
toutes les défaites étaient la conséquence de l'action des anarchistes
travaillant pour le compte de l'étranger. Dès lors, pourquoi s'épuiser à
combattre telle ou telle manifestation du mal ? Il fallait en tarir la
source, et supprimer l'anarchie. Ainsi, par une logique d'aberration, la
Gironde concluait que détruire la Montagne était le vrai moyen de combattre
et Pitt et les Vendéens révoltés. Qu'on lise, à cette date, le Patriote
français, et l'on verra à quel point l'esprit de la Gironde, faussé par tous
les paradoxes de l'orgueil et de la rancune, était devenu incapable de
percevoir le vrai et de sauver la Révolution menacée. Il y avait selon les
Girondins une triple conspiration : conspiration des anarchistes,
conspiration des contre-révolutionnaires, conspiration de l'étranger, et de
cette triple conspiration, la branche essentielle et maîtresse, c'était la
branche anarchiste. C'est sur celle-là d'abord qu'il fallait porter la hache. « Nous
avons, dit le numéro du 19 mars, découvert ces jours derniers des traces de
la triple conspiration tramée à la fois dans toutes les parties de la France,
mais ce n'étaient que de faibles étincelles qui annonçaient un terrible
incendie. Il résulte, de dépêches communiquées aujourd'hui à la Convention
nationale, que les départements de l'Ille-et-Vilaine, de Mayenne et Loire, de
la Vendée, des Deux-Sèvres et de plusieurs autres des ci-devant provinces de
Bretagne et de Normandie, sont en proie aux horreurs de la guerre civile. Des
brigands et une multitude égarée, COMMANDÉS PAR DES ÉMISSAIRES DES
ANARCHISTES,
portent partout le fer et la flamme. Cholet est incendié ; les rebelles,
maîtres des chefs-lieux de district, sont réunis en corps d'armée, ils ont
des armes, du canon, ils livrent des combats, cependant les corps
administratifs et les patriotes témoignent le plus grand courage. Déjà les
révoltés ont été complètement battus dans le district de Montaigu, et ont
laissé 500 de leurs complices sur la place. « Il
est aisé de voir ici le doigt de Pitt. Ce ministre astucieux croit ne pouvoir
mieux seconder les armées des despotes que par une puissante diversion à
l'intérieur ; il espère sans doute ainsi s'ouvrir par ces manœuvres nos côtes
maritimes. Habile à tirer parti de la crise où nous sommes, il envenime
nos divisions intestines ; il alimente cette guerre de libelles, que
l'intrigue et le crime fait au patriotisme et à la vertu ; en un mot, il
se dispose à recueillir les fruits de ces germes de dissolution que nos
anarchistes ont semés. C'est pour Pitt qu'on a avili la représentation
nationale, et qu'on a dirigé contre elle la plus cruelle défiance. C'est pour
Pitt qu'on a brisé tous les ressorts des lois ; c'est pour Pitt qu'on a
laissé Paris sans force publique et qu'on le livre en proie à une poignée de
scélérats couverts de boue et de sang ; c'est pour Pitt qu'on a rompu le
frein sacré de la morale publique, et qu'on a, pour ainsi dire, popularisé le
crime ; c'est pour Pitt qu'on a attenté à la liberté de la presse, ce
palladium de toutes les autres libertés. Aussi marchons-nous avec une
effrayante rapidité vers la désorganisation universelle, vers ce
renouvellement de la société, but avoué de nos anarchistes, et nous y
touchons si une ligue fraternelle, si une contre-conjuration de tous les
patriotes ne se hâtent de sauver la République et le genre humain. » Est-ce
que vraiment les Girondins croyaient alors que ceux qu'ils appelaient les
anarchistes, c'est-à-dire les plus influents des Montagnards, étaient les
agents de l'étranger ? Oui, plusieurs parmi eux avaient fini par le croire.
Il leur semblait si monstrueux de n'être plus les chefs de la Révolution
qu'ils ne pouvaient expliquer que par l'intrigue et l'or de l'Angleterre et
de la Prusse ce renversement de toute raison. LA CONVERSATION DE SALLE AVEC GARAT Louvet,
Salle étaient comme hallucinés. Ce que dit Salle à Garat, en mars 1793, est
du délire : « Je
vais tout vous dire, car j'ai tout deviné ; j'ai deviné toutes les trames.
Tous les complots, tous les crimes de la Montagne ont commencé avec la
Révolution ; c'est d'Orléans qui est le chef de cette bande de brigands, et
c'est l'auteur du roman infernal des Liaisons dangereuses qui a dressé
le plan de tous les forfaits qu'ils commettent depuis cinq ans. Le traître La
Fayette était leur complice, et c'est lui qui, en faisant semblant de déjouer
le complot dans son origine, envoya d'Orléans en Angleterre pour tout
arranger avec Pitt, le prince de Galles et (e cabinet de Saint-James.
Mirabeau était aussi là-dedans ; il recevait de l'argent du roi pour cacher
ses liaisons avec d'Orléans, mais il en recevait plus encore de d'Orléans
pour le servir. La grande affaire pour le parti d'Orléans, c'était de faire
entrer les Jacobins dans ses desseins. Ils n'ont pas osé l'entreprendre
directement : c'est d'abord aux Cordeliers qu'ils se sont adressés : dans les
Cordeliers, à l'instant, tout leur a été vendu et dévoué. Observez bien que
les Cordeliers ont toujours été moins nombreux que les Jacobins, ont toujours
fait moins de bruit ; c'est qu'ils veulent bien que tout le monde soit leur
instrument, mais qu'ils ne veulent pas que tout le monde soit dans leur
secret. Les Cordeliers ont toujours été la pépinière des conspirateurs :
c'est là que le plus dangereux de tous, Danton, les forme et les élève au meurtre
et au massacre ; c'est là qu'ils s'exercent au rôle qu'ils doivent jouer
ensuite dans les Jacobins, et les Jacobins, qui ont l'air de mener la France,
sont menés eux-mêmes, sans s'en douter, par les Cordeliers. Les
Cordeliers, qui ont l'air d'être cachés dans un trou de Paris, négocient avec
l'Europe et ont des envoyés dans toutes les Cours qui ont juré la ruine de
notre liberté ; le fait est certain, j'en ai la preuve. « Enfin,
ce sont les Cordeliers qui, après avoir englouti un trône dans des flots de
sang, se préparent à verser de nouveaux flots de sang pour en faire sortir un
nouveau trône. Ils savent bien que le côté droit où sont toutes les vertus,
est aussi le côté où sont les vrais républicains ; et, s'ils nous accusent de
royalisme c'est parce qu'il leur faut ce prétexte pour déchaîner sur nous les
fureurs de la multitude, c'est parce que des poignards sont plus faciles
trouver que des raisons. Dans une seule conspiration, il y en a trois ou
quatre. « Quand
le côté droit tout entier sera égorgé, le duc d'York arrivera pour s'asseoir
sur le trône ; et d'Orléans, qui le leur a promis, l'assassinera. D'Orléans
sera assassiné lui-même par Marat, Danton et Robespierre, qui lui ont fait la
même promesse ; et les triumvirs se partageront la France couverte de cendres
et de sang, jusqu'à ce que le plus habile de tous, et ce sera Danton,
assassine les deux autres, et règne seul, d'abord sous le titre de dictateur,
ensuite, sans déguisement, sous celui de roi. Voilà leur plan, n'en doutez
pas ; à force d'y rêver, je l'ai trouvé ; tout le prouve et le rend évident.
Voyez comme toutes les circonstances se lient et se tiennent ! Il n'y a pas
un fait dans la Révolution qui ne soit une partie et une preuve de ces horribles
complots. Vous êtes étonné, je le vois ; serez-vous encore incrédule ? « —
Je suis étonné, en effet. Mais, dites-moi, y en a-t-il beaucoup parmi vous,
c'est-à-dire de votre côté, qui pensent comme vous sur tout cela ? « —
Tous, presque tous. Condorcet m'a fait une fois quelques objections ; Sieyès
communique peu avec nous ; Roland, lui, a un autre plan, qui quelquefois se
rapproche et quelquefois s'éloigne du mien ; mais tous les autres n'ont pas
plus de doute que moi sur ce que je viens de vous dire ; tous sentent la
nécessité d'agir promptement, de mettre promptement les fers au feu
pour prévenir tant de crimes et de malheurs, pour ne pas perdre tout le fruit
d'une révolution qui nous a tant coûté. » Notez
que lorsque le Patriote français parle, en soulignant les mots, de la triple
conspiration — et il en parle sans cesse à cette date —, il fait écho aux
propos de Salle. Les Girondins donnaient une sorte de tour cabalistique et de
formule mystérieuse aux combinaisons incroyables qu'imaginait leur esprit
surexcité. La triple conspiration devenait la hantise du parti, le mot de
passe que les initiés prononcent en public, mais en lui donnant un sens
secret plus profond, une signification ésotérique. L'OPINION DE BARÈRE SUR MARAT ET DANTON Comment
des hommes aussi hallucinés auraient-ils pu voir la marche de la
contre-Révolution dans l'Ouest ? Comment auraient-ils pu la combattre ?
Barère le prudent, ou, comme disait Desmoulins. Barère le flegmatique, se
laissa gagner, sans doute, par cette contagion de soupçon et de folie. Je
sais bien qu'il ne faut accorder qu'un médiocre crédit à ses Mémoires où, en
s'imaginant se défendre, il s'est rapetissé lui-même comme à plaisir. Il n'était
plus, quand il les écrivait, soutenu par le grand souffle de la Révolution ;
il n'était plus comme agrandi lui-même par la grandeur des événements, et il
ne lui reste bien souvent que ses impressions les plus mesquines et les plus
misérables sur les hommes. On dirait qu'ayant survécu il s'en excuse, en
rabaissant ceux qui furent frappés. Pourtant,
s'il a, dans ses Mémoires, précisé bien des pensées qui, sans doute, furent
flottantes, et aggravé bien des jugements qui furent moins sévères quand
Barère était en contact direct avec les événements et les hommes, il a puisé,
sans doute, dans le fond de ses impressions et de ses souvenirs ce qu'il dit
de Marat et de Danton : « Marat
fut l'agent secret de Pitt et du comte-de Provence pendent la crise
révolutionnaire ; il avait été indiqué au ministre anglais et au prince de
l'émigration par M. de Calonne, qui avait connu Marat à Paris pendant les
premières assemblées des notables, et qui dirigea la plume de cet écrivain.
C'est de Marat que M. de Calonne dit un jour au libraire du faubourg
Saint-Germain qui le lui avait fait connaître : « —
Ah ! les notables veulent des révolutions, je leur en ferai ; votre homme me
sera très utile. » Marat alla à Londres pendant la première année de la
Révolution et prit les instructions de William Pitt et de M. de Calonne
réfugié en Angleterre. A son retour, il publia les premiers numéros de l'Ami
du peuple, où il propagea les exagérations démagogiques. » Et
voici ce que Barère dit de Danton, précisément à propos de la Vendée : « Il
obséda le Comité, relativement à la guerre de Vendée, jusqu'à ce qu'il eùt
obtenu, par ses importunités et ses nouvelles, qu'on délibérât sur la
nécessité de faire partir des bataillons volontaires de Paris, et de donner
le commandement général de cette armée à Santerre, instrument docile entre
les mains de Danton. Celui-ci agissait ainsi dans l'intérêt de la Commune, par
les insinuations d'un parti puissant qui se tenait au fond de l'Allemagne et
ensuite à Londres ?... » Et il'
termine par ces paroles où le sous-entendu éclate : « C'est
à l'histoire inexorable et surtout investigatrice de la vérité, qu'il
appartiendra plus particulièrement de signaler les causes secrètes, les
agents coupables ou intéressés de cette exécrable guerre civile ; alors on
sera bien étonné, sans doute, de voir quelles mains ont déchiré le sein de la
Patrie, quels profonds hypocrites ont entretenu au cœur de la France cette
contagion politique et ce fantôme furieux, qui devait empêcher la liberté
politique de s'établir et le droit du peuple de s'organiser, protégé par une
Constitution et des lois sages. » Je sais
que ces insinuations de Barère s'appliquent à une période ultérieure de la
guerre de Vendée ; et je n'oublie pas non plus que, quand il écrivait ces
lignes, Barère éprouvait, sans doute, le besoin de se justifier devant la
postérité d'avoir ou immolé ou laissé immoler Danton et Robespierre. Mais,
encore une fois, ces hypothèses plus que suspectes ont dû traverser son
esprit en cette fin de mars où il se tenait, suivant l'expression de Mercier
du Rocher, « serré contre Pétion » et en communication assez étroite avec la
Gironde. L'idée
de Barère et des Girondins était que les défaites, les crises, les
convulsions servaient la politique d'action véhémente, enthousiaste, brutale
de Danton, de Robespierre, de Marat et de la Commune de Paris ; et ils
concluaient avec la logique délirante des partis : « Puisque
la violence des événements sert la tactique de nos adversaires, ce sont eux
qui provoquent cette violence des événements. » De là,
le roman extravagant de Salle. De là, l'audacieuse affirmation du journal
girondin, que les troubles de Vendée sont fomentés « par des émissaires
anarchistes ». Certes, les Montagnards aussi avaient leurs hypothèses
insensées et leur logique folle. Quand Robespierre, sur la foi d'un propos
étourdi de Carra, accusait tout le parti de la Gironde de vouloir instaurer
sur le trône le duc d'York ; quand les Montagnards, constatant que la
politique de résistance de la Gironde les conduirait peu à peu à faire cause
commune avec les royalistes, concluaient que les Girondins servaient de parti
pris les royalistes, c'était le même égarement de passion, le même sophisme
énorme. Mais, ces hypothèses passionnées et fausses ne cachaient pas aux
Montagnards le péril présent et pressant. Elles l'aggravaient, au contraire,
à leurs yeux, puisque, selon eux, la contre-Révolution royaliste était comme
doublée d'une intrigue girondine. Aussi
leur action contre les forces de réaction restait directe, sincère, totale.
Ils criaient d'abord : Contre l'ennemi ! Sus à l'envahisseur ! Sus aux
conspirateurs et aux traîtres ! Et si un éclat de la foudre lancée par eux
rejaillissait sur la Gironde, c'était tant pis selon Danton, qui aurait voulu
ménager encore et concilier tous les éléments révolutionnaires ; c'était tant
mieux selon Robespierre. Marat, Hébert et la Commune. Mais c'est l'étranger,
c'est l'insurgé, c'est l'Autrichien, le Prussien, le Vendéen que la foudre de
la Montagne frappait d'abord. Leurs erreurs mêmes passionnaient les
Montagnards à l'action ; et, au contraire, les Girondins étaient comme
hébétés et paralysés par leurs hallucinations politiques. Ce n'était plus, en
mars, qu'un parti incapable d'action, un parti infirme. La fièvre des
Montagnards se tournait en énergie de combat ; celle des Girondins se perdait
en illusions délirantes, en rêves agités tout ensemble et immobiles. L'OPTIMISME DU PATRIOTE
FRANÇAIS Après
n'avoir vu dans la révolte funeste de l'Ouest qu'une manœuvre des anarchistes
parisiens envoyés en secret par la Commune, le Patriote français prodigue, de
numéro en numéro, les notes optimistes. Ce n'est rien ou presque rien. Numéro
du 22 mars : « Dans
le département de la Mayenne, les révoltés, quoique rassemblés au nombre de
plusieurs mille, n'ont pas eu de succès. Ils ont été repoussés de Laval et de
plusieurs autres villes ; et on leur a fait des prisonniers. » Numéro
du 25 mars : « Des
nouvelles consolantes sont arrivées des départements du Nord-Ouest. Nantes,
qui avait été entièrement bloquée par les rebelles, est maintenant dégagée.
Cette ville dut son salut à l'intrépidité des corps administratifs et au
courage infatigable de sa brave garde nationale... » Numéro
du 26 mars : « Les
nouvelles des départements en proie à la guerre civile sont très
satisfaisantes. » Ainsi, la Gironde endormait, dans un optimisme systématique, la vigilance de la Révolution menacée. Et, quand Mercier du Rocher vint dire la réalité, l'immensité du péril, on lui fit bien voir, par un accueil glacial, qu'il n'était qu'un importun. |