LA. COMMUNE PRÉTEND INCARNER LA RÉVOLUTION J'ai
montré, en terminant l'histoire de la Législative, que dès le lendemain du 10
août tous les partis songent à s'emparer du mouvement révolutionnaire et à
s'assurer la plus grande influence possible sur la Convention prochaine. La
Commune de Paris avait un grand pouvoir. Elle voulait le continuer et
l'étendre. C'est elle qui, le 10 août, avait pris les responsabilités
décisives et remporté la victoire. Tandis que la Législative hésitait, elle
avait préparé et donné l'assaut. Elle était donc à ce moment, la force
décisive de la Révolution ; elle prétendait être la Révolution elle-même.
C'était, disait-elle, en vertu d'une sorte de tolérance et par sagesse
politique, pour ne pas créer un intervalle entre la Législative et la
Convention, qu'elle avait laissé subsister la Législative. Mais celle-ci
n'avait en ces suprêmes journées qu'un pouvoir d'emprunt. C'est
le peuple de Paris qui l'avait investie à nouveau ; c'est la Commune
révolutionnaire qui l'avait, pour ainsi dire, déléguée au gouvernement
provisoire de la France, mais sous le contrôle de la Commune elle-même. Les
Jacobins, où se réunissaient les délégués des sections, avaient adopté la
thèse de la Commune. Ils étaient à peu près d'accord avec elle. De peur
d'être envahis, au lendemain de la victoire du 10 août, par des patriotes
tièdes ralliés tardivement au succès, ils avaient suspendu toute adhésion
nouvelle ; ils restaient ainsi la pointe non émoussée de la Révolution. Le
député Anthoine disait aux Jacobins le 12 août : « Le
peuple a repris sa souveraineté... et la souveraineté une fois reprise par le
peuple, il ne reste plus aucune autorité que celle des assemblées primaires ;
l'Assemblée nationale elle-même ne continue à exercer quelque autorité qu'à
raison de la confiance que lui accorde le peuple, qui a senti la nécessité de
conserver un point de ralliement et qui en cela a prouvé combien sa
judiciaire était bonne. » Ainsi,
l'autorité finissante de la Législative était une autorité subordonnée. Mais
la Commune limiterait-elle son pouvoir à Paris ? Cela eût été contradictoire
; car si, en attendant la Convention nationale, la Révolution est dans la
Commune, la Commune doit, comme la Révolution, rayonner sur toute la France.
Dès le soir du 10 août, Robespierre, calculateur profond, comprit que
l'ascendant de la Commune révolutionnaire allait être immense ; et il
s'appliqua à en étendre encore le pouvoir. Il éprouvait sans doute une âpre
jouissance d'orgueil à humilier l'Assemblée législative, où dominaient
maintenant les Girondins ; et en outre il était assez naturel de penser que
puisque l'impulsion de la Commune avait fait la Révolution, cette impulsion
devait se propager dans tout le pays. « La
Commune, déclara-t-il aux Jacobins le soir du 10 août, doit prendre cette
mesure importante, celle d'envoyer des commissaires dans les
quatre-vingt-trois départements pour leur exposer notre vraie situation ; les
fédérés doivent commencer en écrivant chacun dans leurs départements
respectifs. » C'était
la mainmise de la Commune de Paris sur toute la France révolutionnaire et, si
ce plan avait pu se développer, c'est sous l'influence de la Commune de
Paris, hostile aux Girondins comme aux Feuillants, que se seraient faites les
élections à la Convention nationale. C'eût été l'avènement immédiat d'un
puissant parti robespierriste avec une aile gauche maratiste. Le
premier soin de la Commune révolutionnaire fut de se compléter, d'appeler à
elle quelques grands noms de la Révolution. Robespierre fut délégué au
Conseil général de la Commune par la section de la place Vendôme ; il y prit
séance dès le 11. MARAT INSPIRE LA COMMUNE Marat
ne fut pas délégué ; mais il était en relations continues avec la Commune ;
il en fut, en ces journées ardentes, l'inspirateur et le journaliste. Lui, si
sombre d'habitude et si défiant, il éclate de joie et d'orgueil dans ses
numéros du 15 et du 16 août, et il trace le programme d'action de la Commune
en homme sûr d'être écouté : « Ô
vous, s'écrie-t-il, dignes commissaires des sections de Paris, vrais
représentants du peuple, gardez-vous des pièges que vous tendent ses
infidèles députés, gardez-vous de leurs séductions ; c'est à votre civisme
éclairé et courageux que la capitale doit en partie le succès de ses
habitants, et que la patrie devra son triomphe. Restez en place pour notre
repos, pour votre gloire, pour le salut de l'Empire. Ne quittez le timon de
l'autorité publique remis en vos mains qu'après que la Convention nationale
nous aura débarrassés du despote et de sa race indigne ; après qu'elle aura
réformé les vices monstrueux de la Constitution, source éternelle d'anarchie
et de désastres ; après qu'elle aura assuré la liberté publique sur des bases
inébranlables. » Et le
lendemain du 16 août : « Grâce
soit rendue à l'esprit de délire du Conseil des Tuileries, à la lâcheté des
gardes nationaux contre-révolutionnaires et de l'état-major des Suisses, à
l'ineptie et à la platitude de Louis Capet, à la conversion des gendarmes, à
la témérité du peuple, à la valeur des fédérés et des gardes parisiens
sans-culottes ; la victoire a couronné la cause de la justice ; elle a
atterré le despote et ses suppôts, consterné la majorité pourrie du Sénat,
arrêté le cours de ses machinations audacieuses, donné de la consistance aux
députés patriotes de la Commune, affermi leur autorité, renversé celle du
département, des tribunaux et des juges de paix prostitués à la Cour, anéanti
l'état-major contre-révolutionnaire, épouvanté les ennemis de la Révolution,
rendu la liberté aux bons citoyens et donné au peuple le moyen de signaler
son pouvoir en faisant tomber sous le glaive de la justice les machinateurs.
Mais les fruits de cette éclatante victoire seraient bientôt perdus si les
députés patriotes de la Commune ne restaient en place et s'ils ne déployaient
pas toute leur énergie jusqu'à ce que la liberté soit cimentée. « Louis
Capet est en otage avec sa famille ; ne permettre à aucune de ses créatures
de l'approcher et le garder à vue est le vrai moyen de couper les fils de
toutes les trames des contre-révolutionnaires. « Mettre
à prix par un décret les têtes des Capets fugitifs, traîtres et rebelles ;
six millions sur chacune serait le vrai moyen de d'assurer de ces
conspirateurs, de faire déserter les régiments ennemis avec armes et bagages,
d'épargner la dilapidation des biens nationaux et d'éviter l'effusion du sang
des patriotes. Rien de plus efficace que cette mesure pour rendre à l'Etat la
liberté, la paix et le bonheur ; il y a deux ans que je la propose, tout
homme sensé doit en sentir la justesse ; et c'est pour cela même que
l'Assemblée l'a constamment repoussée. Le moment est venu de la faire enfin
décréter. Sollicitez-la à grands cris, amis de la patrie, et soyez sûrs que
ce ne sera pas sans succès ; car aujourd'hui vos représentants vont quand on
les pousse. Une autre mesure non moins urgente est de décréter l'ouverture
des arsenaux, pour armer sans délai tous les citoyens amis de la Révolution.
C'est au ministre de la guerre à solliciter un décret à ce sujet ; nous
verrons bientôt s'il est vraiment patriote ; car dans un mois il ne doit pas
y avoir dans le royaume un seul garde national qui ne soit armé. « C'est
à la Commune à faire armer immédiatement tous les bons citoyens de la
capitale et à les faire exercer au maniement des armes pour mettre Paris en
état de défense contre les coups de désespoir des ennemis, s'ils étaient
assez osés pour jouer de leur reste. « C'est
à elle aussi de hâter la formation du camp aux portes de Paris et de faire
occuper au plus tôt toutes les hauteurs adjacentes, mesures que j'ai
proposées il y a plus d'un an. « C'est
à elle encore à presser le jugement des traîtres détenus à l'Abbaye et à
prévenir qu'on n'arrache au glaive de la justice l'état-major des gardes
suisses, sous prétexte du danger de se brouiller avec les treize cantons, si
on refusait de leur remettre ces prisonniers. « C'est
à elle à empêcher que le décret qui ordonne la vente des biens des émigrés ne
soit dérisoire, en faisant vendre sans délai ceux qui se trouvent dans la
capitale, le Palais-Bourbon et tous les hôtels qu'ils ont à Paris ; en
faisant rentrer le Luxembourg dans les mains de la Nation et en demandant la
moitié du produit de ces biens pour être partagés entre les infortunés de la
capitale, qui ont concouru à la prise du château des Tuileries et, ramener la
victoire à la patrie. « C'est
à tous les bons citoyens à inviter les troupes de ligne de réclamer le droit
de nommer leurs officiers, qui vient d'être rendu à la gendarmerie nationale
; invitation que je leur renouvelle aujourd'hui. « C'est
à la Commune parisienne à porter le flambeau dans l'administration des
subsistances, à pourvoir abondamment à celles de la capitale et à faire la
guerre aux infâmes accapareurs. « ...
La patrie vient d'être retirée de l'abîme par l'effusion du sang des ennemis
de la Révolution, moyen que je n'ai cessé d'indiquer comme le seul efficace. Si
le glaive de la justice frappe enfin les machinateurs et les prévaricateurs,
on ne m'entendra plus parler d'exécutions populaires, cruelle ressource que
la loi de la nécessité peut seule commander à un peuple réduit au désespoir
et que le sommeil volontaire des lois justifie toujours. « Les
commissaires de la Commune ont déjà mis en pratique plusieurs mesures que
j'ai recommandées comme indispensables au triomphe de la liberté ; telles que
la tenue en otage de la famille Capet, la suppression des papiers
contre-révolutionnaires, la poursuite rigoureuse des ennemis publics ; la
proscription des accapareurs, des marchands d'argent ; et ils se sont
signalés par plusieurs autres beaux traits de civisme. Ils marchent à
merveille. S'ils continuent avec la même énergie jusqu'à ce que la constitution
soit réformée par la Convention nationale, si les ministres se montrent tous
patriotes et si le peuple les surveille avec sollicitude, je regarderai le
salut public comme assuré, je dormirai sur les deux oreilles et je ne
reprendrai la plume que pour travailler à la refonte de la Constitution.
Et, de fait, quelle autre tâche me resterait à remplir ? Je faisais la guerre
aux mandataires infidèles du peuple, aux traîtres à la patrie, aux
fonctionnaires prévaricateurs, aux machinateurs, aux fripons de tous les
genres ; mais les scélérats se cachent pour ne plus se montrer, ou pour se
montrer citoyens paisibles et soumis aux lois. C'est tout ce que je pouvais
désirer. « Et
puis, ne viens-je pas de voir l'accomplissement de mes prédictions que
l'événement n'avait pas encore justifiées ? J'ai prédit à Mottié qu'il serait
la fable des Nations et la bête noire du peuple quand mon flacon d'encre
serait usé ; le voilà à sa fin. « J'ai
prédit à Bailly qu'il serait pendu, on vient d'en pendre le buste avec celui
du sieur Mottié ; si on n'a pas trouvé l'original pour le mettre à la place
du portrait, ce n'est pas ma faute ; il n'avait qu'à paraître en public, son
affaire était faite. « J'ai
prédit il y a un an que la race des Capets serait détrônée ; la voilà bien
près d'en descendre. » C'est
le cri de triomphe et de définitive victoire ; mais soudain voici de nouveau
le cri d'alarme : « Au reste, tremblons de nous endormir, soyons sûrs
que les contre-révolutionnaires se rassemblent. Craignons que Mottié ne
ramène son armée contre nous ; craignons que tous les régiments allemands et
suisses royalistes ne nous viennent bloquer. Déjà les hauteurs adjacentes
devraient être occupées par la garde parisienne. Déjà les municipalités du
royaume devraient avoir reçu l'ordre d'expédier des courriers sur tous les
mouvements de troupe qui pourraient s'approcher de la capitale. Déjà tous les
corps administratifs prostitués à la Cour auraient dû être destitués. Déjà
les six ministres devraient être aux fers. Déjà les membres
contre-révolutionnaires de l'Assemblée, les Lameth, Dumas, Vaublanc,
Pastoret, Dubayet, devraient être arrêtés. Espérons que nos commissaires
parisiens ne s'endormiront pas. » Ainsi
Marat, si abattu quelques jours avant le 10 août qu'il voulait fuir comme on
quitte une partie perdue, a maintenant pleine confiance. Pour la première
fois peut-être depuis le commencement de la Révolution il écrit d'hommes
investis d'un mandat public : « Ils marchent à merveille. » Et il s'imagine,
avec un naïf orgueil, qu'ils ne font qu'appliquer les plans qu'il a conçus.
Il oublie qu'entre les exécutions à froid qu'il a souvent et systématiquement
proposées et l'effervescence du 10 août il n'y a aucun rapport. Mais il est
vrai que son influence sur la Commune révolutionnaire est grande. Celle-ci a
la vigueur, la décision, la rapidité d'action que Marat n'attendait plus des
pouvoirs populaires trop dispersés et tiraillés. L'AFFAIRE DU DIRECTOIRE DU DÉPARTEMENT DE PARIS D'abord
la Commune se défend contre toute restriction légale. L'Assemblée
législative, dans sa séance du 11 août et sur un bref rapport de Guyton de
Morveau, avait décidé qu'un nouveau Directoire du département de Paris serait
élu, à raison d'un membre pour chacune des quarante-huit sections. Or
partout, depuis l'origine de la Révolution, entre les Directoires de
département élus à deux degrés et les municipalités élues directement par le
peuple il y avait eu conflit. Et la
Commune pouvait craindre que le nouveau Directoire, quoique nommé sous des
influences révolutionnaires, ne contrariât bientôt le mouvement populaire
dont elle était l'organe. Les protestations furent vives à la Commune et aux
Jacobins. Devant ceux-ci le député Anthoine s'écria : « Le
peuple a repris sa souveraineté et néanmoins l'Assemblée nationale a décrété
aujourd'hui que les sections de Paris nommeraient un Directoire. Quelle soif
de Directoires a donc l'Assemblée nationale ? Ne sent-elle donc pas que les
seuls Directoires se sont ligués dans l'Empire contre la liberté ? Quel
besoin d'ailleurs a-t-on de Directoires ? Croirait-on encore à cette maxime
de l'aristocrate Montesquieu qu'il est nécessaire que les pouvoirs se
balancent ? Non, les autorités ne se balancent pas, elles se détruisent.
L'Assemblée nationale a commencé par être l'esclave du roi et voilà pourquoi
le peuple a abattu la royauté. Il ne faut donc point de Directoire pour
contrarier les mesures d'une municipalité patriote. En rendant ce décret,
je ne dis pas que l'Assemblée nationale ait eu cette intention, mais je dis
qu'elle n'est pas à la hauteur des circonstances, qu'elle ne sent pas tout ce
qu'est le peuple et en quoi consiste sa souveraineté. » C'était
la théorie de la souveraineté presque absolue de la Commune révolutionnaire.
Le Conseil général de la Commune envoya une délégation à l'Assemblée. C'est
Robespierre qui parla en son nom : « Le
Conseil général de la Commune nous envoie vers vous pour un objet qui
intéresse le salut public. Après le grand acte par lequel le peuple souverain
vient de reconquérir la liberté, il ne peut plus exister d'intermédiaire
entre le peuple et vous. Vous savez que c'est de la communication des
lumières que naîtra la liberté publique. Ainsi donc, toujours guidés par le
même sentiment de patriotisme qui a élevé le peuple de Paris et de la France
entière au point de grandeur où il est, vous pouvez, vous devez même entendre
le langage de la vérité qu'il va vous parler par la bouche de ses délégués. « Nous
venons vous parler du décret que vous avez rendu ce matin, relatif à
l'organisation d'un nouveau Directoire de département. Le peuple, forcé de
veiller lui-même à son propre salut, a pourvu à sa sûreté par des délégués.
Obligés à déployer les mesures les plus vigoureuses pour sauver l'Etat, il
faut que ceux qu'il a choisis lui-même pour ses magistrats aient toute la
plénitude du pouvoir qui convient au souverain ; si vous créez un autre
pouvoir qui domine ou balance l'autorité des délégués immédiats du peuple,
alors la force populaire ne sera plus une et il existera dans la machine de
votre gouvernement un germe éternel de divisions, qui feront encore concevoir
aux ennemis de la liberté de coupables espérances. Il faudra que le peuple,
pour se délivrer de cette puissance destructive de sa souveraineté, s'arme
encore une fois de sa vengeance. Dans cette nouvelle organisation, le peuple
voit entre lui et vous une autorité supérieure qui, comme auparavant, ne
ferait qu'embarrasser la marche de la Commune. Quand le peuple a sauvé la
patrie, quand vous avez ordonné une Convention nationale qui doit vous
remplacer, qu'avez-vous autre chose à faire qu'à satisfaire son vœu ?
Craignez-vous de vous reposer sur la sagesse du peuple qui veille pour le
salut de la patrie qui ne peut être sauvée que par lui ? C'est en établissant
des autorités contradictoires qu'on a perdu la liberté, ce n'est que par
l'union, la communication directe des représentants avec le peuple qu'on
pourra la maintenir. Daignez nous rassurer contre les dangers d'une mesure
qui détruirait ce que le peuple a fait ; daignez nous conserver les moyens de
sauver la liberté. C'est ainsi que vous partagerez la gloire des héros
conjurés pour le bonheur de l'humanité ; c'est ainsi que près de finir votre
carrière, vous emporterez avec vous les bénédictions d'un peuple libre. « Nous
vous conjurons de prendre en grande considération, de confirmer l'arrêté pris
par le Conseil général de la Commune de Paris, afin qu'il ne soit pas procédé
à la formation d'un nouveau Directoire de département ». (Vifs
applaudissements.) Et
comment, en effet, deux jours après le 10 août, l'Assemblée n'aurait-elle pas
applaudi les délégués de la Commune révolutionnaire ? Mais elle dut être
secrètement meurtrie et inquiète. Au fond, Robespierre avait raison. Puisque
l'Assemblée législative hésitante avant le 10 août, ou même inclinée vers La
Fayette, avait laissé au peuple révolutionnaire de Paris, organisé en
Commune, le soin de sauver au péril de sa vie la patrie et la liberté,
puisqu'elle avait dû reconnaître ce pouvoir révolutionnaire et spontané, ce
pouvoir de salut populaire et national, comme l'expression d'une légalité
nouvelle, il ne fallait pas contrarier et lier la Commune avant qu'elle eût
accompli son œuvre. Il ne fallait point l'embarrasser des formes surannées
d'une légalité hostile. L'Assemblée le comprit, ou du moins elle se résigna.
Thuriot appuya la motion de la Commune en quelques paroles sobres et fortes : « Nous
sommes convaincus que, dans les circonstances actuelles, il faut que
l'harmonie règne entre les représentants du peuple et la Commune de Paris,
que c'est de cette union que doit résulter la liberté publique. Il faut,
surtout dans ce moment, simplifier la machine du gouvernement ; car plus la
machine est simple, plus les effets en sont heureux. Et c'est dans ce moment
surtout qu'il ne doit y avoir entre le peuple et vous aucun intermédiaire. » L'Assemblée
rapporta son décret et décida que le nouveau Directoire du département
n'exercerait son contrôle que sur les opérations financières de la Commune.
Mais la Législative fut certainement froissée du langage de Robespierre et un
peu effrayée aussi. Il l'avait réduite à un rôle bien humilié, bien
inférieur. Il avait concentré dans le peuple de Paris et dans la Commune qui
le représentait tout le droit révolutionnaire et, quand il demandait que les
« délégués du peuple », pussent s'adresser sans intermédiaire à l'Assemblée,
il demandait en réalité que la Commune pût donner directement des ordres, ou,
si l'on aime mieux, des indications impérieuses à la Législative. Cruelle
blessure d'amour-propre pour les députés, pour les Girondins surtout qui,
subissant la force des événements dont Robespierre était l'interprète,
commençaient à former des révoltes de leur orgueil une accusation de
dictature. Et puis, combien de temps durerait ce droit révolutionnaire de la
Commune de Paris ? Si, au nom du 10 août, la Commune pouvait subalterniser la
Législative, ne voudrait-elle pas dominer aussi la Convention nationale
elle-même qui, après tout, n'était appelée à la vie que par la Révolution du
10 août ? Surtout, si, dès maintenant, tout le droit de la Révolution paraissait
concentré dans la Commune de Paris, les assemblées primaires électorales de
toute la France, guidées par les délégués de la Commune, n'allaient-elles
point faire de la Convention nouvelle une image amplifiée de la Commune de
Paris ? Grande dut être, dès ces premiers jours, l'inquiétude de la Gironde.
Le montagnard Thuriot lui-même, tout en appuyant la motion de Robespierre,
semble bien insister sur le caractère exceptionnel des circonstances. Il
marque par là au pouvoir extraordinaire de la Commune un terme assez
prochain. Mais c'était pour elle une importante victoire d'avoir obtenu le
rappel du décret qui instituait le Directoire. LES MESURES DE POLICE ET DE DÉFENSE NATIONALE Ce
pouvoir, ainsi jalousement défendu, la Commune l'emploie vigoureusement à des
mesures de police révolutionnaire et de défense nationale. C'est elle qui
arrête, le 12, que Louis XVI et sa famille seront « déposés dans la Tour du
Temple ». Et elle délègue, pour le conduire du Luxembourg au Temple, son
procureur Manuel, le passementier Michel, le poète tragique Laignelot et le
cordonnier Simon, celui qui plus tard gardera le Dauphin. Elle
décide en cette même séance du 12 de saisir à l'administration des postes et
d'arrêter tous les journaux contre-révolutionnaires, ou, comme dit le
procès-verbal « les productions aristocratiques, entre autres : l'Ami du Roi,
la Gazette universelle, la Gazette de Paris, l'Indicateur (inspiré par
Adrien Duport), le Mercure
de France, le Journal de la Cour et de la ville et la Feuille
du Jour. » Elle
appelle à sa barre le directeur des postes qui reçoit l'ordre de ne plus
expédier une seule feuille royaliste ou feuillantine ; et elle prévient ainsi
toute tentative de la contre-Révolution pour semer la panique dans les
départements, la révolte dans les armées. Elle met en état d'arrestation les
auteurs et imprimeurs de toutes les feuilles « anticiviques » ;
elle distribue entre les imprimeurs patriotes leurs presses, leurs caractères
et leurs instruments. Et elle ordonne au directeur des postes d'épurer son
administration de tous les employés qui ne sont pas « dans le sens de la
Révolution » afin qu'aucune trahison des bureaux ne laisse passer et
s'infiltrer aux veines de la Nation le poison contre-révolutionnaire. C'était
hardi ; car pour la première fois la Révolution portait atteinte à la «
liberté de la presse », qu'elle avait jusque-là si énergiquement défendue.
Mais l'ennemi était aux frontières et la trahison était au cœur de la patrie.
La Révolution proclamait en réalité l'état de siège contre les envahisseurs
et contre les traîtres. Très habilement, en cet acte audacieux, la Commune se
fit couvrir par l'Assemblée législative ; ou du moins, en lui communiquant
ces arrêtés vigoureux, elle l'y associa. Léonard Bourdon, à la tête d'une
députation de la Commune de Paris, dit à l'Assemblée, le 12 : « Les
journaux incendiaires, d'après les mesures qu'a prises la Commune,
n'empoisonneront plus ni la capitale, ni les départements. Leurs presses et
leurs caractères seront employés à servir la Révolution. » Le
Président girondin Gensonné lui répondit : « L'Assemblée nationale
entend avec plaisir les mesures que vous avez prises pour la tranquillité de
Paris et pour empêcher la communication qui résulterait du venin des
journaux aristocratiques ; elle vous engage à continuer votre surveillance.
» Ainsi,
la Gironde elle-même consacrait à ce moment ce qu'on peut appeler la « dictature
impersonnelle » du peuple révolutionnaire de Paris. La
Commune faisait arrêter le même jour Adrien Duport, Dupont de Nemours,
Lachenaye, Rulhière (le père de l'historien), Sanson Duperron, juge de paix
de la section Mauconseil, Cappy, officier de paix, Borie, ancien officier
municipal, et le président de la Grande-Batelière. Scellés sont apposés sur
leurs papiers et sur les papiers du bureau central des juges de paix, presque
tous suspects d'attaches à la Cour et de feuillantisme. Il ne
suffisait pas d'arrêter les journaux ennemis. Il fallait empêcher qu'aucun
courrier, qu'aucun citoyen allât allumer la guerre civile en dénaturant les
événements, en calomniant Paris. La Commune ferma, pour ainsi dire, les
portes de Paris ; elle immobilisa dans la grande ville révolutionnaire toutes
les forces de contre-Révolution qui, de tous les points de France, avaient
afflué vers le roi, vers le « château de Coblentz », comme les fédérés
appelaient les Tuileries. Défense fut donc faite d'accorder aucuns
passeports, excepté aux personnes chargées d'approvisionner la ville de
Paris, ou qui porteraient des décrets de l'Assemblée nationale. Injonctions
aux propriétaires et logeurs de faire la déclaration des étrangers qui
habitent chez eux, au Comité de leur section, qui en fera passer la liste
dans les vingt-quatre heures. Il est
décidé que des commissaires se transporteront dans les environs de Paris, à
quatre lieues à la ronde, pour s'informer des personnes qui demeurent dans
cette partie extérieure de la capitale. Il est
arrêté aussi, comme mesure de police, qu'aucun prêtre ne portera de costume
religieux hors de ses fonctions. Toujours
en cette même séance du 12, la Commune décide que la place des Victoires
sera nommée désormais place de là Victoire nationale et que la statue de
Louis XIV sera remplacée par un obélisque où seront inscrits les noms des
citoyens morts pour la patrie dans la journée du 10. Enfin,
comme pour se saisir de la direction de la politique extérieure et lui donner
une allure révolutionnaire, elle arrête que l'Assemblée nationale sera priée
de déclarer au nom de l'Empire français, qu'en renonçant à tous projets de
conquête la Nation n'a point renoncé à fournir des secours aux puissances
voisines qui désireraient se soustraire à l'esclavage. C'était une réponse
hardie à l'invasion. Le 13
août, la Commune décide, pour rendre impossible au roi toute évasion, qu'une
tranchée sera creusée autour du donjon ; mais c'est surtout à des mesures de
défense nationale qu'elle s'applique. « Les quarante-huit sections sont
autorisées à organiser sur-le-champ les citoyens armés en différentes
compagnies ; toute distinction nuisible à l'égalité sera supprimée ; les
épaulettes ne seront qu'en laine pour tous les grades ; en vertu du décret
qui déclare tous les citoyens actifs, tous les habitants seront armés, « à
l'exception des gens sans aveu ». C'était le prélude de la levée en masse. En
attendant, les mesures de police continuent. « Les sieurs de Laporte,
intendant de la liste civile, du Rozoy, censeur de la Gazette de Paris,
sont mis en état d'arrestation. Scellés sont mis sur leurs papiers ainsi que
sur ceux de M. Andrion, commissaire général des Suisses et Grisons, et MM.
Bigot de Sainte-Croix et d'Abancourt. Ordre
est donné d'arrêter tous les officiers de l'état-major des gendarmes
nationaux et tous les valets de chambre du roi. Mais ce ne sont pas seulement
des personnages éclatants ou manifestement compromis dans la
contre-Révolution que la Commune poursuit. Elle est naturellement amenée et
entraînée, par les accusations multiples qui viennent des sections, à arrêter
des hommes obscurs. Le procès-verbal du 15 dit : « Mandats d'amener et
apposition de scellés chez différents particuliers peu connus dans le public.
» Grand péril d'arbitraire et d'erreur, contre lequel bientôt s'élèveront des
protestations très vives, même chez les démocrates des Révolutions de
Paris. Mais, en ces premiers jours, et dans l'émotion persistante du
combat, aucune voix ne proteste encore. La
Commune de Paris, très vigoureusement anticléricale, donne l'ordre aux
maisons religieuses d'évacuer sous trois jours. « Les scellés seront apposés
sur ces repaires d'aristocratie. » Et la garde des scellés est confiée pour
ces trois jours aux religieuses elles-mêmes, sous peine d'être privées de
leur pension. Ce même
jour, 15 août, le jeune Jean-Lambert Tallien, épris d'influence et de bruit,
habile aux paroles déclamatoires qui simulent la passion, est nommé
secrétaire greffier de la Commune. Je ne
puis m'attarder au détail des arrestations faites sur l'ordre de la Commune.
On le trouvera dans les si intéressants procès-verbaux publiés par M. Maurice
Tourneux. Je note en quelques jours l'arrestation de Mme de Navarre, Bazire,
femme de chambre de Mme Royale, Thibault, première femme de la reine ;
Saint-Brice. femme de chambre du prince royal ; Tourzel, gouvernante des
enfants du roi ; demoiselle Pauline Tourzel, Marie-Thérèse-Louise de Savoie,
Bourbon-Lamballe ; M. Lorimier de Chamilly, premier valet de chambre du roi
et du prince royal ; de M. de la Roche du Maine ; de M. Masgoutier, ancien
valet de chambre de Monsieur ; de Mme de la Brétèche, ci-devant femme
de garde-robe de Mme d'Artois ; de M. Duveyrier, ancien rédacteur, avec
Bailly, du Procès-verbal des électeurs ; de MM. Lajard, d'Ermigny,
Plainville, la Reynie, Quassac, Charton, Charton frères, Millin, Barré,
Crépin, Aubry, Lapierre, Quintin, Larchin, Aclocque et Curney, dont plusieurs
appartenaient à l'état-major de la garde nationale. A vrai dire, cet
acharnement sur la haute domesticité royale a quelque chose d'un peu puéril ;
et l'héroïque Commune qui, dans la nuit du 10 août, prit de si grandes
responsabilités se diminue un peu à traquer ces valets de chambre titrés.
Elle espérait sans doute arracher à ces hommes et à ces femmes quelques
révélations sur la famille royale. Peut-être aussi le Conseil de la Commune,
sentait-il que, pour prolonger son pouvoir révolutionnaire, il devait
prolonger, si je puis dire, la crise révolutionnaire, et par la recherche
même des plus obscurs comparses du grand drame, en continuer l'impression
toute vive et le souvenir ardent. LE CÉRÉMONIAL ÉGALITAIRE Parfois
quelque chose d'un peu théâtral et vain se mêlait à son action. Qu'il
ordonnât d'abattre tous les vestiges de féodalité, tous les écussons ou
armoiries qui pouvaient subsister encore aux maisons de Paris, qu'il ordonnât
« à tous les citoyens exerçant un négoce et ayant des boutiques et magasins,
de détruire dans le délai de quinze jours, les enseignes, figures et tous
emblèmes qui rappelleraient au peuple les temps d'esclavage », cela se
comprenait : car, aux heures de crise violente et de lutte exaspérée, les
symboles du passé ressemblent à une provocation. Il était plus hasardeux
d'ordonner la démolition de la porte Saint-Denis et de la porte Saint-Martin,
que le bourgeois même révolutionnaire du centre de Paris aurait vu sans doute
disparaître avec regret. L'ordre demeura d'ailleurs sans effet ; mais il
semblait dénoter une activité un peu brouillonne et excitée. De même était-ce
vraiment réaliser l'égalité dans la mort que d'imposer pour les obsèques de
tous les citoyens le même cérémonial religieux ? Oui, tous ces citoyens s'en
vont au cimetière dans des cercueils uniformes et escortés du même nombre de
flambeaux ; mais les uns laissent à leur femme et à leurs enfants pauvreté et
désespoir, les autres fortune et puissance. A quoi bon alors cette parade
toute rituelle d'égalité menteuse ? Bien loin d'ailleurs de tendre vers
la séparation de l'Eglise et de l'Etat, l'arrêté de la Commune faisait du
prêtre un fonctionnaire qui doit à tous les mêmes services et qui, payé par
l'Etat, ne doit recevoir des citoyens aucun salaire. C'est l'idée encore
qu'en France beaucoup de paysans se font de la vraie solution du problème des
rapports de l'Eglise et de l'Etat. « Sur les plaintes faites par plusieurs
citoyens d'exactions exercées par le clergé constitutionnel, le conseil
ordonne l'exécution des décrets concernant la suppression du casuel. Tous les
citoyens égaux devant la loi seront enterrés avec deux prêtres ; défense
d'excéder ce nombre ; il n'y aura plus de tentures aux portes des défunts ni
à celles des églises. Suppression des marguilliers et de leurs bancs. Le
Conseil général, considérant qu'au moment où le règne de l'égalité vient
enfin de s'établir par la sainte insurrection d'un peuple justement indigné,
cette égalité précieuse doit exister partout ; « Considérant
que les cérémonies religieuses actuellement observées pour les sépultures
étant contraires à ces principes sacrés, il est du devoir des représentants
de la Commune de tout ramener à cette précieuse égalité que tant d'ennemis
coalisés cherchent à détruire ; « Considérant
que dans un pays libre, toute idée de superstition et de fanatisme doit être
détruite et remplacée par les sentiments d'une saine philosophie et d'une
pure morale ; « Considérant
que les ministres du culte catholique, étant payés par la Nation, ne peuvent,
sans se rendre coupables de prévarications, exiger un salaire pour les
cérémonies de ce culte ; « Considérant
enfin que le riche et le pauvre étant égaux pendant leur vie, aux yeux de la
loi et de la raison, il ne peut exister de différence entre eux au moment où
ils descendent dans le tombeau ; « Le
procureur de la Commune entendu, le Conseil général, arrête : « 1°
Conformément aux lois antérieures tous les cimetières actuellement existants
dans l'enceinte de la ville seront fermés et transportés au-delà des murs ; « 2°
A compter du jour de la publication du présent arrêté, toutes les cérémonies
funèbres faites par les ministres du culte catholique seront uniformes ; « 3°
Il ne pourra y avoir plus de deux prêtres à chaque enterrement, non compris
les porteurs du corps ; « 4°
Toute espèce de cortège composé d'hommes portant des flambeaux est interdite
; « 5°
La Nation accordant un salaire aux ministres du culte-catholique, nul ne peut
exiger ni même recevoir aucune somme pour les cérémonies religieuses funèbres
et autres ; « 6°
A compter de ce jour, toute espèce de casuel, même volontairement payé, est
supprimée ; « 7°
Tout prêtre qui aura exigé ou reçu aucune espèce d'honoraire pour les
baptêmes, mariages, enterrements ou autre cérémonie encourra la destitution ; « 8°
A compter de ce jour également, toute espèce de tenture de deuil soit à la
porte du défunt, soit à celle du temple, soit même à l'intérieur, sont
supprimées ; « 9°
La voie publique appartenant à tous, nul ne peut en disposer pour son
avantage particulier ; en conséquence tout conducteur d'enterrements et
d'autres cérémonies extérieures d'un culte quelconque ne pourront jamais
occuper pour leur cortège qu'un seul côté de la rue, de manière que l'autre
reste entièrement libre pour les voitures et pour les citoyens se rendant à
leurs affaires ; « 10°
Il sera néanmoins fait une exception à l'article ci-dessus pour les honneurs
funèbres rendus aux citoyens morts pour la défense de la liberté ; « 11°
Toute espèce de prérogative ou de privilège étant abolis-par la Constitution,
nul ne peut avoir, dans un temple, une place distinguée ; en conséquence les
œuvres et autres endroits, où se plaçaient les marguilliers, fabriciens ou
confrères, sont supprimés. » C'est
un assez bizarre amalgame. Il est clair que sous le prétexte-de maintenir
l'égalité, la Commune cherche à réduire de plus en plus le culte. La colère
du peuple contre les prêtres réfractaires ne-s'était pas étendue encore à
tout le christianisme et la Commune révolutionnaire 'n'osait pas interdire
absolument toute manifestation religieuse, mais elle resserre et elle
décolore les processions. les enterrements. Et elle laisse apparaître dans un
des considérants sa pensée suprême : substituer la philosophie naturelle et
la morale à la religion chrétienne. Elle prélude assez timidement et
gauchement à ce que sera dans quelques mois l'hébertisme et elle dissimule
encore sous des apparences de réglementation somptuaire la guerre de fond que
dès maintenant elle est décidée à conduire-contre l'Eglise et le
christianisme. Mais
parfois toute sa pensée éclate ; comme dans l'arrêté du 17 août : « Le
Conseil général, jaloux de servir la chose publique par tous les moyens qui
sont en sa puissance, considérant qu'on peut trouver de grandes ressources
pour la défense de la patrie dans la foule de tous les simulacres bizarres
qui ne doivent leur existence qu'à la fourberie des prêtres et à la bonhomie
du peuple, arrête que tous les crucifix, lutrins, anges, diables, séraphins,
chérubins de bronze seront employés à faire des canons. « Les
grilles des églises serviront à faire des piques. » C'est
un langage tout nouveau dans la Révolution et qui devait déjà inquiéter
Robespierre. PREMIERS TIRAILLEMENTS Mais
pendant que la Commune, qui avait déjà choisi dans son sein un Comité de
surveillance, constituait un véritable gouvernement, pendant qu'elle
multipliait les mandats d'arrêt contre les suspects, et ouvrait les lettres à
la poste, pendant qu'elle ébauchait une politique résolument antichrétienne
et organisait en même temps la défense nationale, pendant qu'elle faisait
forger des piques, appelait les ouvriers et les femmes à préparer les tentes
du camp sous Paris, pendant qu'elle révolutionnait l'organisation militaire
en brisant les bataillons de la garde nationale et en faisant de la section
tout entière armée l'unité de combat et qu'elle décidait pour caractériser la
Révolution du 10 août qu'après les mots : l'an IV de la liberté on ajouterait
: l'an I de l'égalité, bien des animosités s'accumulaient contre elle et bien
des méfiances. Le maire Pétion souffrait en sa vanité immense du rôle assez
piteux qu'il avait joué au 10 août. Mis sous clef par la Commune
révolutionnaire qui, en affectant de le protéger, l'avait annihilé, il
sentait bien depuis qu'il n'avait plus qu'une autorité nominale. C'est
Robespierre qui, par son influence à la Commune, était le véritable maire de
Paris. Et Pétion ne paraissait plus que rarement au Conseil général de la
Commune où son amour-propre ne pouvait plus s'épanouir. Il se rapprochait peu
à peu de la Gironde. Celle-ci supportait avec une impatience croissante le
pouvoir de la Commune. Elle n'osait pas frapper encore, mais elle attendait
que la première popularité effervescente de la Commune révolutionnaire fût
tombée. Même les Montagnards de la Législative, même les hommes comme
Choudieu et Thuriot commençaient à être indisposés par les allures parfois
dictatoriales de la Commune de Paris. Si l'on ajoute à cela l'inquiétude
répandue par des arrestations, qui n'étaient pas toutes légitimes, et
l'irritation des commerçants gênés dans leurs affaires par les arrêts sur les
passeports et par l'étroite clôture de Paris, on comprendra qu'une sourde
opposition contre la Commune grandissait. Entre elle et l'Assemblée
législative le conflit était imminent. Funeste désaccord ! Car c'est à ce
tiraillement secret de tous les pouvoirs, c'est à cette sorte d'anarchie,
c'est à ce défaut de concert entre la Commune et la Législative qu'il faut
imputer ces terribles massacres de septembre qui ont si longuement ému contre
la Révolution la sensibilité des hommes. LA PUNITION DES CRIMES DU 10 AOÛT La
question qui après le 10 août passionnait le plus le peuple était celle-ci :
Comment seront punis les meurtriers du peuple de Paris, les conspirateurs et
les traîtres ? Les fédérés, les révolutionnaires des faubourgs, en marchant
au 10 août contre les Tuileries, « contre Coblentz », avaient la haute
conscience de leur droit. C'est pour la patrie, c'est pour la liberté qu'ils
se levaient et toute résistance du roi parjure était un crime. Or, à ce crime
il semblait que se fût joint le guet-apens ; et c'est au moment où le peuple
croyait, sans effusion de sang, entrer au Château qu'il fut décimé par la
décharge des Suisses. Le plan de la contre-Révolution lui apparut effroyable
et diabolique ; laisser passer le peuple et le prendre entre deux feux, celui
de la garnison du château et celui de la garde nationale formée derrière les
colonnes d'assaut. De là contre les Suisses et leurs officiers, contre
l'état-major de la garde nationale, une haine mortelle et qui demandait du
sang. C'est à peine si les Suisses qui n'étaient pas tombés dans le combat et
qui s'étaient réfugiés à l'Assemblée purent être préservés de la colère du
peuple. Il y fallut la puissante voix de Danton. Il y
fallut la promesse que tous les conspirateurs allaient être traduits sans
délai devant une Cour martiale, jugés et frappés avec la rapidité même du
combat. Terrible fut l'appel au calme lancé par la Commune en la journée du
12 : « Peuple souverain, suspends ta vengeance. La justice endormie reprendra
aujourd'hui tous ses droits. Tous les coupables vont périr sur l'échafaud. » Mais ce
n'est qu'en grondant que le peuple remettait au bourreau sa vengeance et sa
défense. N'allait-on pas ajourner, éluder ? Tel était l'emportement de la
passion que Robespierre lui-même, malgré ses habitudes de réserve et de
prudence, terminait par de terribles paroles une ardente glorification du 10
août : « Combien
le peuple fut grand dans toutes ses démarches ! Ceux qui avaient trouvé
quelques meubles ou quelque argent dans le château se firent une loi de
s'abstenir de ces dépouilles prises sur l'ennemi. Ils vinrent les déposer
dans l'Assemblée nationale ou dans la Commune. Ils regardèrent comme des
larcins cet exercice du droit de la conquête. Ils poussèrent même jusqu'à
l'excès ce sentiment de délicatesse. Le peuple immola lui-même ceux qui avaient
cru pouvoir s'approprier quelques effets qui avaient appartenu aux tyrans et
à leurs complices : il fut cruel en croyant être juste. » « Grands
dieux ! le peuple punit, dans des malheureux, l'apparence seule du crime, et
tous les tyrans, qui le font égorger, échappent à la peine de leurs forfaits
! Riches égoïstes, stupides vampires engraissés de sang et de rapines, osez
donc encore donner le nom de brigands ; osez affecter encore des craintes
insolentes pour vos biens méprisables achetés par des bassesses ; osez
remonter à la source de vos richesses, à celle de la misère de vos semblables
; voyez, d'un côté, leur désintéressement et leur honorable pauvreté ; de
l'autre, vos vices et votre opulence et dites quels sont les brigands et les
scélérats. Misérables hypocrites, gardez vos richesses ! qui vous tiennent
lieu d'âme et de vertu ; mais laissez aux autres la liberté et l'honneur.
Non, ils ont juré une haine immortelle à la raison et à l'égalité ! Quand le
peuple paraît, ils se cachent. S'est-il retiré ? Ils conspirent. Déjà ils
renouvellent leurs calomnies et renouent leurs intrigues. Citoyens, vous
n'aurez la paix qu'autant que vous aurez l'œil ouvert sur toutes les
trahisons et le bras levé sur tous les traîtres. » Mais ce
bras levé, le peuple voulait qu'il s'abaissât. Ce grand mouvement de colère
et de passion pouvait cependant être réglé. Il était possible de faire
justice, de rechercher et de punir sans délai ceux qui avaient une part
directe de responsabilité dans la résistance factieuse d'une cour traîtresse,
sans laisser se déchaîner l'instinct du meurtre. Mais il
aurait fallu pour cela une action rapide, vigoureuse et concertée de tous les
pouvoirs révolutionnaires. Or, il y eut incohérence, flottement et conflit.
Tout d'abord et dès le 11 août l'Assemblée nationale décide qu'une Cour
martiale sera instituée qui jugera les Suisses, leurs officiers et aussi les
officiers de la gendarmerie nationale accusés d'avoir fait tirer sur le
peuple. Puis, on s'aperçoit que cela présente des difficultés. D'abord le
Code pénal militaire ne contient pas avec précision le délit de
contre-Révolution qu'il faut châtier. Puis,
il n'y a pas que des militaires compromis. Le 14 août, sur la motion de
Thuriot, l'Assemblée rapporte son premier décret et institue un tribunal
criminel : « Cet objet ne regarde point la Cour martiale ; il faut le
renvoyer aux tribunaux ordinaires... et comme il y a plusieurs jurés qui
n'ont pas la confiance des citoyens, je demande que vous autorisiez les
sections à nommer chacune deux jurés d'accusation et deux jurés de jugement.
» Mais,
pendant que l'Assemblée tâtonnait ainsi dans la procédure de répression, le
peuple s'imaginait qu'on cherchait à sauver les coupables et qu'il allait être
dupe. La Commune, peu soucieuse de veiller sur la popularité de l'Assemblée
législative, répandait elle-même ces rumeurs. Au décret rendu sur la motion
de Thuriot elle fit une objection : c'est que les sentences des tribunaux
ordinaires étaient susceptibles d'appel devant le tribunal de Cassation.
Ainsi il y aurait ajournement, incertitude. La
Commune envoya le 15 août une délégation à l'Assemblée. Cette fois encore
c'est Robespierre qui parla en son nom : « Législateurs, si la tranquillité
publique et surtout la liberté tient à la punition des coupables, vous devez
en désirer la promptitude, vous devez en assurer les moyens. Depuis le 10
août, la vengeance du peuple n'a pas encore été satisfaite. Je ne sais
quels obstacles invincibles semblent s'y opposer... « Le
décret que vous avez rendu nous semble insuffisant... Il faut au peuple un
gouvernement digne de lui. Il lui faut de nouveaux juges, créés pour les
circonstances... Le peuple se repose, mais il ne dort pas. Il veut la
punition des coupables : il a raison... Nous vous prions de nous débarrasser
des autorités constituées en qui nous n'avons point de confiance, d'effacer
ce double degré de juridiction qui, en établissant des lenteurs, assure
l'impunité ; nous demandons que les coupables soient jugés par des
commissaires pris dans chaque section, souverainement et en dernier ressort.
» Robespierre
avait raison. Seul un tribunal révolutionnaire inspirant pleine confiance au
peuple et jugeant avec rapidité, pouvait assurer la répression et la limiter.
Mais quoi ? Ce tribunal agissant sous la pression du peuple exaspéré ne
serait-il pas un simple tribunal de vengeance ? Et à quoi bon l'hypocrisie
des formes légales ? Pourquoi ne pas laisser la passion populaire,
puisqu'elle est irrésistible, s'exercer elle-même ? Je réponds d'abord qu'une
organisation de justice révolutionnaire écartait bien des chances d'erreurs.
bien des surprises de bestialité ; et j'ajoute qu'il n'est pas bon pour la
liberté que même la vengeance du peuple ressemble à une boucherie. S'il y a
là je ne sais -quelle hypocrisie de décence sociale, pourquoi le peuple n'en
bénéficierait-il pas ? Et pourquoi, pouvant avoir lui aussi des juges à ses
ordres, tremperait-il ses bras dans le sang ? MERLIN DE THIONVILLE ET LES OTAGES L'Assemblée
renvoya immédiatement la pétition de la Commune à la Commission
extraordinaire des Douze. Au moment même où se marquent ces incertitudes de
la légalité révolutionnaire, voici qu'une nouvelle grave éclate sur
l'Assemblée et que des propositions terribles apparaissent. A peine la
délégation de la Commune a-t-elle fini son exposé, Merlin de Thionville monte
à la tribune : « J'annonce à l'Assemblée que peut-être en ce moment la
tranchée s'ouvre devant Thionville. Les Prussiens et les Autrichiens sont
maîtres des avant-postes de Sierck et de Rodemack. Mon père me mande que tous
ses concitoyens laisseront leurs vies sur les remparts plutôt que de se
rendre. (Vifs applaudissements.) Le Comité de surveillance a plus de quatre
cents lettres qui prouvent que le plan et l'époque de cette attaque étaient
connus à Paris ; que c'est à Paris qu'est le foyer de la conspiration de
Coblentz. Je demande que les femmes et les enfants des émigrés soient pour
nous des otages et qu'on les rende responsables des maux que pourront causer
les puissances étrangères coalisées avec eux. » Ainsi
la lutte s'annonce effroyable et sombre. Ce n'est pas une guerre ordinaire
qui est engagée. L'ennemi ne s'avance pas pour régler un différend d'Etat à
Etat ou pour s'annexer un territoire, il vient pour exercer la vengeance d'un
parti. Demain,
s'il est le maître, il tuera les patriotes, il tuera leurs enfants et leurs
femmes et comme c'est dans l'intérêt des émigrés, n'est-il pas juste de leur
appliquer la loi du talion ? Horribles équivalences ! Il est clair que c'est
le premier signal des massacres de septembre ; car le jour où la passion
révolutionnaire sera montée à ce point que les femmes et les enfants des
émigrés paieront pour les violences et les crimes des émigrés eux-mêmes, qui
donc pourra soumettre à des formes légales ce lugubre règlement de compte ?
L'Assemblée législative, d'un premier mouvement, adopta la motion de Merlin.
En ce jour, en cette minute, elle consentit, au fond de sa conscience, aux
sanglantes représailles, et il n'est pas permis de s'étonner qu'au jour des massacres,
elle n'ait tu ni la force ni le ferme dessein d'intervenir. Elle-même, dans
le secret de son cœur bouleversé, avait entrevu un instant et accepté la
rouge vision. A peine le décret rendu, des protestations s'élevèrent : Merlin
lui-même déclara : « On ne doit voir dans la mesure que je propose qu'un
moyen d'empêcher des flots de sang de couler. » Pouvait-il
donc penser que les émigrés, furieux et ne rêvant que massacres,
s'arrêteraient par peur de représailles qui pouvaient atteindre les leurs ?
L'Assemblée donna au décret une autre forme. Elle semblait préoccupée, tout
en dénonçant la responsabilité des conspirateurs, de les réserver à un
jugement légal : « L'Assemblée nationale, considérant que les maux qui
assiègent la France ont pour cause les trahisons et les complots des mauvais
citoyens qui ont émigré ; considérant que le salut public demande que leurs
desseins parricides soient arrêtés par tous les moyens que permet une juste
défense et que la rigueur des mesures conduira plus sûrement et plus
promptement à triompher des ennemis de l'Etat, décrète qu'il y a urgence. « L'Assemblée
nationale, après avoir décrété l'urgence, décréta que les pères et mères,
femmes et enfants des émigrés demeureront consignés dans leurs municipalités
respectives, sous la protection de la loi et la surveillance des officiers
municipaux, sans la permission desquels ils ne pourront en sortir, sous peine
d'arrestation. « Le
présent décret sera envoyé sans délai à tous les départements pour être mis
sur-le-champ à exécution. » C'était
évidemment désigner comme des conspirateurs ou au moins comme des suspects
tous les parents des émigrés ; c'était proclamer que par eux un réseau de
trahison s'étendait sur la France, et quelle conclusion pouvait donner le
peuple à cet avis solennel, sinon en un jour de péril plus pressant
l'exécution sommaire des traîtres ? Ainsi l'atroce logique du combat engagé
conduisait au massacre. Or, au moment même où la Législative constituait
ainsi ces innombrables otages de la Révolution menacée, l'ennemi, mettant le
pied sur le sol, se livrait aux pires violences. Prussiens et Autrichiens,
énervés par les lenteurs de la campagne, accueillis à leur entrée en France
par l'hostilité des éléments et des hommes, trempés par des rafales de pluie
et se heurtant à l'entrée de chaque village à la résistance des patriotes
embusqués, s'emportaient en des excès furieux. Ne leur
répétait-on pas d'ailleurs, qu'ils combattaient non des hommes mais des bêtes
fauves ? Et le manifeste de leur général, le duc de Brunswick, n'était-il pas
tout plein de sinistres menaces ? Ainsi la naturelle cruauté de l'homme qui
combat et en qui l'instinct de conservation toujours menacé tourne en fureur
sauvage était comme aiguillonnée de toutes parts. Les soldats pillèrent,
brûlèrent, dépouillèrent même de leurs langes les enfants au berceau. Du camp
devant Longwy, le 23 août au soir, le vicomte de Caraman écrit au baron de
Breteuil : « L'entrée des troupes en France a été marquée par des
excès bien condamnables, mais qui ont été réprimés aussitôt par des punitions
très sévères. Le pillage a été affreux, mais le roi a cassé et renvoyé
le colonel du régiment qui s'y était le plus livré et deux pilleurs ont été
pendus... Les Autrichiens ont aussi pillé de leur côté d'une manière
terrible, mais la justice n'a été ni si exacte ni si sévère et les indemnités
ont été nulles. » A
l'heure même où la Révolution s'apprêtait à répondre à la violence par la
violence, au meurtre par le meurtre, à l'égorgement des faibles, des enfants
et des femmes par l'égorgement des enfants et des femmes, l'envahisseur
abondait en excès furieux. Ainsi se nouait l'effroyable nœud des réciprocités
sanglantes. La
Commune de Paris, en sa séance du 19 août, reprenait, mais en l'accentuant,
le décret de l'Assemblée. Elle revenait à la forme première de la proposition
de Merlin et prononçait le mot terrible d'otages devant lequel l'Assemblée
avait reculé. « Le
Conseil délibérant sur les moyens de mettre un frein au délire de ces hommes
qui ne rougissent pas de porter les armes contre leurs frères et leurs
concitoyens, considérant que nos ennemis ont évidemment formé le perfide et
criminel dessein d'envahir la Ville de Paris dont tout le crime est d'avoir
été le berceau de la liberté, considérant que le meilleur moyen d'arrêter
leur coupable excès est de retenir pour otages les seuls objets qui puissent
leur être chers, si la rage n'a pas encore étouffé dans leur cœur la voix de
la nature, arrête qu'il sera fait une adresse à l'Assemblée nationale pour
l'inviter à faire mettre dans un lieu de sûreté les femmes et les enfants des
émigrés. » Lieu de
sûreté est une expression un peu sinistre. La Commune ne se borne pas comme
la Législative à consigner les femmes et les enfants des émigrés dans leurs
municipalités respectives et à les immobiliser ainsi. Elle veut qu'ils soient
rassemblés, c'est-à-dire, en somme, emprisonnés et tenus sous le couteau.
Sera-t-il possible de régler, et de soumettre à des formes légales, à je ne
sais quelles garanties restrictives, les explosions de fureur qui se
préparent ? L'INSTITUTION DU TRIBUNAL EXTRAORDINAIRE L'Assemblée,
en la même séance du 15 où Robespierre avait formulé le vœu de la Commune, y
déféra en partie. Elle supprima, sur un rapport de Brissot, les lenteurs d'un
recours en cassation. « L'Assemblée nationale, considérant que les délits
commis dans la journée du 10 août sont en trop grand nombre pour que les
jugements auxquels ils donnent lieu puissent produire l'effet qu'en attend la
société, qui est celui de l'exemple, si ces jugements restaient sujets à la
cassation. « Considérant
que déjà dans l'institution d'une cour martiale, destinée à juger les délits
commis dans l'expédition de Mons et de Tournay, elle a, par les mêmes moyens,
décrété que les jugements qui seraient rendus ne seraient sujets ni à l'appel
ni à la cassation : « Décrète
que les jugements qui interviendront à l'occasion des délits commis dans la
journée du 10 août, ou des délits relatifs à cette journée, ne seront point
sujets à cassation et qu'en conséquence les condamnés ne pourront point se
pourvoir devant le tribunal de cassation. » Brissot
et Robespierre : on pourrait croire, en voyant Brissot faire un rapport
favorable, en un point important, à la pétition présentée par son rival,
qu'en cette période de crise extrême les deux hommes se sont rapprochés.
Peut-être, s'ils avaient été d'accord pour assurer le fonctionnement
énergique et rapide de la justice révolutionnaire et pour s'opposer en même
temps à toute exécution populaire, peut-être auraient-ils épargné à la Révolution
des scènes de tuerie. Mais non : la rivalité aigre des deux hommes subsistait
; et même en ce point elle se marque. Robespierre avait demandé deux choses.
Il avait demandé que le pourvoi en cassation fût supprimé, et cela Brissot,
au nom de la commission des Douze, l'accordait. Il avait demandé en même
temps qu'an ne se bornât pas à renouveler les durés, que l'on renouvelât
aussi les juges. C'était
logique, et puisqu'on créait un tribunal révolutionnaire destiné à une action
rapide et exceptionnelle, il fallait le composer tout entier d'éléments
nouveaux. Cela, la commission des Douze le refusait, et Brissot dans son
journal se félicite misérablement d'avoir infligé, en ce point, un échec à
Robespierre. Je lis dans le Patriote français : « M. Robespierre
réclame, au nom de la municipalité révolutionnaire, contre la formation du
tribunal destiné à juger les conspirateurs du 10 août ; il demande que les
citoyens nommés dans les sections fassent à la fois les fonctions de jurés
d'accusation, de jugement et de juges. Cette proposition, contraire aux
principes de l'institution des jurés, contraire à tous les principes, a été
renvoyée à la commission extraordinaire. Le rapport en a été fait, quelques
heures après, par M. Brissot. Il a prouvé clairement l'inadmissibilité de la
pétition de M. Robespierre, qui n'était pas le vœu de la Commune. La Commune
demandait seulement que le recours au tribunal de cassation n'eût pas lieu. »
Tout cela est mesquin et irritant. Que signifie cette tentative pour isoler
Robespierre de la Commune, qui l'avait délégué ? Que signifie cet aigre et
fastueux rappel aux principes, quand, en abolissant le recours en cassation,
on bouleverse soi-même dans un intérêt révolutionnaire, tout le système des
jugements ? Que signifie aussi cette falsification de la pensée de
Robespierre ? Il n'avait pas demandé que les jurés fissent fonctions de
juges, mais que les juges fussent renouvelés comme les jurés. On se
prend à haïr ces contentions et rivalités misérables. Pendant que Robespierre
savourait la joie orgueilleuse d'apporter au nom de la Commune des
indications qui étaient des ordres, Brissot chicanait et cherchait à humilier
Robespierre. Il
fallut bien pourtant se résoudre à régler la question des juges posée par ta
Commune de Paris ; et, deux jours après l'article dédaigneux et blessant de
Brissot, l'Assemblée était obligée, par la logique même des choses, de
décider que des juges nouveaux seraient nommés. C'est Hérault de Séchelles
qui démontra la nécessité de compléter la décision tronquée du 15 août : « Messieurs,
vous avez décrété hier la formation d'un nouveau jury d'accusation et de
jugement pour connaître les délits dont l'explosion s'est faite dans la
journée du 10 de ce mois. Cette création vous a paru nécessaire pour suppléer
à l'insuffisance des jurés existants et au peu de confiance que quelques-uns
d'entre eux s'étaient attiré par leurs opinions politiques. Ce nouveau jury
est formé. Mais il vous reste maintenant pour le mettre en activité, a
compléter les sages dispositions de votre décret, en les étendant au tribunal
actuel du département qui présente des inconvénients du même genre et semble
vous imposer la nécessité des mêmes mesures. En effet, Messieurs, si, après
avoir créé un autre jury, vous conservez pour juger ceux auxquels appartient
maintenant l'examen des délits ordinaires, vous manqueriez le but que vous
vous êtes proposé ; vous paralyseriez les deux jurés. Vous éloigneriez contre
votre intention la vengeance de la loi. » L'Assemblée
décréta donc que selon les formes ordinaires de nouveaux juges seraient
nommés. Qu'avait donc gagné Brissot à sa misérable chicane ? Ceci : que
pendant ces ajournements inexplicables, la colère et l'énervement du peuple
croissaient. Depuis huit jours justice avait été promise, et il semblait que,
de difficulté de procédure en difficulté, l'Assemblée cherchait à ruser avec
sa propre parole, à éluder son engagement. La Commune exploitait contre
l'Assemblée ces soupçons du peuple. Et, dans la séance du 17, elle faisait
entendre à la Législative ce langage menaçant : « Si
le tyran eût été vainqueur, dit le délégué de la Commune, déjà douze cents
échafauds auraient été dressés dans la capitale et plus de trois mille
citoyens auraient payé de leur tête le crime, énorme aux yeux du despote,
d'avoir osé devenir libres ; et le peuple français, victorieux de la plus
terrible conspiration, vainqueur de la plus noire trahison, n'est pas encore
vengé ! Les principes de la justice sont-ils donc différents pour un peuple
souverain que pour un peuple esclave ? » Et il
termina par une sommation, par une sorte de tocsin : « Comme citoyen,
comme magistrat du peuple, je viens vous annoncer que ce soir, à minuit, le
tocsin sonnera, la générale battra. Le peuple est las de n'être point vengé.
Craignez qu'il ne fasse justice lui-même. Je demande que sans désemparer vous
discutiez qu'il sera nommé un citoyen par chaque section pour former un
tribunal criminel. Je demande que Louis XVI et Marie-Antoinette, si avides du
sang du peuple, soient rassasiés en voyant couler celui de leurs infâmes
satellites. » A ce
langage menaçant et sanglant la Gironde ne répondit pas. Se sentait-elle
paralysée, devant le délégué de la Commune, qui avait fait le 10 août, par le
souvenir de ses tergiversations ? Et craignait-elle une dure réplique ? Ou
Brissot n'était-il capable de s'émouvoir que contre Robespierre ? Cette fois,
ce n'est plus Robespierre qui parle et le journal de Brissot va jusqu'à louer
« l'énergique langage » du délégué de la Commune. On dirait qu'à ce
moment précis, il caresse la Commune pour isoler Robespierre et le frapper
ensuite plus sûrement. O petitesse infinie ! Dans le silence de la Gironde ce
sont des Montagnards qui protestèrent contre le langage violent de la
Commune. L'intrépide
Choudieu, celui qui le premier sous les murmures de l'Assemblée avait
demandé, avant le 10 août, la déchéance du roi, eut un accès d'indignation.
Il lui sembla que le tribunal criminel, dont on réclamait en de pareils
termes la création, ne serait qu'une machine de meurtre et d'inquisition
sanglante. Et, tout frémissant, il coupa la parole au délégué. Il a raconté
lui-même cette belle et forte scène où l'homme d'action et d'audace s'affirma
en même temps comme l'homme de clémente justice. « Je
ne donne pas le temps à ce pétitionnaire de continuer. Je m'élance à la
tribune et je dis : L'Assemblée ne peut écouter plus longtemps un langage
aussi inconvenant, surtout dans la bouche d'un homme qui se présente devant
vous comme magistrat du peuple. Ce ne sont pas des amis du peuple qui
viennent vous faire de semblables propositions et vous proposer un tribunal
inquisitorial. Je crois aussi avoir le droit de parler au nom du peuple dont
je me suis montré plus d'une fois l'ami, en défendant ses libertés. Mais je
veux qu'on l'éclaire et non qu'on le flatte. Vous aviez fait une proclamation
; elle doit être suffisante ; et, si l'on ne veut pas obéir à vos décrets, il
n'est pas nécessaire que vous en fassiez. Ce n'est pas user du droit de
pétition, c'est en abuser que de s'arroger le droit de vous dicter des lois.
Je m'opposerai constamment à la formation d'un tribunal qui disposerait
arbitrairement de la vie des citoyens, et j'espère que l'Assemblée partagera
mon sentiment à cet égard. » Choudieu
allait bien loin, puisqu'il s'opposait, en cette crise extraordinaire, à tout
tribunal de Révolution. Visiblement, la Commune, par ses interventions
répétées et impérieuses, avait irrité même les démocrates d'extrême-gauche de
l'Assemblée ; et c'est la Montagne qui ose la première résister nettement à
la Commune révolutionnaire. Un autre montagnard, Thuriot, protesta contre ces
prétentions dominatrices et surtout, effrayé pour la Révolution de
l'obsession de vengeance et de sang qui semblait la hanter depuis le 10 août,
il la rappela en quelques paroles sublimes à son haut esprit d'humanité. « Il
ne faut pas que quelques hommes qui ne connaissent pas les vrais principes,
qui ne connaissent pas la loi, qui n'ont pas étudié la Constitution, viennent
substituer ici leur volonté particulière à la volonté générale. Il faut que
tous les habitants de Paris sachent que nous ne devons pas concentrer tout
notre intérêt dans les murs de Paris. Il, faut qu'il n'y ait pas un acte du
Corps législatif qui ne porte le cachet de l'ordre général, de l'amour de la
loi. Puisque dans ce moment on cherche à vous persuader qu'il se prépare un
mouvement, une nouvelle insurrection ; puisque dans ce moment où l'on devrait
sentir que le besoin le plus pressant est celui de la réunion, on cherche
encore à agiter le peuple, je demande que le Corps législatif se montre décidé
à mourir plutôt qu'à souffrir la moindre atteinte à la loi et décrète qu'il
sera envoyé des commissaires dans les sections pour les rappeler au respect
de la loi. Il ne faut pas de magistrats qui cèdent à la première impulsion du
peuple lorsqu'on le trompe. Il faut des magistrats que le feu sacré de
l'amour de la patrie embrase, qu'anime le saint respect de la loi. J'aime
la liberté ; j'aimé la Révolution ; mais s'il fallait un crime pour
l'assurer, j'aimerais mieux me poignarder. Nous n'avons qu'une mesure à
prendre, c'est de nous rallier, c'est de présenter partout l'amour de la loi,
l'amour du bien public. LA RÉVOLUTION
N'EST
PAS SEULEMENT POUR LA FRANCE ; NOUS EN
SOMMES COMPTABLES A L'HUMANITÉ. IL FAUT QU'UN JOUR TOUS LES PEUPLES PUISSENT BÉNIR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. » Admirables
paroles d'un grand cœur ! C'est une joie et un réconfort d'entendre Thuriot.
Tandis que la Commune, cherchant sa force dans la passion de vengeance du
peuple, néglige de le rappeler au devoir d'humanité, tandis que Robespierre,
qui sait que son intervention irrite la Gironde, se prodigue avec un orgueil
amer, tandis que Brissot descend à des roueries misérables, Thuriot songe que
si la Révolution se couvre de sang, les peuples ne reconnaîtront point en
elle la haute figure de l'humanité. Et il crie aux partis. il crie aux
individus rivaux : « Unissez-vous pour que la Révolution puisse rester
humaine. » Oui, grande parole, mais qui ne fut pas entendue ! Entre
la Commune et l'Assemblée le conflit s'aggravait. Les révolutionnaires
parisiens qui, avec le concours des fédérés concentrés à Paris, avaient sauvé
la Révolution et la France, entendaient prolonger l'action révolutionnaire de
la capitale, même après la réunion de la Convention. Dans un plan de
Constitution soumis aux Jacobins, le 17 août, la section du
Marché-des-Innocents demande que Paris ait un rôle exceptionnel. « Les
décrets que la Convention rendra pour l'établissement d'une Constitution et
des lois permanentes... ne seront obligatoires qu'après une acceptation dans
les assemblées primaires. Les décrets de simple administration n'auront pas
besoin d'être acceptés. Si cependant la Convention prenait quelques
mesures bien dangereuses, la Commune de Paris, plus à portée d'agir que les
autres à cause de sa proximité, pourra la requérir et l'obliger de délibérer
une seconde fois sur cette mesure. » LES VIOLENCES DE MARAT Déjà,
les députés prenaient ombrage de ces paroles et commençaient à dénoncer les
projets de « dictature » de Paris. Marat,
de son côté, redoublait de violence. Trois jours après l'article optimiste du
16 août où il disait que sous l'impulsion de la Commune tout allait au mieux,
il dénonce la Législative, « les infâmes pères conscrits du manège
trahissant le peuple et cherchant à faire traîner le jugement des traîtres
jusqu'à l'arrivée de Mottié qui marche sur Paris avec son armée pour égorger
les patriotes. » A ce moment même La Fayette s'enfuyait, abandonné par ses
soldats, et il était enfermé dans une forteresse autrichienne. Mais il était
dans le tempérament de Marat d'accueillir les pires rumeurs et il était dans
son dessein d'affoler et d'exaspérer. « Français,
il n'est que trop vrai que l'Assemblée nationale a recommencé le cours de ses
machinations infernales et qu'elle le poursuit avec une impudeur, une
effronterie, une audace, qui marquent assez le mépris qu'elle a pour vous et
le dessein qu'elle a de vous remettre aux fers. Pour vous apaiser, tant
qu'elle a redouté votre fureur, avec quelle bassesse elle vous a flattés,
caressés, enjôlés ! Alors la loi suprême de l'Etat était le salut du peuple.
Vous étiez le seul souverain, elle se faisait gloire d'être du nombre des
Sans-Culottes... A peine avez-vous posé les armes et cessé de faire couler le
sang criminel qu'elle n'a plus songé qu'à vous endormir. » Et il
sonne le tocsin des massacres : « Mais quel est le devoir du peuple ?
Il n'a que deux partis à prendre. Le premier est de presser le jugement des
traîtres détenus à l'Abbaye, d'envelopper les tribunaux criminels et
l'Assemblée et, si les traîtres sont blanchis, de les massacrer sans balancer
avec le nouveau tribunal et les scélérats faiseurs du perfide décret. Le
dernier parti, qui est le plus sûr et le plus sage, est de porter en armes à
l'Abbaye, d'en arracher les traîtres, particulièrement les officiers suisses
et leurs complices et de les passer au fil de l'épée. Quelle folie de vouloir
faire leur procès ! Il est tout fait ; vous les avez pris les armes à la main
contre la patrie, vous avez massacré les soldats, pourquoi épargnez-vous
leurs officiers, incomparablement plus coupables ? La sottise a été d'avoir
écouté les endormeurs qui ont conseillé d'en faire des prisonniers de guerre.
Ce sont des traîtres qu'il fallait immoler sur-le-champ, car ils ne pouvaient
jamais être considérés sous un autre point de vue. » Vraiment
y avait-il pour la Révolution un si pressant intérêt à abattre, après la
victoire, les mercenaires Suisses, qui avaient, suivant la tradition
séculaire des hommes de leur pays, fait le coup de feu pour leur maitre le
roi de France ? «
Citoyens, continue Marat, je vous l'ai présagé et je vous le répète, vos
ennemis machinent de nouveau contre vous ; les membres pourris de
l'Assemblée, particulièrement l'infernale faction Brissot-Guadet est à leur
tête ; leur dictateur (La Fayette) est prêt à paraître. » Ainsi,
massacrer les prisonniers, fermer à la Gironde la Convention, voilà, au 19
août 1792, le programme de Marat. Il se réalisera en deux fois, le 2
septembre 1792 par les massacres, le 31 mai 1793 par l'élimination des
Girondins. ROBESPIERRE REFUSE DE PRÉSIDER LE TRIBUNAL EXTRAORDINAIRE Pourtant,
depuis deux jours, l'Assemblée législative semblait avoir renoncé au système
funeste des ajournements et des délais. Le tribunal criminel était constitué
et, pour affirmer sa loyauté et sa vigueur révolutionnaire, il avait dès le
18 août, nommé Robespierre président. Robespierre refusa. C'est, quoi qu'en
aient dit les apologistes, une défaillance peu excusable. M. Hamel,
l'historien d'ailleurs si consciencieux et si probe, le loue encore : « Pour
des motifs, dit-il, dont tout le monde appréciera la délicatesse, Robespierre
refusa d'accepter les hautes fonctions auxquelles il venait d'être appelé et
où il eût été en quelque sorte juge et partie. » C'est là en effet
l'excuse alléguée par Robespierre. « J'ai combattu, depuis l'origine de
la Révolution la plus grande partie des criminels de lèse-Nation. J'ai
dénoncé la plupart d'entre eux, j'ai prédit tous leurs attentats, lorsqu'on
croyait encore à leur civisme ; je ne pouvais être le juge de ceux dont j'ai
été l'adversaire et j'ai dû me souvenir que, s'ils étaient les ennemis de la
patrie, ils s'étaient aussi déclarés les miens. « Cette
maxime, bonne dans toutes les circonstances, est surtout applicable à
celle-ci ; la justice du peuple doit porter un caractère digne de lui, il
faut qu'elle soit imposante autant que prompte et terrible. L'exercice de ces
nouvelles fonctions était incompatible avec celles de représentant de la
Commune qui m'avaient été confiées ; il fallait opter ; je suis resté au
poste où j'étais, convaincu que c'était là où je devais actuellement servir
la patrie. » Pitoyable
sophisme et dont il serait humiliant d'être dupe. II ne s'agissait point-là
d'inimitiés personnelles ; et Robespierre le plus souvent s'était abstenu de
désignations individuelles. D'ailleurs, en ces sortes de procès, tout citoyen
est à la fois juge et partie et quel est le révolutionnaire, quel est le
patriote du 10 août qui ne pouvait alléguer aussi qu'il avait été l'ennemi
direct de ceux qu'il fallait juger ? Danton avait-il donc refusé sous ce
prétexte le ministère de la justice ?[1] Non, il y avait, au contraire,
un intérêt de premier ordre à ce que le tribunal criminel fût présidé par un
homme qui inspirait toute confiance à la Révolution. Cela
donnait au peuple les garanties de vigueur et de sincérité dont il avait
besoin. Et, en même temps, fort de la confiance qu'il inspirait, le président
du tribunal révolutionnaire pouvait rester modéré et juste. Il dépendait
peut-être de Robespierre, en acceptant, d'épargner à la Révolution les
massacres que Marat demandait et que tout Paris pressentait dès lors
lugubrement. Robespierre se déroba, par peur des responsabilités, par calcul
savant d'ambition. Acceptant, il aurait dû prendre sur lui, ouvertement, la
charge des jugements rigoureux qui allaient être rendus au nom de la patrie
trahie, de la liberté outragée. Il aurait dû prendre aussi devant le peuple
surexcité la responsabilité plus lourde encore des acquittements. Ou bien il
aurait cédé à toutes les impulsions de la vengeance populaire, et il se
ravalait du rôle de juge à celui de bourreau. Ou bien il aurait résisté
parfois et opposé l'humanité et la raison aux fureurs de la vengeance et il
risquait de perdre au service de la Révolution une part de son crédit.
Robespierre n'aimait pas les fonctions décisives ou des actes précis
entraînent des responsabilités déterminées ; il préférait le rôle de
conseiller où l'habile équilibre des phrases et l'ingénieuse combinaison des
attitudes permettent d'éluder les responsabilités définies et directes.
Peut-être, s'il avait eu le courage d'accepter, le peuple n'aurait-il pas eu
le furieux accès d'impatience et de soupçon des journées de septembre.
Peut-être la Commune qui, en septembre, laissa faire le peuple serait-elle
intervenue pour arrêter un mouvement dirigé, en somme, contre le tribunal
criminel convaincu d'insuffisance et de lenteur aussi bien que contre les
prisonniers. Et, si
Robespierre avait laissé, un moment, dans cette difficile et redoutable
fonction, une part de son crédit révolutionnaire, c'est au service de la
Révolution qu'il l'eût dépensé. Il n'osa pas, et par égoïsme d'ambition, il
refusa le péril. Je considère que, par ce refus, il a assumé, dans les
journées de septembre une grande part de responsabilité. Quand M. Hamel, en
son zèle outré d'apologiste, va jusqu'à lui faire un titre d'avoir refusé une
fonction « lucrative », il ravale assez fâcheusement la question et son héros
même. Quand il ajoute qu'en refusant toute situation officielle, Robespierre
démontrait victorieusement son désintéressement politique, M. Hamel abuse du
droit à la candeur. En somme, Robespierre, en s'effaçant par prudence et
calcul, a laissé le passage libre à Marat et à son rêve sanglant[2]. LES CONSEILS DE CHABOT AUX FÉDÉRÉS En même
temps, Chabot, dans la séance du 20 août, aux Jacobins, déclarait très
nettement que les fédérés devaient continuer à foi mer une force
révolutionnaire pour peser sur la Convention elle-même. « Que les
fédérés ne se séparent point ; qu'ils ne sortent pas de Paris, qu'ils restent
là pour inspecter la Convention nationale. » « Il
pourrait se faire que les membres qui composeront la Convention nationale
voulussent encore des rois ; mais que les braves Parisiens tiennent bon, car
jamais les rois ne leur pardonneraient de les avoir détrônés quelques mois.
La liste civile est suspendue, il est vrai, mais elle existe encore dans les
caisses des banques, dans les biens des émigrés, dans les ressources des
ci-devant grands seigneurs, des riches capitalistes qui feraient les plus
grands sacrifices pour ramener un ordre de choses qui leur était si
favorable. » « Si
la Convention nationale s'avisait de vouloir quitter Paris, je le dis
tout haut, je sonne une troisième fois le tocsin : Arrêtez les scélérats ! » Ainsi,
avant que la Convention se rassemblât, avant même qu'elle fût élue, la
Révolution parisienne s'apprêtait à la surveiller, à l'immobiliser à Paris
pour la tenir sous son contrôle. Pourtant, Chabot ne suit point Marat
jusqu'au bout : c'est contre les royalistes, les modérés, les Feuillants,
qu'il tourne la pointe de la Commune ; mais il ne menace pas directement les
Girondins. Ils ont voté les poursuites contre La Fayette. Ils font donc, de
droit, partie de la Révolution. « Si
les deux cent-vingt membres qui ont voté contre La Fayette vous restent,
ajoute Chabot, je crois pouvoir vous le dire, la chose publique est sauvée.
Si, au contraire, c'était la majorité de cette assemblée législative qui dût
passer à la Convention nationale, alors gardez vos armes et veillez. » Ainsi
la Gironde était admise, mais sous la surveillance de la Commune de Paris. LE MANIFESTE ÉLECTORAL DES JACOBINS Le
manifeste électoral des Jacobins, lancé le 22 août, est dans le même esprit.
Il fait accueil à la Gironde, mais il fait de Paris le gardien de la
Révolution. « De notre choix dépend le succès de notre cause...
L'Assemblée a détruit le mur de séparation que nos Constituants avaient élevé
entre les citoyens ; elle a supprimé, sans indemnité, tous les droits
féodaux, excepté ceux qui sont prouvés, par le titre primitif, être le prix
de la concession du fonds. « Il
est peu de ci-devant seigneurs qui puissent faire cette preuve. Elle a fait
justice des rois et des prêtres, des émigrés et de leurs nobles
correspondants, de l'aristocratie bourgeoise et financière, en un mot, de
tous nos ennemis. Elle a rétabli le règne de l'égalité en appelant, sans
distinction, le peuple à l'exercice de sa souveraineté. C'est à nous de le
soutenir et nous le pouvons, en éloignant des assemblées électorales tous
ceux qui ont protégé, même indirectement, la cour et le sacerdoce, les émigrés
et leurs adhérents. Notre choix ne peut être difficile ; les patriotes font
la majorité de la Nation. Ils peuvent donc, s'ils savent se réunir, faire des
choix favorables à leurs intérêts. Les électeurs étant payés à trois livres
par jour et trois sols par lieue pour leur voyage, il n'est plus nécessaire
d'être riche bourgeois, prêtre ou ci-devant noble, pour accepter cette noble
mission, et si la majorité des électeurs est au niveau de la Révolution du 10
août 1792, nos nouveaux députés ne tarderont pas à la consolider par une
Constitution conforme à la Déclaration des Droits et à l'intérêt du plus
grand nombre. » « Ceux
de nos représentants qui ont été fidèles au peuple vous sont désignés par
l'opinion et vous en avez la liste dans ceux qui ont voté pour le décret
d'accusation contre La Fayette. Le tableau comparatif que nous vous envoyons,
finira de vous faire connaître et vos amis et vos ennemis. Parmi vos
Constituants, vous avez les Pétion, les Robespierre, les Buzot, les Anthoine,
les Coroller, les Grégoire, les Le Pelletier, les Dubois de Crancé, le bon
père Gérard, et quelques autres fidèles défenseurs des droits du peuple, en
petit nombre, il est vrai, mais sous ce rapport, plus dignes d'obtenir vos
suffrages. Ceux-là ont fait leurs preuves... » « Frères
et amis, si les deux cent vingt-quatre représentants du peuple qui viennent
de s'exposer au feu des assassins et à la vengeance des Tuileries obtiennent
vos suffrages, avec les quarante incorruptibles de l'Assemblée constituante,
la patrie est sauvée. Ils forceront le reste de la représentation nationale à
marcher dans le chemin de l'honneur ; mais si la Convention n'est composée,
que de nouveaux députés, quelque violents qu'ils puissent être, il est
possible que nous ne trouvions notre salut que dans notre courage et dans une
nouvelle insurrection. » Ainsi,
officiellement et pour toute la France, les Jacobins, où les Girondins
d'ailleurs étaient nombreux, recommandent les candidatures girondines. Mais
Paris restait comme la grande force d'appel : or, à Paris même, les
démocrates robespierristes et la Commune éliminaient toutes les candidatures
girondines. LES MONTAGNARDS RECOMMANDENT LE VOTE À HAUTE VOIX Les
tergiversations de la Gironde avant le 10 août avaient diminué son crédit ;
et c'est par des révolutionnaires plus énergiques que Paris voulait être
représenté. Les démocrates y disaient bien haut que sans le système de
l'élection à deux degrés, maintenu encore par la Convention, le suffrage
populaire irait d'emblée aux amis de Danton, de Marat et de Robespierre. Dès
le 12 août, aux Jacobins, Anthoine disait : « Une
des plus grandes causes de nos maux, est le mode d'élection employé par la
Législative. « Tant
que vous aurez (les corps électoraux, vous aurez de mauvais choix. Vous en
avez un exemple bien frappant dans la différence sensible que l'on aperçoit
entre les municipalités choisies directement par le peuple et les
départements, les tribunaux choisis par les corps électoraux. Le meilleur, le
seul moyen d'avoir de bons choix est qu'ils soient faits par le peuple, tout
le peuple, rien que le peuple... J'insiste fortement sur ce point, car sans
cela la Convention ne sera pas meilleure que la Législative actuelle. » Robespierre
se plaint aussi dans le Défenseur de la Constitution que la Législative ait
maintenu les corps électoraux. Mais il constate qu'elle a laissé aux
Assemblées primaires une assez grande latitude. « Il eût été à souhaiter
aussi que, pour la Convention nationale, l'Assemblée se fût occupée à
indiquer un mode d'élection plus simple, plus court et plus favorable aux
droits du peuple. « Il
eût fallu supprimer l'intermédiaire inutile et dangereux des corps électoraux
et assurer au peuple la faculté de choisir lui-même ses représentants.
L'Assemblée a suivi la routine plus que les principes. Mais il faut la louer
de n'avoir proposé ce mode d'élection que par forme d'invitation et de
conseil et d'avoir rendu cet hommage à la souveraineté du peuple réuni dans
les assemblées primaires. » Chabot,
le 2 août, dit aux Jacobins : « Le
mode qui a été décrété pour les élections ne vaut rien et, si je n'eusse pas
été occupé alors à une mission pour recueillir les Suisses, je ne serais pas
descendu de la tribune que je n'eusse obtenu un mode d'élection plus
avantageux pour le peuple : l'élection immédiate. « Ce
n'est pas pour Paris que je crains l'influence de ce mode, les esprits y sont
trop éclairés pour n'être pas assuré du choix des électeurs, mais c'est dans
les départements que je la redoute. Les administrations départementales sont
pour la plupart si gangrenées que je crains que le décret qui accorde un écu
par jour aux électeurs ne soit pas connu à temps et qu'alors, les choix pour
ces places tombant encore sur les riches, nous n'ayons des corps électoraux
aristocrates. » Pourtant,
aucune assemblée primaire n'usa de la faculté qui lui était laissée d'adopter
un autre mode de nomination. A Paris même, les démocrates se bornèrent à
soumettre les choix faits par les assemblées électorales à la ratification
des assemblées primaires et à instituer le vote à haute voix. C'est sur la
motion de Robespierre que sa section, la section de la place Vendôme, prit le
27 août un arrêté en ce sens : « 1°
En principe, tous les mandataires du peuple doivent être nommés immédiatement
par le peuple, c'est-à-dire par les assemblées primaires ; ce n'est qu'à
cause de la nécessité des circonstances que la méthode de nommer les députés
à la Convention nationale par l'intermédiaire des assemblées électorales est
adoptée ; « 2°
Pour prévenir, autant que possible, les inconvénients attachés à ce système,
les électeurs voteront à haute voix et en présence du public ; « 3°
Afin de rendre cette dernière précaution efficace, ils se rassembleront dans
la salle des Jacobins et les députés nommés par les électeurs seront soumis à
la révision et à l'examen des sections en assemblées primaires, de manière
que la majorité puisse rejeter ceux qui seraient indignes de la confiance du
peuple. » Robespierre
fit transformer cet arrêté en arrêté municipal et, le 28 août, il fut affiché
dans tout Paris. BRISSOT LANCE UN RÉQUISITOIRE CONTRE LA COMMUNE C'est
donc sous des influences révolutionnaires et robespierristes qu'allaient être
faites les élections de Paris. La Gironde était comme éliminée du champ
électoral parisien. Elle sentit la force du coup, et elle songea aussitôt à
frapper la Commune. Le journal de Brissot, le Patriote français, dit le 29
août : « Les pouvoirs institués pour donner à la machine politique un
mouvement révolutionnaire doivent cesser avec ce mouvement, parce que ces
pouvoirs ne peuvent être qu'une dictature ; et qu'une longue dictature,
qu'une dictature même de plusieurs jours, ne peut être que le tombeau de la
liberté. Tant que les commissaires provisoires de la Commune de Paris ne se
sont occupés que de diriger la Révolution du 10, que de poursuivre des
conspirateurs et de surveiller ceux qui pouvaient être accusés de l'être, les
patriotes ont vu sans inquiétude des pouvoirs qui, éclos par la fermentation,
doivent finir avec elle et s'abîmer dans la souveraineté du peuple ; mais,
dès qu'on a vu ces commissaires prolonger leur autorité dictatoriale, usurper
les droits de la Commune, dissoudre et recréer les administrations qu'elle
seule pouvait recréer et dissoudre, se partager des places qu'elle seule
pouvait remplir, suspendre des magistrats nommés et chéris par le peuple, exercer
enfin des actes que les circonstances mêmes ne pouvaient justifier, alors les
bons citoyens ont ouvert enfin les yeux ; ils ont vu qu'ils n'avaient pas
conquis deux fois la liberté pour la livrer à des intrigants et qu'ils ne
devaient pas élever sur les ruines du despotisme royal et patricien un
despotisme plus dur et plus haineux. » C'était
la guerre à fond. Le lendemain, le Patriote français insiste : « Il est
impossible de faire rentrer dans les limites des lois le pouvoir qu'on a mis
momentanément au-dessus des lois pour sauver la patrie ; la tendance
naturelle de tout pouvoir le pousse à l'usurpation ; qu'on juge s'il est
facile de le faire renoncer à ce que la force des circonstances ou un vœu
temporaire ont pu y ajouter. Quiconque a réfléchi sur la nature de l'autorité
et sur les lois éternelles d'après lesquelles tout marche dans l'ordre moral
a dû prévoir que la commission dictatoriale de la Commune de Paris,
indispensable dans les premiers moments de la Révolution du 10, utile
plusieurs jours après, finirait par être dangereuse, en proportion même des
services qu'elle aurait rendus, parce qu'il était évident qu'elle
prolongerait les moyens révolutionnaires au-delà du moment de crise qui les
avait nécessités. » Le ton
est modéré et le tour du raisonnement est habile. Mais la conclusion est
tranchante. Il n'est pas possible de ramener dans les limites légales le
pouvoir révolutionnaire de la Commune. Il faut donc l'abolir. La Gironde, en
ces derniers jours d'août, lui porta plusieurs coups. D'abord, quelques
sections modérées, la section des Lombards, celle de la Halle-au-Blé
retirèrent leurs commissaires à la Commune et firent ainsi une brèche à la
municipalité provisoire. L'AFFAIRE GIREY-DUPRÉ Puis,
la Commune ayant traduit à sa barre le journaliste ami de Brissot,
Girey-Dupré, pour avoir à rendre compte de ses attaques contre le Conseil
général de la Commune, Girey-Dupré résista par une lettre vigoureuse. Et il
saisit l'Assemblée législative d'une plainte contre l'acte « arbitraire » de
la Commune. L'Assemblée législative manda immédiatement devant elle le
Conseil général de la Commune, qui ne vint pas, et elle cassa, le 31 août,
comme contraire à la liberté individuelle, l'arrêté contre Girey-Dupré. LES PLAINTES DE ROLAND Enfin,
Roland, tout dévoué à la Gironde, se plaignit, le 30 août, que la Commune, en
s'emparant de tous les pouvoirs, les désorganisât. « Je
m'étais procuré la note exacte des subsistances, qui se trouvent dans la
capitale, et j'avais pris des arrangements avec le Comité des subsistances de
la Ville de Paris ; mais ce Comité, en qui je mettais toute ma confiance,
vient d'être cassé par les représentants provisoires de la Commune, ainsi que
le sieur Cousin qui en était le chef. Tous ses travaux sont suspendus par
cette désorganisation et dans cet état de choses je ne réponds plus de
l'approvisionnement de Paris. » Il
semble qu'avec un peu de bon vouloir ces conflits administratifs auraient été
aisément réglés. Mais, en réalité, c'était un grand conflit politique qui se
développait. Roland ajouta : « Je suis chargé par l'Assemblée, sous ma
responsabilité, de la conservation des effets déposés dans le garde-meuble.
J'ai nommé pour inspecteur de ce dépôt national, M. Restout, homme honnête et
très estimé dans les arts. Il vient de se plaindre qu'on avait enlevé du
garde-meuble un petit canon garni en argent et porté sur le catalogue des
effets dont il est responsable. Il m'annonce que la même personne a enlevé
des papiers dont je ne connais pas l'importance. » Roland, méticuleux et
boudeur, aggravait par son humeur chagrine des difficultés que peut-être un
esprit plus délié et plus tolérant aurait aisément résolues. Mais la Gironde
voulait en finir. L'ASSEMBLÉE CASSE LA COMMUNE Une
partie de la population de Paris était lasse de l'activité un peu inquiète,
irrégulière et menaçante de la Commune. Et, à la Législative, les Montagnards
eux-mêmes commençaient à s'irriter. En humiliant l'Assemblée, la Commune les
humiliait. De plus, avec leur grand sens révolutionnaire de l'unité
nationale, de la concentration des pouvoirs, ils craignaient que l'action
déréglée de la Commune de Paris ne compromît l'unité d'effort et de combat.
Très habilement, la Gironde laissa la parole aux Montagnards irrités.
Thuriot, qui avait d'admirables accents d'humanité, mais qui ne voulait pas
faire le jeu de la Gironde, défendit un peu la Commune. Mais Choudieu et
Cambon marchèrent à fond. Cambon s'écria : « Il
est important, pour fixer l'Assemblée, qu'elle se fasse représenter les
pouvoirs qui ont été donnés à ces municipaux provisoires par le peuple : car
s'ils n'en ont pas, ce sont des usurpateurs ; ils doivent être punis comme
tels. » Choudieu
commente lui-même, dans ses notes, son intervention : « Je portai la parole
après M. Cambon et dis : « Il est temps d'appeler l'attention du Corps
législatif sur la conduite de la municipalité actuelle de Paris. Tout en
reconnaissant qu'elle a rendu de grands services dans la nuit du 9 au 10
août, je ne puis reconnaître en elle la représentation du peuple. Déjà
plusieurs sections de Paris ont réclamé contre sa formation qui n'a pu être
légalisée que par l'insurrection ; mais, quand tout rentre dans l'ordre, la
Commune doit s'y soumettre. Cette assemblée ne se compose que de commissaires
qui furent nommés pour se concerter sur les opérations relatives au 10 août ;
elle s'est, à la suite de cela, érigée de son autorité privée en municipalité
; elle s'est attribuée à elle-même des pouvoirs qui ne lui étaient pas
délégués : peut-être a-t-elle eu raison au moment de la crise, mais le danger
passé, elle doit se dissoudre et rentrer d'elle-même dans la classe des
citoyens. Aujourd'hui, on l'accuse de tout entraver, de tout désorganiser.
Elle s'est même permis de suspendre le maire de Paris ; un pareil état ne
peut plus être toléré, car il nous conduirait à un bouleversement total. » Et
Choudieu ajoute : « Les circonstances étaient en effet bien difficiles ; les
passions populaires encore en effervescence avaient besoin d'être contenues
et dirigées ; l'enthousiasme national était une grande force, mais à la
condition de ne pas se disperser en mouvements contradictoires, et chaque
jour voyait naître, à côté des entraînements les plus généreux, des
propositions inconsidérées ou perfides, qu'on présentait sous couleur
révolutionnaire. » L'Assemblée
résolut d'en finir : la Gironde, ainsi appuyée et comme couverte par une
partie des Montagnards, se crut assez forte pour dissoudre la Commune ; et,
le même jour, 30 août, l'Assemblée, à la demande de Grangeneuve et sur un
bref rapport de Guadet, rendit l'arrêté suivant : « Les sections de
Paris nommeront, dans le délai de vingt-quatre heures, chacune deux citoyens,
lesquels réunis formeront provisoirement et jusqu'à la prochaine élection de
la municipalité de Paris, le Conseil général de la Commune de Paris. —
D'abord, après l'élection ordonnée par le précédent article, les commissaires
nommés par les quarante-huit sections et qui ont provisoirement remplacé,
depuis le 10 août, le Conseil général de la Commune, cesseront d'en exercer
les fonctions. — Le maire de Paris, le procureur de la Commune, les membres
du bureau municipal, et ceux du corps municipal qui était en exercice le 10
août dernier, continueront d'exercer leurs fonctions jusqu'à leur
remplacement. » L'Assemblée
ne se bornait pas à dissoudre la Commune. Elle la mettait pour ainsi dire en
état d'accusation en adoptant la motion de Cambon qui exigeait la production
des titres réguliers des commissaires provisoires. Je ne
sais si la Gironde ne se faisait point quelque illusion. Elle attendait sans
doute de tous ces décrets plus qu'ils ne pouvaient lui donner, car c'est à
peu près du même esprit révolutionnaire que les nouveaux élus des sections
seraient animés. Elle pouvait espérer cependant que la nouvelle Commune,
n'étant plus comme animée par la gloire du 10 août, aurait moins de vigueur
et moins de prestige, qu'ainsi le pouvoir national s'élèverait au-dessus du
pouvoir municipal révolutionnaire. LA COMMUNE RÉSISTE Comment
la Commune de Paris répondit-elle au décret de dissolution ? Dans la séance
du 30 au soir, et aussitôt connu le décret de l'Assemblée, il y eut à la
Maison commune de grands orages. Tout d'abord, un citoyen ardent invita le
peuple en un discours énergique à se porter contre l'Assemblée. Puisqu'elle
persécutait les hommes du 10 août, puisqu'elle demandait des titres légaux à
des hommes qui n'avaient pu recevoir mandat que de leur courage et de la
Révolution elle-même, puisqu'elle traduisait ainsi à sa barre la Révolution
du 10 août, il fallait continuer et compléter cette Révolution. Après avoir
marché contre la royauté, il fallait se porter contre l'Assemblée qui
s'apprêtait à venger la royauté. Mais ce
conseil violent n'eut pas d'écho. Il semble que tout d'abord la Commune veut
se borner à une résistance passive : elle restera, et, au besoin, elle fera
confirmer ses pouvoirs par les sections. Tout de suite, la section de
Mauconseil et celle du Finistère confirment leurs commissaires. Ainsi, la
Commune recevrait une investiture légale, conforme en somme au décret de la
Législative, et pourtant c'est bien la Commune révolutionnaire qui se
continuerait. Mais,
dans cette tactique même, il y a flottement. La section du Louvre ne veut pas
prendre un parti immédiat. Elle demande d'abord à connaître exactement le
décret de l'Assemblée. La section de la Fontaine-Montmartre ordonne à ses
commissaires d'obéir au décret de l'Assemblée. De là,
division et impuissance ; et un moment, vers minuit et demi, il parut que le
Conseil général de la Commune allait lever sa séance sans avoir pris une
décision, s'avouant ainsi vaincu. Mais l'instinct révolutionnaire réagit. Le
Conseil décida que quiconque proposerait de lever la séance serait expulsé.
Et il arrêta qu'une adresse de protestation serait envoyée à tous les
départements et à toutes les municipalités, avec les procès-verbaux de la
Commune depuis le 10 août. C'était
une sorte d'appel à la France et à la Révolution contre le décret de
l'Assemblée. Marat, qui se sentait atteint par le même coup qui frappait la
Commune, fit placarder le 31 les affiches les plus violentes contre la
Législative. Et Tallien, greffier de la Commune, se présenta en son nom à la
barre de l'Assemblée pour protester contre le décret de la veille : « Vous
êtes remontés par nous à la hauteur des représentants d'un peuple libre>
c'est vous-mêmes qui nous avez donné le titre honorable de représentants de
la Commune et vous avez voulu communiquer directement avec nous. Tout ce que
nous avons fait, le peuple l'a sanctionné. (Applaudissements des citoyens
des tribunes.)
Ce n'est pas quelques factieux, comme on pourrait le faire croire, c'est un
million de citoyens. Interrogez-les sur nous et partout ils vous diront : Ils
ont sauvé la patrie. Si quelques-uns d'entre nous 'ont pu prévariquer, nous
demandons, au nom de la Commune, leur punition. Nous étions chargés de sauver
la patrie, nous l'avions juré, et nous avons cassé des juges de paix indignes
de ce beau titre ; nous avons cassé une municipalité feuillantine. Nous
n'avons donné aucun ordre contre la liberté des bons citoyens mais nous nous
faisons gloire d'avoir séquestré les biens des émigrés. « Nous
avons fait arrêter des conspirateurs et nous les avons mis entre les mains
des tribunaux, pour leur salut et pour celui de l'Etat ; nous avons chassé
les moines et les religieuses, pour mettre en vente les maisons qu'ils
occupaient ; nous avons proscrit les journaux incendiaires : ils corrompaient
l'opinion publique. Nous avons fait des visites domiciliaires : qui nous
les avait ordonnées ? Vous. « Les
armes saisies chez les gens suspects, nous vous les apporterons pour les
remettre entre les mains des défenseurs de la patrie ; nous avons fait
arrêter les prêtres perturbateurs, ils sont enfermés dans une maison
particulière ; et sous peu de jours le sol de la liberté sera purgé (par la
déportation) de leur présence. On nous a accusés d'avoir désorganisé
l'administration, et notamment celle des subsistances : mais à qui la faute ?
Les administrateurs eux-mêmes, où étaient-ils dans les jours de péril ? La
plupart n'ont point encore reparu à la Maison commune. « La
section des Lombards est venue réclamer contre nous dans votre sein ; mais le
vœu d'une seule section n'anéantira point celui d'une majorité très prononcée
des autres sections de Paris. Hier les citoyens, dans nos tribunes, nous ont
encore reconnus pour leurs représentants ; ils nous ont juré qu'ils nous
conservaient leur confiance. Si vous nous frappez, frappez donc aussi ce
peuple qui a fait la Révolution du 14 juillet, qui l'a consolidée le 10 août,
et qui la maintiendra. Il est maintenant en assemblées primaires, il exerce
sa souveraineté ; consultez-le, et qu'il prononce sur notre sort. Les hommes
du 10 août ne veulent que la justice et qu'obéit à la volonté du peuple. » Les
tribunes applaudirent. Le plaidoyer était vigoureux et adroit. Et en vérité
on ne pouvait répondre à la Commune que ceci : Vous n'êtes pas l'expression
légale de la souveraineté, vous êtes l'expression et comme le prolongement
d'un événement révolutionnaire. Or, la secousse, la vibration de cet
événement ne peut retentir à jamais sur l'ordre politique et il vient une
heure où la force révolutionnaire spontanée, épuisée peu à peu par ses effets
mêmes, doit se substituer le fonctionnement régulier du système social. La
Nation n'était tenue, envers la Commune révolutionnaire de Paris, qu'à
maintenir la conquête du 10 août et à affirmer la démocratie. Or, les
Montagnards eux-mêmes avaient le sentiment que la Nation tout entière était
prête à cette grande œuvre. Et dès lors, peu à peu, la Commune pouvait et
devait rentrer dans le rang. Son procureur Manuel ajouta ceci aux paroles de
Tallien : « L'Assemblée
nationale a rendu hier deux décrets : par le premier, elle casse la Commune
provisoire ; par le second, elle déclare que cette Commune a bien mérité de
la patrie ; les commissaires ont à se plaindre ou de l'un, ou de l'autre. » Non, et
l'alternative de Manuel n'était point impérieuse. Il était possible de
glorifier l'action révolutionnaire de la Commune sans faire de la Commune
elle-même un pouvoir extra-légal et éternel. Choudieu, dans ses notes,
observe à ce sujet : « Ce n'était de la part de Manuel qu'une pure subtilité,
car il n'y avait aucune contradiction à déclarer d'abord que la Commune
provisoire avait bien mérité de la patrie au 10 août et jours suivants, et à
vouloir ensuite qu'elle cessât d'exercer des fonctions qui n'étaient que
provisoires et qui, par l'extension qu'elle leur donnait, pouvaient devenir
dangereuses. » Le
président Delacroix répondit avec fermeté et hauteur : « Toutes
les autorités constituées dérivent de la même source. La loi, dont elles
émanent, a fixé leurs devoirs. La formation de la Commune provisoire de Paris
est contraire aux lois existantes ; elle est l'effet d'une crise
extraordinaire et nécessaire. Mais quand ces périlleuses circonstances sont
passées, l'autorité provisoire doit cesser avec elles. « Voudriez-vous,
Messieurs, déshonorer notre belle Révolution en donnant à tout l'Empire le
scandale d'une Commune rebelle à la volonté générale, à la loi ? Paris est
une grande cité qui, par sa population et les nombreux établissements
nationaux qu'elle renferme, réunit le plus d'avantages ; et que dirait la
France si cette belle cité, investissant un conseil provisoire d'une autorité
dictatoriale, voulait s'isoler du reste de l'Empire ; si elle voulait se
soustraire aux lois, communes à tous, et lutter d'autorité avec l'Assemblée
nationale ? Mais Paris ne donnera point cet exemple. Un décret a été rendu
hier. L'Assemblée nationale a rempli son devoir, vous remplirez le vôtre. » Un
rassemblement, peu nombreux d'ailleurs, attendait aux portes de l'Assemblée.
Il n'était guère menaçant, mais en quelques individus pourtant des signes
d'exaltation sombre apparaissaient. Des citoyens, admis à la barre,
exprimèrent la crainte que les délégués de la Commune fussent en péril dans
l'Assemblée : « Nous
venons, au nom du peuple qui attend à la porte, demander de défiler dans la
salle pour voir les représentants de la Commune qui sont ici. Nous mourrons,
s'il le faut, avec eux. » Prodigieux soupçon et où se marque la fièvre
croissante des esprits. Manuel fit arrêter les pétitionnaires. L'AVIS DE ROBESPIERRE L'embarras
de Robespierre était grand. Il avait la haine de la Gironde et la Commune
était pour lui un appui nécessaire ; mais il avait le goût très vif de la
légalité, et il ne voulait pas se laisser entraîner à la résistance ouverte
aux décrets, aux lois de l'Assemblée par qui, malgré tout, s'exprimait le
souverain. Il sentait d'ailleurs que le peuple de Paris n'était point unanime
et que Pétion, qui boudait, pouvait porter à la Commune un coup très sensible
si elle s'exposait par une démarche imprudente et illégale à un désaveu. En cet
embarras, Robespierre prononça le 1er septembre, au Conseil général de la
Commune, rassemblé sous la présidence de Huguenin, un discours ambigu. D'une
part, il déclara que le Conseil général de la Commune avait été trop loin
dans la voie des concessions lorsque, deux jours avant, il avait rouvert les
portes des comités, comités des subsistances et autres, aux administrateurs
qui siégeaient avant le 10 août. Robespierre demanda qu'ils fussent soumis,
dans leurs sections, à un scrutin épuratoire. Mais, d'autre part, quand il
eut bien sévèrement dénoncé les manœuvres dirigées contre le Conseil général
de la Commune, quand il eut justifié et glorifié celui-ci, il conclut qu'il
fallait obéir au décret de l'Assemblée. Le
peuple n'était pas corrompu, il n'était pas intimidé. Il saurait donc rendre
justice à ceux qui avaient lutté pour lui et il n'y avait aucun danger à
accepter des élections nouvelles, à remettre au peuple le pouvoir qu'on
tenait de lui. Ah !
comme Robespierre, pendant qu'il parlait ainsi, dut sentir s'envenimer en son
cœur la haine contre la Gironde qui, en frappant la Commune, croyait détruire
un de ses moyens d'influence, et qui l'obligeait en ce moment ou à se jeter
dans toutes les témérités de l'insurrection, ou à s'exposer, dans une Commune
effervescente, au reproche de modérantisme ! Pour la
première fois depuis le 10 août, Robespierre ne fut pas écouté. La Commune
rendit hommage à ses principes. Elle décida l'impression de son discours, qui
était une justification éloquente de tous les actes de la Commune
révolutionnaire ; mais elle refusa de se dissoudre. Manuel, son procureur,
rappela au Conseil « le serment qu'il avait fait de mourir à son poste et de
ne point l'abandonner que la patrie ne soit plus en danger ». Le Conseil de
la Commune arrêta qu'il continuerait ses fonctions. C'était l'insurrection
déclarée : mais elle était impuissante. La veille, c'est-à-dire au moment
même où un grand mouvement de foule aurait été nécessaire pour appuyer la
protestation de Tallien, le peuple, en somme, n'avait pas bougé. Les
Girondins qui avaient pu redouter un moment, par les propos menaçants de la
séance de la Commune du 30 août, une journée révolutionnaire contre
l'Assemblée, sentirent vite que Paris laissait faire. Le journal de Brissot,
avec un accent de triomphe à peine tempéré par son habituelle réserve
doctrinaire, constate l'impuissance de la Commune : « Les
commissaires provisoires de la Commune sont venus signifier à la barre une
espèce d'appel au peuple contre la loi qui met un terme à leurs fonctions. Cette
demande, qui a semblé vigoureuse et hardie à quelques patriotes, était au
contraire une grande preuve de la faiblesse de toits les partis qui
voudraient s'élever contre le pouvoir des représentants du peuple français,
du seul et indivisible souverain. D'après la séance du Conseil général
provisoire de jeudi, il est évident qu'il ne se serait pas borné à une simple
apparition à la barre, s'il eût été soutenu par le peuple. Mais, quoique les
aides de camp agitateurs fussent en campagne, le peuple a été d'un calme
désespérant. » L'ironie dut être cruelle aux hommes de la Commune et un
feu de colère et de vengeance brûlait leur cœur. L'ASSEMBLÉE RECULE Le
bruit courut bientôt pourtant, comme le note le Patriote français, que la
Législative avait retiré son décret de dissolution. Ce n'était pas tout à
fait vrai, mais le décret qui réglait l'organisation de la Commune nouvelle
avait été modifié. Et le décret nouveau ménageait infiniment plus
l'amour-propre blessé de la Commune révolutionnaire. Il décidait qu'au lieu
de deux commissaires, chaque section pourrait en nommer six au Conseil
général de la Commune ; et il précisait que « les commissaires en exercice
à la Maison commune de Paris, depuis le 10 août dernier, seraient membres du
Conseil général de la Commune, à moins qu'ils n'aient été remplacés par leurs
sections ». Ainsi
la Commune révolutionnaire était comme enveloppée par une vaste Commune
légale ; le Conseil général de la Commune de Paris devait être porté à 288
membres, non compris les officiers municipaux, le maire, le procureur de la
Commune et ses substituts. Mais elle était comme réinvestie en bloc, sauf
décision contraire des sections. En outre, l'Assemblée déclarait que, si le
nombre des membres du Conseil général de la Commune était ainsi accru,
c'était pour que celui-ci pût parer à tous les travaux, à tous les services
que le péril de la patrie allait lui imposer. Thuriot,
qui cherchait à guérir les blessures et à maintenir le grand rôle
révolutionnaire de Paris tout en brisant les velléités dictatoriales de la
Commune, avait rédigé en ce sens de large conciliation patriotique les
considérants du nouveau décret. Mais,
malgré cet effort d'apaisement tenté par les plus nobles des représentants du
pays, par ceux qui étaient purs de la vanité frivole et ambitieuse de la
Gironde, comme du despotique orgueil de la Commune, d'âpres ferments de
discorde, de défiance et de haine subsistaient entre la Commune et
l'Assemblée. Et les cœurs étaient déchirés par la rivalité et le soupçon au
moment même où grandissait le péril de la patrie. L'INVASION Depuis
que Merlin, le 17 août, avait annoncé l'investissement de Thionville, le
lourd nuage de l'invasion avait marché pesamment de l'est à l'ouest : Le 20
août, c'est Longwy, « la porte de fer de la France », qui est investie. Le 23
août, Merlin de Thionville monta de nouveau à la tribune pour dénoncer les
violences, les actes de barbarie des hordes étrangères et, de nouveau, il fit
la proposition terrible de retenir en otages les femmes et les enfants des
émigrés. « Trois lettres m'annoncent que le fléau de la guerre désole nos
campagnes, que les satellites des tyrans, le fer et le feu à la main,
chassent devant eux les malheureux habitants du département de la Moselle.
Ces hordes de barbares, ces Prussiens, sont commandés par nos compatriotes,
par des Français rebelles. L'un d'eux, le sieur Bertrandé, actuellement au
service de la Prusse, signale son passage par le pillage et les assassinats.
Je vous ai déjà demandé des mesures qui doivent être dictées par l'intérêt de
l'Etat seul et, dans ces circonstances, le sentiment même doit se taire en
faveur de l'humanité. Je demande une seconde fois que les femmes et les
enfants des barbares, qui ravagent les départements frontières et qui
marchent à la tête des ennemis étrangers pour porter le glaive dans le sein
de la Patrie, soient retenus pour otages et nous répondent des vexations et
du sang de nos compatriotes. » Des
applaudissements mêlés de murmures accueillirent les paroles de l'obstiné
faiseur d'otages. Thuriot une fois de plus exhala son indignation et sa pitié
: « Il n'y aurait pas de bourreau en France capable d'assassiner
l'enfant dans les bras de sa mère, parce que son père aurait porté les armes
contre la patrie. » L'Assemblée, remuée par ce langage, écarta
l'implacable motion de Merlin. Mais la sombre nuée de la guerre grandissait à
l'horizon, s'empourprait de teintes sanglantes. Le 24
août, la ville de Longwy, mal défendue par ses remparts ébréchés, plus mal
défendue encore par une bourgeoisie timide et qu'affolèrent les premiers
éclats de l'orage, se rendait à l'ennemi. L'indignation fut grande à Paris. DANTON ET LA DÉFENSE NATIONALE Danton
comprit qu'il ne fallait pas laisser l'esprit public fléchir un instant sous
le poids de ce premier revers et il demanda à l'Assemblée, le 28 août, en un
mâle et puissant langage, des mesures de vigueur. C'est vraiment par un
sublime sursaut de courage que Danton voulait répondre à l'ennemi. Il n'y a
pas de plus fortes paroles dans l'histoire des peuples libres menacés. « Le
pouvoir exécutif provisoire m'a chargé d'entretenir l'Assemblée nationale des
mesures qu'il a prises pour le salut de l'Empire. Je regardai ces mesures en
ministre du peuple, en ministre révolutionnaire. L'ennemi menace le royaume,
mais l'ennemi n'a pris que Longwy... Vous voyez que nos dangers sont
exagérés. Il faut que l'Assemblée se montre digne de la Nation. C'est par
une convulsion que nous avons renversé le despotisme. Ce n'est que par une
grande convulsion nationale que nous ferons rétrograder les despotes. « Vous
avez ordonné la levée de 30.000 hommes dans le département de Paris et dans
les départements environnants. Des hommes bien intentionnés mais inquiets,
ont cru un moment que cette levée 'devrait être faite dans Paris seulement ;
ils craignaient que le centre de la Révolution ne fût tout à coup
privé de ses plus braves défenseurs. Cette erreur a été dissipée, et je puis
assurer que les sections mettent la plus grande activité à lever leur
contingent. Jusqu'ici nous n'avons fait que la guerre simulée de La
Fayette. Il faut faire une guerre plus terrible. Il est temps de dire au
peuple qu'il doit se précipiter en masse sur ses ennemis. « Quand
un vaisseau fait naufrage, l'équipage jette à la mer tout ce qui l'exposait à
périr. De même tout ce qui peut nuire à la Nation doit être rejeté de son
sein et tout ce qui peut lui servir doit être mis à la disposition des
municipalités, sauf à indemniser les propriétaires. Le pouvoir exécutif va
nommer des commissaires pour aller exercer dans les départements l'influence
de l'opinion. Il a pensé que vous deviez en nommer aussi pour les accompagner
afin que la réunion des représentants des deux pouvoirs produise un effet
plus salutaire et plus prompt. Nous vous proposons de déclarer que chaque
municipalité sera autorisée à prendre l'élite des hommes bien équipés qu'elle
possède. On a jusqu'à ce moment fermé les portes de la capitale, et on a eu
raison. Il était important de se saisir des traîtres ; mais y en eût-il
30.000 à arrêter, il faut qu'ils soient arrêtés demain et que demain Paris
communique avec la France entière. Nous demandons que vous nous autorisiez à
faire faire des visites domiciliaires. Il doit y avoir dans Paris 80.000
fusils en état : eh bien ! il faut que ceux qui sont armés volent aux
frontières. Comment des peuples qui ont conquis la liberté l'ont-ils exercée
? Ils ont volé à l'ennemi et ne l'ont point attendu. Que dirait la France si
Paris, dans la stupeur, attendait l'arrivée des ennemis ? Le peuple français
a voulu être libre, il le sera. Bientôt des forces nombreuses seront rendues
ici. On mettra à la disposition des municipalités tout ce qui sera
nécessaire, en prenant l'engagement d'indemniser les possesseurs. Tout
appartient à la patrie, quand la patrie est en danger. » C'était
un grand et large souffle. Danton avait cette méthode souveraine d'emporter,
de noyer les difficultés, les rivalités et les haines dans le torrent de
l'action. Il ne récrimine pas, il ne discute pas. Il n'oppose pas l'Assemblée
à la Commune et la Commune à l'Assemblée ; il ne dresse pas comme Roland un
cahier de griefs et de doléances. Il appelle toutes les énergies au salut de
la Patrie et de la liberté, et c'est en les tournant toutes vers ce but
sublime qu'il espère les réconcilier sans leur parler même de leurs
querelles. Il sait en des paroles à la fois ardentes et calculées exalter les
passions les plus généreuses et ménager les intérêts inquiets. Tout
devient, à l'heure du péril, le patrimoine de la patrie ; mais les citoyens
seront indemnisés de tout ce que la patrie aura saisi dans leurs mains pour
sa défense. Et quelle est sa manière de mettre un terme à ce qu'il y avait
d'arbitraire et d'irrégulier dans le pouvoir de la Commune ? Ce n'est pas de
gronder et de chicaner. Il se proclame le ministre « révolutionnaire »
et il rattache ainsi son pouvoir au même événement d'où la Commune
révolutionnaire est sortie. Il la couvre du titre même dont il se réclame, et
il paraît ainsi confondre sa cause avec la cause de la Commune. Mais en même
temps il invite l'Assemblée à agir, à nommer des commissaires qui iront dans
toute la France assister les commissaires du pouvoir exécutif. N'est-ce
point par cette vigueur d'action que l'Assemblée rétablira à son profit
l'équilibre des pouvoirs sans que la Commune puisse se plaindre ? Enfin
Paris, à s'isoler, à vivre enfermé dans le cercle de défiance et de
prohibition que la Commune a tracé, risque de s'affaiblir et de s'enfiévrer.
Il n'est pas sain à une grande cité ardente de vivre ainsi comme dans une
muraille de soupçons. Il n'est pas sain d'habituer Paris, par cette clôture
étroite, à se considérer comme un monde à part, comme une sphère contractée
et impénétrable. Il n'est pas bon d'habituer la France à vivre aussi comme si
Paris était séparé d'elle par un abîme. Que les
communications soient rétablies entre Paris et la France. Mais au moment où
Danton semble condamner ainsi le système de surveillance jalouse institué par
la Commune, il lui donne une satisfaction éclatante en ordonnant des
perquisitions, des visites domiciliaires dans tout Paris. Après cette grande
mesure de salut national, qui osera chicaner la Commune pour ses initiatives
plus timides depuis le 10 août ? Et cette grande mesure de police
révolutionnaire, la responsabilité en sera répartie entre le pouvoir exécutif
qui la propose, l'Assemblée qui la vote, la Commune qui l'exécute. Toutes les
forces discordantes et hostiles s'unissent, se pénètrent et se compromettent
à la fois dans le même acte. Mais
quoi ? Danton ne va-t-il pas concentrer en une ou deux journées toutes les
violences révolutionnaires ? Ne va-t-il pas livrer à toutes les frénésies du
soupçon les citoyens forcés dans le secret de leur domicile ? Mais remarquez
comme, après avoir parlé de saisir les traîtres, Danton parle, surtout de
saisir les armes. C'est donc surtout au profit de la patrie, c'est pour
réquisitionner les armes que la Révolution va, pendant deux ou trois jours,
fouiller Paris. Et les soldats de la France révolutionnaire iront en chantant
vers la frontière, emportant peut-être, pour les épurer au feu de l'ennemi,
les passions haineuses des partis qui déchiraient la cité. C'est
tout cela que j'entends gronder et frissonner dans la parole de Danton comme
dans un torrent tumultueux et clair qu'alimente l'eau des cimes. Pas une
seule pensée venimeuse ou basse ; pas une insinuation calomnieuse. C'est
Marat, c'est Robespierre qui disaient qu'il y aurait péril peut-être à
désarmer Paris de ses défenseurs. Danton rassure ces esprits inquiets : il
faut que de Paris comme de toute la France le peuple se précipite en masse
sur l'ennemi. Mais s'il tente de dissiper cette excessive défiance de Marat
et de Robespierre, il ne les accuse point de manquer de patriotisme, tandis
que le journal de Brissot écrit venimeusement le 31 août : « Malgré les
efforts de Robespierre et de Marat pour amortir le zèle guerrier des citoyens
et les empêcher de voler au secours de leurs frères d'armes, Paris ne se
déshonorera pas par un lâche égoïsme. » Ah ! comme l'âme de Danton est grande
et comme son esprit est haut à côté de ces misérables pensées ! LES VISITES DOMICILIAIRES L'Assemblée,
sur un rapport de Choudieu, décréta le 29 : « Il sera fait, par les
officiers municipaux ou par des citoyens par eux commis, des visites
domiciliaires dans toutes les communes de l'Empire, pour constater la
quantité de munitions et le nombre des armes, chevaux, charrettes et chariots
qui se trouvent chez les citoyens. Il sera nommé dans chaque section de la
ville de Paris, en Assemblée générale, 30 commissaires pour procéder aux
visites ordonnées par l'article précédent. Les dits commissaires commenceront
sans retard leurs opérations, y apporteront la plus grande célérité et seront
tenus de terminer leurs mesures dans la huitaine de la promulgation du
présent décret. — Aussitôt que les visites ordonnées par l'article premier
seront terminées à Paris, il sera délivré des passeports à tous les citoyens
qui le demanderont, en se conformant aux lois antérieures au 10 du présent
mois. — Les municipalités sont autorisés à désarmer tous les citoyens
suspects et à distribuer leurs armes à ceux qui se destineront à la défense
de la liberté et de l'égalité. — Tout citoyen chez lequel il serait trouvé
des armes cachées, dont il n'aurait pas fait la déclaration, sera par le fait
regardé comme suspect et ses armes confisquées. » Le
décret fut exécuté rapidement et bientôt à Paris les barrières s'ouvrirent.
Chose curieuse, au moment où Paris se rouvrait ainsi à la France dans
l'intérêt du commerce et des échanges, au moment où l'Assemblée, en
restituant Paris à la vie nationale, semblait mettre un terme à la vie
étroitement révolutionnaire de la Commune, cet événement si naturel, si
explicable suggérait au loin aux amis de la famille royale les hypothèses les
plus extravagantes. Fersen écrit au baron de Breteuil le 3 septembre : « Les
opinions sur ce qui a déterminé à ouvrir les barrières de Paris et à laisser
sortir sans passeport sont différentes ; celle qui me paraît la plus générale
est que les scélérats ont voulu se ménager par là un moyen de se sauver, et
que nous les verrons un beau jour abandonner Paris à l'anarchie la plus
complète. » Quelle singulière méprise ! C'est pour pouvoir plus aisément fuir à l'approche de l'étranger que les révolutionnaires parisiens font tomber les barrières ! Et c'est sur les conseils de Danton ! |
[1]
Un ministre n'a pas à juger. — A. M.
[2]
Le réquisitoire de Jaurès m'apparaît aussi passionné que l’apologie d'Hamel.
Robespierre a trop souvent, dans les moments les plus critiques, prouvé son
courage et son désintéressement pour qu'on ne puisse pas l'accuser de peur et
de calcul. Il n'aurait pu accepter la présidence du Tribunal qu'en renonçant au
rôle politique qu'il Jouait à la Commune et qu'il vit jouer à l'Assemblée
électorale. Il crut de son devoir de rester sur la brèche pour combattre les
Girondins dont il se défiait à juste titre. Quant aux massacres, ni lui ni
personne n’étaient capables de les empêcher. — A. M.