LES OBJECTIONS DE DAVERHOULT Daverhoult,
qui avait poussé, comme nous l'avons vu, aux premières démarches vigoureuses
contre les émigrés et les électeurs et qui avait ainsi ouvert les voies de la
guerre générale, s'effraie maintenant des vastes plans belliqueux de la
Gironde et il les dénonce avec force et précision. « Si
donc j'ai prouvé que cette ligue des princes n'est que défensive, qu'il
dépend de nous seuls de déjouer par nos opérations intérieures les desseins
de ceux qui voudraient modifier notre Constitution dans un congrès, s'il
n'est pas moins prouvé que tous les princes ont besoin de la paix, et déjà
ils vous en ont donné la preuve en dispersant les attroupements qui portaient
atteinte à votre tranquillité intérieure, que deviennent alors les phrases de
ceux qui voudraient vous exciter à faire une guerre injuste ? « Ce
n'est pas devant vous et dans une discussion où il s'agit du salut de la
chose publique, que je sais composer avec la vérité. « L'on
vous induit en erreur lorsque, bâtissant sur des hypothèses et en vous
circonvenant de vaines terreurs, l'on veut vous engager à attaquer l'Empereur
pour forcer cette ligue de princes à prendre le caractère offensif ; car, la
déclaration que le traité de 1756 est rompu et la satisfaction qu'on demande
équivalent à une déclaration de guerre. C'est donc par une misérable
équivoque qu'on a opposé, dans cette tribune, la dignité de la Nation
française à celle d'un seul homme couronné. Tant que les Nations nos voisines
n'auront pas changé leur gouvernement, l'homme qui est à leur tête est leur
représentant de fait et sa dignité devient la dignité nationale. « Je
ne vous répéterai pas que le traité avec l'Autriche vous est onéreux, toute
la France le sait, il est inutile d'en donner des preuves, et ce n'est pas
ici qu'on doit débiter des lieux communs, mais ce qui est digne de votre
attention, c'est d'examiner si c'est dans l'instant où vous n'avez aucun
autre allié, où toutes les liaisons entre les différentes Cours sont formées,
que vous devez, non seulement rompre ce traité, mais forcer Léopold à la
guerre, sur l'espoir douteux que d'autres puissances formeront des traités
avec vous. « Est-ce
d'après des données aussi incertaines que nous devons agir, Messieurs,
lorsqu'il s'agit du salut public ? Et, s'il m'est permis de me servir d'une
phrase aussi triviale, est-ce en bâtissant des châteaux en Espagne que nous
défendrons la liberté et la Constitution française ? « Ne
vous le dissimulez pas, l'Empereur et la Prusse qui, seuls, ont cinq cent
mille baïonnettes à leurs ordres resteront unis et seront forts de l'alliance
de toutes les autres puissances quand la guerre sera injuste de votre part et
qu'elle ne sera pas nécessitée aux yeux de tous les peuples par la conduite
de ces mêmes puissances. « L'on
vous a donné l'exemple de l'Angleterre, mais l'on ne vous a pas dit que,
supérieure sur mer à toutes les autres puissances, elle n'avait rien à
craindre pour elle-même par sa position. L'on vous a cité Charles XII, mais
l'on vous a passé Pultawa sous silence. « Messieurs,
soyons vrais ; les amis de la liberté voudraient venir au secours de la
philosophie outragée par la ligue des princes, ils voudraient appeler tous
les peuples à cette liberté, et propager une sainte insurrection ; voilà le
véritable motif des démarches inconsidérées qu'on vous propose. Mais
devez-vous laisser à la philosophie elle-même le soin d'éclairer l'univers,
pour fonder, par des progrès plus lents mais plus sûrs, le bonheur du genre
humain et l'alliance fraternelle de tous les peuples ? Ou bien devez-vous,
pour hâter ces effets, risquer la perte de votre liberté et celle du genre
humain, en proclamant les Droits de l'Homme au milieu du carnage et de la
destruction ? « Cette
entreprise ne sera noble, grande, digne de vous, que lorsque, provoqués à une
guerre devenue juste et nécessaire, l'attaque sera le seul moyen de défense,
lorsqu'en vous constituant en état de guerre effective, vous pourrez prouver
à l'univers entier, qui vous contemple, et à la France, qui vous a confié ses
plus chers intérêts, que c'est pour maintenir sa Constitution, dont vous êtes
les gardiens, que vous allez confier son sort et le sang de vos frères au
hasard des combats. « Laissons
donc à la philosophie le soin d'éclairer l'univers et si l'aveuglement de
cette ligue des princes devance l'heure qui a été marquée de toute éternité
pour fonder le seul empire durable, celui de la raison, plaignons le sort de
l'humanité souffrante, qui alors ne verrait luire ces beaux jours qu'après un
orage aussi terrible. » LA RÉPLIQUE DE BRISSOT Le
discours de Daverhoult porta, et Brissot se crut obligé de lui répondre par
une note du Patriote Français (26 janvier). « M.
Daverhoult a rejeté mon projet, parce que, dit-il, il porte sur une fausse
hypothèse de ligue entre diverses puissances contre la France. Je réponds :
1° que ce n'est point une hypothèse, que la ligue est prouvée par les
différents actes que j'ai rapportés. « 2°
Je dis que mon système roule sur ce dilemme : ou l'Empereur veut nous
attaquer ou il ne veut que nous effrayer ; dans le premier cas il faut le
prévenir, dans le second, le forcer à reculer. « Ni
M. Daverhoult ni les orateurs qui m'ont attaqué n'ont répondu à ce
dilemme. » La
réplique de Brissot était pitoyable. D'abord il n'avait pas démontré du tout
l'existence d'tine ligue offensive. Et puis, cette prétention d'enfermer dans
un dilemme la réalité mouvante et multiple du monde était odieusement
ridicule. La vérité est que l'Empereur était pris entre des forces très
divergentes et des exigences très opposées. Il souffrait des périls de sa
sœur, mais il ne voulait pas déclarer la guerre à l'aventure. Ses sentiments
fraternels, le point d'honneur monarchique lui conseillaient d'intervenir,
mais son intérêt politique lui conseillait l'abstention. Et il manœuvrait
pour concilier ces nécessités contraires. Il pouvait donc dépendre de la
France elle-même et de l'Assemblée que l'esprit de Léopold inclinât enfin
d'un côté plutôt que de l'autre, et la rouerie pédantesque et plate de
Brissot enfermant dans les branches grêles d'un dilemme la formidable
question de la paix ou de la guerre et l'avenir même de l'humanité libre
apparaît, dans cette note, d'une façon bien déplaisante. En
fait, dans tout le débat, une seule parole vraie et profonde avait été dite,
c'est celle de Vergniaud, signalant l'état d'anxiété, d'angoisse qui poussait
le pays à brusquer une décision, il fallait obliger la maladie « à se
déclarer ». Mais nul, dans l'Assemblée, n'avait eu le courage de dire :
Cette angoisse, d'où nous vient-elle ? Est-ce du dehors ou du dedans ? En
fait, ce sont les rapports de la Révolution et de la Royauté traîtresse,
sournoise, paralysante, qui auraient dû être abordés. La
Législative a fui le problème terrible ; elle s'est réfugiée dans la guerre
immense, comme un homme obsédé se réfugie dans la tempête pour étourdir un
souci qu'il ne peut chasser, pour calmer l'énervement d'un doute insoluble.
Et le médiocre Méphistophélès de la Gironde a guetté cette heure de lassitude
intime de la Révolution pouf lui faire conclure un pacte de guerre. Au
moment où j'écris le monde entier est encore lié par ce pacte. Quand donc
l'humanité socialiste le brisera-t-elle ? Il est
tellement fort et il a si étroitement lié, depuis plus d'un siècle, les
consciences et les esprits, que même les plus hauts penseurs, même ceux qui
ont un grand cœur pacifique et fraternel ne semblent pas concevoir que la
Révolution ait pu être séparée de la guerre. En
cette même séance du 17 janvier, Condorcet, n'essayant même pas d'appuyer
Daverhoult et de s'opposer aux démarches irréparables, s'ingénie seulement à
épurer la guerre de toute pensée trop grossière de conquête, et à la
restreindre. Il croit qu'une diplomatie franchement révolutionnaire pourrait
aisément nouer des alliances, surtout avec l'Angleterre, et il demande que le
pouvoir exécutif renouvelle tout son personnel de représentants au dehors. LE JUGEMENT DE CABET Plus
tard, le noble et doux communiste Cabet, écrivant, en 1832, un chapitre sur
la Révolution française, ne se pose même pas le problème. Il ne semble pas
soupçonner qu'une autre politique fût possible que celle des Feuillants,
royaliste et pacifique, ou celle des Girondins, révolutionnaire et
belliqueuse. « Cependant
les patriotes, qui reçoivent chaque jour des avertissements et que mille
apparences inquiètent et effraient, se demandent sans cesse : Mais le roi
ne nous trahit-il pas ? L'étranger n'a-t-il pas résolu la guerre ? « Les
Constituants et les modérés, réunis dans le club des Feuillants (doctrinaires
et juste-milieu d'alors), voulant concentrer tout le pouvoir dans la bourgeoisie,
redoutant le peuple proprement dit, croient ou feignent de croire à la
sincérité de Louis XVI, ou du moins se flattent que la douceur et les
concessions vaincront enfin ses répugnances pour la Révolution ; ils
prétendent que les rois craignent la France bien plus qu'elle ne doit les
craindre elle-même ; que c'est pour eux surtout que la paix est un besoin
impérieux ; que leurs menaces ne sont que des fanfaronnades ; que leurs
préparatifs sont purement défensifs, qu'il faut éviter toutes les mesures qui
pourraient les inquiéter et qu'on évitera la guerre si la Révolution est
sage. Leur devise est légalité, constitution, confiance, modération et paix. « Louis
XVI choisit ses ministres parmi eux, mais il conspire avec ceux qui veulent
se rendre ses complices et trompe les autres ; il leur cache ses
correspondances particulières, les résolutions hostiles des étrangers, leurs
préparatifs d'attaque et même leur marche vers nos frontières. « D'un
autre côté, il invoque sans cesse une Constitution qui lui donne assez de
pouvoir pour qu'il puisse trouver moyen de la renverser... « Les
autres, en beaucoup plus grand nombre, parmi lesquels se trouvent les fameux
Girondins, le duc d'Orléans et son fils, réunis dans le club des Jacobins,
sont convaincus que Louis XVI ne se résignera jamais à la diminution de son
ancienne autorité ; qu'il conspire contre la Constitution ; qu'il s'entend
avec l'émigration et avec l'étranger ; que l'intérêt des rois est d'étouffer
la Révolution ; qu'ils veulent non seulement rétablir le pouvoir absolu, mais
surtout démembrer le royaume ; que leurs préparatifs sont hostiles ; que la
guerre est inévitable ; que le danger est imminent et pressant ; enfin, que
le salut public exige qu'on se prépare à la guerre et qu'on fasse expliquer
catégoriquement les gouvernements étrangers sur leurs intentions et leurs projets.
» Ce
tableau tracé par Cabet serait admirable en sa brièveté si, à propos de la
question de la guerre, il n'y avait quelques traits inexacts et brouillés, et
aussi une singulière lacune. Ce ne sont pas les modérés tout d'abord, ce ne
sont pas les Feuillants qui ont voulu persuader au pays que les souverains
étrangers veulent la paix et ont peur de la France. C'est la Gironde, c'est
Brissot. Et c'est Brissot aussi qui combat la « défiance ». Il
n'est pas vrai non plus que les modérés se soient tous et systématiquement
opposés à la guerre, à toute guerre. Sous l'inspiration de Narbonne, de
Madame de Staël et même de quelques-uns des anciens Constituants, ils ont
voulu tenter l'aventure[1]. Enfin,
Cabet oublie complètement et semble même ignorer l'immense effort de
Robespierre, du journal de Prudhomme, d'une très notable partie des Jacobins
pour ne se livrer ni à la Cour, ni à la Gironde, ni au modérantisme, ni à la
guerre, et pour diriger vers la démocratie et la paix le torrent des forces
révolutionnaires. Dans la
tradition révolutionnaire, dans l'image un peu déformée que se transmettent
les générations, la guerre et la Révolution sont liées. Et c'est, si je puis
dire, cette superposition d'images qui, plus d'une fois, permit aux
républicains et aux bonapartistes de marcher d'accord contre les menaces et
les retours offensifs de l'ancien régime. L'OPINION DE LAPONNERAYE Chose
curieuse. L'ardent robespierriste Laponneraye, qui connaissait à fond la vie
de Robespierre, dont il a édité les œuvres, dans les leçons populaires qu'il
faisait, en 1831, sur l'Histoire de la Révolution, n'a pas même signalé les
grands efforts de Robespierre pour maintenir la paix. Il signale pourtant,
avec une clairvoyance aiguisée par la haine la duplicité des Girondins dans
la préparation de la guerre : « Il ne manquait plus au triomphe des Girondins
que de compromettre le roi avec l'Europe et de le mettre dans la
nécessité de faire la guerre aux despotes conjurés pour le rétablir dans ses
anciennes prérogatives : ils l'entreprirent et le succès couronna leurs
efforts... Cependant il était encore possible au ministère de Louis XVI
(en
avril) de
prévenir les hostilités sans déshonneur ; il aima mieux les
entreprendre... « Le
gant est jeté, la lice est ouverte, les partis vont se précipiter l'un contre
l'autre. Une lutte sanglante va s'engager pour vingt-cinq ans ; pendant un
quart de siècle l'Europe roulera contre la France, la France roulera contre
l'Europe, débordera sur l'Europe, et ce duel d'un peuple contre vingt
peuples, d'une Nation contre un monde entier, se terminera par une invasion
honteuse que l'un des plus grands capitaines de l'époque aura value à notre
malheureuse patrie. D'abord défensive, la guerre deviendra offensive, car il
n'est pas dans notre caractère d'attendre l'ennemi derrière des
retranchements ; c'est au pas de charge et la baïonnette en avant que les
Français se battent. Juste, légitime et toute de propagande, tant qu'elle
soutiendra les intérêts de la Révolution, cette guerre, quelques années plus
tard, deviendra inique, conquérante, spoliatrice, quand un soldat ennemi de
la liberté s'en sera emparé pour la faire servir à ses projets
ambitieux. » Voilà
comment, en 1831, un robespierriste exalté, qui adorait son héros comme un
saint, résumait le grand drame de révolution et de guerre dont nous cherchons
en ce moment les origines. Il n'est point dupe de la manœuvre girondine et il
ne croit pas que la guerre fût inévitable ; mais comme cette indication est
discrète et timide ! comme il néglige, de peur sans doute de scandaliser les
ouvriers qui l'écoutaient, de signaler la lutte, si glorieuse pourtant, que
soutint Robespierre contre les entraînements belliqueux ! Et il semble
accepter cette « guerre de propagande » à laquelle Robespierre
opposait de si fortes objections. Ainsi,
le torrent éblouissant et trouble, où la Gironde a mêlé les flots de la
Révolution et les flots de la guerre, s'est creusé un lit jusque dans la
conscience de roc des Montagnards et de, leurs héritiers. C'est
peut-être parce que la paix, l'harmonie internationale, nous apparaît à nous
comme une condition absolue de l'avènement prolétarien et de la révolution
sociale que nous portons jusque dans le passé, jusque dans la Révolution de
la démocratie bourgeoise ce parti pris de paix. Ce
serait fausser le sens de l'histoire que de substituer notre sensibilité à
celle des hommes de 92, mais en signalant ce qu'il y eut dès lors, dans la
politique belliqueuse, d'intrigues, de sophismes et d'obscur énervement, nous
préservons peut-être les générations nouvelles des déclamations héroïques et
vaines qui ne propagent plus que les haines ineptes ou basses et l'esprit de
réaction. LE DÉCRET DU 25 JANVIER 1792 Comme
conclusion à tous ces débats de janvier, l'Assemblée rendit, dans la séance
du 25, un décret qui ressemblait vraiment à une déclaration de guerre : « I.
— Le roi sera invité, par un message, à déclarer à l'Empereur qu'il ne peut
désormais traiter avec aucune puissance qu'au nom de la Nation française, et
en vertu des pouvoirs qui lui sont délégués par la Constitution. « II.
— Le roi sera invité à demander à l'Empereur si, comme chef de la maison
d'Autriche, il entend vivre en paix et en bonne intelligence avec la Nation
française et s'il renonce à tout traité et convention dirigés contre la
souveraineté, l'indépendance et la- sûreté de la Nation. « III.
— Le roi sera invité à déclarer à l'Empereur qu'à défaut par lui de donner à
la Nation, avant le 1er mars prochain, pleine et entière satisfaction sur les
points ci-dessus rapportés, son silence, ainsi que toute réponse évasive et
dilatoire, seront regardés comme une déclaration de guerre. « IV.
— Le roi sera invité à continuer de prendre les mesures les plus promptes
pour que les troupes françaises soient en état d'entrer en campagne au
premier ordre qui leur en sera donné. « L'Assemblée
nationale charge son comité diplomatique de lui faire incessamment son
rapport sur le traité du 17 mai 1756. » Comme
pour souligner le sens guerrier de ce décret, le maréchal de Rochambeau,
commandant d'un des trois corps d'armée, concentré sur la frontière, prit
séance ce même jour à l'Assemblée. Il lui demanda diverses mesures d'ordre
militaire, et il termina par ces mots chaleureusement applaudis : « J'espère,
messieurs, que par le fruit de vos déclarations, vous voudrez bien aider à
soutenir le zèle qui anime, pour le service de l'Etat, une vieillesse plus
que sexagénaire et l'âme encore brûlante d'un corps épuisé. » Le souffle
héroïque et chaud de la Révolution rajeunissait les corps et les âmes. Quel
effet produisit ce décret de l'Assemblée sur la Cour de France, sur
l'empereur d'Allemagne, sur les ministres de Louis XVI ? Il est clair que la
guerre apparut à tous infiniment plus probable et plus proche. Mais rien de
décisif ne jaillit encore. MERCY ET L'ESPIONNAGE AUTRICHIEN Mercy,
averti par les débats de l'Assemblée, commence à prévoir la guerre, et il
organise, d'accord avec la reine, un service d'espionnage. « Ce qui
s'est passé à l'Assemblée, écrit-il à la reine le 24 janvier, justifie
l'opinion que l'on a eue à Vienne de l'inutilité et même des inconvénients
d'un Congrès. Il parait que le moment approche où les Cours
s'expliqueront entre elles d'une manière précise ; on doit en être informé
incessamment. Si la guerre éclate, il sera bien important que l'on sache,
aux Tuileries, les mouvements de chaque jour et les intrigues de tous les
partis. Il faudrait, à cet effet, des observateurs bien intelligents et
actifs. On croit avoir des preuves que... y serait très propre.
Par son canal, on établirait un concert de notions et de mesures ; sans cet
accord, bien des choses essentielles échapperont. On supplie de faire
attention à cette remarque. » C'est la trahison royale qui se précise. LA QUESTION DE POLOGNE Mais,
malgré l'attitude tous les jours plus agressive de l'Assemblée, malgré même
le décret, l'Empereur hésite encore. Il est vivement préoccupé de ses grands
desseins en Pologne. Depuis des années, il manœuvrait pour soustraire la
Pologne à l'influence russe et prussienne, pour la sauver de l'anarchie et
pour y installer une monarchie héréditaire, alliée à l'Autriche et sur
laquelle celle-ci aurait une grande autorité morale. Le 3 mai 1791, une
révolution dans ce sens s'était opérée en Pologne, sous la conduite du roi
Stanislas, enfin acquis aux vues de Léopold II. Le droit de veto,
c'est-à-dire le droit reconnu à tout noble d'arrêter, par sa seule
opposition, toute décision de la Diète, fut aboli. Des
garanties furent données aux paysans, des droits politiques furent accordés à
la bourgeoisie, et un système de deux Chambres fut institué. Le ministère
devait gouverner au nom d'une monarchie héréditaire. Et c'est dans la maison
de l'Electeur de Saxe, alliée à la maison d'Autriche, que la couronne de
Pologne devait être fixée. Ainsi, la Pologne et la Saxe réunies, associées,
constituaient en Allemagne, contre la Prusse et la Russie, une force de
premier ordre, et l'influence de l'Autriche dans le monde était
singulièrement accrue : la Prusse ne pouvait plus lui arracher l'Allemagne.
La Russie ne pouvait plus contrarier ses progrès en Turquie. On devine qu'il
était cruel à Léopold II de renoncer à ce plan magnifique pour entreprendre
une guerre onéreuse et périlleuse contre la Révolution. Il lui
était cruel de négocier avec la Prusse une entente contre la France, et de se
condamner par là même à abandonner ses desseins en Pologne que la Prusse ne
pouvait tolérer. Aussi, s'efforçait-il encore d'ajourner tout au moins la
rupture avec la France et le mémoire qu'il adressa à Marie-Antoinette, le 31
janvier, répond certainement à ses pensées. LE MÉMOIRE DE L'EMPEREUR DU 31 JANVIER 1792 Bien
que la reine lui eût écrit d'envoyer une réponse « qu'on pût montrer »,
il est clair que c'est bien la politique de l'Empereur lui-même qui s'exprime
dans ce mémoire : « 31 janvier 1792. Très chère sœur, je crois ne
pouvoir mieux témoigner ma tendre amitié pour vous et pour le roi, en ces
moments critiques, qu'en vous ouvrant mes sentiments sans la moindre réserve.
Je m'en acquitte avec la plus entière cordialité par ce mémoire que je vous
envoie pour servir de réponse à celui que vous m'avez fait parvenir par le
canal du comte de Mercy. Charmé de voir que nos idées et nos vues se
rencontrent dans les points les plus essentiels, je ne puis que bien augurer
de l'issue ; elle sera à la fois tranquille et heureuse si elle répond aux
vœux que me dicte l'attachement vif et éternel avec lequel je vous embrasse.
» Léopold
II expose d'abord le plan de révision constitutionnelle qui, selon lui,
devrait être appliqué : « Les imperfections de la nouvelle Constitution
française rendent indispensable d'y acheminer des modifications pour lui
assurer une existence solide et tranquille. L'Empereur applaudit à cet égard
à la sagesse des bornes que Leurs Majestés Très Chrétiennes mettent à leurs
désirs et à leurs vues. « Le
rétablissement de l'ancien régime est une chose impossible à exécuter,
inconciliable avec la prospérité de la France. Le renversement des bases
essentielles de la Constitution serait incompatible avec l'esprit actuel de
la Nation et exposerait aux derniers malheurs. Lier cette Constitution avec
les principes fondamentaux de la monarchie est le seul but auquel on peut
raisonnablement viser. « Les
objets compris dans ce but sont tracés avec la précision la plus
satisfaisante dans le mémoire envoyé par la reine[2]. Conserver au trône sa dignité
et la convenance nécessaire pour obtenir le respect et l'obéissance aux lois
; assurer tous les droits, accorder tous les intérêts ; et, regardant comme
objets accessoires les formes du régime ecclésiastique, judiciaire et féodal,
rendre toutefois, dans la Constitution, à la noblesse un élément politique
qui lui manque, comme partie intégrante de toute monarchie. Ces points
d'amendement renferment tout ce qu'il est nécessaire de vouloir... « Il
y a quatre mois que l'Empereur partageait l'espoir que le temps, aidé de la
raison et de l'expérience, suffirait seul pour réaliser les amendements. Les
communications secrètes ci-jointes prouveront la bonne foi avec laquelle il
seconda, sur cet espoir, la détermination du roi et de la reine et qu'il ne
tint point à ses soins que les mêmes vues n'aient été adoptées par toutes les
Cours — elles l'ont toutefois été par la plupart, et même par toutes, eu
égard à l'effet —, ainsi que par les frères du roi et par les émigrés. « Ce
n'est pas que l'Empereur ne persiste encore à croire que le but devra et
pourra être rempli sans troubles et sans guerre, car il est intimement
convaincu que rien de solide ne pourra être effectué qu'en se conciliant la
volonté et l'appui de la classe la plus nombreuse de la Nation, composée de
ceux qui, voulant la paix, l'ordre et la liberté, sont aussi fortement
attachés à la monarchie ; mais parce qu'ils ne sont pas tous parfaitement
d'accord, parce qu'ils sont lents à se mouvoir et à se déterminer, parce que
leur attachement à la Constitution est plus obstiné qu'éclairé, tout porte
l'Empereur à craindre que cette même classe de gens, abandonnée à elle-même,
ou se laissera toujours maîtriser, ou que ses bonnes intentions seront
prévenues et rendues infructueuses par le parti républicain, dont le
fanatisme dans les uns et la perversité des autres supplée au nombre par une
énergie d'activité, d'intrigues et de mesures fermes et concertées qui doit
nécessairement l'emporter sur le découragement, la désunion ou l'indifférence
des premiers. Plus les chefs (si bien caractérisés dans le mémoire) qui
dirigent ce parti sentent que le temps et le calme anéantiront leur crédit,
plus ils se livrent à des mesures désespérées et violentes, et cherchent
d'entraîner la Nation à des extrémités irrémédiables pour subvenir, par un
fanatisme universel, à la détresse des ressources et à l'insuffisance des
moyens constitutionnels. « Telle
est la vraie source de la crise actuelle. C'est par un dessein prémédité de
réchauffer le zèle révolutionnaire de la Nation que les rassemblements
des émigrés, qui n'arrivaient pas en somme totale à quatre mille hommes et
qu'il était facile de contenir par des mesures analogues à l'insignifiance du
danger, ont servi de prétexte à un armement de cent cinquante mille hommes rassemblés
en trois armées sur les frontières de l'empire germanique. Au lieu des
ménagements dus à la conduite modérée de l'Empereur qui venait d'y mettre le
comble par le désarmement des émigrés aux Pays-Bas, au lieu de se réconcilier
des princes de l'empire qu'on a dépouillés au fond contre la teneur des
traités, on force l'Empereur et l'Empire, par des déclarations impérieuses et
menaçantes et par des armements excessifs, à pourvoir de leur côté à la
sûreté de leur frontière et à la tranquillité de leur Etat... « Les
vœux des pervers qui ont amené ces extrémités seraient comblés si l'Empereur,
ulcéré par une telle conduite et désespérant absolument du succès des moyens
conciliants, se laissait entraîner à des projets de rupture, épousant
hautement la cause des émigrés et se réunissant avec ceux qui désirent une
contre-Révolution parfaite. Ils attendent sans doute avec impatience ce
moment pour accabler le parti modéré, et pour précipiter la Nation, par des
mesures violentes, dans ce nouvel état de choses pire que l'état actuel et
accompagné de maux sans nombre qu'il n'y aura plus moyen d'empêcher ni de
changer. « L'Empereur
préservera, s'il est possible, la France et l'Europe entière d'un tel
dénouement. Il augmentera d'abord ses forces de l'Autriche antérieure
d'environ six mille hommes, puisque ce moyen est indispensable, quand on ne
considérerait que l'esprit d'insurrection qui germe déjà dans les contrées de
l'Allemagne qui bordent le Rhin. Il concourra à des armements plus
considérables encore et proportionnés à ceux de la France, puisque ces
derniers compromettent immédiatement la sûreté et l'honneur de l'Empire
germanique et le repos des Pays-Bas. Mais, renfermant le but de ces
mesures dans les motifs de défensive et de précaution qui en rendent l'emploi
nécessaire, bien loin d'abandonner et contredire les principes sages et
salutaires dont il partage la conviction avec le roi et la reine, il tournera
tous ses soins à les combiner avec les mesures dont il s'agit, et à les faire
adopter également par toutes les Cours qui prendront part au nouveau concert,
en proposant pour bases essentielles de celui-ci, et pour condition sine qua
non de son concours : « Que
la cause et les prétentions des émigrés ne seront point soutenues ; qu'on ne
s'ingérera dans les affaires internes de la France par aucune mesure active,
hors le cas que la sûreté du roi et de sa famille soit compromise par de
nouveaux dangers évidents, et qu'on ne visera enfin dans aucun cas à un
renversement de la Constitution, mais se bornera à en favoriser l'amendement
d'après les principes ci-dessus et par des voies douces et conciliantes. » Ainsi,
à la fin de janvier encore, l'Empereur d'Allemagne désirait la paix et
s'obstinait à l'espérer. Il est vrai que le plan de Constitution
semi-aristocratique qu'il prévoit est absolument chimérique et rétrograde.
Mais, comme il ne veut point intervenir pour l'imposer, qu'importe à fa
France ? qu'importe à la Révolution ? Il est
vrai encore qu'il annonce qu'il interviendra si la « sûreté » de Louis XVI et
de Marie-Antoinette est évidemment en péril. Mais il lui était vraiment
malaisé de tenir à sa sœur un autre langage. Et non seulement il ne veut
point de la guerre, mais, selon les vues des constitutionnels, il tente de
persuader au roi et à la reine de France que la guerre les perdrait. LE VRAI PROBLÈME Mais,
qu'est-ce à dire ? Est-ce que nous admettons un instant que la Révolution
devait tolérer une intervention quelconque, même pacifique, même conciliante,
de l'étranger dans ses affaires intérieures ? Non, non ; qu'il n'y ait plus
de malentendus : le premier devoir de la Révolution, la condition du salut et
de la vie même, c'était d'affirmer qu'elle voulait se développer librement,
évoluer à son gré, et que ni menace ni conseil ne la détourneraient de sa
voie. Mais la Gironde jetait la Révolution sur l'étranger, sur l'Empereur, au
moment même où celui-ci se refusait précisément à toute intervention. Qu'est-ce
à dire encore ? Prétendons-nous que par plus de sagesse, la guerre aurait été
certainement évitée ? Non, non ; il ne peut y avoir ici une certitude.
Peut-être, malgré tout, le choc de la démocratie révolutionnaire et de
l'Europe absolutiste et féodale se serait produit. Il est probable même que
le jour où la Révolution, rompant avec l'équivoque, et châtiant la trahison,
le mensonge et le parjure, aurait porté la main sur la royauté et le roi,
l'étranger se serait ému. Ce ne
sont pas les menaces de Léopold ou ses outrages au parti républicain qui
devaient arrêter la Révolution dans sa marche logique et nécessaire vers la
République. Mais, ce que je dis, c'est que la Gironde, au moment où elle a
déclaré la guerre, ne pouvait pas croire et ne croyait pas en effet que la
guerre fût inévitable, c'est qu'elle a tout fait pour la déchaîner. C'est
qu'elle a oublié que si la France avait attendu le choc de l'Europe et si
elle avait commencé par se débarrasser au dedans de la trahison royale avant
de provoquer l'étranger, elle aurait été beaucoup mieux armée pour soutenir
la lutte. Ce que je dis, c'est que compter sur la guerre pour fanatiser la
Révolution, c'était compter sur l'alcool pour surexciter les forces et les
courages. Oui, la Gironde a cru que la Révolution défaillait à demi, qu'elle
ne saurait pas sans ce stimulant factice, dompter la contre-Révolution,
abattre la royauté, et elle lui a fait avaler presque traîtreusement l'alcool
de la guerre, un alcool d'orgueil, de soupçon et de fureur, qui bientôt
livrera la liberté déprimée au césarisme et à la réaction. Mais
qu'est-ce à dire enfin ? C'est que même si nous ne nous trompons pas, même
s'il est vrai que l'étourderie ambitieuse et vaniteuse de la Gironde a jeté
la Révolution dans des chemins d'aventures, nous devons de cette erreur des
hommes tirer une leçon pour l'avenir, non un argument contre la Révolution
elle-même. Elle
reste, dans le monde, le droit, l'espoir de la liberté, et tout notre cœur
sera avec elle dans la formidable bataille, que témérairement peut-être et
nerveusement elle engagera avant l'heure contre les puissances d'oppression,
de ténèbres, de médiocrité, qui guettaient toutes ses imprudences,
surveillaient tous ses mouvements et mesuraient à leur courte pensée l'essor
de son rêve. Dans la
paix, s'il est possible, à travers la guerre s'il le faut, nous suivrons le
grand peuple de la Bastille devenu le grand peuple de Valmy ; mais que dans
la coupe de la Révolution les générations nouvelles boivent l'héroïsme pur de
la liberté, non le résidu fermenté des passions guerrières. LA MISSION DE SIMOLIN L'Empereur,
à cette date, est si incertain encore que la reine Marie-Antoinette se croit
obligée de l'aiguillonner. Elle, qui avait jusqu'ici évité de s'engager avec
l'impératrice Catherine de Russie, suspecte à ses yeux de trop de
complaisance pour les émigrés, elle recourt à elle maintenant, et c'est
Simolin, le chargé d'affaires de la Russie à Paris, que la reine envoie à
Vienne pour presser son frère. Elle a pris son parti : comme la Gironde, elle
veut en finir, et elle préfère décidément la guerre, avec tous ses périls, à
l'état d'inquiétude et de tension nerveuse où elle vivait depuis si
longtemps. Ainsi, c'est à peu près à la même date que la Révolution et la
royauté se décidèrent à la grande épreuve. La
reine écrit, dans les premiers jours de février, au comte de Mercy : « M. de
S... (Simolin) qui va vous joindre, Monsieur, veut bien se charger de mes
commissions... L'ignorance totale où je suis des dispositions du cabinet de
Vienne rend tous les jours ma position plus affligeante et plus critique. Je
ne sais quelle contenance faire, ni quel ton prendre ; tout le monde m'accuse
de dissimulation et de fausseté, et personne ne peut croire (avec raison)
qu'un frère s'intéresse assez peu à l'affreuse position de sa sœur pour
l'exposer sans cesse sans rien lui dire. Oui, il m'expose et mille fois plus
que s'il agissait ; la haine, la méfiance, l'insolence sont les trois mobiles
qui font agir dans ce moment ce pays-ci. « Ils
sont insolents par excès de peur, et parce qu'en même temps ils croient qu'on
ne fera rien du dehors. Cela est clair, il n'y a qu'à voir les moments où ils
ont cru que réellement les puissances allaient prendre le ton qui leur
convient, notamment à l'office du 21 décembre de l'Empereur, personne n'a osé
parler ni remuer jusqu'à ce qu'ils fussent rassurés. « Que
l'Empereur donc sente une fois ses propres injures ; qu'il se montre à la
tête des autres puissances avec une force, mais une force imposante, et je
vous assure que tout tremblera ici. Il n'y a plus à s'inquiéter pour notre
sûreté, c'est ce pays-ci qui" provoque à la guerre ; c'est l'Assemblée
qui la veut. La
marche constitutionnelle que le roi a prise le met à l'abri d'un côté, et de
l'autre son existence et celle de son fils sont si nécessaires à tous les
scélérats qui nous entourent, que cela fait notre sûreté ; et je le dis, il
n'y a rien de pis que de rester comme nous sommes, et il n'y a plus aucun
secours à attendre du temps ni de l'intérieur. ‘c Le
premier moment sera difficile à passer ici, mais il faudra une grande
prudence et circonspection. Je pense comme vous qu'il faudrait des gens
habiles et sûrs, mais où les trouver ? » Que de
ténèbres descendant à cette heure sur la terre de France ! Pendant que la
Révolution s'énerve et pendant que les Girondins lui persuadent que
l'Empereur qui cherche à éluder le combat, est l'ennemi qu'il faut abattre,
voilà la reine qui prend pour de la peur les inévitables délais que se
ménagent les Girondins pour entraîner le pays à l'idée de la guerre. Surmenée
d'incertitudes, la reine se précipite aussi comme les Girondins sur le chemin
où elle doit périr, et où ils périront. La voilà maintenant qui provoque son
frère hésitant à envahir la France. Elle
promet de trahir autant que le lui permettront les médiocres instruments dont
elle dispose. Et tout cela parce que la royauté ne s'est pas résignée une
minute sincèrement à accepter une Constitution qui modernisait, renouvelait
peut-être pour des siècles, la force de la royauté ! O aveuglement !
petitesse des égoïsmes ! tyrannie des habitudes ! étourderie des ambitions !
Que la force décide et que la foudre prononce, puisque dans cette obscurité
universelle la seule lumière possible est celle de l'éclair, éclair de la
guerre ! éclair de la mort ! et que le destin de chacun s'accomplisse. Fersen,
qui était à Bruxelles, note dans son journal, à la date du 9 février, le
passage de Simolin : « Simolin arrivé à onze heures sans aucun obstacle ;
dîné avec lui chez le baron de Breteuil. Il va à Vienne de la part de la
reine, instruire l'Empereur de leur position, de l'état de la France et de
leur désir positif d'être secourus. Il les a vus secrètement ; la reine lui a
dit : « Dites à l'Empereur que la Nation a trop besoin du roi et de son
fils pour qu'ils aient rien à craindre, c'est eux qu'il est intéressant de
sauver ; quant à moi, je ne crains rien, el j'aime mieux courir tous les
dangers possibles que de vivre plus longtemps dans l'état d'avilissement et
de malheur où je suis. « Simolin
a été touché aux larmes de sa conversation. Il m'a parlé de lettres
charmantes de la reine à l'Empereur, à l'impératrice et au prince de Kaunitz.
M. de Mercy, qu'il a vu, lui a tenu le même langage que de coutume. Simolin
lui a reproché la conduite que l'Empereur avait tenue, si différente de celle
indiquée dans ses déclarations de Padoue, et qu'il avait trompé les
puissances ; il a été forcé d'en convenir. » Ainsi
la reine compte que le roi et son fils paraîtront si nécessaires à la Nation
que celle-ci les épargnera même au cours d'une guerre entreprise en leur nom
et pour eux. Et il ne lui vient pas un instant à la pensée qu'il est
abominable de trahir un peuple qui est attaché encore à son roi par de tels
liens ! Au moment même où elle croit que l'ascendant du roi dominera la
Nation, même dans l'effroyable crise d'une guerre déclarée pour le roi, elle
ne songe pas qu'à être le serviteur fidèle de la Constitution et du peuple il
aurait sans péril une autorité immense et douce ! Mais
ici encore, notez que Mercy tient à Simolin « son langage habituel »,
c'est-à-dire qu'il s'efforce autant que possible d'amoindrir les chances de
guerre, de rabattre les fumées d'orgueil et d'étourderie. Lui-même d'ailleurs
l'écrit à Marie-Antoinette, le 11 février : « Je
ne saurai assez répéter qu'il serait injuste de rejeter sur l'Empereur des
hésitations et des retards qui ne dépendent point de lui. Il est évidemment
démontré que ce monarque, qui se trouve le premier à la brèche, n'est dans le
fait secondé efficacement par personne. On lui excite mille tracasseries, on
lui cause mille embarras ; l'Angleterre contrarie toutes les mesures, et les
princes français les déjouent d'une autre manière. J'ai recueilli le peu de
forces qui me restent pour avoir avec M. Simolin un entretien bien
substantiel sur l'état des choses. Je lui ai dit et le langage qu'il
convenait de tenir à Vienne, et la manière la plus utile d'y montrer les
objets tels qu'ils sont. Je crois qu'il s'acquittera bien de la commission...
L'explosion ne peut manquer d'être très prochaine, mais l'essentiel est
qu'elle soit générale, et on a recommandé particulièrement de surveiller
l'Espagne... » Encore
des tactiques d'ajournement. Léopold trouve que les émigrés demandent trop et
que l'Angleterre ne fait pas assez, et il lie si bien son action à une action
universelle de l'Europe, en ce moment impossible, qu'en réalité il se dérobe.
Mercy avait comme alourdi Simolin, à son passage à Bruxelles, de ces
décourageantes pensées. Amortir toutes les passions et gagner du temps était
la seule pensée de l'Empereur, de Kaunitz et de son confident Mercy. LA REINE APPELLE FERSEN Cependant
la décision de la reine était bien prise, car elle venait d'appeler Fersen
auprès d'elle. Celui-ci, jouant sa tête, partait déguisé de Bruxelles, le
samedi 11 février à neuf heures et demie. La reine savait que Fersen était
pour la guerre et, si elle le priait de venir, c'était pour confirmer en elle
cette résolution dangereuse ; elle avait besoin, à la veille de cette crise
formidable, d'avoir à côté d'elle un cœur qui sentait comme le sien. Jamais
sa solitude n'avait été plus profonde. Les conseils des constitutionnels, de
Lameth, de Duport. lui étaient cruellement importuns, puisqu'elle voulait la
guerre et qu'ils ne la voulaient pas. Le
ministre des affaires étrangères, Delessart, que la Gironde accusera tout à
l'heure de complicité criminelle avec la Cour, travaillait contre la guerre,
c'est-à-dire à la fois contre la Cour et contre la Gironde. Entre lui et la
reine, il n'y avait aucune communication. C'est tout à fait en secret qu'elle
avait reçu Simolin, et il était chargé d'un message que le ministre ignorait.
Et au moment où elle se décidait à la guerre, la reine se sentait plus
éloignée que jamais des sœurs de Louis XVI, car c'est dans une toute autre
pensée qu'elle s'y décidait ; elle gardait toujours au cœur sa haine contre
les émigrés et contre les princes frères du roi. Le roi lui-même était
indécis et pesant. Avec un seul homme maintenant elle pouvait parler en
confiance, avec celui qui, pour préparer la fuite de Varennes, avait affronté
tous les périls ; un mutuel amour, mélancolique et combattu, liait Fersen à
la reine, et cet amour s'était exalté chez l'un jusqu'an sacrifice, chez
l'autre jusqu'à l'acceptation du sacrifice. Il est vrai que le voyage était
aussi dangereux pour la reine que pour Fersen. Reconnu, l'ancien cocher du
départ pour Varennes était perdu, mais la reine, suspectée ou accusée d'avoir
machiné un nouveau projet de fuite, pouvait être compromise aussi. Leur
émotion dut être grande quand, dans le mystère toujours menacé des Tuileries,
ils s'entretinrent de ce triste voyage de Varennes, quand la reine en conta
quelques détails à Fersen qui les a notés dans son journal. Mais ce
poignant retour du passé ne pouvait être que d'une heure. C'est l'avenir
qu'il fallait régler. Fersen essaie de nouveau de décider le roi à fuir, ou
tout au moins à combiner la fuite avec la guerre. Fersen se fait auprès du
roi le représentant des tendances absolutistes. Il lui semble que si Louis
XVI, après la déclaration de guerre, reste au milieu de la Révolution et avec
le rôle de médiateur que prévoit pour lui l'empereur d'Allemagne, Louis XVI
fera trop de concessions aux idées nouvelles. Qu'il s'évade, au contraire,
qu'il consente à être enlevé par les envahisseurs, ce n'est plus comme
négociateur entre la Révolution et la contre-Révolution qu'il interviendra,
mais comme chef des forces contre-révolutionnaires. « Le
14 (février), mardi : Très beau et très
doux. Vu le roi à six heures du soir. Il ne veut pas partir, et il ne peut
pas à cause de l'extrême surveillance ; mais, dans le vrai, il s'en fait un
scrupule, ayant si souvent promis de rester, car c'est un honnête homme. Il a
cependant consenti, lorsque les armées seront arrivées, à aller avec des
contrebandiers, toujours par les bois, et se faire rencontrer par un
détachement de troupes. légères. Il veut que le congrès ne s'occupe d'abord
que de ses réclamations et, si on les accordait, insister alors pour qu'il
sorte de Paris dans un lieu fixé pour la ratification. Si on refuse, il
consent que les puissances agissent et se soumet à tous les dangers. Il croit
ne rien risquer, car les rebelles en ont besoin pour obtenir une
capitulation. Il (le roi) portait le cordon rouge. Il voit qu'il n'y a de
ressource que la force, mais, par une suite de sa faiblesse, il croit
impossible de reprendre toute son autorité. Je lui prouvai le contraire, dis
que c'était par la force et que les puissances le désirent ainsi. Il en
convint. Cependant, à moins d'être toujours encouragé, je ne suis pas sûr
qu'il ne soit tenté de négocier avec les rebelles. Ensuite il me dit : « Ah !
ça, nous sommes entre nous et nous pouvons parler. Je sais qu'on me taxe de
faiblesse et d'irrésolution, mais personne ne s'est jamais trouvé dans ma
position. Je sais que j'ai manqué le moment, c'était le 14 juillet ; il
fallait s'en aller et je le voulais ; mais comment faire quand Monsieur
lui-même me priait de ne pas partir, et que le maréchal de Broglie, qui
commandait, me répondait : — Oui, nous pouvons aller à Metz, mais que
ferons-nous quand nous y serons ? — J'ai manqué le moment, et depuis je ne
l'ai pas retrouvé. J'ai « été abandonné de tout le monde. » Il me pria de
prévenir les puissances qu'elles ne devaient pas être étonnées de tout ce
qu'il était obligé de faire, qu'il y était obligé et que c'était l'effet de
la contrainte. « Il faut, dit-il, qu'on me mette tout à fait de côté et qu'on
me laisse faire. » Quel
désarroi ! quelle chute ! Je ne parle pas de ce projet puéril d'aller à
travers bois à la rencontre de l'avant-garde étrangère pour se faire enlever.
Mais, comment ce roi, qui reconnaît lui-même qu'il ne peut pas recouvrer
toute son autorité ancienne, et que par conséquent la Révolution était
inévitable, comment s'obstine-t-il à la combattre encore ? Et surtout comment
le roi des Français a-t-il assez perdu le sens de la France pour croire
qu'elle aura peur à la première démarche de l'ennemi et que, tremblante, elle
se réfugiera auprès de lui ? Quoi, ce peuple, qui, si souvent dans son
histoire tourmentée, se redressa du fond des abîmes par un magnifique
courage, va se prosterner maintenant aux pieds de l'envahisseur ? Voilà la
véritable abdication du roi. Voilà la véritable déchéance. Il ne sait plus ce
qu'est la Nation dont il est le chef. Fersen repartit pour Bruxelles le 23
février. L'EMPEREUR SE DÉCIDE ENFIN Cependant
l'Empereur finissait par arrêter son plan, de concert avec la Prusse, mais
combien incertain encore ! Il semble bien qu'il s'était décidé à une
intervention dans les affaires intérieures de la France, c'est-à-dire à la
guerre. Car, selon les conventions fixées entre l'Autriche et la Prusse,
Mercy écrit à la reine, le 16 février « 1°
Les puissances étrangères, en s'abstenant de rien prescrire sur le mode (de
l'autorité royale) n'en sont pas moins autorisées à exiger qu'il en existe un
convenable. « 2°
Que la France fasse cesser ses démonstrations hostiles contre l'Allemagne en
écartant les trois armées de cinquante mille hommes chacune, ouvertement
annoncées pour agir brutalement. « 3°
Que les princes possessionnés en Alsace, et aussi injustement que violemment
dépouillés de ce que leur garantissent les traités les plus solennels, soient
rétablis dans l'intégrité de leurs droits et possessions. « 4°
Qu'Avignon et le comtat Venaissin soient restitués au pape. « 5°
Que le gouvernement français reconnaisse la validité des traités qui
subsistent entre lui et les autres puissances de l'Europe. » Rien
qu'à formuler ces conditions, l'Empereur aurait soulevé la France. Mais il
veut éviter encore ce qui peut amener une explosion. « La
Nation française, écrit Mercy, est divisée en différents partis. Il est
précieux d'entretenir cette division, elle seule peut opérer sans de
violentes secousses la ruine de la Constitution. Si cette dernière est
ouvertement attaquée par le dehors, alors tous les partis se réuniront pour
la défendre, et la Nation entière, cédant au prestige de sa prétendue
liberté et égalité, croira devoir lui faire le sacrifice de ses dissensions
intérieures. » Et,
même en ce qui concerne les conditions précises et, semble-t-il,
provocatrices, énumérées plus haut, Mercy ajoute, dans la même lettre du 16
février : «Pour
donner à ces propositions et déclarations le poids nécessaire à les faire
valoir, l'Empereur offre, indépendamment de son armée déjà existante aux
Pays-Bas, de faire marcher quarante mille hommes, pourvu que le roi de Prusse
convienne d'employer une force égale au succès du plan proposé ; ces forces
ne doivent pas débuter par être actives et ne peuvent même le devenir
qu'autant que la Nation française, par quelque acte de violence et une
réticence invincible, n'amenât par son propre fait les choses à un terme
extrême. » Toute
cette politique de l'Autriche est encore ambiguë, suspendue, et ce n'est
vraiment pas un torrent de guerre que la Révolution avait à refouler ou à
détourner. Il semble bien que, si elle l'eût voulu, elle aurait eu quelques
chances de sauver la paix sans abdication, sans concession aucune.
Marie-Antoinette vit très bien qu'il y avait encore là des moyens dilatoires
et, le 2 mars, elle répond à Mercy : « La
Nation est en effet divisée en différents partis, mais il n'y en a qu'un seul
dominant les autres. Soit lâcheté, indolence ou division même intérieure dans
leurs opinions, aucun n'ose se montrer, il n'y a qu'une force extérieure et,
quand ils seront sûrs d'être soutenus, qu'ils auront le courage de se
prononcer pour leur vrai intérêt et ceux du roi. Les idées de l'Empereur sont
bonnes et les articles de la déclaration me paraissent bien, mais tout
cela aurait été mieux il y a six mois. Cela fera perdre encore du temps et on
n'en perd pas ici contre nous. Chaque jour amène sa calamité et aggrave
le mal. La perte de toutes les fortunes particulières, la banqueroute, la
cherté des grains, l'impossibilité de les transporter d'un endroit à un
autre, le manque total de numéraire et le peu de confiance que l'on a dans le
papier, et enfin la manière dont on avilit tous les jours davantage la
puissance du roi, soit dans des écrits et paroles, soit en tout ce qu'on
l'oblige de dire, d'écrire et de faire, tout annonce une crise prochaine
et, s'il n'y a pas un soutien extérieur, comment pourra-t-il faire
tourner cette crise à son avantage ? » Voilà
ce qu'écrit la reine le 2 mars. Or c'était la veille, 1er mars, que le
ministre des affaires étrangères, Delessart avait communiqué à l'Assemblée
législative la réponse de l'Empereur à la demande d'explication qui lui avait
été faite par ordre de l'Assemblée. Et cette réponse même de l'Empereur
parait à la reine ambiguë et peu intelligible. « Je
me dispense de parler de la dernière dépêche qui a été lue hier à
l'Assemblée. La politique peut l'avoir dictée ; je ne la comprends pas assez
pour la juger. Les suites et l'effet pourront seuls fixer mes idées sur elle.
» DELESSART ET NARBONNE Le
ministre des affaires étrangères, Delessart, se trouvait depuis deux mois
dans une situation bien difficile et même périlleuse. Personnellement il
voulait le maintien de la paix, il croyait que le parti modéré serait perdu
par la guerre et il cherchait résolument à l'écarter. C'est dire qu'il ne
collaborait pas avec la Cour qui, comme nous venons de le démontrer, appelait
impatiemment la guerre à la fin de janvier et en février. La Cour cachait
soigneusement à Delessart ses intentions belliqueuses. Bien mieux, Delessart
avait de l'éloignement pour le ministre de la guerre, Narbonne, dont les
fantaisies et les combinaisons lui semblaient très imprudentes. Delessart
pensait que si on commençait à déchaîner la guerre on ne pourrait plus la
contenir et, qu'ayant commencé par la guerre de parade de Narbonne 'on
finirait nécessairement par la, vaste guerre de propagande de Brissot ; déjà
la logique même de la politique belliqueuse faisait peu à peu dériver
Narbonne vers la Gironde, qui le ménageait et parfois même dans ses journaux,
le louait à demi aux dépens de ses collègues. Narbonne sentait bien qu'il
s'userait en vaines démonstrations et manifestations, en revues et en mots
brillants, s'il ne mettait pas la main, sur la politique extérieure et il
cherchait à remplacer Delessart. Celui-ci, craignant à tout instant d'être
entraîné hors de la ligne qu'il s'était tracée par une étourderie de
Narbonne, cherchait à l'éliminer. Il y avait donc entre les deux ministres un
conflit aigu. La reine note ce conflit dans une lettre du commencement de
février à Mercy : « Il y a guerre ouverte dans ce moment-ci entre les
ministres Delessart et Narbonne. Ce dernier sent bien que sa place est
dangereuse et il veut avoir celle de l'autre ; pour cela ils se font attaquer
tous les deux de tous côtés ; c'est pitoyable. Le meilleur des deux ne
vaut rien du tout. » Mais
c'est surtout à l'égard de l'Assemblée que Delessart se trouvait dans une
situation fausse et dangereuse. Il était chargé auprès de l'Empereur d'une
mission tout à fait délicate. Il devait le sommer de s'expliquer sur ses
sentiments intimes, lui arracher le secret de ses pensées, de ses desseins
sur la Révolution. Faite sur un ton comminatoire ou même très pressant, cette
demande entraînait immédiatement la guerre avec l'Autriche et, cette guerre,
Delessart ne voulait pas en assumer la responsabilité, non par connivence
avec la Cour, qui lui cachait ses démarches de trahison et qui le détestait,
mais par prudence, par scrupule et aussi par attachement au parti
constitutionnel et modéré qui avait ou croyait avoir besoin de la paix. Faite
au contraire sur un ton réservé, cette demande laissait les choses en l'état.
Elle prolongeait la paix et les Girondins voulaient la guerre. Elle
prolongeait aussi l'incertitude et l'échange d'observations diplomatiques qui
allait se produire ne décidait rien. L'attente de ceux qui voulaient en finir
soit par la guerre, soit par la certitude de la paix était trompée, et le
ministre allait porter le poids des déceptions et des colères. LA NOTE DU 1ER
MARS C'est
le 1er mars que Delessart donna communication à l'Assemblée de la note qu'il
avait adressée au cabinet de Vienne par l'intermédiaire de notre ambassadeur
et des réponses qu'il avait reçues. La
lettre de Delessert était incolore et tiède. Il affirmait, parfois avec une
certaine force, que la France ne permettrait pas que l'on touchât à sa
Constitution ; mais parfois aussi il semblait plaider les circonstances
atténuantes pour la Révolution. « Ce serait vainement qu'on
entreprendrait de changer par la force des armes notre nouvelle Constitution
; elle est devenue, pour la grande majorité de la Nation, une espèce de
religion qu'elle a embrassée avec enthousiasme, et qu'elle défendrait avec
l'énergie qui appartient aux sentiments les plus exaltés. » (Applaudissements
réitérés.) ... Et
il ajoutait : « Vous m'avez mandé plusieurs fois, Monsieur, qu'on était
extrêmement frappé à Vienne, du désordre apparent de notre administration, de
l'insubordination des pouvoirs, du peu de respect qu'on témoignait parfois
pour le roi. Il faut considérer que nous sortons à peine d'une des plus
grandes Révolutions qui se soient jamais opérées ; que cette Révolution, dans
ce qui la caractérise essentiellement, s'étant d'abord faite avec une extrême
rapidité, s'est ensuite prolongée par les divisions, qui sont nées dans les
différents partis, et par la lutte qui s'est établie entre les passions et
les intérêts divers. « Il
était impossible que tant d'opposition et tant d'efforts, tant d'innovations
e tant de secousses violentes ne laissassent pas après elles de longues
agitations et l'on a lieu de s'attendre que le retour de l'ordre ne pourrait
être que le fruit du temps. » Delessart
déclarait que c'étaient les menaces des émigrés qui surexcitaient les esprits
: « Qu'on cesse de nous inquiéter, de nous menacer, de fournir des
prétextes à ceux qui ne veulent que le désordre, et bientôt l'ordre renaîtra.
(Applaudissements.) « Au
reste, ce déluge de libelles dont nous avons été si complètement inondés est
considérablement diminué et diminue encore tous les jours. L'indifférence et
le mépris sont les armes avec lesquelles il convient de combattre cette
espèce de fléau. L'Europe pouvait-elle, s'agiter et s'en prendre à la Nation
française parce qu'elle recèle dans son sein quelques déclamateurs et
quelques folliculaires ; et voudrait-on leur faire l'honneur de leur répondre
à coups de canon ? » (Rires et quelques applaudissements.) Puis,
il essayait de détourner l'Empereur de toute pensée d'agression en lui
représentant les périls qu'aurait pour lui-même la victoire ; et cette
hypothèse, qui semblait vouer la Révolution à la défaite, indisposa
l'Assemblée. « Je reviens à l'objet essentiel, à la guerre. Est-il de
l'intérêt de l'Empereur de se laisser entraîner à cette fatale mesure ? Je
supposerai, si l'on veut, tout ce qu'il y a de plus favorable pour ses armes
: Eh bien ! qu'en résultera-t-il ? Que l'Empereur finira par être plus embarrassé
de ses succès qu'il ne l'eût été de ses revers et que le seul fruit qu'il
réalisera de cette guerre sera le triste avantage d'avoir détruit son allié
et d'avoir augmenté la puissance de ses ennemis et de ses rivaux. » (Murmures.) Le
ministre concluait sur un ton très modéré, très conciliant et un peu humble. « Vous
devez chercher, Monsieur, à vous procurer des explications sur trois points :
1° Sur l'office du 21 décembre ; 2° Sur l'intervention de l'Empereur dans nos
affaires intérieures ; 3° Sur ce que Sa Majesté impériale entend par les
Souverains réunis en concert pour l'honneur et la sûreté des couronnes.
Chacune de ces explications demandée à sa justice peut être donnée avec la
dignité qui convient à sa personne et à sa puissance... « Je
nie résume, Messieurs, et je vais vous exprimer en un mot le vœu du Roi,
celui de son conseil et, je ne crains pas de le dire, celui de la partie
saine de la Nation : c'est la paix que nous voulons. Nous demandons à faire
cesser cet état dispendieux de guerre dans lequel la fatalité des
circonstances nous a entraînés ; nous demandons à revenir à l'état de paix.
Mais on nous a donné de trop justes sujets d'inquiétude pour que nous n'ayons
pas besoin d'être pleinement rassurés. » Le vice
essentiel de ce document, c'est d'accepter, pour ainsi dire, la discussion
avec l'Empereur, avec l'étranger, sur nos affaires intérieures. C'est de
s'efforcer d'obtenir la paix pour la Révolution en promettant qu'elle sera
bien sage, en laissant espérer que si on ne l'inquiète point, elle ne
dépassera pas une certaine ligne. Ce n'était donc qu'une reconnaissance
conditionnelle de la Révolution que paraissait demander le ministre. Mais en
vérité, comment aurait-il pu poser autrement la question ? En exigeant de
l'Empereur, frère de Marie-Antoinette, la reconnaissance publique et
inconditionnelle de la Révolution, en le sommant de déclarer qu'il
n'attaquera en aucun cas, même si la France renverse la royauté, même si, à
l'exemple de l'Angleterre de 1648, elle décapite le roi, la Gironde acculait
l'Empereur ou à une déclaration qu'il ne pouvait faire, ou à la guerre. C'est
seulement dans le silence que pouvaient s'accorder la liberté de la
Révolution et les calculs pacifiques de Léopold. Or, ce
silence, la Gironde voulait avant tout qu'il fût rompu et le ministre des
affaires étrangères, ne pouvant pas se taire et ne voulant pas prononcer
d'irréparables paroles, était condamné à ce langage inerte et faible où ne
vibraient certes pas la fierté de la Révolution et l'orgueil de la France[3]. C'est la Gironde qui, par ce
que j'appellerai son audace sournoise, acculait peu à peu la France et
l'Europe à la guerre, qu'elle n'osait pourtant proclamer d'emblée. LA RÉPONSE DE KAUNITZ On
comprend que la réponse de l'Empereur ait paru peu intelligible à
Marie-Antoinette. Il 'st visible qu'il a cherché seulement, cette fois
encore, à gagner du temps, sans rompre avec la France et sans s'humilier
devant la Révolution. Mais le ministre Kaunitz exécuta cette opération avec
une lourdeur, une ignorance des susceptibilités françaises et des passions
révolutionnaires qui ne font pas grand honneur à la diplomatie autrichienne.
Il s'abstint de formuler aucune des conditions, aucune des exigences : retour
du comtat à la Papauté, rétablissement du pouvoir politique de la noblesse,
qui servaient de base, à ce moment même, aux négociations incertaines de
l'Autriche et de la Prusse. Mais il
parla des agitations de la France grossièrement et pesamment. Il avoua qu'à
Pillnitz une convention avait été signée pour protéger le roi de France
contre les progrès « de l'anarchie ». Il ajouta qu'après
l'acceptation de la Constitution par le roi cette convention n'avait plus
qu'une valeur toute « éventuelle ». Et il
accusa violemment les partis de gauche. « Tant que l'état intérieur de
la France, au lieu d'inviter à partager l'augure favorable de M. Delessart
sur la renaissance de l'ordre, l'autorité du gouvernement et l'exercice des
lois, manifestera au contraire des symptômes journellement croissants
d'inconsistance et de fermentation, les puissances amies de la France auront
les plus justes sujets de craindre, pour le roi et la famille royale, le
retour des mêmes extrémités qu'ils ont éprouvées plus d'une fois, et pour la
France de la voir replongée dans le plus grand des maux dont un grand Etat
puisse être attaqué, l'anarchie populaire. « Mais
c'est aussi des maux le plus contagieux pour les autres peuples ; et, tandis
que plus d'un Etat étranger a déjà fourni les plus funestes exemples de ses
progrès, il faudrait pouvoir contester aux autres puissances le même droit de
maintenir leurs constitutions que la France réclame pour la sienne, pour ne
pas convenir que jamais il n'a existé de motif d'alarme et de concert général
plus légitime, plus urgent et plus essentiel à la tranquillité de l'Europe. « Il
faudrait pareillement pouvoir récuser le témoignage des événements
journaliers les plus authentiques, pour attribuer la principale cause de
cette fermentation intérieure de la France à la consistance qu'on prise les
émigrés ou à leurs projets... Les armements des émigrés sont dissous, ceux de
la France continuent. L'Empereur, bien loin d'appuyer leurs projets ou leurs
prétentions, insiste sur leur tranquillité ; les princes de l'Empire suivent
son exemple... « Non,
la vraie cause de cette fermentation et de toutes les conséquences qui en
dérivent n'est que trop manifeste aux yeux de la France et de l'Europe
entière. C'est l'influence et la violence du parti républicain (Violents
murmures), condamné par les principes de la nouvelle Constitution, proscrit
par l'Assemblée constituante, mais dont l'ascendant sur la législature
présente est vu avec douleur et effroi par tous ceux qui ont le salut de la
France sincèrement à cœur. » Il
avait très bien démêlé le plan de la Gironde, républicaniser la France au
moyen de la guerre. « Ce sont les moteurs de ce parti qui, depuis que la
nouvelle Constitution a prononcé l'inviolabilité du gouvernement monarchique,
cherchent sans relâche d'en renverser ou saper les fondements, soit par des
motions ou des attaques immédiates, soit par un plan suivi de l'anéantir dans
le fait, en entraînant l'Assemblée législative à s'attribuer les fonctions
essentielles du pouvoir exécutif ou en forçant le roi à céder à leurs désirs
par les explosions qu'ils excitent et par les soupçons et les reproches que
leurs manœuvres font retomber sur le roi. « Comme
ils ont été convaincus que la majeure partie de la Nation répugne à l'adoption de leur système de République, ou pour mieux dire
d'anarchie, et comme ils désespèrent de réussir à l'y entraîner, si le calme se rétablit à
l'intérieur et que la paix se maintienne au dehors, ils dirigent tous leurs
efforts à l'entretien des troubles et à susciter une guerre étrangère. « ...
Voilà pourquoi, au lieu d'apaiser les secrètes inquiétudes que les puissances
étrangères ont conçues depuis longtemps sur leurs menées sourdes, mais
constatées, pour séduire d'autres peuples à l'insubordination et à la
révolte, ils les trament aujourd'hui avec une publicité d'aveu et de mesures
sans exemple dans l'histoire d'aucun gouvernement policé de la terre. Ils
comptaient bien que les souverains devraient enfin cesser d'opposer
l'indifférence et le mépris à leurs déclamations outrageantes et calomnieuses,
lorsqu'ils verraient que l'Assemblée nationale non seulement les tolère dans
son sein mais les accueille et en ordonne l'impression. (Murmures
prolongés.) ...
Malgré des procédés aussi provocants, l'Empereur donnera à la France la
preuve la plus évidente de la constante sincérité de son attachement, en
conservant de son côté le calme et la modération que son intérêt amical pour
la situation de ce royaume lui inspire. » Et, en terminant, il se borne
à dire qu'il défendrait les princes de l'Empire s'ils étaient attaqués. Quel
est le vrai sens de ce document-ci ? A des paroles agressives et blessantes
se mêle le souci visible d'éviter la rupture. J'ai dit que l'Empereur voulait
avant tout gagner du temps ; mais, ce n'était point pour mieux préparer la
guerre, c'était pour laisser se produire des chances de paix. Evidemment,
l'exemple de la France révolutionnaire, la sourde et inévitable propagande de
la liberté l'inquiètent et l'irritent. Il ne déclare pas pourtant à la
Révolution une guerre de principe, puisqu'il s'abrite derrière la
Constituante, derrière la grande Assemblée qui proclama les Droits de l'Homme
et la souveraineté des nations. Pourquoi, dès lors, voulant la paix,
l'espérant encore, a-t-il prodigué à une partie notable et influente de
l'Assemblée, les paroles outrageantes ? H en est sans doute plusieurs
raisons. D'abord, tout en désirant la paix, l'Empereur est résigné à la
guerre et commence à la croire inévitable : il désire surtout, si elle se
produit, que la France ait la responsabilité de l'agression. Aussi
n'évite-t-il pas très exactement d'irriter les esprits. Puis, il s'imaginait
peut-être que la brutalité de ce langage ferait impression, et que les partis
de gauche, aussi directement dénoncés, reculeraient. Etrange méconnaissance
de la force d'élan de la Révolution[4]. J'imagine encore qu'en
signalant tout haut le plan de la Gironde, de ce qu'il appelle le parti
républicain, c'est-à-dire le dessein formé de surexciter la politique
intérieure par la guerre extérieure, l'Empereur voulait avertir le roi et la
reine qu'ils avaient bien tort de jouer avec le feu. Et il justifiait ainsi
devant le monde, ses propres lenteurs, les hésitations et la prudence qui lui
étaient si violemment reprochées par les intransigeants de l'émigration et de
la monarchie. LE TROUBLE DES CONSCIENCES La paix
restait donc possible, mais à une condition : c'est que la France
révolutionnaire eût à ce moment l'esprit assez lucide et assez ferme pour
bien voir toute la vérité. Il aurait fallu qu'un ministre des affaires
étrangères pût donner à l'Assemblée, à son comité diplomatique, la preuve
qu'en effet l'Empereur voulait la paix et résistait à la Cour. Il aurait
fallu que le comité diplomatique et l'Assemblée puissent avoir confiance en
ce ministre. Or, tout était trouble, faux, débile, dans cette triste incubation
de la guerre ; tout était mensonge, trahison, duplicité, habileté basse,
calcul sournois dans les partis. Le roi et la reine trahissaient. Ils
trahissaient cyniquement, mais sans esprit de suite ; tantôt ils redoutaient
la guerre, tantôt ils la souhaitaient, mais pour se sauver plus sûrement par
l'appui de l'étranger. Les anciens Constituants qui voulaient la Constitution
et la paix étaient engagés dans de louches négociations avec la Cour : ils
acceptaient de faire passer à l'Empereur leur mémoire diplomatique par les
mains de la reine, dont il est impossible que la loyauté ne leur fût pas
suspecte. Les Girondins intriguaient et cherchaient à susciter la guerre par
surprise. Ils
tournaient autour de la royauté d'un cœur hésitant et fourbe, rêvant parfois
de la renverser dans une grande crise extérieure, mais se réservant aussi de
s'installer en elle, comme des vainqueurs dans une antique maison, et de
couvrir leur puissance ministérielle du prestige de la vieille monarchie.
Robespierre enfin, qui n'aurait pu détourner les esprits de la fascination
extérieure que par un grand effort de révolution intérieure, se bornait à
montrer les Tuileries d'un geste vague et timide. La France de la Révolution
était admirable hier, quand elle proclamait les Droits de l'Homme, sa foi
sublime dans la raison, la liberté et la paix. Elle sera admirable, demain,
quand elle défendra la Révolution menacée, l'avenir du monde contre
l'infernale conspiration de toutes les tyrannies. Mais, dans cette période de
préparation obscure et sournoise de la guerre, tout serait triste et bas si
on ne sentait parfois du cœur profond du peuple monter la sublime espérance
de l'universelle libération des hommes et un héroïque défi à toutes les
puissances de la mort. L'Assemblée
entendit avec malaise toutes ces communications. Un moment, elle se laissa
aller à applaudir Delessart : mais le mécontentement éclata vite. ROUYER DÉNONCE DELESSART De
suite, à la séance du soir, Rouyer dénonça ce qu'il croyait être la
connivence de l'Empereur et du ministre : « Je pourrais vous dire,
s'écria-t-il, que le comité diplomatique lui-même, lorsque le ministre
Delessart lui communiqua ces réponses insidieuses, lui a ri au nez en lui
disant : « N'avez-vous pas honte de pareilles pièces qui ne « seront
regardées, dans l'Assemblée que comme votre propre ouvrage ! » (Bravo ! bravo
! Applaudissements réitérés dans les tribunes.) ... Mais, est-il payé pour
témoigner les craintes de la Nation à l'Empire, pour mentir aux puissances
étrangères ? Un peuple libre n'a rien à craindre, il se joue des efforts
qu'on peut diriger contre lui. Il ne veut et ne peut voir que des vaincus
dans les despotes qui voudraient l'attaquer. Mais, tant que nous serons
exposés à des mains mercenaires telles que les siennes, on nous fera tenir ce
langage. Je dénonce donc le ministre des affaires étrangères, et dussé-je
périr victime de mon patriotisme, je ne cesserai de le poursuivre jusqu'à ce
que la loi ait prononcé entre l'accusateur et l'accusé. » (Bravo ! bravo
! Applaudissements réitérés.) Voilà
l'acte d'accusation lancé. Mercenaire ? Delessart ne l'était pas. Il ne
trahissait pas la Révolution au profit de la Cour qui le détestait. Mais y
avait-il connivence entre lui et l'Empereur ? Il y avait seulement
concordance de vues. II y a eu un moment où les modérés constitutionnels,
dont Delessart était l'organe, et l'Empereur ont eu les mêmes vues, les mêmes
espérances. Delessart et l'Empereur voulaient également la paix et, voulant
la paix, ils espéraient l'un et l'autre que la conduite de la Révolution ne
passerait pas aux mains du parti de la Gironde, du parti de la guerre. Quand
Rouyer et les ennemis du ministre disaient qu'il avait dicté et rédigé la
réponse de l'Empereur, ils n'étaient point tout à fait hors du vrai. Car,
d'une part, la lettre envoyée par Delessart à notre ambassadeur à Vienne
ressemblait beaucoup au mémoire que Barnave, Lameth et Duport avaient fait
tenir à l'Empereur dans les premiers jours de janvier par l'intermédiaire de
la reine, et, d'autre part, la réponse publique que fait M. de Kaunitz
ressemble trait pour trait au mémoire que l'Empereur fit parvenir à la reine
en réponse au sien. C'est bien l'état d'esprit feuillant qui sert de lien
entre les Tuileries et la Cour de Vienne. Ce sont les formules des Feuillants
que l'Empereur emploie. Le sont les Feuillants notamment qui ont tracé dans
leur mémoire le portrait de ce qu'ils appellent « le parti républicain », en
termes presque identiques à ceux qu'emploie Kaunitz dans le document lu à
l'Assemblée. Mais,
je le répète, l'Empereur ayant besoin de la paix, mais pressé par les appels
de sa sœur, Marie-Antoinette, se flattait de l'espoir que les événements ne
l'obligeraient pas à intervenir, et il entrait ainsi tout naturellement dans
le système des constitutionnels, sans qu'aucune trahison fût imputable à
ceux-ci. BRISSOT ATTAQUE C'est à
souligner cet accord des Feuillants et de l'Empereur, que Brissot s'applique
d'abord : « Nous nous dispenserons, écrit-il, dans le Patriote français
du 2 mars, de donner une longue analyse de cette réponse qui n'est qu'une
paraphrase tudesque des morceaux les plus saillants de nos papiers
ministériels... On ne s'attendait guère à voir l'Empereur s'ériger en avocat
de la Constitution ; mais, c'est ce qu'il a encore de commun avec les
Feuillants et, tout ce qui nous étonne, c'est qu'il n'ait pas cité la devise
célèbre : la Constitution, toute la Constitution, rien que la Constitution.
» Puis,
Brissot rappelle avec ironie les attaques de l'Empereur contre les sociétés
populaires : « Il ne dissimule pas que, s'il conserve une armée en état
d'observation passive, c'est pour empêcher cette terrible puissance des
Jacobins de renverser la monarchie libre de la France, pour laquelle il se
sent un si tendre intérêt, tel est encore le but du concert qu'il a formé
avec diverses puissances : ce n'est pas trop d'une pareille ligue contre
cette secte formidable. On pense bien que ces terreurs et ces menaces ont été
accueillies des plus vifs éclats de rire : les ministériels semblaient rougir
eux-mêmes de ces déclamations. On eût bien voulu quelques tirades contre les
Républicains et les Jacobins ; mais en faire une puissance ! c'était couvrir
de boue et les souffleurs et l'écolier. « Une
note de l'ambassadeur de Prusse, qui déclare que son maître adhère aux
conclusions de l'Empereur et qu'il est obligé de s'opposer à toute espèce
d'invasion sur le territoire de l'Empire, et un message du roi ont terminé
cette comédie diplomatique. « Le
roi déclare à l'Empereur qu'il croit au-dessous de la dignité et de
l'indépendance d'une grande Nation de discuter ces divers articles qui
concernent la situation intérieure du royaume ; qu'il aurait désiré une
réponse plus catégorique et plus précise, relativement à ce concert formé
entre les puissances, et que ce concert n'a aucun objet, qu'il en demande la
cessation pour mettre fin à des inquiétudes où la Nation ne veut ni ne peut
rester. Il offre de désarmer si l'Empereur retire une partie de ses troupes. « La
simplicité et la clarté de cette réponse qui contrastait d'une manière
frappante avec l'entortillage germanique des dépêches du cabinet de Vienne
ont obtenu les applaudissements de l'Assemblée... Louis XIV, quoiqu'il ne fût
pas roi d'une nation libre, aurait été moins patient ; mais, une nation libre
aime à épuiser les bons procédés. « Quelle
que soit l'issue de cette réponse, les amis du peuple doivent se féliciter de
cette journée. « Elle
a marqué l'ascendant de cette nation livrée à l'anarchie populaire.
L'Empereur a obéi au vœu national en écrivant avant l'époque qui lui a été
fixée. « Il
a été forcé de se justifier devant un peuple qu'on foulait aux pieds. « Il
a révélé le grand secret de l'intrigue qui unit les deux cabinets de Vienne
et des Tuileries ; le même esprit les dirige, le pauvre esprit de quelques
intrigants, qui, pour se venger des hommes et des sociétés qui les ont
démasqués, empruntent des plumes royales et ministérielles, assez faibles
pour se prêter à leurs plates manœuvres. « Enfin,
cette journée a tué et la diplomatie et la réputation de profondeur des
cabinets politiques. Y a-t-il rien de plus pitoyable que ces dépêches ? On
voit maintenant pourquoi les ministres aiment tant à s'envelopper de mystère
: la faiblesse et l'ignorance en ont tant besoin. Et voilà le fruit d'une
expérience de soixante ans ! Kaunitz dupe de jeunes ambitieux, bien ignorants
et bien impudents ! Kaunitz se battre contre les Républicains et les Jacobins
! Quelle école à quatre-vingts ans ! Ces fautes ne s'effacent guère : il a
donné sa mesure et celle de son maître, et avec cette mesure on ne subjugue
point une grande Nation qui veut sa liberté. » Brissot
triomphe et se grise ; il plane au-dessus de l'Europe. Mais un moment sa
vanité semble contrarier son dessein. Il est si fier d'avoir obtenu une
réponse de l'Empereur aux sommations dictées par lui qu'il oublie un moment
d'attiser la guerre. Car, si déjà, comme le dit Brissot, l'Empereur est
humilié, quel besoin est-il de le poursuivre davantage et d'exiger de plus
formelles déclarations ? S'il a consenti à cette humiliation plutôt que de
rompre, pourquoi la Révolution ne s'applique-t-elle pas à ménager les chances
de paix qui se manifestent ? Si
l'Empereur est le jouet des Feuillants, si Barnave, les Lameth, Duport le
manœuvrent à leur gré, n'est-il point visible que l'Empereur espère, en
modérant par eux les événements intérieurs de France, se dispenser d'une
intervention qui l'effraie ? Pourquoi, dès lors, ne pas marcher d'un pas
rapide et ferme dans les voies révolutionnaires sans être obsédé par le
fantôme extérieur, sans chercher dans la guerre une diversion funeste ? Si la
réponse de Louis XVI est simple et franche, si elle mérite les applaudissements
de toute l'Assemblée, comment pourra-t-on attaquer la royauté ? Comment
pourra-t-on attaquer aussi le ministre des affaires étrangères qui a rédigé
au nom du roi cette réponse et qui a obtenu de l'Empereur une communication
hâtive, humiliante pour celui-ci ? Cet article de Brissot était la meilleure
défense du ministre que dix jours après Brissot fera décréter de trahison. Il
était le meilleur plaidoyer pour la paix que la Gironde s'obstinera
passionnément à rompre. Et que
signifient ces coquetteries avec Louis XVI qui, vraiment, à cette date, était
traître à la Nation ? Mais qu'importaient à Brissot toutes ces contradictions
? Son cœur s'était gonflé un moment de vanité ; il s'était dit avec
complaisance qu'il avait plus de fierté que Louis XIV. Avoir obligé un
Empereur à répondre le faisait tressaillir d'aise. O pauvre parvenu qui
n'avait pas la fierté de la Révolution et qui semblait avoir besoin pour elle
des approbations impériales ! Que
signifie encore cette sorte de rabaissement de son propre parti, des
Républicains et des Jacobins ? Ils étaient en effet la force organisée de la
Révolution. L'Empereur ne se trompait pas en constatant leur puissance. Les
Jacobins relevèrent d'ailleurs le défi avec un juste orgueil. Mais Brissot,
platement, rapetissa ses amis pour pouvoir railler l'Empereur. Vanité sans
dignité et intrigue sans grandeur. Mais
Brissot, en qui une fumée de puéril orgueil a un moment suspendu et obscurci
la pensée politique, ne tarde pas à comprendre que de la journée du P' mars
il peut tirer un double parti. Il peut aigrir les susceptibilités nationales
et exaspérer les nerfs du peuple en disant que l'Empereur a voulu se mêler de
nos affaires et que sa réponse ambiguë laisse subsister les incertitudes
épuisantes. Il peut aussi, en frappant Delessart, désorganiser le ministère,
terroriser la Cour et la mettre enfin sous la tutelle de la Gironde. Il
écrit, le samedi 3 mars, à propos de la séance du soir du 1er, de celle où
Rouyer parla : « On
avait eu le temps de réfléchir sur la farce diplomatique jouée le matin
et l'on ava.it cru s'apercevoir qu'un des principaux acteurs en était
maintenant le souffleur : c'était M. Delessart et il a été formellement
dénoncé par M. Rouyer. M. Chartier a appuyé la dénonciation, et il a pensé
qu'il y avait lieu à déclarer que le ministre avait perdu la confiance de la
Nation. Le Comité diplomatique a été chargé d'examiner la note confidentielle
de M. Delessart à notre ambassadeur à Vienne, note qu'on peut regarder comme
le nœud de cette intrigue épistolaire. Au reste, la pièce va être imprimée,
et l'on sera à portée de juger par la comparaison si les lettres et les
réponses ne sortent pas de la male plume. » NARBONNE ET BERTRAND DE MOLLEVILLE Brissot
va se recueillir pendant quelques jours et préparer le réquisitoire qui, en
frappant Delessart, disloquera le ministère modéré et ouvrira à la Gironde le
pouvoir ministériel. Devant cette tactique, l'intérêt évident du roi était de
maintenir son ministère uni, de défendre Delessart, de garder Narbonne et de
dire que l'un des deux ministres représentait la politique de paix, l'autre
la vigilance guerrière. Mais le ministère était disloqué du dedans par le
conflit sourd de Delessart et de Narbonne, surtout par le conflit aigu de
Narbonne et du réactionnaire Bertrand. Celui-ci, très attaqué dans
l'Assemblée, était exaspéré des manœuvres de popularité de Narbonne. Narbonne
affectait une grande prévenance pour les comités de la Législative que
Bertrand dédaignait. Le ministre de la marine se plaignait que Narbonne le
fit attaquer dans les journaux jacobins. Et il est vrai que si le journal de
Brissot, dans les premières journées de mars, attaque assez souvent Narbonne,
c'est toujours avec un extrême ménagement, et la Chronique de Condorcet le
loue souvent. Mais le
roi n'avait confiance qu'en Bertrand et celui-ci s'insinuait tous les jours
plus avant dans la confiance de Louis XVI et lui rendait même des services
privés, en lui procurant de la monnaie d'or, que le roi préférait aux
assignats, par un prélèvement frauduleux sur la caisse de la marine. Narbonne
se sentit menacé. Il demanda aux généraux qu'il avait nommés : Rochambeau, Luckner,
La Fayette, de le soutenir. Ceux-ci intervinrent par des lettres publiques
qui irritèrent le roi, et il donna congé à Narbonne. Brissot,
le 9 mars, écrit : « Le roi a retiré ce matin le portefeuille de la
guerre à M. Narbonne. On assure qu'il est remplacé par M. Degrave. Les motifs
du renvoi ne sont pas bien certains. Les uns l'attribuent à l'intrigue du
ministre Bertrand et de ses confrères qui le soutiennent ; d'autres croient
que la Cour haïssait M. Narbonne, parce que, dans son opinion, il devenait
trop populaire ; d'autres, enfin, donnent pour prétexte les lettres des
généraux à M. Narbonne imprimées dans les journaux. « Dans
ces lettres les généraux Rochambeau et La Fayette prient le ministre de ne
pas quitter sa place, dans un moment où il peut rendre de si grands services,
et ils assurent que sa démission serait une calamité publique. On ne pouvait
pas trouver de meilleur moyen pour perdre M. Narbonne. « M.
Narbonne a un tort à se reprocher. Il dit dans sa réponse qu'il avait voulu
se retirer parce qu'il n'était pas d'accord avec un de ses collègues (M. Bertrand) dont il estime le caractère
personnel, mais dont il n'approuve pas également la conduite ministérielle. « Comment
M. Narbonne estime-t-il le caractère d'un homme qui a menti à la face de
l'Europe, qui a donné un démenti au roi dont il est le ministre, qui n'a
cessé de montrer la mauvaise foi la plus effrontée ? » LA MISE EN ACCUSATION DE DELESSART Comment
le roi n'hésitait-il point à se séparer ainsi de Narbonne ? S'être engagé,
sur ses conseils, dans la politique de guerre limitée et le congédier juste à
l'heure où le semblant de popularité qu'il avait acquis pouvait protéger la
Cour, c'était une faute qui prouvait ou l'entière impuissance, ou l'entière
incohérence de la royauté. Cette décision du roi perdait Delessart. N'osant
pas blâmer ouvertement une décision du roi relative aux ministres,
l'Assemblée va prendre sa revanche en décrétant un des ministres de trahison.
Je ne m'arrêterai pas à analyser longuement l'acte d'accusation porté le 10
mars à la tribune. Au
fond, tous les arguments peuvent se ramener à un seul : « Delessart est
criminel de n'avoir pas tout fait pour amener la guerre. » Brissot lui
reproche comme une félonie jusqu'à la prudence du langage diplomatique. Il
lui reproche comme une félonie des paroles, des attitudes qui, hier encore,
étaient celles de Brissot lui-même. « Il semblait, dit-il, que M.
Delessart voulût dérober la connaissance (du concert des souverains), ou ne la donner que le plus
tard possible ; il semblait se réserver cette matière nouvelle à des
explications et à des négociations, pour tempérer l'ardeur de la Nation
française qui brûlait d'attaquer et de se venger des insultes qu'elle avait
reçues. » « Un
ministre habile et patriote aurait vu dans ce concert le foyer de tous les
orages qui pouvaient menacer la France, il se fût attaché opiniâtrement à le
dissiper. M. Delessart respectait au contraire ce foyer et ne s'attachait
qu'à quelques ramifications ou rassemblements des émigrés, aux princes
possessionnés. » Or,
nous savons qu'en fait ce concert offensif n'existait pas. Nous savons que
Léopold avait toujours cherché des moyens dilatoires. Et nous nous rappelons
que Brissot disait, il y a peu de temps : « C'est à Coblentz qu'est le foyer
du mal. » Il assurait que l'Empereur voulait la paix, avait besoin de la
paix. Il pèse
tous les mots de la lettre de Delessart : « Avec quelle faiblesse le
ministre parle de ce concert, dont l'existence était si bien démontrée, dont
l'objet était si contraire aux intérêts de la France. « On a été,
dit-il, extrêmement frappé de ces expressions : les souverains réunis en
concert ; on a cru y voir l'indice d'une ligue formée à l'insu de la
France et peut-être contre elle ». L'indice ! comment une expression aussi
lâche, aussi criminelle est-elle échappée au ministre ? Ainsi
Brissot va envoyer le ministre devant la Haute-Cour d'Orléans parce que
l'expression indice, dans une correspondance diplomatique, ne lui parait pas
assez forte. Et
encore : « L'affectation de M. Delessart à prêcher la paix n'était-elle
pas encore plus propre à nous attirer la guerre ou au moins des réponses
humiliantes ? Lisez la fin de sa lettre : C'est la paix que nous voulons...
Qui ne sait ici, Messieurs, que le ministre autrichien ne devait voir dans
ces cris pour la paix que les fureurs de l'impuissance et de la pusillanimité
?... » C'est
sur des raisons de cette force que Brissot fonde une demande de mise en
accusation. Il y a treize griefs. Delessart était coupable « en ayant
demandé bassement la paix ». C'est le grief n° 7. Il l'est encore, « en
ayant communiqué au ministère autrichien des détails sur l'intérieur de la
France qui pouvaient donner une fâcheuse opinion sur sa situation et
provoquer des déterminations funestes pour elle », comme si Delessart en
faisant allusion aux agitations, aux conflits qui suivaient naturellement en
France le grand ébranlement révolutionnaire avait appris quoi que ce soit à
l'étranger. Et dans
ce réquisitoire sophistique contre le ministre, pas un mot sur le roi, pas un
mot sur la Cour. C'est toujours le même système d'hypocrisie et de mensonge.
Depuis des mois, les habiles et les peureux faussent la conscience de la
Révolution. Il est entendu que l'on ménagera le roi. Il est entendu qu'on
surexcitera la passion nationale pour ranimer la passion révolutionnaire que
l'on croit affaiblie. Avec ce parti pris de n'aborder la royauté que par ces
détours, de ne l'attaquer qu'obliquement, on s'est condamné à mentir, à
tricher ; et, n'osant pas dire au peuple la vérité rude et forte, qu'il faut
décidément abattre la royauté et le roi, on affole le pays par des soupçons,
par des romans de trahison. Sur Delessart, qui s'est borné à traduire honnêtement
la politique pacifique des modérés, Brissot épuise ses ressources de plate
dialectique, et contre le roi, qui trahit lui, qui livre la patrie, mais qui
distribue encore les portefeuilles ministériels, Brissot n'a pas un mot de
menace. Et pourtant si le roi ne trahit pas, au profit de qui trahit
Delessart ? VERGNIAUD MENACE LES TUILERIES C'est
un soulagement, après toutes ces roueries de sophiste et de pédant,
d'entendre, en Bette même séance du 10 mars, le grand cri de colère et
d'éloquence de Vergniaud contre les Tuileries : « Permettez-moi,
Messieurs, une réflexion. Lorsqu'on proposa à l'Assemblée constituante de
décréter le despotisme de la religion chrétienne, Mirabeau prononça ces
paroles mémorables : De cette tribune, où je vous parle, on aperçoit la
fenêtre d'où la main d'un monarque français armé contre ses sujets par
d'exécrables factieux, qui mêlaient des intérêts personnels aux intérêts
sacrés de la religion, tira l'arquebuse qui fut le signal de la
Saint-Barthélemy. « Eh
bien ! Messieurs, dans ce moment de crise où la patrie est en danger, où tant
de conspirations s'ourdissent contre la liberté, moi aussi je m'écrie : Je
vois de cette tribune les fenêtres d'un palais où des conseillers pervers
égarent et trompent le roi que la Constitution nous a donné, forgent les fers
dont ils veulent nous enchaîner, et préparent les manœuvres qui doivent nous
livrer à la maison d'Autriche. Je vois les fenêtres du palais où l'on trame
la contre-Révolution, où l'on combine le moyen de nous replonger dans les
horreurs de l'esclavage, après nous avoir fait passer par tous les désordres
de l'anarchie et par toutes les fureurs de la guerre civile. (La salle
retentit d'applaudissements.) « Le
jour est arrivé, Messieurs, où vous pouvez mettre un terme à tant d'audace, à
tant d'insolence, et confondre enfin les conspirateurs. L'épouvante et la
terreur sont souvent sorties, dans les temps antiques et au nom du
despotisme, de ce palais fameux. Qu'elles y rentrent aujourd'hui au nom de la
loi. (Applaudissements
réitérés.)
Qu'elles y pénètrent tous les cœurs. Que tous ceux qui l'habitent sachent
que notre Constitution n'accorde l'inviolabilité qu'au roi. Qu'ils
sachent que la loi y atteindra, sans distinction, tous les coupables, et
qu'il n'y aura pas une seule tête, convaincue d'être criminelle, qui puisse
échapper à son glaive. Je demande qu'on mette aux voix le décret
d'accusation. ». — L'orateur descend de la tribune au milieu des
applaudissements réitérés de l'Assemblée et du public. Enfin,
une main hardie déchirait le voile : la trahison royale était directement
dénoncée. La Révolution retrouvait son accent de franchise et de puissance.
La menace à la reine était terrible. L'acte d'accusation contre Delessart fut
voté. Les amis de Marie-Antoinette furent pris de peur pour elle. Fersen
note ceci dans son journal, le 23 mars : « Trouvé Goguelat chez moi en
rentrant. Il avait passé par Calais, Douvres et Ostende. Il était parti
depuis huit jours. Leur situation (du roi et de la reine) fait horreur. On a
entendu des députés dire : « Delessart sien tirera, mais la reine ne s'en
tirera pas. » Deux autres, sur la terrasse des Feuillants, disaient,
en parlant du départ du roi : « Ces bougres-là « ne partiront pas ;
vous le verrez. » Il
écrit encore le 18 : « Le chevalier de Coigny avait mandé le projet des
Jacobins de mettre la reine dans un couvent ou de la mener à Orléans pour la
confronter avec Delessart. » Vraiment
l'épouvante et la terreur étaient entrées dans le palais au nom de la
Révolution. LA MORT DE L'EMPEREUR Et
presque au même moment, comme pour achever l'accablement de la Cour, la
nouvelle de la mort de l'Empereur Léopold arrivait. Le journal de Brissot
dit, le 11 mars : « La mort de l'Empereur n'est plus douteuse ; elle a
été officiellement annoncée. Cette mort change tout le système politique de
l'Allemagne. Cette nouvelle et celle du décret d'accusation contre M.
Delessart ont répandu la consternation dans le château. » A vrai
dire, Brissot s'exagérait la confiance de la Cour en l'Empereur. Les amis
intransigeants de Marie-Antoinette, les absolutistes ne s'affligèrent pas
outre mesure de la mort du temporisateur qui ajournait sans cesse la guerre
et qui voulait réconcilier la royauté française et la Révolution. Fersen
écrit, le jeudi 8 mars, à Bruxelles : « Le vicomte de Vérac, l'évêque et
beaucoup de gens croyaient que cela allait tout changer et tout retarder,
occasionner des longueurs. Je ne fus pas de cet avis, je le leur prouvai, et
je sais que le baron de Breteuil avait été de mon avis. Je pris alors mon
parti d'écrire à la reine mon opinion là-dessus. » Et le
lendemain : « Les généraux ne témoignaient pas le moindre chagrin, mais
presque le contraire. Thugut dit au baron qu'il en était bien aise. Dans la
ville, cela ne faisait aucune sensation, les officiers en étaient même
contents. » Mais,
quoique la reine, pour ses desseins de contre-Révolution armée, n'eût pas à
se louer de son frère, sa disparition subite aggravait encore, si je puis
dire, l'inconnu. En tout
cas, le système des Feuillants, qui combinaient avec Léopold un régime de
modération et de paix, s'effondrait au dehors par la mort de l'Empereur,
comme il s'effondrait au dedans par l'acte d'accusation contre Delessart. Acculés,
frappés de terreur, Louis XVI et Marie-Antoinette n'avaient plus qu'une
ressource : appeler un ministère girondin. Ils s'y résignèrent, et le mois de
mars 1792 vit l'avènement gouvernemental de la Gironde. C'était un pas
immense de la Révolution. Quelles
que fussent l'étourderie et l'ambition des Girondins, ils représentaient
l'esprit révolutionnaire, prêt à dompter au dedans tous les factieux de la
noblesse et du clergé, prêt à défier et à vaincre au dehors tous les tyrans
conjurés, tous ceux qui menacent la liberté nouvelle, tous ceux aussi qui
prétendent la limiter. Pendant que la royauté traîtresse s'affole et se livre, les volontaires vont par milliers vers la frontière ; ils font, au passage, hommage de leur vie à l'Assemblée, qui suspend un moment ses tumultes et ses querelles pour les acclamer, et, purs de toute intrigue, ignorants de ce qui se mêlait de factice aux cris belliqueux de la Gironde, convaincus de la nécessité et de la sainteté de la guerre révolutionnaire, ils vont combattre, vaincre ou mourir, et en se libérant, libérer le monde. |
[1]
Il y avait en effet deux partis parmi les Feuillants ou plutôt deux clientèles,
celle des Lameth était pacifique, celle de La Fayette, à laquelle se rattachait
Narbonne, était belliqueuse. Voir l'excellent livre de Glagau. — A. M.
[2]
Il s'agit du mémoire rédigé par les Feuillants et analysé plus haut. — A. M.
[3]
Avant d'envoyer sa note officielle à l'Empereur, Delessart avait négocié à
Paris avec le chargé d'affaires autrichien Blumendorf. (Voir la correspondance
de Blumendorf avec Mercy, publiée par Eugène Hubert, Bruxelles, 1919). Un peu
plus tard, il fit partir pour Vienne Barbé-Marbois avec des dépêches
confidentielles, dans lesquelles Il demandait à Kaunitz de l'aider à rétablir
l'ordre en France. — A. M.
[4]
Il ne faisait que partager l'erreur de la reine et de Delessart lui-même, qui
se réjouit de sa note. (Voir la correspondance de Blumendorf). — A. M.