LE SUCCÈS DES VENTES Il
serait téméraire de penser que, malgré toutes les précautions législatives,
la fraude ne s'exerça pas. Elle pouvait se produire de deux manières :
D'abord, le montant exact des baux pouvait être dissimulé (quoique
l'opération semble assez malaisée), et surtout quand il n'y avait pas de baux
et qu'il fallait procéder à une expertise, les experts pouvaient être
circonvenus et évaluer trop bas le domaine à vendre. Dans
l'immense mouvement de propriété qui s'accomplit alors, le contrôle des
ventes ne fut pas toujours possible. Et en second lieu, il pouvait y avoir
entente, collusion entre certains acheteurs pour décourager par la menace ou
écarter par la corruption des concurrents fâcheux. Pourtant, il semble bien
que les acquéreurs aient été généralement loyaux pendant la première période
des ventes en 1790, 1791 et 1792. Sans
doute, même à cette époque, il y eut des tentatives suspectes. Ainsi, dans le
remarquable recueil de documents publié par M. François Rouvière, sous le
titre : l'Aliénation des biens nationaux dans le Gard, je lis un rapport
rédigé, le 30 avril 1791, par le procureur syndic de Pont-Saint-Esprit : «
L'aliénation de quelques objets au prix de 100.000 livres, quoiqu'ils
valussent le double selon les rapports qui nous ont été faits, annonce une
coalition qu'il importe de prévenir. Les biens nationaux s'adjugent et
s'adjugeront très mal, pour le présent, par l'effet des coalitions, nous
pourrions même dire par les menaces aux prétendants ou par l'argent qui leur
est offert ou donné, ce dont nous n'avons pas la certitude physique, mais
celle de la renommée » (30 avril et 3 mai 1791). Mais
cette sollicitude même du procureur syndic permet de penser que l'effet des
coalitions et de la fraude fut assez strictement limité. D'autres témoignages
et d'autres faits que j'emprunte aussi au livre de M. Rouvière, présentent
l'opération sous un jour beaucoup plus favorable. Car des lettres du même
district de Pont-Saint-Esprit, écrites en décembre 1790 par les
administrateurs, attestent que les biens sont « avantageusement aliénés ». « Telle
propriété, qu'on estimait assez justement évaluée à 4.212 livres trouve
preneur à 11.000 livres... Il ne nous reste qu'un regret, ajoutent les
administrateurs, c'est que les lenteurs du comité d'aliénation nous empêchent
de profiter d'un moment aussi favorable. » Tel
jardin affermé 400 livres par an fut vendu 11.500 livres. « C'est de bon
augure pour les ventes prochaines », écrivent les administrateurs du district
de Beaucaire, le 20 décembre 1790 : « La séance a été tenue avec
beaucoup d'appareil et il y a eu un grand concours d'assistants ». En
fait, les premières ventes, 'celles qui s'accomplirent sous la Constituante
et surtout avant la fuite du roi à Varennes, furent probablement les plus
loyales et les plus rémunératrices. D'abord
les premiers acheteurs étaient certainement — ou du moins beaucoup d'entre
eux — des enthousiastes qui ne se risquaient à une opération aussi hardie que
soutenus par une foi ardente en la Révolution. Il n'y a pas seulement un
calcul de spéculation, niais un acte de dévouement civique. De
plus, cette période de la Révolution était assez tranquille : le pays ne
vivait ni dans la tourmente révolutionnaire ni dans le déchirement de la
guerre civile : le calme des esprits était favorable au contrôle. La
Révolution avait hâte de vendre : mais grâce à l'intervention des
municipalités, elle était à peu près assurée d'y réussir. Les opérations
n'étaient donc point troublées et faussées par une hâte fiévreuse. Enfin, et
ceci est peut-être la raison décisive, les catégories sociales les plus
diverses concoururent dans cette première période à l'achat des biens
nationaux. A côté
des paysans qui achetaient quelques menus lots, à côté des riches bourgeois
qui employaient en achats territoriaux le montant en assignats de leurs
créances sur l'Etat ou la dot de leur femme, beaucoup de prêtres achetaient
de la terre : ils avaient été accoutumés, comme membres des corps
ecclésiastiques, à la propriété terrienne : il ne leur déplaisait point d'en
jouir à titre individuel. Enfin,
si quelques nobles de cour avaient émigré, presque toute la noblesse de
province demeurait encore. Bien mieux, elle avait gardé confiance en l'avenir
: elle n'était pas sérieusement atteinte dans ses ressources puisque les
droits féodaux les plus fructueux n'étaient abolis à cette date
qu'éventuellement et sous la condition du rachat. La
suppression des dîmes réparait pour plusieurs d'entre eux, et bien au-delà
les pertes qu'ils avaient pu subir : et ils n'étaient point fâchés d'acquérir
une part de ce domaine ecclésiastique qu'ils avaient plus d'une fois, sous
l'ancien régime considéré d'un œil d'envie. M. François Rouvière relève sur
la liste des acheteurs « les plus grands noms du département ». En
feuilletant au hasard le gros volume, je note sur la liste des acheteurs pour
le Gard un du Puy d'Aubignac, un de Beaune, un Beauvoir de Grimoard, du
Roure, une Guignard de Saint-Priest, un maréchal de Castries, un Mathei,
marquis de Fontanille, une veuve du marquis d'Axat. M. de Beaune notamment
achète le 16 mai 1791, le Chapitre de Roquemaure pour 15.000 livres, et le 3
juin 1791 un domaine des Chartreux pour 171.000 livres. M. de Beauvoir
acquiert pour 28.500 livres le couvent des Jacobins à Bayas par
l'intermédiaire de son fondé de pouvoir Gués, le 20 janvier 1792. Ainsi la
concurrence de toutes les classes sociales assurait la loyauté des ventes.
Enfin, comme pendant près de deux années l'assignat se maintint presque au
pair, l'agiotage sur la monnaie ne faussa pas, au début, la grande opération
révolutionnaire. La
Constituante ne s'était pas seulement préoccupée de la sincérité des ventes.
Elle essaya aussi, dans la mesure où le permettait l'exigibilité immédiate
d'une dette énorme, d'appeler la démocratie rurale aux adjudications. Pour
cela, elle donne d'abord des délais de paiement assez étendus. L'article 5
dit expressément : « Pour appeler à la propriété un plus grand nombre
de citoyens, en donnant plus de facilités aux acquéreurs, les paiements
seront divisés en plusieurs termes. « La
quotité du premier paiement sera réglée en raison de la nature des biens,
plus ou moins susceptibles de dégradation. « Dans
la quinzaine de l'adjudication, les acquéreurs des bois, des moulins et des
usines, paieront 30 p. 100 du prix de l'acquisition à la Caisse de
l'extraordinaire. « Ceux
des maisons, des étangs, des fonds morts et des emplacements vacants dans les
villes, 20 p. 100. « Ceux
des terres labourables, des prairies, des vignes et des bâtiments servant à
leur exploitation et des biens de seconde et troisième classe, 12 p. 100. « Dans
les cas où des biens de ces diverses natures seront réunis, il en sera fait
ventilation pour déterminer la somme du premier paiement. « Le
surplus sera divisé en douze annuités égales payables en douze ans, d'année
en année et dans lesquelles sera compris l'intérêt du capital à 5 p. 100 sans
retenue. « Pourront
néanmoins les acquéreurs accélérer leur libération par des paiements plus
considérables et plus rapprochés, ou même se libérer entièrement à quelque
échéance que ce soit. « Les
acquéreurs n'entreront en possession réelle qu'après avoir effectué leur
premier paiement. « Les
enchères seront en même temps ouvertes sur l'ensemble ou sur les parties de
l'objet compris en une seule et même estimation, et si, au moment de
l'adjudication définitive, la somme des enchères partielles égale l'enchère
faite sur la masse, les biens seront de préférence adjugés divisément. » L'Assemblée
pouvait croire que le délai de paiement, combiné avec la faculté
d'adjudication morcelée, permettrait aux pauvres ou tout au moins aux
citoyens modestes de participer aux achats. J'observe pour les délais de
paiement que le plus long est accordé pour les terres labourables,
c'est-à-dire pour celles précisément que le paysan convoitait le plus. Ni les
bâtiments ni les bois n'étaient son affaire, mais une terre à blé pouvait le
tenter ; et il n'aurait à payer qu'un douzième de sa valeur pour entrer en
possession. Grande facilité, semble-t-il. Mais
d'abord, il fallait pouvoir disposer immédiatement d'un douzième du prix de
vente ; puis il fallait être assuré de pouvoir pendant douze années
consécutives payer une annuité qui, avec l'intérêt du capital à 5 p. 100
représentait ainsi un douzième du prix d'achat : Qui donc pouvait assumer une
telle charge s'il n'avait déjà le capital d'achat à peu près réalisé ? C'est
en vain aussi que l'Assemblée morcelait les adjudications, car les petits
acheteurs devaient trouver rarement d'autres petits acquéreurs comme eux,
combinant leurs achats de telle sorte que la totalité du domaine mis aux
enchères fut couverte. Il suffisait qu'une partie de la pièce mise en vente
ne fut pas acquise pour que les autres enchères partielles fussent annulées.
Pourtant l'Assemblée s'efforçait de croire à l'efficacité de ces moyens. Elle
vota le 27 juin un nouvel article ainsi conçu : « Les
municipalités auront soin, dans les estimations, de diviser les objets autant
que leur nature le permettra, afin de faciliter autant qu'il sera possible
les petites soumissions et l'accroissement du nombre des propriétaires. »
Elle écarta une motion de Talleyrand qui aurait, en fait, livré toutes les
terres, directement aux créanciers de l'Etat et qui aurait écarté les petits
acquéreurs paysans des adjudications. Talleyrand
avait demandé, le 13 juin, que l'Etat reçût en paiement des domaines mis en
vente les titres de créances des créanciers de l'Etat, aussi bien que les
assignats. C'était une colossale opération financière. Il faut noter pour la
bien comprendre que Talleyrand la proposa en juin, c'est-à-dire à un moment
où l'Assemblée avait voté l'émission de quatre cent millions d'assignats mais
n'avait pas voté encore l'émission plus hardie qui ne fut décidée qu'en
septembre. Comme on hésitait encore à accroître le nombre des assignats,
Talleyrand tournait la difficulté en admettant au paiement des biens
nationaux toutes les créances sur la Nation. Du coup
il était certain que la totalité du domaine ecclésiastique serait vendue.
C'est là sans doute l'avantage décisif qui déterminait Talleyrand ; et c'est
pourquoi aussi l'abbé Maury s'éleva avec violence, contre la motion de
l'évêque d'Autun. Il l'accusa insolemment d'être le complice d'un coup de
Bourse et de chercher simplement à relever le cours des créances. Au
fond, l'opération de Talleyrand aurait rendu inutile la création de nouveaux
assignats ; mais peut-être eût-elle discrédité les assignats privés ainsi du
gage exclusif qui faisait leur valeur. Talleyrand ne cachait pas que son
opération avait pour but, non seulement de hâter la vente des biens
nationaux, mais aussi de relever le crédit de l'Etat, en faisant des créances
sur l'Etat un moyen direct et privilégié d'acheter les domaines mis en vente.
Mais il ne cachait pas non plus que sa motion avait pour objet de transmettre
les biens d'Eglise à la bourgeoisie riche, créancière de la Nation. Bien
loin de désirer comme la majorité de l'Assemblée, la multiplication des
petits propriétaires pauvres il souhaitait, dans l'intérêt de l'agriculture,
que les domaines nationaux fussent acquis par -des propriétaires riches
capables d'améliorer les fonds par des dépenses productives : « Qui peut
douter, disait-il, qu'il ne soit très avantageux pour l'agriculture que les
campagnes soient le plus possible habitées par des propriétaires aisés ? Et
lorsque les administrateurs doivent être pris dans les campagnes, n'est-ce
pas un nouveau motif pour y répandre des hommes à qui leur aisance et leur
éducation auraient donné le goût pour l'étude, de l'aptitude au travail et
des lumières à répandre ? » Ainsi
il se préoccupait, en cédant les terres à la bourgeoisie créancière, de
constituer dans les campagnes, aussi bien pour la direction politique que
pour le progrès économique, de solides cadres bourgeois. L'Assemblée
n'entra pas dans ces vues ; et elle réserva aux assignats l'hypothèque des
biens nationaux. Mais elle ne tarda pas à voir que toutes ces velléités de
démocratie étaient peu conciliables avec la nécessité de payer vite les
créanciers publics. Et en novembre 1790, elle réduisit à quatre ans et demi
le délai de douze années accordé par le décret' de mai pour le règlement des
biens nationaux[1]. De plus, elle dut recommander
aux municipalités de ne pas morceler les corps de ferme mis en vente. Comme
l'avait prévu Polverel, dans le vigoureux discours que j'ai cité tout au
début, c'est du côté de la bourgeoisie, de la richesse mobilière
qu'inclinaient forcément les ventes. LES CATÉGORIES D'ACQUÉREURS Quelle
fut, en fait, la répartition sociale des biens nationaux ? On ne pourra le
dire avec une entière certitude tant que les registres de vente n'auront pas
été dans tous les départements, explorés et analysés. J'ai consulté plusieurs
documents : le bref relevé fait par M. Guillemaut dans son histoire de la
Révolution, dans le Louhannais ; l'intéressante étude de Loutchisky sur la
vente des biens nationaux dans le Laonnais et le Tarasconnais ; celle de M.
Boris Minzès sur les ventes en Seine-et-Oise ; l'étude de Legeay sur les
biens nationaux dans la Sarthe, et surtout la publication récente de M.
François, Rouvière, sur l'aliénation des biens nationaux dans le Gard. C'est
la liste complète des acheteurs de biens nationaux avec la qualité sociale de
l'acheteur, la date et le prix de la vente. MM Loutchisky et Minzès nous
apportent des résultats, très précieux à coup sûr, mais qu'on ne peut
contrôler qu'au prix d'un travail énorme dans les archives. La
publication de M. Rouvière permet à chacun d'analyser et de conclure. Je m'y
référerai donc très souvent. M. Minzès est arrivé, pour le département de-
Seine-et-Oise, aux conclusions suivantes. Dans le district de Versailles, il
a été vendu 23.036 arpents, cinquante perches de terre. Là-dessus, la
population non agricole, bourgeois de Versailles ou de Paris, employés,
notaires, députés, marchands, industriels, a acquis 20.249 arpents, 14
perches : un peu plus des six septièmes. Les acheteurs d'origine agricole
n'ont acquis que 2.157 arpents, un peu moins d'un septième. Dans le district
de Dourdan, sur 16.651 arpents vendus, la population non agricole, la
bourgeoisie urbaine a acquis 13.662 arpents, plus des six septièmes, et il ne
reste pas tout à fait un septième, 2.253 arpents, à la population agricole.
Dans le district de Mantes, sur 7.701 arpents, 5.898, près des six septièmes,
sont acquis par la population non agricole ; il ne reste guère qu'un
septième, 1.803 arpents à la population agricole. Au total, sur 46.789
arpents vendus, les bourgeois de Paris ou des villes et bourgs des districts,
ont acheté 39.809 arpents ; il n'est resté que 6.314 arpents aux habitants de
la campagne. L'action de Paris se fait, il est vrai, puissamment sentir ; ses
bourgeois acquièrent à eux seuls 45.317 arpents. Parmi
les acheteurs urbains, Minzès relève constamment la mention : juge de paix,
négociant, marchand de vin, de fer, de drap, de bois, boucher, député,
vannier, maître de poste, tailleur d'habits, vivant de son revenu, arpenteur,
rentier, notaire, avocat, aubergiste, garçon d'écurie, perruquier, argenteur,
voiturier, taillandier, receveur du district, procureur général syndic,
membre du département ou du district, cordier, maçon, mégissier, entrepreneur
de manufacture, banquier. Et
qu'on n'imagine pas que la division des biens mis en vente entraîna une
division de la propriété ; le même acheteur acquit souvent de très nombreuses
parcelles. Ainsi, Girault, André-Louis, bourgeois de Versailles, acheta 20
arpents en 10 parcelles ; Louis-François Le Pelletier, bourgeois de
Versailles, acheta 33 arpents en 17 parcelles ; Le Grand, bourgeois de
Versailles, acheta 41 arpents en 23 parcelles ; Philippe Feuillet,
administrateur du district, acheta 175 arpents en 63 enchères différentes ;
Mouget, notaire à Versailles, acquit en 29 achats 713 arpents, parlai
lesquels figuraient trois fermes pour 532 ; Oberkampf, entrepreneur de
manufacture, acquit en 57 enchères 625 arpents, où étaient compris deux
fermes, représentant 546 arpents et 47 parcelles d'un arpent. Un négociant de
Versailles acquit en 32 parcelles 252 arpents, y compris une ferme de 147 ;
Théodore Maupin, architecte, acquit en 28 parcelles 369 arpents, y compris
une ferme de 189. Ainsi
le plus souvent, au moins dans cette région, il ne servait à rien aux paysans
que les lots fussent très morcelés. Telle était la puissance d'achat de la
bourgeoisie qu'elle reconstituait les grands domaines qu'on ne livrait que
subdivisés à l'adjudication. Dans tout le département de Seine-et-Oise, les
paysans sont brutalement écartés. Mais il faut se souvenir qu'une grande
partie de la richesse bourgeoise était accumulée à Paris, et c'est évidemment
dans la banlieue de Paris que la bourgeoisie achète le plus. Il
résulte des études de Loutchisky, que dans l'Aisne et particulièrement dans
le Laonnais, la bourgeoisie acquit de 40 à 45 p. 100 de la terre mise en
vente ; le reste se partagea entre les cultivateurs proprement dits et cette
petite bourgeoisie ou « artisanerie » de village, qui a une fonction sociale
assez mêlée ; le cordonnier, le tailleur sont en même temps propriétaires
d'un champ qu'ils cultivent de leurs mains après avoir coupé le drap ou le
cuir. Loutchisky a étudié avec soin les associations d'acheteurs formées par
les paysans en vue d'acquérir des domaines qu'un seul d'entre eux n'aurait pu
acheter. Il en relève un assez grand nombre dans le nord de la France, dans
le Pas-de-Calais, la Somme, particulièrement dans l'Aisne. Elles étaient
composées de laboureurs, de manouvriers, d'artisans. Elles comptaient 20, 30,
40, parfois 60 et 100 membres, tout un village s'associait pour ne pas
laisser échapper une belle terre longtemps admirée par tous, et qu'un
bourgeois de la ville aurait achetée sans cette coalition paysanne. Mais
qu'on ne s'y trompe pas, il n'y a pas là une ébauche de communisme, une
association en vue d'exploiter le domaine ; les acquéreurs le morcelaient
ensuite et le répartissaient suivant les ressources de chacun d'eux, et plus
d'une fois, les plus habiles, les plus aisés acquirent peu à peu la majeure
partie du domaine. Et qu'on n'exagère pas non plus la part de propriété où
les paysans purent parvenir ainsi, ces achats par association ne paraissent
représenter qu'une très faible partie des opérations sur les biens nationaux. Dans
l'ouest aussi, comme le marque le livre de Legeay, c'est la bourgeoisie des
villes qui eut la plus grande part ; les achats faits par les bourgeois du
Mans notamment, sont considérables. M.
Guillemaut, pour le Louhanais, n'indique pas la proportion des achats faits
par les bourgeois et par les cultivateurs ; il est évident, par l'énumération
qu'il fait, que beaucoup de bourgeois de campagne et aussi beaucoup de
laboureurs, c'est-à-dire de propriétaires de terres à blé, se portèrent
acquéreurs de biens nationaux. Il me paraît très probable que la part des
cultivateurs est d'autant plus grande en chaque région que la ville qui en
est le centre a une activité moindre ; la concurrence immédiate de la
bourgeoisie s'exerçait moins. La proportion des achats faits par les
bourgeois en Seine-et-Oise, dans le voisinage de Versailles et de Paris, est
si forte que je ne donnerais pas une sensation exacte de la grande opération
révolutionnaire, si je ne citais pas en contrepartie le tableau fait par
Guillemaut, si chargé de noms qu'il soit. « A
Louhans, les acquéreurs de biens provenant de l'Eglise, des chapelles de la
Familiarité, furent nombreux. Nous voyons dans le nombre, dès le commencement
de 1791, le maire de Louhans, Laurent Arnoux d'Epernay adjudicataire de
plusieurs fonds de terre et de près de Louhans et dans les environs ; Antoine
Mailly, député à l'Assemblée Constituante, acquéreur de plusieurs prés des
Familiers de Louhans, aux Fleurs et en la prairie de Gruay, du champ de la
chapelle Sainte-Anne ; J.-B. Lorin, citoyen de Louhans, de la prairie de
Louhans ; Joseph-Marie Guigot, de terres et prés à Louhans, à Sainte-Croix ;
Claude Legros, Pierre Martin, aubergiste ; Prat Philippe, acquéreur du pré de
la Verne à la Familiarité de Louhans ; Claude et Laurent Roy, Claude
Chamussot, laboureurs, et d'autres encore, artisans, menuisiers, acquéreurs
de terres et principalement aux Familiers ; Jean-Baptiste Jeannin, citoyen de
Louhans, est acquéreur des matériaux et des terrains de la chapelle
Notre-Dame de Lorette. « Mailly
acquiert d'autres prés aux environs, le grand pré de Châteaurenaud à la
Familiarité de Louhans, en la prairie de Seugny, le domaine de la cure de
Châteaurenaud (31.200 francs, mai 1791) ; plusieurs laboureurs, les Badant, les Roy, etc.,
sont aussi acquéreurs de divers fonds sur Châteaurenaud. « De
nombreuses soitures de pré en la prairie de Branges, appartenant aux cures de
Branges, Savigny-sur-Seille et à la Familiarité de Louhans sont adjugées à
Philibert Tissot, juge de paix du canton de Louhans (4 soitures,
3.800 francs) ; à
Claude Grillot, prêtre, vicaire de Branges ; à Claude Bert, du Juif,
administrateur du district et bourgeois ; à des cultivateurs, à des marchands
: Bouveret, Renaud, Mercey, Marillat, etc. « Louis-Gabriel
Debranges, ancien maire de Louhans, procureur-syndic du district, acquiert, à
la Chapelle-Naude, le domaine et les prés dépendant de la cure de la paroisse
; Pierre Moray, un domaine ; François Buguet, avoué à Louhans, le pré du
Fauchet et d'autres fonds. « Laurent
Arnoux est aussi acquéreur à la Chapelle-Naude ainsi qu'à Bruailles ; divers
laboureurs, Vincent, Guigny, Plety, Guillet, Serrand, acquièrent des fonds de
terre et des prés à Bruailles. « Claude
Catron, marchand à Louhans, achète à Montagny des fonds dépendant des Minimes
de Chalon, l'étang Promby dépendant de la cure de Montagny ; Louis Guillemin
et divers cultivateurs achètent des prés et des terres à Bruailles. « Joseph
Carillot, marchand à Ratte, y achète le pré de la Chaintre, de la cure. • « Pierre
Guerret de -Grannod et J.-B. Lorin, sont acquéreurs, à Sornay, de terres et
de prés dépendant de la cure ; de même, Nat François-Philippe, le pré de la
Verne ; Philibert Grillet, docteur en médecine à Louhans ; David, homme de
loi ; Antoine Boutelier ; François Forest et Benoît Marillat, marchands à
Louhans ; Philibert Debost, négociant à Louhans — cinq soitures en la rue aux
Loups, à Sornay, 2.800 francs, et six autres soitures acquis de la
Familiarité de Louhans, 4.100 francs — ; Claude Carré, le pré du Prieuré ; et
divers cultivateurs : Bailly, Fichet, Devesures, Meier, Carré... d'autres
fonds de terre et prés ; Lassur, curé de Sornay ; achète des champs dépendant
de la cure dudit lieu. « A
Saint-Usuge, divers fonds dépendant de l'abbaye de Saint-Pierre et des
Minimes de Chalon sont achetés par des propriétaires, marchands, cultivateurs
: Charles Guillemaut, marchand ; Claude et Louis Guillemaut, Lengacret, Petit
et nombre de laboureurs ; Louis Pugeaut, de Cugny, achète à Charangeraux des
terres et prés provenant de la cure de Saint-Usuge ; Charlotte Petit, veuve
de Guillemaut, achète une maison et un fonds provenant de la cure, et
conjointement avec Piquet, de Cuisery, un étang à Long-le-Bief ;
Louis-Gabriel Debranges, l'étang des Renardières. « Claude
Petit est acquéreur, à Vincelles, de fonds dépendant de la cure de
Saint-Usuge et de la Familiarité de Louhans. « Duvernoy,
Guigner, Gauthier, Acry, Berthaud, Jourenceau, Maublanc, sont acquéreurs, à
Bruailles, de moulins, terres, prés, étang. « Claude
Bert, négociant à Juif, est acquéreur des terres, prés, à Juif ; Menteret,
ainsi que Joseph Chaux, Claude Carré. « François-Paul
Beuverand acquiert, à Juif, divers fonds, terres, prés, bois. «
Bouveret, des terres et des prés à la Frette. «
Nathez, un domaine à Verissey ; Sarset, des terres, prés, bois, dépendant de
la cure de Saint-Vincent ; Antoinet, administrateur du district, etc. » Claude
Rebillard, notaire à Simard, et Balthazard Rébillard, administrateur du
district, acquièrent, à Simard, un domaine (20.100 livres), une maison (3.500
livres), un jardin et d'autres fonds, terres, prés. Michel,
curé de Savigny-sur-Seille, se rend acquéreur de terres et de prés provenant
de sa cure. Antoine-Philibert
Duchesneau, notaire à Louhans, est acquéreur aussi à Savigny-sur-Seille, de près,
de terres et du champ d'Ezy (au hameau d'Arcés), qui dépendent aussi de la cure de Savigny. Delore,
curé de Bantanges, est acquéreur de plusieurs fonds de terres. Nous voyons
ainsi un certain nombre de curés être acquéreurs dans leurs paroisses. Claude
Vincent est acquéreur, à Mancheuil, du domaine de la Cure (17.000 livres) et d'un autre domaine
appartenant à la chapelle Loisy (6.750 livres). Plusieurs fonds sont adjugés à
divers laboureurs, des prés des Arcegeaux à Beudies. Une
vigne et un pré dans le clos attenant à la cure de Mentpent, sont acquis par
J.-A. Lorin — un bourgeois de Louhans déjà acquéreur — ; le pré de la Serve
par Th. Lorin. Dans la
même paroisse, un champ appelé aussi .la Maladrerie, à Sainte-Croix, est
acheté par Billard. Plusieurs
terres provenant du bénéfice de la cure de Sainte-Croix sont achetées par
Claude Loisy et son fils Jean. Joseph-Marie
Guigney achète des terres et des prés dans la même paroisse, ainsi que J.-B.
Lorin, de Louhans. Différents
fonds, terres, vignes, des champs, dépendant du chapitre de Cuiseaux. ou des
Chapellenies de l'Eglise, sont achetées par C.-L.-M. Puvis, qui est également
acquéreur à Champagnat, ainsi que Revelut, maire de cette commune. J.-B.
Moyne, juge du tribunal du district de Chalon-sur-Saône, Colin, Comte,
Convert, Dommartin, Galliou, Mouliez d'Ellesiey ; des laboureurs, vignerons,
et aussi l'ancien maire de Cuiseaux, ancien seigneur Etienne-Jean Noyme, qui
acheta les terres dites en Gratte-Loup. Puvis
aîné achète le domaine de la Broye, à Cuiseaux, et ses dépendances,
appartenant aux Chartreux de Vaucluse (26.000livres). Désiré
de la Maillauderie, prêtre, est aussi acquéreur de terres et de prés à
Cuiseaux. Des
marguiliers, Claude Roussel, etc., sont acquéreurs de différents fonds. Des
terres, des vignes, des prés, sont vendus à Mathias Cham-baud, Joseph
Tamines, le docteur Bressan Jean, Louis Vairet, François Meunet, François
Greslon, Puvis aîné, Désiré Therel, etc. Claude-Joseph
Arnoux, citoyen de Louhans, achète pour 1.225 livres, le 31 décembre 1791,
les matériaux de la chapelle Notre-Dame et son emplacement, à Cuiseaux. Guerret
de Grannol est acquéreur, à Condal, de champs et prés provenant de la cure de
cette paroisse, ainsi que Thoisy, Bavolet, Pirat. Joseph-Adrien-Alexandre
Debranges, citoyen de Louhans, est acquéreur de domaines, prés et bois, à
Dommartin. Pierre
Revel, de Louhans, achète 11.638 livres le domaine des Crozes, à Frontenaud. Allet,
Fricot, Serraud, Oudot, sont acquéreurs, à Flacey, de terres et de prés
dépendant de la cure de Flacey, de la cure de Beaumont et du prieuré du
Meynal. A
Varennes-Saint-Laurent, les acquéreurs sont : Emmanuel Des-glands, pour des
prés dans la prairie dépendant de la cure ; Pierre-Joseph de la Maillanderie,
pour des bois ; François-Joseph Mesmet, curé de Varennes, pour un pré ; et
pour d'autres fonds, François-Philippe Lyonnais, meunier à Montjouvent,
Benoît Vitte, marchand au bourg de Varennes, etc. Au
Miroir, les biens de l'Abbaye eurent de nombreux amateurs. Nous voyons Claude
Larmagnac, commissaire du roi près le tribunal de Louhans, acheter le domaine
de la Grange de Villeneuve (18.000 livres), des étangs, des bois. Claude-Louis-Marie
Puvis, de Cuiseaux, achète un petit domaine, au Miroir, (9.000 livres), le gros domaine de Milleure, à
Frontenaud, (18.000 livres), provenant aussi de l'abbaye du Miroir, plusieurs étangs, des
prés, des terres, des vignes en provenant également. Louis-Jean-Marie
Lorin, de Louhans, acquéreur de la Tuilerie du Miroir et du domaine de la
Tuilerie, de prés, de vignes et aussi de terres dans les cantons de Louhans
et de Montpont ; François-Elysée Legras, de Louhans, aequéreur du petit
domaine de Milleure (16.600 livres) ; Armand-Hilaire Janin, acquéreur d'un moulin
dépendant de l'abbaye (12.800 livres) ; Bouchard, acquéreur pour lui et d'autres, de
terres, prés et de plusieurs étangs ; Pierre Maisonnilla, laboureur au
Miroir, acquéreur du domaine de la Petite Grange de Villard (17.000 livres,
avril 1792) ;
Benoît Michatid, acquéreur de la Grange des Combes ; Godefroy François, de la
Grange du Bois ; Arsène Godefroy, d'un autre petit domaine encore du Miroir ;
J.-B. Moyne, juge au tribunal de Louhans, de plusieurs étangs, laiteries,
dépendances de l'abbaye ; Joseph Boisson, administrateur du district,
acquéreur du pré de la Gacille, au Miroir ; Doumartres, de Frontenaud,
acquéreur de plusieurs pâtures de prés ; le maire du Miroir, Berthaud,
acquéreur également ; les Villauchat, Thielland, acquéreurs de prés de
l'abbaye, ainsi que des fonds dépendant des cures de Cousances, Couisat et
Diguat. A Sagy,
le curé Michel Caburet figure parmi les acquéreurs, pour des prés qui
dépendent de la cure ; Claude Larmagnac, de Louhans, est aussi acquéreur de
plusieurs pâtures ; de même J.-B. Lorin, Rubin, Thomas, Roy, Pousot. A
Savigny-en-Revermont, Alexandre Guillemin, notaire à Beaurepaire, Claude
Guillemin, chirurgien à Savigny, Théodore Durand, Augustin Gréa, Ch. Oudot,
Reullier, Pageaut, Foulène, Martin, Bretin, Petitjean, Roy, Catin.., sont
acquéreurs de terres et prés dépendant de la Familiarité et des chapelles de
l'Eglise. Il y a
aussi de nombreux acquéreurs pour des prés en la prairie Sous-Bonnet,
propriétaires ou cultivateurs de Savigny ou des communes voisines ; Reulhier,
de Savigny ; Mathieu, de Beaurepaire, Guichard, de Saillenard ; Couillerot,
de Nalte. Des
terres, prés, bois, situés au Fay, dépendant de la cure, ont pour acquéreurs
de nombreux habitants, la plupart laboureurs, Breton, Buchin, Couillerot,
Grévet, Guillemaint, Mazier, Paris, Prudent, Roy, Tribert, Vincent...
Pierre-Marguerite Guerret est acquéreur d'étangs. Druchon,
laboureur à Frangy, est acquéreur de la Terre-aux-Prêtres ; Petit, Moureau,
Gacon, Robelin, sont acquéreurs de fonds divers ; Melchior Martin, juge de
paix du canton de Saint-Usuge, acquiert un pré au marais de Charnay. Pierre
Legras, homme de loi à Louhans, est acquéreur de prés à Coudes, dans la
paroisse de Sens. Collinet
est acquéreur au Planois. A
Bosjean, Courdier, Pacaud, etc., sont acquéreurs. Denis
Courdiec est acquéreur, au Tartre, d'une terre dépendant de la cure de
Bosjean. Charles-Joseph
de Scorailler, un noble résidant à Paris, est acquéreur de domaines, terres
et prés, à Saint-Germain-du-Bois ; à Louhans, Dodet, Gaillard, sont aussi
acquéreurs de fonds à Saint-Germain-du-Bois. Les
Mercey sont acquéreurs de biens de la cure de Dicerin. Des nobles, grands
propHétaires pour la région, les Fyot de la Marche et de Dracy, achètent des
fonds à Dorange. A
Mervans, il y a de très nombreux acquéreurs : Truchot et Boisson,
administrateurs du district, Cretin, Bon, Guillemin, Mercey, Douriaud,
Robelin, Riboulet, Desbois, Doussot, Chalumeau, etc. Léger, curé de Mervans,
est acquéreur aussi de terres qui dépendaient de sa cure. Des
fonds de terres et prés dépendant de la cure de Thurey sont acquis par
divers, Relillard, etc. Dans les communes comme Thurey, qui ne faisaient pas
encore partie du district, la vente eut lieu à Chaton, chef-lieu du district
auquel appartenait la commune. Du côté
de Pierre, à Authumes, les terres et près provenant de la cure, sont acquis
par plusieurs : Bergerot, Bouveret, Bon, Charritz, Perrot, Rajot, les Auger,
Tupimes. A la
Chapelle-Saint-Sauveur, les Massin, les Jacob, les frères Chaudat et d'autres
encore, Mauchamp, Pouget, sont acquéreurs de plusieurs fonds, terres, prés,
étangs, dépendant de la cure ou de celle de Pierre-de-Curé ; J.-F.
Offand-Nienden est acquéreur de prés. A
Montjay, le maire Pierre Picard, plusieurs laboureurs : Brunet, Messager,
Michelin... sont acquéreurs de terres et de prés de la cure de la Grant et de
la cure de Mentpas. A
Bellevesvre, les acquéreurs sont : Edme et François Lesne, Guyennet, maire de
Pieu, Guerret de Granney, Cordelier, Gaspard, Brunet, etc. A
Mouthier, des laboureurs : Richard, Pémerez, Meunet, Jandot, Rosain, Larière,
Girardot, Chapuis, Micounet, sont acquéreurs de fonds de terre et de prés,
provenant des fermes du Prieuré. Le maire, Claude Rebouillat, est parmi les
acquéreurs, ainsi que le curé Jean-François Girardet ; mais la plupart des
terres dépendant de la vieille abbaye de Moutiers, deviennent la propriété de
simples laboureurs. A
Torpes, les fonds dépendant de la cure et des missionnaires de Beaupré sont
acquis par François et Denis Bornel, laboureurs, François Lesnes, François
Magayes, Macrin, Claude Cordelier, le curé de la Chapelle-Saint-Sauveur,
François Offand-Nienden, et aussi le curé de Torpes, Commes. A
Pierre, les meix, terres, vignes, dépendant de la cure de Pierre et de celle
de Loup, de la Familiarité de Bellevesvre, ont pour acquéreurs : le juge de,
paix Arvent, Guyennet Bonaventure, Jean Cordelier, Désiré Dromard, Denis
Mounet, François Auvart, Sarcice, Jean Chrysostome. Plusieurs
biens provenant de bénéfices de la cure de Frontenard, sont acquis par
Franon, chirurgien à Frontenard, Arsent, juge de paix à Pierre, Noirot, à
Mervans. Jean
Cordelier, administrateur du département de Saône-et-Loire, achète à
Fretterans des fonds de terre et prés dépendant des cures de Fretterans,
Authumes, Neublans. Les
terres, dépendant de la cure de Charette sont achetées par Poquerat et un
domaine à Varennes-sur-le-Doubs, dépendant des Minimes de Chalon, par André
Petiot ; des terres, bois, étangs, prés, sont acquis par plusieurs
cultivateurs : Guillemin, Jouvenceau. Les
biens provenant du chapitre de Saint-Pierre-de-Chalon, sis à Saint-Dounet,
sont acquis par un habitant de cette commune, François Lhuillier,
administrateur du district ; des terres, des prés, sont acquis par
Cheveaux-Petit, Simerey, Limegey, Genot, Charton, etc. Près de
Cuisery, les fonds sont achetés par divers propriétaires ou simples
cultivateurs : François-Ignace Picquet, de Cuisery, Claude Royer, Cl.
Maréchal, Basset, Bernard, Caradet, Colas, Domy, Garnier, Perret, Petitjean...
sont acquéreurs de terres, prés, bois, vignes, dépendant de la cure de Loisy.
A Huilly, Cretin est acquéreur du domaine de la cure. Le domaine de la cure
de Molaise — village plus tard réuni à Huilly —, est vendu 8.000 livres à
Denis Lombard, laboureur à Molaise. Un domaine dépendant de la cure de Rancy,
ainsi que des prés, sont acquis par Mazoyer ; un autre pré à Rancy est acquis
par Maistre, curé de cette commune. Des terres et prés des cures de
Jouvenson, Brienne, la Genête, sont acquis par Boivier, Cadot, etc. ; des
terres et prés de la cure de Simandre, par Nivet, Galopin, Terrier, etc. ;
des terres et prés de la cure de l'Albergement, par Janin, Charlot, etc. A
Cuisery, une maison, des prés ; au chapitre de Cuisery ou à l'abbaye de
Lancharre, sont acquis par Curillon, Pent, Michaud, etc. » Je ne
m'excuse pas d'avoir reproduit cette longue énumération, car il m'a semblé,
en la transcrivant, assister au prodigieux fourmillement des ventes. Il faut
que le prolétariat, dans l'étude du passé comme dans celle du présent, sorte
des formules générales et connaisse l'exacte réalité. Gardons-nous de
conclure du tableau dressé pour le district de Louhans à toute la France, car
nous sommes ici dans une région essentiellement agricole et où la ville de
Louhans n'a qu'une faible puissance et n'exerce qu'une médiocre attraction.
Mais pour les régions du même type nous pouvons dégager quelques conclusions
intéressantes. D'abord
il est clair qu'il y a eu, dès la fin de 1790, en 1791 et 1792, un mouvement
très vif d'achat : la propriété de l'Eglise a été absorbée presque toute
entière en quelques mois ; et comme cette propriété était multiple et
disséminée, comme il n'y avait presque pas de village, de hameau où l'abbaye,
la cure, le prieuré, le bénéfice n'eussent quelque pré, quelque bois, quelque
vigne, quelque terre ou quelque étang, il n'y a pas un point de la France
rurale qui n'ait été touché par cette immense opération. Partout
la convoitise et l'orgueil, la passion du gain et celle de la liberté ont
vibré. Ce mouvement si vif, si rapide, si étendu, a créé, d'emblée, des
résultats irrévocables. Comment abolir une Révolution qui s'était insinuée
dans les intérêts de tant de familles ? Car ce
qui frappe d'abord, c'est le grand nombre des acheteurs ; comme les
déclamations de l'abbé Maury, dénonçant l'accaparement prochain de tout le
domaine ecclésiastique par quelques milliers de financiers et d'agioteurs
juifs, genevois, hollandais, sont démontrées vaines ! La Révolution n'aurait
pas résisté un jour s'il en avait été ainsi. A coup sûr, la masse des
travailleurs ruraux, des prolétaires paysans n'est pas élevée à la propriété.
Elle ne pouvait l'être par une opération qui était essentiellement une vente
; elle ne le sera que par la grande transformation communiste de la
propriété. Mais
très variées sont les catégories sociales qui achètent les biens d'Eglise.
Ces achats ont presque tous un caractère local. C'est par des laboureurs de
la paroisse, par des marchands du bourg, par des bourgeois de la ville
prochaine, que les terres sont acquises. M. Guillemaut ne signale pas
l'intervention d'un seul étranger. Quand ce ne sont pas des cultivateurs de
l'endroit, ce sont des bourgeois de Louhans ; les terres ne sont pas
absorbées par des spéculateurs venus de loin, elles sont achetées par ceux
qui, depuis des générations les avaient contemplées, traversées, désirées.
C'est par une substitution sur place que se fait la révolution de la
propriété. Et il y
a évidemment dispersion de la propriété ; même les bourgeois les plus riches
n'acquièrent pas tout le domaine d'une abbaye ; ce domaine d'ailleurs
composite, se divisait en ses éléments, et chacun de ces éléments a un
acquéreur distinct, au moins d'une façon générale. Le
lecteur a certainement noté au passage que beaucoup d'administrateurs
municipaux, ou du district, ou du département, étaient acquéreurs ; les
fonctionnaires élus de la Révolution s'engageaient ainsi à fond, de leurs
intérêts, de leur personne même, dans le mouvement, et on prévoit dès
maintenant qu'ils suivront la Révolution jusqu'au bout, qu'ils la défendront,
par tous les moyens, contre tout retour offensif qui menacerait leur
propriété nouvelle. Nombreux
sont les « laboureurs » c'est-à-dire les propriétaires de terres à blé ou les
fermiers de grosses fermes qui ont acheté de la terre dans le Louhanais. Si,
dans l'ensemble de la France, la bourgeoisie seule avait acheté, si partout
les paysans avaient été aussi violemment écartés que dans les environs de
Paris où débordait la puissance bourgeoise, la bourgeoisie révolutionnaire
n'aurait pas été soutenue par les paysans. Mais
les familles des cultivateurs aisés ont assez participé aux ventes pour que
la solidarité révolutionnaire des bourgeois et des paysans se nouât au plus
profond du sol comme des racines qui s'enchevêtrent. Et c'est cet
enchevêtrement profond des intérêts qui a rendu la Révolution indestructible. Mais il
me semble, autant qu'on en puisse juger par une énumération où ne figurent
point des chiffres, que même dans cette région agricole du Louhanais, c'est
la bourgeoisie qui a la plus grande part. Qu'on se rappelle tous les
bourgeois de Louhans et tous les bourgeois des bourgs qui nous avons vu
défiler, maires, députés, juges de paix, notaires, avoués, rentiers,
marchands ; qu'on se rappelle que plusieurs d'entre eux, comme Arnoux, Puvis,
Lorin, ont acheté des terres et des prés dans un très grand nombre de
paroisses, on conclura, sans doute, que s'il n'y a eu ni accaparement, ni
simple substitution de la bourgeoisie à l'Eglise, du moins la bourgeoisie,
même en cette contrée où elle n'était pas particulièrement forte, a acquis au
moins autant, et sans doute plus que le paysan. Dans le
Gard, où la bourgeoisie commerçante et banquière d'Alais, d'Uzès, de Mmes
surtout, est plus riche et plus puissante que celle du Louhanais, la
proportion des achats bourgeois aux achats paysans, est beaucoup plus élevée.
Le livre de M. François Rouvière, dont j'ai déjà parlé, contient la liste des
acheteurs pour les biens de seconde origine, c'est-à-dire les biens des
émigrés et les biens patrimoniaux des communes, comme pour les biens de
première origine, c'est-à-dire les terres d'Eglise et les biens de la couronne.
Mais les biens des émigrés ne seront mis en vente que plus tard, par la loi
du 8 avril 1792. Je ne parle en ce moment que des biens de première origine. Ce qui
frappe ici tout d'abord, c'est le grand nombre des acheteurs ; il y en a,
pour les biens de première origine, pour le département du Gard, 2.699. Ces
achats s'étendent sur plusieurs années, mais les plus nombreux et les plus
importants eurent lieu dès 1791 et 1792. Ici aussi, il y eut donc un
mouvement très rapide à la fois et très vaste. Ce qui
frappe en second lieu, c'est le très grand nombre de lots de très petite
valeur ou de valeur médiocre, accessibles ainsi, semble-t-il, à des acheteurs
pauvres ou modestes. Voici,
par exemple : « une olivette-mûrier de 545 livres ; une chènevière de 390
livres ; une terre de 535 livres ; une terre de 375 livres ; un bâtiment de
93 livres 10 sols ; une terre dite la grande terre de 1.225 livres ; une
maison de 1.600 livres ; une de 2.172 livres ; une terre de 3.100 livres ;
une de 1.050 livres ; une vigne et terre de 3.900 livres ; une terre de 8.250
livres ; une aire de 130 livres ; une garrigue de 1.825 livres ; une terre de
400 livres ; une de 3.000 livres ; une maison avec écurie, grenier à foin,
jardin, de 2.335 livres ; deux terres mûriers de 410 livres ; terres mûriers
de 3.100 livres ; une maison et des terres de 4.000 livres ; une terre de 440
livres ; une de 5.200 livres ; une de 2.400 livres ; une vigne et bois de 525
livres ; une vigne-olivette et fruitier de 1.500 livres ; une terre de 86
livres ; six pièces de terre de 3.872 livres ; des terres de 3.050 livres ;
une terre de 2.950 livres ; une de 2.590 livres ; une de 1.500 livres ; une
de 2.550 livres ; un four banal de 1.800 livres ; un jardin et hangar de 49
:3 livres ; une terre de 1.625 livres ; une vigne-olivette de 665 livres ;
une terre de 2.700 livres ; une terre de 3.800 livres ; une terre et
vigne-olivette de 1.450 livres ; olivette de 565 livres. » Notez
que je relève ces exemples dans les 18 premières pages de la liste des
ventes, et il y a 392 pages, pour la liste des biens de première origine. Si
j'ouvre le volume au hasard, à la page 245, je trouve en suivant la liste des
ventes : « une terre de 5.200 livres ; un pré de 176 livres ; une terre de
1.200 livres ; une vigne de 200 livres ; une terre et un pré de 950 livres ;
une terre de 55 livres ; une terre de 450 livres ; une terre de 150 livres ;
un pré de 1.521 livres ; une vigne mûrier de 2.250 livres ; une terre de
2.400 livres ; une terre, une châtaigneraie, vigne de 3.100 livres ; une
maison de ferme avec terres, fermes, vignes, bois de chênes verts et
pâturages de 8.400 livres ; six pièces de 2.300 livres ; un jardin de 960
livres ; une terre de 1.500 livres ; une cuve vinaire de 642 livres ; une
maison de 1.100 livres ; une terre de 3.000 livres ; une terre de 1.050
livres ; une terre de 4.550 livres ; une terre et vigne de 440 livres 10 sols
; une terre de 675 livres ; deux prés de 12.338 livres ; une olivette de 104
livres ; une terre de 2.200 livres ; une terre de 7.800 livres ; un pâturage
de 5.300 livres ; une terre et pâturage de 5.050 livres ; un pâturage de
5.100 livres ; un de 5.000 livres ; un pré arrosable de 6.700 livres ; un pré
de 2.645 livres ; une terre de 12 livres ; une partie de maison de 4.125
livres ; une olivette de 375 livres ; une terre de 4.650 livres ; une terre de
6.800 livres ; plusieurs pièces de terre de 11.000 livres ; un bois et
pâturage de 49 livres ». Je
m'arrête à la page 255. Comme on voit, les petits lots abondent, et encore il
y a quelques-unes de ces ventes qui sont opérées. en l'an II et en l'an III,
quand déjà la valeur de l'assignat a énormément baissé ; le chiffre du prix
de vente est majoré d'autant. En fait, le domaine ecclésiastique était peu
cohérent, formé de pièces mal assemblées ; il se prêtait donc à une très
grande décomposition pour la mise en vente, et il semble encore une fois que
même les travailleurs pauvres et, en tous cas, les tout petits propriétaires
paysans pouvaient s'approcher des enchères. En fait, pour la partie des
ventes que j'ai citées, je vois parmi les acquéreurs des ménagers,
c'est-à-dire des propriétaires paysans travaillant avec leur famille leur
petit domaine ; des propriétaires ruraux, de petits villageois,
semi-artisans, semi-propriétaires. Mais il ne faut pas croire que même ces
petits lots sont tous acquis par de petits acheteurs. Bien souvent, ce sont
des bourgeois de la ville et des bourgeois riches qui achètent de tout petits
lots, soit qu'ils achètent en même temps de vastes domaines, soit qu'ils
veuillent agrandir ainsi les domaines déjà possédés par eux, soit qu'ils
acquièrent simplement un pied-à-terre. Ainsi,
dans la première partie des listes où j'ai vu tant de petits lots, c'est un
bourgeois, Aberlenc, accusateur public près le tribunal du district d'Alais,
qui achète l'olivette mûrier de 845 livres. C'est
un bourgeois, Achardy, homme de loi à Beaucaire, qui achète une terre de 374
livres. C'est un bourgeois, Agnel Jérémie, avoué à Alais, qui achète une
terre de 1.225 livres. C'est un bourgeois, Albert Thomas, négociant à Sauve,
qui achète une terre de 3.900 livres. C'est un bourgeois, Alméras Louis,
négociant à Lassalle, qui achète diverses terres pour 3.715 livres. C'est un
bourgeois, Alteirac Dominique, négociant à Alais, qui achète une terre pour
1.275 livres. C'est
un bourgeois, Authouard, juge de paix du Vigan, qui achète une série de
petits lots de 5.200 livres, de 2.400 livres, de 1.500 livres. C'est un
négociant de Nîmes, Archinard Jacques, qui achète les six pièces de terre
pour 3.872 livres, et encore une autre terre, pour 3.050 livres, est acquise
par Archinard Jean, de Nîmes. C'est un bourgeois d'Alais, Arnal, qui acquiert
le four banal de 1.800 livres. C'est un négociant de Sommières, Aubanel, qui
achète une vigne de 660 francs. C'est un négociant de Nîmes, Aubary Laurent,
qui achète une terre de 3.800 livres, etc., etc. Si je
prends plus bas, à la page 245, c'est un négociant d'Aramon, Jouve Joseph,
qui achète une terre de 5.200 livres. C'est un notaire de Sauve, Julien, qui
achète divers lots de terre de 2.750 livres, de 950 livres, de 220 livres, de
55 livres, de 450 livres. C'est Labeilhe André, négociant à Alais, qui achète
une vigne-mûrier de 2.250 livres. C'est un riche bourgeois de Sommières,
Lablache qui en même temps qu'il achète des lots de 225.000 livres et de
62.000 livres, achète une terre de 2.400 livres. C'est Laborie, receveur du
district d'Alais, qui achète une châtaigneraie et une vigne de 3.100 livres.
C'est le notaire de Vézenobres, Lacombes, qui achète la cuve vinaire de 642
livres. C'est
un riche bourgeois de Beaucaire, Lafont, qui, en même temps qu'un lot
important de 13.800 livres, achète des lots de 675 livres, de 2.338 livres,
de 104 livres, de 2.200 livres. C'est un patron boulanger, retiré des
affaires et propriétaire à Alais, qui acquiert toute une série de lots de
5.000 livres et de 3.000 livres, etc., etc. Il est
donc établi surabondamment que la division des lots aux enchères n'a pas eu
pour effet de les faire passer tous aux petits acquéreurs, aux travailleurs
paysans. Je crois que pour les lots au-dessous de 5.000 livres, plus de la
moitié ont été acquis par des bourgeois de la ville ou des gros bourgs. A plus
forte raison, est-ce la bourgeoisie des villes qui a acquis tous les lots
d'un prix élevé, tous les beaux domaines qui, ayant un vaste corps de ferme
central et formant une véritable unité d'exploitation, ne pouvaient être dépecés
pour les enchères. Voici,
pour reprendre à ce point de vue la liste des acquéreurs : Abauzit
Firmin, négociant à Alais, qui achète une terre pour 6.025 livres ; Abauzit
Jean, négociant à Uzès, qui achète pour 26.000 livres une remise avec grand
potager ; Achardy, boulanger à Beaucaire, qui achète le bâtiment du poids de
la farine pour 32.000 livres : Acquiec Fierre, cafetier à Nîmes, qui achète
une terre pour 9.042 livres ; Adam Edouard et Charles Michel fils, négociants
à Nîmes qui, avec Serres Jacques, vérificateur de la régie, acquièrent
l'évêché d'Alais pour 87.260 livres. Voici
Affourtit, banquier à Nîmes, qui achète des terres labourables, des prés et
un moulin du prieuré de Milhaud pour 136.000 livres ; Alazard Jean, cafetier
à Uzès, qui achète une maison pour 17.222 livres, une autre avec jardin pour
40.000 livres. Voici Allemand Antoine, bourgeois à Cavillarques, qui acquiert
le domaine de Malhac pour 132.000 livres. Voici Albert Jean aîné, officier
municipal de Montpellier et Sabatier Guillaume, demeurant à Paris, qui s'associent
pour acheter le magnifique domaine d'Espeiran, appartenant aux Bénédictins de
Saint-Gilles : terres, prés, herbages, roubine ayant sa prise d'eau au Rhône,
vignes, château, ménagerie — c'est-à-dire habitation des « ménagers »
—, cuves vinaires, cabanes pour les bêtes à laine, jardin potager légumier,
marais et bois tamaris, .et qui le paient 773.000 livres. Voici un bourgeois
d'Uzès, Amoreux, qui acquiert pour 17.425 livres, deux terres et un pré.
Voici Archinard Jean, négociant à Nîmes, qui paie 66.100 livres, le domaine
de Mérignargues, qui fut aux Frères prêcheurs. Voici Arnal- Fournier,
propriétaire à Nîmes, qui achète pour 30.000 livres, un jardin qui avait été
la propriété de l'ordre de Malte. Voici
un négociant de Marseille, Arnavon, qui achète 192.100 livres le domaine de
la Vernède (des Chartreux). Aubanel Louis, négociant à Nîmes, achète pour
96.000 livres, le domaine des Capelans (près Caissargues). Baumel, notaire à Bagnols,
achète 38.500 livres, le domaine des Imbres ; il achète 111.000 livres le
domaine de la Paillasse ; et avec cela des lots de terres de 4.800 livres,
450 livres, 3.750 livres, 8.200 livres, 3.060 livres. Associé avec deux autres
acquéreurs, Baumel achète encore le domaine du Talent, pour 82.300 livres ;
puis, associé à Joune, il acquiert un moulin à blé pour 45.000 livres ;
associé à Ladront, il acquiert le domaine de Rouveiran pour 40.000 livres. Baux
Esprit, riche bourgeois, acquiert pour 108.900 livres, le domaine du Four,
bois de garrigues sur la montagne du Four, et la moitié du troupeau. Bazilles,
homme de loi, agissant pour Bernavon Vital, négociant à Beaucaire, acquiert
une terre avec métairie pour 116.400 livres. M. de Beaune acquiert, pour
171.000 livres, une partie du domaine de la Simonette. Belgarric,
médecin à Pont-Saint-Esprit, acquiert une maison pour 6.100 livres. Belle
Carton, imprimeur à Mmes, acquiert une maison pour 29.500 livres. Si je
passe à la page 245, je relève ceci : Joyeux Louis, négociant à Nîmes, achète
le domaine du Luc pour 90.600 livres. Julian Pierre, -directeur des droits
d'enregistrement du département du Gard, acquiert .pour 70.000 livres, le
domaine de la Mourade verte. Labaume, riche bourgeois, acquiert pour 123.000
livres, un domaine sur l'une et l'autre rive du Rhône. Lablache, Louis-Joseph
Cadet, à Sommières, accumule les achats, soit pour son compte, soit au compte
de quelques riches commerçants. Il acquiert, en janvier 1791, une terre de
2.400 livres, en janvier 1791 une vigne et un pré de 15.000 livres, en
juillet 1793 une écurie et un grenier à foin de 62.000 livres ; en juillet
1793 un bois taillis de 12.110 livres ; le 8 thermidor an III une terre
appelée Cargnemion pour 225.000 livres ; le même achète un domaine consistant
en maison, écurie, moulin, terres labourables, vignes cléselles, garrigues, le
tout pour 2.000.000 de livres ; le 11 thermidor an III des bâtiments appelés
écorcheries, pour 80.000 'livres. Ce
Lablache est évidemment un de ces hommes d'affaires hardis qui achetaient,
revendaient, prenaient des commissions. Il déclare agir savoir : pour
Quinard, Berlou, Palias, négociants à Montpellier, notamment à l'occasion du
domaine de 225.000 livres et de celui de 2.000.000 de livres. Voici
Lafont, bourgeois à Beaucaire, qui achète des lots de 675 livres, de 15.800
livres, de 2.338 livres, de 104 livres, de 2.209 livres. Pour
n'être point accusé de dissimuler les achats faits par les Juifs, il faut que
je mentionne, à la page 163, Crémieux Said, marchand à Nîmes qui, en prairial
an II, acquiert pour 100.000 livres, le domaine de la Mourade, plus des lots
de 26.000 livres, 8.200 livres, 10.500 livres, 10.500 livres, 8.000 livres,
11.000 livres, 12.000 livres : peut-être Meyer Jean, négociant à Nîmes,
est-il aussi un Juif : il acquiert, en l'an V, un domaine pour 113.036 livres
et une maison pour 46.500 livres ; je ne relève pas (sauf erreur), d'autres
participations de Juifs aux achats dans le Gard, et il est même curieux de
noter que Crémieux Said n'achète qu'en l'an II. Au début et avant que leur
état civil fût définitivement constitué, les Juifs hésitaient sans doute à acheter.
En tout cas leur opération est presque négligeable dans cet énorme mouvement
de la propriété. Il me
parait inutile de démontrer par d'autres exemples que la grande bourgeoisie
de Nîmes, d'Alais, d'Uzès, a acheté une très grande partie du domaine
ecclésiastique : les noms et les faits abondent à chaque page du recueil de
M. François Bouvière. Et les gros bourgeois n'étaient point seuls à acheter ;
les petits bourgeois, petits marchands, petits fabricants, artisans aisés,
fabricants de bas, fabricants de molleton, postillons, menuisiers,
cordonniers, maréchaux-ferrants, fabricants d'eau-de-vie, mégissiers,
aubergistes, jardiniers, officiers en retraite, maçons, meuniers, vitriers,
serruriers, droguistes, coloristes, traiteurs, marchands-tanneurs,
facturiers, presseurs, voituriers, boulangers, perruquiers, libraires,
épiciers, forgerons, tonneliers, fabricants de poteries, chaufourniers,
rameliers, tisseurs de toile, blanchisseurs de coton, tuiliers, charcutiers,
officiers de santé, marchands de vin, régents d'écoles, faïenciers,
broquiers, bouchers, pharmaciens, traceurs de pierres, bourreliers, potiers
de terre, commis marchands, salpêtriers, chapeliers, couteliers, cabaretiers,
sabotiers, marchands d'allumettes, tailleurs d'habits, même un trompette de
Nîmes, qui achète une vigne-olivette de 425 livres, huissiers, charrons,
charpentiers, entrepreneurs, selliers, clédiers, teinturiers ; toute cette
petite bourgeoisie marchande ou artisane, de Nîmes, d'Alais, d'Uzès, de
Beaucaire, de Saint-Gilles, d'Anduze, entreprenante, hardie, vaniteuse,
multiplie ses achats ; quelquefois pour une somme assez ronde, le plus
souvent pour quelques centaines de livres. C'est à qui aura son pré, sa
vigne-olivette, son champ, sa petite maison, son jardin, son petit domaine
qu'on affermera au besoin si on ne peut le travailler soi-même. Il y a
évidemment une poussée extraordinaire de fierté bourgeoise : chacun veut
emporter un morceau du vieux domaine d'Eglise, prouver qu'il a quelque
épargne et qu'il peut acquérir, témoigner aussi, par un acte, de son
dévouement à la Révolution : et de toutes ces boutiques, de tous ces petits
ateliers, marchands et artisans sortent endimanchés pour aller aux enchères. Mais
que reste-t-il aux paysans, aux cultivateurs, aux travailleurs du sol quand
toute cette bourgeoisie des villes et des bourgs, grande, moyenne et petite a
acheté ? Des calculs que j'ai faits avec le livre de M. François Rouvière, il
résulte que les cultivateurs ont acquis tout au plus, dans le Gard, un
sixième des biens nationaux. Mais qu'on remarque ceci : parmi ces tout petits
bourgeois, parmi ces artisans et ouvriers de la ville et des bourgs, qui
achètent d'innombrables petits lots, beaucoup sont des paysans de la veille,
parents et alliés de paysans, et beaucoup de ces parcelles peuvent, par
héritage, revenir aux paysans eux-mêmes : c'est sans jalousie, c'est même
avec bienveillance, que les paysans devaient voir beaucoup de ces achats. Au
demeurant, s'ils n'ont eu qu'un sixième, si les gros achats faits par la
grande bourgeoisie, par centaines de mille livres ou même par millions de
livres, réduisent à cette proportion faible les opérations des paysans,
ceux-ci, n'ayant acquis que des lots modestes, sont encore très nombreux. Parfois
ils se sont associés, soit entre eux, soit même avec quelques artisans et
modestes bourgeois des bourgs, pour acheter un domaine. Ainsi, seize
acheteurs, tous de Pujaut, s'associent pour acheter le 16 mai 1791, 525
livres une terre de la Chartreuse de Villeneuve. Dix acheteurs de Villeneuve
s'associent pour acheter, le 26 mars 1791, un enclos avec terre, vigne et
verger. Treize acheteurs, paysans et artisans mêlés, tous de Saint-Gilles,
s'associent pour acheter 87.000 livres, les terres du port de l'abbaye et le
bac à traille. Cent cinq acheteurs, tous de Pujaut et comprenant évidemment
des cultivateurs, des marchands et des artisans mêlés, s'associent pour
acheter, le 30 mars 1791, le domaine de Saint-Altelme, payé 130.000 livres.
C'est, semble-t-il, toute une paroisse qui se coalise pour ne pas laisser un « étranger »
acheter le beau domaine. Quarante
acheteurs, tous d'Aramon, et parmi lesquels figurent plusieurs ménagers (propriétaires
cultivant eux-mêmes),
un jardinier, un traiteur, un fournier, s'associent pour acheter, le 21
janvier 1793, le couvent et le jardin des Ursulines d'Aramon, payé 20.100
livres. Encore un nouvel effort de la commune de Pujaut et de celle de
Villeneuve : cent six acheteurs, dont 67 de Villeneuve et 39 de Pujaut
s'associent pour acheter, le 12 mars 1791, la métairie de Saint-Bruno, au
prix de 153.688 livres. Parmi ces acheteurs sont mentionnés expressément des
ménagers et des bourgeois. Vingt-quatre
acheteurs, dont vingt-deux de Montfaucon, négociants et cultivateurs mêlés,
s'associent pour acheter, le 21 juillet 1789, une terre de 6.300 livres. Onze
acheteurs au Cailar, parmi lesquels plusieurs cultivateurs, un serrurier et
un maréchal, s'associent pour acheter, le 17 janvier 1791, divers fonds payés
8.200 livres. Sept acheteurs, à Pujaut, s'associent pour acheter, le 2 mai
1791, sept pièces de terre valant ensemble 6.875 livres. Encore
quinze acheteurs de Villeneuve s'associent pour acheter, le 18 mars 1794, une
terre de 3.350 livres. Encore dix-neuf acheteurs de Pujaut s'associent pour
acheter une terre de 6.525 livres. Encore onze acheteurs de Pujaut
s'associent pour acheter le domaine de Saint-Vérédime, au prix de 45.000
livres. Encore vingt-et-un acheteurs de Pujaut s'associent pour acheter une
terre de 1.791 livres, le 3 juillet 1791. Treize acheteurs de Tavel,
s'associent pour acheter, le 14 mai 1791, une terre des Chartreux de
Villeneuve, au prix de 6.625 livres. Seize acheteurs de Tavel (les mêmes que
plus haut) s'associent pour acheter, le 15 mai 1791, le domaine de l'abbaye
de Villeneuve, au prix de 169.001 livres. Et
c'est tout ; j'ai cité tous les achats faits en commun dans le Gard par les
paysans ; je n'ai laissé de côté que deux ou trois achats où les associés
sont visiblement de riches bourgeois de campagne ou des bourgeois de la
ville, comme ces acheteurs de Beaucaire, qui s'associaient pour acheter une
vaste caserne. J'ai tenu à donner la liste complète des associations d'achat
de paysans pour qu'on en pût constater la proportion exacte ; elle se réduit
à bien peu de chose. Il est
même à remarquer qu'il n'y a qu'un point dans le Gard (car Pujaut, Villeneuve
et Tavel sont contigus) où ces associations d'achat se soient produites. A
vrai dire, on se demande en quoi elles pouvaient bien être utiles. S'il
s'agissait de petits lots, il était plus simple aux paysans d'acheter
individuellement. S'il s'agissait d'un grand et coûteux domaine, ils avaient
beau s'associer, les ressources leur manquaient ; et puis, comment subdiviser
ensuite un corps de ferme ? Il n'est donc pas surprenant que les associations
d'achat aient été rares. Mais,
individuellement, beaucoup de paysans achetaient. C'est par centaines que les
ménagers, les cultivateurs, les propriétaires ruraux, même les simples
travailleurs agricoles, les journaliers, figurent sur les listes. Aillaud
Antoine, agriculteur à Beaucaire, acquiert en l'an III une terre de 3.100
livres, une autre de 1.075 livres. Aillaud Jacques, travailleur à Beaucaire,
acquiert en l'an II une terre de 1.050 livres. Alteirac François, cultivateur
à Alais, achète, en l'an III, des terres mûriers pour 3.100 livres. Amphoux
Henry, ancien berger, Bigot Jean et Bigot François, cultivateurs à Générac,
achètent, en l'an HI, des champs pour 53.000 livres et pour 36.500 livres.
Amphoux Henry, ancien berger, Aurillon Jacques et Durand Henry, bergers à
Générac, achètent en l'an III, un pré de 16.000 livres. Amphoux Pierre,
cultivateur à Générac, achète, en l'an III, un domaine pour 20.000 livres.
Ancelin Pierre, ménager à Meynes, achète, en avril 1791, une maison et une
terre, pour 4.000 livres. André Etienne et Aubert Jacques, cultivateurs à
Générac, achètent, en l'an III, un domaine de 15.000 livres. Angelier
François, ménager à Montfrin, achète, en juin 1791, une terre de 440 livres.
Arène Jean, agriculteur à Beaucaire, achète, en l'an III, des lots de 1.750 et
1.500 livres. Arnassan Antoine, ménager à Cardet, achète, en décembre 1791,
un jardin et un hangar pour 495 livres. Arnassan Jacques, propriétaire à
Cardet, achète, en l'an III, une terre de 10.000 livres. Aubaressy Etienne,
ménager à Vauvert, achète une terre, en décembre 1790, et la paie 2.700
livres. Aubert Gabriel, ménager à Villeneuve, achète, en avril 1791, une
terre et vigne-olivette de 1.450 livres. Chassefière Louis et Coste-Jean,
cultivateurs à Générac, achètent, en l'an III, associés avec un faiseur de
bas, une terre de 19.000 livres. Aurillac Jean, cultivateur à Générac,
achète, en l'an III, un domaine de 17.200 livres. De même Aurillac Jean, un
domaine de 15.000 livres. Bagnet
Jean et Bagnet Jules, à Vénéjau, achètent en mai 1791 une terre de 305
livres. Barret Michel, ménager à Villeneuve, achète une terre de 875 livres
en février 1791, et une olivette de 3.000 livres en mars 1791. Barrière Jean,
agriculteur à Bilegarde, achète en l'an H une terre de 650 livres, en l'an
III, une de 12.000 livres. Bassaget Pierre, cultivateur au Cailar, achète, en
l'an II, une terre de 2.675 livres. Basset Raymond, cultivateur à Beaucaire,
achète, en l'an III, une terre de 3.000 livres, une autre de 2.600 livres.
Bassou Pierre, ménager à Concoules, achète, le 25 juillet 1791, une terre de
1.775 livres. Batailler
Paul, ménager, achète, avec Lautier et Roux, une terre de 5.000 livres. Beau
Louis, agriculteur à Beaucaire, achète en l'an III une terre de 1.025 livres.
Bedos Pierre, ménager à Saint-Martin-de-Valgalgne, achète, en juin 1791, une
terre mûriers de 775 livres. Benoit Jacques fils, du mas de Travès, achète en
juillet 1791 une terre de 900 livres. Béraud Jean-Jacques, agriculteur à
Beaucaire, achète en l'an III un domaine de 3.625 livres. Bergougnoux
Alexandre, travailleur à Saint-Bonnet, achète en mars 1791 une olivette de
124 livres. Bernard Henri, cultivateur à Aimargues, achète en l'an I un
domaine de 2.208 livres, un autre de 2.550 livres. Bernavon Antoine et Hugues
Antoine, ménagers. à Beaucaire, achètent en l'an III un domaine de 26.200
livres. Blachère Michel, à Saint-Julien, achète une terre de 500 livres.
Blanc Antoine, ménager à Aramon, achète en janvier 1791 une aire et un
poulailler de 726 livres, en mai 1791 une terre de 1.500 livres. Blanc
Claude, cultivateur à Beaucaire, achète en l'an III une terre de 2.550 livres
et une de 1.100 livres. Blanc
Jacques, travailleur à Aramon, achète en septembre 1791 une olivette de 99
livres. Blanc Jean et Poncet Guillaume, cultivateurs à Beaucaire, achètent,
en l'an III, une terre de 2.600 livres. Blanc Thomas, agriculteur à
Beaucaire, achète, en l'an HI, une terre de 3.300 livres. Blanchet Jean,
agriculteur à Bellegarde, achète, en l'an III, une terre de 10.000 livres,
une de 12.500 livres. Boissière Baptiste et Chassefière Louis fils,
cultivateurs à Générac, achètent, en l'an III, un domaine de 16.300 livres.
Bonjean Paul, agriculteur à Vallabrègues, achète, en l'an III, une terre de
200 livres. Bonnefoy Barthélemy, ménager à Montfrin, achète, en mai 1791, un
lot de 2.400 livres, en juillet 1791, une terre de 1.100 livres. Bonnet
Claude, ménager à Demessaigues, achète, en janvier 1791, des terres et vignes
pour 1.540 livres. Bonnet François, de la Calmette, achète, en janvier 1791,
des prés de 1.782 livres. Borne Joseph, ménager à Seruhac, achète, en mars
1791, 5 pièces de terres et olivettes, 505 livres ; en mai 1791, 6 pièces,
251 livres ; en mai 1791, 6 pièces, 275 livres ; en juin 1791, une olivette
de 127 livres. Boucher Barthélémi, Jouve Louis, Granier Jean et Lamoureux
Etienne, d'Aramon, achètent, en avril 1791, une terre et une olivette de
6.000 livres. Boudes Louis, à la Bruguière, achète une châtaigneraie de 132
livres. Boudoux Jean, cultivateur à Générac, achète, en l'an III, un domaine
de 17.000 livres. Bougarel Isaac, cultivateur à Valence, achète, en janvier
1791, une terre de 6.100 livres. Bourely Mathieu, ménager à Montfrin, achète,
en juillet 1791, une terre de 100 livres, une autre de 132 livres. Bourelly
Pierre, ménager à Aimargues, achète, en mars 1791, 4 pièces pour 1.825
livres. Bourrié Antoine, à Arrigas, achète une vigne pour 132 livres en juin
1791. Bourrié Etienne, à Arrigas, achète, en juin 1791, une aire près de
l'église, un jardin clos et une terre close pour 825 livres. Brichet André,
cultivateur à Beaucaire, achète, en l'an III, une terre de 4.000 livres.
Breysse Joseph, agriculteur à Beaucaire, achète, en l'an III, une terre de
2.008 livres. Briou Jean, ménager à Bouillargues, achète, en décembre 1791, 2
vignes de. 1.625 livres. Brouet André, ménager à Martignargues, achète, en
juillet 1791, une maison avec écuries de 2.100 livres. Bruges, en mars 1791,
acquiert une terre de 2.766 livres, au compte de deux ménagers, Louis et
Joseph Barlier frères. Brun
Elzéard, apiculteur à Bellegarde, achète, en l'an II, une terre de 1.950
livres. Brunei Louis, ménager à Bernis, achète, en janvier 1791, un champ de
400 livres. Brunei Pierre, ménager à Bernis, achète, en janvier 1791, une
terre de 630 livres. Cabanon
Charles, cultivateur à Aimargues, achète, en l'an II, un lot de 1.850 livres.
Cabiac Joseph, du Mas de Sabonadier, achète, en janvier 1791, 7 terres pour
5.725 livres. Cadenet, ménager à Seinhac, achète, en mars 1791, une acre avec
petit bâtiment, pour 1.200 livres. Canonge François, travailleur au
Collet-de-Dèje, achète, en avril 1791, six pièces pour 3.083 livres. Canonge
Guillaume, travailleur à Aramac, achète, en mai 1791, une olivette de 13
livres 4 sols. Cairetac Armand, ménager à Sernhac, achète, en janvier 1791,
une terre olivette de 400 livres ; en février 1791, une aire de 705 livres ;
en mars 1791, une vigne de 170 livres. Cassan achète, en mars 1791, une vigne
et terre de 370 livres. Castel Jacques, cultivateur à Beaucaire, achète, en l'an
III, une terre de 2.430 livres. Castel Thomas, apiculteur à Beaucaire,
achète, en l'an III, des lots de terre de 2.600 livres, 2.650 livres, 1.100
livres et 2.000 livres. Cavalier Jacques, ménager à Cabrières, achète, en
janvier 1791, une terre de 625 livres. Chabaud Jacques, ménager à Aubarne,
achète, en avril 1791, des terres pour 1.390 livres. Chambon
Jacques fils, Crouzier Mathieu et Bonet Simon, de Saint-Bonnet, achètent
ensemble, en février 1791, une terre et olivette de 195 livres 5 sols.
Chambordon Honoré, agriculteur à Beaucaire, achète, en l'an III, une terre de
3.100 livres. Champel Simon et Fontanieu, à Castelnau, achètent, en mai 1791,
des terres pour 4.854 livrés. Chapus Jean, ménager à Comps, achète, en mars
1791, une terre de 732 livres. Chatal Pierre, ménager à Deaux, achète, en
avril 1792, des terres et vignes pour 2.200 livres, et en l'an II, des terres
et jardin pour 3.150 livres. Clap Pierre, ménager à SaintPons-la-Calm,
achète, en mars 1791, des terres pour 2.175 livres, en septembre 1791, tout
un domaine de Gourmier pour 89.000 livres. Clavel
Antoine, agriculteur à Beaucaire, achète, en l'an III, des terres pour 4.250
livres. Combes Antoine, ménager à Lézan, achète des terres pour 9.273 livres,
en avril 1792. Conte Jacques, ménager à Meynes, achète, en mai 1791, une
terre de 125 livres. Comte Jacques, Eysette Etienne et Audihert Raymond, à
Meynes, achètent, en juillet 1791, une terre de 1.928 livres. Coste
Jean, ménager à Bouillargues, achète, en décembre 1790, une vigne de 1.950
livres. Coueoulard Paul, agriculteur à Beaucaire, achète, en l'an III, un
domaine de 2.585 livres. Coudroux Louis, ménager à Cabrières, achète, en
janvier 1791, une terre et aire de 800 livres. Caussire Etienne, ménager,
achète, en octobre 1791, un domaine dans l'île d'Oiselet pour 52.900 livres.
Couznoul Jean, agriculteur à Saint-Gilles, achète, en l'an III, un domaine de
121.000 livres, un lot de 8.850 livres, un lot de 10.100 livres, un de 13.000
livres. Coustire Louis, travailleur à Villeneuve, achète, en juin 1791, trois
vignes pour 1.525 livres. Coutelle Jean, à Lapaulrie, achète, en septembre
1791, 2 terres pour 3.000 livres. Crouzier Simon, ménager à Saint-Bonnet,
achète, en janvier 1791, une terre-olivette pour 365 livres 6 sols 6 deniers.
Daniel Jean et Daniel Etienne, cultivateurs à Aimargues, achètent, en l'an
II, un domaine de 5.100 livres. Darboux
Antoine, cultivateur à Villeneuve, achète, en l'an II, un bien de 16.100
livres. Daumet Jean, ménager au Mas-de-la-Roque, achète, en mars 1791, une
terre de 3.535 livres. Dautun Jacques-Louis, propriétaire à Sainte-Cécile,
achète, en l'an III, une châtaigneraie et un jardin pour 1.300 livres. Dautun
Jean-François, propriétaire à Portés, achète, en l'an III, un jardin, une
vigne, une olivette et des mûriers pour 1.600 livres. David Claude, ménager à
Villeneuve, achète, en mars 1791, une métairie de 154.000 livres, mais qu'il
passa par acte notarié à un ci-devant président trésorier de France à
Montpellier. David Claude et Ferraud Robert, ménagers à Villeneuve, achètent,
en. mai 1791, une terre de '3.325 livres. Daydon Jacques, ménager à
Estézargues, achète, en mai 1791, une maison et dix pièces pour 482 livres.
Delpuech Jean, ménager à Vauvert, achète, en mars 1791, le tènement du Canet
et les herbages pour 27.400 livres. Demeson Claude, à Estézargues, achète, en
novembre 1791, une terre de 133 livres. Denis Charles, travailleur à
Saint-Bonnet, achète, en février 1791 ; une terre de 60 livres. Deydier Simon
et Fabre Joseph de Saint-Laurent achètent, en avril 1792, une terre de 200
livres. Dhombres
Jean-Pierre, à Gulhen, achète, en avril 1791, une terre, mûriers, vigne,
olivette, châtaigneraie pour 3.500 livres. Dillaud Pierre, ménager à Sernhac,
achète, en mai 1791, deux prés pour 150 livres. Domergues, ménager à la
Cadière, achète, en juin 1791, une vigne de 125 livres. Domergues Pierre,
ménager à la Cadière, achète, en avril 1791, une vigne de 545 livres.
Dormesson Guillaume, ménager à Aramon, achète, en mai 1791, une olivette de
59 livres. Drome Jean-Joseph, à Remoulins, déclarant avoir pour associés
Alexandre, maire, Busquet Jean, ménager, Beurgours François, maréchal,
Gasagne Alexandre, ménager, Bruce Jean-Baptiste, postillon, et Mudaille
Gabriel, maçon, tous de Remoulins, achète, en décembre 1790, des pièces de
terre pour 30.000 livres. Dumas Mathieu, travailleur à Saint-Mamert, achète,
en mars 1791, des pièces de terre pour 2.342 livres. Dupuy Pierre, ménager à
Bellegarde, achète, en janvier 1791, des pièces de terre pour 2.450 livres.
Dussuel Théodorit, ménager à Gaujac, achète, en mars 1791, des terres, maison
claustrale, prés, jardin pour 14.700 livres, mais déclare avoir agi pour
plusieurs associés, dont un d'Alais. Espérandieu
Jean, ménager à Foisac, achète, en mars 1791, une terre de 2.200 livres.
Etienne Pierre, agriculteur à Beaucaire, acquiert, en l'an III, une terre de
2.900 livres. Eymard, à Tresques, acquiert, en mars 1791, des terres pour
4.612 livres ; en mai 1791, une terre de 1.204 livres. Eymieu Joseph,
travailleur à Aramon, achète, en février 1791, une olivette de 99 livres.
Eymieu Joseph et Blanc Antoine, travailleurs à Aramon, achètent, en mai 1791,
une terre de 310 livres. Fabre Jacques, ménager à Saint-Jean-de-Ceyragues,
achète, en avril 1792, une aire de 3 boisseaux pour 210 livres. Fabre Joseph,
ménager à Valiguières, achète, en mars 1792, des terres pour 2.825 livres.
Fabre Louis, ménager à Aimargues, achète, en janvier 1791, des champs pour
2.000 livres. Farde Jean, travailleur à Aramon, achète, en mai 1791, une
vigne de 143 livres. Farde Joseph, ménager à Aramon, acquiert tant pour lui
que pour son fils Pierre, en mars 1791, une terre de 21.600 livres. Faucon
Jean père, agriculteur à Beaucaire, achète, en l'an III, un domaine de 3.000
livres, une terre de 2.825 livres, une de 2.200 livres. Félines, ménager à
Aramon, achète, en juin 1791, une olivette de 203 livres. Fénouil Antoine,
ménager à Meynes, achète, en mai 1791, une terre de 220 livres. Figuière
Poucet fils, agriculteur à Beaucaire, achète, en l'an III, une terre de 850
livres. Flandin Honoré, ménager à Collias, achète, en avril 1791, une terre
de 150 livres. Fossat Jean fils, ménager au Plan-de-Lat, achète, en mai 1791,
une métairie 'de la Bise-Basse pour 2.515 livres et une vigne de 300 livres
en août. Fromental Jacques, ménager à SaintEtienne-de-Lolm, achète, en
janvier 1791, deux terres et une vigne de 14.500 livres, en mai 1791, neuf
pièces, terre, pré, bois, vigne, etc., de 4.900 livres. Fumat Jean,
agriculteur à Beaucaire, achète, en l'an III, un domaine de 2.000 livres, une
terre de 2.000 livres. Gadille Etienne, agriculteur à Cabrières, achète, en
janvier 1791, une terre olivette de 1.000 livres et une terre de 49 francs.
Gadille Jean, cultivateur à Cabrières, achète, en janvier 1791, une terre de
147 livres. Gallet Barthélemy, agriculteur à Bellegarde, achète, en l'an II,
une terre de 1.450 livres. Gaussen David, cultivateur à Martignargues,
achète, en août 1793, des terres, vignes, prés, olivettes, pour 28.200
livres. Gautier Antoine, ménager à Vallabrègues, achète, en l'an III, une
terre de 4.200 livres. Gautier Jacques, agriculteur à Beaucaire, achète, en
l'an III, une terre de 1.225 livres. Gayte Denis, agriculteur à Beaucaire,
achète, en l'an III, une terre de 2.975 livres. Gerbaud Antoine, ménager à
Aramon, achète, en mai 1791, une terre de 401 livres. Gerbaud
Claude, ménager à Aramon, achète, le 14 avril 1791, une terre de 1.300
livres, et le 30 avril 1791, une olivette de 142 livres. Germany Mathieu,
ménager à Aramon, achète, en février 1791, une terre de 310 livres. Gilbert
Jean, travailleur à Aramon, achète, en juin 1791, une vigne de 159 livres.
Gibert Pierre, cultivateur à Alais, achète, en l'an III, une terre de 1.200
livres. Gilbert Etienne, ménager à Domaian, achète, en 1791, une maison, cour
et écurie de 2.375 livres. Gilles
Jean, ménager à Villeneuve, achète, en l'an II, une terre de 15.625 livres,
en l'an IV, une de 486 livres, une de 2.700 livres, une de 7.040 livres.
Gimboux Jacques, dit Balthazar, à Rivière, achète, en septembre 1791, une
châtaigneraie et mûriers de 1.600 livres. Gonard Antoine et Rousset Pierre, à
Domazan, achètent, en juillet 1791, une aire close de murs, pour 300 livres.
Gontier Pierre, à Saint-Laurent-de-Carnois, achète, en février 1791, une
vigne de 350 livres. Goubert
Joseph, Paillon Augustin, Laurent Jean et Gonnet Barthélemy, de Villeneuve,
achètent, en mai 1791, une vigne et verger de 1.800 livres. Gouiran
Barthélemy, cultivateur à Bellegarde, achète, en l'an II, une partie du
domaine de Saint-Jean pour 1.800 livres. Gouret André, à Saint-Paulet,
achète, en 1791, une terre de 308 livres. Granaud Jean, cultivateur à
Saint-Gilles, achète, en 1791, deux champs pour 825 livres. Granier Jean, à
Bernis, achète, en janvier 1791, deux champs pour 1.790 livres. Guigne Honoré,
Crouzier Claude et Crouzier Louis frères, de Comps, achètent, en mai 1791,
deux terres de 700 livres. Heiral
Antoine, ménager à Martignargues, achète, en avril 1791, une partie
d'olivettes-mûriers pour 320 livres. Héraud Pierre, cultivateur à Saint-Gilles,
achète, en l'an III, le huitième lot du domaine des Auriasses pour 7.000
livres. Hugues
Jean, dit Cagno, à Blanzac, achète, en avril 1791, quatre terres de 990
livres. Idalot Toseph, agriculteur à Nîmes, achète, en l'an III, un domaine
de 110.400 livres. Jourdan Louis, agriculteur à Villeneuve, achète, en l'an
II, un domaine de 6.250 livres. Jourdan Pierre, achète, en janvier 1791, une
terre de 1.200 livres. Jourde Etienne, cultivateur à Cabrières, achète, en
janvier 1791, une terre de 181 livres. Jullian Antoine, ménager à Navacelle,
achète, en mars 1792, un pré de 170 livres. Lambon Antoine, dit La Volée, au
Cailar, achète, en l'an II, une partie du domaine de la Mourade (troisième lot) pour 5.100 livres. Lamouroux
Jean et Orgeas Joseph„ ménagers à Théziers, achètent, en décembre 1790, un
établissement avec terres pour 15.000 livres. Lamouroux Joseph, ménager à
Aramon, achète, en avril 1791, une olivette pour 375 livres. Lamoureux
Pierre, agriculteur à Beaucaire, achète, en l'an II, une terre de 4.650
livres et une de 6.800 livres. Laugier Gaspard, ménager à Beaucaire, achète,
en l'an III, une terre de 5.900 livres, une de 1.050 livres, une de 3.700
livres. Laurent
Jacques, ménager à Tresques, achète, en mai 1791, trois terres de 6.275
livres. Léger Jacques, ménager à Montfrère, achète, en mars 1791, une terre
de 540 livres et une vigne de 380 livres. Levat Louis, ménager à
Saint-Chaptes, achète, en mars 1791, huit terres pour 6.300 livres. Lhermitte
Barthélemy, ménager à Villeneuve, achète, en février 1791, un enclos de 1.515
livres, en mars une vigne-olivette de 4.050 livres. Liotard Jacques, ménager
à la Tourelle, achète, le 26 avril 1791, une maison et des terres pour 425
livres. Longuet-Damien, ménager à Vers, achète, en décembre 1791, quinze
articles de biens pour 7.751 livres. Maraval
Jacques et Faucher Pierre, ménagers à Vauvert, achètent, en avril 1791, un
enclos de 4.800 livres. J'arrête
à regret cette énumération ; car elle seule peut donner l'idée exacte de ce
grand mouvement social. Quand on voit tous ces paysans, tous ces
cultivateurs, tous ces ménagers, tous ces simples travailleurs du sol acheter
de la terre, on se demande avec étonnement comment les paysans du Gard n'ont
acquis qu'un sixième des biens nationaux. Mais qu'on remarque que ce sont en
général de très petits lots qu'achètent les paysans : et lorsque soudain un
riche bourgeois achète un domaine de deux millions, cela emporte des milliers
d'achats paysans. En
fait, sauf deux ou trois ménagers ou très hardis ou disposant d'épargnes
élevées, les achats des cultivateurs ne portent que sur des pièces de terre
de valeur modeste. Mais le nombre de ces acheteurs paysans est très grand. Il en
est qui n'acquièrent qu'une olivette, un coin de vigne : d'autres achètent de
petits domaines d'environ cinq mille livres qui suffisaient presque à
l'entretien d'une famille de ménagers. Tous, en achetant ainsi, en
satisfaisant leur passion de la terre, s'engagent à fond dans la Révolution. Du
recueil de M. Rouvière, deux faits intéressants se dégagent. Le premier,
c'est que les achats des paysans furent définitifs. C'est à peine si je note
trois ou quatre cas de revente immédiate ; les acheteurs ont pu suffire aux
conditions de paiement : la terre acquise par eux n'a pas figuré de nouveau
aux enchères. En
second lieu, cet achat des terres par les paysans est à peu près continu. Il
est visible dans les listes que j'ai citées qu'il y a deux grands moments
d'achat : l'année 1791 et l'an HI. Cela tient à ce que l'ensemble du domaine
ecclésiastique fut mis en vente dès la fin de 1790 et que les biens
considérables de l'ordre de Malte, dans le Gard, furent mis en vente
seulement à la fin de l'an II. De là des crises d'achats : mais dans
l'intervalle, les achats ne s'arrêtèrent pas : ils se continuent en 1792, en
1793, en l'an II. Et notez que pour ne pas mêler les questions et anticiper
sur les dérisions révolutionnaires, je ne parle ici que du domaine de
l'Eglise. Mais, comme nous le verrons bientôt, les biens des émigrés furent
mis en vente et c'est en l'an II surtout que se firent les achats : les
paysans en acquirent beaucoup. Ainsi
il y a un mouvement ininterrompu : presque chaque jour, pendant ces années
extraordinaires, un gros bloc de la propriété de l'Eglise ou de la propriété
des nobles, passe à la bourgeoisie : presque chaque jour une parcelle de la
terre d'Eglise ou du domaine noble passe aux paysans ; c'est le travail
profond de la Révolution qui s'accomplit. Et si
l'on ajoute à cette vente du domaine foncier, la vente, beaucoup moins
importante, il est vrai, à tous égards, du mobilier d'Eglise, on conclura
qu'un grand nombre de citoyens étaient, si je puis dire, compromis dans la
Révolution. Dans
les ventes du mobilier figure, en un merveilleux pêle-mêle de brocanteur, à
côté des autels, des tableaux de piété, des balustrades, des chaires à
prêcher, des pupitres, des prie-Dieu, la batterie de cuisine des moines. Pour la
Sarthe, par exemple, couvent des Cordeliers, en octobre 1791 : deux
crémaillères adjugées à Portier, de Saint-Julien, pour 2 livres ; une
rôtissoire, adjugée à Gilodon pour 8 livres ; deux broches à rôtir, adjugées
à Gilodon pour 2 livres 12 sols ; deux poêles à frire, adjugées à Pommerais
pour 2 livres 11 sols ; deux casseroles de cuivre, adjugées à Janvier fils,
de Saint-Julien, pour 5 livres 2 sols ; une poissonnière en cuivre, adjugée à
Bruneau, de Saint-Julien, pour 5 livres 11 sols. Un pot
à lapin, adjugé à Chaumier, de Saint-Julien, pour 18 livres ; un pot à
lièvre, adjugé à Guillotin Louis pour 1 livre 4 sols ; un gril, un soufflet,
un couperet, adjugés à la femme Jouye, pour 3 livres 10 sols. J'imagine
que l'hôtelier jovial qui avait acheté la rôtissoire des moines tenait à ses
hôtes et clients de gaulois propos ; et la pauvre femme qui avait le gril et
le soufflet des Cordeliers était, elle aussi, avec son petit bagage,
embarquée dans la Révolution. Ne serait-elle pas taxée tout au moins
d'indifférence et de complaisance aux « spoliations » si les moines
revenaient en force ? Ainsi,
un peuple innombrable était, pour ainsi dire, pris dans la Révolution ; et il
me semble d'ailleurs que cette dispersion, cette vente des biens d'Eglise
déshabituait le peuple du respect superstitieux. Dès 1791, c'est comme un
germe d'hébertisme. Il est
fort possible qu'un grand nombre d'objets « de piété » aient été
respectueusement acquis par des croyants : tableaux religieux, statues de
saints, etc., et en particulier beaucoup d'ornements sacerdotaux, de
chasubles, ont été acquis par des prêtres. Mais en revanche, combien de ces
objets sont tombés en des mains profanes et irrévérencieuses ! et comme peu à
peu se perdait, en cette familiarité de brocantage, le prestige du mobilier
d'Eglise et de la garde-robe ecclésiastique ! LES CONSÉQUENCES DE LA VENTE DES BIENS NATIONAUX Quelles
ont été les conséquences sociales de cette vaste expropriation du domaine
foncier de l'Eglise ? Je l'ai
dit et je le rappelle d'un mot. Il n'y a pas là et il ne pouvait pas y avoir
une accession du prolétariat à la propriété. Ce sera l'objet d'une autre et
plus vaste Révolution qui se prépare et s'annonce aujourd'hui par bien des
signes. La vente révolutionnaire des biens d'Eglise a eu cet effet décisif
d'abattre la puissance politique des forces d'ancien régime, en abolissant
leur puissance foncière. Elle a fortifié la démocratie rurale, et, en
constituant une partie de la propriété paysanne au moyen du domaine
ecclésiastique ou du domaine noble exproprié, elle a donné à la démocratie
paysanne un caractère laïque et moderne. Les paysans propriétaires pourront
devenir, au sens social du mot, des conservateurs. Ils pourront même rester
attachés à la religion catholique. Ils pourront, quand la propriété
individuelle leur paraîtra menacée, ou quand ils seront fatigués des
agitations ouvrières des villes, se rapprocher un moment du noble et du
prêtre ; mais jamais ils ne se livreront pleinement au noble et au prêtre.
Entre eux et lui il n'y a pas seulement le souvenir des longues oppressions
et exploitations de l'ancien régime, de la dîme ou du champart. Il y a le
souvenir de la grande opération révolutionnaire de 1791 ; le paysan a compris
que sa propriété serait précaire s'il rendait la toute-puissance à ceux sur
lesquels cette propriété fut conquise. De
plus, une fierté nouvelle était venue au paysan de cette grande
expropriation. Lui, si longtemps accablé, lui, si longtemps dépouillé, lui
qui était obligé de saluer bien bas, sur les chemins entretenus par la
corvée, le carrosse du prélat fastueux ou l'équipage du seigneur superbe, il
avait maintenant une partie de la terre du prélat, une partie de la terre du
seigneur ; et cela, il le possédait, chose nouvelle, en vertu de la loi. -Il
y avait eu au Moyen Age de sombres jacqueries, des révoltes de paysans
affamés ou exaspérés, brûlant les châteaux, brûlant les nobles. Il y avait
eu, après le 14 juillet et dans la période du 4 août, des rassemblements
révolutionnaires de paysans. Ils avaient forcé la porte des châteaux, les
tiroirs des chartriers, les portes des armoires où s'accumulaient les
parchemins de servitude. Et ils
ne regrettaient point ce coup d'audace qui avait décidé de tout. Mais enfin
ils n'avaient à ce moment d'autre titre que leur misère, et quand cette
exaltation serait tombée, qui sait ce qu'il adviendrait d'eux ? Maintenant
c'est la loi qui leur a livré ce morceau de la terre des nobles, ce morceau
de la terre des seigneurs. C'est l'Assemblée, élue par la Nation et convoquée
par le roi lui-même, qui a décidé la mise aux enchères du domaine d'Eglise.
C'est une autre Assemblée, élue aussi par la Nation, qui décide .1a mise aux
enchères des biens des émigrés. Le
paysan pénètre donc dans la cour des abbayes et des châteaux avec la force de
la loi et en son nom ; c'est au nom de la loi, c'est couvert et encouragé par
elle qu'il visite une dernière fois, la veille des enchères, le bout de
vigne, le coin de pré, l'arpent de labour qu'il convoite. Et sur le titre de
papier qu'il emporte pour constater sa propriété nouvelle, c'est la signature
éclatante de la loi qui est apposée. Grande force pour le paysan, et qui, aux
heures de péril ou de réaction, le sauvera de l'hésitation et du doute. Ce qui
le soutiendra aussi, c'est qu'il a pour « complices » dans cette invasion du
domaine foncier, les grands et riches bourgeois de la ville. Ils achètent
comme lui, plus que lui, les biens d'Eglise et les biens des nobles. Certes,
plus d'une fois, une douleur secrète lui a mordu le cœur : Quoi ! ces beaux
domaines, qui nourrissaient l'oisiveté du noble et du moine, vont passer
maintenant à un riche bourgeois inconnu, à un, gros marchand de la ville, à
un banquier ! Quoi ! le paysan n'aura pas encore toute la terre ni le
meilleur de la terre ! et des bourgeois prendront la place de l'abbé et du
seigneur ! C'était comme une ombre sur la joie des campagnes ; niais enfin,
si les bourgeois de la ville achetaient beaucoup, ils n'achetaient pas tout,
et leurs achats cautionnaient ceux du paysan. On ne pourrait reprendre aux
paysans les lots de terre acquis par eux sans reprendre à la riche et
puissante bourgeoisie, le beau domaine où elle s'installait. Ainsi, la
bourgeoisie révolutionnaire était encore un rempart pour les paysans. Seuls,
ils auraient peut-être pris peur. En compagnie de cette nouvelle force
bourgeoise qui s'était imposée au roi, ils défiaient l'ennemi. Et en ce sens,
la participation très large de la bourgeoisie à la grande opération des biens
nationaux a été peut-être la condition nécessaire de la participation plus
modeste des paysans. A
partir de ce jour, la bourgeoisie, déjà puissante dans l'ordre industriel,
devient en même temps une puissance foncière. Elle avait déjà comme nous
l'avons vu, tout au long du XVIIe et du XVIIIe siècle acquis beaucoup de
terres, mais en absorbant soudain près des cinq sixièmes du magnifique
domaine de l'Eglise et une large part du domaine des nobles, elle complète sa
puissance industrielle et commerciale par la puissance agricole. Elle est
donc définitivement assise et aucune rafale de contre-Révolution ne pourra
l'ébranler. Quand,
à la Restauration, les nobles rentreront, quand ils retrouveront crédit et
semblant de pouvoir, quand ils reprendront possession de la grande partie de
leur domaine que la Révolution leur avait laissée, quand ils reconstitueront
leur puissance foncière, soit au moyen du milliard des émigrés, soit par des
alliances financières avec des parvenus de la bourgeoisie, ils seront
peut-être tentés d'effrayer et de subordonner de nouveau les petits
propriétaires paysans, isolés et sans grande force. Mais ils trouveront en
face d'eux une bourgeoisie rurale qui n'entend pas plier, et c'est ainsi que
même sous la Restauration, même sous le régime du cens, et sous la domination
de la propriété foncière, la contre-Révolution n'eut jamais que des succès
apparents et précaires. Car la Révolution, qui tirait sa force de la
propriété industrielle et mobilière, était en outre installée puissamment
dans la propriété foncière, c'est-à-dire dans la force traditionnelle de ses
propres ennemis. Grande
leçon pour le socialisme ! L'idée communiste a surtout son point d'appui dans
le prolétariat aggloméré de la grande industrie, mais elle ne sera décidément
victorieuse, et elle ne donnera sa forme à un ordre nouveau que lorsqu'elle
aura trouvé, par des adaptations et des combinaisons variées ou par des
conquêtes hardies, le moyen de pénétrer dans le monde de l'individualisme
paysan, il faut que le socialisme sache relier les deux pôles, le communisme
ouvrier et l'individualisme paysan, comme la bourgeoisie révolutionnaire a
su, partant de la propriété mobilière, s'assimiler aussi la propriété
foncière. Au
point de vue économique, la vente des biens nationaux donna un élan très vif
à la production agricole, un grand essor aux campagnes. Les vastes domaines
de l'Eglise furent démembrés ; par exemple, telle abbaye de la Sarthe avait
sous sa dépendance douze corps de ferme, chacun de ces corps de ferme,
chacune de ces exploitations rurales est achetée par un acheteur distinct ;
dix ou douze gros bourgeois du Mans se répartissent le domaine d'une abbaye.
Or, comme chacun de ces bourgeois était riche, comme chacun pouvait consacrer
des capitaux à améliorer sa terre et mettait son amour-propre à l'améliorer,
en effet, un grand afflux d'argent et de travail vint féconder soudain la
terre de France. De
même, de quelle ardeur passionnée le paysan remue la terre enfin acquise par
lui ! Par cette double action de la bourgeoisie révolutionnaire et du paysan,
le progrès agricole s'accéléra et la richesse foncière du pays s'accrut. Les
témoignages des contemporains sont décisifs ; je n'en citerai qu'un : lorsque
Pache, maire de Paris en 1793, et un moment ministre de la guerre, fut
éliminé, quand il revint à son village natal, à Thin-le-Moutier, dans les
Ardennes, il ne s'occupa plus que d'agriculture, et, dans un discours
prononcé en l'an VII, à la Société libre d'agriculture, des arts et du
commerce du département de l'Ardenne, il put affirmer « que les neuf
dixièmes des citoyens étaient dès lors mieux logés, meublés et nourris qu'en
1789 ». Et ce
ne sont pas seulement les travailleurs des campagnes qui sont ainsi
relevés ; pour les innombrables travaux d'aménagement, pour la
construction ou la réfection des demeures rurales à l'usage des nouveaux
propriétaires, pour la construction des nouveaux immeubles qui, dans les
villes, se substituaient aux bâtisses cléricales expropriées, la main-d'œuvre
ouvrière des villes fut extrêmement recherchée. Il y eut un élan de travail,
de bien-être et d'espérance dans toute la Nation, et par là encore le prolétariat
industriel même, quoiqu'il ne reçût aucun avantage direct, fut emporté dans
le mouvement heureux de la société renouvelée. La Révolution a été soutenue par un grand essor de richesse, et si l'activité des esprits et des âmes, la passion de la liberté et de la science, l'esprit d'audace et d'invention qui naît des grandes crises contribuèrent beaucoup à ce mouvement de la richesse nationale, elle eut dans l'expropriation révolutionnaire des biens d'Eglise son premier et principal ressort. |
[1]
M. Sagnac s'est trompé lorsqu'il a cru que le décret du 4 novembre 1790,
réduisant à quatre années les délais de paiement, avait eu un effet immédiat.
En fait, par des prolongations successives, la disposition qui accordait douze
années fut maintenue et le mouvement des ventes se trouva accéléré. (Note de
Jaurès).