Je
réunis en volume, les articles publiés dans la Petite République, sur
l'affaire Dreyfus. Je tiens d'abord à remercier les lecteurs du journal qui
m'ont permis d'entrer dans le détail d'une affaire compliquée, et qui ont
bien voulu me suivre dans d'assez longues déductions. Évidemment,
le prolétariat ne veut plus se tenir à des formules générales : Il a, sur
l'évolution de la société, une conception d'ensemble ; et l'idée socialiste
éclaire devant lui le chemin. Mais il veut aussi connaître à fond et jusque
dans les moindres ressorts, le mécanisme des grands événements. Il sait que
s'il ne démêle pas les intrigues compliquées de la réaction il est à la merci
de tous les mensonges démagogiques : et il vient de donner la mesure de sa
force intellectuelle en déjouant un complot où Rochefort était le répondant
de l'abbé Garnier. Saisir
la direction générale du mouvement économiste qui va vers le socialisme, et
pénétrer par l'analyse le détail de la réalité complexe et mouvante, voilà,
pour le prolétariat, la pensée complète. Et désormais, dans toutes les
grandes crises nationales, il faudra compter avec lui. Un
premier et grand résultat est atteint. La procédure de révision est engagée
et la cour de cassation est saisie du dossier de l'affaire. Mais la lutte
n'est pas finie : et il y aurait un péril extrême à s'endormir. Les hommes
qui ont machiné l'odieux procès contre Picquart pour empêcher l'ouverture de
la révision recourront sans doute aux tentatives les plus audacieuses, les
plus criminelles, pour troubler et fausser la révision commencée, pour
affoler et égarer l'opinion. Désarmer pendant qu'ils se livreront aux plus
louches manœuvres, ce serait une fois de plus trahir la vérité. Ce serait
aussi trahir la classe ouvrière sur qui la haute réaction militaire
épuiserait ses vengeances. Donc, la bataille continue. Ce
n'est pas que nous ayons aucune raison précise de mettre en doute pour
l'affaire Dreyfus la bonne foi et le courage de la cour de cassation. Il se
peut très bien qu'elle comprenne la grandeur de son devoir et de son rôle,
qu'elle veuille faire acte de vérité, produire au jour tous les crimes et
toutes les hontes, corriger les erreurs et refouler les violences de la
justice militaire. Mais il se peut aussi qu'elle se heurte à de rudes
obstacles et que sa vigueur défaille. Elle trouvera devant elle deux difficultés
principales. D'abord, le terrain de l'affaire Dreyfus est comme encombré de
décisions judiciaires ineptes.et iniques, qui peuvent arrêter ou gêner tout
au moins la marche de l'enquête. Esterhazy est acquitté à la suite d'une
véritable comédie judiciaire ; mais enfin il est acquitté et il est sans
doute malaisé de l'appeler de nouveau à s'expliquer. La chambre des mises en
accusation, malgré les charges écrasantes de l'information Bertulus, a mis
hors de cause, pour les faux Speranza, Esterhazy, du Paty de Clam et Mme Pays
; la cour de cassation a eu beau flétrir ces arrêts étranges ; elle a été
obligée de les confirmer au fond et quoique pour le faux Blanche un sentier
reste ouvert aux poursuites, un gros bloc obstrue le grand chemin. Enfin
l'autorité militaire s'est saisie du colonel Picquart par une procédure
jésuitique, mais qui n'est peut-être pas littéralement illégale. Elle
essaiera sans doute, par le petit bleu, de retenir à elle l'affaire Dreyfus,
et d'opposer à la révision la condamnation criminelle, mais légale, du
colonel Picquart, étranglé à huis clos. Dans le
terrain que doit fouiller la cour de cassation il n'y a pas un seul fragment
de vérité qui ne soit recouvert d'un mensonge judiciaire. La cour de
cassation aura-t-elle le courage de briser ces mensonges légaux pour chercher
la vérité ? Pourra-t-elle concilier la fonction légale qui lui est assignée
par le Code avec la fonction quasi-révolutionnaire que lui assignent les
événements ? Elle
est la gardienne de la loi ; or, la loi, par une application monstrueuse, a
travaillé jusqu'ici, dans toute cette affaire, contre la vérité. La cour
de cassation pourra-t-elle rétablir la vérité sans froisser la loi ? Et
comment délogera-t-elle Esterhazy et du Paty des abris légaux que la trahison
gouvernementale a ménagés à l'espion et au faussaire ? Voilà la première
difficulté. Il en
est une autre. La cour de cassation découvrira certainement, dans son
enquête, des vérités terribles. Il est impossible que la longue série des
faux produits par les bureaux de la guerre ait pu être fabriquée sans la
complicité, ou du moins sans la complaisance des grands chefs. De plus, la
forfaiture du général Mercier communiquant aux juges, en violation de la loi,
des pièces inconnues de l'accusé et empruntant même ces pièces à un autre
dossier que celui de l'affaire Dreyfus est certaine. Sur le général Mercier
pèsent donc les responsabilités les plus lourdes. La cour
de cassation aura-t-elle l'énergie d'attaquer les grands chefs, les grands
coupables ? Et sachant que pour eux la lumière serait mortelle osera-t-elle
faire toute la lumière ? Encore
une fois, il n'y a dans mes paroles aucune intention blessante pour la cour
de cassation. Il se peut qu'elle s'élève au-dessus de toute crainte,
au-dessus de toute fausse prudence et qu'elle ait l'entier courage de
l'entière vérité. Je dis
seulement que les crimes prolongés de la haute armée et la longue suite des
mensonges judiciaires ont créé une situation si terrible que peut-être aucune
force organisée de la société d'aujourd'hui ne peut résoudre le problème sans
le concours passionné de l'opinion. Quelle
est l'institution qui reste debout ? Il est démontré que les conseils de
guerre ont jugé avec la plus déplorable partialité ; il est démontré que
l'Etat-Major a commis des faux abominables pour sauver le traître Esterhazy
et que la haute armée a communié, sous les espèces du faux, avec la trahison. Il est
démontré que les pouvoirs publics, par ignorance ou lâcheté, ont été traînés
pendant trois ans à la remorque du mensonge. Il est
démontré que les magistrats civils, du président Delegorgue au procureur
Feuilloley, se sont ingéniés, par des artifices de procédure, à couvrir les
crimes militaires. Et le
suffrage universel lui-même, dans son expression légale et parlementaire, n'a
su trop longtemps, jusqu'à l'éclair du coup de rasoir, que donner au mensonge
et au faux l'investiture nationale. Oui,
quelle est l'institution qui reste debout P Il n'en est plus qu'une : c'est
la France elle-même. Un moment, elle a été surprise, mais elle se ressaisit
et même si tous les flambeaux officiels s'éteignent, son clair bon sens peut
encore dissiper la nuit. C'est
elle et elle seule qui fera la révision. J'entends par là que tous les
organes légaux, la cour de cassation, les conseils de guerre, sont incapables
désormais de la vérité complète, si la conscience française n'exige pas
chaque jour toute la vérité. Voilà
pourquoi, bien loin de désarmer aujourd'hui, les citoyens qui ont entrepris
le combat contre les violences et les fraudes de la justice militaire doivent
redoubler d'efforts pour éveiller et éclairer le pays. Voilà pourquoi aussi
nous tenons à fournir au prolétariat les éléments de discussion et de preuve
que nous avons recueillis. Beaucoup
même de nos adversaires de la première heure ont bien voulu nous dire qu'ils
avaient été ébranlés par notre démonstration. Mais toujours un doute revient
en eux : Comment est-il possible, disent-ils, que sept officiers français
aient condamné un autre officier, sans des preuves décisives ? A vrai dire,
un argument aussi général exclurait a priori toute erreur judiciaire. Mais il
est faux que toujours et en tout cas il y ait entre officiers cette
solidarité étroite. Oui,
quand ils ont à se défendre contre les civils, ou contre les simples soldats,
ils font bloc. Mais il existe entre eux de terribles rivalités de carrière,
d'amour-propre et d'ambition. Que de fois sur le champ de bataille même les
généraux se sont trahis les uns les autres, pour ne pas laisser à un rival
tout l'éclat de la victoire Or,
depuis quelques années, il y avait dans l'armée d'implacables luttes de clan.
Le parti clérical, ayant perdu pendant la période républicaine (le la
République la direction des administrations publiques, des services civils,
s'était réfugié dans l'armée. Là, les anciennes classes dirigeantes, les
descendants de l'armée de Condé se groupaient en une caste hautaine et
fermée. Là, l'influence des jésuites, recruteurs patients et subtils de la
haute armée, s'exerçait souverainement. Fermer la porte à l'ennemi, au
républicain, au dissident, protestant ou juif, était devenu le mot d'ordre. Depuis
des années, la presse catholique signalait le nombre croissant des juifs qui
par l'Ecole polytechnique ou l'Ecole de Saint-Cyr entraient dans l'armée.
Drumont avait allumé une sorte de guerre civile contre les officiers juifs. Or,
voici qu'un juif pénètre, le premier de sa race, à l'État-Major, au cœur même
de la place. Après lui sans doute d'autres vont venir : et dans l'antique
domaine que se réservait l'aristocratie cléricale exclue un moment des autres
fonctions, voici que l'intrus va s'installer. Vite il
faut couper court au scandale. Tout d'abord des rumeurs vagues, des théories
générales sont propagées : par quelle imprudence la nation française
accueille-t-elle, au centre même de son institution militaire, la race
maudite, le peuple de trahison qui, ne pouvant plus crucifier Dieu retiré
dans les hauteurs, va crucifier la Patrie ? Et aussitôt qu'à l'Etat-Major des
fuites de documents sont constatées, c'est vers le juif que se tournent
secrètement les yeux : Ah !
quelle chance si c'était lui ! Ah 1 quelle faveur de la Providence, quelle
grâce divine si dans le premier juif qui viole de sa seule présence le
sanctuaire de l'Etat-Major la trahison s'était logée ! Par lui et en lui tous
les autres seraient à jamais discrédités. Aussi,
quand du Paty de Clam constate entre l'écriture du bordereau et l'écriture de
Dreyfus quelques vagues analogies, toutes ces haines sournoises, ayant trouvé
leur centre, se précipitent et s'organisent. C'est la soudaine
cristallisation de la haine. Dans
quelle mesure du Paty de Clam et Henry, les deux meneurs du procès Dreyfus,
furent-ils dupes eux-mêmes de cet entraînement ? Y eut-il de leur part
complaisance fiévreuse au préjugé général ? Ou bien est-ce de parti pris, en
pleine conscience, qu'ils frappèrent l'innocent P Nous ne le saurons avec
certitude que lorsque l'enquête aura été poussée à fond : il nous est
impossible encore de savoir quelle fut la part de l'entraînement à demi
volontaire, quelle fut la part du calcul scélérat : Mais ce
qui est sûr dès maintenant c'est que, dans les bureaux de la guerre, les
cœurs et les cerveaux étaient prêts dès longtemps pour la condamnation du
juif. Et voilà sans doute la cause maîtresse d'erreur. Mais
elle ne suffisait pas. Il y a fallu encore l'ambitieuse sottise d'un ministre
médiocre et infatué. Le général Mercier, d'abord hésitant, fut peu à peu
entraîné par un système combiné de flatteries et de menaces. Ce
pauvre esprit présomptueux, qui prétendait « de son seul flair d'artilleur »
résoudre sans étude les problèmes techniques les plus ardus, avait été grisé
à la Chambre par les applaudissements qui suivaient sa banale parole. Il crut
qu'il pouvait, par l'affaire Dreyfus, jouer un grand rôle : Mater les juifs,
sauver la France des menées de trahison, conquérir les bonnes grâces de
l'Eglise et l'appui de Rochefort, c'était bâtir à nouveau, sur une base plus
solide, la fortune de Boulanger. Quand son entourage clérical vit qu'il
souriait à cette pensée, il le brusqua en communiquant aux journaux le nom de
l'officier prévenu. Plus tard, l'Éclair s'est vanté qu'il a fallu enlever de
vive force son assentiment. Mais quand il eut sauté le pas, quand il se fut
livré à la Libre Parole, quand il eut mis toute sa fortune ministérielle sur
cette carte, à tout prix il voulut gagner la partie. Qu'on
joigne à cela la sottise de tout le personnel judiciaire de l'armée, qu'on se
rappelle la lamentable imbécillité de Besson d'Ormescheville et de Bavary, on
comprendra qu'en ces cerveaux fatigués, l'erreur la plus grossière ait pu
germer. Et par
une sorte de fatalité, il se trouve qu'au conseil de guerre qui doit juger
Dreyfus, il n'y a aucun officier d'artillerie. Peut-être un officier
d'artillerie eût-il fait observer aux juges que le bordereau contenait des
détails inapplicables à un artilleur. Il y a notamment, à propos du frein
hydraulique, substitué par l'auteur du bordereau au frein hydro-pneumatique,
une erreur qu'un officier d'artillerie n'aurait pu commettre. Personne,
au conseil, n'a pu avertir les juges. Et ceux-ci, délibérant sous la
communication impérative de pièces secrètes, ont condamné comme à la
manœuvre. Ainsi,
bien loin qu'il faille s'étonner de la condamnation de Dreyfus innocent, tant
de forces d'erreur et de crime concouraient à le perdre que t'eût été presque
miracle qu'il échappât. Comment
ceux -qui s'étonnent de la condamnation de Dreyfus ne trouvent-ils pas plus
stupéfiant qu'en plein XIXe siècle, en pleine France républicaine, sous un
régime d'opinion publique et de contrôle, l'État-Major ait pu accumuler en
secret, pendant trois ans, les crimes que l'aveu d'Henry a fait éclater au
jour P Oui, pendant trois ans, comme en un antre profond et inaccessible à la
lumière, la haute armée de la France a pu fabriquer des faux, se livrer à
toutes les manœuvres de mensonge, peut-être même se débarrasser par le crime
de Lemercier-Picard et d'Henry, et il a fallu, si je puis dire, un accident,
une surprise de clarté, pour que ce fonctionnement normal de scélératesse fût
soupçonné du pays. Sous la
République française, avec le gouvernement parlementaire, avec la liberté de
la presse et de la tribune, les crimes obscurs des républiques italiennes,
assassines et empoisonneuses, ont pu être continués pendant trois ans. Cette
guerre à coups de papier faux est comme la reproduction de la guerre
sournoise avec des coupes empoisonnées que se livraient les Italiens du XVe
et du XVIe siècle. Voilà l'étrange, voilà le surprenant, et non que Dreyfus
innocent ait été condamné. Il faut
donc écarter cette sorte de préjugé, et regarder directement les faits. Or, à
l'examen des faits, il est certain que Dreyfus est innocent. Les dirigeants
ont pu affirmer sa culpabilité. Tant qu'ils l'ont fait en termes généraux,
leur affirmation échappait à toute discussion. Mais 'dès qu'ils essaient de
préciser et de produire une preuve, cette preuve tombe. Toutes les fois
qu'ils puisent dans le fameux dossier c'est pour remonter à la surface du
puits mystérieux ou une sottise ou un faux. Faut-il
croire qu'un sort leur a été jeté ? Tous les bâtons sur lesquels ils
s'appuient se brisent en leurs mains ; c'est du bois pourri. Et lorsque la
révision se fera, lorsque le procès recommencera au grand jour, il sera
difficile ou mieux il sera impossible à l'État-Major de dresser un acte d'accusation
et il s'abîmera lui-même clans le néant. Aussi,
désespérant de trouver désormais des charges sérieuses contre Dreyfus, la
haute armée, aidée par la faiblesse des gouvernants et la complicité
sournoise de l'Élysée, tente une diversion suprême en essayant de déshonorer
et de perdre le colonel Picquart. Delà,
la monstrueuse accusation de faux dressée contre lui à propos du petit bleu. D'avance,
dans la série même des articles réunis aujourd'hui dans ce volume, nous avons
répondu à cette accusation. J'ajoute seulement, dans cette courte préface,
que cette machination scélérate est préparée dès longtemps. Evidemment,
l'Etat-Major lui-même la trouve risquée. Tant qu'il a espéré qu'il pourrait
se sauver et empêcher la révision sans recourir à cette scélératesse suprême,
il l'a ajournée, et c'est seulement quand la révision menaçante était déjà
sur lui, qu'il a frappé ce coup de désespoir. Mais
dès longtemps, il le méditait et le tenait en réserve. Dès longtemps, les
deux faussaires, Henry et du Paty, préparaient contre Picquart l'accusation
de faux. Elle
s'annonce tout d'abord dans la lettre qu'Henry écrit au colonel Picquart en
juin 1897, et où il parle de « la tentative de suborner deux officiers du
service pour leur faire dire qu'un document classé au service, était de
l'écriture d'une personnalité déterminée ». Henry qui avait déjà fabriqué la
fausse lettre contre Dreyfus préparait en ce moment contre Picquart de faux
témoignages. Les
dépositions de Lauth, si perfides à la fois et si incohérentes, portent la
marque d'un entraînement incomplet. Puis,
en novembre 1897, c'est la fausse dépêche Blanche où Esterhazy et du Paty
disent au colonel Picquart : « On a des preuves que le bleu a été fabriqué
par Georges. » Ainsi, c'est dans un faux que l'accusation de faux commence a s'essayer : c'est nue pièce fausse qui sert de berceau
au mensonge encore vagissant. Mais des lors, contre les menteurs et
faussaires se dresse cette question terrible Comment n'avez-vous pas, des la
première heure, dénonce officiellement le colonel Picquart ? Au
procès Esterhazy, en janvier 1898, quand il faut à tout prix sauver le uhlan,
l'illustre Ravary, dans son rapport, essaie de jeter le doute sur l'authenticité
du petit bleu. Mais ici la question se fait plus pressante encore Esterhazy
est accusé de trahison. L'ancien chef du service des renseignements prétend
avoir reçu de ses agents une pièce qui établit entre Esterhazy et M. de
Schwarzkoppen des relations louches. Si
cette pièce est fausse, Esterhazy est victime de la plus abominable
machination. Si elle est authentique, il y a contre lui une présomption
grave. Le premier devoir des enquêteurs et des juges est donc de tirer au
clair l'authenticité du petit bleu. Mais non, ils se contentent d'insinuations
perfides. Ils n'osent pas dénoncer formellement comme fausse une pièce qu'ils
savent authentique. Ils se bornent à la discréditer par des sous-entendus.
Jamais machination plus scélérate ne s'étala plus cyniquement. Aussi
attendrons-nous, pour discuter de nouveau et plus à fond cette accusation
misérable, de savoir si l'Etat-Major persiste dans cette manœuvre, il est si
répugnant d'engager une discussion sérieuse avec les organisateurs d'un
guet-apens, que nous ajournons la nouvelle discussion de tond que nous
pourrions produire. Il nous
serait aisé de démontrer par les paroles mêmes de M. Lauth la fausseté de
plusieurs parties de son témoignage et l'authenticité du petit bleu. Mais il
nous plaît d'attendre que l'Etat-Major produise les nouvelles pièces fausses
qu'il a sans doute fabriquées pour cette tentative suprême. A cette heure, il
nous suffit d'avertir une fois de plus les citoyens pour qu'ils ne permettent
pas que le colonel Picquart soit jugé dans l'ombre. Qu'on l'accuse en plein
jour nous ne demandons pas autre chose et nous avons la certitude que
l'infamie de ses accusateurs éclatera. Plus de huis clos ! Voilà le mot
d'ordre des républicains, des honnêtes gens. Que ce soit notre cri de guerre
Et par la seule force de la lumière, nous vaincrons. Et notre grande France
généreuse, faisant face une fois de plus aux puissances de réaction et de
ténèbres, aura bien mérité du genre humain. Le
29 septembre 1898. JEAN JAURÈS. |