MÉMOIRE SUR L'ANNÉE DE LA MORT D'ALEXANDRE-LE-GRAND

 

PAR LUDWIG IDELER.

TRADUIT DE L'ALLEMAND PAR M. L'ABBÉ HALMA.

 

 

Le problème dont l'objet est de déterminer la date julienne du jour où Alexandre de Macédoine est mort, est un des plus difficiles que l'on puisse se proposer dans les recherches de l'antiquité. Les historiens impartiaux, Ptolémée fils de Lagus, Aristobule et autres, n'ont pas trouvé d'ère fixe à laquelle ils pussent coordonner les événements du règne de ce grand roi. On sait que les Grecs n'en purent avoir une, que sous Ptolémée Philadelphe, par Timée, qui composa des tables parallèles où il rangea soigneusement les années des rois de Sparte et des prêtresses d'Argos avec les noms des archontes d'Athènes et des vainqueurs aux jeux olympiques. Timée fut ainsi le créateur de la supputation du temps par olympiades, et des annales grecques. Avant lui, on négligeait la chronologie, ou on n'employait que des déterminations vagues et incertaines qui rendirent dans les temps postérieurs la fixation des époques très difficile, souvent même impossible, aux hommes curieux de recherches historiques.

Nous ignorons comment Ptolémée et Aristobule ont procédé. Il est probable qu'ils comptaient par les années du règne de ce roi, et par mois macédoniens. Si cela est vrai, les noms des archontes et des mois attiques que nous trouvons dans Arrien, qui prétend les suivre de préférence, dans Plutarque et autres, ont été formés par réduction, dont nous ne garantirions pas l'exactitude, dans la connaissance imparfaite que nous avons du rapport de la supputation macédonienne à l'attique, quand même nous aurions encore les premières supputations du temps.

On ne s'étonnera donc pas de voir que les principales époques de l'histoire d'Alexandre soient si peu fixées ; mais après tout, il n'est guère possible de soutenir que les chronologistes qui rapportent, jusqu'à l'heure même de sa mort, toutes les circonstances de sa vie, diffèrent entr'eux de près d'une année, dans la détermination du temps de cet événement, les uns plaçant au commencement de cette année ce fait dont les conséquences ont été si considérables, et les autres à la fin de cette même année qui fut la première de la 114e olympiade. A ces deux opinions si différentes, Champollion-Figeac en a ajouté une troisième dans ses Annales des Lagides, en soutenant qu'Alexandre était déjà mort à la fin de la 113e olympiade. J'ai fait de cette dernière opinion, l'objet d'un nouvel examen qui, à la vérité, n'a pas été suivi d'un résultat décisif, mais qui au moins me fournit très à propos, à ce qu'il me semble, l'occasion de peser les raisons alléguées en faveur de ces différentes opinions, et d'en exposer nettement les fondements réels.

Jusqu'à présent, les chronologistes avoient regardé comme hors de doute que la mort d'Alexandre dût être placée à la première année de la 114e olympiade. Tous les écrivains qui s'annoncent pour vouloir donner l'année de sa mort, n'en marquent pas d'autre. Arrien dit, en s'appuyant d'Aristobule : Alexandre mourut dans la 114e olympiade, lorsqu'Hégésias était archonte d'Athènes (exp. Al., VII). Diodore, qui consacre tout son septième livre à l'histoire d'Alexandre, qu'il a disposée, comme tout le reste, par olympiades et par archontes, après avoir nommé le même archonte, et Mikinnas comme vainqueur aux jeux olympiques, par lesquels cette olympiade commença, termine les derniers événements de la vie et de la mort du roi, par les mots : Il mourut donc ainsi après douze ans et sept mois de règne. Après quoi il commence tout aussitôt son dix-huitième livre par Céphisodore, archonte de la deuxième année de la 114e olympiade. Josèphe[1] se contente de nommer cette olympiade comme celle dans laquelle, suivant ses expressions, conformes à l'acception générale, Alexandre est mort, sans dire en quelle année. Eusèbe[2] est plus exact dans sa chronologie, publiée aujourd'hui dans toute sa pureté, d'après une vieille version arménienne, pour l'avantage de l'histoire. On y voit dans le catalogue des vainqueurs aux jeux olympiques, à la 114e olympiade : Mikinnas de Rhodes vainquit.... Alexandre meurt. Et dans un autre endroit cette mort est mise expressément à ol. 114, 1. Je vais d'abord présenter les raisons sur lesquelles se fonde l'opinion de ceux qui font mourir Alexandre au commencement de la 114e olympiade, savoir de Petau, Fréret, Sainte-Croix et autres savants français.

Plutarque nous a conservé un fragment des journaux des campagnes d'Alexandre, tenus par Diodore d'Erythrée et Eumène de Gardie. On y trouve les détails de sa dernière maladie, depuis le 18 jusqu'au 28 dæsius, jour de sa mort, vers le soir. Aristobule avait marqué cette mort deux jours plus tard, à la triacade ou dernier jour de dæsius. Ce mois est un de ceux qui sont macédoniens, et dont l'ordre bien connu est tel qu'il suit : Dius, apellæus, audynæus, peritius, dystrus, xanthicus, artemisius, dæsius, panemus, loüs, gorpiæus, hyperberetæus.

Quand Philippe de Macédoine eut été nommé par les Amphictyons chef des Grecs contre les Locriens d'Amphissa, il écrivit aux Péloponnésiens une lettre où on lit entr'autres : Rendez-vous tous pourvus d'armes et de vivres pour quarante jours, à Phocis, dans le présent mois que nous nommons loüs, les Athéniens boëdromion, et les Corinthiens panemus. Nous voyons tout d'un coup par là que les mois des Macédoniens, ainsi que ceux des Athéniens et des Corinthiens ont dû être lunaires, parce que loüs, boëdromion et panemus sont mis en parallèle ensemble comme s'accordant parfaitement, et que le loüs des Macédoniens répondait au boëdromion des Athéniens, et par conséquent le dæsius des premiers à l'hecatombæon des derniers. Par conséquent Alexandre mourut dans le premier mois de l'année attique, immédiatement après les jeux olympiques, qui se célébraient, comme on sait, vers la pleine lune d'hecatombæon. On faisait encore alors usage à Athènes du cycle de Méton. Si peut-être le dæsius de la première année de l'olympiade 114, concourait parallèlement avec hecatombæon, il s'ensuivrait que ce roi serait mort le 20 ou le 22 août de l'an 324 avant la naissance de Jésus-Christ, selon que nous mettrions sa mort au 28 dæsius, avec les journaux de sa vie, ou au 30 de ce mois, avec Aristobule.

Un passage de Diodore nous conduit à la même conclusion. Cet historien raconte qu'Alexandre, peu de temps avant sa mort, βραχει χρονω προτερον της τελευτης, avait résolu de laisser les bannis retourner dans leur patrie. Et comme alors la célébration de ces jeux était prochaine, ύπογυων οντων των ολυμπιων, il avait envoyé Nicanor en Grèce, avec une lettre qu'un héraut lut eu public, et dont les bannis, qui s'y trou-voient rassemblés au nombre de plus de vinât mille, entendirent la lecture avec des transports infinis de joie. Il ne peut être ici question d'autres jeux que de ceux qui commencèrent la 114e olympiade, comme je le démontrerai évidemment plus bas. L'ensemble du discours prouve qu'Alexandre vivait encore lors de ces jeux, ou que du moins la nouvelle de sa mort n'était pas encore parvenue en Grèce ; et Eusèbe assure qu'il mourut bientôt après, puisqu'il place sa mort au commencement de la 114, olympiade.

Clément d'Alexandrie nous a conservé un passage important pour la supputation des temps, tiré des œuvres chronologiques d'Eratosthène. On y voit les intervalles de quelques faits principaux de l'histoire grecque, calculés comme il suit :

Depuis la prise de Troie jusqu'au retour des Héraclides

80

ans.

Depuis ce retour jusqu'à la fondation de l'Ionie

60

Ensuite jusqu'à la fin de la tutelle de Lycurgue

159

Jusqu'à l'année de la première olympiade

108

Jusqu'au passage de l'Hellespont par Xerxès

297

Jusqu'au commencement de la guerre du Péloponnèse

48

Jusqu'à l'entière défaite des Athéniens

27

Jusqu'à la bataille de Leuctres

34

Jusqu'à la mort de Philippe

35

Jusqu'à la mort d'Alexandre

12

En partant comme d'un point fixe, de l'année avant la première olympiade, qui, de l'aveu unanime des chronologistes, fut la 777e avant la naissance de Jésus-Christ, nous trouvons 480 pour l'année de l'expédition de Xerxès en Grèce, 336 pour l'année de la mort de Philippe, et 324 comme ci-dessus, pour celle de la mort d'Alexandre. On voit qu'ici la durée du règne de ce roi est marquée avoir été de douze ans. Eusèbe dit qu'Alexandre régna six ans avant la mort de Darius, et six ans après[3]. Il parvint au trône au commencement de l'an 1 de la 111e olympiade. Selon Arrien, Darius fut assassiné dans le mois hecatombæon de l'an 3 de la 112e olympiade ; et si nous mettons la mort de son successeur en hecatombæon de l'an 1 de la 114e olympiade, nous avons juste les douze années de son règne, mentionnées encore ailleurs par cet écrivain, ainsi que par Josèphe, et par l'auteur du premier livre des Macchabées.

Telles sont les raisons prépondérantes que l'on allègue pour transporter la mort d'Alexandre au commencement de la première année de la 114e olympiade. Je vais passer maintenant aux motifs de l'opinion de Scaliger, Usserius, Dodwell, Desvignoles, et, je crois, de tous les chronologistes allemands qui soutiennent qu'il est mort à la fin de cette année.

Plutarque, parlant de la naissance d'Alexandre, compare loüs avec hecatombæon, et il place la bataille du Granique, tantôt dans le mois dæsius des macédoniens, tantôt dans le mois thargélion des Athéniens. Ainsi, ce roi devrait être mort en thargélion, onzième mois de l'année attique. Si le mois dæsius concourait exactement avec thargélion dans l'an 1 de la 114e olympiade, cette mort serait arrivée le 11 ou le 13 juin de l'an 393 avant la naissance de Jésus-Christ, c'est-à-dire, près de dix mois plus tard que nous ne venons de la déterminer.

Nous avons ici deux séries des mois macédoniens et attiques, tout à fait différentes l'une de l'autre, puisque loüs, dans la lettre de Philippe, est mis en parallèle avec le mois boëdromion, tandis que dans la vie d'Alexandre par Plutarque, il est comparé au mois hecatombæon précédent. Corsini pense que dans le premier de ces deux passages, il faut lire hecatombæon au lieu de boëdromion. Car il place cette lettre dans l'année 3 de la 110e olympiade, et il cherche dans les circonstances qui ont occasionné et accompagné cette lettre, à pouvoir dire avec vraisemblance qu'il ne s'y agit que du mois hecatombæon. Mais Taylor prouve d'une manière incontestable que la lettre était déjà écrite dans l'année 2 de la 110e olympiade, et qu'ainsi elle peut bien avoir été écrite en boëdromion. Ces deux savants regardent comme certain que les mots του ενεσωτος μηνος, suivant l'usage de la langue grecque, signifient dans le mois courant[4]. Par conséquent, dès qu'on s'est persuadé qu'Alexandre est mort au commencement de la première année de la 114e olympiade, on est forcé de supposer que Plutarque, dans la réduction des mois loüs et dæsius au calendrier attique, a transporté par erreur, aux temps d'Alexandre, la place qu'occupaient de son temps ces deux mois dans la série des mois macédoniens. Nous trouvons en effet dans la dernière année solaire macédonienne, qui n'a été introduite qu'aux temps de Jules César[5], les mois dæsius et loüs à peu près dans les mêmes relations avec les saisons, que les mois attiques thargélion et hecatombæon. Il est possible absolument qu'il y ait de fausses réductions dans Plutarque ; mais si l'on croit que le dernier calendrier macédonien ne s'est écarté de l'ancien que depuis le changement de l'année lunaire en année solaire, on se trompe ; car longtemps déjà auparavant, les mois macédoniens étaient dans cette correspondance avec les mois attiques, comme on le voit par les comparaisons établies entr'eux dans Plutarque.

Ptolémée nous a conservé trois observations de mercure et de saturne, faites par les Chaldéens à Babylone, sous les Séleucides ; il les a datées en jours de mois macédoniens, et aussi comme toutes les autres observations qu'il rapporte, en jours de mois égyptiens de l'ère de Nabonassar. La première de ces observations est réduite dans le calendrier julien au matin du 19 novembre de l'an 245, la seconde au matin du 30 octobre 237, et la troisième au soir du 1er mars 999 avant la naissance de Jésus-Christ. La date macédonienne de la première est le 5 apellœus, celle de la seconde est le 14 dius, et celle de la troisième le 5 xanthicus. Les Macédoniens, comme tous les peuples qui comptent par mois lunaires, ayant certainement commencé leurs jours au soir, le premier jour d'apellœus a été le 14 novembre de l'an 245, celui de dies le 16 octobre de l'an 9-37, et celui de xanthicus le 26 février de l'an 229. Quoique nous ne connaissions pas avec une entière certitude la durée des mois qui ont immédiatement précédé, il est pourtant certain que loüs commença le 4 juillet dans la 23œ année avant notre ère, et qu'ainsi il était dans la même relation qu'hecatombæon avec l'année solaire, quoiqu'une différence possible dans le cycle intercalaire ait pu faire varier ces deux mois d'un jour relativement l'un à l'autre. C'est ce qui se voit par l'inscription de Rosette, qui est datée du 4 xanthicus ou 18 méchir de la neuvième année de Ptolémée Epiphane. Suivant le canon astronomique des rois, cette année est la 128e de l'ère de Philippe, où la 552e de l'ère de Nabonassar, et par conséquent la date de cette inscription est le 27 mars de l'an 196 avant la naissance de Jésus-Christ. Xanthicus commença donc le 25 mars au soir, et loüs l'un des derniers jours de juillet de l'an 197 précédent.

Suivant Malalas[6], ce fut Séleucus Nicanor qui commanda de donner les noms macédoniens aux mois syriaques. Il se peut qu'il n'ait régularisé qu'alors légalement les mois macédoniens, mais il est certain qu'ils étaient déjà introduits à Babylone par Alexandre. Or, comme dès le troisième siècle avant notre ère, ils avoient déjà la place que leur assignent les parallèles établis par Plutarque, la conjecture qui fait correspondre le mois dæsius dans lequel Alexandre est mort, selon les annales d'Aristobule, au mois thargélion, et qui par conséquent place cette mort à la fin de la première année de la 114e olympiade, commence à acquérir de la vraisemblance.

Plusieurs des plus savants chronologistes, tels que Scaliger, Doris, Dodwell, estiment que le changement dans la place des mois macédoniens, en vertu duquel loüs a reculé de la proximité de boëdromion dans celle d'hecatombæon, doit être arrivé peu après le commencement du règne d'Alexandre, et en effet on n'a rien de solide à opposer à cette opinion. Si l'on regarde cette variation comme impossible, il faut aussi prendre garde que l'idée de l'invariabilité du calendrier à laquelle nous sommes accoutumés, n'a commencé à se développer chez les anciens que depuis la réforme du calendrier par César. Si Alexandre, lorsqu'il voulut livrer bataille près du Granique, ordonna de mettre un second mois artémisius à la place de dæsius, parce que ses généraux Paver-tirent de ne pas profaner par une bataille le mois dæsius, dans lequel les rois de Macédoine n'avaient jamais combattu leurs ennemis, quoique cet ordre ne fut pas à la vérité accompli, parce que la bataille avait été gagnée, il en résulte cependant qu'un pareil transport était au pouvoir des rois.

 

L'événement auquel cette explication nous a conduits, semble recevoir un grand degré de certitude, d'abord de ce qu'Elien met expressément la mort d'Alexandre en thargélion (var. hist.). Il veut montrer dans un chapitre particulier, que le sixième jour de ce mois a de tout temps été un jour heureux pour les Grecs ; mais ce qu'il dit pour le prouver est en grande partie visiblement faux, ou n'est qu'à moitié vrai. Par exemple, il n'est pas exact de dire que les victoires de Platée et de Mycale, remportées le même jour, l'ont été le 6 thargélion, puisque Plutarque, plus croyable qu'Elien, met en plus d'un endroit cette victoire au 5 boëdromion. Il en est de même pour la bataille d'Arbèle qu'il faut entendre par les mots : ότε καί Δαρεΐον καθεΐον Άλεξανδρος (V. Cam.), elle n'appartient pas au mois thargélion, mais au mois boëdromion. C'est par suite de cette erreur qu'on lit en outre : « Tout cela est arrivé, à ce qu'on croit, dans de mêmes mois. On croit même qu'Alexandre est né et mort à pareil jour d'un mois de même nom n. Sa naissance, comme nous le verrons bientôt, est arrivée dans le mois loüs, qui n'a jamais correspondu au mois thargélion, mais sa mort ne peut pas être arrivée le 6 thargélion, vu que dæsius et thargélion, étant l'un et l'autre deux mois lunaires, ne pouvaient pas s'écarter assez l'un de l'autre, pour que le 28e jour de l'un devînt le Ge jour de l'autre. L'historien aurait-il, en lisant dans la source où il a puisé la mort d'Alexandre marquée au jour έκτη φθενοντος θαργελιωνος, omis le mot φθινοντος ? On peut en tout cas concevoir une différence de trois jours entre le calendrier macédonien et le calendrier attique. Mais passons à des arguments plus décisifs.

 

Plutarque dit (dans la vie d'Alexandre) que ce prince naquit le 6 hecatombæon, que les Macédoniens nomment loüs ; et aussitôt après il remarque que Philippe, qui venait de prendre la ville de Potidée, reçut tout à la fois trois nouvelles très agréables pour lui : celle de la victoire de Parménion sur les Illyriens, celle du prix de la course dei chevaux, qu'il remportait aux jeux olympiques, et celle de la naissance de son fils. Ussérius, dans ses Annales, a douté de ce synchronisme ; mais Sainte-Croix a prouvé la vérité de l'assertion de Plutarque à cet égard, dans son examen des historiens d'Alexandre. Il en résulte, selon lui, que la prise de Potidée appartient aux derniers mois de l'an 4 de la 105e olympiade, et la victoire sur les Illyriens au premier mois de la première année de la 106e olympiade. Or, les jeux olympiques se célébraient vers le milieu du premier mois, de sorte que Philippe put recevoir tout à la fois dans le même temps la nouvelle des deux victoires remportées, l'une sur les Illyriens, et l'autre à la course des chevaux. Seulement, la naissance d'Alexandre arriva un peu plus tard, parce qu'alors loüs correspondait encore à boëdromion, qui était le troisième mois. Il y a donc à la vérité, entre cette victoire de Philippe et la naissance de son fils, un intervalle de près de deux mois ; mais il ne faut pas l'entendre à la rigueur du κατα τον αυτου χρονον de l'auteur, il suffit que Philippe ait reçu trois nouvelles agréables peu de temps après qu'il eut pris Potidée, non précisément le même jour, comme Justin l'assure, selon sa coutume de rie pas bien scrupuleusement s'attacher à la vérité, quand il a quelque remarque saillante à faire. Les devins ont donc pu dire τρισι νικαις συγγενομενον, Alexandre né avec trois victoire, et tirer de là une grande prophétie, comme dit Plutarque. Dans tous les cas, il résulte incontestablement du synchronisme de ces faits, quand même on ne le prendrait pas à la rigueur, qu'Alexandre est né dans la première année de la io6e olympiade.

 

Plutarque trouva dans lès annales historiques où il a puisé, le mois loüs qu'il réduisit au mois hecatombæon — et non le contraire, car pourquoi aurait-il fait cette réduction, si hecatombæon n'eût pas été plus usité que loüs chez ses lecteurs —, dans la supposition erronée que les deux mois correspondaient alors déjà l'un à l'autre ; chose que la lettre écrite plus tard par Philippe, ne nous permet pas d'admettre : nous devons par conséquent placer la naissance d'Alexandre en boëdromion, comme Sainte-Croix le remarque judicieusement. Et depuis boëdromion de l'an 1 de la 106e olympiade, jusqu'à thargélion de l'an 1 de la 114e olympiade, s'écoulèrent les 32 ans et 3 mois juste, qu'Aristobule lui a donnés, à ce qu'assure Arrien. Il faut avouer que cela favorise beaucoup l'opinion de ceux qui veulent qu'Alexandre soit mort vers la fin de l'an 1 de la 114e olympiade. Arrien ajoute qu'Alexandre régna douze ans, et les huit mois pendant lesquels il a vécu au-delà de trente-deux ans ; ainsi, il doit avoir eu les vingt années que Plutarque confirme, quand il commença de régner. On demande maintenant si l'époque de son avènement au trône s'accorde avec ces données ?

Sainte-Croix cherche à prouver, contre l'opinion courante des chronologistes qui soutiennent que le meurtre de Philippe est de l'an 1 de la 3e olympiade, que cet événement s'est passé sous l'archontat de Phrynicus, dans la quatrième année de la 110e olympiade, au commencement de l'hiver ; mais, selon moi, ses preuves sont bien faibles. Il s'appuie d'abord sur le fragment cité plus haut, du canon d'Eratosthène. Si l'on y compte 114 ans depuis l'expédition de Xerxès en Grèce jusqu'à la mort de Philippe, il s'agit de savoir si ce nombre doit être pris du passage de l'Hellespont dans la quatrième année de la 74e olympiade, ou de la bataille de Salamine dans la première année de la 75e olympiade. Sainte-Croix se décide pour la première de ces deux manières de compter, mais non avec une certitude déterminante. Les intervalles suivants aboutissent aussi à la quatrième année de la 110e olympiade. On donne encore pour preuve les trente-cinq années de l'espace de temps écoulé entre la bataille de Leuctres et la mort de Philippe. Cette bataille fut livrée sous l'archonte Phrasiclides, dans la deuxième année de la 102e olympiade ; par conséquent, dit Sainte-Croix, Philippe doit avoir été tué dans la quatrième année de la 111e olympiade. Je pourrais en conclure qu'Eratosthène a placé la mort de ce roi dans la première année de la 111e olympiade, car il est clair qu'il veut qu'on entende partout des années pleines, et non des années courantes. L'endroit de Denys d'Halicarnasse, dont Sainte-Croix s'autorise, est corrompu dans les anciennes éditions dont il se servait. Suivant là correction du texte par Meursius et Bentley, on lit que les discours contradictoires de Démosthène et d'Eschine ont été prononcés dans la huitième année de la bataille de Chéronée, et dans la sixième depuis la mort de Philippe, année qui était celle de la victoire d'Alexandre à Arbèle. Vivant cette correction, όγδοω n'était pas à sa place, et έκτω manquait entièrement. La leçon actuelle donne pour la mort de Philippe la première année de la 111e olympiade, car la bataille de Chéronée est de la troisième année de la 110e olympiade, et celle d'Arbèle a été livrée la seconde année de la 112e olympiade. Cette dernière bataille fut donc livrée dans la huitième année depuis la première. Il y a quelque confusion dans Diodore, pour embrasser, suivant sa coutume, de grandes masses pour la commodité de ses lecteurs. Il comprend dans le seizième livre tout ce qui a rapport à Philippe, comme dans le dix-septième tout ce qu'il dit d'Alexandre. Il met à la fin du premier de ces deux livres, la mort de Philippe à la première année de la 111e olympiade, et il commence le second par la deuxième année de cette même 111e olympiade, comme si Alexandre n'était pas monté au trône immédiatement après la mort de son père. Il aurait dû porter encore à la première année de cette 111e olympiade, la nomination de ce prince au commandement de l'expédition des Grecs contre les Perses, et son expédition contre les Thraces. Cette nomination doit, selon Arrien, s'être faite dès l'avènement d'Alexandre au trône, probablement dans l'automne de cette même armée. Il commença ensuite son irruption en Thrace au printemps, c'est-à-dire, dans les derniers mois de l'an 1 de la 111e olympiade. Il passa l'Istrus, couvert par les grains déjà hauts, vers le commencement de la seconde année de la 111e olympiade ; et par une marche forcée, il transporta delà son armée en Bœotie. Il y détruisit la ville de Thèbes, dans le temps à peu près de la célébration des mystères attiques, c'est-à-dire, dans l'intervalle du 15 au 23 boëdromion, à la fin de l'été de l'an 2 de la 111e année, lorsqu'Euénète était archonte d'Athènes. Enfin, au printemps suivant, il commença à se mettre en marche pour l'Asie.

On voit qu'on n'est pas bien fondé à s'écarter de l'opinion commune des chronologistes, conforme aux témoignages de Diodore et d'Arrien[7], qui assurent qu'Alexandre est monté sur le trône dans la première année de la 111e olympiade. A en juger par la série des événements qui y sont rapportés, ce fait ne peut pas être de beaucoup postérieur au commencement de cette année, et par là se trouve justifié le rapport de Plutarque et d'Arrien, qui s'accordent à dire qu'il était alors âgé, de vinât ans. Supposons, comme rien ne nous en empêche, son avènement à la couronne, ainsi que sa naissance, vers boëdromion, ils le font mourir en thargélion de l'an 1 de la 114e olympiade, et nous trouvons ainsi pour la durée de son règne les douze ans et les huit mois d'Arrien. Diodore ne compte que douze ans et sept mois, ainsi qu'Eusèbe dans sa chronologie (vol. I, p. 251) ; et dans un autre endroit (vol. II, p. 31) de cet ouvrage, il ne marque que six mois ; et enfin dans un autre endroit encore ne donne que le nombre rond de douze années.

Un nouveau motif pour transporter la mort d'Alexandre dans la dernière moitié de la première année de la 114e olympiade, se trouve dans la Table des Rois, si précieuse pour l'histoire, et qui servit aux astronomes d'Alexandrie de moyen pour placer dans une ère fixe les années des rois, par lesquelles on comptait alors dans la vie commune ; et sans elle il est impossible de faire aucun calcul astronomique.

Delabastie a montré, dans les mémoires de l'Académie des Inscriptions (XIIe et XIIIe vol.), que les Egyptiens, au moins sous la domination romaine, ont compté les années de leurs souverains du 1er thoth, qui avait précédé immédiatement leur inauguration, comme premier jour de leur année, et que de cela dépend l'explication de plusieurs monnaies et médailles frappées en Egypte. Le même principe a été également suivi dans la Table des Rois, comme on le voit en comparant les jours on sont morts les empereurs romains, avec les années qui leur sont attribuées pour la durée de leurs règnes. A la vérité, Fréret a cherché à prouver que cela n'est vrai que depuis Tibère, et que les années où sont morts les souverains qui l'ont précédé, ne sont pas comptées dans celles du règne de leurs successeurs ; mais une pareille variation dans une méthode suivie pour la disposition de cette table, outre qu'elle est déjà très invraisemblable par elle-même, ne peut se prouver par aucun des princes plus anciens dont nous savons avec quelque certitude qu'ils sont morts en telle ou telle année, comme je l'ai démontré ailleurs.

Ainsi, tant qu'il ne sera pas incontestablement démontré que la première partie de la Table des Rois, qui expose les années de ceux qui ont régné à Babylone, en Perse, et celles des rois grecs d'Egypte, a «é construite sur un plan différent de celui de la dernière, on n'aura aucune raison suffisante pour transporter la mort d'Alexandre dans la seconde moitié de l'an 1 de la 114e olympiade, que de dire que la table fait de la 425e année de Père de Nabonassar, laquelle a commencé au 12 novembre 324 avant Jésus-Christ, au milieu de cette année olympique, la première du règne de Philippe Aridée son successeur, ou la première de l'ère de Philippe. L'expression des années depuis la mort d'Alexandre, par laquelle cette ère est quelquefois désignée dans l'Almageste, n'est pas contraire à ce sentiment. Cette ère ne commence en aucun cas à la mort du roi : la difficulté consiste à savoir si cette mort est d'une demi-année antérieure ou postérieure à leur époque. Dès qu'une fois l'usage civil fut d'attribuer l'année de la mort d'un roi à son successeur, l'expression depuis la mort d'Alexandre signifia seulement depuis le commencement de l'année dont on a fait la première du règne de son successeur.

Il est naturel ici de demander si l'ensemble des actions et des aventures du roi pendant la dernière période de sa vie ne présente pas un moment où l'on puisse placer un des faits que nous avons maintenant en vue ? Oui, sans doute, et à mon avis il n'en est aucun de peu importait.

Arrien place la fin de la guerre contre Porus dans le mois munychion de l'année où Hégémon était archonte, c'est-à-dire, au printemps de la deuxième année de la 113e olympiade, 326 avant la naissance de Jésus-Christ. Si avec les chronologistes, et nommément avec le clairvoyant Sainte-Croix, qui surtout a pris beaucoup de peine pour mettre de l'ordre dans toute la durée de la vie d'Alexandre, nous partons de cette époque comme d'un point fixe, nous nous voyons forcés, dès que nous voulons que ce roi soit mort au commencement de la 114e olympiade, de presser et de serrer tellement les faits, qu'ils perdent toute vraisemblance. On sait qu'Alexandre, après avoir vaincu Porus, marcha aussitôt vers l'Indus, et qu'il suivit le cours de ce fleuve jusqu'à son embouchure. Il fit retourner de là Néarque avec une partie de son armée par mer, pendant qu'avec l'autre partie il marchait vers Suse et Babylone, en traversant la Gédrosie et la Caramanie. Sainte-Croix pense que l'hiver où, selon Arrien, il traversa la Caramanie, fut celui de l'an 3 de la 112e olympiade, et que ce prince rentra à Babylone au commencement de l'an 4 de la 113e olympiade. Mais est-il croyable que cette marche au travers de mille combats jusqu'à' l'Hyphasis, et de là encore en retournant jusqu'à l'Hydaspe, la prise de tant de villes, la fondation d'un si grand nombre d'autres, la construction d'une flotte, sa navigation sur l'Hydaspe, l'Akésine et l'Indus jusqu'à l'Océan, la défaite des Malliens et d'autres peuples indiens qu'il rencontra en chemin, sa grande blessure et sa guérison, les préparatifs de l'expédition de Néarque, et la marche pénible au travers de la Gédrosie, qu'il mit. soixante jours à parcourir jusqu'à la capitale de ce pays, que tout cela ait pu se passer, comme le dit Sainte-Croix, dans le court espace de temps qui s'est écoulé du mois munychion de la deuxième année de l'olympiade 113, à l'hiver de la troisième année de cette olympiade, ou quelque peu plus d'une demi-année ? Si donc nous ne voulons pas déplacer l'époque de la victoire remportée sur Porus, chose qu'aucun chronologiste n'a jusqu'à présent osé faire, il faut que nous admettions que tous ces évènements se sont passés en un an et demi, que la navigation de Néarque s'est faite dans la quatrième année de la 113e olympiade, que le retour d'Alexandre à Babylone est du commencement de l'an 1 de la 114e olympiade, et que sa mort doit se placer vers la fin de cette année ; et, pour peu qu'on lise attentivement le septième livre d'Arrien, on jugera qu'il n'a pas moins fallu que la dernière moitié de cette année pour tout ce qui s'est passé depuis l'instant de son retour jusqu'à sa mort.

D'après un passage des Indica de cet auteur, Néarque mit à la voile le 20 boëdromion, sous l'archontat de Céphisodore. Ici, l'archonte et le mois font naître une difficulté. Céphisodore, en effet, était archonte l'an 2 de la 114e olympiade, et par conséquent premier archonte éponyme lors de la mort d'Alexandre. Corsini croit qu'il était archonte subrogé à la place d'Anticlès, dans l'an 4 de la 113e olympiade. Cela peut s'admettre, car boëdromion, dans cette année, répondait, suivant ma table de Métion, au 21 septembre de l'an 325 avant Jésus-Christ. Or, Arrien dit ailleurs (liv. VI) que la mer de l'Inde est plus navigable depuis le coucher des pléiades jusqu'au solstice d'hiver, qu'en tout autre temps, parce qu'alors il y régnait des vents de terre, et que pour cette raison Néarque avait attendu le retour de cette saison. Et selon Callippe, contemporain d'Alexandre, les pléiades se couchaient lorsque le soleil se trouvait dans le seizième degré du scorpion, c'est-à-dire, le 13 novembre, par suite de la position qu'avait alors l'équinoxe d'automne. Néarque n'a donc pu commencer sa navigation avant le 21 septembre. C'est dommage qu'il se trouve une lacune dans l'endroit cité des Indica ; on y lit : Alors sous l'archonte Céphisodore à Athènes, le vingtième jour du mois boëdromion, selon la manière de compter des Athéniens, et comme les Macédoniens et les Asiatiques comptaient... Alexandre régnant depuis onze ans. Là, comme on voit, manque le nom du mois macédonien, le ένδεκατον, onzième, ne semble pas devoir contredire mon opinion qui est que Néarque a commencé sa navigation tout au plus tôt en l'an 4 de la 113e olympiade. L'historien a bien pu confondre le nombre cardinal avec le nombre ordinal.

Mais si les événements précédents semblent porter la mort du roi à la fin de la première année de la 114e olympiade, ceux qui ont suivi cette mort ne conduiront-ils pas a un autre résultat ? La division qui se mit parmi les généraux de son armée, sur la grande question de savoir qui serait son successeur, s'éleva si promptement après sa mort, que, si nous en croyons Quinte-Curce, ses obsèques en furent retardées pendant plusieurs jours, nonobstant la grande chaleur de l'été. Diodore ne fait cesser cette division qu'au commencement de l'an 2 de la 114e olympiade, et par conséquent, si nous voulons placer la mort d'Alexandre à la fin de thargélion, il fait éclater cette division un mois plus tard, comme Eusèbe l'y oblige. On pourrait, pour justifier cette opinion, vouloir proposer, sur la date attique de la mort de ce roi, l'hypothèse suivante, qui, au premier coup d'œil, est assez satisfaisante. Dæsius répondait à hecatombæon, du temps d'Alexandre comme du vivant de Philippe. Les Macédoniens avoient à la vérité des mois lunaires, comme les Athéniens, mais ils avoient un autre cycle intercalaire où dæsius, qui dans la règle se rencontrait avec hecatombæon, s'en écartait quelquefois d'un mois entier. Si donc la première année de la 114e olympiade était pour les Athéniens une année intercalaire, mais non pour les Macédoniens, dæsius remontait à scirophorion, dernier mois de l'année attique, et Alexandre mourait à la fin de l'année olympique. Diodore peut donc avoir fait éclater la division des généraux dans la deuxième année de la 114e olympiade. Cette solution, qui m'a été communiquée par M. Boëkh, ne cadre pourtant pas avec l'hypothèse assez bien fondée d'ailleurs, suivant laquelle le cycle de Méton était alors suivi à Athènes. Car l'an premier de la 114e olympiade n'était pas une année intercalaire dans ce cycle — non plus que dans la période callippique, quand même on supposerait celle-ci en usage alors dans Athènes —. Je m'en tiens donc au mois thargélion, et je répète ici ce que j'ai déjà dit de la coutume de Diodore, de combiner ensemble de grandes masses historiques, et de les séparer en sections chronologiques.

Conformément à cette méthode, il raconte toute la guerre qui s'alluma bientôt après la mort d'Alexandre, dans toute la Grèce, et il la termine à la seconde année de la 114e olympiade, au lieu que nous savons bien précisément qu'elle ne finit que dans la troisième année de cette olympiade. Plutarque dit, dans la vie de Démosthène, qu'Antipater fut victorieux à Cranon en métageitnion, et qu'en boëdromion il mit une garnison dans le Pirée, après quoi Démosthène mourut en pyanepsion ; il ne nomme pas l'année, mais ce ne peut être que celle qu'il a nommée la dernière. Cette guerre dura donc deux années olympiques. Sainte-Croix la prolonge jusqu'à trois, en la faisant commencer au printemps de la première année de la 114e olympiade, par suite de sa supposition de la mort d'Alexandre au commencement de la 114e olympiade. Mais aucune des circonstances qu'il allègue pour raison de son dire, ne me paraît suffire pour obliger de donner à cette guerre un commencement aussi anticipé.

Je viens d'exposer les raisons qu'on peut alléguer pour soutenir les deux opinions en vogue parmi les chronologistes. Je ne déciderai formellement rien en faveur de l'une ni de l'autre, mais je crois avoir suffisamment donné à connaître par cet exposé, de quel côté je penche. Il est évident que les motifs qui militent pour le commencement de la première année de la 114e olympiade, sont en grande partie très faibles. Telles sont les douze années qu'Eratosthène, Josèphe et autres donnent au règne d'Alexandre, sans doute d'après le parallèle établi entre les deux années olympiques 1, 111, et 1, 114, dans la première desquelles arriva son avènement au trône, et sa mort dans la dernière. Eusèbe mettant cette mort au commencement de la 114e olympiade, n'a voulu marquer que la première année de cette olympiade ; mais il ne faut pas s'arrêter aux mots cités plus haut où Diodore dit : Peu de temps avant sa mort.

Les raisons qui militent en faveur de la seconde opinion sont plus fortes que celles qui servent à soutenir la première ; il sera moins possible encore d'admettre l'hypothèse de M. Champollion, qui fait mourir Alexandre à la fin de la 113e olympiade. Il a établi cette supposition avec beaucoup d'habileté[8]. Je vais la combattre plus brièvement, quoiqu'avec la même assurance.

D'abord M. Champollion cherche à affaiblir le témoignage des écrivains qui placent expressément la mort d'Alexandre dans la 114e olympiade. Eusèbe, dit-il, a copié Josèphe, comme ce dernier a copié Diodore ; de sorte qu'il ne reste plus que le témoignage d'Arrien et celui se Diodore. Les mots παντες όμολογουσιν de Josèphe, que j'ai traduits par : Suivant l'acception générale, devraient, selon lui, montrer qu'il y a quelques doutes à élever sur l'auteur. Arrien a réduit mal à propos le temps qu'il avait trouvé déterminé dans Aristobule ; et, comme on s'imagine bien, il n'y a pas grand'chose de bon à tirer de Diodore, pour la chronologie, mais la vérité sortira de son erreur même. Il fait coïncider l'époque de la division des généraux de l'armée d'Alexandre, époque inséparable de celle de la mort de ce roi, avec le consulat de L. Furius et de D. Junius. Or, ces consuls étaient en charge en même temps que l'archonte Anticlès, dans la quatrième année de la 113e olympiade. Diodore, au contraire, les fait tous correspondre à l'archonte Céphisodore dans la deuxième année de la 114e olympiade. Les consuls L. Furius Camillus et D. Junius Brutus appartiennent absolument à la 429e année de Rome, année qui commença dans la quatrième année de la 113e olympiade. Mais la manière dont Diodore, dans cette première période de Rome, combine les consuls avec les archontes, montre clairement que Corsini a raison quand il dit : In consulibus ipsis ad annos olympicos referendis nullum ex Diodoro, antiquoribus præsertim tempoibus, præsidium sperari potest : paroles qu'à la vérité M. Champollion cite, mais sans y ajouter foi. Il est au reste aisé de voir que l'historien a ici une faute à se reprocher. Il joint les consuls des années 415 jusqu'à 420 de Rome, avec les archontes de l'an 1 de la 111e olympiade, tandis que cependant ces consuls furent en charge trois ans avant ces archontes. Il ne parle point de l'anarchie de l'an 421, en sorte que les consuls des années 422 à 429 concourent avec les archontes des années 3 de l'olymp. 112, et 2 de l'olymp. 114, avec une différence de deux années encore, et il ne remarque pas qu'il ne se trouve point de consuls dans l'année 430, mais seulement un dictateur, C'est pourquoi, à compter de l'an 431, la différence n'est que d'un an. Que peut-on établir sur des fondements aussi peu fermes, quand il s'agit de fixer l'époque de quelque événement.

Exposons maintenant les autres raisons que M. Champollion allègue pour soutenir son opinion.

Denys d'Halicarnasse remarque que Démosthène avait prononcé sous le consulat d'Anticlès, dans le temps de la mort d'Alexandre, son discours sur l'accusation qu'on lui intentait d'avoir reçu des présents d'Harpalus, Alexandre doit par conséquent être mort dans la quatrième année de la 113e olympiade. L'écrivain n'avait pas ici beaucoup d'intérêt à marquer avec précision l'année de la mort d'Alexandre ; il voulait seulement, en ajoutant vers la mort d'Alexandre, faire sentir que ce discours avait été un des derniers prononcés, et qu'ainsi Aristote avait écrit très tard sa rhétorique où il en parle, et que par conséquent Démosthène, dans ce discours et dans les autres, n'avait pas pu profiter des règles qu'il avait établies. On peut toujours demander si Denys ne s'est pas trompé dans le nom de l'archonte, chose que je crois très vraisemblable d'après les raisons que je vais donner.

Une autre preuve que M. Champollion donne de son système, est tirée de la persuasion générale dans l'antiquité, qui faisait croire qu'Alexandre et Diogène de Sinope étaient nés le même jour. Plutarque en fait mention par la bouche d'un certain Diogénien qu'il introduit comme parlant dans son Symposion, sans l'en faire garant. Cette présomption obtient plus de poids du témoignage de Démétrius de Magnésie, qui au temps de Cicéron compila un ouvrage sur les écrivains homonymes. Diogène Laërce dit qu'il y était écrit qu'en un même jour de la 113e olympiade, Alexandre, était né à Babylone, et Diogène à Corinthe. Meursius change ici sans scrupule τριτην en τεταρτην, comme Suidas, au lieu que ce dernier mot doit être répété selon le sens de Démétrius. Proclivis lapsus est, dit-il[9], surtout quand, comme dans Suidas, le nom de nombre est écrit avec des caractères numériques.

Mais le Cynique mourut précisément lorsqu'il allait se mettre en route pour les jeux olympiques, c'est ce qu'assure Satyrus, philosophe péripatéticien qui a écrit sous Ptolémée Philométor, les vies des hommes illustres. Athénée le cite souvent, mais il ne tire pas ce fait de Satyrus, comme le dit M. Champollion, seulement saint Jérôme, qui le raconte[10], le fait conjecturer, en le nommant une fois auparavant. Les jeux n'étaient donc pas célébrés ; par conséquent, Diogène, et de même aussi Alexandre, doivent être morts dans la 113e olympiade. Telle est la conclusion que tire M. Champollion ; mais il suffit de comparer les passages rassemblés par Brucker[11], pour se convaincre du peu d'accord de ces petits détails en partie controuvés, que les anciens nous débitent sur Diogène, et particulièrement sur le genre de sa mort. Je me contenterai de faire remarquer ici que Démétrius, dans Diogène Laërce, le fait mourir i, Corinthe, et Satyrus dans saint Jérôme, en plein air sur le chemin d'Olympie.

Personne ne voudra contester que la mort d'Alexandre n'ait pu arriver dans le même temps et peut-être dans les mêmes jours que celle de Diogène, mais je ne doute pas un seul instant qu'Alexandre n'ait vécu dans le temps de la célébration des jeux auxquels Diogène doit s'être rendu.

En effet, les jeux ou spectacles dans lesquels, selon Diodore, Nicanor proclama, d'après l'ordre d'Alexandre, le rappel des bannis, ne peuvent avoir été que ceux qui commencèrent la 114e olympiade : c'est ce qui résulte clairement du discours de Dinarque contre Démosthène. Celui-ci dit qu'il était allé dans ce temps là à Olympie pour traiter avec Nicanor, et aussitôt après on lit : « Il se fit nommer député des Athéniens pour les jeux olympiques, lorsque Nicanor voulut publier la résolution d'Alexandre de laisser revenir les bannis. » Il est impossible de penser ici aux jeux olympiques de la 113e olympiade, car la fuite d'Harpalus, et les autres circonstances qui ont donné lieu au discours contre Démosthène, ne peuvent pas se reculer si loin. Harpalus s'enfuyait de Babylone avec l'argent qu'il enlevait à Alexandre, lorsqu'il apprit que le roi, à son retour de l'Inde, avait puni plusieurs gouverneurs qui s'étaient rendus coupables des mêmes malversations que lui, dans l'emploi ries deniers publics. Alexandre, dans la première année de la 113e olympiade, ne pensait pas encore à son retour. La fuite d'Harpalus n'a pu avoir lieu au plus tôt, que dans la troisième année de la 113e olympiade, comme Sainte-Croix le conjecture d'après la comparaison de toutes les circonstances contemporaines. Démosthène fut accusé de s'être laissé corrompre. Pendant ce temps-là il était, comme député d'Athènes, présent à Olympie, et pendant son absence d'Athènes, Dinarque écrivit le discours qu'il composait contre lui. Démosthène doit donc avoir prononcé ensuite sa défense, mais elle ne put le sauver de l'exil auquel il fut condamné, et cela n'a pu se faire avant les premiers mois de la première année de la 114e olympiade. C'est pourquoi je ne doute pas que Denys d'Halicarnasse, dans le passage que j'ai cité de lui, ne se soit trompé dans le nom de l'archonte, et qu'il n'ait écrit Anticlès au lieu d'Hégésias.

M. Champollion invoque encore à son secours un passage de George le Syncelle, qui dit que les généraux d'Alexandre se distribuèrent dans son empire, vers le commencement ou même avant le commencement de la 114e olympiade. Les mots qui contiennent cette indication du temps, se lisent ainsi dans le texte original : Ταυτα παντα συντρεχει κατα την ριδ' ολυμπιαδα, καθ' ήν αρχομενην ή πριν αρξασθαι τον αριδαιον ολυμπιας κτεινεται..... Et avant αρξασθαι, il met un point. Il manque ici visiblement une proposition entière avant ce mot, car Philippe Aridée fut assassiné dans la, quatrième année de la 115e olympiade, et la forme inouïe κτεινεται montre suffisamment combien cet endroit est corrompu[12].

D'après ce qui vient d'être développé, le savant fiançais tient pour démontré que la mort d'Alexandre est de la fin de la troisième année de la 113e olympiade. La date attique de cette mort est le 6 thargélion d'Elien, qui doit avoir répondu au 28 dæsius, si nous remontons du 23 juillet auquel tombe le 1er hecatombæon de la première année de la 114e olympiade, selon la table de Méton dressée par Dodwell, jusqu'au 6 thargélion, nous tomberons au 3o mai, Alexandre est donc mort le 30 mai de l'an 323 avant la naissance de Jésus-Christ, tel est son résultat. On sera surpris de trouver ici la même année que j'ai déjà nommée comme celle avec laquelle coïncide la fin de la première année de la 114e olympiade ; mais il compte avant la naissance de Jésus-Christ une année de moins que tous les autres chronologistes, probablement suivant la coutume des astronomes, de faire égale à o l'année de la naissance de Jésus-Christ.. Cette manière de compter ne trouble pas peu le lecteur versé dans la chronologie, attendu qu'il ne la trouve pas conséquente ; car quelquefois l'auteur compte les années avant Jésus-,Christ de la manière ordinaire. Par exemple, quand il place l'époque de l'ère de Nabonassar au 26 février de l'an 747, au lieu que, dans son système, il aurait dû écrire l'an 746. Ou peut-être ne s'est-il formé aucun système sur la manière de compter les années avant la naissance de Jésus-Christ, et sur leur comparaison avec les années des olympiades et de l'ère de Nabonassar. Il en résulte une confusion inconcevable qui règne dans tout l'ouvrage. Il faut avouer que les bases des preuves qu'il donne pour appui à son hypothèse, sont un peu faibles, mais il les trouve confirmées par tout l'ensemble de la supputation attique et macédonienne, d'une manière qui produit en lui la plus forte conviction.

Les Athéniens, dit-il, ayant eu une année de 354 jours qui faisait, circuler leurs fêtes par toutes les saisons — assertion dont nous voulons bien lui passer la preuve, qu'il lui serait très difficile de donner —, ils employaient une octaëtéride formée de la manière que nous apprenons de Géminus et de Censorin, suivant laquelle l'année avait dans la règle 354 jours, mais recevait tous les huit ans une intercalation de 90 jours qui étaient distribués sur trois mois. Par ce moyen, dit-il, le commencement de la première année de chaque olympiade était ramené à la nouvelle lune qui suivait le solstice d'été ; mais cette octaëtéride était même trop courte d'un jour et demi, en sorte qu'après qu'elle avait eu lieu cinq fois, la néoménie s'en écartait au troisième quart. Il ne fait aucune mention des corrections devenues dés lors nécessaires, et dont Géminus parle. Il est étonnant qu'il n'attribue aux Athéniens que cette octaëtéride imparfaite, et que cependant il se serve de la table de Dodwell, sur le cycle de Méton, toutes les fois qu'il veut ramener une date attique au calendrier julien, sans considérer que la période de huit ans est incommensurable avec celle de dix-neuf, et que par conséquent la série des mois intercalaires dans la dernière devait être toute autre que dans la première, sans parler de la différence dans la distribution des mois pleins et des mois caves.

Les Macédoniens seuls, à son avis, gardèrent l'année originelle de 354 jours qui n'était réglée par aucune intercalation, et Alexandre l'introduisit dans tous les pays de l'Asie qu'il avait conquis. Il nomme cette année, dont le commencement parcourait toujours peu à peu l'année julienne, l'égyptienne et l'attique, une année lunaire, et les mois de 29 et de 3o jours alternativement] des mois lunaires, sans prendre garde que la véritable année lunaire contient 9 heures de plus que 354 jours, de manière qu'une année de 354 jours sans intercalation, ne peut pas s'accorder longtemps avec la lune. Mais les Macédoniens, comme tous les autres Grecs, avaient réellement des mois mesurés sur les phases de la lune. On le voit par la lettre de Philippe, un mois macédonien y est sans aucune restriction mis en parallèle avec un mois attique et corinthien ; on le voit clairement encore par les trois observations citées plus haut de l'Almageste, et qui sont liées au calendrier macédonien. Nous avons vu que le 1er apellœus commença dans l'an 245 au 24 novembre, le 1er dius en 237 au 16 octobre, et le 1er xanthicus en 229 le 26 février au coucher du soleil. Les nouvelles lunes vraies qui y répondent se firent, selon mon calcul, le 13 novembre à deux heures du matin, le 15 octobre à onze heures du soir, et le 24 février à onze heures avant midi, temps babylonique. Si l'on considère maintenant que la première apparition du croissant dans le crépuscule du soir, avec laquelle doivent commencer les mois lunaires, ne se montre qu'un ou deux jours après la nouvelle lune vraie, on avouera que le calendrier macédonien était parfaitement en harmonie avec le ciel.

Les années que nous trouvons en usage chez différents peuples, sont disposées ou simplement d'après les phases de la lune, ou seulement par saisons, ou tout à la fois sur ces phases et ces saisons. Nous ne connaissons qu'un seul peuple qui se serve d'une année lunaire pure, ce sont les Arabes, de qui elle est passée à tous les autres mahométans ; mais ils intercalaient onze jours pendant une période de trente ans, pour fixer leurs fêtes à des phases toujours les mêmes. On ne conçoit pas comment une année lunaire de 354 jours seulement a pu se maintenir dans l'usage commun. Si l'ignorance en a pu créer quelque part une pareille, on dut bientôt penser à la corriger, quand on la vit, au bout de vingt ans, différer du ciel d'un quartier entier de lune.

Mais, dit M. Champollion, si nous donnons cette année aux Macédoniens, nous trouvons que les différents calendriers s'accordent partout d'une manière surprenante. Si, par exemple, nous remontons du 6 thargélion de l'an 4, olymp. 113, lequel, comme nous l'avons déjà remarqué, il regarde comme identique avec le 28 dæsius, en posant pour fondement les formes données de l'année, tant dans le calendrier macédonien que dans le calendrier attique, jusqu'au 6 hecatombæon de l'an 1, olymp. 106, jour de la naissance d'Alexandre, nous arrivons au 23 loüs, et effectivement Plutarque dit que ce roi est né dans le mois loüs. Cet accord lui semble prouver souverainement sa théorie. Cela me semblerait de même, si Plutarque eût nommé précisément et absolument le 23 loüs. M. Champollion établit plusieurs comparaisons pareilles, non sans se rendre coupable de bien des erreurs assez fortes. Par exemple, il aurait pu s'épargner le long calcul de l'intervalle compris entre l'éclipse de lune arrivée sous l'archonte Evandre dans la troisième année de la 99e olympiade, et le jour qu'il prend pour celui de la mort d'Alexandre, puisque ce calcul repose sur un fondement entièrement faux ; car selon la table de Dodwell, dont il se sert, l'an 3 de la 99e olympiade ne commence pas au 15, mais au 4 juillet. La date de l'éclipse, suivant cette table, n'est donc pas le 4, mais le 15 posidéon. Il a pris par inadvertance l'année précédente, 2e de la 99e olympiade. Pour peu qu'il eût connu la disposition du cycle de Méton, il aurait su qu'une éclipse de lune ne pouvait pas se faire le quatrième jour d'un mois attique. Une preuve, dit Géminus, que les jours du mois se comptent suivant ceux de la lune, c'est que les éclipses de lune ont lieu dans la nuit qui précède la dichoménie, qui est le milieu du mois, car alors la lune est dans son opposition avec le soleil. Tous les chronologistes doués de quelque sagacité sont actuellement persuadés que le calendrier attique, depuis l'introduction de l'octaëtéride, ne peut s'écarter du ciel que d'une couple de jours au plus.

Sans entrer dans plus de détails, je ne balance pas à déclarer que je regarde l'entreprise de M. Champollion comme ayant manqué entièrement son but, en tant qu'elle concerne la mort d'Alexandre et la forme de l'année macédonienne. Quant au reste de son livre, ce n'est pas ici le lieu d'en parler.

 

SUPPLÉMENT.

 

Après avoir lu publiquement le précédent Mémoire, en présence de l'Académie, je reçus presqu'aussitôt un écrit sous le titre de : Nouvelles recherches sur l'époque de la mort d'Alexandre, et sur la chronologie des Ptolémées, ou Examen critique de l'ouvrage de M. Champollion-Figeac, intitulé Annales des Lagides, par M. J. Saint-Martin ; à Paris, 1820, in-8°, avec l'épigraphe : Magis amica veritas. Il est, comme on voit, dirigé contre les Annales des Lagides, de M. Champollion ; les fautes y sont relevées avec connaissance de cause. J'accède sur plusieurs points essentiels au jugement de l'auteur, en même temps que sur d'autres je suis d'un avis tout opposé. Je vais m'exprimer à ce sujet avec franchise, mais aussi avec toute l'estime due à son érudition et à sa sagacité, pour faire connaître au lecteur l'état présent de la question que j'examine.

Je remarquerai d'abord que M. Saint-Martin place, comme son adversaire, la mort d'Alexandre à la fin de la 113e olympiade. Comme pour étayer cette opinion qui paraît se soutenir parmi les savants de sa nation, il n'apporte aucune preuve nouvelle, je crois inutile de rien ajouter à ce que j'ai dit contre cette opinion ; mais je dois exposer mes doutes sur la manière dont, conséquemment à mes assertions, il détermine la date du jour de cette mort.

Il présente deux tables pour la réduction des dates macédoniennes. La première pour l'intervalle du 23 novembre 433 au 7 novembre 331 ; et la seconde pour le temps écoulé depuis cette dernière date. Elles sont fondées sur les suppositions : 1° que les Macédoniens ont adopté le cycle de Méton, et ensuite la période callipique ; 2° que, commençant leur année avec le mois dius en automne, ces deux espaces périodiques de temps ont une époque différente de celle des Athéniens, qui commençaient leur année avec hecatombæon en été. Les époques macédoniennes précèdent donc de huit mois celles des Athéniens. Ainsi, par exemple, la première année du cycle de Méton qui commença pour Athènes dans l'été de l'an 432 avant la naissance de Jésus-Christ, commença pour la Macédoine dans l'automne de l'an 133 ; 3° que les mois macédoniens étaient tellement disposés, que, suivant la règle ordinaire, dius répondait à maimactérion, cinquième mois de l'année attique ; 4° que la quatrième année de ces espaces de temps était une année intercalaire, et non la troisième, comme l'a présumé Dodwell, qui, au reste, a bien déterminé la série des années intercalaires.

Les deux premières de ces quatre assertions n'admettent pas plus de preuve que de réfutation ; on peut tout au plus les qualifier de vraisemblables. Quant à la troisième, elle n'est appuyée que sur la place qu'occupaient les mois macédoniens dans l'année solaire des derniers temps. Il est certain qu'ils la remplirent, quand ils eurent perdu leur qualité de mois lunaire, caractère bien divers chez tous les peuples en si grand nombre qui se servirent de ces mois, depuis Alexandre. De toutes leurs différentes liaisons avec les mois juliens, les deux suivantes étaient les plus étendues. Dans la première, on les plaçait de manière que l'on faisait commencer dius à l'équinoxe d'automne, le 24 septembre, péritius au solstice d'hiver, artémisius à l'équinoxe du printemps, et lotis au solstice d'été. Cet usage fût suivi dans la Macédoine proprement dite, et dans l'Asie mineure. Les Syriens, au contraire, regardèrent les mois macédoniens comme entièrement identiques avec les mois juliens, de manière qu'ils faisaient concourir avec le mois de novembre, dius, qui chez les Macédoniens répondait dans sa plus grande partie au mois d'octobre, en sorte que dius et novembre étaient deux mots synonymes. La raison d'un usage si différent était, selon que le conjecture Noris avec beaucoup de vraisemblance, que les Macédoniens et l'Asie mineure adoptèrent la forme de l'année julienne dans une année commune, et les Syriens, au contraire, dans une année intercalaire, en doublant quelqu'un de ces mois. Si donc on demande la place qu'avoient ordinairement dans une année tropique les mois macédoniens primitifs, nous la trouverons par la première des deux sortes de leur premier emploi, mentionnées ici. Or, comme le mois hecatombæon des Athéniens commençait aux environs du solstice d'été — car les expressions d'Aristote, περι τον νκατουμβαιωνα, et περι τας τροπας, étant synonymes, il faut que nous le fassions marcher parallèlement avec le mois loüs des Macédoniens, et que pour cela nous disposions ainsi les mois macédoniens concurremment avec les mois attiques :

Dius.

Pyanepsion.

Artémisius.

Munichius.

Apellœus.

Maimactérion.

Dæsius.

Thargélion.

Audynæus

Posidéon.

Panémus.

Skirophorion.

Péritius.

Gamélion.

Loüs.

Hecatombæon.

Dystrus.

Anthestérion.

Gorpiæus.

Métageitnion.

Xanthicus.

Elaphébolion.

Hyperbérétæus.

Boëdromion.

Dans la seule année intercalaire, les mois enjambaient tellement les uns sur les autres, que dius prenait la place de maimactérion, supposé toutefois que les Macédoniens intercalassent avant les Athéniens, ce qui serait la conséquence de la seconde supposition. M. Saint-Martin au contraire fait venir du calendrier syrien la correspondance des mois macédoniens et des mois attiques, en donnant pour règle que dius répondait généralement à maimactérion. Il veut expliquer comment le mois loüs, qui doit ordinairement concourir avec métageitnion, peut quelquefois avoir pris la place de boëdromion, où nous le trouvons dans la lettre de Philippe, sans considérer que Plutarque, dont on ne récusera pas l'autorité en ce point, lie expressément loüs avec hecatombæon, et dæsius, en plus d'un endroit, avec thargélion. C'est ce qui me fait craindre que M. Saint-Martin n'ait pas bien rattaché, dans ses tables de réduction, les commencements des années macédoniennes aux justes dates juliennes, et je le crains d'autant plus, que je ne peux laisser passer sa quatrième assertion. Il fait de la seconde année du cycle de Méton une année intercalaire, parce qu'elle doit l'être dans notre cycle pascal de dix-neuf ans, qui est visiblement une copie du cycle de Méton. C'est, de la part de M. Saint-Martin, une erreur. Car dans le calendrier julien perpétuel, suivant lequel, avant la réforme grégorienne, on déterminait le jour où la fête de Pâques devait être célébrée dans toute la chrétienté, et qui est encore jusqu'aujourd'hui suivi dans l'église grecque, ce n'est pas la seconde, mais la troisième année qui doit être une année intercalaire. On s'en convaincra par l'inspection des nombres d'or dans ce calendrier, que l'on trouve imprimé dans plusieurs livres, et entr'autres dans l'Histoire de l'astronomie moderne, de M. Delambre, part. I, p. 45.

Ainsi donc, puisque de ces quatre suppositions, la première et la seconde sont très vraisemblables, tandis que la troisième est douteuse, et la quatrième évidemment fausse, on verra sans peine combien peu on doit s'en rapporter aux dates juliennes qui résultent des tables de réduction de M. Saint-Martin. Les trois observations tirées de l'Almageste, et déterminées par des dates macédoniennes qui devaient servir de preuve[13] à sa théorie d'un ancien comput macédonien, ne s'y adaptent nullement, du moins la troisième, puisqu'elle s'en écarte d'un mois entier. Car l'année macédonienne à laquelle appartient cette observation, est, selon M. Saint-Martin, la septième dans le second cycle de dix-neuf ans de la deuxième période macédonico-callippique, et comme telle elle a commencé le 31 octobre 230 avant la naissance de Jésus-Christ, le 5 xanthicus répond par conséquent au 31 mars 229, tandis que cette observation est du 14 tybi de l'an 519 de l'ère de Nabonassar, ou 1er mars 229 avant la naissance de Jésus-Christ. Les deux autres observations ne s'accordent qu'avec le mois, mais non avec le jour marqué dans les tables de réduction. Il ya donc lieu de s'étonner que M. S.-Martin ait dit (p. 121) : Les trois observations astronomiques consignées dans l'Almageste avec des dates macédoniennes et égyptiennes, restent sans explication dans le système de M. Champollion, comme si elles en trouvaient une dans celui de M. Saint-Martin. Pour mettre la date macédonienne de l'inscription de Rosette en harmonie avec sa seconde table de réduction, il la fait de trois ans plus ancienne qu'on n'a cru jusqu'à présent qu'elle l'était d'après le canon ou la table astronomique des rois. Car au lieu de la mettre au 27 mars 196 avant la naissance de Jésus-Christ, comme je l'ai marquée ci-dessus, il la met au 28 mars 199. L'explication prolixe par laquelle il veut allier l'historique de l'inscription avec son idée, ne m'a pas, je l'avoue, paru bien claire.

M. Saint-Martin ne veut voir que des approximations dans la table astronomique des Rois, et par là il se dispense d'en reconnaître l'autorité sans bornes ni conditions ; mais il me semble qu'il n'a pas bien saisi l'esprit de cette Table. Elle a été formée par les astronomes d'Alexandrie, à qui il importait d'établir pour eux-mêmes une ère fixe à laquelle ils pussent rapporter leurs observations et leurs calculs. Comme en Egypte, même dans la vie civile, on était dans l'usage de compter pleines les années des rois, puisqu'on donnait à chacun l'année entière dans laquelle il était monté sur le trône, quoiqu'elle fût presque entièrement écoulée, nous conservons à cette Table cette base de calcul, d'autant plus volontiers, qu'il en résulte une manière extrêmement simple et univoque de compter les années des règnes, par le moyen de laquelle chacun rentrait sans peine dans la somme totale (l'ère). On ne doit donc rien voir autre chose dans la fable astronomique, que l'année égyptienne comptée de Nabonassar, et en commençant avec le premier jour de thoth, où chaque roi est censé avoir commencé son règne. En ce sens, les nombres de la Table ne sont point du tout des valeurs approchées, et si on ne lui demande rien de plus que ce qu'elle promet, on ne peut, à parler généralement, lui refuser l'autorité que tous les chronologistes jusqu'à présent lui ont reconnue ; car il n'est pas encore arrivé un seul cas, qu'on ait pu démontrer bien évidemment, où cette Table aurait placé le commencement d'un règne dans une autre année que celle où il devait l'être d'après le principe énonce ci-dessus.

 

FIN DU MÉMOIRE

 

 

 



[1] Contra Appion.

[2] Dans le Thesaurus Temporum d'Eusèbe, que Scaliger a recueilli de divers auteurs, la mort d'Alexandre est mise à la 113e olympiade. Mais ce n'est plus une autorité depuis la nouvelle édition de la chronique d'Eusèbe.

[3] Le canon astronomique d'Egypte fait la durée du règne d'Alexandre de huit ans, en la comptant évidemment de la conquête de l'Egypte et de la fondation d'Alexandrie à la fin de l'été de l'an 1 de la 112e olympiade.

[4] Cette remarque concerne les difficultés chronologiques inséparables des événements qui ont précédé la bataille de Chéronée.

[5] Usserius dans ses Annales, et Longuerue dans son écrit De variis epochis et annis orientalium, ont prétendu que l'année solaire était déjà en usage dans le temps d'Alexandre ; mais cette supposition n'est appuyée sur rien de solide.

[6] Il ordonna de nommer à la manière des mois macédoniens, les mois de Syrie. Chron., p 257.

[7] L'archonte qu'Arrien nomme Pythodème, se nomme Pythodore dans Diodore. C'est la même personne, archonte éponyme de la première année de la 111e olympiade. (V. Corsini, t. IV.)

[8] Annales des Lagides, t. I.

[9] Αιογενης.

[10] Adv. Jovin.

[11] Hist. phil., t. I.

[12] En effet, Olympias mourut après Aridée, puisqu'elle l'avait fait tuer : elle ne fut donc pas tuée avant lui. Cependant le dictionnaire historique par une société de gens de lettres, fait mourir Philippe Aridée en l'an 304 avant Jésus-Christ, et Olympias en l'an 316 avant Jésus-Christ, c'est-à-dire, douze ans avant Aridée. M. Champollion s'est trop fié à ce dictionnaire, ou bien il n'a pas bien compris le grec. H.

[13] M. Saint-Martin le reconnait lui-même, quand il dit (p. 61) avec raison : Il faut trouver pour le cours de la période une date comparée dont le double énoncé ne puisse être contesté, et qui puisse être expliqué rigoureusement par le système qu'on veut établir.