I Napoléon, quelques heures après avoir quitté la Malmaison, s'était arrêté au château de Rambouillet. Il ne voulait que prendre un peu de repos, mais, quand il eut soupé, il se sentit souffrant. Il but une tasse de thé et se coucha[1]. On repartit de bon matin le lendemain 30 juin. Au relais de Vendôme, la maîtresse de poste vint à la portière de la calèche et demanda d'un air effaré s'il était vrai qu'il fût encore arrivé un malheur à l'empereur ? Elle le reconnut. Elle leva les bras au ciel et s'enfuit en pleurant dans sa maison[2]. Entre onze heures et minuit, on traversa Tours. A la sortie de la ville, Napoléon fit arrêter la voiture devant une auberge et chargea Rovigo d'aller chercher le préfet. C'était le comte de Miramon, un de ses anciens chambellans. Il voulait s'informer si quelque courrier suspect n'avait point passé par Tours, car il craignait qu'un émissaire de Fouché ne l'eût devancé pour dresser un guet-apens. Miramon s'empressa de se rendre à l'appel de l'empereur, qui eut avec lui un entretien de dix minutes[3]. On courut d'une traite jusqu'à Poitiers. Afin de laisser passer le plus fort de la chaleur, qui était accablante, on fit halte pendant une couple d'heures à la maison de poste, située hors de la ville. Napoléon profita de cet arrêt pour faire envoyer, par le général Beker, un courrier au préfet maritime de Rochefort. Il était impatient de savoir si les frégates mises à sa disposition pourraient appareiller dès son arrivée[4]. A Saint-Maixent, les habitants dont la curiosité était éveillée par cette calèche à quatre chevaux s'amassèrent alentour pendant qu'elle relavait. On cherchait à connaître les noms de ces voyageurs de marque. Un officier de garde nationale demanda les passeports. Beker remit le sien ; mais comme cette pièce était rédigée de façon insolite et qu'elle mentionnait seulement le général Beker, un secrétaire et un valet de chambre, l'officier ne voulut point prendre sur lui de laisser partir la voiture. Il porta le passeport à l'hôtel de ville ; le maire refusa de donner un laissez-passer. La foule grossissait. Bertrand, Rovigo, Beker commençaient à être inquiets. Beker se fit reconnaître par un lieutenant de gendarmerie qui se trouvait parmi les curieux ; il le pria de se rendre sur-le-champ à la municipalité et de lui rapporter son passeport visé, la mission d'État dont il était chargé ne devant souffrir aucun retard. L'officier obéit, bientôt la voiture put repartir[5]. Au reste, Napoléon aurait été reconnu sans danger. Comme partout où l'on avait passé jusque-là, la population était pour l'empereur ; les questions que l'on posait à ses compagnons de route témoignaient la persistance des sentiments bonapartistes. Le général Beker disait vrai dans son rapport au gouvernement provisoire : Napoléon n'a pas été reconnu, mais il a été très sensible aux démonstrations d'intérêt, à la curieuse inquiétude avec laquelle on demandait de ses nouvelles sur son passage[6]. On atteignit Niort le 1er juillet à dix heures du soir, Depuis Rambouillet, on avait roulé presque sans arrêt. Napoléon était très fatigué par ces trente-huit heures dans une calèche fermée. Il résolut de coucher à l'auberge de la Boule d'Or, située au faubourg Saint-Maixent, et dépêcha Rovigo au préfet pour l'informer de son passage dans la ville et l'inviter à le venir voir le lendemain de bon matin. Le préfet, Busche, témoigna sa surprise que l'empereur fût descendu dans une auberge quand il pouvait disposer de l'hôtel de la préfecture. Quelques heures après, au cours de sa très matinale visite, il insista si fort que Napoléon se décida à partir en voiture avec lui. Il n'avait plus le souci de son incognito, car, tandis qu'il regardait par la fenêtre en attendant le préfet, le major Voisin, du 2e hussards, qui allait au champ de manœuvres, et d'autres personnes encore l'avaient reconnu. Bientôt des groupes se formèrent devant la préfecture aux cris de : Vive l'empereur ! Napoléon se refusa à se montrer au balcon. Le préfet, Bertrand, Beker descendirent tour à tour sur la place pour engager les manifestants à se retirer. Peine perdue, la foule augmentait et les acclamations ne cessaient point[7]. Dans l'après-midi, Napoléon reçut le chef des mouvements du port de Rochefort ; il apportait une lettre du préfet maritime, le capitaine du vaisseau de Bonnefoux, en réponse à la dépêche que Beker avait envoyée de Poitiers. La rade, écrivait Bonnefoux, est étroitement bloquée par une escadre anglaise. Il me paraîtrait extrêmement dangereux pour la sûreté de nos frégates et celle de leur chargement (sic) de chercher à forcer le passage. Il faudrait attendre une circonstance favorable qui ne se présentera pas de longtemps dans cette saison. Les forces qui nous bloquent ne laissent aucun espoir de réussir dans le projet de faire sortir nos batiments[8]. Bonnefoux craignait les responsabilités. La mission dont on l'avait chargé était difficile et particulièrement délicate, car, à l'accomplir selon les ordres du gouvernement du jour, il risquait d'aller contre les vœux du gouvernement du lendemain. Ces pensées troublaient le préfet maritime au point d'obscurcir en lui la vision exacte des choses. Il grossissait les difficultés, les obstacles, les périls. Il était vrai qu'une escadre anglaise, commandée par l'amiral Hotham, croisait sur la côte. Mais cette escadre, forte de deux vaisseaux, de trois frégates et d'une douzaine de corvettes, bricks, sloops[9], était stationnée depuis l'embouchure de la rivière de Brest jusqu'au large du bassin d'Arcachon, soit sur une étendue de 243 milles marins (450 kilomètres). Pour garder le pertuis d'Antioche, large de plus de 8 milles marins, le pertuis Breton et le pertuis de Maumusson, qui donnaient tous trois accès à la rade de Rochefort, il n'y avait, à la lin de juin, et il n'y eut jamais dans la suite, qu'un seul vaisseau anglais, le Bellérophon, et un ou deux petits bâtiments de 16 à 24 canons, tantôt un, tantôt deux[10]. Il était donc au moins excessif d'écrire, comme le fit Bonnefoux, que la présence de la croisière ne laissait aucun espoir de sortir de la rade. La lettre du capitaine de Bonnefoux inquiéta extrêmement l'empereur. Il s'en montra désolé, dit le préfet Busche[11]. Mais, en même temps, les ovations des habitants de Niort réveillèrent ses espérances assoupies. — Le gouvernement, dit-il à Beker, connaît mal l'esprit de la France. S'il avait accepté ma dernière proposition, les affaires auraient changé de face. Je pouvais encore exercer, au nom de la nation, une grande influence sur les affaires politiques en appuyant les négociations par une armée à laquelle mon nom aurait servi de point de ralliement[12]. Dominé par ces pensées, il pria Beker d'informer hi Commission exécutive de l'obstacle mis par la croisière au départ des frégates et de lui proposer de nouveau d'employer l'empereur comme général, uniquement occupé du désir d'être utile à la patrie. Sur la demande expresse de Napoléon, Beker ajouta : Sa Majesté désire être autorisée à communiquer avec le commandant de l'escadre anglaise, si des circonstances rendent cette démarche indispensable tant pour sa sûreté personnelle que pour épargner à la France la douleur et la honte de voir l'empereur enlevé de son dernier asile et livré à la discrétion de ses ennemis[13]. Fouché et ses collègues ne songeaient guère à défendre Paris et moins encore à employer pour cette défense l'épée de Napoléon. L'empereur conservait sur leurs sentiments de bien surprenantes illusions. Mais il ne s'abusait pas sur sa propre position. Il n'y voyait d'issue digne de lui que de se livrer librement à l'Angleterre. Le prince Joseph, Gourgaud, le général Lallemand avaient rejoint l'empereur à Niort[14]. Il eut l'idée d'y séjourner en attendant la réponse du gouvernement provisoire ou des avis plus favorables du préfet maritime. Il envoya Gourgaud à Rochefort pour savoir si l'on pourrait tromper la surveillance de la croisière en gagnant la haute nier par la passe de Maumusson[15]. Dans la soirée, Lallemand soutint un autre projet. Le 2e hussards était très exalté. Tous les officiers s'étaient présentés à la préfecture. Ils voulaient proposer à l'empereur de se mettre à la tète de leur régiment pour retourner à Paris ou pour aller dans la Vendée rejoindre l'armée du général Lamarque. Lallemand conseilla d'accepter cette offre. Mais Napoléon n'avait pas fait, en abdiquant, le sacrifice du commandement des armées françaises pour devenir un chef de partisans. Il avait trop souci de sa dignité et du bien de la France pour courir pareille aventure. Afin de couper court aux propositions de ce genre comme aux inquiétudes de Beker, qui le pressait de se rendre à Rochefort, il résolut de quitter Niort. Il déclara qu'il partirait le lendemain à quatre heures du matin[16]. Cette décision s'ébruita. Quand Napoléon monta en voiture, la foule malgré l'heure matinale se pressait dans les rues. Aux Vive l'empereur ! se mêlaient les cris : Restez ici ! Restez avec nous ! Le 2e hussards était monté à cheval pour présenter une dernière fois les armes à l'empereur. Bien qu'il n'eût point demandé d'escorte, un peloton commandé par un officier accompagna sa calèche sabre au clair. A une poste de la ville, Napoléon congédia les hussards. li remercia l'officier et fit donner à chaque cavalier son portrait gravé, — sur une pièce de vingt francs[17]. On savait dans toute la contrée que l'empereur était à
Niort, en route pour Rochefort. On le guettait dans chaque village. Quand on
voyait passer la calèche à quatre chevaux, nul ne doutait qu'il ne s'y trouvât,
et l'on criait : Vive l'empereur ! A Mauzé, à Saint-Georges, à Surgères, à
Muron, à Saint-Louis, il entendit les mêmes cris. On achevait la fenaison ;
les hautes meules qui s'élevaient partout rappelaient aux paysans les grands
travaux de drainage ordonnés par l'empereur en 1807 et grâce auxquels cette
région de marais, infertile et malsaine, s'était transformée en une vaste
prairie. — Vous voyez, dit-il à Beker, les populations me savent gré du bien que j'ai fait.
Partout où je passe, je reçois les témoignages de leur reconnaissance[18]. II Depuis quatre jours, le préfet maritime était informé, par des dépêches de Decrès, de la très prochaine arrivée de Napoléon. Decrès lui avait prescrit de faire aménager les frégates la Saale et la Méduse pour y embarquer l'empereur et sa suite à destination des Etats-Unis. Ces bâtiments devaient être prêts à appareiller douze heures après que l'empereur serait à Rochefort[19], si toutefois la situation des croisières ennemies permettait de le faire sans compromettre les frégates[20]. Bonnefoux avait aussitôt donné des ordres aux commandants de la Saale et de la Méduse, les capitaines Philibert et Ponée. Des vivres pour quatre mois et demi avaient été apportés à bord, on avait complété les équipages, embarqué les canots, envergué les voiles. Le 3 juillet, à huit heures du matin, quand Napoléon descendit de voiture devant la préfecture maritime, tout était disposé pour appareiller[21]. Impatient de partir, l'empereur voulait s'arrêter seulement quelques instants à Rochefort et aller s'embarquer en rade[22]. Il s'informa si les frégates étaient prêtes. Bonnefoux l'en assura, mais il dit, comme il l'avait écrit la veille, que les pertuis étaient bloqués et les vents contraires[23]. Sur le désir de Napoléon, Beker réunit en conseil à la préfecture plusieurs officiers supérieurs de la marine et le vice-amiral Martin. En disponibilité depuis 1810, Martin s'était retiré à la campagne, près de Rochefort ; apprenant l'arrivée de l'empereur, il avait incontinent quitté sa retraite pour venir le saluer[24]. Le conseil, à qui le préfet maritime fit partager ses vues troublées, reconnut qu'il était impossible aux frégates de tromper la vigilance de la croisière[25]. L'amiral Martin ouvrit l'avis que l'empereur gagnât Royan à cheval ou sur un canot. Il trouverait à l'embouchure de la Gironde la corvette la Bayadère, commandée par le capitaine Baudin. — Je connais Baudin, dit l'amiral. C'est le seul homme capable de conduire l'empereur sain et sauf en Amérique[26]. Cette proposition acceptée en principe, Bonnefoux envoya un courrier à Royan. Le lendemain, dans la soirée, on reçut la réponse de Baudin. Il se faisait fort de mener l'empereur en Amérique soit sur l'une de ses deux corvettes la Bayadère et l'Infatigable, soit à bord du Pike, bâtiment américain, d'une extraordinaire rapidité de marche, qu'il convoierait avec ses corvettes. En cas de rencontre, écrivait le futur amiral, je me dévouerai avec la Bayadère et l'Infatigable pour barrer le passage à l'ennemi. Quelque supérieur qu'il puisse être, je suis sûr de l'arrêter[27]. Napoléon agréa ce projet [28], mais il ne se hâta point de s'y prêter. Si les frégates avaient eu la mer libre et le vent favorable, il se fût embarqué sur l'heure. Son ferme dessein était d'aller vivre une vie nouvelle en Amérique, et il lui paraissait conforme à sa dignité de quitter la France sur un bâtiment de l'Etat avec les honneurs impériaux. Mais son départ dans ces conditions se trouvant empêché ou ajourné, il temporisa. Avant que de s'évader à bord d'un navire américain, ne fallait-il pas attendre quelques jours ? Les vents pouvaient tourner, la surveillance de la croisière pouvait être déjouée, l'Angleterre pouvait accorder des sauf-conduits. Suprême espérance, enfin, où l'empereur s'obstinait contre toute raison, le gouvernement, contraint par les circonstances, un soulèvement du peuple, un tumulte militaire, n'allait-il point le rappeler à la tête de l'armée ? Si rien de tout cela n'arrivait, il serait toujours temps de s'échapper par la Gironde[29]. Et si même il était trop tard, resterait la ressource de demander asile à l'Angleterre[30]. Napoléon avait conçu ce dessein dès le jour de l'abdication ; il y trouvait de la grandeur. A l'Elysée, il s'en était ouvert à Hortense, à Bassano, à Lavallette, à Carnot. Pendant les pourparlers relatifs à son départ de la Malmaison, il avait exprimé le vœu formel d'avoir la faculté de se rendre à bord de l'escadre anglaise si les circonstances l'y obligeaient[31]. En passant à Niort, il avait fait renouveler cette demande. C'était une obsession. Il la repoussait sans cesse ; sans cesse elle revenait troubler, dominer sa pensée. Les journées des 5, 6 et 7 juillet se plissèrent dans l'attente. Aucune nouvelle de Paris, le vent continuant de souffler faiblement du large, la croisière toujours en vue. Une nouvelle proposition fut soumise à l'empereur. Le lieutenant de vaisseau Besson se trouvait être consignataire d'une goélette danoise de cinquante tonneaux, la Magdelaine, qui appartenait à son beau-père, un certain Frülhe. Il offrit de charger d'eaux-de-vie ce petit bâtiment et d'y embarquer l'empereur avec quatre personnes de sa suite. Une barrique bien matelassée, de façon à supprimer le son creux, garnie de tubes à air et arrimée parmi le lest, servirait de cachette à Napoléon au cas qu'il y dit une visite en mer. Ces préparatifs exigeant plusieurs jours, Las Cases, d'après l'ordre de Bertrand, signa un contrat avec Besson pour le nolis et l'aménagement de la goélette et l'achat d'une cargaison d'eaux-de-vie[32]. L'empereur n'avait cependant accueilli ce projet qu'avec répugnance et sans marquer nullement sa résolution d'y recourir[33]. On conçoit que la pensée d'être découvert par les Anglais caché dans une futaille révoltât l'homme qui s'appelait Napoléon. Toute la suite de l'empereur avait rejoint : le général de Montholon, les officiers d'ordonnance Planat, Résigny, Autric, les officiers polonais Schultz et Piontowski, Las Cases et son fils, Mme de Montholon et son fils, le page Sainte-Catherine de La Pagerie, le chirurgien Maingand, le capitaine Mercher, le lieutenant Rivière, un fourrier du Palais, des piqueurs, des maîtres d'hôtel, des valets de chambre, des valets de pied, trois femmes de chambre, en tout soixante-quatre personnes, y compris celles qui étaient arrivées à Rochefort en même temps que Napoléon[34]. On revit aussi le prince Joseph. De Niort, il était parti pour Bordeaux, mais, reconnu à Saintes, arrêté, menacé de mort, et enfin relâché, il avait craint pareille aventure sur la route de Bordeaux et s'était dirigé vers Rochefort dans l'intention d'en partir avec l'empereur[35]. Les Rochefortais étaient restés très bonapartistes. La présence de l'empereur causa dans la ville une émotion profonde. Le soir de son arrivée, la population entière envahit le jardin de la préfecture maritime en criant de toute la force de ses quinze mille voix : L'empereur ! l'empereur ! Vive l'empereur ! Les cris ne discontinuant pas, il se décida à venir un instant sur la terrasse. Un silence religieux accueillit son apparition, puis les acclamations reprirent dans un élan d'enthousiasme frénétique. Chaque soir, pendant le séjour de l'empereur, les mêmes scènes se renouvelèrent. Buonaparte, écrivait avec indignation au comte d'Artois le général de Maleyssie, a été accueilli à Rochefort comme un dieu[36]. Dans la soirée du 7 juillet[37], Beker reçut de nouvelles instructions du gouvernement provisoire en réponse à sa lettre de Niort. Cette lettre, arrivée le 4 juillet, quand la capitulation de Paris venait d'être signée et que l'armée allait commencer son mouvement vers la Loire, avait bouleversé Fouché et ses collègues. Ils s'imaginèrent que l'empereur était resté à Niort[38] ; ils le voyaient déjà accourant dans les éclairs de sabres du 2e hussards à l'armée de la Loire, acclamé par les troupes, reprenant le commandement à Davout et recommençant la guerre[39]. Après une courte délibération, ils adressèrent cet ordre pressant au général Beker : Napoléon doit s'embarquer sans délai... Vous ne savez pas jusqu'à quel point la sûreté et la tranquillité de l'Etat sont compromises par ces retards... Vous devez donc employer tous les moyens de force qui seraient nécessaires tout en conservant le respect qu'on doit à Napoléon. Faites qu'il arrive sans délai à Rochefort et faites-le embarquer aussitôt. Quant aux services qu'il offre, nos devoirs envers la France et nos engagements avec les puissances ne nous permettent pas de les accepter, et vous ne devez plus nous en entretenir. Enfin, la Commission voit des inconvénients à ce que Napoléon communique avec l'escadre anglaise. Elle ne peut accorder la permission qui est demandée à cet égard[40]. On décida, en outre, que la copie de cette dépêche serait immédiatement transmise aux ministres de l'intérieur, de la guerre et de la marine afin qu'ils donnassent des ordres aux autorités de Niort, de La Rochelle et de Rochefort pour le succès de la mission dont était chargé le général Beker[41], c'est-à-dire, comme l'écrivait plus crûment Davout à Beker, pour lui prêter main-forte[42]. La Commission de gouvernement ordonnait d'embarquer Napoléon, même par la force, mais elle ne parlait en aucune façon de le faire partir. Bien qu'informée, par la lettre de Beker, du 2 juillet, que la croisière anglaise rendait la sortie des bâtiments impossible[43], elle ne révoquait point ses ordres antérieurs de ne mettre à la voile que si la situation de la croisière ennemie permettait de le faire sans compromettre les frégates[44]. Ainsi, les membres du gouvernement provisoire savaient que Napoléon ne pourrait pas sortir de la rade de Rochefort, et, d'autre part, ils lui interdisaient de demander asile à l'escadre anglaise, ils voulaient le tenir sur une frégate comme dans une prison et l'y garder captif pour faire de lui, s'il était nécessaire, l'objet de négociations avec les Alliés. En le laissant se livrer de sa propre volonté à la croisière ennemie, on eût perdu l'avantage de pouvoir le livrer soi-même[45], et l'on eût donné prématurément et sans profit un gage à la coalition. En même temps que la dépêche du gouvernement provisoire, étaient arrivés divers journaux de Paris qui annonçaient comme très prochaine une convention avec les Alliés[46]. Le matin du 8 juillet, Beker vit l'empereur et le pressa de prendre un parti, car en raison des événements qui allaient se précipiter il y aurait danger pour lui à rester plus longtemps à Rochefort. Napoléon ne s'émut point. C'est même en souriant qu'il dit à Beker : — Mais, général, quoi qu'il arrivât, vous seriez incapable de me livrer ? — Votre Majesté, répondit Beker, sait en effet que je suis prêt à donner ma vie pour protéger son départ. Mais, en nie sacrifiant, je ne la sauverais pas. Le même peuple qui s'amasse chaque soir sous vos fenêtres pour vous acclamer proférerait demain des cris d'un autre genre si la scène venait à changer. Les autorités civiles et militaires, recevant des ordres d'un autre gouvernement, méconnaîtraient les miens et rendraient votre salut impossible. Napoléon connaissait trop les hommes pour ne pas se rendre à ce raisonnement. — C'est bien, dit-il, donnez l'ordre de préparer les embarcations pour l'ile d'Aix. Je serai là près des frégates et me trouverai en mesure de m'embarquer si les vents veulent tant soit peu favoriser la sortie[47]. A quatre heures après midi, Napoléon quitta l'hôtel de la préfecture. Les voitures de sa suite furent saluées dans les rues et sur la place Colbert par les cris et les vivats de la foule qui le croyait présent. Il était sorti par le jardin, voulant, dit Bonnefoux, éviter les acclamations. Il rejoignit les voitures sur la route de La Rochelle où elles filèrent jusqu'à l'embranchement du chemin de Fouras. A Fouras, les canots du port de Rochefort et des deux frégates attendaient dans l'anse de la Cotte. L'embarquement se fit à dos d'homme, car il n'y avait pas assez d'eau pour que les chaloupes pussent accoster le rivage. Cette scène avait attiré toute la population de Fouras, pêcheurs et vieux marins. Ils personnifiaient en Napoléon la guerre contre l'Anglais, ennemi séculaire, tyran de la mer. Nous pleurions comme des filles, contait plus tard l'un d'entre eux. Quand sur le canot où Napoléon avait pris place les avirons s'abaissèrent, un grand cri désespéré de : Vive l'empereur ! couvrant le mugissement des vagues, s'éleva soudain de cette foule que jusqu'alors la stupeur et l'émotion avaient rendue muette. La mer était forte, un vent violent soufflait du large. Au lieu d'atterrir à l'île d'Aix, comme il l'avait résolu, Napoléon ordonna d'aborder les frégates. On en a conclu que voyant l'état de la mer, il espérait que les vents tourneraient et que l'on pourrait appareiller la nuit même. La traversée fut lente. Les lames l'amenaient sans cesse les embarcations à la côte ; une des chaloupes faillit chavirer. Au bout d'une heure et demie, on atteignit les frégates qui étaient mouillées dans la fosse d'Enet, entre la pointe de Poliras et l'île d'Aix[48]. Napoléon fut reçu à bord de la Saale avec les plus grands honneurs militaires : nu détachement en armes sur le pont, tous les officiers, l'épée nue, près le passavant, tout l'équipage monté sur les vergues et dans les haubans et criant : Vive l'empereur ! Les salves d'usage ne furent point tirées parce que lui-même en avait fait la défense[49]. Le lendemain matin, le vent étant tombé, l'empereur voulut
visiter Pile d'Aix. Deux canots de la Saale l'y débarquèrent avec
Gourgaud, Beker, Las Cases et plusieurs officiers[50]. C'était un
dimanche. Le 14e régiment de marine, nouvellement formé avec des équipages,
était sous les armes pour une revue d'inspection. Presque tons les habitants
se pressaient alentour. Bien que Napoléon portât l'habit civil qu'il avait
revêtu en quittant la Malmaison, il fut vite reconnu. Matelots et peuple
l'acclamèrent. Aux Vive l'empereur ! se
mêlaient les cris plus significatifs : A l'année de
la Loire ! Il passa à pas lents sur le front du régiment. Devant la
compagnie tic grenadiers, il invita le capitaine à commander le maniement
d'armes. On pense si les mouvements s'exécutèrent vivement et en mesure !
L'empereur visita ensuite les fortifications, les digues, les jetées, tous
les grands travaux qu'il avait fait exécuter pour la défense de l'île et la
protection de la rade. Des officiers du génie et de l'artillerie l'accompagnaient.
Il les entretenait de questions techniques, louant ou critiquant tour à tour
la disposition d'un ouvrage, l'emplacement d'une batterie, et raisonnant sur
tout en maître de la guerre avec une liberté d'esprit vraiment extraordinaire
en ces jours d'agonie. Il semblait encore,
dit Beker, dans la plénitude de sa puissance[51]. Une heure après le retour de Napoléon à bord de la Saale,
arriva le préfet maritime Bonnefoux. Il apportait au général Beker une
nouvelle dépêche de Decrès et un arrêté du gouvernement provisoire en date du
6 juillet[52].
En apprenant par les rapports de Beker et de Bonnefoux, du 4 juillet, que
Napoléon avait de soi-même quitté Niort pour venir à Rochefort, Fouché et ses
collègues s'étaient remis de leur panique. Le calme rétabli dans leur esprit,
ils reconnurent la maladresse des instructions qu'ils avaient envoyées
l'avant-veille. Aux termes de ces premières instructions, Napoléon qui ne
pouvait pas quitter la rade à cause de la croisière, ne devait ni revenir à
terre ni demander asile au commandant anglais. Les membres de la Commission
comprirent qu'à mettre l'empereur dans cette situation sans issue, ils
risqueraient de le pousser au coup de désespoir que précisément ils
redoutaient par-dessus tout. Ils s'empressèrent de prendre un arrêté modifiant
les ordres du 4 juillet[53]. Par l'article 1er,
il était enjoint, comme précédemment, au général Beker de presser l'embarquement, de Napoléon sur les frégates
destinées à le transporter en Amérique. Mais les articles II et III
portaient : Si, par la contrariété des vents ou la
présence de l'ennemi, le départ immédiat des frégates était empêché et qu'il
fût probable qu'on réussît à effectuer le transport de Napoléon par un aviso,
il en serait mis tin sans délai à sa disposition, sous condition que ledit
aviso partirait dans les vingt-quatre heures. — Si Napoléon préférait être conduit immédiatement à bord
d'une croisière anglaise, le préfet maritime lui en donnerait les moyens[54]. Comme Fouché et ses collègues continuaient cependant de craindre que quelque circonstance imprévue ou quelque revirade subite n'entraînât l'empereur à rejoindre l'armée de la Loire, ils prirent soin de déterminer dans cet arrêté qu'en aucun cas, le commandant du bâtiment à bord duquel serait Napoléon ne pourrait, sous peine de haute trahison, le débarquer sur Un point quelconque du territoire français. Si l'on était forcé de relâcher momentanément sur la côte, ce commandant prendrait toutes les mesures de façon que Napoléon ne pût débarquer. Au besoin, il requerrait les autorités civiles et militaires de lui piéter main-forte[55]. Les ordres de Decrès des 28 et 29 juin, portant que les frégates ne devaient appareiller que si la croisière ennemie n'était pas dans le cas de s'y opposer, étaient maintenus et même renouvelés[56]. Enfin, soucieux d'éviter l'accusation d'avoir livré l'empereur à l'Angleterre, les membres du gouvernement provisoire mettaient à l'envoi d'un parlementaire aux vaisseaux anglais cette condition expresse que Napoléon en aurait fait la demande formelle et par écrit[57]. Ce petit papier, pensaient-ils, suffirait à les dégager de toute responsabilité ! III Le jour même, Napoléon décida d'envoyer des parlementaires à bord de la croisière anglaise[58]. Il semble qu'il n'avait attendu pour cela que l'autorisation du gouvernement. Il chargea de cette mission Rovigo et Las Cases ; celui-ci savait l'anglais, mais il devait dire qu'il l'ignorait afin de surprendre les propos que pourraient échanger en leur langue les officiers de l'escadre[59]. Le lendemain, 10 juillet, les envoyés de l'empereur s'embarquèrent au point du jour, pour profiter du jusant, sur l'aviso-mouche n° 24[60]. Ils portaient une lettre du Grand-Maréchal au commandant des croisières ; Bertrand demandait en termes très brefs si l'on avait connaissance des sauf-conduits qui devaient être expédiés de Londres pour l'empereur Napoléon et si, dans le cas contraire, l'escadre s'opposerait au départ des frégates destinées à le conduire aux Etats-Unis[61]. C'était le prétexte de la démarche. Le but en était de savoir quel accueil l'empereur recevrait à bord de la croisière s'il se déterminait à y venir, et quelles étaient les dispositions du gouvernement anglais à son égard. Le commandant du Bellérophon, le capitaine Maitland, reçut avec convenance les parlementaires. Il lut la lettre du Grand-Maréchal, mais avant d'y faire une réponse par écrit il s'entretint assez longtemps avec eux[62]. Aux diverses questions qu'il lui posèrent, il répondit qu'il ne savait rien encore des événements, sinon le résultat de la bataille de Waterloo ; qu'il n'avait aucun avis de sauf-conduits demandés pour Napoléon, mais qu'il allait s'informer auprès de son chef, l'amiral Hotham, stationné dans la haie de Quiberon, si on les avait reçus ; qu'en attendant cette réponse, il attaquerait les frégates si elles sortaient de la rade ; enfin qu'il visiterait les bâtiments de commerce français et les bâtiments neutres, et que, s'il y trouvait Napoléon, il le retiendrait prisonnier jusqu'à la décision de l'amiral[63]. Au cours de cet entretien, le brick Falmouth, qui arrivait de la station anglaise de Quiberon, accosta le vaisseau. Le capitaine avait des dépêches de l'amiral Hotham. Maitland les ouvrit, mais ces dépêches ne se rapportaient, pas, sans doute, à l'objet de la mission des parlementaires ; du moins, il ne leur en dit rien[64]. On déjeuna ; à table, la conversation reprit. Tout en causant, Rovigo et Las Cases s'efforçaient, sans vouloir y paraître, de démontrer au capitaine anglais que l'empereur n'était nullement réduit à la nécessité de quitter la. France. Son parti, disaient-ils, était encore formidable. S'il voulait continuer la guerre, il pourrait résister longtemps ; mais il ne pouvait se résoudre à faire couler le sang dans son seul intérêt. La conclusion de ces paroles était que pour empêcher une reprise des hostilités, l'Angleterre devrait laisser partir l'empereur. Maitland semblait incrédule. — A supposer, objecta-il, que l'Angleterre se déterminât à accorder un sauf-conduit pour les États-Unis, quel gage Napoléon donnerait-il qu'il n'en reviendrait pas prochainement pour exposer mon pays, et l'Europe aux mêmes sacrifices de sang et d'argent qu'ils ont déjà eu à supporter ? — Les circonstances ont bien changé depuis l'an dernier, répliqua Rovigo. Alors, l'empereur a abdiqué contraint par une faction. Aujourd'hui, il a volontairement renoncé au pouvoir. L'influence qu'il exerçait sur la France lui paraît usée. C'est pourquoi il veut se retirer dans quelque retraite obscure où il finira tranquillement ses jours en vivant de ses glorieux souvenirs. — S'il en est ainsi, dit tout à coup Maitland, pourquoi ne pas demander un asile en Angleterre ?[65] C'était la parole qu'attendaient Las Cases et Rovigo. Mais ils ne se livrèrent point. Afin de pénétrer la signification que Maitland donnait au mot asile, ils feignirent d'être surpris par cette ouverture et y opposèrent tout de suite de nombreuses objections. Le climat de l'Angleterre était trop humide et trop froid. Eu Angleterre, l'empereur serait trop près de la France ; on le soupçonnerait d'y vivre à l'affût des événements politiques. Enfin, Napoléon tenait les Anglais pour ses ennemis invétérés, et les Anglais, de leur côté, le regardaient comme une espèce de monstre dépourvu de tout sentiment humain[66]. Ne fût-ce que par simple politesse, Maitland ne pouvait pas laisser cette insinuation sans réponse. A coup sûr, il ne dit pas, comme le prétend Rovigo, que Napoléon vivrait en Angleterre sous la protection des lois et à l'abri de tout[67]. Mais, sans nul doute, il protesta contre l'opinion attribuée à ses compatriotes à l'égard de l'empereur. Peut-être même dit-il que Napoléon n'aurait à craindre en Angleterre aucun mauvais traitement[68]. Au reste, cette parole, si elle fut prononcée, concernait le peuple anglais en général et n'impliquait en aucune façon que le gouvernement ne prendrait point envers Napoléon de rigoureuses mesures de sûreté. La conversation était épuisée. Maitland écrivit au Grand-Maréchal qu'il ne connaissait pas les intentions du gouvernement anglais, mais qu'avant d'avoir reçu des instructions de l'amiral Hotham, à qui il en référait, il ne laisserait sortir de la rade aucun navire de guerre ou de commerce[69]. Rovigo et Las Cases se rembarquèrent. A deux heures, ils étaient de retour sur la Saale[70]. Ils firent un rapport peu favorable[71]. Malgré l'accueil courtois de Maitland, ils auguraient mal des suites de leur démarche. Et ils croyaient cependant que l'officier anglais avait parlé avec franchise. Quelle eût été leur impression s'ils avaient pu faire tomber son masque et pénétrer ses pensées ! Maitland avait dit qu'il ignorait tout ce qui s'était
passé depuis la bataille de Waterloo. C'était faux. Depuis le 30 juin, il
était informé par un rapport de Bordeaux que l'empereur avait abdiqué, qu'il
avait quitté Paris et qu'il cherchait à s'échapper par mer[72] ; depuis le 7
juillet, il savait par des dépêches de l'amiral Hotham que Napoléon
s'acheminait vers Rochefort afin de s'y embarquer pour l'Amérique[73]. Maitland avait
dit qu'il n'avait aucune connaissance d'une demande de sauf-conduits. C'était
faux. Il savait depuis trois jours que ces sauf-conduits avaient été demandés
et refusés[74].
Maitland avait dit qu'il ignorait les intentions du gouvernement anglais à
l'égard de Napoléon. C'était faux. Des ordres de Hotham, arrivés les 7 et 8
juillet, lui prescrivaient de faire tous ses efforts
pour empêcher Bonaparte de s'échapper sur une frégate ou un navire marchand
et, s'il venait à être pris, de l'amener à bord du
vaisseau-amiral, où l'on avait des instructions pour disposer de sa personne[75]. Et, le 10
juillet, au moment même où il causait avec Rovigo et Las Cases, Maitland
avait reçu et lu, en se gardant de leur en rien révéler, ce troisième ordre de
Hotham, apporté par le Falmouth : Il vous est
enjoint de faire les plus strictes recherches sur tout bâtiment que vous rencontrerez.
Si vous êtes assez heureux pour prendre Bonaparte, vous devez le transférer
sur le vaisseau que vous commandez, l'y tenir sous bonne garde et revenir
avec toute ln diligence possible au port d'Angleterre le plus voisin[76]. Si, enfin,
Maitland écrivait au Grand-Maréchal qu'il allait demander des ordres à
l'amiral Hotham, c'était, il l'a avoué lui-même dans sa Relation, parce que, jugeant les forces qu'il avait à sa disposition
insuffisantes pour garder tous les passages, il voulait engager Napoléon à
attendre la réponse de l'amiral, ce qui donnerait le temps à des renforts de
rallier le Bellérophon[77]. Est-il donc besoin d'ajouter que ces mots d'une des lettres de Hotham : C'est à vous d'employer tous les moyens d'intercepter le fugitif de la captivité duquel parait dépendre le repos de l'Europe[78], étaient rails pour éclairer et pour inspirer le capitaine Maitland, et qu'ainsi, quand il insinua, l'idée d'un asile en Angleterre, dans sa bouche de mensonge et de perfidie, asile voulait dire captivité. IV Le bruit que l'empereur en allait être réduit à se livrer
aux Anglais avait provoqué, dans les équipages comme dans les états-majors
des frégates, l'indignation et la douleur. On commençait enfin à reconnaître
que la croisière ennemie ne comprenait qu'un seul vaisseau avec un ou deux
petits bâtiments. Le capitaine Ponée, commandant la Méduse, alla
trouver Montholon, qui était embarqué à son bord[79], et le conjura
de transmettre à l'empereur une nouvelle proposition : — J'ai consulté, dit-il, mes
officiers et mon équipage. Je parle donc en leur nom comme au mien...
Voici ce qu'il faut faire. Cette nuit, la Méduse, marchant en avant de
la Saale, surprendra, grâce à l'obscurité, le Bellérophon qui est venu
mouiller dans la rade des Basques[80]. J'engagerai le combat bord à bord, j'élongerai ses
flancs, je l'empêcherai de bouger... Je
pourrai toujours bien lutter deux heures. Après, ma frégate sera en bien
mauvais état. Mais, pendant ce temps, la Saale aura passé en profitant
de la brise qui chaque soir s'élève de terre. Ce n'est pas le reste de la
croisière, une méchante corvette et un aviso, qui arrêtera la Saale,
frégate de premier rang, portant du 24 en batterie et des caronades de 36 sur
le pont[81]. La Méduse se vouait à la destruction. Mais la Chambre avait déclaré que la personne de Napoléon était sous la sauvegarde de l'honneur français. Ces braves gens pensaient que l'honneur français valait bien le sacrifice de leur bâtiment et de leur vie. L'offre héroïque du capitaine Ponée fit tressaillir l'empereur. Elle lui touchait le cœur en même temps qu'elle ranimait ses instincts de bataille. Mais des scrupules l'arrêtèrent. Il se demandait, lui qui avait toujours compté à rien la vie des hommes, s'il avait le droit, maintenant qu'il n'était plus empereur que de nom, d'engager un combat sanglant à son seul profit et sans utilité pour le pays[82]. Aurait-il fini par s'y déterminer ? On ne peut le savoir, car un avis du commandant de la Saale vint brusquement mettre un terme à ses hésitations. Ce commandant, le capitaine Philibert, avait aussi, connue chef de la division navale, le commandement supérieur de la Méduse. Il s'était d'abord, semble-t-il, laissé entraîner au projet de Portée. Ses instructions pour le branlebas de combat et l'appareillage étaient même données[83]. Mais soit que Beker, consulté, l'eût rappelé à l'exécution des ordres formels du gouvernement, soit que de lui-même, à la réflexion, il eût compris que le devoir militaire lui défendait d'enfreindre si gravement ces ordres[84], il s'était ravisé. Il déclara à Bertrand que, par égard pour l'empereur, il ne regarderait pas la proposition du capitaine Ponée et des officiers de la Méduse comme un acte de rébellion, mais qu'il s'opposait à ce qu'il en fût parlé davantage[85]. Napoléon n'avait plus rien à espérer des frégates. Il
décida de quitter la Saale pour l'ile d'Aix dès le lendemain matin. Le
général Lallemand fut envoyé dans la Gironde afin de s'informer si le
capitaine Baudin, commandant la Bayadère, était toujours en
disposition d'appareiller ; il devait aussi voir par lui-même si l'empereur
pourrait gagner facilement la rade du Verdon où les corvettes étaient
mouillées[86].
Dans cette journée du 11 juillet, on reçut des journaux du 5, annonçant la
capitulation de Paris. Ce fut la seule fois,
dit Beker, que l'empereur, qui subissait sa destinée
avec un calme imposant, sans manifester ni émotion ni abattement, ne put
réprimer une impression de douleur. Il jeta violemment le journal et rentra
dans sa cabine[87]. La pensée de se livrer aux Anglais le possédait toujours. Au moment de quitter la Saale, dans la matinée du 12 juillet, il songea un instant, sans attendre le retour de Lallemand ni consulter personne, à se faire conduire immédiatement sur le Bellérophon et à dire au capitaine Maitland : Comme Thémistocle, ne voulant pas prendre part aux déchirements de ma patrie, je viens vous demander asile[88]. Mais il rejeta ou plutôt il ajourna encore ce projet et fit armer un canot qui le débarqua à l'île d'Aix avec Bertrand, Gourgaud et Beker. Les autres personnes de son entourage le suivirent sur le brick l'Épervier et sur une petite goélette[89]. La désolation régnait à bord de la Saale et surtout de la Méduse. Des matelots se frappaient la face, jetaient leurs chapeaux sur le pont et les piétinaient de rage. Le brave Ponée jurait comme un furieux : — Quel malheur, s'écriait-il, que l'empereur ne soit pas venu ici plutôt que sur la Saale ! Je l'aurais passé malgré la croisière. Je voulais le sauver ou mourir... Il ne connaît pas les Anglais. En quelles mains va-t-il se mettre ! Pauvre Napoléon, tu es perdu ![90] L'arrivée de l'empereur à l'île d'Aix avec sa suite et tous ses bagages témoignait qu'il ne pouvait point se servir des frégates. Au 14e régiment de marine, formé en partie de matelots rentrés de l'odieuse captivité sur les pontons de Plymouth et de Chatham, on ne voulait point laisser prendre Napoléon par les Anglais. Six jeunes officiers, le lieutenant Genty, les enseignes Doret, Salis et Peltier, les aspirants Châteauneuf et Montcousu, prièrent Bertrand de soumettre un nouveau plan à l'empereur. Il y avait en rade deux chasse-marée, sorte de chaloupes pontées, munies de deux mâts, l'Emilie et les Deux-Amis. Les officiers offraient d'équiper et de monter ces petits bâtiments avec six sous-officiers aussi résolus qu'eux-mêmes, et d'y recevoir l'empereur et trois ou quatre personnes de son entourage. On profiterait de l'obscurité pour passer inaperçu de la croisière en rangeant la côte jusqu'à la hauteur de La Rochelle ; de là, on gagnerait la pleine mer. Mais comme une navigation de long cours était impossible à des bâtiments de douze ou quinze tonneaux, on contraindrait à prix d'argent ou par la force le premier navire marchand que l'on rencontrerait à prendre l'empereur à son bord pour le conduire aux Etats-Unis[91]. Il y avait encore de braves gens en France. Napoléon ne voulut pas refuser le dévouement des jeunes officiers. On nolisa pour son compte les chasse-marée et on en pressa l'armement ; les frégates fournirent une partie du gréement[92]. Mais l'empereur avait agréé ce projet, comme tant d'autres, sans dessein arrêté d'y recourir et tout disposé à saisir le premier prétexte pour y renoncer, à profiter de la moindre objection, de la plus petite difficulté. Il répugnait à tous ces expédients. Il ne voyait, il n'avait jamais vu, depuis la Malmaison, que trois partis dignes de son histoire : reprendre le commandement de l'arme, mais en vertu d'ordres réguliers et non comme un factieux ; s'embarquer sur les frégates dans l'appareil impérial ; se livrer à l'honneur anglais. Le prince Joseph resté à Rochefort s'y était mis en rapport, comme grand-maître ou ancien grand-maître du Grand-Orient, avec un vénérable, François Pelletreau. Ce Pelletreau s'occupait d'affréter pour lui à Bordeaux un bâtiment américain[93]. En apprenant, par une lettre de sa femme, la rentrée de Louis XVIII à Paris, Joseph fut effrayé pour l'empereur. Le 13 juillet, il se fit conduire à l'ile d'Aix ; il voulait proposer à son frère de gagner avec lui les bords de la Gironde et de s'y embarquer sur le navire qu'avait nolisé Pelletreau[94]. Pendant leur entretien, le général Lallemand revint de Royan. Il avait vu le capitaine Baudin. Celui-ci attendait toujours l'empereur. Il se faisait fort de le conduire au bout du monde, soit sur la Bayadère, soit sur un bâtiment américain[95]. De l'avis de tous, c'était le meilleur parti. Mais il fallait l'assentiment de Beker et de. Bonnefoux. Ils ne pouvaient plus, ils ne voulaient plus le donner. Les nouveaux ordres du gouvernement étaient précis et formels. Sous peine de haute trahison, on ne devait laisser débarquer l'empereur sur aucun point du territoire français[96]. Or, si puissants, si impérieux que fussent les motifs de le conduire à Royan, ce n'en aurait pas moins été pour Beker et pour le préfet maritime de Rochefort une très grave désobéissance, qui eût risqué d'entraîner une catastrophe. Ils pouvaient appréhender que Napoléon, une fois en Saintonge, ne gagnât la citadelle de Blaye, occupée par une garnison ardemment bonapartiste, et n'y attendît Clausel et les troupes de Bordeaux pour aller ensuite rejoindre l'armée de la Loire. Pendant les vingt jours où Napoléon resta à sa garde, Beker lui témoigna un dévouement sincère, mais dans les limites de la pénible mission qu'il avait acceptée[97]. On revint au projet des jeunes officiers de vaisseau. L'entourage de l'empereur s'y montrait contraire pour plusieurs raisons et principalement parce que quelques personnes seulement pourraient s'embarquer sur ces petits bâtiments. Les femmes devaient rester en France. Mme de Montholon revêtit un uniforme de hussard pour se glisser à bord ; une fois lit, il faudrait bien qu'on l'emmenât. La comtesse Bertrand déclarait en pleurant qu'elle mourrait si son mari partait sans elle. Parmi les généraux germaient des jalousies sur le choix que l'empereur serait contraint de faire[98]. Ceux qui répugnaient le plus à se risquer sur ces frêles embarcations pâlissaient d'envie et tremblaient de colère à la pensée que tel de leurs camarades pourrait leur être préféré. Toujours la question de préséance, comme à la cour de Louis XIV ! Gourgaud, apprenant qu'il n'était pas désigné pour s'embarquer sur la même chaloupe que Napoléon, se laissa aller à une scène scandaleuse. Il osa reprocher à l'empereur de ne point prendre le noble parti de se livrer aux Anglais. — C'est ce qui vous convient le mieux, s'écria-t-il. Vous ne pouvez, jouer le rôle d'un aventurier. L'histoire vous reprochera d'avoir abdiqué par peur, puisque vous ne faites pas le sacrifice en entier. Et il est probable que votre chaloupe sera prise. Alors, on vous mettra à la Tour de Londres. L'empereur écoutait ces offenses avec une douceur admirable. Il reconnaissait la vérité des paroles brutales de Gourgaud, et il le lui avouait : — Ce serait le parti le plus sage. Hier, j'ai voulu me faire conduire à la croisière. Je n'ai pu m'y résoudre. Je ne puis supporter l'idée de vivre au milieu de mes ennemis. Comme il parlait, un petit oiseau entra par la fenêtre ; Gourgaud, machinalement, le prit dans sa main. — Ah ! rendez-lui la liberté, dit l'empereur. Il y a assez de malheureux ! Et, l'oiseau s'envolant, il reprit : — Voyons les augures. — Sire, s'écria Gourgaud d'une voix de triomphe, il vole vers la croisière anglaise ![99] Mais Napoléon ne se laissa pas encore convaincre. Contre la captivité imminente, il sentait les dernières révoltes de tout son être. A cette heure fatale, l'instinct de liberté, l'instinct de vie résistaient à sa volonté. Le dîner fut lugubre, pareil à un repas de funérailles. Nul ne parlait. On s'attendait à embarquer dans la nuit[100]. Les ordres avaient été donnés. Les chasse-marée et la goulette danoise — car on avait combiné le plan du lieutenant Besson avec celui des jeunes officiers du 14e de marine[101] —, se tenaient prêts à appareiller. Les effets de l'empereur furent chargés à bord de la goélette ; on embarqua aussi des bagages sur les chaloupes où montèrent le colonel Planat et d'autres officiers[102]. Pendant ces préparatifs, Napoléon s'était retiré, seul, dans la petite chambre qu'il occupait. A onze heures, Beker, averti par le lieutenant Besson que la goélette pouvait mettre à la voile, monta chez l'empereur et lui dit : — Sire, tout est prêt. Le capitaine attend Votre Majesté. Napoléon ne répondit rien. Après un intervalle assez long, Beker, qui attendait dans une pièce du rez-de-chaussée, invita le Grand-Maréchal à prévenir derechef l'empereur. Comme Bertrand, en entrant dans la chambre, ouvrait la bouche pour transmettre le nouvel avis de Beker, Napoléon l'arrêta. — Il y a toujours danger, dit-il, à se confier à ses ennemis, mais mieux vaut risquer il de se confier à leur honneur que d'être en leurs mains prisonnier de droit... Dites que je renonce à m'embarquer et que je passerai la nuit ici[103]. Quelques instants plus tard, il fit informer Las Cases et le général Lallemand qu'ils se rendraient au point du jour à bord du Bellérophon[104]. Dans une heure de recueillement suprême, Napoléon s'était dominé ; il avait maîtrisé ses dernières résistances et accepté le destin. Tandis que l'on s'agitait autour de lui pour son départ furtif, il avait pris la résolution définitive de se livrer à l'Angleterre[105]. V Dans sa nouvelle entrevue avec le capitaine Maitland, le 14 juillet, Las Cases commença par demander s'il était arrivé une réponse de l'amiral Hotham à la lettre du Grand-Maréchal concernant les sauf-conduits. Maitland dit qu'il n'avait pas encore reçu cette réponse, mais qu'il ne doutait pas qu'elle ne lui parvînt bientôt et qu'il l'attendait d'heure en heure[106]. Maitland n'attendait pas cette réponse, ou du moins il savait d'avance qu'elle serait négative. Depuis six grands jours, il était instruit, par une dépêche de Hotham, que le gouvernement anglais avait refusé les sauf-conduits et que lui, Maitland, devait employer tous les moyens pour s'emparer de Napoléon[107]. Un peu abusé pur les paroles de Maitland, prononcées sur un ton encourageant, Las Cases se découvrit. Il dit que l'empereur, dans son désir de prévenir toute nouvelle effusion de sang, était déterminé à se rendre en Amérique de la façon qui conviendrait le mieux au gouvernement britannique, soit sur la Saale, soit sur un bâtiment de commerce, soit même sur un vaisseau anglais. Maitland se hâta d'entendre à l'ouverture. — Je ne suis autorisé, dit-il, à acquiescer à aucun arrangement, mais je crois pouvoir prendre sur moi de recevoir l'empereur à mon bord pour le conduire en Angleterre. Toutefois, je ne puis faire aucune promesse sur les dispositions de mon gouvernement à son égard, puisque, dans le cas que je viens de supposer, j'agirai sous ma propre responsabilité, sans être même certain que ma conduite obtienne l'approbation du gouvernement anglais[108]. Très désireux d'obtenir non un engagement formel, que le commandant du Bellérophon, cela était manifeste, n'avait pas le pouvoir de donner, mais une assurance favorable, une promesse morale, Las Cases et Lallemand poussèrent Maitland. L'Anglais brûlait d'attirer Napoléon à son bord[109]. Dans ses rêves de marin, il n'avait jamais imaginé si éclatante capture. Tout en protestant de nouveau qu'il ne connaissait pas les intentions ultérieures du gouvernement anglais[110], il laissa trop entendre, pour son honneur, que l'empereur trouverait en Angleterre un accueil convenable. — Si même, dit-il, les ministres avaient une autre volonté, l'opinion publique, plus puissante en ce pays que la souveraineté elle-même, les forcerait à agir selon les sentiments généreux de la nation anglaise[111]. Lallemand, que sa participation au complot militaire du mois de mars mettait sous le coup d'une condamnation capitale, demanda à Maitland si certaines personnes de la suite de l'empereur courraient le moindre risque d'être livrés par l'Angleterre au gouvernement des Bourbons. — Certainement non ! répondit Maitland avec feu. Le gouvernement anglais ne pourrait jamais avoir la pensée d'en agir ainsi dans les circonstances qui accompagneraient l'arrangement dont il s'agit[112]. La question était toute personnelle à Lallemand, mais la réponse, où se trouvait le mot arrangement, semblait s'appliquer aussi à Napoléon. Les deux parlementaires prirent congé de Maitland. En le quittant, Las Cases lui dit que, vu les circonstances, il serait possible que l'empereur vînt sur le Bellérophon afin d'y attendre les passeports pour l'Amérique. — Soit, répondit Maitland, mais je désire qu'il soit bien compris que je ne garantis pas qu'on les accordera[113]. Las Cases pensait, lui aussi, que le gouvernement anglais refuserait les sauf-conduits[114], mais l'entretien avec Maitland avait affermi son espoir que l'empereur trouverait dans une campagne anglaise une retraite sortable avec une demi-liberté. Chacun était dupe. Las Cases fut dupe de Maitland, Maitland fut dupe de lui-même. Maitland en avait dit plus qu'il ne voulait et plus qu'il ne croyait, et Las Cases avait prêté aux paroles de l'officier anglais une précision et une certitude qu'elles n'avaient point. De retour à l'ile d'Aix, vers onze heures, les parlementaires rendirent compte à l'empereur. Ils ne dissimulèrent point leurs doutes sur l'obtention des sauf-conduits, mais ils parlèrent avec assurance de l'accueil que l'on trouverait en Angleterre[115]. L'empereur réunit ses amis en un dernier conseil. II avait déjà fixé sa résolution, mais avant de les associer à sa nouvelle destinée, il voulait, dit-il, les prévenir de ce qui se préparait[116]. Rovigo, Bertrand, Gourgaud et Las Cases approuvèrent le projet[117]. Montholon et Lallemand le combattirent ; ils se défiaient de la loyauté anglaise. Montholon dit qu'il vaudrait beaucoup mieux gagner la Gironde pour s'y embarquer sur la Bayadère[118]. Lallemand conjura l'empereur de fuir avec un seul officier à bord de la goélette danoise. — Que Votre Majesté, dit-il, choisisse celui qui lui inspirera le plus de confiance. Si Elle m'honore de son choix, je lui servirai de secrétaire, de valet de chambre. Puis il proposa derechef de rejoindre l'armée de la Loire. On pouvait compter sur le 14e régiment de marine, sur les dépôts des 43e et 820 de ligne, stationnés à Rochefort et à La Rochelle, sur les fédérés de ces deux villes, sur Clausel et la garnison de Bordeaux. On rallierait à Niort le 20 hussards, et, en route, des détachements nombreux. A l'armée, enfin, Napoléon serait acclamé. Tous les soldats étaient disposés à combattre pour l'empereur jusqu'à la mort[119]. Napoléon hocha la tête. — S'il s'agissait de l'empire, dit-il, je pourrais tenter un second retour de l'île d'Elbe. Mais je ne veux pas être la cause d'un seul coup de canon pour mon intérêt personnel[120]. Montholon et Lallemand finirent par se rallier à l'opinion dominante. L'empereur avertit que l'on s'embarquerait le lendemain de très bon matin[121]. Resté seul avec Gourgaud, il lui montra le brouillon de la
lettre au Prince Régent : Altesse Royale, en butte
aux factions qui divisent mon pays et à l'inimitié des plus grandes
puissances de l'Europe, j'ai terminé ma carrière politique, et je viens,
comme Thémistocle, m'asseoir au foyer du peuple britannique. Je me mets sous
la protection de ses lois, que je réclame de Votre Altesse Royale comme du
plus puissant, du plus constant et du plus généreux de mes ennemis. En
lisant, Gourgaud, qui n'était pourtant point tendre, sentait des larmes
rouler dans ses yeux[122]. L'empereur
désirait que sa lettre fût remise au Prince Régent en personne, et que
celui-ci la reçût avant qu'on eût le temps de prendre une décision à son
égard. Il chargea Gourgaud d'être son dernier ambassadeur[123]. Pour cette
mission, il crut devoir lui donner des instructions écrites. Gourgaud reprit
la plume et traça ces lignes sous la dictée rapide de l'empereur : Mon aide de camp Gourgaud se rendra à bord de l'escadre
anglaise avec le comte de Las Cases. Il partira sur l'avis que le commandant
de cette escadre expédiera soit à l'amiral, soit à Londres. Il tâchera
d'obtenir une audience du Prince Régent et lui remettra ma lettre. Si l'on ne
voit pas d'inconvénients pour délivrer des passeports pour les Etats-Unis,
c'est ce que je désire ; mais je n'en veux pas pour aller dans aucune
colonie. Au défaut de l'Amérique, je préfère l'Angleterre à tout autre pays.
Je prendrai le titre de colonel Muiron[124]. Si je dois aller en Angleterre, je désirerais être logé
dans une maison de campagne, à dix ou douze lieues de Londres, où je
souhaiterais arriver le plus incognito possible. Il faudrait une habitation
assez grande pour y loger tout mon monde. Je suis désireux, et cela doit
entrer dans les vues du gouvernement anglais, d'éviter Londres. Si le
ministère avait envie de mettre un commissaire anglais près de moi, il
veillera à ce que cela n'ait aucun air de servitude[125]. Dans cette dictée où l'empereur semble prendre ses dernières dispositions pour les funérailles de sa liberté, il n'exprime plus qu'un vacillant espoir d'aller en Amérique. Il mentionne encore ce désir ; mais son envoyé n'a pas l'ordre d'insister pour l'obtention des sauf-conduits. Gourgaud doit seulement s'occuper de régler au mieux les détails d'une demi-captivité en Angleterre. Il n'y a plus d'Empereur, il n'y a plus de Napoléon, ni de Bonaparte. Il n'y a plus que le colonel Muiron. Vers quatre heures, Las Cases accompagné de Gourgaud se
rendit pour la troisième fois sur le Bellérophon. Chargé des fonctions
de maréchal des logis, il devait faire préparer ù bord de ce vaisseau
l'installation de l'empereur et de sa suite. Il apportait ù Maitland la liste
complète de tout ce monde, et aussi une lettre du Grand-Maréchal annonçant
l'arrivée de l'empereur à la première marée du lendemain. L'empereur, ajoutait Bertrand, se rendra avec plaisir en Amérique, si l'amiral vous
envoie les sauf-conduits demandés pour les Etats-Unis ; mais, au défaut des
sauf-conduits, il se rendra volontiers en Angleterre, comme simple
particulier, pour y jouir de la protection des lois de votre pays. Maitland
fit aux parlementaires un accueil empressé. J'avais
fort à cœur, avoua-t-il plus tard, de
terminer l'affaire que j'avais amenée si près de sa fin. Après avoir
lu la copie de la lettre au Prince Régent, copie incluse dans la lettre de
Bertrand, il donna l'ordre au commandant du Slaney de prendre Gourgaud
à bord de cette corvette et d'appareiller le soir même. Confiant dans les
bonnes paroles de Maitland, Gourgaud croyait aller directement à Londres. Le Slaney
devait mouiller à Plymouth, puis dans la rade de Torbay, avec pavillon de
quarantaine pour interdire toute approche[126]. La nuit venue, Las Cases s'était retiré clans sa cabine lorsque Maitland y entra en coup de vent. Ses traits contractés, ses yeux ardents, sa voix sifflante marquaient la colère. — Comte de Las Cases, s'écria-t-il, je suis trompé ! Tandis que je traite avec vous, que je nie démunis d'un bâtiment, on m'annonce que Napoléon vient de m'échapper. Cela me mettrait dans une position affreuse devant mon gouvernement ! C'était le tigre qui voit sa proie échapper. Las Cases fut épouvanté ; il eut soudain la prévision du sort misérable réservé à Napoléon. Il pensa à l'avertir pour l'empêcher de se confier aux Anglais. Nul moyen de communication. Dans sa douleur, il sentit son cœur tressaillir d'une dernière espérance. Si l'on avait dit vrai, si l'empereur avait quitté l'ile d'Aix et réussi à gagner la haute mer ? — A quelle heure, dit-il en dissimulant mal son angoisse, vous a-t-on rapporté que l'empereur est parti ? — A midi. — Alors, reprit tristement Las Cases, ce renseignement est inexact, car j'ai quitté l'empereur à quatre heures[127]. Plus tard dans la nuit, un autre bateau accosta le Bellérophon pour remettre l'avis que Napoléon avait fui à bord d'un chasse-marée. Maitland, désormais convaincu de la sincérité de Las Cases, ne s'émut plus de la nouvelle[128]. Ce n'était pas la première fois que des renseignements vrais ou faux sur les projets d'évasion de l'empereur parvenaient de la terre ferme au capitaine Maitland. Un jour il avait été instruit qu'une des frégates, dirigée par un habile pilote, se préparait à franchir la passe de Maumusson ; un autre jour, on l'informa que l'empereur s'embarquerait sur un bâtiment danois où une cachette était disposée dans la cale[129]. A la sortie de cette souricière de Rochefort, veillaient les Anglais ; à l'intérieur, il y avait la trahison. Tandis que Maitland attendait dans la fièvre, car jusqu'au dernier moment il douta de ce coup de fortune[130], la levée du jour où il se flattait de voir Napoléon captif à son bord, le préfet maritime Bonnefoux accostait tout ému la frégate la Saale. Il était accompagné du baron Richard, ancien conventionnel régicide et ami de Fouché, qu'un des premiers actes du gouvernement royal avait été de nommer préfet de la Charente-Inférieure[131]. Richard apportait de Paris des instructions du nouveau ministre de la marine, le comte de Jaucourt. Elles enjoignaient à Bonnefoux de garder Bonaparte à bord de la Saale, de s'opposer à toute tentative qu'il pourrait faire pour rentrer en France, de s'opposer également à toute communication qu'il chercherait à établir avec la croisière anglaise, et, enfin, de faire rentrer sur-le-champ dans le port la frégate la Méduse[132]. Il était aisé de comprendre que le conseil du roi projetait contre Napoléon des mesures décisives. Déjà, en effet, le capitaine de frégate de Rigny était en route pour Rochefort, chargé d'une mission secrète. Il devait requérir de Bonnefoux des embarcations afin de se rendre à la croisière et d'y remettre au commandant des forces anglaises une dépêche de Croker, secrétaire de l'Amirauté, et une lettre de Jaucourt pour le capitaine Philibert, commandant la Saale[133]. La lettre de Jaucourt portait : Napoléon
Bonaparte qui est sur la frégate que vous commandez personnellement n'y est
plus aujourd'hui qu'un prisonnier que tous les souverains de l'Europe ont le
droit de réclamer. Le roi ne le réclame pas seul. Il ne lui serait même plus
possible aujourd'hui de faire prévaloir la générosité naturelle à son cœur.
Le roi de France n'agit donc pas isolément et pour sa cause privée quand il
poursuit Napoléon- Bonaparte. Sa cause est celle de l'Europe, comme celle de
l'Europe, armée contre Napoléon, est la sienne. Toutes forces qui attaqueront
Napoléon Bonaparte agiront au nom du roi. Conséquemment, les Français qui ne
veulent pas se constituer en état de rébellion contre leur roi et leur patrie
doivent traiter en alliés, en amis, les commandants des forces de terre et de
mer qui, si les circonstances l'exigeaient, combattraient pour s'emparer de
Napoléon. Je vous préviens, en conséquence, que le commandant de la station
anglaise qui bloque les rades de Rochefort est autorisé à demander au
commandant de la frégate sur laquelle se trouve Napoléon qu'il lui soit remis
immédiatement. Cette sommation ne sera pas faite au nom seul de S. M. Britannique
; elle le sera au nom du roi, votre légitime souverain. Vous ne devez donc
pas voir un officier anglais dans le commandant des forces navales anglaises
qui vous fera parvenir le présent tordre. Il est celui de tous les souverains
alliés de Sa Majesté. Il est celui du roi de France. Je vous ordonne en
conséquence de remettre au commandant anglais, qui vous fera parvenir le
présent ordre, Napoléon Bonaparte aussitôt qu'il le réclamera de vous. Si
vous étiez assez coupable ou assez aveugle pour résister à ce que je vous
prescris, vous vous établiriez en rébellion ouverte et vous seriez
responsable du sang qui aurait coulé et de la destruction de votre bâtiment[134]. Les ministres de Louis XVIII agissaient-ils à l'instigation de l'Angleterre ou avaient-ils suggéré ce moyen à lord Castlereagh ? Il y a doute[135]. Mais ce qui parait certain, c'est qu'on ne voulait pas que Napoléon se rendit librement aux Anglais, soit que ceux-ci craignissent d'être obligés à certains ménagements envers un prisonnier volontaire, soit que le gouvernement royal désirât se donner l'avantage de le leur livrer lui-même. Bonnefoux était comme la plupart des hommes. Il avait de l'honneur et de la générosité, mais sous le bénéfice de son intérêt. Les instructions du nouveau ministre de la marine le troublèrent. Il répugnait à les exécuter, et il n'osait n'y point obéir. Il commença par temporiser. II quitta Rochefort seulement à onze heures du soir, en prétextant qu'il fallait attendre le jusant. Puis, au lieu d'aller à l'ile d'Aix où il savait qu'était l'empereur, il vint à bord de la Saale, feignant de croire qu'il s'y trouvait encore. Arrivé à une heure après minuit, il apprit du capitaine Philibert que Napoléon s'embarquerait au point du jour à l'ile d'Aix, sur le brick l'Epervier, pour se rendre à la croisière anglaise. On avait encore le temps de s'opposer au départ. Mais Bonnefoux ne fit rien pour l'empêcher[136] ; et Philibert s'empressa d'envoyer au général Beker, à l'ile d'Aix, l'avis de précipiter l'embarquement, de nouveaux ordres étant arrivés de Paris[137]. Cet avis n'eut d'ailleurs aucune influence sur la résolution de l'empereur, irrévocablement arrêtée la veille. Il est même douteux que le billet du capitaine Philibert ait fait avancer l'heure du départ. Peu après minuit, on avait commencé de transporter les bagages sur la goélette la Sophie, mouillée avec l'Épervier dans la fosse d'Enet. Entre deux et trois heures du matin, toute la suite de l'empereur, sauf les officiers généraux qui devaient s'embarquer dans la même chaloupe que lui, avaient gagné le brick sur des canots[138]. Le 15 juillet, au lever du soleil, Napoléon monta sur l'Épervier. Il portait l'épée, le petit chapeau, l'habit vert de colonel des chasseurs de sa garde, l'uniforme connut et révéré de toutes les armées de l'Europe. C'était la première fois qu'il le revêtait depuis son départ de la Malmaison. Le commandant du brick, le lieutenant Jourdan de la Passardière, reçut l'empereur à la coupée. Tous les matelots étaient en rang sur le pont, émus, frémissants, des larmes dans les yeux. Napoléon passa l'inspection, acclamé comme aux jours de victoire ; mais dans ces suprêmes : Vive l'empereur ! il y avait des sanglots. Le lieutenant Borgnis-Desbordes, envoyé de la Saale, dit à voix basse à Jourdan qu'il fallait se presser, car on pourrait bien voir arriver des gens chargés d'arrêter l'empereur. — Pas sur l'Epervier ! s'écria fièrement et résolument Jourdan, ou du moins tant que je serai vivant[139]. On allait appareiller. Beker, qui avait accompagné l'empereur sur le brick, s'approcha de lui, et, d'une voix mal assurée que l'émotion faisait trembler, il dit : — Sire, Votre Majesté désire-t-elle que je l'accompagne jusqu'à la croisière, ainsi que me le prescrivent les instructions du gouvernement ? Napoléon fixa sur lui un regard profond, chargé de tristesse, et dit, avec un accent d'une sublime grandeur : — Non, général Beker. Retournez à l'ile d'Aix. Il ne faut pas qu'on puisse dire que la France m'a livré aux Anglais ![140] |
[1] Beker, Relation de la mission auprès de Napoléon, 68-60. Rovigo, VIII, 199. Mémoires manuscrits de Marchand, (comm. par le comte D...) — Marchand ne rejoignit l'empereur qu'il. Niort. Les détails qu'il donne sur la première partie du vouge lui venaient de Saint-Denis dit Ali, le valet de chambre qui avait accompagné Napoléon, depuis la Malmaison, sur le siège de la calèche.
[2] Rovigo, VIII, 199.
[3] Hamelimaye à la Commission de gouvernement. Tours, 1er juillet. (Arch. nat., AF. IV, 1937). Beker, 69-70. Rovigo, VIII, 199-200. Mémoires manuscrits de Marchand.
[4] Beker à Bonnefoux, préfet maritime, Poitiers, 1er juillet. (Arch. de la Marine, BB3 426). Cf. Beker, 70-71. Rovigo VIII, 200. Mémoires manuscrits de Marchand.
[5] Rovigo, VIII, 200-201. Mémoires manuscrits de Marchand. Beker, 71-72.
On a cru à tort que les habitants de Saint-Maixent auraient fait un mauvais parti à l'empereur, parce que, voisins de la Vendée, ils en éprouvaient les sentiments. Marchand dit que la curiosité était le seul motif du rassemblement, et un écrivain local, M. Levesque, a démontré dans le journal La Sèvre (1er mars, 1874) que les Saint-Maixentais, loin de faire cause commune avec les Vendéens, leur étaient très hostiles. Le mois précédent, les Vendéens menaçant Parthenay, les gardes nationales de Niort et de Saint-Maixent avaient pris les armes et marché contre les insurgés.
[6] Rapport de Beker à la Commission de gouvernement, Niort, 2 juillet (cité par Beker, 76-77.) Cf. Rovigo, VIII, 201, 202, 216. Mémoires manuscrits de Marchand. Procès-verbal de la séance du 4 juillet de la Commission de gouvernement. (Arch. Nat., AF, IV, 1933.)
[7] Préfet de Niort à Carnot, 3 juillet. Lettre anonyme à Davout, 7 juillet. (Arch. Nat., AF. IV, 1935 et F. 7, 3200 4.) Beker, 73-75. Rovigo, VIII, 201-202. Montholon, I, 60. Mémoires manuscrits de Marchand.
[8] Bonnefoux à Beker, Rochefort, 1er juillet. (Arch. de la Marine, BB3 426.) Préfet de Niort à Carnot, 3 juillet. (Arch. Nat., AF. IV, 1935.) Cf. Beker au gouvernement provisoire, Niort, 2 juillet (Beker, Relation, 77.) : Le Préfet maritime a écrit que l'escadre anglaise rendait impossible la sortie des bâtiments.
[9] Vaisseaux : le Superb (baie de Quiberon) ; le Bellérophon (devant la rade de Rochefort). Frégates : l'Erydanus (au large de Brest) ; l'Endymion (baie de Quiberon) ; le Pactolus (à l'embouchure de la Gironde). Corvettes, bricks, sloops : Hebrus, Slaney, Myrmidon, Cépholus, Cyrus, Phœbé, Telegraph, Opossum, Ferret, Litley, Lane, Sheldrake, Daphné. (Etat des bâtiments sous les ordres de l'amiral Hotham, 1er juillet et l6 juillet. (Archives de l'Amirauté anglaise, vol. 159, n° 24 et 45). Cf. Maitland (Relation, 18, 22, 23, 24, 25, 26, 39), lequel mentionne plusieurs autres petits bâtiments qui ne figurent pas dans les deux états précités, sans doute parce que, selon les ordres de lord Keith, ils avaient été détachés de l'escadre de la Manche.
[10] Du 27 au 30 juin, le Bellérophon avait avec lui le Céphalus et le Myrmidon ; le 1er juillet, aucun bâtiment ; le 2 juillet, la Phœbé ; du 3 au 5 juillet, aucun bâtiment ; le 6, le Myrmidon ; le 7 et le 8, le Myrmidon et le Money ; le 9, le Myrmidon ; le 10, le Myrmidon et le Falmouth ; le 11, le Myrmidon ; le 12, le Slaney de Myrmidon fut envoyé au large de Maumusson, et le Cyrus, appelé par signaux télégraphiques, prit position devant le pertuis Breton ; le 13, le Slaney ; le 14, le Slaney et le Myrmidon ; le 15, le Myrmidon. (Maitland, Relation, 4, 8, 13, 14, 17, 23, 30, 39, 40, 48.)
Le vaisseau le Switzure, envoyé d'Angleterre pour renforcer la croisière, était encore le 20 juillet à lx hauteur de l'île de Sein (Maitland, 113).
[11]
Préfet de Niort à Carnot, 3 juillet. (Arch. Nat., AF. IV, 1935.)
[12] Beker, 70.
[13] Rapport de Beker au gouvernement provisoire, Niort, 2 juillet (cité par Beker, 70-77). — Ce rapport arriva à Paris le 4 juillet dans l'après-midi. Comme on verra plus loin il fut l'objet, dans la séance de neuf heures du soir, d'une importante délibération du gouvernement (Procès-verbaux de la Commission de gouvernement. Arch. Nat., AF. IV, 1933.)
[14] Joseph, parti de Paris le 29 juin pour aller s'embarquer à Bordeaux, avait voulu dire un dernier adieu à sou frère, et, Limoges, il s'était dirigé vers Rochefort par Niort. Il apprit lit que l'empereur était à la préfecture. — Gourgaud avait quitté la Malmaison, lieu après l'empereur, l'avait rejoint à Rambouillet et l'avait suivi ensuite à quelques postes de distance. — Marchand était dans une voiture qui suivait celle de Gourgaud. — la comtesse Bertrand et ses enfants, qui avaient pris la même route, arrivèrent aussi à Niort le 2 juillet. — Le général Lallemand était parti seul de Paris. Rovigo, VIII, 20. Gourgaud, II, 558-559. Mémoires manuscrits de Marchand : Beker, 73. Préfet de Niort à Carnot, 2 juillet. (Arch. nat., AF. IV, 1933.)
[15] Gourgaud, II, 590. Mémoires manuscrits de Marchand. — Une lettre où Gourgaud rend compte de sa mission existe en minute dans ses papiers. Il dit qu'il a causé avec le préfet, que les frégates sont bonnes marcheuses et que l'on pourra, malgré l'ennemi, s'élever eu haute mer, à la première brise, par le pertuis Breton.
[16] Gourgaud, II, 559. Beker, 77-70. Mémoires manuscrits de Marchand, cf. Rovigo, VIII, 201-202, et Montholon (I, 60-62), qui n'était pas à Niort et dont le récit, fait de ouï dire, est des plus singuliers. — Selon Beker, l'empereur refusa de recevoir les officiers de hussards ; selon Gourgaud, il les reçut mais déclina leur offre.
[17] Beker, 78-79. Mémoires manuscrits de Marchand.
[18] Poker, 79. Cf. Gourgaud, II, 560 ; les traditions locales rapportées par J. Silvestre (La Malmaison, Rochefort, Sainte-Hélène, 72), et la note de Mme Caffarelli citée par Sismondi (Notes sur les Cent Jours, 22).
[19] Decrès à Bonnefoux, préfet maritime de Rochefort, Paris, 27 juin. Le même au même, 28 juin. Le même au même, 27 juin [dépêche expédiée dans la nuit du 28 au 29]. Instructions très secrètes de Decrès pour les capitaines Philibert et l'orée, l'avis 27 juin [expédiées dans la nuit du 28 au 20.] (Arch. de la Marine, BB 3, 426.)
Dans la dépêche du 27 juin et dans la première dépêche du 28 juin, Decrès ne parle pas de l'empereur. Il dit : Un ambassadeur et sa suite. Mais dans sa troisième &mèche [expédiée dans la nuit du 28 au 29, bien que portant la date du 27] il révèle que ce prétendu ambassadeur est celui qui naguère était notre empereur.
Dans sa première dépêche (du 27 juin) Decrès donne cet ordre formel : Les frégates ne devront mettre à la voile que sur de nouveaux ordres de moi. On a vu que le 27 juin le gouvernement subordonnait encore le départ de l'empereur à la décision des Alliés, d'on le refus de Napoléon d'aller s'embarquer à Rochefort pour s'y trouver prisonnier à bord d'une frégate.
[20] Decrès à Bonnefoux, 27 juin [dépêche expédiée dans la nuit du 28 au 29 juin]. (Arch. de la Marine, BB3, 426.)
Dans les instructions aux commandants des frégates, Decrès dit : On évitera tous les bâtiments de guerre que Pou pourrait rencontrer. Si l'on est obligé de combatte, la frégate sur laquelle ne sera pas embarqué Napoléon se sacrifiera pour retenir l'ennemi et pour donner à celle sur laquelle il se trouvera le moyen de s'échapper.
Il ne faut pas conclure de cela, comme quelques-mis l'ont fait bien à tort, que les frégates devaient forcer le blocus. Si elles étaient attaquées eu pleine mer, elles devaient se défendre ; mais elles ne devaient nullement attaquer la croisière en position devant Rochefort. Les instructions de Decrès sont à cet égard précises et formelles. Dans sa première dépêche, il ordonne d'attendre pour appareiller de nouveaux ordres de lui. Dans sa troisième dépêche, il écrit : Les frégates appareilleront si la situation des croisières ennemies permet de le faire sans compromettre les frégates. Dans ses instructions aux capitaines Philibert et Ponée, il écrit derechef : Les frégates devront appareiller dans les vingt-quatre heures si les croisières ennemies ne s'apposent pas à leur départ. — Il est clair que les frégates ne doivent pas tenter une sortie de vive force.
[21] Bonnefoux à Philibert, 28 juin ; à Decrès, Rochefort, 29 juin et 7 juillet, (Arch. de la Marine, BB3 426) ; à Decrès, Rochefort, 4 juillet. (Arch. Nat., AF., IV, 1940.) Gourgaud, I, 27. Beker, 79. Journal de bord de la Saale, 28, 29, 30 juin, 1er juillet. (Arch. de Rochefort.)
Le registre BB3 426, des Archives de la Marine, contient des pièces de comptabilité qui donnent tous les détails sur les vivres embarquées pour la table de Napoléon et de sa suite. Le total en montait à 25.000 francs. Pour les curieux des infiniment petits de l'Histoire, je citerai 100 bouteilles de cognac (150 fr.), 192 bouteilles de Bordeaux rouge (300 fr.), 10 paniers d'huile d'olive (300 fr.), 6 barils de bœuf en daube (108 fr.), 24 jambons (230 fr.), 75 douzaines d'œufs (35 fr.), six paires de dindonneaux dont un mort (42 fr.), etc., etc., etc.
[22] Rovigo, VIII, 115, 217. Mémoires Manuscrits de Marchand. — On sait que Rochefort, situé sur la Charente, est à dix kilomètres, à vol d'oiseau, de la rade où se trouvent l'ile d'Aix, l'île Madame, l'île d'Oléron et l'île de Ré.
[23] Bonnefoux à Decrès, Rochefort, 4 juillet (Arch. Nat., AF. IV, 1910.)
[24] Beker, 84, et lettre de Beker à la Commission de gouvernement, Rochefort, 4 juillet (cité par Beker, 85). Montholon, I, 66.
[25] Beker, 84. Montholon, I. 66.
Si j'avance que Bonnefoux fit partager au conseil ses vues troublées (vues troublées dont j'ai déjà parlé p. 353), c'est en me fondant sur ce fait que ce qui détermina l'opinion du conseil fut l’avis que depuis le 29 juin la croisière avait doublé le nombre de ses bâtiments. Ce renseignement était faux. Le 29 juin, il y avait devant les pertuis le Bellérophon, la corvette Myrmidon et le brick Céphalus ; le 3 juillet il n'y avait devant ces mêmes pertuis que le Bellérophon seul. (Le Céphalus avait été envolé devant la Teste et le Myrmidon détaché au large de Bordeaux). Quant à la Phœbé, qui avait mouillé dans la nuit du 1er au 2 près du Bellérophon, Maitland l'avait envolée, le 2, stationner à l'embouchure de la Gironde avec l'ordre pour le commandant du Myrmidon de revenir devant Rochefort. (Voir la Relation du capitaine Maitland, 4, 8, 13-14.) Or, qui avait pu communiquer au conseil et le lui certifier exact ce faux renseignement, sinon Bonnefous qui en qualité de préfet maritime centralisait toutes les dépêches des sémaphores et des guetteurs de La Coubre, de Chassiron, de Saint-Pierre, de La Chaume, de la Tour des Baleines. Ces rapports, il semble, lui troublaient l'esprit. Pour peu qu'un bâtiment passât au large, se dirigeant des îles d'Ouessant vers l'embouchure de la Gironde, chaque vigie le signalait, et Bonnefoux, épouvanté, voyait quatre on cinq satires, quand, en réalité, il n'y en avait qu'un seul. A lire les rapports.les sémaphores de l'arrondissement de Rochefort, du 28 juin au 15 juillet (Arch. de la Marine, BB 3 421 et BB 3 426), on croirait que toutes los escadres de l'Angleterre croisaient en vue de Rochefort. Un jour, on signale la présence de six vaisseaux et de cinq frégates : un autre jour, de cinq vaisseaux et de huit frégates. Or, les états précités des Archives de l'Amirauté anglaise, la Relation du capitaine Maitland et los lettres de l'amiral Hotham, citées dans celle Relation, témoignent que ce dénombrement est de la fantasmagorie.
Pour conclure, il n'était point plus impossible de sortir de la rade de Rochefort où l'on avait trois accès différents sur la mer et que surveillaient un vaisseau cl un ou deux bricks qu'il ne l'était de sortir de la Gironde dont l'embouchure était garde par cite frégate et trois bricks et sloops. Or, le capitaine Baudin allait s'offrir à sortir de la Gironde avec sa corvette en répondant du succès de l'entreprise. Maitland, d'ailleurs, recoupait dans sa lettre l'amiral Keith, du 18 juillet 1815, Relation (109-110, cf. 106), qu'il n'y avait pas impossibilité de sortir de la rade de Rochefort.
[26] Beker, Relation, 86-87.
[27] Lettre de Baudin à Bonnefoux, en rade du Verdon, 5 juillet, quatre heures du matin. (Citée par J. Silvestre, 96-97.) — Toute cette lettre de Baudin est simplement admirable. En voici les dernières lignes : L'empereur peut se fier à moi. J'ai été opposé de principes et d'action si sa tentative de remonter sur le trône, parce que je la considérais comme devant être funeste à la France, et certes les événements n'ont que trop justifié mes prévisions. Aujourd'hui, il n'est rien que je ne sois disposé à entreprendre pour épargner à notre patrie l'humiliation de voir son souverain tomber entre les mains de notre plus implacable ennemi. Mon père est mort de joie en apprenant le retour d'Egypte du général Bonaparte. Je mourrais de douleur de voir l'empereur quitter la France, si je pensais qu'en y restant il pût encore quelque chose pour elle. Mais il faut qu'il ne la quitte que pour aller vivre honoré dans un pays libre, et non pour mourir prisonnier de ses ennemis.
[28] Bonnefoux, selon Silvestre (La Malmaison, Rochefort, Sainte-Hélène, 97), écrivit au capitaine Baudin que l'empereur approuvait ses propositions et qu'il n'avait qu'à l'attendre.
[29] Sur les espérances persistantes de l'empereur à Rochefort, cf. les lettres de Beker au gouvernement provisoire, 4 juillet, et à sa famille, 6 juillet, (citées dans sa Relation, 83-86 et 89). Gourgaud, I, 30, et Rovigo, VIII, 220. — On a dit que l'empereur hésitait. Il hésitait à quoi faire ? à s'emprisonner sur ces frégates dont on lui représentait le départ comme impossible ? à aller s'embarquer sur la Bayadère, expédient qu'il ne regardait que comme un pis aller. L'empereur n'hésitait pas : il attendait.
[30] Dès l'ile d'Elbe, Napoléon avait dit au commissaire anglais Campbell que peut-être il irait finir ses jours en Angleterre, et lui avait demandé s'il ne serait pas lapidé par la populace de Londres.
Il y a aux Archives des Affaires étrangères (vol. 1802) une lettre de Londres que peut-être Napoléon ne lut pas, mais que, peut-être aussi, il put lire, et qui était de nature à influer sur sa détermination. Celle lettre, datée du 16 juin 1815, ne porte point de signature elle est adressée à une dame de l'intimité de l'empereur, et même apparemment, de sa famille, peut-être à la princesse Hortense. En voici les passages essentiels :
Madame, votre silence semble assez m'indiquer que la vérité ions délitait et que vous suspectez ma véracité, N'importe ! Je connais l'étendue de mes devoirs envers vous et votre famille. Je les remplirai. Avant-hier, j'ai appris que la réunion de personnes, diverses par leur rang mais réunies par leur grand caractère et leurs lumières, avaient été d'opinion que si l'empereur Napoléon demandait l'hospitalité en Angleterre, elle lui serait accordée que dès luis sa personne y serait sacrée ; que, relativement au séjour plus ou moins éloigné de la capitale, il y aurait peut-être les mêmes arrangements que ceux pris lors du débarquement de Louis XVIII en Angleterre. Vous allez, Madame, ou, pour mieux dire, vous avez déjà taxé de pusillanimité mes sollicitations prévoyantes. Je n'en tiens pas moins à mon système. L'Angleterre est la plus puissante ennemie du présent monarque français, mais ce pays est le seul port sûr et hospitalier pour le prince malheureux. Si tout était perdu pour vous, et si vous adoptiez la résolution de paraitre en Angleterre, il serait instant qu'une dépêche ou une simple lettre fût adressée d'avance, de la manière la plus secrète au principal ministre, le secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, à Londres, et qu'elle lui fût remise en personne, sans formes et démarches préliminaires...
Je répète qu'il est possible que Napoléon n'ait pas eu connaissance de cette lettre, que peut-être même la destinataire ne l'ait point reçue. Je trouve cependant que cette lettre a un rapport au moins singulier avec les instructions secrètes de Napoléon à Gourgaud, du 14 juillet, que je citerai plus loin.
[31] Cette disposition avait été convenue verbalement, mais soit par négligence, soit pour une autre cause, le ministre de la marine ne l'avait pas mentionnée dans ses instructions écrites, ainsi que le prouve cette lettre de Beker à Bonnefoux, Niort, 2 juillet (Arch. de la Marine, BB3 426.) : ... Il avait été convenu que s'il ne restait aux personnes dont nous nous occupons d'autre parti à prendre que de se livrer à la merci des Anglais, le ministre prescrirait au capitaine de la frégate la faculté d'en laisser la liberté. Cette disposition a été oubliée par le ministre. Veuillez donc me faire connaître si votre intention est qu'une fois embarqués sur la frégate, le capitaine permettrait le parlementage avec les Anglais et le transport des passagers sue les bâtiments anglais.
[32] Contrat entre Las Cases et Besson, Rochefort, 6 juillet (cité par Montholon, II, 82-83.) Las Cases, I, 38. Beker, 87. Rovigo, VIII, 219. Maitland, Relation, 48-49. Relation de Jourdan de la Passardière, commandant l'Epervier (Nouvelle Revue Rétrospective, 10 octobre 1897).
[33] Rovigo (VIII, 219), tout en rapportant les préparatifs commencés à bord du bâtiment danois, dit expressément que l'empereur refusa la proposition de Besson. Le contrat de nolis avait-il donc été signé et une petite partie de la cargaison embarquée à l'insu de l'empereur ? — Beker dit que Napoléon n'avait ni approuvé ni rejeté complètement ce projet.
Besson, qui avait donné sa démission en 1813, entra en 1820 au service de Mehemet-Ali. Il créa la marine égyptienne, fut nommé vice-amiral avec le titre de bey et mourut en 1837. — L'historiette contée par Hyde de Neuville (II, 120) est donc absolument fausse.
[34] Gourgaud, I, 28, 29. Las Cases, I, 37. Rovigo, VIII, 210. Mme de Montholon, Souvenirs, 8-10. — Sur la composition de la suite de l'empereur, voir État nominatif des passagers à la suite de S. M. l'Empereur Napoléon embarqués le 8 juillet sur la Saale et la Méduse. (Arch. de la Marine, BB3 426.)
[35] A Saintes, on était d'opinion divisée, mais le royalisme dominait. Le mutin du 3 juillet, quelques bourbonistes ardents, au nombre desquels trois ex-gardes du corps apprirent que des personnages de marque avaient couché à Cognac, en route pour Rochefort par Saintes. Napoléon était-il parmi eux ? On ne savait. En tout cas, ils seraient de bonne prise. Les gardes du corps postèrent leurs adhérents Quand les voitures où se trouvaient Montholon, Las Cases, Résigny, Mme de Montholon, arrivèrent au relais, des royalistes en armes contraignirent les voyageurs à descendre et les retinrent prisonniers dans l'auberge. Peu de temps après, Joseph, qui, lui, venait de Niort, fut également arrêté. Pendant que l'on portait les passeports à la municipalité, qui, semble-t-il, était en majorité complice, on criait sous les fenêtres de l'auberge des Armes de France : — Les scélérats ! quelles figures ignobles ! Ils emportent les millions de l'Etat ! Il faut les pendre ! Les voyageurs étaient on danger. Mais à Saintes il y avait des fédérés. Avertis de ce qui se passait, ils s'assemblèrent à leur tour et se rendirent à la mairie. Grâce à leur intervention résolue, les passeports furent visés et les voitures purent repartir, escortées par quelques gendarmes.
Sur l'affaire de Saintes, voir la lettre de Planat à
Constant D..., Rochefort, 4 juillet (citée dans la Vie de Planat, 227-233.) Mme de Montholon, 7-8. Las Cases, I,
33-36. Rovigo, VIII, 209-210.
[36] Beker, 82-83. Las Cases, I, 38. Mémoires manuscrits de Marchand. Rovigo, VIII, 216. Montholon, I, 65. Général de Maleyssie au comte d'Artois, Saintes, 11 juillet. (Arch. Guerre.)
[37] Beker, 89-90. Cf. Bonnefoux à Decrès, 7 juillet (Arch. Marine, BB3 426). Sous-préfet de Rochefort à Carnot-Feulins, 8 juillet. (Arch. Nat., F1c, III.)
[38] Ces mots de la dépêche du gouvernement provisoire, du 4 juillet, à Beker : Faites que Napoléon arrive sans délai à Rochefort, ne sauraient laisser aucun doute sur la question.
[39] Thibaudeau, X, 473. — Non seulement le gouvernement provisoire jusqu'à sa dissolution, mais aussi le gouvernement royal jusqu'au 17 juillet, jour où l'on apprit à Paris l'embarquement sur le Bellérophon, redoutèrent que Napoléon ne vint l'armée de la Loire. (Pasquier, III, 346.)
Cf. lettre à Carnot, s. d. (juillet) (Papiers de Carnot) : La seule crainte des Alliés de l'extérieur et de l'intérieur est que Napoléon ne remonte à cheval. Lettre de l'architecte Haron, Paris, 6 juillet (comm. par M. Veuclin) : Fasse le ciel que Napoléon puisse éviter les croisières anglaises, et ne revienne pas à la tète de l'armée de la Loire !
[40] Procès-verbaux de la Commission de gouvernement, séance du 4 juillet, 9 heures du soir. (Arch. nat., AF. IV, 1933.) Lettre de la Commission à Beker, 4 juillet (Arch. de la Marine, BB3 426.)
[41] Procès-verbal de la séance du 4 juillet (Arch. nat., AF. IV, 1933). Decrès à Bonnefoux, 8 juillet. (Arch. Marine, BB3 424.). Sous-préfet de Rochefort à Carnot-Feulins, 8 juillet (Arch. nat., F2c, III). Général d'Almeyras, commandant la Rochelle, à Fouché, Rochefort, 12 juillet (Arch. de la Guerre, dossier de l'empereur). À la réception de la dépêche de V. E. du 4 courant, écrit d'Almeyras, je me suis rendu à Rochefort à l'effet de m'entendre avec le général Beker pour l'exécution des ordres dont il est chargé. Préalablement, j'avais fait à La Rochelle des dispositions pour qu'une force suffisante fût tenue prête à marcher si la chose était nécessaire.
[42] Davout à Beker, Paris, 4 juillet (cité par Beker, 90).
[43] Beker à la Commission de gouvernement, Niort, 2 juillet (cité par Beker, 76-77). — Une lettre du préfet maritime, du 20 juin, avait déjà annoncé à Decrès la présence d'une croisière ennemie devant les pertuis. (Arch. nat., AF. IV, 1940.)
[44] Dépêche de Decrès à Bonnefoux, 27 juin, et instructions secrètes aux commandants des frégates, 27 juin. (Arch. de la Marine, BB3 426.)
[45] C'est ce que voulut faire, quelques jours après, le gouvernement royal, comme on le verra plus loin.
[46] Gourgaud, I, 29.
[47] Beker, Relation, 92-93. Rapport de Beker à la Commission de gouvernement, Rochefort, 6 juillet (cité ibid., 94-95).
[48] Je dois cette indication à M. J. Silvestre, de Rochefort.
[49] Bonnefoux à Decrès, 8 juillet. (Arch. de la Marine, BB3 420.) Gourgaud, 30-31. Mémoires manuscrits de Marchand. Las Cases, I, 40. Beker, 95-96. Montholon, 2, 71. Rovigo, VIII, 217-218. Mme de Montholon, 10-11. Journal de bord de la Saale. Manuscrit de F. S. et autres documents locaux cités par J. Silvestre, 101-102, 105-107.
[50] Selon un document cité par J. Silvestre, 111, Beker n'aurait été prévenu de l'excursion à l'ile d'Aix que quelques instants après le départ de l'empereur, et, pris d'inquiétude, il aurait tout de suite commandé d'armer une embarcation pour le rejoindre. Cet incident explique pourquoi, comme le relate Beker, deux canots lurent employés.
[51] Beker, 97-93. Gourgaud, I, 31. Las Cases, I, 40. Rapport du capitaine de vaisseau Coudein, colonel du 14e de marine, Rochefort, 13 août. (Arch. de la Marine, BB3 426.) — Le rapport de Coudein diffère sur certains points des notes de Beker et de Gourgaud. Mais, d'une part, cet officier n'était pas à l'île d'Aix lors de la visite de l'empereur ; d'autre part, on conçoit que dans un rapport adressé à un ministre du roi, il ait relaté de la façon la plus discrète les manifestations bonapartistes de son régiment.
[52] Bonnefoux à Decrès, Rochefort, 9 juillet, 5 heures du soir. (Arch. de la Marine, BB3 426.) Journal de bord de la Saale. Beker, 98. Gourgaud, I, 73.
[53] Lettre de Decrès à Beker, 11 juillet. (Arch. Guerre, dossier de l'empereur.)
[54] Arrêté de la Commission de gouvernement, 6 juillet. (Arch. Marine, BB3 126.) Lettre de Decrès à Beker, 6 juillet. (Arch. Guerre, dossier de l'empereur.)
[55] Arrêté du 6 juillet. Articles IV et V.
[56] Article II. ... si, par la présence de l'ennemi, le départ des frégates était arrêté.
[57] Arrêté du 6 juillet, Article III. Lettre de Decrès à Beker, 6 juillet. (Arch. Guerre, dossier de l'empereur.)
[58] Bertrand à Beker, la Saale, 9 juillet (citée par Beker, 105) : L'empereur me charge de vous demander d'envoyer on parlementaire à bord de la croisière anglaise... — Pour se conformer aux instructions du gouvernement provisoire, l'empereur faisait faire cette demande par écrit.
Gourgaud rapporte que lui, Rovigo, Bertrand, Lallemand, Montholon, ouvrirent divers avis devant l'empereur, les uns conseillant d'entrer en pourparlers avec les Anglais, les autres proposant d'autres projets. Mais du contexte de la phrase, il semble que Napoléon n'avait point provoqué ces conseils et qu'il les écouta sans attention. Sa Majesté se renfermait, dit-il. L'empereur avait déjà fixé sa détermination. Les moyens d'évasion qu'on lui proposait lui semblaient indignes de lui.
[59] Rovigo, VIII. 222-224. Las Cases,
I, 40, 42.
[60] Bonnefoux à Decrès, Rochefort, 11 juillet. (Arch. Marine, BB3 426.) Journal de bord de la Saale (comm. par J. Silvestre). Rovigo, VIII, 224. Cf. Maitland, Relation concernant l'embarquement de Napoléon, 23.
[61] Lettre de Bertrand à l'amiral commandant les croisières, la Saale, 9 juillet (citée par Maitland, 21).
[62] Rovigo, VIII, 223-229. Las Cases, 40-41. Cf. la lettre de Maitland à Bertrand, Bellérophon, 10 juillet, qui concorde bien avec les paroles que lui attribuent Rovigo et Las Cases.
[63] Maitland, 24. Rovigo, VIII, 226.
[64] Ici les récits de Maitland et de Rovigo diffèrent. Selon Maitland, il ne dit rien des dépêches. Et cela parait vrai, car il n'avait aucun besoin d'en parler s'il ne lui convenait pas de le faire. Selon Rovigo. Maitland dit après les avoir lues : — Il n'y a pas un mot là-dedans de ce que vous êtes venus m'apprendre. Je vois même qu'au départ de ce bâtiment, on ignorait en Angleterre tout ce que vous nous avez fait connaitre. C'eût été mentir pour rien, pour le plaisir, car il suffisait aux desseins de Maillard de continuer à affecter l'ignorance des instructions de son gouvernement, sans ajouter que la dépêche reçue le maintenait dans cette ignorance.
[65] Maitland, 33-37. Cf. Rovigo, VIII, 230. Las Cases, I, 41. — Je suis exactement le récit de Maitland qui me parait, sauf sur quelques points, le plus véridique.
[66] Maitland, 36. Rovigo, VIII,
230.
[67] Rovigo, VIII, 231.
[68] Las Cases, I, 41. — Dans sa Relation, Maitland passe sous silence sa réponse, mais dans une lettre adressée à lord Keith, Plymouth, 8 août (Appendice à la Relation, 264), il écrit qu'il répondit : — Je ne connais pas du tout quelles sont les intentions du gouvernement anglais. Mais je n'ai aucune raison de supposer que Napoléon ne serait pas bien reçu. Il est vrai que Maitland place cette réponse non lors de la première entrevue avec Las Cases (le 10 juillet), mais pendant la seconde (le 14). Mais comme du 10 au 14 rien n'avait pu modifier les sentiments de Maitland, il y a tout lieu de croire que ses paroles du 10, dont il ne parle pas, étaient dans le même sens que celles du 14 qu'il prend soin de rapporter. Au reste, Maitland reconnait avoir prononcé le 10 des paroles bien autrement compromettantes pour lui : Pourquoi Napoléon ne demanderait-il pas un asile à l'Angleterre ?
[69] Maitland à Bertrand, Bellérophon, 10 juillet (cité par Maitland, 31-33).
[70] Bonnefoux à Decrès, 11 juillet. (Arch. Marine, BB3 426.) Journal de bord de la Saale, Rovigo, VIII, 232. Las Cases, I, 41.
[71] Beker, 107.
[72] Lettre de Bordeaux, sans date ni signature, arrivée le 30 juin à bord du Bellérophon (citée par Maitland, 5-7). — Maitland prétend qu'il envoya cette lettre sans la décacheter à l'amiral Hotham. C'est peu vraisemblable puisqu'il en a donné le texte dans sa Relation.
[73] Lettre de l'amiral Hotham à Maitland, baie de Quiberon, 6 juillet, reçue le 7 juillet (citée par Maitland, 14-17).
[74] Lettre de Hotham à Maitland, baie de Quiberon, 7 juillet, reçue le 8 juillet (citée par Maitland, 18-19).
[75] Lettres de Hotham, baie de Quiberon, 6 et 7 juillet, reçues les 7 et 8 juillet (cités par Maitland, 14-23).
[76] Lettre de Hotham, baie de Quiberon, 8 juillet, reçue le 10 juillet dans la matinée (citée par Maitland, 27-29).
[77] Maitland, Relation, 31.
[78] Lettre de Hotham, baie de Quiberon, 7 juillet (citée par Maitland, 18-23).
[79] Montholon était le seul des officiers généraux de la suite de l'empereur qui fut embarqué sur la Méduse. Tous les autres, Rovigo, Bertrand, Lallemand, Gourgaud, se trouvaient avec Napoléon à bord de la Saale.
[80] L'après-midi du 10 juillet, le Bellérophon avait quitté, avec le Myrmidon, son mouillage du pertuis d'Antioche pour venir dans la rade des Basques. Il avait suivi à pleines voiles, pour ainsi dire escorté, la mouche qui ramenait Rovigo et Las Cases. (Bonnefoux à Decrès, Rochefort, 11 juillet. (Arch. Marine, BB3 426.) Journal de bord de la Saale.
Certain désormais que l'empereur était à Rochefort, Maitland s'était avancé vers sa proie, pour la mieux guetter. — Le Bellérophon et le Myrmidon restèrent dans la rade des basques jusqu'au 11 dans la soirée ; ils quittèrent alors ce mouillage : le Myrmidon pour aller observer la passe de Maumusson, le Bellérophon pour se tenir sans voiles devant le pertuis d'Antioche où il fut rejoint le soir par le Slaney. Le Bellérophon accompagné du Slaney rentra le 12 au soir dans la rade des Basques (Maitland, 37-39.)
[81] Montholon, I, 78-79. Mémoires manuscrits de Marchand. Beker, 108. Mme de Montholon, Souv., 11-12. Cf. Las Cases, I, 57.
[82] Montholon, I, 79. Mémoires manuscrits de Marchand, Cf. Beker, 109.
[83] Journal de bord de la Saale, en date du 10 juillet : De six heures à minuit, bonne brise du N.-N.-E. ; à neuf heures un quart, on fait le branle-bas de combat et on se dispose à appareiller. Cf. La Relation de Jourdan de la Passardière (Nouvelle Revue rétrospective, 1er octobre 1897) : Le 10 juillet, à minuit, ordre du capitaine Philibert de me disposer à mettre à la voile et à combattre. Le 11, trois heures du matin, ordre de mettre la batterie du brick à fond de cale et d'envoyer toutes mes petites armes et les poudres à bord de la Saale. — Il résulte de ce dernier témoignage que si l'on avait donné suite au projet de Ponée, le brick l'Épervier, que commandait Jourdan, serait sorti pour combattre avec la Saale et la Méduse.
[84] Les ordres secrets de Decrès aux capitaines Philibert et Ponée leur défendaient d'appareiller si les croisières étaient dans le cas de s'opposer au départ des frégates. (Instructions secrètes de Decrès, 27 juin, et Decrès à Bonnefoux, 27 juin. Arch. Marine, BB3, 426.) Ces instructions n'avaient été ni révoquées ni modifiées ; elles aient même été renouvelées dans l'arrêté gouvernemental du 6 juillet (Art. II). Le capitaine Philibert, commandant la division navale, devait s'y conformer à moins de se laisser entraîner à un magnanime acte d'indiscipline. La Commission de gouvernement avait consenti, et avec quelles difficultés ! que les frégates prissent la mer en tronquant la vigilance de la croisière : mais elle ne voulait absolument pas une sortie par la force. Ce n'était point au moment où Fouché venait de conclure, grâce à Wellington, la convention de Paris, et quand il négociait avec lui son entrée comme ministre dans le conseil de Louis XVIII, qu'il pouvait permettre une agression contre un bâtiment de Sa Majesté Britannique !
[85] Montholon, I, 79. Beker, 108-109. Mémoires manuscrits de Marchand. Cf. Rovigo, VIII, 233. Mme de Montholon, 12. — Selon Rovigo, ce fut à lui-même et
tint à Bertrand que Philibert déclara avoir des ordres secrets qui lui défendaient d'appareiller ni les bâtiments couraient quelque danger. La version de Montholon parait plus véridique.
[86]
Mémoires manuscrits de Marchand. Beker, 109, 112. Gourgaud, I, 32. Cf. Rovigo, VIII, 233.
[87] Beker, 132. Cf. Montholon, I, 79.
Gourgaud, I, 32.
[88] Gourgaud, I, 37. Beker, 111. — Cette phrase, qui devait devenir si fameuse, revint à la mémoire de l'empereur quand, le surlendemain, il écrivit au Prince Régent. A mieux dire, il semble bien qu'elle hanta sa pensée depuis le moment où il l'avait formulée jusqu'à l'heure où il la mit sur le papier.
[89] Beker, 111. Gourgaud, I, 32-33. Montholon, I, 79. Las Cases, I, 41. Rovigo, VIII, 233. Mme de Montholon, 12. — Selon Beker, Napoléon logea à l'île d'Aix dans la maison du génie militaire. Selon les rapports oraux recueillis par le commandant de place Corties et consignés dans un procès-verbal en date du 20 septembre 1861, l'empereur prit gîte à l'hôtel de la Place, construit en 1809, et une partie de sa suite occupa la maison du génie.
Ce procès-verbal, conservé à l'île d'Aix, à l'hôtel de la Place, n'apporte aucun renseignement nouveau et contient plusieurs erreurs. Rien de moins sûr que les témoignages oraux à un demi-siècle d'éloignement.
[90] Mémoires manuscrits de Marchand. Cf. Gourgaud. I, 33. Mme de Montholon, 11.
[91] Beker, 114-115. Mémoires manuscrits de Marchand. Mme de Montholon, 12. Rapport du capitaine de vaisseau Coudein, commandant la 14e de marine, 13 août. (Arch. Marine, BB3 426). Las Cases, I, 42. Montholon, I, 80-81.
D'après le rapport de Coudein, les officiers avaient déjà fait cette proposition aux généraux de la suite de l'empereur quand Napoléon était à bord de la Saale.
[92] Beker, 115. Gourgaud, I, 34, et Las
Cases, I, 43.
[93] J. Silvestre, 129-130-131, 133. Cf. Mémoires du roi Joseph, X, 231.
[94] C'est là du moins le motif à plus vraisemblable que l'on puisse attribuer à la venue de Joseph. — Beker (112-113) et Las Cases (I, 43) qui mentionnent sa visite ne disent point quel en était l'objet. — Selon Montholon (I, 79-80) Joseph s'offrit à rester à l'ile d'Aix en se faisant passer pour l'empereur, à qui il ressemblait, tandis que celui-ci irait s'embarquer sous son nom. — D'après l'auteur des Mémoires du roi Joseph, le prince conseilla à l'empereur de se rendre à l'armée de la Loire. C'est là un conseil qui ne parait guère dans la nature de Joseph, qui était peu combatif. — Enfin, à en croire Marchand (Mémoires manuscrits), très véridique en général, Joseph offrit de se livrer à la croisière anglaise en se faisant passer pour l'empereur. Les Anglais ayant leur prisonnier, la surveillance des pertuis cesserait, et Napoléon pourrait s'échapper sur une frégate. Cette proposition de Joseph parait fort douteuse ; elle n'est cependant pas impossible. Je ferai remarquer d'ailleurs que ce stratagème aurait difficilement réussi. Sans doute Joseph ressemblait assez peu à son frère pour abuser des Anglais qui n'avaient jamais vu l'empereur. Mais Joseph ne pouvait, sans éveiller de soupçons, monter seul, sans aucune suite, sur le Bellérophon. Or, Gourgaud, Rovigo, Lallemand et Bertrand même, eussent-ils poussé leur dévouement à l'empereur jusqu'à se livrer avec Joseph et à encourir avec lui, qu'ils aimaient peu, les représailles des Anglais rendus furieux pur cette substitution.
Quoi qu'il en soit, u l'empereur, dit Marchand, refusa ce sacrifice par grandeur d'âme et aussi parce qu'il jugeait indigne de lui de se prêter à cette tromperie. Il embrassa son frère avec effusion, lui dit adieu et l'engagea à songer à sa sûreté personnelle.
Joseph quitta l'île d'Aix dans la soirée du 13 juillet, gagna Royan et s'y embarqua sur un brick de commerce qui le conduisit en Amérique. Il semble donc que ce qui fut possible à Joseph l'eût été de même à Napoléon.
[95] Beker, 113.
[96] Arrêté de la commission de gouvernement, 6 juillet. Article IV (Arch. Marine, BB3 426.)
[97] A en croire Beker (113-114), Napoléon renonça à aller s'embarquer à Royan parce que Lallemand rapporta qu'il avait vu partout des drapeaux blancs depuis la Seudre jusqu'à la Gironde et qu'il y aurait danger pair l'empereur il traverser cette contrée, dont les habitants étaient royalistes exaltés. Mais Beker est seul à dire cela. Gourgaud (I, 31), Montholon (I, 80, Cf. 86), Mme de Montholon (12), Marchand (Mémoires manuscrits), mentionnent tous le retour de Lallemand le 13 juillet. Mais aucun d'eux ne parle des périls qu'aurait courus Napoléon en Saintonge. Seul Beker dont le témoignage sur ce point est intéressé, et, partant suspect, cite ces propos alarmants. A la vérité, Jal (Souvenirs, 358) et J. Silvestre (La Malmaison, Rochefort, Sainte-Hélène, 124) disent, mais sans indiquer leurs sources, que Lallemand conta qu'il avait failli être tué par des paysans royalistes aux environs de Royan. Mais Silvestre ajoute que cette assertion de Lallemand lui parait surprenante, car il a peine à croire que les paysans de cette région, en très grande majorité protestants, eussent si ardemment pris parti pour les Bourbons.
Il faut remarquer d'ailleurs que s'il y avait réellement effervescence royaliste dans certains villages de la Saintonge, ce n'était point mi obstacle insurmontable au passage de l'empereur. Il était bien simple de le faire escorter par quelques brigades de la gendarmerie de Rochefort s'il suivait exclusivement la route de terre ou par une compagnie du 14e régiment de marine si pour se rendre à Royan il prenait la mer jusqu'à l'embouchure de la Seudre.
Il me parait donc certain que Beker fit de telles objections au projet d'embarquement sur la Bayadère qu'elles équivalaient à une opposition. Je fonde mon opinion sur les documents qui suivent, documents concordants autant que suggestifs :
1° Bonnefoux à Jaucourt, Rochefort, 18 juillet. (Arch. Marine, BB3 426.)... Le général Beker était pénétré de l'importance de sa mission. Il n'a rien négligé pour la bien remplir. L'intérêt de l'Etat occupait toutes ses pensées. Pour moi, à partir du moment où j'ai reçu la dépêche du 6 juillet pour faire arrêter Bonaparte s'il tentait de rentrer dans l'intérieur, j'ai fait veiller sur lui constamment. J'ai envoyé des gendarmes sur tous les points de la côte. Il n'aurait pu mettre nulle part pied à terre sans être forcé de retourner à bord. Je ne commande pas sur l'ile d'Aix, mais j'avais pris des moyens pour éclaircir toutes les démarches de Napoléon et l'empêcher de s'évader s'il eût fait quelque tentative pour retourner sur le continent. Le général Beker avait aussi les yeux ouverts. Il aurait été prévenu du moindre mouvement.
2° Montholon (Récits, I, 80) : Le 13 juillet, le prince Joseph offrit à l'empereur de profiter de leur extrême ressemblance pour rester à sa place à l'ile d'Aix (tandis qu'il gagnerait la Gironde). — Il est clair que dans cette circonstance c'était non aux Anglais mais aux autorités françaises que l'on aurait voulu cacher le départ de l'empereur, s'il avait quitte furtivement l'ile d'Aix.
3° Mayeur (Itinéraire de Buonaparte, 10) : Le 13 juillet, le général Beker fit entendre à Buonaparte que, étant chargé de sa personne, il ne lui permettrait pas de débarquer.
4° Marchand (Mémoires manuscrits) : Le général Lallemand revint le 13 juillet. Il assura à l'empereur qu'il pourrait se rendre par terre dans la Gironde pour s'y embarquer : qu'il suffirait pour cela de tromper la surveillance dont il était entouré, en feignant d'être indisposé ; qu'on laisserait Marchand à l'ile d'Aix, lequel répondrait aux questions qui lui seraient faites sur cette indisposition et défendrait pendant vingt-quatre heures la porte de l'empereur.
[98] Mémoires manuscrits de Marchand. Beker, 116- 117. Mme de Montholon, 13. Gourgaud, I, 37. Cf. Montholon, I, 86.
On a dit souvent, je ne sais sur quel témoignage, que les supplications de Mme Bertrand qui ne voulait ni s'embarquer sur un chasse-marée, ni laisser partir son mari sans elle, avaient déterminé Napoléon à renoncer à son projet. Il parait certain, en effet, que Mme Bertrand, née anglaise, ne cachait pas son désir que l'empereur se rendit à bord du Bellérophon, confiante qu'elle était en la générosité du gouvernement britannique. Mais ses désirs et même ses prières ne pouvaient avoir sur les décisions de l'empereur, en si graves circonstances, l'influence qu'on leur a attribuée. C'est une légende dont Napoléon lui-même a fait justice à Sainte-Hélène. Faux ! écrivit-il en marge d'un livre où elle était rapportée. (Mémoires manuscrits de Marchand.)
[99] Gourgaud, I, 35-37, Cf. 33.
[100] Gourgaud, I, 38. Beker, 116. Mémoires manuscrits de Marchand. Cf. Montholon, I, 82. Mme de Montholon, 14.
[101]
Beker, 115. Cf. Gourgaud, (I, 38), Montholon, (I, 82). Marchand (Mémoires
manuscrits) et Las Cases, (I, 43), qui parlent assez confusément tantôt des
chasse-marée, tantôt du bâtiment danois. Dans le rapport au ministre de la
marine Jaucourt du capitaine de frégate de Rigny, envoyé eu mission à
Rochefort. il est question aussi du navire danois. (Moniteur, 23 juillet.)
[102] Beker, 116. Gourgaud, I, 35. Las Cases, I, 43. Montholon, I, 62. Mémoires manuscrits de Marchand. — J. Silvestre (135-137) rapporte, sans citer les sources, que les péniches appareillèrent dans la nuit pour aller attendre l'empereur eu dehors de la pointe de l'Aiguillon et qu'elles y restèrent jusqu'au 15 juillet à dix heures du matin sans recevoir aucun contre-ordre. Cela parait impossible, car dés la nuit du 13 au 14, et plus encore dans la journée du 14, l'empereur était absolument résolu à se livrer à la croisière anglaise. Il y a d'ailleurs deux faits décisifs pour infirmer cette station de quarante heures des péniches à la pointe de l'Aiguillon : 1° Planat était à bord d'une de ces péniches. (Las Cases, I, 43), et Planat s'embarqua sur l'Epervier avec l'empereur et sa suite le 15 juillet à quatre heures du matin. 2° Dans le rapport du 13 août du capitaine de vaisseau Coudein, commandant le 14e de marine (Arch. Marine, BB3 426), il est dit que le 14 juillet au matin les six officiers qui avaient formé le projet du départ de l'empereur sur les péniches furent mis aux arrêts.
[103]
Mémoires manuscrits de Marchand. Beker, 117. Cf. Gourgaud, I, 38.
[104] Gourgaud, I, 38. Beker, 118.
[105] Selon Beker (120-121), Napoléon aurait même écrit celle nuit-là sa lettre fameuse au Prince Régent d'Angleterre. Gourgaud (I, 38-311) dit que la minute de cette lettre fut écrite le 14 juillet. J'ai vu cette minute chez M. le baron Gourgaud ; elle n'est pas datée, et les reproductions de la lettre originale portent, les unes, la date du 13 juillet, les autres (notamment dans la Correspondance de Napoléon, 22 066), la date du 14 juillet.
[106] Maitland, Relation, 43-44. Las
Cases, I, 41.
[107] Lettre de Holbein à Maitland, 7 juillet [reçue le 8 juillet] (citée par Maitland, 18-23).
[108] Maitland, 45. Cf. Las Cases (I, 44,) : Il dit avait autorité pour le recevoir à son bord.
[109] Le 15 juillet dans l'après-midi, Napoléon prisonnier, Maitland dit à l'amiral Hamm : — Je compte avoir bien agi, car j'ai considéré d'une grande importance d'obtenir possession de la personne de Bonaparte... Le 20 juillet, le même Maitland dit d'un air de triomphe au commandant du Switzure : Je l'ai pincé ! I have got him. (Relation, 84-85, 113-114.)
[110] Maitland, 45-46. — C'était au moins un demi-mensonge. Certes Maitland ne savait point précisément que l'on enverrait Napoléon à Sainte-Hélène, mais il savait par les lettres précitées de Hotham que l'Angleterre regardait la capture de Napoléon comme intéressant la tranquillité de l'Europe. La conclusion s'imposait.
[111] Lettre de Bertrand à Joseph, île d'Aix, 14 juillet. (Citée dans les Mémoires du roi Joseph, X, 247-248). Las Cases, I, 44. — Dans sa Relation, Maitland ne dit point un mot de ces paroles-là. Mais la lettre où Bertrand les consigne, d'après le rapport de Las Cases et de Lallemand, quelques heures après qu'elles avaient été prononcées, prouvent qu'elles furent dites. Les parlementaires n'avaient pu inventer l'observation de Maitland sur la déférence du gouvernement anglais pour l'opinion publique.
[112] Maitland, 48. Cf. Las Cases, I, 45-46 : Maitland repoussa ce doute comme une injure.
[113] Las Cases, I, 46. Maitland,
46.
[114] Las Cases, II, 46.
[115] Cf. les Instructions confidentielles de Napoléon à Gourgaud, citées plus loin, et Rovigo, VIII, 236, et aussi Beker, 119.
[116] Rovigo, VIII, 236. Gourgaud, I, 38. Montholon, I, 85. Las Cases, I, 47. Mme de Montholon, 14. Beker, 119. Mémoires manuscrits de Marchand.
[117] Rovigo, VIII, 236. Mme de Montholon, 15. Cf. Jourdan de la Passardière, commandant l'Epervier (Relation publiée dans la Nouv. Revue Rétrospective, 10 oct. 1697), qui rapporte un entretien qu'il eut le 15 juillet avec Bertrand, Montholon et Las Cases. — Selon Montholon (I, 86), Gourgaud protesta avec lui contre le projet de se rendre à l'escadre anglaise. Gourgaud dit au contraire dans son Journal : Tout le monde sans exception est de cet avis, et ses conversations avec l'empereur la veille et l'avant-veille, citées précédemment, témoignent bien qu'il était personnellement grand partisan de ce projet.
[118] Montholon, I, 86. Mme de Montholon, 15. Cf. Mémoires manuscrits de Marchand. — Ce parti (auquel d'ailleurs se serait opposé Beker) eut été en tout cas trop tardif. Le 14 juillet, Baudin, avec la Bayadère et l'Infatigable, avait dû aller mouiller devant Pauillac, une division anglaise forte d'une frégate (le Pactolus) et de quatre corvettes et bricks (Hebrus, Phœbé, Lune, Eudymion) étant entrée dans la Gironde. (Bonnefoux à Jaucourt, 15 et 17 juillet. Arch. Marine, BB3 426.)
[119] Mémoires manuscrits de Marchand. Beker, 120 (Cf. 122-123). Mme de Montholon, 15. Cf. Las Cases, I, 17, 59-60. Rovigo, VIII, 236. Maitland, 201. Note de Mme Caffarelli (citée par Sismondi, Notes sur les Cent Jours, 32).
[120] Rovigo, VIII, 246. Maitland, Relation, 201, d'après une conversation particulière avec l'empereur, le 6 août, sur le Bellérophon. Cf. Las Cases, I, 60-01.
[121] Rovigo, VIII, 237. Montholon, 1, 87. Mémoires manuscrits de Marchand.
[122] Gourgaud, I, 38-39. — Bertrand, peu d'instants après, fut chargé de mettre la minute au net.
[123] Gourgaud, I, 33-39.
[124] Muiron était le nom d'un aide de camp de Bonaparte, qui fut tué à Arcole en le couvrant de son corps.
[125] Dictée de l'Empereur à Gourgaud, s. d. (14 juillet) (Papiers du général Gourgaud).
[126] Gourgaud, I, 39-42. Las Cases, I,
48. Maitland, 50-57-59, Lettre de Bertraud à Maitland, ile d'Aix, 14
juillet (citée par Maitland, 51-52). Lettre de Maitland à Croker, secrétaire de
l'Amirauté, à bord du Bellérophon, rade des Basques, 14 juillet. (Wellington, Supplementary
Dispatches, XI, 30.)
[127] Las Cases, I, 48-50. Maitland,
63-66.
[128] Maitland, 67-68.
[129] Maitland, 38, 48-49.
[130] Las Cases, I, 50-51. Cf. Maitland,
69-70.
[131] Bonnefoux à Jaucourt, Rochefort, 14 et 15 juillet. (Arch. Marine, BB3 426.) Sur Richard et son rôle à Rochefort, cf. Rovigo, VIII, 211-213, et les notes manuscrites de Rousselin (collection Alfred Bégis.)
Préfet de la Charente-Inférieure sous l'empire, Richard avait été maintenu dans ce poste par la première Restauration. Démissionnaire, on ne sait pour quelle raison, en septembre 1814, il fut nommé par l'empereur, au reloue de File d'Elbe, préfet du Calvados, puis destitué peu de jours après. Renommé par Louis XVIII, le 9 juillet 1815, préfet de la Charente-Inférieure, il démissionna eu décembre, au inclinent oh l'ou discutait la lui de prescription contre les régicides, mais il fut un des rares conventionnels, ayant rempli des fonctions pendant les Cent Jours, qui échappèrent aux effets de cette loi. Il obtint même une pension de Louis XVIII, • en récompense des nombreux services, dit un document du temps, qu'il avait rendus pendant son administration et notamment est 1815.
[132] Jaucourt à Bonnefoux, Paris, 10 juillet. (Arch. de la Marine, BB3 426).
Cette lettre est eu minute comme les ordres à Philibert, au commandant de l'île d'Aix et au capitaine de Rigny, cités plus loin, mais les lettres de Bonnefoux à Jaucourt, Rochefort, 14, 15 et 18 juillet (BB3 420) et la mission guérite de Rigny à Rochefort prouvent que ces divers ordres furent expédiés en originaux.
L'ordre de faire rentrer la Méduse au port avait pour but, comme on va le voir, de priver le chef de la division navale de la moitié de ses moyens de résistance au cas que cet officier eût l'intention de défendre l'empereur.
[133] Jaucourt à Rigny, Paris, 13 juillet : Le commandant anglais qui bloque la rade et l'ile d'Aix est chargé par son gouvernement de sommer le commandant du bâtiment sur lequel se trouve Bonaparte de le lui remettre immédiatement. Je vous charge en conséquence d'une lettre adressée par M. Croker, secrétaire de l'Amirauté, au commandant de celle station, et j'y joins un ordre de moi pour le commandant de la Saale, et un ordre du ministre de la Guerre pour le commandant de l'ile d'Aix. Vous vous rendrez à bord du commandant de la station anglaise et lui remettrez les pièces dont vous êtes chargé. Arch. de la Marine, BB3, 426.)
Jaucourt à Bonnefoux, Paris, 13 juillet : Ordre de mettre à la disposition du capitaine de frégate de Rigny les embarcations et les moyens dont il pourrait avoir besoin pour une mission particulière. (Arch. de la Marine, BB3 426).
Croker à Jaucourt, [Paris], hôtel du Mont-Blanc, rue de la Baie, 13 juillet : M. Croker présente ses compliments à M. le comte de Jaucourt et à l'honneur de remettre à son Excellence la dépêche dont il lui a fait lecture ce matin. M. de Jaucourt aura la bonté d'en charger M. le capitaine de Rigny. (Arch. de la Marine, BB3 426.)
[134] Jaucourt à Philibert, Paris, 13 juillet. (Arch. de la Marine, BB3 426.)
A cette lettre en était jointe une de Gouvion-Saint-Cyr pour le commandant de l'ile d'Aix. Nous la connaissons par la minute que Jaucourt prit soin de rédiger lui-même le 13 juillet. (Arch. de la Marine, BB3 426.) Elle débutait par les mêmes considérations générales que la lettre à Philibert et ce terminait ainsi : Je vous défends de seconder par vos forces le commandant de la Saale s'il refusait de remettre Napoléon Bonaparte au commandant anglais. Je vous ordonne également, dans le cas où Napoléon Bonaparte tenterait de s'évader ou aborderait à l'île d'Aix, de vous emparer de sa personne et de le remettre au commandant anglais.
Tout était, comme on voit, parfaitement combiné. Ni Bonnefoux, ni Philibert ne devaient être instruits d'avance de me qui se machinait. Ils l'auraient appris seulement en recevant la sommation du commandant anglais entrant dans la rade des flasques avec toute son escadre. Alors, il vert été impossible de faire évader l'empereur.
Rigny était accompagné pour sa mission par le lieutenant de vaisseau Fleuriau. D'après une lettre de Bonnefoux à Jaucourt, Rochefort, 18 juillet (Arch. Marine, BB3 426), les ordres de Jaucourt, de Croker et de Gouvion-Saint-Cyr, avaient été, il semble, expédiés en double et confiés à deux envoyés, Rigny et le général de Coëtlosquet. Ils arrivèrent seulement le 18 juillet. Depuis deux jours, le Bellérophon avait appareillé. Leur mission n'avait plus d'objet. Rigny, cependant, envoya le lieutenant Fleuriau à bord du Superb où celui-ci se mit en rapport avec l'amiral Hotham. (Voir à ce sujet le rapport de Rigny à Jaucourt. Moniteur du 23 juillet et la lettre précitée de Retendons.)
[135] Voici tous les documents que j'ai pu trouver sur cette question : Liverpool à Castlereagh, Londres, 7 juillet (Supplementary Dispatches of Wellington, X, 676) : Quand les souverains arriveront à Paris, ils prendront une décision sur Bonaparte. — Gazette de la Cours de Vienne, 27 juillet (cité par Fabry, Itinéraire, II, 348) : Aussitôt leur arrivée à Paris (le 10 juillet), les souverains demandèrent que le gouvernement français prit tous les moyens pour faire arrêter Bonaparte. — Rapport confidentiel à Wellington, 15 juillet (Supplementary Dispatches, XI, 45) : Les souverains ont demandé trois garanties : la première, l'arrestation de Bonaparte. — Castlereagh à Liverpool, 8 juillet (Supplementary Dispatches, XI, 3) : J'ai appris ce soir par le roi qu'il avait donné des ordres à Fouché de faire tous ses efforts pour arrêter Bonaparte. — Rousselin, notes manuscrites (collection Régis) : Castlereagh, arrivé à Paris, reprocha à Fouché de ne pas avoir arrêté Bonaparte. Fouché promit de le livrer, bien que la veille, dans un salon, il mit fait le magnanime en disant qu'il n'était pas un gendarme. Pour obéir à Castlereagh, il fit réintégrer son ancien collègue Richard à la préfecture de la Charente-Inférieure avec mission d'aller saisir Napoléon.
Il y a une raison pour soupçonner véhémentement Fouché d'avoir été le premier instigateur de cette machination. C'est que le 10 juillet (jour où Jaucourt écrivit sa première lettre à Bonnefoux, lui ordonnant de s'opposer à toute communication que Napoléon chercherait à établir avec la croisière), Fouché, seul, avait pu révéler à ses collègues du cabinet le dessein de l'empereur de demander asile au commandant anglais.
[136] Lettres de Bonnefoux à Jaucourt, Rochefort, 14 juillet, trois heures après-midi et 15 juillet, dix heures du soir. (Arch. Marine, BB3 4311.) Journal de l'enseigne de vaisseau Luneau, de la Saale (cité par Jal, Souvenirs, 368-369.)
Si l'on connait les faits, il est aisé de voir que pour couvrir sa responsabilité, Bonnefoux, dans ses deux lettres à Jaucourt, les a volontairement rapportés d'une façon inexacte. Il écrivit, le 14 juillet, que Napoléon était encore le 13 à bord de la Saale ; or, il ne pouvait ignorer que l'empereur était depuis le 12 au matin à l'ile d'Aix. Il écrivit que Philibert lui apprit, le 15 à une heure du matin, que Napoléon était embarqué sur l'Epervier. Or, à ce moment-là, Philibert savait — sa lettre à Beker, Saale 15 juillet [entre une heure et deux heures du matin] (citée par Beker, 125), en témoigne — que Napoléon n'était pas encore embarqué, mais qu'il s'embarquerait au point du jour.
[137] Philibert à Beker, la Saale, 15 juillet (entre une heure et deux heures du matin), citée par Beker, 125.
[138] Bonnefoux à Jaucourt, Rochefort, 15 juillet (Arch. Marine, BB3 426.) Lettre du capitaine Philibert, au lieutenant Jourdan de la Passardière, commandant l'Epervier, 14 juillet [au soir] (citée par J. Silvestre, 141.) Nole communiquée par M. J. Silvestre. Mémoires manuscrits de Marchand. Relation de Jourdan de la Passardière (Nouvelle Revue rétrospective, 1er octobre 1897).
[139] Mémoires manuscrits de Marchand. Montholon, I, 90. Beker, 125-126. Mme de Montholon, 75-16. Relation de Jourdan de la Passardière.
[140] Beker, 126. Montholon, I, 91. — Selon Montholon, quand Napoléon s'embarqua le drapeau blanc flottait déjà sur les forts et sur la rade, et l'Epervier était le seul bâtiment qui eût conservé les couleurs nationales. C'est inexact. Le rapport de Bonnefoux à Jaucourt du 18 juillet (Arch. de la Marine, BB 3 426), témoigne que les couleurs royales ne furent arborées que le 17 juillet. Ainsi Napoléon en quittant la France vit encore partout autour de lui les pavillons et les drapeaux tricolores.