1815

LIVRE I. — LA SECONDE ABDICATION

 

CHAPITRE III. — L'ABDICATION.

 

 

I

Dans la nuit, l'empereur avait encore longuement réfléchi. Se résoudrait-il à abdiquer ou fort de ses droits constitutionnels dompterait-il le parlement ? Un instant, il arrêtât dans sa pensée les mesures pour la prorogation de la Chambre. De bon matin, il irait avec ses ministres au palais des Tuileries où serait convoqué le conseil d'Etat et dont toutes les troupes de la garde et de la ligne présentes à Paris, les tirailleurs fédérés et quelques bataillons de garde nationale occuperaient les abords. C'est aux Tuileries que serait rendu le décret de prorogation, qui serait aussitôt communiqué aux Chambres par les ministres d'Etat. En cas de résistance, on emploierait la force[1]. Mais c'était moins une résolution ferme qu'un vague projet, moins un projet qu'un rêve. Pour ce coup d'état légal, bien du temps avait été perdu. Tout simple à faire dans la matinée de la veille, encore exécutable dans l'après-midi et surtout dans la nuit, où l'on aurait pu arrêter chez eux les principaux meneurs, Fouché, La Fayette, Lanjuinais, Manuel, Jay, Lacoste[2], il devenait plus hasardeux le 22 juin. Cependant, si l'empereur avait trop tardé d'agir, les moyens d'action ne lui manquaient pas encore. Il y avait à Paris 5.300 hommes de la garde[3], 6.000 fantassins et cavaliers de la ligne, huit compagnies de vétérans, 700 gendarmes, huit compagnies des 2e et 4e d'artillerie, douze compagnies d'artillerie de la marine, deux bataillons de militaires retraités[4], enfin les tirailleurs fédérés[5] qu'aurait soutenus tout le peuple des faubourgs. C'était suffisant pour imposer à la garde nationale censitaire[6], en majorité hostile à l'empereur mais peu combative de sa nature. Des ministres de l'intérieur, de la guerre et de la police, les seuls qui eussent à intervenir ce jour-là, Napoléon aurait entraîné aisément le premier et ramené, non sans quelque peine peut-être, le second à l'obéissance passive. Quant au troisième, il y avait, pour le remplacer sur l'heure Rovigo ou Réal. Napoléon comprenait tout cela. S'il hésitait, s'il reculait même devant l'entreprise, ce n'est pas qu'il doutât du succès immédiat, c'est qu'il envisageait avec inquiétude les conséquences de ce succès. En ajournant le parlement, il supprimerait un obstacle capital, mais en même temps il détruirait le point d'appui qu'il jugeait indispensable pour soulever tout le pays. Je pourrai tout avec les Chambres, avait-il dit à Lucien ; sans elles, je ne pourrai sauver la patrie. Et il continuait de penser qu'une mesure violente contre les Chambres, accréditant l'opinion que l'Europe s'était croisée contre lui seul, désintéresserait de la défense nationale, provoquerait la désunion jusque parmi les chefs de l'armée et paralyserait tous ses efforts[7]. En cette journée et cette nuit douloureuses, l'empereur eut des révoltes d'orgueil froissé et d'espérance déçue, des paroles de menace, des velléités de résistance ; mais pas un instant, malgré les premiers conseils de Davout et les exhortations constantes de Lucien, il ne pensa sérieusement à dissoudre les Chambres. Et c'est précisément l'infamie de Fouché de lui en avoir attribué le dessein, et la mauvaise action de La Fayette d'avoir donné à cette imposture l'autorité de sa parole.

Caulaincourt, Regnaud, Rovigo, Lavallette vinrent au lever de l'empereur. Tous lui représentèrent la nécessité d'abdiquer. Il y était déjà résigné. Avec une profonde tristesse, il répéta ses paroles de la veille : — Je ne puis rien seul. On croit se sauver en me perdant, mais on verra combien on s'abuse. Il interrompit Lavallette qui s'étendait sur les périls d'un nouveau 18 Brumaire : Cette pensée, doucement, est bien loin de moi. Mais, comme il y a les révoltes de la chair devant la souffrance physique, il y a les révoltes de l'âme devant le sacrifice définitif, le renoncement à toute espérance, la tombe anticipée. De là, les dernières hésitations de l'empereur, à mieux dire ses temporisations. Il avait pris son parti, mais il différait, il attendait. Dans l'illusion persistante d'un retour d'opinion à la Chambre, il craignait d'accomplir trop tôt l'acte irrémédiable[8].

Les ministres ayant rendu compte de la séance de nuit aux Tuileries, Napoléon déclara consentir à la nomination par la Chambre d'une commission chargée de traiter directement avec les puissances coalisées. Il ajouta que s'il était reconnu que sa présence sur le trône empêchât l'ouverture de toute négociation, il serait prêt à se sacrifier. En attendant que cette déclaration fût communiquée officiellement aux Chambres sous forme de message, il autorisa Regnaud à la transmettre officieusement à ceux des députés qui avaient été adjoints au conseil des ministres[9]. Comme Regnaud allait quitter l'Élysée, l'empereur reçut des nouvelles de l'armée. Un officier du prince Jérôme, le capitaine de Vatry, venu à franc étrier, rapporta qu'il avait vu plus de 20.000 hommes sur la route d'Avesnes[10]. De son côté, Soult mandait que l'on ralliait 3.000 soldats de la vieille garde et de nombreux détachements de la ligne. Dejean avait rassemblé à Guise 1700 cavaliers des divisions Roussel, Jacquinot et Piré. Grouchy, enfin, écrivait de Givet, qu'il ramenait ses deux corps d'armée, et que ses communications avec le maréchal Soult étaient libres[11]. L'empereur pressa Davout de courir à la Chambre afin de ranimer par ces réconfortantes nouvelles le courage des représentants. Il y avait encore vers la frontière du Nord une armée de 60.000 hommes[12].

 

II

Dès neuf heures et demie la Chambre s'était réunie ; on était impatient de connaitre les résolutions prises dans la séance de nuit aux Tuileries. Le rapporteur, le général Grenier, résuma très sommairement cette longue délibération. Il dit que les ministres s'étaient engagés à proposer an parlement des mesures de salut public, et que l'on avait voté la nomination, par les Chambres, d'une ambassade chargée de négocier directement avec les puissances. Il ajouta que l'empereur allait donner par un message son assentiment à cette décision et déclarer en même temps qu'il était prêt à tous les sacrifices s'il devenait un invincible obstacle à la paix[13].

La lecture de ce rapport fut écoutée avec un mécontentement non dissimulé. Ce n'était pas ce que la Chambre attendait. Elle croyait que la conférence tenue dans la nuit avait eu l'abdication à peu près pour unique objet, et ses délégués venaient lui parler de vagues mesures de défense et de police, et de l'assentiment promis par l'empereur à un acte de la représentation nationale. La Chambre avait-elle donc besoin du consentement d'un souverain virtuellement déclin ? Duchesne, de l'Isère, prit la parole. Nommé par l'empereur, au retour de l'île d'Elbe, procureur général à Grenoble, et élu ensuite député comme bonapartiste, ce Duchesne s'était signalé dès l'ouverture de la session par son hostilité contre l'empire. Il dit : — Je ne pense pas que la Chambre puisse offrir des négociations aux puissances alliées, car elles ont déclaré qu'elles ne traiteraient jamais tant' que Napoléon régnerait. Il n'y a donc qu'un parti à prendre, c'est d'engager l'empereur à abdiquer. Des applaudissements, des murmures, des protestations, des cris : Appuyé ! Aux voix ! aux voix ! accueillirent cette motion. On prononça même le mot déchéance[14]. La déchéance était dans la pensée de la grande majorité de la Chambre, mais ses chefs, inspirés par le prudent Fouché, ne voulaient recourir à ce moyen extrême qu'après avoir épuisé tous les autres. ils redoutaient nu coup de violence tic l'empereur offensé, l'indignation du peuple de Paris, les colères de l'armée. Pour que la révolution souhaitée s'accomplît sans risques, il fallait que Napoléon abdiquât de son propre mouvement[15].

Le président Lanjuinais tenta de calmer l'assemblée en lui conseillant d'attendre le message de l'empereur avant de prendre aucune décision. Mais le général Solignac, qui avait coopéré aux journées du 13 vendémiaire, du 18 fructidor et du 18 brumaire[16], voulait aussi avoir un rôle ce jour-là. Reprenant, en la précisant, la proposition de Duchesne, il demanda qu'une députation de cinq membres, élue incontinent dans la Chambre, se rendît auprès de l'empereur pour lui exprimer l'urgence de sa décision.

Ah ! qu'en termes galants ces choses là sont mises !

Malgré quelques murmures, la proposition allait être votée à la chaude, lorsque Solignac, écoutant les raisons de plusieurs de ses collègues, demanda lui-même l'ajournement. — Je viens, dit-il, proposer un amendement. Plusieurs de nos honorables collègues m'ont fait observer qu'il est hors de doute que la Chambre ne soit bientôt informée de la détermination prise par Sa Majesté. Je pense donc qu'il est convenable que nous attendions une heure le message de l'empereur. Les avis semblaient très partagés. On criait : oui ! On criait : non ! Solignac reprit : — Nous voulons tous sauver la patrie, mais ne pouvons-nous pas concilier ce sentiment unanime avec le désir de conserver l'honneur du chef de l'État ?... Si je demandais d'attendre à ce soir ou à demain, on pourrait m'opposer quelques considérations, mais une heure, une heure seulement ! La proposition fut votée[17], La Chambre daignait accorder une heure à Napoléon pour se décider entre l'abdication et la déchéance.

Il était environ midi ; la séance fut suspendue[18]. Dans un groupe, La Fayette, très animé, dit brutalement il Lucien, qui se trouvait à la Chambre comme commissaire de l'empereur : — Dites à votre frère de nous envoyer son abdication ; sinon, nous lui enverrons sa déchéance. — Et moi, riposta Lucien, je vous enverrai La Bédoyère avec un bataillon de la garde ![19] Vaines menaces qui ne pouvaient plus intimider La Fayette et auxquelles moins encore croyait Lucien.

Les députés rentrèrent bientôt en séance pour entendre Davout. Il était chargé par l'empereur de leur communiquer les nouvelles qui venaient d'arriver de l'armée. Son rapport, pourtant assez encourageant, ne produisit pas l'effet espéré. Ou suspecta Davout de donner des renseignements faux. Un représentant lui demanda effrontément s'il n'était pas vrai que l'ennemi eût déjà des troupes légères aux environs de Laon ? Tour à tour la censure fut proposée contre le ministre et coutre son interrupteur. On suspendit la séance au milieu du tumulte[20].

Le général Solignac était à l'Élysée. Il avait sans peine consenti à demander que l'on ajournât l'envoi, proposé par lui, d'une députation à l'empereur pour le sommer officiellement d'abdiquer ; mais il avait pensé au même moment à une démarche officieuse immédiate. Il s'en chargea lui-même avec deux autres membres de la Chambre[21]. — Il fallait vraiment être enragé pour prendre la tâche d'une pareille mission sans y être contraint ! — Admis en présence de l'empereur, Solignac et ses collègues lui exposèrent les prétendues raisons d'intérêt national qui devaient l'engager à se sacrifier à la France. Il est présumable qu'ils parlèrent avec respect, et qu'ils s'abstinrent de dire à l'empereur, qui l'avait déjà appris de Lucien, que l'Assemblée lui accordait une heure pour se déterminer. Après les avoir écoutés avec calme, Napoléon les congédia en les assurant qu'il allait envoyer un message qui donnerait satisfaction à la Chambre[22].

Regnaud, qui faisait constamment la navette entre le Corps législatif et l'Élysée, revint peu après dans le cabinet de l'empereur, où se trouvaient réunis les ministres et les princes Joseph et Lucien. Il rapporta que la communication de Davout avait mécontenté la Chambre, que de minute en minute s'accroissaient l'impatience et l'irritation, qu'il avait entendu des propos menaçants. C'était rappeler un peu trop durement au général vaincu, au souverain abandonné, le délai d'une heure qui lui était concédé pour déférer au vœu impératif de l'Assemblée. Napoléon eut une dernière révolte. — Puisque l'on veut me violenter, s'écria-il d'une voix que faisait vibrer l'indignation, je n'abdiquerai point ! La Chambre n'est qu'un composé de jacobins, de cerveaux brûlés et d'ambitieux. J'aurais dû les dénoncer à la nation et les chasser... Le temps perdu peut se réparer... Et il se promenait à grands pas clans son cabinet et sur le perron du jardin, se parlant à lui-même, prononçant des mots entrecoupés, inintelligibles.

Il s'arrêta, les yeux radoucis, ayant repris son calme. — Sire, dit alors Regnaud, ne cherchez pas, je vous en conjure, à lutter plus longtemps contre l'invincible force des choses. Le temps s'écoule, l'ennemi s'avance. Ne laissez pas à la Chambre, à la nation, le moyen de vous accuser d'avoir empêché la paix. L'an dernier, vous vous êtes sacrifié au salut de tous... La colère, chez l'empereur, avait fait place à l'humeur. Il dit d'un ton bourru : — Je verrai. Mon intention n'a jamais été de refuser d'abdiquer. Mais je veux qu'on me laisse y songer en paix. Dites-leur d'attendre[23].

Dans la pensée de Regnaud, jouet aux mains de Fouché, l'abdication impliquait la reconnaissance de Napoléon II. C'est pourquoi il mettait tant d'ardeur et de fermeté à vaincre les dernières hésitations de l'empereur. Il redoutait que la Chambre irritée et, inquiète à la fois de ces temporisations, ne proclamât la déchéance comme en 1814, auquel cas tomberaient les droits du Prince impérial. Derechef, il conjura l'empereur d'abdiquer sans plus tarder. Joseph et Caulaincourt tirent les mêmes instances[24]. Cambacérès, Bassano, Carnot étaient consternés ; ils inclinaient plutôt vers lu résistance, mais, pour prendre la responsabilité de la conseiller, celui-ci avait trop de scrupules de légalité et ceux-là trop de doutes sur le succès final d'un coup de force[25]. Muet et impassible, Fouché cachait son triomphe sous son masque de glace. Les autres ministres gardaient un silence contraint comme s'ils ne voulaient pas ajouter à une si grande infortune l'humiliation de leurs tristes avis. Seul entre tous, seul contre tous, Lucien proposa encore de dissoudre la Chambre. — Vous ne vous êtes pas trop mal trouvé, dit-il à l'empereur, d'avoir suivi mon conseil au 18 brumaire. Le pays nous a. approuvés, il vous a acclamé ; mais il n'en est pas moins vrai que, légalement, nous n'avions pas le droit de prendre des mesures qui n'étaient ni plus ni moins qu'une révolution. Quelle différence aujourd'hui ! Vous avez tous les pouvoirs. L'étranger marche sur Paris. Jamais dictature, dictature militaire, ne fut plus légitime[26].

Inutiles raisons ! l'empereur avait pris son parti. La veille, il avait admis l'éventualité de l'abdication, et quand Napoléon avait une fois reconnu la possibilité d'un événement dépendant de sa volonté, cet événement était déjà presque accompli dans sa pensée. Pendant les vingt-quatre heures qu'il venait de passer dans des affres pareilles à celles de la mort, il n'avait eu que des velléités de résistance, sous l'action de passagers retours à l'espoir et de colères sans durée. Au fond de soi-même, sans peut-être en avoir conscience, il était résigné à l'inéluctable[27]. Il temporisait quand Regnaud et Caulaincourt lui conseillaient de céder. Mis par Lucien en demeure d'agir, il prit brusquement sa résolution. — Mon cher Lucien, dit-il avec douceur, il est vrai qu'au 18 brumaire nous n'avions pour nous que le salut du peuple ; et pourtant, quand nous avons demandé un bill d'indemnité, une immense acclamation nous a répondu. Aujourd'hui, nous avons tous les droits, mais je ne dois pas en user. D'une voix plus grave, il ajouta : — Prince Lucien, écrivez ! Puis, il se tourna vers Fouché et lui Ait avec un sourire moqueur d'une admirable ironie : — Écrivez à ces bonnes gens de se tenir tranquilles ; ils vont être satisfaits. Fouché subit le sourire sans avoir l'air d'en comprendre l'intention, et il griffonna aussitôt un petit billet à Manuel[28].

Lucien s'était assis à la table, mais, aux premiers mots dictés par l'empereur, il écrasa sa plume sur le papier, se leva d'un soubresaut en repoussant sa chaise avec bruit et marcha vers la porte. — Restez ! commanda l'empereur. Subjugué, Lucien se rassit ; et devant ses ministres profondément émus, au milieu d'un silence solennel qui permettait d'entendre, par delà le grand jardin, les Vive l'empereur ! que criait la foule, Napoléon dicta l'acte d'abdication : En commençant la guerre pour soutenir l'indépendance nationale, je comptais sur la réunion de tous les efforts, de toutes les volontés, et sur le concours de toutes les autorités nationales. J'étais fondé à en espérer le succès. Les circonstances me paraissent changées. Je m'offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France. Puissent-ils être sincères dans leurs déclarations, et n'en avoir voulu réellement qu'à ma personne. Unissez-vous tons pour le salut public et pour rester une nation indépendante[29].

Pas un mot sur les Chambres, sinon l'allusion que leur concours lui avait manqué pour défendre la France. Sa déclaration était adressée non aux mandataires du peuple, qu'il affectait de ne plus connaître, mais directement au peuple français. C'était un sacrifice complet et absolu, une renonciation à tout droit, à toute garantie, à toute sauvegarde. Fort surpris que l'empereur n'eût point même nommé son fils, Lucien, Carnot, et vraisemblablement aussi Regnaud, lui en firent la remarque ; ils l'engagèrent avec instance à n'abdiquer qu'en faveur du Prince impérial Quelqu'un ayant dit qu'il fallait écarter les Bourbons, l'empereur s'écria : — Les Bourbons !... Eh bien ! ceux-là du moins ne seront pas sous la férule autrichienne. Il céda, cependant, et fit ajouter ces mots : Je proclame mon fils, sous le nom de Napoléon II, empereur des Français. Les princes Joseph et Lucien et les ministres actuels formeront provisoirement le conseil de gouvernement. L'intérêt que je porte à mon fils m'engage à inviter les Chambres à organiser sans délai la régence par une loi. Sur l'observation du duc de Bassano, que la participation de Joseph et de Lucien au conseil provisoire de gouvernement pourrait donner de l'ombrage à la Chambre, Napoléon fit biffer sur la minute les noms des deux princes[30]. Que lui importait ! En sa claire vision du lendemain, il ne s'abusait pas sur la valeur de la clause en faveur de son fils que ses conseillers l'avaient engagé à ajouter à son acte d'abdication. Il connaissait trop ses bons frères les monarques pour espérer qu'ils sanctionneraient la transmission d'un pouvoir issu de la Révolution ; il méprisait trop les Chambres pour croire qu'elles résisteraient à la volonté de l'Europe. — Les ennemis sont là, dit-il, et les Bourbons avec eux. Il faut repousser les premiers ou subir les seconds. Unis, nous pourrions nous sauver encore ; divisés, vous n'avez plus de ressources que dans les Bourbons[31].

Fleury de Chaboulon avait achevé les deux expéditions de la minute ; il les présenta à la signature de l'empereur. En signant, Napoléon s'aperçut qu'une larme maculait le papier. Il remercia Fleury par un regard sans prix, et murmura, résigné : — Ils l'ont voulus ![32]

Carnot fut chargé de communiquer la déclaration à la Chambre des pairs. Pour la même mission à la Chambre des députés, l'empereur, avec une élégance d'une ironie souveraine, désigna Fouché, le principal artisan de l'abdication[33].

 

III

Manuel, à la réception du billet de Fouché, avait modéré les impatiences et les alarmes de la Chambre. Elle était tranquillisée, l'abdication n'étant plus qu'une question de minutes. Quand Fouché, Caulaincourt, Decrès et Regnaud entrèrent dans la salle des séances, on connaissait l'objet de leur mission. Lanjuinais, craignant que la lecture de l'acte d'abdication ne provoquai des manifestations injurieuses à l'empereur, rappela l'article du règlement qui interdisait toute marque d'approbation ou d'improbation. Il lut lui-même la pièce que lui avait remise Fouché. Cette lecture s'acheva dans le plus froid silence. Aussitôt Fouché monta à la tribune pour demander la nomination des cinq commissaires chargés de négocier avec les puissances alliées. Il crut devoir ajouter quelques phrases à effet sur les sentiments que devaient inspirer le malheur et la grandeur d'âme de Napoléon. Cette pitié de crocodile n'émut pas la Chambre[34].

On émit plusieurs projets de résolutions. Dupin proposa que la Chambre se déclarât Assemblée nationale et qu'il fût nommé une Commission exécutive de cinq membres, dont trois élus par les députés et deux par les pairs, qui exercerait provisoirement le pouvoir avec les ministres actuels ; on élirait, en outre, une autre commission chargée de préparer une nouvelle constitution et de décider les conditions auxquelles le trône pourrait être occupé par le prince que le peuple aurait choisi. Scipion Mourgues appuya la motion de Dupin en ce qui regardait l'élection d'une Commission exécutive de cinq membres, mais il voulait que la Chambre se fit Assemblée constituante, déclarât le trône vacant jusqu'à l'émission du vœu du peuple, et, enfin, nommât le maréchal Macdonald généralissime. Macdonald, qui avait accompagné Louis XVIII jusqu'à la frontière et qui avait refusé de prendre un commandement pendant les Cent Jours, passait pour royaliste. Son nom prononcé dans cette Chambre, dont la grande majorité était anti-bourbonienne, produisit l'effet de la chute d'une pierre dans une mare à grenouilles. La voix de Mourgues fut couverte par les murmures, les protestations, les cris : L'ordre du jour ! Malgré les efforts de Lanjuinais, l'ex-conventionnel Garraud lut, au milieu des applaudissements du plus grand nombre et des réclamations de quelques-uns, l'article 67 de l'Acte additionnel portant que les Chambres, même en cas d'extinction de la dynastie impériale, n'auraient jamais le droit de proposer le rétablissement des Bourbons[35].

Nul cependant n'avait parlé de proclamer Napoléon II. Bien loin de là, Dupin et Mourgues avaient marqué par le texte même de leurs projets de résolutions que l'on devait tenir pour nulles et les Constitutions de l'Empire et la clause de l'abdication concernant la reconnaissance du Prince Impérial comme empereur des Français. Regnaud était très déconcerté car, en poussant avec tant d'ardeur et d'insistance Napoléon Ier à abdiquer, il avait cru agir dans l'intérêt de Napoléon II. Il combattit les propositions de Dupin et de Mourgues, démontra que l'existence de la Chambre des pairs empêchait la Chambre des députés de se déclarer Assemblée Nationale et que, à se déclarer Assemblée Constituante, elle risquerait de livrer la nation à l'anarchie. — Notre premier devoir, dit-il, est de conserver, de maintenir et de réorganiser. Mais il s'abstint de développer tout ce qu'il entendait par ces mots : conserver et maintenir. Vraisemblablement endoctriné par Fouché qui voulant faire place nette conseillait de temporiser pour ne rien compromettre, il jugea imprudent d'aborder avec franchise la question dynastique. Il n'osa pas proposer l'établissement d'un conseil de régence et se borna à demander la nomination d'un conseil exécutif sans préciser comment il serait composé. Regnaud termina son discours en exaltant la grandeur du sacrifice qu'avait accompli Napoléon et eu invitant le bureau de la Chambre à se rendre chez l'empereur pour lui exprimer la reconnaissance du peuple français. Cette péroraison, émouvante parce qu'elle était d'une inspiration sincère, rachetait un peu l'équivoque voulue du discours. Les propositions de Regnaud furent votées d'enthousiasme. Les applaudissements de l'Assemblée purent lui donner l'illusion qu'il avait sauvé les droits du Prince Impérial[36].

Le bureau de la Chambre se rendit à l'Élysée. L'empereur fit un accueil froid, presque sévère, à cette députation composée en partie de ses ennemis, Lanjuinais, La Fayette, Flaugergues. En leur phraséologie de circonstance, il entendait leur vraie pensée. — Je vous remercie, des sentiments que vous m'exprimez. Je désire que mon abdication puisse faire le bonheur de la France, mais je ne l'espère point ; elle laisse l'État sans chef, sans existence politique. Le temps perdu à renverser la monarchie aurait pu être employé à mettre la France en état d'écraser l'ennemi... Renforcez promptement les armées. Qui veut la paix doit se préparer à la guerre. Ne mettez pas cette grande nation à la merci des étrangers. Craignez d'être déçus dans vos espérances, c'est là qu'est le danger. A ces paroles prophétiques, Napoléon ajouta qu'il recommandait son fils à la France et qu'il espérait qu'elle n'oublierait point qu'il n'avait abdiqué que pour lui. — Sire, répondit froidement Lanjuinais, la Chambre n'a délibéré que sur le fait précis de l'abdication. Je me ferai un devoir de lui rendre compte du vœu de Votre Majesté[37].

De retour à l'Assemblée, Lanjuinais rapporta avec une inexactitude absolue la réponse de Napoléon[38]. Il se fit néanmoins scrupule de ne pas dire que l'empereur avait rappelé qu'il n'avait abdiqué qu'en faveur de Napoléon II. Durbach prit texte de ces derniers mots pour faire remarquer que si la Chambre avait reconnu l'abdication de Napoléon la loi d'hérédité n'en subsistait pas moins. — Le fils de Napoléon est mineur, continua-t-il ; ainsi c'est au conseil de régence... De tous côtés, on interrompit avec une sorte de fureur cet imprudent qui allumait un brandon dans une poudrière[39]. Unanime le matin à exiger l'abdication de l'empereur, la Chambre était maintenant divisée, indécise, désemparée. Mais adversaires et partisans de la régence s'entendaient d'instinct pour en éluder temporairement la discussion, les uns et les autres craignant, de cette assemblée en effervescence, un vote par entraînement.

Le tumulte calmé, on procéda à l'élection des trois membres de la Commission exécutive. Il y avait, à la Chambre, des partisans de Napoléon II, de Louis XVIII, du duc d'Orléans, et, en très petit nombre, de la République ; mais aucun député n'était ardemment bonapartiste, bourboniste, orléaniste ou républicain, et tous étaient éperdument libéraux. Il semblait donc que La Fayette, Lanjuinais, Flaugergues, chefs du parti libéral, dussent réunir la majorité des votes pour la Commission de gouvernement. C'était compter sans Fouché. Le duc d'Otrante était pair, mais il voulait être élu par les députés, estimant que leurs suffrages lui donneraient plus d'autorité que ceux des membres de la Chambre haute. En outre, il ne voulait avoir pour collègues à la Commission de gouvernement ni La Fayette dont il redoutait les élans étourdis, ni Lanjuinais dont il craignait la fermeté. Ces deux personnages étaient, en outre, de qualité à lui disputer la présidence de la Commission où il comptait régner en maître. A ces fins, Fouché s'entendit pendant les suspensions de séance avec les meneurs des divers partis, promettant, selon les personnes, la régence, le duc d'Orléans ou Louis XVIII avec le maintien des libertés constitutionnelles, pourvu que les impatiences inconsidérées de la Chambre ne vinssent pas traverser ses plans. Il désigna ses candidats. C'était d'abord lui-même, Fouché, qui se donnait pour l'homme indispensable et que chacun, d'ailleurs, prenait pour tel ; puis le maréchal Macdonald ; enfin Lambrecht ou Flaugergues, comme on voudrait. Pour écarter La Fayette, il le représenta aux bonapartistes comme un adversaire irréconciliable de la dynastie impériale, aux libéraux comme un partisan de Louis XVIII, aux royalistes comme un républicain ; il ajouta que, en compensation, le commandement en chef des gardes nationales lui serait donné. Contre Lanjuinais, Fouché avait un autre argument : dans des circonstances si graves, rie devait-on pas le laisser à la présidence de la Chambre[40] ?

C'était bien manœuvrer. Le duc d'Otrante eut cependant des mécomptes. Il fut élu, mais le second seulement, avec 293 voix, tandis que Carnot passa le premier de la liste avec 324 voix. Les ex-conventionnels, tous les bonapartistes, dont un certain nombre n'étaient pas dupes de Fouché, et tous les ennemis déterminés des Bourbons avaient voté pour l'ancien membre du comité de Salut public. Un des vice-présidents de la Chambre, le général Grenier, obtint 204 voix. Malgré de beaux services[41], il n'avait jamais été persona grata au quartier-impérial et il était resté pendant les Cent Jours sans commandement aux armées. La Fayette eut seulement 142 voix ; Macdonald, porté par Fouché et soutenu par les royalistes, 137 ; Flaugergues, 46 ; Lambrecht, 42. La majorité absolue étant de 256, il fallut un nouveau tour de scrutin pour l'élection du troisième commissaire. On se rallia an général Grenier, candidat neutre qui donnait, saris le savoir, des espérances à tous les partis par la raison qu'il n'était compromis avec aucun. Il fut élu par 350 suffrages. La séance ne prit lin que passé neuf heures du soir[42].

 

IV

La Chambre des pairs s'était réunie seulement à deux heures après midi. Dès le début de la séance, présidée par Lacépède, Carnot lut l'acte d'abdication. Afin de donner ù la Chambre des députés le temps de prendre une résolution qui dictât la leur, les pairs renvoyèrent à une commission la déclaration de l'empereur. Carnot remonta à la tribune pour lire la note que Davout avait déjà lue à la Chambre élective et qui résumait les nouvelles assez rassurantes reçues de l'armée le matin. Il n'avait pas tout à fait achevé sa lecture quand une voix rude, impérieuse, éclatante, l'arrêta par ces mots : — Cela n'est pas !

Tous les veux convergèrent sur l'interrupteur. On crut voir un spectre. C'était le maréchal Ney. Hors de lui, tout en feu, comme pris de vertige, Ney poursuivit avec une véhémence croissante : — La nouvelle que vient de vous lire M. le ministre de l'intérieur est fausse, fausse sous tous les rapports. L'ennemi est vainqueur sur tous les points. J'ai vu le désordre puisque je commandais sous les ordres de l'empereur. On ose nous dire qu'il nous reste encore 60000 hommes sur la frontière ! Le fait est faux. C'est tout au plus si le maréchal Grouchy a pu rallier de 10 à 15.000 hommes, et l'on a été battu trop à plat pour qu'ils soient en état de résister. Ce que je vous dis est la vérité la plus positive, la vérité claire comme le jour. Ce que l'on dit de la position du duc de Dalmatie est faux. Il n'a pas été possible de rallier un seul homme de la garde. Dans six ou sept jours l'ennemi peut être dans le sein de la capitale. Il n'y a plus d'autre moyen de sauver la patrie que d'ouvrir des négociations[43].

La Chambre fut comme assommée par les paroles du maréchal ; elle demeura interdite, anéantie[44]. Carnot balbutia quelques explications pour démontrer sa bonne foi et la véracité du rapport de Davout. Il ne pensa point à protester contre l'étrange discours de Ney qui, en un véritable accès de folie, osait, lui, maréchal de France, déclarer devant la Chambre et devant le pays que toute résistance était impossible et qu'il fallait traiter avec l'ennemi[45]. Il y avait dans cette salle d'anciens conventionnels comme Roger-Ducos, Thibaudeau, Quinette, Sieyès ; il y avait de grands soldats comme Masséna, Lefebvre, Moncey, Mortier, Latour-Maubourg. Pas un n'éleva la voix, pas un ne trouva dans son cœur de patriote un mot enflammé pour rappeler l'infortuné maréchal à la raison et au devoir. Le général de Latour-Maubourg se borna à dire que, si le rapport lu à la Chambre était reconnu inexact, il demanderait la mise en accusation de Davout[46]. Sous la Convention, ce n'est pas le ministre de la guerre que l'on eût décrété d'accusation pour avoir voulu ranimer les courages et élever les résolutions ; c'est le chef d'armée qui par son cri de désespoir pouvait faire tomber des mains frémissantes de la France le tronçon d'épée qu'elle y tenait encore.

Vers quatre heures, on reçut par un message la résolution de la Chambre des députés. Avec leur docilité accoutumée, les pairs y donnèrent leur adhésion pure et simple. En vain La Bédoyère, timidement appuyé par le comte de Ségur, objecta que l'on ne devait pas adopter une résolution équivoque. — Je demande, dit-il, que nous déclarions si c'est Napoléon II que nous proclamons, ou bien si nous voulons un nouveau gouvernement. L'assemblée passa outre, jugeant, selon l'expression de Boissy d'Anglas, que cette proposition était intempestive et impolitique. En fidèle imitatrice de la Chambre des députés, la Chambres des pairs délégua son bureau à l'Élysée afin d'exprimer à Napoléon sa reconnaissance pour la manière illustre dont il terminait une illustre vie politique[47]. L'empereur ne présenta pas un front impassible à ces couronnes d'épines. Il accueillit la députation de la Chambre des pairs à peu près comme il avait reçu celle de la Chambre élective, d'un air moins sévère peut-être, mais avec non moins d'aigreur. — Je n'ai abdiqué qu'en faveur de mon fils, dit-il. Si les Chambres ne le proclamaient pas, mon abdication serait nulle. D'après la marche que l'on prend, on ramènera les Bourbons. Vous verserez bientôt des larmes de sang. On se flatte d'obtenir d'Orléans, mais les Anglais ne le veulent point. D'Orléans lui-même ne voudrait pas monter sur le trône sans que la branche aînée eût abdiqué. Aux yeux des rois de droit divin, ce serait aussi un usurpateur[48].

La séance reprit à huit heures et demie. Lucien, Joseph, le cardinal Fesch et les plus dévoués partisans de l'empereur étaient présents. Ils comptaient faire revenir l'Assemblée sur son vote de l'après-midi et obtenir la proclamation de Napoléon II. L'empereur, pensaient-ils, fort de la décision de la Chambre haute, pourrait imposer à la Chambre élective la reconnaissance de son fils ; autrement, il retirerait son abdication. Quand Lacépède eut rendu compte en termes atténués de sa visite officielle à l'Elysée, Lucien s'écria : — L'empereur est mort. Vive l'empereur ! L'empereur a abdiqué. Vive l'empereur ! Il ne peut y avoir d'intervalle entre l'empereur qui meurt ou qui abdique et son successeur. Je demande qu'en continuité de l'Acte constitutionnel la Chambre des pairs, sans délibération, par un mouvement spontané et unanime, déclare qu'elle reconnaît Napoléon II comme empereur des Français. J'en donne le premier l'exemple et lui jure fidélité[49]. En défendant les droits du jeune prince, Lucien parlait aussi pour soi-même, car la reconnaissance de Napoléon Il impliquait, en vertu des constitutions impériales, l'établissement d'un conseil de régence où entreraient nécessairement les frères de l'empereur[50].

Loin d'entraîner l'Assemblée, les paroles chaleureuses de Lucien provoquèrent des murmures. Pontécoulant combattit. la proposition. Par une précaution oratoire au moins inattendue, il commença par déclarer que Napoléon était son bienfaiteur, qu'il lui devait tout, et que sa reconnaissance durerait jusqu'à son dernier soupir. Puis changeant soudain de ton et de sentiment, il demanda à quel titre le prince Lucien avait parlé dans la Chambre : Est-il Français ? Je ne le regarde pas comme tel. Lui qui invoque la Constitution, il n'a pas de titre constitutionnel. Il est prince romain, et Rome ne fait plus partie du territoire français [51]... — Je vais répondre, protesta Lucien qui avait, en effet, de bons arguments[52]. Mais Pontécoulant l'interrompit : — Vous répondrez après, prince ; respectez l'égalité dont vous avez tant de fois donné l'exemple. Et, abordant enfin la question, il poursuivit : — Le préopinant a demandé une chose inadmissible. Nous ne pouvons l'adopter sans renoncer à l'estime publique, sans trahir notre devoir et la patrie. Je déclare que je ne reconnaîtrais jamais pour roi un enfant, pour mon souverain un individu non résidant en France. Prendre une pareille résolution ce serait fermer la porte à toute négociation. Lucien répliqua : — Si je ne suis pas Français à vos yeux, je le suis aux yeux de la nation entière... Du moment que Napoléon a abdiqué, son fils lui a succédé. Ne demandons pas l'avis des étrangers. En reconnaissant Napoléon II, nous faisons ce que nous devons faire, nous appelons au trône celui qu'y appellent la Constitution et la volonté du peuple. — J'avais prévu cette difficulté, dit ingénument Boissy d'Anglas. Il ajouta : — Ne nous divisons pas. On a adopté à l'unanimité l'abdication, il ne s'agit plus que de nommer un gouvernement provisoire. J'espère que nous arrêterons l'étranger, mais il ne faut pas nous ôter les moyens de traiter avec lui[53]. C'était déclarer trop ouvertement ce que Pontécoulant s'était borné à insinuer, à savoir que la Chambre haute avait déjà pris son parti d'accepter un souverain des mains de l'ennemi[54].

Révolté de ce manquement à la pudeur patriotique, le jeune général de La Bédoyère bondit de sa place et escalade comme à l'assaut les degrés de la tribune. Son animation est effrayante. — Je répéterai, s'écrie-t-il, ce que j'ai dit ce matin. Napoléon a abdiqué en faveur de son fils ; son abdication est nulle, de toute nullité, si, à l'instant, on ne proclame pas Napoléon II. Et qui s'oppose à cette résolution ? Des individus constants à adorer le pouvoir et qui savent abandonner un monarque avec autant d'habileté qu'ils en montrèrent à le flatter. Je les ai vus autour du trône, aux pieds du souverain heureux. Ils s'en éloignent quand il est dans le malheur ! Ils repoussent aussi Napoléon II parce qu'ils sont pressés de recevoir la loi des étrangers à qui déjà ils donnent le titre d'alliés, d'amis peut-être ![55]

Jamais assemblée de courtisans renégats n'a été traitée si bien selon ses mérites. A chaque mot qui les cravache, à chaque nouvel outrage, ils font entendre des exclamations de colère et des murmures menaçants. Les cris : A l'ordre ! à l'ordre ! Assez ! Quittez la tribune ! s'élèvent de tous les bancs. La voix de Fardent La Bédoyère se fait plus forte à mesure qu'augmente le tumulte ; elle domine toutes les autres. Il continue de parler au milieu des violentes interruptions qui hachent incessamment ses paroles : — Oui, l'abdication de Napoléon est indivisible. Si l'on refuse de proclamer le Prince Impérial, Napoléon doit tirer l'épée. Tous les cœurs généreux viendront à lui, et malheur à ces généraux vils qui l'ont déjà abandonné et qui peut-être en ce moment n'éditent de nouvelles trahisons ! Quoi ! il y a quelques jours à peine, à la face de l'Europe, devant la France assemblée, vous juriez de le défendre ! Où sont donc ces serments, cette ivresse, ces milliers d'électeurs ? Napoléon les retrouvera si, comme je le demande, on déclare que tout Français qui désertera ses drapeaux sera jugé selon la rigueur des lois ; que son nom sera déclaré infatue, sa maison saisie, sa famille proscrite ! Alors, plus de traîtres, plus de ces manœuvres qui ont occasionné les dernières catastrophes, et dont peut-être quelques auteurs siègent ici !

En disant ces mots, La Bédoyère darde un regard de feu sur le malheureux maréchal Ney. Une violente clameur s'élève. Toute la Chambre est debout, criant : A l'ordre ! à l'ordre ! Les apostrophes se croisent : — Désavouez ce que vous avez dit ! commande d'un ton impérieux le général de Valence. — Jeune homme, vous vous oubliez, dit gravement Masséna. — Vous vous croyez au corps de garde ! crie le comte de Lameth. Lacépède prononce le rappel à l'ordre. Mais La Bédoyère veut parler encore. La face convulsée, les lèvres frémissantes, ses beaux yeux bleus d'acier lançant des éclairs, il brave la tempête qu'il a soulevée. Le président se couvre ; on assiège la tribune, on en arrache La Bédoyère qui marque la Chambre de ce suprême stigmate. — Il est donc décidé, grand Dieu ! que l'on n'entendra jamais dans cette enceinte que des voix basses ![56]

Le calme très lentement rétabli, la discussion reprit. Ségur, Bassano, le prince Joseph, Rœderer exposèrent les raisons d'ordre constitutionnel et d'intérêt militaire qui engageaient à proclamer Napoléon II. Ils furent combattus par Cornudet, Lameth, Quinette, Thibaudeau et, derechef, par Pontécoulant. Ces débats se prolongeaient vainement car depuis longtemps la majorité de la Chambre avait pris sa résolution. Flahaut ayant interrompu Pontécoulant par ces mots : — Si l'empereur avait été tué, n'est-ce pas son fils qui lui succéderait ? Il a abdiqué, il est mort politiquement. Pourquoi son fils ne lui succéderait-il pas ? le ministre de la marine, Decrès, repartit avec sa brutalité habituelle : — Est-ce le moment de s'occuper des personnes quand la patrie est en danger ? Ne perdons pas un moment pour prendre les mesures que son salut exige. Je demande que la discussion soit fermée. Il était plus de minuit, on avait hâte d'en finir. Mis aux voix, l'ajournement de la proposition de Lucien et la clôture de la discussion furent votés à une grande majorité[57].

Restait encore l'élection des deux membres de la Commission de gouvernement. Les rares bonapartistes demeurés fidèles votèrent pour Lucien ; il eut dix-huit voix sur soixante-dix votants[58]. Caulaincourt et Quinette furent élus par cinquante-deux et quarante-huit suffrages. Caulaincourt était désigné en sa qualité de ministre des Relations extérieures ; on savait en outre que le czar lui témoignait de l'amitié. Quant au régicide Quinette, baron de l'Empire, il avait pour lui de s'être montré toujours plein de zèle et de servilité à l'égard du parti au pouvoir. Un homme de ce caractère convenait bien à Fouché qui, à la Chambre des pairs comme à la Chambre des députés, avait secrètement intrigué pour le choix des candidats[59].

Pendant que les députés et les pairs sacrifiaient si allégrement sur l'autel de la peur Napoléon et son fils, des bandes de populaire, des officiers sortant du café Montansier et du café Lemblin parcouraient les rues en criant : L'empereur ou la mort ![60] Toute cette journée, il y avait eu dans Paris beaucoup d'agitation. Dès le matin, des ouvriers portant des branches vertes, comme emblèmes de liberté, dévalaient en longues colonnes du faubourg du Temple, du faubourg Saint-Antoine, du faubourg Saint-Marcel. Parmi les artisans de tous les corps de métiers il y avait ces charbonniers et ces forts de la Halle au blé que Napoléon appelait en riant ses mousquetaires noirs et gris. Quelques-uns avaient revêtu leur habit bleu à collet jaune de tirailleur fédéré, uniforme qui évoquait dans l'esprit des gens bien pensants des visions de visites domiciliaires, de pillage et de massacre. Les quais, les grands boulevards, la rue Saint-Honoré, le Palais-Royal, la place Vendôme, les Champs-Élysées étaient sans cesse troublés par les cris et les chants de ces colonnes qui convergeaient toutes vers l'Élysée[61]. Sur les cinq heures, le bruit de l'abdication se répandit dans la foule. Cette nouvelle, faite pour réjouir les pacifiques, qui étaient nombreux, fut accueillie par la plèbe avec une sorte de fureur. Ou entendait dans les groupes : Non, non ! pas d'abdication ! c'est une trahison. Comment l'empereur s'est-il laissé renverser par les Chambres au lieu de les dissoudre ? Les ministres sont des traîtres. Nous n'aurons pas le roi de Rome, et il va falloir en passer par les vengeances des Bourbons. Vive l'empereur ! Il y eut des rixes, car tout individu qu'un mot équivoque ou même un sourire pouvait faire soupçonner de sentiments royalistes était insulté, maltraité. Sur plusieurs points, les patrouilles de la garde nationale durent intervenir. Place Vendôme, deux à trois cents personnes s'agenouillèrent devant la colonne en jurant de mourir pour Napoléon[62].

Le peuple ne pouvait se résigner à l'humiliation d'une défaite sans tentative de revanche. Il pensait que cette défaite était un grand malheur, mais qu'avec de l'énergie et du courage on sauverait la France comme en 93. Éclairé par un instinct supérieur qui souvent supplée chez lui au raisonnement, il croyait que seul Napoléon était capable de grouper et d'organiser les derniers éléments de résistance et de s'en servir pour la victoire ; il sentait que les Chambres, en s'imaginant arrêter par l'abdication la marche des Alliés, étaient dupes d'illusions imbéciles ; il prévoyait que cette abdication, qui décapitait la défense, aurait pour inévitables résultats l'occupation étrangère et le retour des Bourbons[63].

Dans la bourgeoisie, on croyait aussi à une nouvelle invasion bientôt suivie d'une seconde restauration. Mais, là, on acceptait généralement sans aucune révolte ces conséquences de l'abdication. Les bonapartistes étaient abattus, atterrés ; tout ressort semblait brisé en eux. Les royalistes attendaient leur roi. Tout en déplorant la victoire des Alliés, les libéraux se réjouissaient de la chute de Napoléon. Ils le regardaient comme le plus redoutable ennemi de la liberté ; avec Louis XVIII, elle serait moins en péril. Quant à la masse des gens sans opinion décidée qui jugent des événements par rapport à leurs intérêts, la conviction d'une paix prochaine et l'espoir d'une prompte reprise des affaires les consolaient de revoir à Paris les Prussiens et les Cosaques[64]. Le 21 juin, à la nouvelle terrible de la défaite, la rente avait monté de 2 francs ; le 22 juin, à l'annonce de l'abdication, elle monta de 4 francs 50[65]. Cette hausse injurieuse et cependant logique indigna les patriotes ; ils en accusèrent les royalistes bien qu'elle fût surtout l'œuvre des agioteurs. Croirais-tu, lit-on dans une lettre écrite ce soir-là, que les rentes ont augmenté de 5 francs ! On dit qu'elles vont toujours aller en hausse. C'est la canaille de royalistes qui achète parce qu'elle compte revoir son exécrable roi en croupe sur un Cosaque, comme le représente la caricature, et écrasant les cadavres des défenseurs de la patrie[66].

 

 

 



[1] Gourgaud, Campagne de 1815, 143-144. — On sait que cette relation fut dictée à Gourgaud par Napoléon pendant sa captivité à Sainte-Hélène.

[2] Pendant la nuit, a dit La Fayette lui-même, Bonaparte pouvait faire arrêter les membres influents de la Chambre, la dissoudre et prendre la dictature. Il manqua de résolution. Esquisse sur les Cent Jours, XXV-XXVI.

[3] Dépôt de la vieille garde, grenadiers, chasseurs et troupes à cheval : 2.283 hommes. Jeune garde, 4e, 5e et 7e tirailleurs, 5e, 7e et 8e voltigeurs et dépôts : 3.020 hommes. Situation des troupes de la garde présentes à Paris le 28 juin, signée d'Hériot. (Arch. Guerre. carton des situations.)

[4] 4e bataillons ou dépôts des 1er, 2e, 11e, 23e, 37e, 69e et 76e de ligne, et des 1er, 2e et 4e léger ; 650 lanciers et hussards du dépôt de Versailles. (Procès-verbal de la séance du conseil de défense, 13 juin, papiers du général Valée, comm. par M. le général de Salle. Davout à Grenier, 22 juin. Bourcier à Davout, 24 juin. Arch. Guerre.)

[5] 17.000 tirailleurs, choisis parmi les fédérés parisiens, étaient embataillonnée, mais 3.500 seulement étaient encore habillés et armés (Davout à Darricau, 10 juin, Arch. nat., AF. IV, 1940. Darricau à Davout, 29 juin. Arch. Guerre,)

[6] Il y avait 36.000 gardes nationaux inscrits sur les contrôles, mais seuls les grenadiers et chasseurs, ensemble 20.245 hommes étaient habillés et armés. (Situation de la garde nationale de Paris au 1er juin. Arch. Nat., F. 9, 760.) C'était tout de même une force imposante. Mais il ne sembla pas probable que la garde nationale aurait résisté à la troupe appuyée par les fédérés et la population ouvrière.

[7] Gourgaud, Campagne de 1815, 146, 147.

[8] Lavallette, II, 193-194. Rovigo, VIII, 149.

[9] Fleury de Chaboulon, II, 213-214. Cf. Rapport de Grenier à la Chambre, le 22 juin. (Moniteur, 23 juin.)

[10] Rapport de Vatry à Davout, 22 juin (Arch. Guerre). Discours de Davout à la Chambre, 22 juin (Moniteur, 23 juin). Rovigo, VIII, 119. Cf. Note de Vatry (citée dans les Mém. du maréchal de Grouchy, IV, 98-114).

Cette note du baron de Vatry, rédigée plus de trente ans après les événements (il y est question de la mort du général Bréa, en juin 1848) fourmille d'inexactitudes tant en ce qui regarde le récit de la campagne que la relation de sa mission à Paris. Vatry arriva à Paris non le 21 juin, comme il le prétend, mais le 22, Connue l'a dit Davout à la Chambre ce jour-là mérite et comme le rapporte Rovigo (Mém., VIII, 149). Par conséquent, il ne put assister le matin du 21 juin à la lecture, à l'Elysée, du bulletin de l'armée. Tout ce qu'il en raconte, comme prétendu témoin oculaire et auriculaire, doit être tenu pour nul.

[11] Soult à Napoléon, Rocroi, 20 juin et Laon, 21 juin ; à Davout, Laon, 21 juin. Dejean à Davout, Guise, 21 juin. Grouchy à Napoléon, Givet, 21 juin (Arch. Guerre.)

[12] Discours de Davout à la Chambre, 22 juin (Moniteur, 25 juin.) Cf. Rovigo, VIII, 119, et Fleury de Chaboulon, II, 218.

Je reproduis les paroles mêmes de Davout, tout en faisant remarquer que des rapports précités (ceux de Soult notamment étaient des plus décourageants) il ne résultait nullement qu'il y eût à la frontière une armée de 60.000 hommes.

[13] Moniteur, 23 juin.

[14] Moniteur, 23 juin. Les deux Chambres de Buonaparte, 144-146, Villemain, Souv., II, 209.

[15] Lettre du général Solignac, membre de la Chambre des représentants (Journal des Débats, 3 août 1815). Thibaudeau, X, 403-404. Cf. Esquisse historique sur les Cent Jours, XXVI.

[16] Solignac était plus tard tombé en disgrâce. Sur les motifs réels ou supposés de ses diverses disgrâces, voir Thiébault, Mém., IV, 19, 200.

[17] Moniteur, 23 juin.

[18] Moniteur, 23 juin. Les deux Chambres de Buonaparte, 146-147. — Il y eut deux suspensions de séance ; la première, de midi à midi et demi ; la seconde, de une heure à deux heures.

[19] Relation citée dans Lucien Bonaparte et sa famille, 104.

[20] Moniteur, 23 juin. Les deux Chambres de Buonaparte, 147-148.

[21] Thibaudeau (X, 405) nomme Durbach et Flaugergues. Ou a cité aussi d'autres noms (Pasquier, III, 241) ; et, à en croire Solignac, il serait venu seul à l'Elysée.

[22] Lettre de Solignac. (Journal des Débats, 3 août 1815.) Lavallette, II, 191. Rovigo, VIII, 151-152. F. de Chaboulon, II, 216. Villemain, II, 301-302. Thibaudeau, X, 405. Pasquier, III, 211. — La lettre de Solignac, qui a un caractère apologétique, contient plusieurs détails inexacts.

[23] Thibaudeau, X, 403. Fleury de Chaboulon, II, 214-215. Cf. Villemain, II, 302.

[24] F. de Chaboulon, II, 216. Thibaudeau, X, 405. Pasquier, III, 241. Boulay, 295. — Sur le découragement de Caulaincourt, cf. Rovigo, VIII, 149. F. de Chaboulon, II, 201.

[25] Montholon, I, 6-7. Note de Bassano citée par Ernouf, Maret, duc de Bassano, 669. — Dans cette note, Bassano dit que les ministres étaient consternés. Il parle pour lui et deux ou trois de ses collègues ; mais les autres ne pouvaient être si consternés de voir l'empereur réduit enfin à prendre un parti que depuis la veille ils considéraient comme inévitable. Bassano assure encore que Napoléon avait déjà la ternie résolution d'abdiquer. Cela est vraisemblable. Mais Bassano semble dire que cette résolution était contraire au vira de la majorité des ministres. C'est parler contre tous les témoignages, c'est nier l'évidence.

Carnot, à en croire Montholon (I, 7), supplia l'empereur de ne point livrer la France, en abdiquant, à toutes les vengeances de l'émigration et déclara qu'on ne pouvait espérer de salut qu'à l'aide d'une tentative forte et terrible au besoin. Mais écoutons H. Carnot qui avait vécu sept ans avec son père en exil et qui rédigea les Mémoires sur Carnot d'après nombre de notes que, pour la période des Cent Jours, il m'a été donné de consulter : S'il eût été possible de déterminer les représentants du peuple à centraliser temporairement le pouvoir entre les mains de Napoléon, oui Carnot aurait approuvé une telle délégation. Mais on sait combien ils en étaient éloignés. Il s'agissait donc d'une usurpation, d'une violence à exercer contre l'Assemblée. Ce seul fait eût détruit tout ce que l'opinion accordait encore de confiance à Napoléon et l'eût frappé d'impuissance. (Mém. sur Carnot, II, 110.) L'attitude inerte et les paroles sans fermeté de Carnot le 21 juin à la Chambre des pairs et à la Chambre des députes concordent bien plus avec l'assertion de H. Carnot qu'avec celle de Montholon. On doit se rappeler aussi que dans des circonstances presque analogues, au 18 fructidor, Carnot ne voulait employer contre le pouvoir législatif que des moyens constitutionnels, dissidence avec ses collègues qui fut cause de sa proscription.

Si donc Carnot parla le 22 juin à l'Elysée contre l'abdication, ce fut dans les termes que rapporte H. Carnot (II, 513) : Il adjura l'empereur de ne pas donner l'exemple du découragement et le signal du sauve-qui-peut, de reprendre son commandement militaire, de déclarer la patrie en danger et d'appeler la nation entière à sa défense.

Mais c'étaient là des mots ; ce n'était pas un conseil. Quel pouvoir avait Napoléon, dont ou allait prononcer la déchéance s'il n'abdiquait pas, pour déclarer la patrie en danger et appeler la nation aux armes ? En quelle qualité ce souverain détrôné eût-il repris le commandement de l'armée ? Et comment la Chambre l'aurait-elle souffert, elle qui voulait précisément sacrifier Napoléon parce qu'elle le regardait connue ou invincible obstacle à toute négociation de paix ? Lucien avait posé le dilemme : dissolution de la Chambre titi abdication de l'empereur. Puisque Carnot se faisait scrupule de dissoudre la Chambre, il devait se résoudre à la nécessité de l'abdication.

[26] Note citée dans Lucien Bonaparte et sa famille, 103-106. (Je tiens de l'auteur de ce livre, le prince Roland Bonaparte, que cette note est de Lucien lui-même.)

Fleury de Chaboulon et Thibaudeau disent qu'au dernier moment Lucien, jusque-là si partisan de la résistance, se rendit à la nécessité de rebellent ion. Mais Boulay assure que ce prince persista à conseiller la dissolution de la Chambre. La note très détaillée et très précise de Lucien me parait tout à fait digne de foi. Les conseils qu'il dit avoir donnés sont bien conformes à sa nature. La conduite de Lucien les 21 et 22 juin, ses conseils à son frère, ses discours à la Chambre des députés, au Luxembourg, aux Tuileries témoignent un dévouement sincère et ardent pour Napoléon. Sans doute, au mois de mai et au commencement de juin, Lucien avait conseillé plusieurs fois à l'empereur d'abdiquer en faveur du Prince Impérial (Notes de Lucien, Arch. Aff. étrangères, 1815). Mais alors l'empereur était en pleine puissance et pouvait donner une sanction à son abdication. Après Waterloo, Lucien sentait bien que pour imposer à l'étranger et soulever la France, il fallait l'empereur lui-même et non un enfant en exil et un conseil de régence.

[27] Benjamin Constant écrivait le 21 juin, dans la soirée, après avoir longuement causé avec l'empereur : Napoléon abdiquera demain. (Journal, 156).

[28] Note précitée de Lucien. F. de Chaboulon, II, 216. Thibaudeau, X, 40. Mém. de Fouché, II, 340.

[29] Note précitée de Lucien. Mémoires manuscrits de Marchand. F. de Chaboulon, II, 216-217. Thibaudeau, X, 405. Villemain, II, 303.

[30] Lucien Bonaparte, La Vérité sur les Cent Jours, 108-109. Boulay, Boulay de la Meurthe, 296-297. Cf. Note de Bassano (citée par Ernouf, Maret, duc de Bassano, 662), et Gaudin, duc de Gaëte (Supplément aux Mémoires, 171) qui rapporte qu'il eut plusieurs lectures de l'acte d'abdication et que chaque rédaction subit des modifications.

[31] Lucien Bonaparte, La vérité sur les Cent Jours, 109.

[32] F. de Chaboulon, II, 117. — L'émotion était profonde chez tous les témoins de cette scène. Carnot ne put retenir une larme. (H. Carnot, Mém. sur Carnot, II, 514.)

[33] Lucien Bonaparte, La vérité sur les Cent Jours, 110, note. F. de Chaboulon, 218.

[34] Moniteur, 23 juin. Les deux Chambres de Buonaparte, 148-149. Choix de rapports et discours prononcés à la tribune, XXI, 252-253. Villemain, Souv., II, 319. D'après le Moniteur, Carnot était venu avec Fouché à la Chambre des députés. C'est inexact, à ce moment là (deux heures), Carnot, selon le même Moniteur, lisait l'acte d'abdication à la tribune de la Chambre des pairs.

[35] Moniteur, 23 juin. Les deux Chambres de Buonaparte, 149-151. Rapports et Discours, XXI, 253-255. Villemain, II, 349, 355.

[36] Moniteur, 23 juin. Les deux Chambres de Buonaparte, 149-154. Rapports et Discours à la Tribune, XXI, 253-258.

[37] Esquisse historique sur les Cent Jours, 51. Fleury de Chaboulon, II, 219-220. Thibaudeau, X, 107. La Fayette, Mém., V, 456.

[38] Il est tout à fait curieux de comparer avec les paroles de l'empereur la traduction qu'en donna Lanjuinais (Moniteur du 21 juin) : S. M. a répondu en témoignant le plus touchant intérêt pour la nation française, le plus vif désir de lui voir assurer sa liberté, son indépendance et son bonheur.

[39] Moniteur, 23 juin. Rapports et Discours à la Tribune, XXI, 261.

[40] Parquier, Mém., III, 253-235. Esquisse sur les Cent Jours, 53-57. Thibaudeau. X, 411-412. Cf. Mém. de Fouché, II, 349, et Barante (Souvenirs, II, 159) qui dit, comme Pasquier, que Fouché ne voulait pas de Carnot et désirait Macdonald. Barante ajoute que Fouché ne s'occupa pas du scrutin. En effet, il avait quitté la Chambre quand on vota, mais auparavant il s'était bel et bien occupé de préparer les élections.

[41] Général de division de 1794, Grenier prit part aux diverses campagnes sous Jourdan, Hoche et Championnet. Il fit la campagne du Rhin dans l'armée de Moreau et la campagne de 1809 dans le corps du prince Eugène. Employé ensuite dans le royaume de Naples, il rejoignit en 1812 la Grande Armée en Russie et revint en Italie où il combattit les Autrichiens en 1813-1811.

[42] Moniteur, 23 juin. Rapports et Discours, XXI, 262-293. Cf. sur les intrigues de l'élection, Pasquier, III, 253-255 ; Esquisse sur les Cent Jours, 55-57 ; Thibaudeau, X, 411-412.

[43] Moniteur, 23 juin. Rapports et Discours, XXI, 344-347. Villemain, II, 308-312.

[44] On s'était généralement aperçu que le maréchal Ney avait cédé à quelque vertige, néanmoins il laissait les esprits frappés. Rapports et Discours, XXI, 317, note. — Il y eut d'abord un assez long silence de stupéfaction douloureuse ; on était troublé des faits eux-mêmes, de la vois qui les dénonçait, de découragement du brave des braves... La Chambre resta sous l'impression profonde du discours de Ney. Villemain, II, 313.

[45] Les paroles de Ney, bien que réfutées le lendemain par Drouot à la tribune de la Chambre des pairs, produisirent une funeste impression sur l'opinion. Cette incroyable déclaration a fait partout plus de mal que la perte d'une bataille. Elle fait déserter tous les jeunes gens et paralyse le bon esprit de la garde nationale. (Général Lauberdière à Davout, Rouen, 26 et 27 juin. Arch. Guerre.) — Le maréchal Ney est venu nous ravir jusqu'à l'espérance, Il est jugé, couvert du mépris public, et sou nom ira grossir la liste des traitres. Lettre à La Haye de Cormenin, Paris, 26 juin (Arch. Guerre). — Ce discours désespérant fit universellement accuser Ney de trahir une troisième fois. (Note de Caulaincourt, Sismondi, Notes sur les Cent Jours, 6.) — Le peuple l'accusa de trahison. Tout le monde le blâma d'avoir sonné l'alarme et répandu le découragement. (Thibaudeau, X, 416). — Après avoir combattu pendant vingt-cinq ans pour ma patrie, c'est moi que l'on ose accuser de trahison (Lettre de Ney au duc d'Otrante, 26 juin. Journal des Débats, 27 juin.)

Ney le 22 juin avait-il complètement perdu la tête comme il le parut à plusieurs membres de la Chambre des pairs ? (Mém. de Pontécoulant, III, 408, note 1.) Il le faut espérer. Il me faudrait des témoignages positifs pour me faire admettre, comme on l'a dit, que Ney prononça ce fatal discours à l'instigation de Fouché. Il semble bien que Ney avait vu Fouché la veille ou le matin, afin de lui demander des passeports qui lui furent délivrés (Welschinger, Le maréchal Ney, 72). Mais cette visite ne prouve nullement que le maréchal se fit l'instrument criminel du duc d'Otrante ; elle prouve seulement qu'il n'avait plus aucune foi dans la résistance puisque il s'y prenait si tôt pour se munir de passeports.

[46] Moniteur, 23 juin.

[47] Moniteur, 23 juin. Les deux Chambres de Buonaparte, 138-139. Rapports et Discours, XXI, 317. Villemain, II, 315-321. — On avait suspendu la séance à trois heures afin d'attendre la résolution de la Chambre des députés.

[48] Thibaudeau, X, 407. — En qualité de secrétaire élu de la Chambre des pairs, Thibaudeau fit partie de la députation.

[49] Moniteur, 22 juin. Rapports et Discours, XXI, 319. Villemain, II, 332-333.

[50] Cf. La Fayette à Mme d'Hénin, 29 juin (Mém., V, 524), et La Fayette, Mém., V, 457-458. Pontécoulant, Souv., III, 420-421. Lamarque, Souv., I, 135-136.

[51] Moniteur, 23 juin. Rapports et discours, XXI, 349-350. Villemain, II, 333-335. Mém. secrets sur la vie de Lucien Bonaparte, 361-386. Pontécoulant, Souvenirs, III, 402-403.

[52] En 1810, par ordre écrit de l'empereur, Lucien avait été officiellement rayé de la liste des sénateurs, mais cette radiation, motivée, il est vrai, par un séjour de plusieurs années, sans autorisation, en pays étranger, entrainait-elle implicitement, en vertu de l'article 17 du Code civil, la perte de la qualité de Français ? C'est très discutable. Quoi en soit, si l'empereur, en 1810, avait voulu ou cru priver Lucien de cette qualité de Français, il la lui avait rendue en 1815, en lei reconnaissant les menues droits et honneurs qu'aux princes Joseph, Louis et Jérôme ; en le faisant désigner dans le Moniteur sous le titre de : S. A. I. le prince Lucien : en le nommant membre de la Chambre des pairs et membre du Conseil de l'Empire. De plus, Lucien avait été élu député de l'Isère, et la commission pour la vérification des pouvoirs n'avait soulevé contre cette élection d'autre objection que l'entrée de droit de prince à la Chambre des pairs.

Dans la séance du 16 juin à la Chambre des pairs, Pontécoulant, appuyant une motion de Lucien, n'avait nullement pensé à contester au prince la qualité de Français. Il s'en avisa seulement quand l'empereur eut abdiqué.

[53] Moniteur, 23 juin. Rapports et Discours, XXI, 351-352. Villemain, II, 336-337.

[54] Pontécoulant lui-même a reconnu que les paroles de Boissy d'Anglas étaient imprudentes. (Souvenirs, III, 406.) Villemain (II, 337) les approuve pleinement. Mais si l'on se rappelle les flagorneries que Villemain prodigua au czar le 31 avril 1814 dans la séance publique de l'Académie française où ou lui donna exceptionnellement la parole comme lauréat du prix d'éloquence, on peut bien déclarer que cet écrivain, de grand mérite d'ailleurs, disait volontiers des étrangers : nos bons amis nos ennemis.

[55] Moniteur, 23 juin. Rapports et Discours, XXI, 332, 337-338.

[56] Moniteur, 23 juin. Les deux Chambres de Buonaparte, 341-342. Rapports et Discours, XXI, 352-353. Villemain, II, 338-340.

[57] Moniteur, 23 juin. Rapports et Discours, XXI, 353-368. Villemain, II, 340-343.

[58] Moniteur, 23 juin.

[59] Pasquier, III, 255. — Sismondi (Notes sur les Cent Jours, 23) dit que Fouché, Carnot, Quinette et Caulaincourt furent élus, les uns par les représentants et les autres par les pairs, parce qu'on voulait des hommes irréconciliables avec les Bourbons. (Fouché, Carnot et Quinette avaient voté la mort de Louis XVI et Caulaincourt était compromis dans l'arrestation du duc d'Enghien.) Cette assertion d'un homme foncièrement hostile aux Bourbons parait fort hasardée. D'abord pourquoi élut-on Grenier qui n'était ni plus ni moins anti-bourbonien — plutôt moins — que vingt autres généraux faisant partie de la Chambre ? Ensuite, les deux Chambres, si elles étaient très opposées à Louis XVIII, voulaient la paix à tout prix, et pour cela elles voulaient ne s'enlever aucun moyen de traiter avec l'ennemi (Boissy d'Anglas le dit explicitement à la Chambre des pairs, et sauf par La Bédoyère, il ne fut contredit par personne). Or eût-ce été un bon moyen de rester entièrement libre que d'élire au gouvernement provisoire des hommes notoirement irréconciliables avec les Bourbons ? les raisons pourquoi furent élus Carnot, Fouché et Caulaincourt s'expliquent par la situation qu'ils occupaient et la confiance qu'on avait en leurs talents ; mais on les choisit quoique régicides et non parce que régicides.

[60] Rapport de Réal, 23 juin (Arch. Nat., F. 7, 32004). — Les mêmes cris s'étaient succédé toute la nuit, du 21 au 22 (Rapport de police militaire, 22 juin. Arch. Guerre.)

[61] Rapport de police militaire, 22 juin (Arch. Guerre). Bulletin de Paris, 272-273. Esquisse sur les Cent Jours, p. XXVI. Miss Helena Williams, Tableau des événements, 171-201. Cf. Cahiers d'un Rhétoricien de 1815, 135-136. — Sur les craintes inspirées à la bourgeoisie par les fédérés, voir Lenormand, Réflexions sur le gouvernement, 36. Salvandy, Mém. à l'Empereur, 14-15. Observations sur le Champ de mai, 11. Comte, Hist. de la garde nationale, 467-468. Helena Williams, 200-201, qui parle d'un 2 septembre projeté contre les royalistes.

[62] Rapport de Réal à Fouché, 23 juin (Arch. Nat., F. 7, 3200). Rapport de police militaire, 22 juin (Arch. Guerre). Mémoires manuscrits de Marchand. Bulletin de Paris, 268, 272-273. La Bretonnière, Souv. du Quartier latin, 271, 275.

[63] Lettre interceptée, 22 juin. (Arch. Guerre, Armée du Nord). La Bretonnière, Souv. du Quartier latin, 271-275. Cf. Rovigo, Mém., VIII, 167.

[64] Lettre écrite de Paris, s. d. (22 juin) (Arch. Guerre, à la date du 21 juin). Lettre de la veuve du général Walther, 22 juin (citée par Coulmann, Réminiscences, I, 86). Lavallette, II, 195. Regnault-Warin, Cinq mois de l'histoire de France, 416, 432, 435, Pasquier, Mém., III, 253, 277. Barante, Souvenirs, II, 151-155, 158-159. Miot de Mélito, Mém., III, 139. Ch. de Rémusat, Corresp., I, 73-74.

[65] Rente française : le 20 juin : 53 fr. 25. — le 21 juin : 55 fr. — le 22 juin : 59 fr. 25.

[66] Lettre interceptée, 22 juin (Arch. Guerre. Armée du Nord).