1815

LIVRE III. — WATERLOO

 

CHAPITRE VI. — LA DÉROUTE.

 

 

I

Vers neuf heures et quart[1], alors que les divisions Hiller, Ryssel et Tippelskirch arrachaient Plancenoit à la jeune garde et que les carrés du 1er grenadiers tenaient encore près de la maison Decoster, Blücher et Wellington se rencontrèrent devant la Belle-Alliance. Blücher suivait celles des troupes de Bülow qui avaient refoulé Lobau, Wellington arrivait de la Haye-Sainte avec les derniers échelons de son armée. Les deux généraux s'abordèrent et, selon l'expression de Gneisenau, ils se saluèrent mutuellement vainqueurs. Des musiques de cavalerie prussienne jouaient en passant le God save the King ; au loin le bruit de la fusillade décroissait. Les fantassins de Bülow, qui s'étaient arrêtés pour reformer leurs rangs, entonnèrent l'hymne de Luther : Seigneur Dieu, nous te louons ! Seigneur Dieu, nous te remercions ![2]

Blücher, frappé que sa rencontre avec Wellington eût lieu précisément devant la Belle-Alliance, pensa à donner ce nom à la bataille où l'alliance des Anglais et des Prussiens avait produit un si grand résultat. Mais Wellington voulait que la victoire — sa victoire — portât le nom du village qui avait eu l'honneur, la nuit précédente, de lui servir de quartier-général[3].

On décida que malgré la nuit il fallait poursuivre à outrance les débris de l'armée impériale. Les Anglais étaient exténués par dix heures de combat, fatigués à en mourir, dit Wellington[4]. Les Prussiens avaient fait cinq lieues en moyenne par les pires chemins, et ils avaient lutté entre Frischermont et Plancenoit avec non moins d'acharnement qu'à Mont-Saint-Jean les soldats de Wellington. Néanmoins Blücher proposa de charger ses troupes de la poursuite. L'offre acceptée sans vergogne, il réunit les chefs de corps et leur ordonna de poursuivre l'ennemi tant qu'ils auraient un homme et un cheval en état de se tenir debout. Gneisenau lui-même se mit à la tête des escadrons du comte Röder. Tout suivit. Vers Rossomme, on rejoignit une partie des divisions prussiennes, qui débouchaient de Plancenoit, et les colonnes les plus avancées de la cavalerie et de l'infanterie anglaises[5].

L'armée de Wellington s'arrêta. Les soldats saluèrent d'un triple Hip ! hip ! hurrah ! les Prussiens qui les dépassaient et ils s'établirent au bivouac, en plein charnier[6]. Du plateau de Mont-Saint-Jean aux hauteurs de Rossomme, d'Hougoumont à Plancenoit et jusque vers Smohain, tout le sol était couvert de cadavres et de chevaux tués. Plus de 25.000 Français et de 20.000 Anglais, Belges, Allemands, Prussiens[7], gisaient à terre, ici épars comme des arbres abattus, là en lignes épaisses comme de longues rangées d'épis fauchés. La lune, qui s'était levée, éclairait distinctement leurs faces livides ou ensanglantées, leurs uniformes souillés de boue, maculés de taches rouges ; les armes tombées de leurs mains scintillaient. Parfois, de grands nuages sombres, courant dans le ciel, cachaient cette vision dont les moins sensibles des plus vieux soldats détournaient les yeux. Mais elle réapparaissait bientôt sous la lumière glaciale de la lime. Au milieu des râles des mourants, des gémissements des blessés, on entendait, à de courts intervalles, un cri rauque comme étranglé par l'horreur et l'épouvante. C'était quelque officier qu'un pilleur de morts achevait à coups de crosse pour lui voler sa bourse ou sa croix d'honneur[8].

Les Prussiens menèrent vivement la poursuite. Ceux des fuyards de l'aile droite — corps de Lobau et d'Erlon, jeune garde, cavaliers de Domon, de Subervie, de Jacquinot — qui, serrés de trop près ou coupés de leur ligne de retraite, n'avaient pu rejoindre et dépasser les carrés du 1er grenadiers formant l'arrière-garde, furent sabrés ou faits prisonniers. A l'aile gauche, un certain nombre de cuirassiers, que leurs chevaux étaient encore en état de porter, et les lanciers de Piré, qui n'avaient fait qu'escarmoucher durant la bataille, gagnèrent les Quatre-Bras, sans être inquiétés, par Neuve-Court, Malplaquet et Vieux-Genappe. Ils passèrent la Sambre à Marchienne. Cinq ou six mille fantassins du corps de Reille, ralliés à la chute du jour, se dirigeaient sur Genappe à travers champs, à une demi-lieue environ parallèlement à la grande route. Il suffit de quelques escadrons prussiens pour les disperser. Sauf trois compagnies du 93e qui firent face en tête et repoussèrent les charges, toute cette masse s'éparpilla. Des soldats jetaient sacs et fusils pour courir plus vite, justifiant trop bien le vieux dicton : Français plus que hommes au venir, moins que femmes à la retraite. On n'écoutait plus les chefs, la panique commandait l'armée[9].

Seule la vieille garde restait digne d'elle. Les chasseurs et les lanciers de Lefebvre-Desnoëttes, le régiment des grenadiers à cheval, qui avait quitté le champ de bataille au pas et faisant si fière contenance que la cavalerie anglaise n'avait pas osé l'aborder, se retirèrent en ordre à l'ouest de la grande route et atteignirent les Quatre-Bras sans subir de nouvelles pertes[10]. Sur la grande route même, les Prussiens étaient contenus par les deux carrés du 1er grenadiers que précédait le 1er bataillon du 1er chasseurs. Les grenadiers continuaient à marcher au pas ordinaire, défiant toutes les attaques. Ne pouvant mordre, la meute prussienne finit par se lasser et se borna à suivre hors de la portée des fusils. A une demi-lieue de Genappe, le général Petit, ne jugeant même plus nécessaire de conserver l'ordre de combat, fit rompre les carrés et marcher en colonne par section. C'est à ce moment que l'empereur s'éloigna du ter bataillon de chasseurs pour gagner Genappe où il espérait arrêter l'ennemi et rallier les débris de l'armée[11].

 

II

Genappe n'était qu'une longue rue, montante et sinueuse, qui aboutissait à un pont sur la Dyle. Il eût été possible de tenir plusieurs heures ce défilé, bien qu'il fût dominé au nord par des hauteurs où se seraient établies des batteries prussiennes. Mais il y avait dans ce village tant d'encombrement et de confusion que l'on ne pouvait songer à organiser une défense méthodique, surtout avec des soldats qui ne cessaient de crier Nous sommes trahis ! sauvons-nous ! Des voitures renversées, des fourgons, des prolonges, des pièces, des caissons abandonnés par les conducteurs auxiliaires, obstruaient sur une assez longue étendue les abords du pont, qui avait, en 1815, tout au plus 2m,50 de largeur[12]. Les fuyards s'engouffrant en masse dans la rue, d'où ils ne pouvaient sortir que trois ou quatre de front, il se produisit une atroce bousculade. Rendus fous par l'épouvante, des hommes cherchaient à se frayer passage en frappant devant eux. Le général de gendarmerie Radet, grand-prévôt de l'armée, fut bourré de coups de crosse. Des cavaliers sabraient, des fantassins ripostaient à coups de baïonnette, parfois même faisaient feu. On s'entre-tuait sans marcher plus vite, les vivants s'empêtrant dans les morts[13]. La queue de la colonne s'amassa à l'entrée de Genappe. Les Prussiens approchaient. Les trois bataillons de la vieille garde, menacés d'être écrasés entre les masses ennemies et la foule des fuyards, qui n'avançait plus, se rompirent et gagnèrent Charleroi en tournant le village à l'est. Les Prussiens ne les poursuivirent pas, mais ils s'acharnèrent sur les troupeaux d'hommes immobilisés devant Genappe. Il fallut que ces malheureux fussent littéralement sous les lances des uhlans pour penser à s'échapper par la droite et la gauche du village et à passer la Dyle à gué. Cette petite rivière, qui n'a pas à cet endroit trois mètres de large et dont la profondeur n'atteint pas un mètre, n'est un obstacle que pour les voitures, à cause de l'escarpement des berges[14].

Genappe était toujours rempli de Français. Une poignée d'hommes, qui seuls, dans cette panique, avaient conservé leur résolution et leur courage, tentèrent d'arrêter l'ennemi. Ils élevèrent rapidement avec des chariots renversés une barricade d'où ils ouvrirent le feu. Quelques boulets eurent trop tôt raison de ce faible ouvrage et de ses défenseurs. Les cavaliers de Röder dévalèrent la rue en pente, écrasant la multitude inerte des fugitifs, frappant du sabre et de la lance sans plus de risque que bouchers à l'abattoir. L'empereur, qui avait mis, dit-on, plus d'une heure à se frayer passage en suivant cette longue rue, était encore en-deçà du pont. Il venait de monter dans sa berline de campagne retrouvée par hasard au milieu des équipages abandonnés. On n'avait pas encore achevé de la ratteler. Entendant les hurrahs il la quitta précipitamment, reprit son cheval et parvint à s'échapper avec quelques cavaliers. Les Prussiens dévalisèrent la berline qui contenait un nécessaire, une épée, un lit de fer et un uniforme de rechange dans la doublure duquel étaient cousus des diamants non montés, valant un million[15].

Blücher avait poussé jusqu'à Genappe avec le corps de Bülow. Il s'arrêta pour coucher à l'auberge du Roi-d'Espagne. Presque aussi tôt on y amena sur une civière d'ambulance le général Duhesme. A la dernière heure de la bataille, Duhesme était tombé grièvement blessé entre Plancenoit et Rossomme ; quelques soldats dévoués l'avaient relevé et porté jusque près de Genappe où il avait été fait prisonnier par les Prussiens. Le feld-maréchal vint le visiter et le recommanda au chirurgien de son état-major. Mais la blessure était mortelle, Duhesme mourut la nuit suivante[16]. Bien que brisé de fatigue, Blücher ne voulut point se mettre au lit avant d'écrire à sa femme : J'ai tenu ce que j'avais promis, écrivit-il. Le 16, j'ai été contraint de reculer devant la force ; mais, le 18, d'accord avec mon ami Wellington, j'ai exterminé l'armée de Napoléon[17]. Il envoya aussi cette lettre à son vieux camarade Knesebeck : Mon ami, la plus belle bataille est donnée, la plus brillante victoire est remportée. Les détails suivront. Je pense que l'histoire de Bonaparte est terminée. Je ne puis plus écrire, car je tremble de tous mes membres. L'effort était trop grand ![18]

 

III

Au-delà de Genappe, la poursuite s'accéléra. Aucune troupe en ordre ne formant plus arrière-garde, les Prussiens sabraient impunément dans la foule éperdue. C'était une vraie chasse, dit Gneisenau, une chasse au clair de lune. La grande route, les chemins vicinaux, les traverses, les champs aussi loin que portait la vue, étaient couverts de soldats de toute arme, cuirassiers démontés, lanciers sur des chevaux fourbus, fantassins ayant jeté fusils et havresacs, blessés perdant leur sang, amputés échappés des ambulances dix minutes après l'opération. Sans nulle autorité sur ces hommes, et d'ailleurs non moins démoralisés et ne pensant comme eux qu'à leur propre salut, des capitaines, des colonels, des généraux marchaient confondus dans la masse des fugitifs[19]. Durutte à cheval, mais aveuglé par le sang qui coulait de son front ouvert, avait pour guide un maréchal des logis de cuirassiers. Un caporal de la vieille garde soutint Ney par le bras jusqu'au moment où le major Schmidt, des lanciers rouges, descendit de son cheval pour le donner au maréchal. Le chirurgien en chef Larrey, blessé de deux coups de sabre, fut frappé derechef par des uhlans, volé, dépouillé et conduit presque nu, les mains liées, à un général qui donna l'ordre de le fusiller. Déjà il était mis en joue, quand un chirurgien prussien le reconnut, se jeta devant lui et le sauva[20].

Chacun marchait, courait, se traînait comme il pouvait, allait où il voulait, personne ne pensant à donner des ordres qui n'auraient été obéis par personne. Et quand se rapprochaient le son des trompettes prussiennes, le galop des chevaux, les clameurs sauvages des poursuivants, de cette foule épouvantée partaient les cris : Les voilà ! Les voilà !... Sauve qui peut ! Et, sous le fouet de la peur, cavaliers et fantassins, officiers et soldats, valides et blessés retrouvaient des forces pour courir. Des bandes de fuyards, qui tombant de fatigue s'arrêtaient dans les boqueteaux, les plis de terrains, les fermes, les hameaux, y étaient vite relancés par la cavalerie. Les Prussiens firent tour à tour lever neuf bivouacs. Des blessés se tuèrent pour ne pas tomber vivants entre les mains de l'ennemi. Un officier de cuirassiers, se voyant cerné par des uhlans, s'écria : — Ils n'auront ni mon cheval, ni moi. Et froidement il abattit son cheval d'une balle dans l'oreille et se brûla la cervelle avec son second pistolet[21].

Presque toute l'infanterie de Bülow s'étant arrêtée à Genappe et les corps de Zieten et de Pirch n'ayant point dépassé le Caillou[22], Gneisenau n'avait plus avec lui que les dragons et les uhlans du général de Röder, un bataillon du ter poméranien et un bataillon du 15e régiment[23]. Chose en vérité incroyable, c'était devant quatre mille Prussiens que fuyaient trente à quarante mille Français 1 Si quelques centaines de soldats, dominant leur terreur et redevenus maîtres d'eux-mêmes, s'étaient reformés pour faire tête, leur résistance eût mis fin à cette lamentable poursuite. Les cavaliers prussiens, qui sabraient surtout les fuyards éperdus, se laissaient, il semble, aisément imposer, puisque, pour défendre les drapeaux, il suffit d'une poignée d'hommes résolus marchant groupés autour de l'aigle de chaque régiment. L'ennemi ramassa sur le champ de bataille et sur la chaussée plus de deux cents canons abandonnés[24] et un millier de voitures ; pendant la déroute, il ne prit pas un drapeau[25].

Si endurci, si insensible que le soldat, par habitude et grâce d'état, soit aux spectacles de la mort, les fugitifs en passant aux Quatre-Bras furent saisis d'horreur. Les hommes tués dans le combat du 16 juin n'avaient pas été enterrés. Trois à quatre mille cadavres, complètement nus, les paysans belges leur ayant enlevé même la chemise, couvraient tout le terrain entre la route et le bois de Bossu. C'était l'aspect d'une immense morgue. Tour à tour éclairés par la lune et noyés d'ombre par le voile des nuages, les morts, dans ces rapides mouvements de lumière, semblaient remuer leurs corps roidis et contracter leurs faces d'une pâleur de cendre. Nous croyions, dit un grenadier de la garde, voir des spectres qui nous demandaient la sépulture. Plus bas, des soldats étanchèrent leur soif au ruisseau de Gémioncourt qui, rendu torrent par l'orage de l'avant-veille, Charriait des cadavres[26].

De moins en moins nombreux, de plus en plus las, mais toujours aussi ardents, les Prussiens continuaient la poursuite. Gneisenau avait égrené en route la moitié de son monde. Seuls marchaient avec lui quelques escadrons et un petit détachement du 15e d'infanterie, dont l'unique tambour battait la charge, hissé sur un cheval pris à l'une des voitures impériales[27]. On dépassa Frasnes. Gneisenau jugea que la fatigue des hommes et des chevaux ne permettait pas de mener plus loin la chasse. Il donna l'ordre de faire halte devant une auberge qui, suprême ironie, portait pour enseigne : A l'Empereur[28].

 

IV

De Genappe, Napoléon avait gagné à cheval les Quatre-Bras, avec Soult, Drouot, Bertrand, quelques officiers et une dizaine de lanciers rouges et de chasseurs de la garde. Il y arriva vers une heure du matin[29]. Il croyait trouver là la division Girard, laissée, le 17 juin, à Fleurus, pour protéger le passage des convois et à qui, dans la soirée du 18, avait été dépêché l'ordre de se porter aux Quatre-Bras et d'y prendre position[30]. Ces instructions n'avaient pas été exécutées. Le colonel Matis, qui commandait par intérim les débris de cette division, reçut bien l'ordre de Soult ; mais, soit qu'il jugeât, vu l'heure trop tardive, ne pouvoir opérer en temps utile le mouvement prescrit, soit pour toute autre cause, il leva ses bivouacs nuitamment et s'en alla passer la Sambre à Charleroi[31].

Pendant ce temps, l'empereur attendait ces troupes aux Quatre-Bras. Il mit pied à terre dans une clairière du bois de Bossu, près d'un feu de bivouac qu'attisaient quelques grenadiers de la garde. Un officier blessé, qui fuyait le long de la route, reconnut l'empereur à la lueur du foyer. Il se tenait debout, les bras croisés sur la poitrine, immobile comme une statue, les yeux fixes, tournés vers Waterloo[32].

On n'avait aucune nouvelle de Grouchy, on pensait qu'il devait être très menacé. L'empereur ordonna à Soult de lui envoyer une dépêche pour l'informer de la retraite de l'armée et lui prescrire de se replier sur la basse Sambre[33]. Des soldats de toute arme passaient en courant sur la route et à travers champs. Le commandant Baudus, qui cheminait à cheval au milieu des fuyards, aperçut le petit groupe de l'état-major impérial. Il s'approcha. L'empereur lui demanda s'il n'avait pas rencontré quelque corps qui ne fût pas entièrement désorganisé. Non loin des Quatre-Bras, Baudus avait dépassé le 5e lanciers, du colonel Jacqueminot, qui marchait encore en ordre. Il en instruisit l'empereur : — Allez vite lui dire de s'arrêter aux Quatre-Bras. Il est déjà tard, et l'ennemi trouvant ce point occupé s'arrêtera probablement. Baudus partit au galop, mais, accueilli par des coups de feu aux premières maisons du carrefour, il revint près de l'empereur et le supplia de se retirer, puisqu'il n'était plus couvert par personne. En disant ces mots, il le regardait. Napoléon pleurait silencieusement son armée perdue. Sur son visage morne, aux pâleurs de cire, il n'y avait plus rien de la vie que les larmes[34].

Dans cet accablement, l'empereur avait conservé sa présence d'esprit. Ne voyant pas venir la division Girard, il en conclut qu'elle n'avait point reçu l'ordre du major-général. Faute de connaître la défaite, elle risquait de se trouver surprise dans ses bivouacs et enveloppée par l'ennemi. Il commanda à Baudus de courir à Fleurus, d'y faire prendre les armes et de ramener les troupes sur la rive droite de la Sambre. Puis, cédant à la nécessité, il remonta à cheval et se mit en route pour Charleroi par Gosselies et Lodelinsart[35].

A Charleroi, où l'empereur arriva vers cinq heures du matin[36], c'était la même cohue et le même désordre que la nuit à Genappe. Depuis le 15 juin, les voitures de munitions, les équipages de pont, les chariots de vivres et de bagages encombraient les places et les avenues. Le 17, on avait évacué sur Charleroi les blessés de Ligny, les prisonniers, les vingt-sept pièces de canon et les équipages pris aux Prussiens. Sans doute, dans la soirée du 18, au moment où toutes les troupes lâchaient pied, on avait envoyé de Rossomme un commissaire des guerres avec l'ordre de faire repasser sur-le-champ la Sambre à toutes les voitures. Mais arrivé à Charleroi, entre une heure et deux heures après minuit, il trouva le commandant de place malade, disent les uns, ivre-mort disent les autres, incapable, en tout cas, de lui être d'aucune aide. Force fut au commissaire des guerres de chercher un à un les différents chefs de service. Tous s'employèrent avec le plus grand zèle, mais on avait perdu bien du temps. Déjà les premiers convois de blessés débouchaient de la route de Bruxelles, et des bandes de fuyards traversaient la ville, jetant l'alarme, disant que l'ennemi était à leurs trousses[37].

L'unique pont de Charleroi avait 38 mètres de long sur 8 de large. Il formait dos d'âne ; les parapets étaient de bois. Des cuirassiers descendant à fond de train la rue escarpée qui aboutit à ce pont vinrent donner si rudement contre l'un des parapets qu'il se disloqua et s'effondra. Plusieurs cavaliers se noyèrent dans la Sambre. La guérite de la tête du pont fut renversée, un fourgon culbuta ; les voitures qui suivaient immédiatement, lancées au grand trot sur la pente de la rue de la Montagne, ne purent s'arrêter à temps et versèrent sur le premier obstacle. Des soldats furent écrasés. Des sacs de farine et de riz, des barriques de vin, d'eau-de-vie, des centaines de pains roulèrent sur le pavé. Le pont ainsi obstrué, tout le convoi s'arrêta, tandis que les fuyards escaladaient cette barricade de chariots renversés et de chevaux abattus. En passant, chacun piquait un pain au bout de sa baïonnette. Le contenu des futailles était encore plus tentant ; des soldats les percèrent à coups de fusil et burent, à même les trous, le vin et l'eau-de-vie. Quand ces tonneaux furent à moitié vidés, on perça de la même façon ceux qui étaient chargés sur les chariots. Tout le long de la rue, des ruisseaux rouges coulaient vers la Sambre[38]. Le fourgon du Trésor, que le grand-prévôt Rade !, avait fait partir du Caillou, la veille à sept heures du soir, se trouva pris dans l'encombrement avec ses six chevaux à quelque cent mètres du pont. Désespérant de se frayer passage, le payeur, sous la responsabilité duquel était ce précieux chargement, s'avisa d'ouvrir le fourgon et de confier à ses employés et aux soldats de l'escorte le plus de sacs d'or que chacun pourrait porter. Tous ces hommes avaient rendez-vous à un point déterminé sur l'autre rive de la Sambre. L'agent marquait sur un calepin le nom des dépositaires et le nombre de sacs de 20.000 francs qui leur étaient confiés. Mais, précisément dans l'instant où il procédait à cette opération, retentirent les coups de feu tirés au bas de la rue sur les barriques de vin. Une alerte s'ensuivit qui dégénéra en panique aux cris : Les Prussiens ! Sauve qui peut ! poussés à dessein par des habitants et même par des soldats. Ces misérables se ruèrent sur le fourgon. On s'arracha les sacs d'or à coups de sabre et de baïonnette. Tout fut pillé[39]. L'arrêt de la tête du convoi avait immobilisé les voitures jusqu'à l'entrée de la ville haute. La berline contenant le Portefeuille resta engagée sur la route au milieu des trains d'artillerie. On entendait la fusillade dans le lointain. Le duc de Bassano fit déchirer et jeter au vent les papiers les plus importants[40].

L'évacuation de Charleroi aurait pu, cependant, s'opérer sans désordre, car, le 19 juin, les Prussiens avaient ralenti leur poursuite. Sauf par quelques reconnaissances de cavalerie, ils ne s'approchèrent pas de la ville avant midi ; ce fut assez tard dans la journée qu'ils se saisirent des ponts de Marchienne, de Charleroi et de Châtelet. Le soir, tandis que Pirch envoyé dans la nuit précédente vers Gembloux, avec le IIe corps, pour couper la retraite à Grouchy, occupait Mellery, les corps de Zieten et de Bülow bivouaquèrent, le front couvert par la Sambre. Le lendemain seulement, l'armée prussienne passa la rivière en trois colonnes et se dirigea sur Beaumont et Avesnes. Les Anglais, moins ardents ou moins bons marcheurs, étaient encore entre Nivelles el Binche[41].

 

V

L'empereur avait tenté en vain d'organiser la résistance dans les fonds de la Haye-Sainte, à Rossomme, à Genappe, aux Quatre-Bras. Il comprit qu'avec une armée en dissolution et n'obéissant plus qu'à la peur le mieux était de faire la plus prompte retraite possible[42]. Il traversa Charleroi et s'arrêta dans une prairie sur la rive droite de la Sambre[43]. Il donna quelques ordres, que l'on ne suivit pas, pour rallier les fuyards et rassembler les équipages[44]. Au bout d'une heure, il reprit son cheval et se dirigea vers Philippeville où il arriva à neuf heures du matin. Les portes de la place étant fermées, il dut se faire reconnaître par l'officier de garde[45]. Il avait avec lui Bertrand, Drouot, Dejean, Flahaut, Bussy. Il fut rejoint à Philippeville par te duc de Bassano accompagné de Fleury de Chaboulon, puis par le maréchal Soult[46]. Entre toutes ses préoccupations, la plus pressante était le ralliement de l'armée. Des instructions furent envoyées eux commandants de Givet, d'Avesnes, de Maubeuge, de Beaumont, de Landrecies. Ils devraient ravitailler en vivres et en munitions les détachements et les isolés qui se présenteraient devant ces places et les diriger ensuite sur les points de rassemblement : Laon pour les 1er, 2e et 6e corps d'infanterie ; La Fère pour l'artillerie ; Marle, Saint-Quentin, Réthel, Vervins et Reims pour la cavalerie ; Soissons pour la garde. Seul parmi les commandants de corps d'armée, Reille avait rejoint l'empereur à Philippeville ; il reçut la mission de réorganiser les troupes qui arrivaient sur les glacis de cette forteresse. Une nouvelle dépêche, prescrivant au maréchal Grouchy de battre en retraite vers Philippeville ou Givet, lui fut expédiée par un espion, du nom de Cousin. On avertit les commandants die place des 28 et 168 divisions militaires de se tenir sur leurs gardes[47].

L'empereur n'avait pas à penser seulement à son armée : il y avait l'opinion, il y avait les ennemis de l'intérieur, il y avait la Chambre. Il écrivit deux lettres à son frère Joseph. L'une, destinée à être lue au Conseil des ministres, ne rapportait qu'avec certaines réticences l'issue de la bataille ; dans l'autre, toute personnelle, Napoléon ne cachait rien de ce grand désastre[48] et annonçait son retour immédiat à Paris[49]. Fleury de Chaboulon, à qui furent dictées ces lettres, assure que la seconde se terminait ainsi : ... Tout n'est pas perdu. En réunissant mes forces, les dépôts, les gardes nationales, j'aurai 300.000 hommes à opposer à l'ennemi. Mais il faut que l'on m'aide et qu'on ne m'étourdisse pas... Je crois que les députés se pénétreront que leur devoir est de se réunir à moi pour sauver la France[50].

L'empereur mit ensuite la première main au Bulletin des batailles de Ligny et de Mont-Saint-Jean, qui devait paraître dans le Moniteur[51]. Puis, laissant Soult à Philippeville pour veiller au ralliement de l'armée, il monta, tout seul, à ce qu'il semble, dans une des calèches du major-général. Bassano, Bertrand, Drouot et les aides de camp le suivirent dans deux autres voitures[52].

De Philippeville à Paris, la route la plus directe (48 postes et demie), était par Barbançon, Avesnes, La Capelle, Marie et Laon. Mais l'empereur ne voulait point risquer d'être enlevé par quelque parti de cavalerie prussienne qui aurait franchi la Sambre à Marchienne[53] ; il prit une route un peu plus longue (51 postes), qui passait à Marienbourg, Rocroi, Maubert-Fontaine, La Capelle, Marie et Laon. Au soleil couchant, on s'arrêta quelques instants en vue de Rocroi. Les habitants ne savaient rien de la grande défaite ; ils se portèrent en foule sur les remparts avec l'espérance d'apercevoir l'empereur. Leurs acclamations le réveillèrent au fond de sa calèche[54]. Il put avoir un moment l'illusion, tant les événements avaient été rapides, qu'il sortait d'un mauvais rêve.

Comme on craignait sans doute de ne point trouver de relais à Maubert-Fontaine — nombre de chevaux avaient été mis en réquisition huit jours auparavant pour les services auxiliaires du corps de Vandamme —, on fit un crochet jusqu'à Mézières. Là aussi, les chevaux manquaient. On en alla quérir à une lieue. Depuis dix heures et demie jusqu'à minuit, les trois calèches restèrent attelées sur la place des Fontaines, devant la maison de poste. Le général Dumonceau, gouverneur de Mézières, le commandant de place Traullé et les officiers de leur état-major entouraient les voitures. Ils restaient immobiles et parlaient à voix basse comme en un jour de deuil. Aucun des voyageurs ne mit pied à terre, sauf Bertrand, que Napoléon fit, appeler à la portière de sa calèche par un officier supérieur de hussards, qui formait à lui seul toute l'escorte impériale. On repartit. Comme les voitures approchaient de la Porte de Pierre, les soldats du poste crièrent : Vive l'empereur ! et répétèrent ce cri, bien poignant en la circonstance, dit le commandant. Traullé, jusqu'à ce que la dernière voiture eût dépassé les glacis[55].

On n'arriva que le lendemain 20 juin, entre six et sept heures du soir[56], au pied de la montagne de Laon, au faubourg de Vaux. L'empereur descendit dans la cour de l'hôtel de la poste. Par la grande porte restée ouverte, on le voyait, de la rue, marcher de long en large, la tête penchée, les bras croisés sur sa poitrine. Il y avait beaucoup de paille répandue dans cette cour où s'ouvraient des granges et des écuries. Un des spectateurs dit à voix basse : C'est Job sur son fumier. Napoléon paraissait si accablé et si triste, la scène était si impressionnante, même pour des âmes rustiques, qu'on n'osait l'acclamer. Quelques cris de Vive l'empereur ! bien faibles, timides, étouffés, partirent cependant de la foule. L'empereur s'arrêta et souleva son chapeau[57]. On avait été averti dans la ville. Un détachement de garde nationale descendit pour former la garde d'honneur. Peu après vinrent le général Langeron, commandant le département, le préfet, des conseillers municipaux. Le général Radet, grand-prévôt, et le général Neigre conférèrent aussi avec l'empereur. Il chargea le préfet auquel il adjoignit son aide de camp Bussy, qui était du pays, de réunir de grands approvisionnements, l'armée devant se concentrer sous Laon. Il envoya Neigre à La Fère pour organiser des batteries de campagne, Dejean à Guise pour examiner l'état de la place, Flahaut à Avesnes pour recueillir des renseignements sur la marche de l'ennemi[58]. La nuit était venue. L'empereur n'attendit pas le maréchal Soult[59] ; il lui avait d'ailleurs donné ses instructions à Philippeville. Vers dix ou onze heures, il partit pour Paris[60].

Dès Philippeville et, sans doute même, dès la halte dans les prairies de la Sambre, Napoléon avait résolu d'accourir à Paris[61]. Il se rappelait la douloureuse leçon de 1814, ce vote de déchéance qui l'avait paralysé à la tête de son armée. Il sentit que, s'il ne rentrait pas en hâte dans sa capitale pour imposer à Fouché, aux conspirateurs de tous les partis, aux députés hostiles ou aveuglés, c'en était fait de sa couronne et de la dernière résistance du pays. Aussi bien au point de vue militaire qu'au point de vue politique, sa vraie place, pendant quelques jours, était à Paris. Sans soldats et sans canons, il ne pouvait songer à arrêter l'ennemi sur la frontière. Quant au ralliement à Laon des débris de l'armée, Soult et les généraux l'opéreraient aussi bien que lui-même. Il n'y fallait pas de génie ! Pendant ce temps, à Paris, l'empereur prendrait avec Davout et Carnot les mesures de salut public. Il conjurerait la crise politique, accélérerait tous les services, ferait diriger sur Laon les disponibles des dépôts, les bataillons de mobilisés, les batteries de campagne, les convois d'armes et de munitions, décréterait, de concert avec les Chambres, de nouvelles levées de soldats et de gardes nationales, et viendrait, après quatre ou cinq jours, reprendre le commandement[62].

On a dit que Napoléon abandonna son armée, comme en Egypte et en Russie[63]. Hélas ! Napoléon n'avait plus d'armée. De Grouchy, il ne savait rien[64] ; on le présumait en grand péril avec les corps de Vandamme et de Gérard[65]. Des 74.000 combattants de Waterloo, 40.000 peut-être s'étaient retirés sains et saufs et avaient repassé la Sambre[66] ; mais plus des trois quarts de ces hommes étaient encore dispersés depuis Cambrai jusqu'à Rocroi, cheminant sur les routes isolément ou par petits groupes bivouaquant dans les bois, s'arrêtant chez les paysans. Le 20 juin, à l'heure où Napoléon quitta Laon pour aller à Paris, il y avait 2.600 soldats rassemblés à Philippeville et environ 6.000 à Avesnes[67]. C'était toute l'armée.

 

 

 



[1] Rapport de Gneisenau : Il était 9 heures et demie. C. de W. (Müffling) Hist., 36 : Il était 9 heures. Il faisait tout à fait obscur.

[2] Rapport de Gneisenau. Müffling, Aus meinem Leben, 217. Hist., 36-37. Von Ollech, Geschichte des Feldzuges von 1815, 252. Lettres d'officiers des brigades Adam et Maitland. (Waterloo Letters, 245, 298.)

Jaloux sans doute de prouver qu'il n'aurait pas eu besoin des Prussiens pour poursuivre l'armée française, Wellington a nié avoir vu Blücher à la Belle-Alliance. Cette rencontre, écrit-il à Mudford (Supplem. Dispatches, X, 508), n'a eu lieu qu'à Genappe et passé 11 heures du soir. Cette dénégation ne saurait prévaloir contre le témoignage de Gneisenau, dans un rapport public écrit le lendemain de la bataille. Il y a encore le témoignage de Müffling, présent à l'entrevue (Aus meinem Leben, 217, et Hist., 36-37) ; — de Pozzo di Borgo (Rapport à Wolkonsky, 19 juin) ; — du général Hügel (Lettre au roi de Wurtemberg, 23 juin). — Il y a enfin celui du général Vivian (Waterloo Letters, 153) : Il n'y a pas de doute pour moi que, quand j'ai vu le duc (près de Rossomme), il avait rencontré Blücher. Je lui proposai de poursuivre l'ennemi, mais il me dit : Nos troupes ont eu une journée bien dure. Les Prussiens vont poursuivre. Vous, arrêtez votre brigade.

Wellington, après avoir vu. Blücher, poussa jusqu'à Rossomme ou jusqu'au hameau de la Maison du Roi. (Lettre de Hervey, Nineteenth Century, mars 1893 ; Kennedy, 151), où s'arrêta la tête de ses troupes, mais il n'alla pas ce soir-là à Genappe. Cela ressort des Mémoires de Müffling, où il est dit (211) que Müffling vint rendre compte au duc, à Waterloo, de ce qui avait eu lieu à Genappe ; du récit de Cotton (156) ; et de maint passage des Waterloo Letters.

[3] Rapport de Gneisenau. Müffling, Aus meinem Leben, 217. Lettre précitée de Hügel, 23 juin.

[4] Wellington à lady Webster, Bruxelles, 19 juin, 8 heures et demie. (Dispatches, Supplem., X, 53.)

[5] Rapport de Gneisenau. Rapport de Wellington, Müffling, Aus meinem Leben, 217. Lettre de Hervey, précitée. Wagner, 84. Damitz, 206-297. Von Ollech, 252. Waterloo Letters, 153, 274, 309.

[6] Lettres d'officiers des brigades Somerset, Vivian, Maitland, Adam et Halkett. (Waterloo Letters, 54, 150, 245, 273, 274, 319, 341.) Lieutenant Woodberry, Journal, 314.

[7] Les Anglo-Hanovriens eurent 9.063 tués ou blessés, sans compter 1.623 disparus. (Dispatches of Wellington, XII, 485.) — Les Hollando-Belges : 3.200 environ. (Van Löben, 304-305.) — Les corps de Nassau et de Brunswick : 1.330 (chiffre donné par Charras, d'après la Geschichte dex herzogliche braunschweigschen Armée-Corps et l'History of the King's German Legion). — Les Prussiens : 6.299 (Wagner, IV, 85). — Total général : 20.592.

[8] Mercer, Journal of the Campaign, I, 333-336, 342, 347-348. Lettres d'officiers du Royal Artillery, de la brigade Maitland et de la Légion Germanique. (Waterloo Letters, 202, 221, 241, 406.) Récit de Dumesnil, cité par Mauduit, II, 452-454. Récit d'officiers anglais blessés, cités par Cotton. Voice of Waterloo, appendices, 303-313

L'enlèvement des blessés, qui furent transportés à Bruxelles, à Nivelles et à Namur, commença le 19 ; mais le nombre en était si grand que beaucoup d'entre eux restèrent sur le champ de bataille jusque dans la soirée du 21.

Les voleurs de morts assommaient les blessés indistinctement, sans s'arrêter à regarder si c'étaient des compatriotes, des alliés ou des ennemis. Plusieurs de ces misérables furent fusillés par les Anglais.

Je n'ai vu dans aucun document authentique les faits rapportés par Vaulabelle, de blessés français et prussiens continuant la lutte sur la paille où ils étaient couchés et, à défaut d'armes, se déchirant avec les mains. Cela n'est pourtant pas impossible. Mercer dit (I, 343) que, dans la nuit de la bataille, un officier de lanciers mortellement blessé, à qui il voulait porter secours, le regarda avec fureur et lui jeta violemment au visage l'eau qu'il lui présentait.

[9] Notes journalières de Foy et lettre de Foy à Guilleminot, 20 octobre 1815 (comm. par le comte Foy). Relation de Reille. (Arch. Guerre. Souvenirs d'un ex-officier (du 45e), 297-298. Cf. Rapport officiel de Gneisenau.

[10] Relation du chef d'escadrons de Stuers (comm. par M. de Stuers) Mauduit, II, 451-458. Waterloo Letters, 104, 116.

[11] Relation du général Petit. Relation de Duuring. Cf. Napoléon, Mém., 163-164.

Selon Mauduit (II, 443-444), l'empereur à cette intention avait envoyé, vers 8 heures du soir, l'ordre à Piré, dont la division de cavalerie était à peu près intacte, de se porter au galop devant Genappe, d'y prendre position et d'y rallier les fuyards. Le témoignage de Mauduit, alors sergent au 1er bataillon du 1er grenadiers, n'est pas sans autorité pour les faits qu'il a pu voir. Mais comment a-t-il eu connaissance de cet ordre de l'empereur ? Quoi qu'il en soit, l'ordre n'arriva pas à Piré, qui se replia, comme on l'a vu, en passant à l'ouest de Genappe

[12] Le pont de Genappe a aujourd'hui 2m,90. Mais, d'après les souvenirs des habitants et l'Histoire des Communes belges, de Tarlier et Wauters, il a été élargi quand on l'a reconstruit.

[13] Souvenirs d'un ex-officier (du 45e), 298. Lettre de Bruxelles, 22 juin 1815 (citée dans la Relation de Mont-Saint-Jean, 245). Rapport de Bellina à Davout, 23 juin. (Arch. Guerre.) Wagner, 84. Damitz, II, 297. Von Ollech, 253. Napoléon, Mém., 167. Radet à Soult, Saint-Germain, 22 juin ; à Davout, Paris, 26 juin ; certificat du médecin de Radet, Paris, 26 juin. (Dossier de Radet. Arch. Guerre.)

Napoléon (167) dit que cet encombrement de voitures eut lieu par le fait des soldats des équipages, qui avaient à dessein obstrué le pont pour faire obstacle aux Prussiens. D'après d'autres versions, plus vraisemblables, il se produisit par la force des choses.

[14] Relations du général Petit et du commandant Duuring. Mauduit, II, 478-479. Souvenirs d'un ex-officier, 298-299.

Les dimensions de la Dyle (largeur 2m,90, profondeur 0m,85 ou 0m,15 selon que les vannes du moulin sont baissées ou levées) m'ont été données par M. Berger, bourgmestre de Genappe.

[15] Rapport de Gneisenau. Lettre de Blücher à sa femme. (Blücher in Briefen aus den Feldzügen 1813-1815, 150.) Lettre de Migel au roi de Wurtemberg, 23 juin (citée par Pfister, Aus dem Lager der Verbündeten, 370). Napoléon, Mém., 167-168. Peyrusse, Mémorial et Archives, 312.

Ces diamants, rapporte Peyrusse, avaient été cédés à l'empereur par Joseph. Ils furent pris par un officier du nom de von Keller qui les vendit a joaillier anglais Mawe. (Voir, à ce sujet, dans le Catalogue du Musée Tussaud, la lettre de Bullock, lequel avait acheté la berline au Prince Régent, à qui elle avait été donnée, et l'exposa à l'Egyptian Hall.)

On dit qu'on prit aussi dans cette voiture une liasse d'une proclamation de l'empereur : Aux Belges et aux habitants de la rive gauche du Rhin, datée par anticipation : Bruxelles, Palais impérial de Laeken.

[16] Lettre du capitaine Marquiaud. (Spectateur militaire, septembre 1827.) Damitz, II, 297. — Le capitaine Marquiaud, neveu et aide de camp de Duhesme, resta à l'auberge du Roi-d'Espagne jusqu'à la mort du général dont il s'était constitué le garde-malade. Son témoignage détruit l'odieuse légende, qu'ont rapportée sans exception tous les historiens français, que Duhesme, blessé mortellement à Genappe même et ayant rendu son épée, fut assassiné de sang-froid par un hussard (lancier) de Brunswick.

[17] Blücher à sa femme, champ de bataille de la Belle-Alliance, s. d. (Genappe, 19 juin, vers 1 heure du matin.) Blücher in Briefen, 150.

[18] Lettre de Blücher à Knesebeck (citée par von Ollech, 254).

[19] Rapport de Gneisenau. Notes du lieutenant Julius, prisonnier des Français (citées par von Ollech, 250-257). Souvenirs d'un ex-officier, 209-300. Wagner, IV, 84. Fleury de Chaboulon, II, 181. — Relation de la bataille de Mont-Saint-Jean, 89-90, 94.

[20] Relation de Durutte (Sentinelle de l'Armée du 8 mars 1838.) Mauduit, II, 442, note. Lettre de Ney au duc d'Otrante (Journal des Débats, 29 juin.) Larrey, Relation médicale de campagnes et de voyages, 10-13.

Les brutalités que subit Larrey et les dangers qu'il courut contrastent avec le traitement dont Duhesme fut l'objet. Larrey semble d'ailleurs croire que l'ordre de le fusiller, donné par le général prussien, vint d'un mouvement de dépit. Larrey ressemblait un peu à l'empereur et portait ce jour-là une redingote grise. Les cavaliers qui le firent prisonnier le conduisirent à leur général en disant que c'était Napoléon. Le général, irrité qu'il y eût méprise, ordonna de passer par les armes le fâcheux qui décevait son espoir.

Ajoutons toutefois que, selon Mauduit (II, 472-473), le général Durrieu, chef d'état-major du 6 corps, qui, lui, ne ressemblait pas à Napoléon, faillit être fusillé sur l'ordre d'un autre général prussien, et qu'il dut la vie à l'intervention du colonel Donœsberg. F. de Chaboulon (II, 181-182), dont le témoignage est confirmé par des traditions locales, parle aussi de blessés achevés et de prisonniers massacrés. On assure que les Prussiens, quand ils mirent le feu aux granges du Caillou, ne prirent pas la peine d'en retirer les blessés français. Il parait probable, sinon certain, que pendant la poursuite ils furent souvent sans pitié.

[21] Rapport de Gneisenau. Note précitée d'un officier prussien prisonnier. Relation de la bataille de Mont-Saint-Jean, 89-90, 94. Rapport de Bellina à Davout, 23 juin. (Arch. Guerre.) Damitz, II, 298. Mauduit, II, 472. Fleury de Chaboulon, II, 182.

[22] Sauf la brigade Tippelskirch (corps Pirch), qui avait suivi Bülow jusqu'à Genappe, et la cavalerie de Röder (corps Zieten) qu'emmena Gneisenau arec celle du prince Guillaume.

[23] Von Ollech, 254. Cf. Damitz, II, 297-298. — La cavalerie du prince Guillaume ne rejoignit Gneisenau que le 19 de grand matin.

[24] J'ai, je crois, cent cinquante pièces de canon, et Blücher me dit qu'il en a ramassé soixante en plus. Wellington à lady Webster, Bruxelles, 19 juin (Dispatches, Suppl., X, 531) — Un état, signé Wood, porte 122 pièces et 344 chariots, caissons, etc., pris à l'ennemi sur le champ de bataille même. (Dispatches, Suppl., X, 547.) Wagner (IV, 85) dit : 250 pièces de canon. Du reste, toute l'artillerie fut perdue, sauf peut-être trois ou quatre batteries.

[25] On lit dans Charras (II, 91-92) un paragraphe à effet sur la défense des drapeaux ; mais je n'ai point trouvé de documents authentiques confirmant ces détails. Ce qui est hors de doute, c'est que les Prussiens ne prirent point de drapeaux. Les seuls aigles perdues par l'armée française, celles du 45e et du 105e, furent enlevées par les Anglais, vers 2 heures et demie, lors du premier assaut du corps d'Erlon.

[26] Mauduit, II, 480-482.

[27] Damitz, II, 298. Von Ollech, 254. Cf. Mauduit, II, 483, qui dit avoir entendu au loin cet unique tambour battre la caisse. — Damitz croit que le cheval avait été dételé de la berline même de l'empereur prise à Genappe. Cela parait peu probable, car il est difficile d'admettre que dès Genappe les deux bataillons d'infanterie n'eussent plus qu'un seul tambour. Plus vraisemblablement, ce cheval était un de ceux de la voiture impériale que des habitants des Quatre-Bras firent verser, pour la piller, à cette croisée de routes. (Traditions locales.)

[28] Von Ollech, 254. Damitz, II, 298-299. — Cette auberge était située en bordure de la route de Charleroi à Bruxelles, entre la Voie romaine et le village de Frasnes.

[29] Napoléon, Mémoires, 168.

[30] Ordre au maréchal de camp Rémond de prendre le commandement de la division Girard et de se porter aux Quatre-Bras pour y prendre position. Ordre de Soult, 18 juin, en avant du Caillou. (Registre du major-général.) — Cet ordre n'a pas d'indication horaire ; mais il y a présomption qu'il fut écrit entre 8 et 9 heures. (Auparavant on ne songeait pas à une retraite, il n'y avait donc pas à prescrire à un corps de troupe de prendre position aux Quatre-Bras.) L'ordre dut arriver à Fleurus au plus tôt à 11 heures.

[31] Dans la soirée de cette fatale journée, je reçus l'ordre de soutenir la retraite. J'ai passé la Sambre à Charleroi. (Mémoires manuscrits du général Matis, cités par Edgar Quinet. Waterloo, 437-438.) — C'est un peu bref comme explications. D'autre part, on a vu que l'ordre de Soult est adressé non au colonel Matis, commandant la division par intérim, mais au général Rémond. Il y avait plusieurs officiers généraux, nommément Curély, qui se trouvaient à l'armée sans commandement. Rémond, sans doute, était de ceux-là Rejoignit-il Matis ? Ce dernier éluda-t-il ses ordres ou le persuada-t-il qu'il était trop tard pour les exécuter ? Soult avait-il envoyé directement une dépêche à Matis ? Tout cela reste obscur. Mais ce qui est clair, cependant, c'est que Matis reçut l'ordre de se porter aux Quatre-Bras, et qu'il n'y obéit point.

[32] Souvenirs d'un ex-officier (du 45e), 299-300. Cf. Napoléon, Mém., 168. Cf. Notes manuscrites du colonel Baudus.

[33] Napoléon, Mémoires, 168. Cf. la lettre de Soult à Grouchy, Philippeville, 19 juin (Registre du major-général) : ... Je vous ai écrit hier soir de repasser la Sambre, et la lettre de Soult à Napoléon, Laon, 22 juin (Arch. Guerre) : L'officier qui m'annonce le retour du maréchal Grouchy est celui que j'envoyai des Quatre-Bras. — Comme on verra plus loin, l'officier envoyé par Soult rejoignit Grouchy vers 10 heures et demie, mais il ne lui remit pas la dépêche, l'ayant sans doute perdue dans son trouble il se borna à lui apprendre la déroute de l'armée.

Napoléon dit (Mém., 108) qu'il trouva aux Quatre-Bras le général Neigre avec les parcs de réserve. Cela semble inexact. Aucun document allemand ni français ne mentionne la présence des parcs aux Quatre-Bras, et nous savons, d'autre part, qu'au moins la plus importante fraction des voitures était restée à Charleroi.

[34] Notes manuscrites du colonel Baudus (communiquées par M. de Montenon, son petit-fils).

[35] Notes manuscrites de Baudus. Cf. Napoléon, Mém., 168-169.

L'assertion de l'empereur (Mém., 169), que des Quatre-Bras il envoya Jérôme à Marchienne avec l'ordre de rallier l'armée entre Avesnes et Maubeuge n'est point exacte. D'après la lettre qu'il écrivit, le 15 juillet 1815, à la reine Catherine (Mém. du roi Jérôme, VII, 24), Jérôme fut séparé de l'empereur bien longtemps avant d'arriver aux Quatre-Bras (vraisemblablement dans les fonds mêmes de la Haye-Sainte, comme le suppose le rédacteur des Mémoires du roi Jérôme). Il fit retraite avec un bataillon et un escadron qu'il put maintenir en ordre, passa la Sambre à Marchienne et gagna Avesnes. Là sans autre mandat que son patriotisme et son dévouement à l'empereur, il rallia une fraction des troupes en fuite et les conduisit à Laon (le 22 juin), où il remit le commandement au major-général.

[36] Journal des Séjours de l'Empereur. (Arch. nat., AF* IV, 437.)

[37] Traditions locales, Mauduit, Derniers Jours de la Grande Armée, II, 484-485. Notes de l'abbé Piérard (communiquées par M. Clément Lyon, de Charleroi). Rapport du colonel de Bellina à Davout, 23 juin. (Arch. Guerre.) — C'est le capitaine de Mauduit qui rapporte que le commandant de place de Charleroi était ivre.

[38] Traditions locales. Souvenirs d'un ex-officier (du 45e), 302. Mauduit, II, 487-489. Notes de l'abbé Piérard.

[39] Peyrusse, Mémorial et Archives, 312. Mauduit, II, 488-489. Souvenirs d'un ex-officier, 302. Traditions locales. Notes de l'abbé Piérard. — Fleury de Chaboulon (II, 184) dit que les sacs d'or furent rapportés par ceux à qui on les avait confiés ; mais Peyrusse confirme les traditions locales, que le Trésor fut entièrement pillé.

C'était non le Trésor de l'armée, mais le Trésor particulier de l'Empereur, qui contenait, au départ de Paris, 1 million en or et 200.000 francs en argent. (Lettre de Napoléon à Peyrusse, 7 juin, citée par Peyrusse, 310.)

[40] Bassano à Caulaincourt, Paris, 25 juin (cité par Ernouf, Maret, duc de Bassano, 657-658). Fleury de Chaboulon, II, 183. Cf. Las-Cases, III, 03.

Beaucoup de lettres et de rapports qu'on n'eut pas le temps de déchirer furent pris par un officier hollandais qui, fait prisonnier le 17 juin et interné à Charleroi, s'improvisa commandant de place le 19, après le départ des Français. Ces papiers furent publiés sous le titre : Portefeuille de Buonaparte pris à Charleroi (in-8°, La Haye, 1815). Voir au sujet de cette brochure, mentionnée à tort comme apocryphe par certains bibliographes, le premier volume de 1815.

[41] Ordre de Blücher, Gosselies, 19 juin. (Cité par von Ollech, 268.) C. de W. (Müffling), 41-43. Wagner, IV, 85. Damitz, II, 318-319, 347-350. Traditions locales.

[42] Gourgaud, 127.

[43] Traditions locales. Récit de l'Ambigu, de Londres, LII, 441. Napoléon, Mém., 169.

[44] Rapport du colonel de Bellina à Davout, 23 juin. (Arch. Guerre.) Gourgaud, 130.

[45] Journal des Séjours de l'Empereur. (Arch. nat., AF* IV, 437.) Napoléon, Mém., 169. Récit de l'Ambigu, de Londres, LII, 441. Relation de la bataille de Mont-Saint-Jean, 99.

[46] Fleury de Chaboulon, II, 185. Cf. 187 ; et Relation de Trauffé, commandant la place de Mézières. (Arch. de Mézières.)

[47] Ordres de Soult, Philippeville, 19 juin. (Arch. Guerre.) — Il y a seulement quatre de ces ordres du 19 juin transcrits sur le registre du major-général. — Cf. Gourgaud, 130. Fleury de Chaboulon, II, 185.

Selon Fleury de Chaboulon, l'empereur n'aurait pas revu Soult à Philippeville, et les instructions relatives aux ordres à rédiger et à envoyer par le major-général auraient été dictées au duc de Bassano. Pourquoi, en tout cas, Bassano, puisque Bertrand qui, en pareille occurrence, suppléait le major-général, était là ? Mais du témoignage de Gourgaud (131), confirmé implicitement par le texte de certains ordres de Soult, il semble bien que ce maréchal reçut directement, à Philippeville, les instructions de l'empereur.

Gourgaud dit que l'empereur fit envoyer aussi aux généraux Rapp, Lecourbe et Lamarque, l'ordre de se replier à marches forcées sur Paris. Il n'y a pas trace de ces dépêches dans le Registre du major-général, ni aux Archives de la Guerre. En outre, Rapp écrivit de Wissembourg à Davout, le 24 juin, qu'il attendait des ordres pour savoir s'il devait revenir vers Paris. (Arch. Guerre, Armée du Rhin.)

[48] Fleury de Chaboulon, II, 185.

[49] Mémoires de Mme de X... — Il m'est interdit de désigner autrement ces Mémoires, un des plus précieux documents qui soient sur les derniers jours de l'empire.

[50] F. de Chaboulon cite le texte de cette lettre, que Charras et d'autres regardent comme authentique. Je ne suis point aussi affirmatif ; mais, si ce ne sont pas là les termes mêmes de la lettre, bien vraisemblablement c'en est le sens. Je sais d'autre part, grâce à la communication des Mémoires manuscrits de Mme de X... (précités), que Joseph connut les principaux détails de la bataille de Waterloo dès l'après-midi du 20 juin. C'était par la lettre en question.

[51] Le Bulletin, daté de Laon, 20 juin, fut publié dans un supplément spécial du Moniteur du 21 juin. Ce supplément, d'une demi-feuille imprimée au recto seulement, parut vraisemblablement assez tard dans l'après-midi. Selon les témoignages quelque peu contradictoires de Fleury de Chaboulon (II, 192, 193), du capitaine de Vatry (Notes sur les Cent-Jours, citées dans les Mémoires du maréchal de Grouchy, IV, 113-114) et des Nuits de l'Abdication, dont il existe une copie aux Archives des Affaires étrangères (1802), il semble que ce Bulletin fut commencé à Philippeville le 19, achevé à Laon le 20 dans la soirée, enfin relu et modifié à l'Elysée dans la matinée du 21.

[52] Gourgaud, 131. Fleury de Chaboulon, II, 187. Relation de Traullé, commandant de place à Mézières. (Arch. de Mézières.) — Traullé vit arriver les trois voitures à Mézières.

[53] Rogniat, Réponse aux Notes critiques de Napoléon, 279.

[54] Relation de la Campagne de Mont-Saint-Jean, 100-101. Fleury de Chaboulon, II, 187.

[55] Relation de Traullé, commandant de place à Mézières. (Archives de Mézières.) Cf. Général Rogniat, Réponse aux Notes critiques de Napoléon, 279.  

[56] Radet à Soult, 22 juin (Dossier de Radet. Arch. Guerre) : J'arrivai à Laon à six heures, et je commençais à rallier les fuyards lorsque l'empereur arriva.

[57] Notes de Radet pour son défenseur (1816), citées par Combier. (Mémoires de Radet, 340.) Devismes, Histoire de Laon, II, 240-241. Fleury de Chaboulon, II, 289-290. — Devismes dit à tort que l'empereur arriva par la route de Reims. Il vint par la route de Marle ; car Traullé rapporte que, le 20, de bon matin, Napoléon déjeuna de deux œufs à l'hôtel du Grand-Turc, à Maubert-Fontaine, et y prit quelques heures de repos. Or, Maubert-Fontaine est sur la route de Mézières à Laon, par Marle.

[58] Gourgaud, 131. Napoléon, Mém., 169-170. Fleury de Chaboulon, II, 189190. Devismes, Hist. de Laon, II, 240-242. Cf. Soult à Davout, Laon, 21 juin. Napoléon, Laon, 22 juin. (Registre du major-général.) — D'après l'ordre à Neigre, celui-ci, après avoir mis sur pied à La Fère ce qu'il pourrait de batteries, devait aller à Paris pour y réorganiser l'artillerie de campagne.

[59] Soult n'arriva à Laon que le matin du 21 juin. (Soult à Davout, 21 juin. Registre du major-général.)

[60] Du récit de Radet il ressort que l'empereur quitta Laon entre 8 et 9 heures. Devismes (II, 244) dit : à 10 heures : le Journal des Séjours de l'Empereur (Arch. nat., AF.* IV, 437) : à 11 heures.

[61] Selon Fleury de Chaboulon (II, 190-192), l'empereur aurait été très hésitant le 19 et le 20 juin. Il se serait décidé seulement à Laon, et bien qu'il penchât alors à rester avec l'armée, il aurait cédé aux conseils et aux représentations de la majorité de son entourage.

Qu'il y ait eu à Laon une délibération sur le parti à prendre, que l'on ait mis en avant des arguments pour et contre le retour à Paris, cela est probable, puisque le rapporte Fleury de Chaboulon, témoin généralement très véridique. Mais il n'en parait pas moins certain que l'empereur quitta Philippeville avec l'intention arrêtée de venir à Paris. Dans les Mémoires manuscrits de Mme de X..., document capital que j'ai déjà cité, il est dit : J'appris, le 20 juin dans l'après-midi, par Mme de Rovigo qui vint me rendre visite, que l'empereur était en route pour Paris. Le roi Joseph en était informé. Or si, le 20 juin, Joseph était informé du retour imminent de l'empereur, c'était par la lettre écrite, comme on l'a vu précédemment, à Philippeville, le 19 juin. Dans la Relation de l'Ambigu, de Londres (LII, 441), relation que, au témoignage de Montholon (Récits, II, 84), l'empereur tenait pour très véridique, on lit : C'est là (dans la halte au bord de la Sambre) qu'il délibéra s'il irait à Paris, et qu'il s'y décida malgré les contradictions de plusieurs interlocuteurs. — Dans un rapport à Davout du 23 juin (Arch. Guerre), le colonel de Bellina dit : L'empereur a pris la poste à Philippeville pour se rendre à Paris. Enfin, dans aucune des relations de Sainte-Hélène, ni dans les entretiens rapportés par Las-Cases, Montholon, Antommarchi, l'empereur n'a fait allusion aux prétendus conseils qui l'auraient engagé à aller à Paris malgré qu'il en eût. Bien au contraire, il a dit et redit qu'il avait pris de soi-même, tout de suite et sans hésitation, ce parti qui lui était imposé par les circonstances, sa présence à l'armée étant inutile pendant plusieurs jours, et ses ennemis les plus dangereux se trouvant à Paris. (Cf. Napoléon, Mém., 171. Gourgaud, 132-133. Montholon, I, 3, II, 178-180. Las-Cases, I, 20.)

On remarquera enfin que, si Napoléon avait projeté de ne pas quitter l'armée, il serait vraisemblablement resté à Philippeville avec le major-général jusqu'au 20 juin ; et qu'en tout cas, en arrivant à Laon, il serait tout de suite monté dans la ville pour s'installer à la préfecture au lieu de s'arrêter, pour une simple halte, au bas de la montagne, dans la cour de la maison de poste.

[62] Gourgaud, 132-133. Napoléon, Mém., 171. Montholon, Récits, I, 3 ; II, 179. Las-Cases, I, 20.

[63] Si Bonaparte n'avait pas abandonné son armée en Egypte, il n'aurait été ni consul ni empereur. Si Napoléon n'avait pas abandonné son armée en Russie, il n'eût pas, pour ainsi dire, fait sortir de terre la Grande Armée de 1813. Si enfin il n'eût pas abandonné son armée après Waterloo, un vote de déchéance l'eût surpris à Laon, au milieu de cette armée, comme l'année précédente à Fontainebleau. Sans doute, en 1815, il n'arrêta pas la marche des choses en allant à Paris, puisqu'il y fut contraint d'abdiquer ; mais il pouvait et il devait espérer que sa présence aurait un tout antre effet.

[64] C'est seulement dans la nuit du 21 au 22 juin que Soult reçut à Laon un avis du général Dumonceau, commandant la 2e division militaire, annonçant que, d'après une dépêche du général Bonnemains, datée de Dinant, 20 juin, l'armée de Grouchy repassait la Sambre à Namur. (Soult à Grouchy, Laon, 22 juin, 7 heures du matin, et à Napoléon, 22 juin, 6 heures du matin. Registre du major-général.)

[65] Fleury de Chaboulon, II, 191. Cf. Rapport de Davout à la Commission de Gouvernement, 23 juin (Arch. nat., AF. IV, 1936) : On a l'espérance, fondée maintenant, que la portion de l'armée qui agissait sous le maréchal Grouchy et qui inspirait de grandes inquiétudes, est conservée à la patrie.

[66] L'état des pertes de l'armée française à Waterloo n'ayant pas été dressé, on ne peut que les évaluer approximativement. Gourgaud (128) les porte à 26.000 hommes, dont 7.500 prisonniers. — D'après les Mémoires manuscrits de Mme de X..., qui tenait le renseignement de Joseph, 30.000 hommes seraient restés sur le champ de bataille. Un l'apport confidentiel adressé d'Avesnes à Davout, le 20 juin (Arch. Guerre), évalue les tués, les blessés et les prisonniers à 30.000 ou 40.000.

Si l'on consulte les situations, on trouve pour les seuls corps ayant combattu à Waterloo un total de présents sous les armes de 26.715 hommes le 29 juin, et de 32.640 le 1er juillet. (Arch. Guerre, carton des situations.) Comme il y avait 74.000 hommes à Waterloo, on y aurait donc perdu 41.500 hommes. Mais le calcul ne saurait être exact : 1° Sur ces 32.646 hommes rassemblés le 1er juillet, un certain nombre venaient d'être versés des dépôts dans les bataillons et escadrons de guerre. — 2° Beaucoup d'hommes de bonne volonté n'avaient pas encore rallié. — 3° Des soldats échappés au désastre, une multitude avait déserté, les uns parce qu'ils étaient las de combattre, les autres parce qu'ils croyaient la guerre finie puisque l'empereur avait abdiqué. Même parmi les soldats qui avaient rejoint les corps du 19 au 23 juin, il y eut beaucoup de désertions quand fut connue l'abdication.

Dans le Tableau des officiers tués et blessés pendant les guerres de l'Empire, par M. Martinien, employé aux Archives de la Guerre (ouvrage sous presse), les pertes en officiers pour la bataille de Waterloo sont portées à 720, et pour les batailles de Ligny et des Quatre-Bras à 346. Or j'ai donné le chiffre total des tués et blessés à Ligny et aux Quatre-Bras : environ 13.500. Si donc la proportion fut la même à Waterloo entre les officiers et les hommes de troupe, il y aurait eu dans cette terrible action plus de 27.000 Français tués et blessés.

En résumé, il est vraisemblable que des 74.000 Français qui avaient combattu à Waterloo, 25.000 ou 27.000 furent tués ou blessés, 8.000 ou 10.000 furent faits prisonniers, 30.000 rallièrent les corps, et 8.000 ou 10.000 désertèrent.

[67] Soult à Napoléon, Rocroi, 20 juin. (Registre du major-général.) Jérôme à Napoléon, Wavre, 21 juin. (Citée dans les Mémoires du roi Jérôme, VII, 131.)

On a vu d'ailleurs, dans la note précédente, que ce noyau d'armée s'augmenta rapidement ; dès le 22 juin, il y avait 14.800 hommes rassemblés à Laon. (Soult à Napoléon, 22 juin, Arch. Guerre.)