I Du côté des Quatre-Bras, Français et Anglais restèrent immobiles sur leurs positions pendant la matinée du 17 juin[1]. Ney ne sut que passé neuf heures le résultat de la bataille de Ligny[2]. Quant à Wellington, il était demeuré toute la nuit sans nouvelles de ses alliés. Le dernier message qu'il eût, la veille, reçu de Blücher portait que le feld-maréchal avait repris l'offensive et que tout allait bien[3]. Un peu plus tard, Gneisenau lui avait bien dépêché un officier pour l'informer de la retraite ; mais cet officier, blessé grièvement en route par des tirailleurs français, n'avait pu remplir sa mission[4]. Wellington crut que l'action, restée indécise à Ligny, reprendrait le lendemain sur toute la ligne[5] ; il fit bivouaquer ses troupes aux Quatre-Bras et y appela des renforts. La cavalerie de lord Uxbridge arriva dans la soirée et dans la nuit ; le 17, dans la matinée, la brigade Ompteda, les divisions Clinton et Colville et la réserve d'artillerie se mirent en marche pour rejoindre[6]. Wellington, qui était allé coucher à Genappe, revint de bon matin aux Quatre-Bras. Anxieux d'avoir des nouvelles de Blücher, car le bruit avait couru à Genappe que les Prussiens étaient battus[7], il envoya sur sa gauche son aide de camp, le colonel Gordon, avec un détachement du 10e hussards. Gordon, évitant les vedettes françaises de Marbais, poussa jusqu'à Tilly, où il eut la bonne fortune de trouver encore le général Zieten avec l'arrière-garde du 1er corps. Il apprit de lui que l'armée prussienne battait en retraite sur Wavre. De retour aux Quatre-Bras à sept heures et demie, il transmit ce renseignement à Wellington, qui, pour tromper son impatience, se promenait à grands pas sur la route de Charleroi en avant des Quatre-Bras[8]. Les choses changeaient de face. Wellington ne pouvait plus rester aux Quatre-Bras, exposé à une attaque combinée de Ney sur son front et de Napoléon sur sa gauche. D'abord assez troublé, il pensa à battre en retraite incontinent. — Le vieux Blücher, dit-il, a reçu une sacrée bonne fessée. Le voilà parti à dix-huit milles en arrière. Il faut que nous en fassions autant. Je suppose qu'on dira en Angleterre que nous avons été rossés. Je n'y puis rien[9]. Müffling lui fit observer que la situation ne paraissait pas si fâcheuse. — L'armée prussienne, dit-il, ayant marché sur Wavre, vous pouvez facilement vous remettre en rapport d'opérations avec elle. Repliez-vous sur quelque point parallèle à Wavre ; vous aurez là des nouvelles du feld-maréchal, des renseignements sur l'état de ses troupes, et vous prendrez un parti selon les circonstances[10]. Wellington se détermina à aller occuper le plateau de Mont-Saint-Jean, forte position défensive qu'il avait reconnue l'année précédente, lors de son passage à Bruxelles[11]. Mais décamperait-on tout de suite ou attendrait-on que les troupes eussent mangé, au risque d'avoir une chaude affaire d'arrière-garde Il y avait de temps à autre des tirailleries aux avant-postes, mais les troupes de Ney ne faisaient aucun mouvement. — Je connais les Français, dit Müffling. Ils n'attaqueront pas avant d'avoir fait la soupe. Wellington décida que la retraite commencerait seulement à dix heures. Il envoya à lord Hill l'ordre de replier à Waterloo les divisions en marche sur les Quatre-Bras. Puis, après avoir parcouru son courrier qu'on venait de lui apporter de Bruxelles, il s'enveloppa dans son manteau et s'endormit. A son réveil, vers neuf heures, il jeta un coup d'œil sur les positions françaises. Voyant que Ney ne faisait aucun préparatif d'attaque, il dit : — Est-ce que les Français se retireraient ? Ce n'est pas du tout impossible[12]. A ce moment, un officier prussien, le lieutenant de Massow, arriva de Mellery. Il était envoyé par Gneisenau pour informer Wellington de la concentration projetée de toute l'armée prussienne à Wavre, et pour lui demander ce qu'il comptait faire. Le duc répondit en présence de Müffling : — Je vais m'établir à Mont-Saint-Jean. J'y attendrai Napoléon pour lui livrer bataille, si j'ai l'espérance d'être soutenu même par un seul corps prussien. Mais si cet appui doit me manquer, je serai contraint de sacrifier Bruxelles et de prendre position derrière l'Escaut. Massow repartit incontinent pour le quartier-général prussien[13]. Les Anglais commencèrent leur mouvement. Les divisions Cook et Picton, les Hollando-Belges de Perponcher, la division Alten, enfin le corps de Brunswick s'écoulèrent successivement par la route de Bruxelles. Les nombreux escadrons de lord Uxbridge s'étaient déployés en première ligne ; de façon à masquer, puis à couvrir cette retraite. A une heure, il ne restait plus en position que ce corps de cavalerie[14]. Ney laissant des loisirs à lord Uxbridge, celui-ci s'assit avec son aide de camp sur le bord de la route. A cette réflexion que les Français tardaient bien à attaquer, l'aide de camp répondit en riant : — Ils mangent ![15] Peu après, Uxbridge reçut l'avis que l'on apercevait des masses en marche vers la gauche. L'avant-garde impériale approchait par la route de Namur. II Du moulin de Bussy, près Ligny, l'empereur, avec La cavalerie légère de Domon et les cuirassiers de Milhaud, s'était rendu à Marbais où il avait dirigé précédemment le corps de Lobau, la division de cavalerie Subervie et la garde[16]. Arrivé un peu avant une heure, il s'arrêta quelques instants, attendant des nouvelles de Ney ou le bruit du canon[17]. Impatient, il se détermina à marcher lui-même sur les Quatre-Bras. A une lieue environ de ce point, les coureurs du 7e hussards[18], qui éclairaient l'armée, se replièrent devant les vedettes anglaises. L'empereur forma ses troupes en bataille, l'artillerie au centre, l'infanterie en seconde ligne, les cuirassiers de Milhaud à la droite, la cavalerie légère de Jacquinot, de Subervie et de Domon à la gauche[19]. En même temps, il détacha vers Frasnes, afin de communiquer avec Ney, le 7e hussards, qui, prenant pour les Anglais les lanciers rouges de la garde, postés à l'extrême droite de la position du maréchal, commença à les fusiller. Les éclaireurs avaient fait prisonnière une vivandière anglaise. Amenée à l'empereur, elle dit qu'il n'y avait plus aux Quatre-Bras que la cavalerie de lord Uxbridge, chargée de couvrir la retraite de l'armée. Quant aux Français qui avaient combattu la veille, elle ne savait rien d'eux ; elle croyait qu'ils avaient repassé la Sambre[20]. Très dépité que Wellington échappât à son étreinte, l'empereur voulut du moins avoir le plus possible de la belle cavalerie anglaise. Les cuirassiers, les chasseurs, les lanciers et les batteries à cheval s'ébranlèrent au grand trot. Lui-même, dans sa hâte impatiente, les devança avec les escadrons de service[21]. Lord Uxbridge, au premier avis, était accouru sur la route de Namur. Il y retrouva Wellington. Les Français étaient encore très loin ; on n'apercevait que des miroitements d'acier. — Ce sont des baïonnettes, dit Wellington. Mais, ayant pris la lorgnette du général Vivian, il reconnut des cuirassiers. Après avoir échangé quelques paroles avec lord Uxbridge, il décida de faire retraite. Il chargea Uxbridge du commandement de l'arrière-garde et s'éloigna[22]. Pendant que les brigades de dragons anglais filaient à sa suite par la route de Bruxelles, les hussards de Vivian et de Grant se déployèrent perpendiculairement à la route de Namur, les batteries à cheval en position sur leur front[23]. Il était un peu plus de deux heures[24]. De gros nuages noirs, poussés par un vent furieux, s'amoncelaient dans le ciel. L'orage venant du nord-ouest, les Quatre-Bras étaient déjà dans la pénombre, tandis que du côté de Marbais le temps demeurait clair. Lord Uxbridge se trouvait à cheval près de la batterie légère du capitaine Mercer dont les pièces enfilaient la route de Namur. Soudain, on aperçut, sortant d'un pli de terrain, un cavalier suivi d'une petite escorte. Son visage, son corps, son cheval, éclairés à revers, paraissaient tout noirs : une statue de bronze sur un fond lumineux où poudroyait le soleil. A la silhouette, lord Uxbridge reconnut Napoléon. — Feu ! Feu ! cria-t-il, et pointez bien[25]. Les canons grondèrent. L'empereur fit avancer une batterie à cheval de la garde. Les Anglais, se jugeant trop menacés pour continuer ce duel d'artillerie, amenèrent les avant-trains. Les cavaliers de Jacquinot et de Subervie- s'élancèrent. Hussards et canonniers ennemis s'enfuirent en désordre au milieu d'éclairs aveuglants, sous la pluie d'orage qui commençait à tomber. Il semblait, dit Mercer, que les premiers coups de canon eussent crevé les nuages[26]. Le maréchal Ney n'avait point encore donné signe de vie. L'empereur envoya directement des ordres aux chefs de corps en position, devant Frasnes. D'Erlon parut enfin avec la tête de colonne de son infanterie[27]. Aux reproches que lui adressa l'empereur pour avoir arrêté, la veille, son mouvement contre la droite prussienne, il répondit qu'étant placé sous le commandement direct du maréchal Ney il avait dû obéir aux ordres de son chef immédiat. L'empereur jugeait le temps trop précieux pour le perdre à discourir ; il ordonna au comte d'Erlon de suivre incontinent la cavalerie sur la route de Bruxelles avec le 1er corps[28]. Ney arriva peu après. Dans sa lettre de huit heures, Napoléon lui avait déjà exprimé MW mécontentement qu'il eût, la veille, si malhabilement opéré[29]. Il ne revint pas sur ce sujet ; mais il lui témoigna très sèchement sa surprise de la non-exécution des ordres qu'il lui avait fait tenir, le matin même, touchant l'occupation des Quatre-Bras. Ney s'excusa en disant qu'il croyait encore avoir en face de lui l'armée entière de Wellington[30]. Au moins le maréchal aurait-il dû s'en assurer par une vigoureuse reconnaissance offensive. Or il n'avait point poussé même un seul escadron hors de ses lignes. II. s'était montré aussi négligent, aussi insouciant, aussi apathique que le matin du 16 et le soir du 17. Le maréchal Ney, à la vérité, était resté toute la nuit, par l'incurie du major-général, dans l'ignorance de la victoire de Ligny. Il n'aurait pu prendre l'offensive qu'après avoir reçu l'ordre de huit heures du matin. Encore cet ordre était conditionnel. Ney aurait-il même attaqué dès alors, que vraisemblablement les Anglais n'en eussent pas moins opéré leur retraite sans désarroi, grâce à leurs masses de cavalerie. Ils se seraient seulement mis en mouvement une heure plus tôt, et Ney aurait occupé les Quatre-Bras à midi, stérile résultat. Tout de même, il y aurait eu une chance pour que Wellington, vigoureusement assailli, se fût déterminé à combattre sur ses positions. Mais ce combat, le maréchal Ney n'avait rien fait pour le provoquer. L'empereur l'en blâma. Plus encore, sans doute, il s'accusait soi-même de n'avoir point porté, dès sept heures du matin, de Ligny sur les Quatre-Bras la garde et le corps de Lobau. Il avait ainsi laissé échapper l'occasion d'exterminer l'armée anglaise. Wellington, presque toutes ses troupes encore en position, sa ligne de retraite sur Genappe compromise, sa gauche débordée par Napoléon, son front attaqué par Ney, eût été forcé d'accepter une bataille virtuellement perdue[31]. En parlant à Ney aux Quatre-Bras, l'empereur avait la vision de celte victoire envolée. Il voulut la ressaisir. Il s'imagina qu'en précipitant sa marche il pourrait rejoindre Wellington et le contraindre à faire tête. Il donna ses ordres afin que Reille, puis Lobau, puis la garde, suivissent rapidement le ter corps et la cavalerie légère sur la route de Bruxelles ; ils seraient flanqués à droite par les chasseurs de Domon et les cuirassiers. Lui-même, avec les escadrons de service et une batterie à cheval de la garde, gagna au galop la tête de la colonne pour enflammer la poursuite[32]. III Cette poursuite se fit à l'allure d'une chasse au renard (fox-chase, dit le capitaine Mercer). L'arrière-garde anglaise fuyait dans le plus grand désordre : hussards et canonniers galopaient pêle-mêle, comme des fous (going like mad), aveuglés par les éclairs et fouettés par la pluie, qui tombait si drue et si abondante qu'à cinq ou six pas on ne pouvait distinguer la couleur des uniformes. Lord Uxbridge faisait le métier de cornette. Il courait le long de la colonne, criant à ses hommes : — Plus vite, plus vite ! pour l'amour de Dieu ! Galopez, ou vous êtes tous pris. Les lanciers d'Alphonse de Colbert talonnaient parfois de si près les hussards anglais que, au milieu du bruit des chevaux et du tonnerre, leurs éclats de rire et leurs insultes arrivaient jusqu'aux fuyards[33]. Les Anglais passèrent la Dyle[34] sur le pont de Genappe, sur un autre pont en amont, et quelques-uns à gué. Au nord de Genappe s'élève en pente douce un rideau de collines. Pour ralentir un peu le train de la poursuite, lord Uxbridge établit à mi-côte, sur deux lignes, le gros de sa cavalerie et deux batteries. Quand le ter lanciers déboucha du village, aux trousses de la brigade Vivian, il fut salué par une volée de mitraille, puis chargé tour à tour par le 7e hussards anglais et par le 1er régiment des Life-Guards. Les lanciers rompirent sans peine les hussards ; mais ils furent refoulés dans Genappe par les gardes, qui y pénétrèrent avec eux. Uxbridge lui-même conduisait cette charge. Un combat corps à corps, où les lanciers perdaient tout l'avantage de leurs longues armes, s'engagea dans l'étroite et tortueuse rue qui formait alors presque tout le village. Au milieu de Genappe, le 2e lanciers, débouchant en pelotons par quatre d'une ruelle transversale, fondit sur les gardes et les rejeta loin au-delà des premières maisons. Sur la route de Bruxelles, les Anglais subirent encore une charge des hussards de Marbot, qui avaient tourné le village par la droite. Mis en désordre, ils regagnèrent les hauteurs sous la protection de leur artillerie[35]. A ce moment, l'empereur sortait de Genappe avec ses escadrons de service et une batterie à cheval. Monté sur Désirée, une jument blanche très vite, il avait galopé depuis les Quatre-Bras pour rejoindre la tête de la colonne. Sa redingote grise, du drap le plus léger, une sorte de cache-poussière, était traversée. L'eau ruisselait sur ses bottes. Les agrafes de son chapeau rompues par la violence de la pluie, les ailes s'étaient rabattues par devant et par derrière : il se trouvait coiffé comme Basile dans le Barbier de Séville. Il fit placer lui-même les pièces en batterie, criant aux canonniers avec un accent de colère et de haine : — Tirez ! tirez ! ce sont des Anglais ![36] Dans la rue de Genappe, le colonel. Sourd, du 2e lanciers, entouré par plusieurs Life-Guards, avait eu le bras droit haché de six coups de sabre. Larrey l'amputa sur-le-champ. Pendant l'opération, Sourd dicta cette lettre pour l'empereur qui venait de le nommer général : ... La plus grande faveur que vous puissiez me faire est de me laisser colonel de mon régiment de lanciers, que j'espère reconduire à la victoire. Je refuse le grade de général. Que le grand Napoléon me pardonne ! Le grade de colonel est tout pour moi. Puis, à peine l'appareil posé sur son moignon sanglant, il remonta à cheval et galopa le long de la colonne pour rejoindre son cher régiment[37]. Les armées de la République et de l'Empire avaient eu beaucoup d'hommes de cette trempe[38]. Passé Genappe, la marche se ralentit extrêmement. Les Anglais n'avaient pas moins de hâte, ni les Français moins d'ardeur, mais sous l'action continue de cette grande pluie le terrain devenait de plus en plus difficile. Sur la route, réservée à l'artillerie et aux fantassins, l'eau roulait comme un torrent ; dans les terres, les chevaux enfonçaient jusqu'aux genoux[39]. Vers six heures et demie[40], Napoléon atteignit avec la tête de colonne les hauteurs de la Belle-Alliance[41]. L'infanterie de Brunswick, dans le plus affreux désordre, et l'arrière-garde de la cavalerie anglaise traversaient le vallon qui sépare ces hauteurs du plateau de Mont-Saint-Jean. Les hussards de Marbot les suivirent. Ils commençaient à tirailler, lorsque des bords du plateau une batterie ennemie canonna le gros de cavalerie arrêté près de la Belle-Alliance. La pluie avait cessé, mais l'atmosphère était encore saturée d'eau. A travers ce voile de brume, l'empereur crut distinguer des masses de cavalerie et d'infanterie. Etait-ce toute l'armée de Wellington prête à livrer bataille ou seulement une forte arrière-garde qui avait pris position pour protéger la retraite ? L'empereur voulut s'en assurer. Par ses ordres, quatre batteries légères ouvrirent le feu, tandis que les cuirassiers de Milhaud se déployaient comme pour charger. Le canon ennemi tonna de plus belle ; les Anglais se démasquèrent. Toute leur armée était là[42]. IV La nuit approchait, et presque toute l'infanterie se trouvait encore très en arrière[43]. L'empereur fit cesser le feu[44]. Pendant la canonnade, il était resté près de la Belle-Alliance, exposé aux boulets que le capitaine Mercer, qui l'avait reconnu, dirigeait sur l'état-major[45]. Lui-même indiqua aux troupes les emplacements pour les bivouacs[46]. Le corps d'Erlon — sauf la division Durutte qui ne rejoignit que le lendemain matin — s'établit entre Plancenoit et la ferme de Monplaisir, son front et son flanc droit couverts par la cavalerie de Jacquinot. Les cuirassiers de Milhaud, la cavalerie légère de Domon et de Subervie et la cavalerie de la garde bivouaquèrent en seconde ligne, à la hauteur de Rossomme. Les corps de Reille et de Lobau et les cuirassiers de Kellermann s'arrêtèrent à Genappe et aux environs[47]. Après avoir traversé ce village à la chute du jour, la garde à pied quitta la grande route, qu'encombraient l'artillerie et le train, et chercha à gagner par des traverses le quartier-impérial. Seuls, deux ou trois régiments arrivèrent près de là au village de Glabais, entre onze heures et minuit. Les autres régiments s'étant égarés, les hommes se débandèrent et errèrent par la campagne à la recherche de fermes et de maisons isolées. Ils ne rejoignirent leurs drapeaux que le lendemain matin[48]. Vilaine nuit de bivouac ! Les troupes arrivaient, dans l'obscurité, brisées de fatigue, ruisselantes d'eau, chaque homme traînant deux ou trois livres de boue à ses souliers. Des soldats marchaient pieds nus, leurs souliers perdus dans la terre grasse des labours. Il fallait se coucher au milieu de seigles hauts d'un mètre et demi et trempés par la pluie. C'était comme si l'on entrait dans un bain. On ne pouvait songer à construire des abris ; le bois coupé dans les boqueteaux de Vardre, du Chantelet, du Caillou, servait à faire des feux de bivouacs, que l'on allumait à grand'peine, qui s'éteignaient sans cesse et qui donnaient plus de fumée que de flamme. La pluie ne cessait qu'à de rares intervalles. Pour recevoir moins d'eau et recouvrer un peu de chaleur, des soldats se pelotonnaient dix ou douze et sommeillaient debout, étroitement serrés les uns contre les autres. De plus stoïques ou de plus fatigués s'étendaient en pleine boue. Il y a des heures, à la guerre, où l'on dormirait sur des baïonnettes. Après avoir mis leurs chevaux au piquet, nombre de cavaliers remontaient en selle et s'endormaient penchés sur l'encolure, enveloppés dans leurs grands manteaux. Des quatre jours de pain portés sur les havresacs, tout était consommé. On souffrait de la faim. Dans la plupart des régiments, les distributions ne furent faites qu'au milieu de la nuit et même dans la matinée. On s'imagine le mécontentement des soldats, comme aussi la maraude effrénée dont furent victimes les paysans belges[49]. La garde, qui pendant une partie de la nuit erra par les champs et les traverses, était surtout furieuse. Jamais les grognards n'avaient tant grogné. Aux murmures et aux jurons se mêlaient des imprécations contre les généraux ; les hommes les accusaient de les avoir entraînés, égarés volontairement dans ces chemins inconnus. Et les souvenirs de 1814 aidant, ces vieux soldats disaient : Cela sent la trahison. Mais dans la garde comme dans la ligne il n'y avait ni démoralisation, ni même découragement ; on gardait au cœur l'espoir de la vengeance, la foi à la victoire. Malgré tout, avant tout, c'était aux Anglais, aux habits rouges, aux goddams qu'on s'en prenait de cette nuit sous la pluie, sans pain et sans feu. Et l'on se promettait de la leur faire payer cher le lendemain[50]. Les Anglais n'étaient pas beaucoup mieux sur le plateau de Mont-Saint-Jean. Toutefois l'infanterie, ayant commencé sa retraite dès dix heures, avait atteint de jour ses positions. Les divisions de tête étaient même arrivées avant l'orage. Les soldats s'établirent sur un terrain encore sec, se firent de confortables lits de paille en couchant les grands seigles, allumèrent des feux ; et, le service des vivres étant bien assuré, ils purent tranquillement préparer leur repas. Seule, la cavalerie de lord Uxbridge, qui ne prit ses bivouacs qu'à la nuit, eut à souffrir durement de l'inclémence du temps[51]. V L'empereur, revenu sur ses pas, avait pris gîte pour la nuit dans la jolie petite ferme du Caillou, située en bordure de la route, à 2.700 mètres de la Belle-Alliance[52]. Le fermier Boucqueau et les siens s'étaient enfuis pour échapper aux espiègleries des Brunswickois qui, en battant en retraite, avaient tiré des coups de fusil contre les fenêtres, enfoncé la porte et finalement pillé l'habitation. L'empereur fit allumer un grand feu ; en attendant ses bagages, il se sécha tant bien que mal devant la cheminée[53]. Sur les neuf heures, le général Milhaud lui rendit compte verbalement que, dans sa marche de Marbais sur les Quatre-Bras, ses flanqueurs de droite avaient reconnu une colonne de cavalerie prussienne qui, de Tilly, s'était repliée vers Wavre[54]. Il est possible que l'empereur ait aussitôt écrit à Grouchy, dont il n'avait encore reçu aucune nouvelle, pour lui signaler la direction de cette colonne et lui enjoindre de se porter sur Wavre de façon à se rapprocher de l'armée impériale. Mais si l'ordre fut envoyé, il ne parvint point à destination. L'officier porteur de la dépêche ne rejoignit pas le maréchal, soit qu'il ait été pris ou tué en route par les coureurs prussiens, soit pour toute autre cause[55]. Au reste, il ne semble pas que l'empereur prit alarme du rapport de Milhaud. Depuis midi, il manœuvrait dans l'idée que l'armée de Blücher battait en retraite sur Namur ou Maëstricht, ou se repliait au nord pour se réunir à l'armée anglaise devant Bruxelles[56]. La marche d'une colonne prussienne sur Wavre ne faisait donc que confirmer l'une de ses prévisions. Encore cette colonne pouvait-elle n'être qu'une troupe égarée, coupée de su ligne de retraite. Mais, au pis-aller, si tous les corps prussiens cherchaient à se concentrer Wavre, Grouchy les rejoindrait à temps pour les combattre. S'ils filaient incontinent vers Bruxelles par la route de Wavre à cette ville, ils ne seraient pas immédiatement menaçants. Quant à supposer que Blücher, trente-six heures après une défaite et ayant 33.000 Français à ses trousses, risquerait une marche de flanc, de Wavre sur Plancenoit ou sur Ohain, pour reprendre l'offensive, cette hypothèse ne vint pas à la pensée de l'empereur[57]. Le soir du 17 juin, c'étaient moins les mouvements des Prussiens que les projets des Anglais qui préoccupaient Napoléon. Il craignait que Wellington n'eût fait qu'une simple halte à Mont-Saint-Jean et qu'il ne se dérobât, dans la nuit, pour aller prendre devant Bruxelles une position où le rejoindraient les Prussiens. Si tel était l'objectif de l'ennemi, l'empereur regardait la partie comme très compromise, car autant il se croyait sûr d'exterminer l'armée anglaise à Mont-Saint-Jean, autant il regardait comme hasardeux de déboucher de la forêt de Soignes devant les deux armées réunies[58]. D'ailleurs, tout cela n'était que conjectures pour l'empereur, car il doutait encore si la masse des Prussiens se repliait vers Bruxelles ou vers Liège[59]. Et dans le flot de pensées contradictoires qui battaient son cerveau, surnageait l'espérance que, au cas même où Blücher manœuvrerait pour se rapprocher de Wellington, l'armée prussienne abîmée, tronçonnée, démoralisée par la bataille de Ligny, ne serait pas en état de rentrer en ligne avant plusieurs jours[60]. Les incertitudes de l'empereur touchant les projets de Wellington étaient bien justifiables, car, jusque très avant dans- la nuit, le duc lui-même ne savait point encore quel parti il allait prendre[61]. Cela dépendait de Blücher. Comme il l'avait dit, le matin, à l'officier d'ordonnance de Gneisenau, le lieutenant de Massow, il accepterait la bataille à Mont-Saint-Jean, s'il avait l'assurance d'être soutenu au moins par un des quatre corps prussiens. Autrement, il continuerait sa retraite[62]. Or, depuis douze heures, Wellington, était sans nouvelles du quartier-général prussien. Blücher avait bien été informé par Massow, de retour auprès de lui dès midi, du plan éventuel du général anglais, et il brûlait d'y coopérer[63]. Mais, avant de s'engager formellement à seconder Wellington le lendemain, Blücher était obligé d'attendre que son armée fût concentrée et ravitaillée[64]. Les choses n'allaient pas si vite. Dans l'après-midi dur juin, seuls le Ier et le IIe corps étaient massés à Wavre ; encore manquaient-ils de munitions et de vivres. Le grand parc avait été dirigé par Gembloux sur Wavre ; mais éviterait-il la cavalerie française ? Pour les IIIe et IVe corps, ils pouvaient être suivis de si près par les Français qu'il leur faudrait s'arrêter et livrer bataille[65]. Vers cinq heures, comme le bruit de la canonnade de
Genappe allait diminuant, le grand parc arriva. Trois heures plus tard, le IIIe
corps traversa Wavre pour se rendre à la Bavette. A onze heures, enfin, un
rapport de Bülow annonça qu'il était à Dion-le-Mont avec la tête du IVe corps[66]. Blücher reçut
au même moment une dépêche de Müffling lui confirmant que Wellington avait
pris éventuellement à Mont-Saint-Jean des positions de combat[67]. Gneisenau
hésitait encore. — Si les Anglais sont battus,
objectait-il non sans raison, nous risquons d'être
complètement détruits. Blücher finit par décider son tout-puissant
chef d'état-major : — Gneisenau a cédé !
dit-il d'un air triomphant au colonel Hardinge[68], l'attaché
militaire anglais. Nous allons rejoindre le duc.
Il écrivit à Wellington : Le corps de Bülow se
mettra en marche demain à la pointe du jour dans votre direction. Il sera immédiatement
suivi par le corps de Pirch. Les Ier et IIIe corps se tiendront prêts aussi à
se porter vers vous. L'épuisement des troupes, dont une partie n'est pas
encore arrivée, ne me permet pas de commencer mon mouvement plus tôt[69]. Cette lettre parvint vers deux heures du matin[70] au duc Wellington, à son quartier-général de Waterloo, village situé à une lieue en arrière des premières lignes anglaises. Désormais assuré du concours des Prussiens, Wellington se détermina à accepter la bataille[71]. La fortune tournait encore pour lui ; mais il n'en était pas moins resté trop longtemps dans l'expectative. Le manque de nouvelles de Blücher devait lui faire penser que les Prussiens ne pourraient seconder son armée, et, bien qu'il ne voulût combattre qu'avec leur appui, il n'avait pris encore, à une heure du matin, aucune disposition de retraite[72]. Dans le moment même où Wellington arrêtait ses résolutions, Napoléon les pénétrait. Il s'était couché assez tard au Caillou. Auparavant, dans l'hypothèse d'une grande action pour le lendemain, il avait dicté un ordre de bataille[73]. Il s'était aussi fait lire le courrier arrivé de Paris, et avait dicté plusieurs lettres, nécessitées, dit Davout, par les ennuis et les embarras que lui causaient les intrigues de la Chambre des représentants[74]. Réveillé après avoir à peine dormi, l'empereur s'était levé vers une heure du matin pour faire la tournée entière de ses avant-postes. Seul l'accompagnait le général Bertrand. La pluie avait repris ; elle tombait à torrents. Quand Napoléon eut atteint la crête de la Belle-Alliance, les bivouacs anglais lui apparurent à petite portée de canon. Le silence y régnait, l'armée alliée semblait ensevelie dans le sommeil. A l'horizon, la forêt de Soignes, où se reflétaient, à travers un voile de pluie et de fumée, les innombrables feux allumés par les soldats, avait des lueurs rouges d'incendie. L'empereur jugea que les Anglais tiendraient sur ces positions. S'ils avaient dît battre en retraite de nuit ou même au lever du soleil, comme il le craignait, il y aurait eu déjà dans leur camp des mouvements préparatoires à une mise en marche. L'empereur rentra au Caillou comme le jour pointait[75]. Il y trouva la lettre que Grouchy lui avait écrite de Gembloux, la veille, à dix heures du soir. L'estafette était arrivée au Caillou vers deux heures[76]. Cette dépêche portait que les Prussiens semblaient se replier en deux colonnes, l'une vers Liège et l'autre vers Wavre, et que, si la marche de masses prussiennes sur Wavre était confirmée par les rapports de la nuit, Grouchy les suivrait afin de les séparer de Wellington[77]. Confiant dans la parole de son lieutenant, l'empereur ne crut pas devoir lui envoyer, pour l'instant, de nouvelles instructions[78]. Ce n'est pas à dire qu'il ait eu raison. Peu de temps après, des espions, puis des officiers envoyés en reconnaissance et des déserteurs belges vinrent, par leurs rapports, confirmer les prévisions de l'empereur. Les Anglais ne bougeaient pas. La bataille aurait lieu à Mont-Saint-Jean[79]. L'empereur croyait tenir la victoire. Le pâle soleil qui apparaissait à travers les nuées allait éclairer la perte de l'armée anglaise[80]. Napoléon était cependant troublé par l'inquiétude de ne pouvoir attaquer aussitôt qu'il le voudrait et qu'il le faudrait[81]. La veille au soir, dans l'espoir douteux que Wellington l'attendrait à Mont-Saint-Jean, il avait indiqué la position de bataille des différents corps d'armée, de façon à pouvoir engager l'action de bonne heure[82]. Malheureusement, l'orage avait détrempé les terres au point que, de l'avis des généraux d'artillerie, il serait impossible de faire manœuvrer les pièces. La pluie, il est vrai, venait de cesser ; mais il faudrait plusieurs heures pour étancher et raffermir le terrain[83]. Vers cinq heures, l'empereur, jugeant sans doute qu'il n'était plus nécessaire de faire occuper si tôt la position de bataille, et qu'il valait mieux laisser aux troupes le temps de se rallier, de nettoyer leurs armes et de faire la soupe, se détermina à attendre jusqu'à neuf heures pour commencer l'attaque. Il dicta à Soult cet ordre qui modifiait celui de la veille : L'empereur ordonne que l'armée soit prête à attaquer à neuf heures du matin. MM. les commandants de corps d'armée rallieront leurs troupes, feront mettre les armes en état et permettront que les soldats fassent la soupe. Ils feront aussi manger les soldats afin qu'à neuf heures précises chacun soit prêt et puisse être en bataille, avec son artillerie et ses ambulances, à la position de bataille que l'empereur a indiquée par son ordre d'hier soir[84]. |
[1] Rapport de Ney à Soult, Frasnes, 6 heures et demie du matin. (Papiers du général G.) Rapport de d'Erlon à Ney, 17 juin au matin. (Arch. Guerre.) — De 5 heures du matin à 2 heures après midi, il y eut seulement quelques coups de feu échangés entre les avant-postes. Lettre du colonel Taylor, du 10e hussards. (Waterloo Letters, 166.)
[2] Par la lettre du maréchal Soult écrite entre 7 et 8 heures du matin.
[3] Cette dépêche était arrivée vers 8 heures du soir. Lettre de Hervey, aide de camp de Wellington, 3 juillet 1815. (Nineteenth Century, mars 1803.) Cf. Damitz, II, 206.
[4] Lettre précitée de Hervey. Müffling, Aus meinem Leben, 206-207. Damitz, II, 206, 212.
[5] Lettre précitée de Hervey. Müffling, Aus meinem Leben, 206. Rapport du Prince d'Orange, 17 juin, 2 heures du matin. (Papiers du général G.)
[6] Ordres de Wellington, 16 juin (au soir). (Dispatches, XII, 474-476.) Lettres de Uxbridge, Kennedy, Vivian, Banner, Taylor. (Waterloo Letters, 5, 66, 93, 148, 166.) Van Leben, 231-232.
[7] Lettre précitée de Hervey, aide de camp de Wellington.
[8] Wellington, Mémorandum sur la bataille de Waterloo. (Suppl. Dispatches, X, 527.) Lettre précitée du colonel Taylor. Müffling, Aus meinem Leben, 207, et Hist. de la Camp., 16. Lettre précitée de Hervey. Général von Hoffmann, Geschichte des Feldzuges von 1815, 67. Lord Malesbury (d'après les Souvenirs du capitaine Bowles), Letters, II, 447. — Müffling et Hoffmann disent que l'officier chargé de cette reconnaissance était le quartier-maître général de l'armée anglaise, le colonel de Lancy. Je m'en tiens aux témoignages anglais.
[9] Lord Malesbury (d'après les notes du capitaine Bowles), Letters, II, 447. Cf. C. de W. (Müffling), Hist. de la Camp., 18, 19, 20.
[10] Müffling, Aus meinem Leben, 207.
[11]
Mémorandum sur la défense des Pays-Bas, 22 sept. 1814. (Dispatches of Wellington, XII, 129.)
Wagner, IV, 61.
[12] Wellington à lord Hill, 17 juin. (Dispatches, XII, 475.) Müffling, Aus meinem Leben, 208, et (C. de W.) Hist. de la Camp., 16. Lettre de Vivian. (Waterloo Letters, 166.) Siborne, History of the War in 1815, I, 250. Cf. le mémorandum de Wellington. (Suppl. Dispatches, X, 527.)
[13] Müffling, Aus meinem Leben, 208, et (C. de W.) Hist. de la Camp., 19, 20. Colonel Fraser, Letters, 543. Cf. von Ollech, Geschichte des Feldzuges von 1815, 180, et mémorandum de Wellington. (Supplem. Dispatches, X, 527.)
[14] C. de W. (Müffling), Hist. de la Camp., 18-19. Siborne, I, 252-253. Cf. Damitz, II, 226 ; W. Gomm., Letters, 356 ; et Waterloo Letters, 5, 27, 66, 94. 148, 253, 366, etc.
Tandis que cette infanterie se portait à Mont-Saint-Jean par Genappe et Rossomme, les troupes qui s'étaient concentrées à Nivelles sous lord Hill marchaient de cette ville sur Mont-Saint-Jean par Braine-l'Alleud. Cf. Ordres de Wellington à lord Hill (Quatre-Bras, au matin), 17 juin. (Dispatches, XII, 475.)
[15] Mercer, Journal of the Waterloo Campaign, I, 266. Cf. la lettre du colonel Taylor, du 10e hussards (Waterloo Letters, 166), qui rapporte qu'à midi il voyait les Français faire la soupe.
[16] Ordre de Soult à Ney, 17 juin, midi : Sa Majesté se rend à Marbais.
[17] Cf. Les lettres de Soult à Ney, Fleurus, 17 juin, 8 heures du matin (Registre du major-général), et en avant de Ligny, 17 juin, midi (duc d'Elchingen, Docum. inédits) où il recommande à ce maréchal d'envoyer des rapports et d'attaquer l'ennemi.
Il faut absolument rejeter la tradition locale d'après laquelle Napoléon se serait arrêté à Marbais chez un sieur Delestange et y aurait déjeuné et dormi une heure. (On m'a montré en Belgique vingt maisons où l'empereur s'est arrêté !) Il y a dix kilomètres du moulin de Bussy aux Quatre-Bras. L'empereur, parti du moulin vers midi et quart, arriva vers 2 heures à mille ou quinze cents mètres des Quatre-Bras. Comme il marchait avec les colonnes, c'est-à-dire au pas, il n'eut le loisir de faire qu'une courte halte à Marbais. D'ailleurs, cette halte était nécessitée par le temps qu'il fallait à l'officier porteur de l'ordre de Soult (ordre envoyé à midi) pour rejoindre Ney à Frasnes par la Voie romaine et Villers-Perwin. L'empereur avait voulu d'abord seconder l'attaque de Ney (voir l'ordre en question) et non la devancer. Mais, pris d'impatience à Marbais, il marcha aux Quatre-Bras sans attendre que Ney eût ouvert le feu.
[18] Napoléon, Mémoires, 109. Gourgaud, 76. Damitz, II, 226.
Il est bien précisé dans ces trois récits que c'étaient des hussards qui éclairaient la marche. Or, des cinq régiments de hussards qui se trouvaient à l'armée du Nord, les 1er, 4e et 5e étaient, le 17 juin, avec Pajol sur la route de Namur, et le 6e (division Maurin) en marche vers Gembloux avec Gérard. Il ne peut donc être question ici que du 7° régiment (colonel Marbot), de la division Jacquinot, du corps d'Erlon. La veille, quand d'Erlon avait rétrogradé sur Frasnes, il avait laissé devant Wagnelée cette division et la division Durutte. Nous savons, par la relation de Durutte (Sentinelle de l'armée, 8 mars 1836), que Jacquinot poussa au nord-ouest de Wagnelée jusque sur la route des Quatre-Bras à Namur, soit assez près de Marbais. Durutte nous apprend aussi que, le matin du 17, sa division fut rappelée par d'Erlon à Villers-Perwin ; mais il ressort de son récit que la cavalerie de Jacquinot ne suivit pas ce mouvement. Elle fut vraisemblablement laissée près de Marbais. L'empereur, l'ayant rencontrée là l'employa à former son avant-garde.
[19] Napoléon, Mémoires, 109.
Subervie, détaché du corps de Pajol dès l'après-midi du 16, avait marché le matin avec Lobau. La note précédente indique par quelles circonstances Jacquinot (du corps d'Erlon) se trouvait avec Napoléon. Domon (du corps Vandamme) et Milhaud venaient de rejoindre l'empereur qui, par sa lettre de 11 heures et demie, avait ordonné à Grouchy de les lui envoyer.
[20] Gourgaud, 76-77. Napoléon, Mém., 109-110.
[21] Pontécoulant, Souvenirs militaires, 180. Cf. Mercer, Journal of the
Waterloo Campaiqn, I, 269.
[22] Lettres du général Vivian et du colonel Taylor, du 10e hussards. (Waterloo Letters, 148, 154-155, 167.) Lettre de Hervey, aide de camp de Wellington, 3 juillet 1815. (Nineteenth Century, mars 1893.) Cf. Siborne, 251-258.
Taylor prétend qu'il entendit Wellington dire qu'il fallait engager le combat contre les cuirassiers, mais qu'il renonça à ce projet sur les justes observations de lord Uxbridge. Wellington ne devait penser, en tout cas, qu'à faire une seule charge contre les assaillants et à se replier aussitôt après. Il ne pouvait vouloir livrer bataille aux Quatre-Bras avec sa seule cavalerie à toute l'armée de Napoléon et à toute celle de Ney.
[23]
Lettres de lord Uxbridge, Vivian, Taylor, Kennedy, Banner, etc. (Waterloo Letters, 5, 2, 66,
94, 119, 148, 167, etc.) Mercer, I, 267-278. Tomkinson, Diary of a cavalry
officier, 383.
[24]
L'approche de l'armée impériale avait été signalée vers 1 heure ou 1 heure et
quart, et la retraite de la cavalerie anglaise commença vers 2 heures. Tous les
témoignages des combattants qui ont pensé à préciser l'heure s'accordent sur
ces points. Voir les lettres de lord Uxbridge, du colonel Gomm, du capitaine
Banner, du général Vivian, etc. (Waterloo
Letters, 5, 27, 94, 148, etc.)
[25] Mercer, Journal of the Campaign, I, 269-270. Cf. lettres du colonel Taylor et du général Vivian (Waterloo Letters, 154, 167.)
[26] Mercer, I, 269-270. Lettres de Vivian. (Waterloo Letters, 154, 167, etc.) W. Gomm, Letters, 356. Cotton, A Voice of Waterloo, 24. Gourgaud, 77. Napoléon, Mém., 110. Pontécoulant, Souvenirs, 180.
Par son silence sur ce mouvement de cavalerie, Napoléon semblerait dire implicitement qu'il attendit le corps de d'Erlon au moins une demi-heure pour lancer ses cavaliers en avant ; mais, d'après les documents anglais précités, il est manifeste que la poursuite par la cavalerie suivit immédiatement la retraite de lord Uxbridge. — Quant aux régiments employés en première ligne pour cette poursuite, nous savons, par les détails du combat de Genappe (voir plus loin), qu'ils appartenaient non à la division Domon, comme le dit Pontécoulant, mais aux divisions Subervie et Jacquinot.
[27] Gourgaud, 77-78. Napoléon, Mém., 110. — Les documents étrangers (Le Journal de Mercer, les Waterloo Letters, le livre de Damitz) confirment, absolument l'assertion de Napoléon sur l'immobilité de Ney.
[28] Notes journalières du général Foy, 17 juin. (Comm. par le comte Foy, Souvenirs du général De Salle, commandant l'artillerie du 1er corps en 1815. (Nouvelle Revue, 15 janvier 1895.) — Ces témoignages désintéressés doivent primer celui de d'Erlon (Notice sur ma vie, 96), qui ne mentionne point ces reproches de l'empereur. D'après lui, Napoléon aurait dit cependant avec une profonde tristesse : On a perdu la France ! Mais cette parole semblait à l'adresse du maréchal Ney.
[29] L'empereur a vu avec peine qu'hier vous n'ayez pas réussi : les divisions ont agi isolément. Ainsi vous avez éprouvé des pertes. Si les corps des comtes d'Erlon et Reille avaient été ensemble, il ne réchappait pas un Anglais du corps qui est venu vous attaquer ; si le comte d'Erlon avait exécuté le mouvement que l'empereur a ordonné, l'armée prussienne était totalement détruite, et nous aurions fait peut-être 30.000 prisonniers. Soult à Ney, Fleurus, 17 juin. (Registre du major-général.)
[30] Gourgaud, 78, Napoléon, Mém., 110. Fragment des mémoires de Molitor. (Arch. Guerre, Mém. historiques.)
[31] Wellington aurait peut-être tenté de se replier sur Nivelles. Mais les Français se trouvant deux contre un se fussent acharnés à sa poursuite, et, en tous cas, en prenant cette ligne de retraite, Wellington eût sacrifié Bruxelles et renoncé à toute jonction avec l'armée prussienne.
[32] Gourgaud, 78-79. Napoléon, Mém., 111. Pontécoulant, 183. — Cf. Napoléon, Mém., 182 : ... Que ne donnerais-je pas pour avoir aujourd'hui le pouvoir de Josué et retarder de deux heures la marche du soleil !
C'est bien Domon, et non Subervie, qui flanquait la droite.
[33] Mercer, Journal of the Waterloo Campaign, I, 270-274. — Pontécoulant, 185 : Cette marche ressemblait bien plus à un steeple-chase qu'à la poursuite d'un ennemi en retraite. — Gourgaud, 79 : L'ennemi fut poussé l'épée dans les reins. Cf. Waterloo Letters, 167-168.
Et c'est en parlant de cette poursuite furieuse que Wellington osa écrire dans son rapport du 19 juin (Letters and Dispatches, XII, 478) : L'ennemi n'essaya pas d'inquiéter notre retraite.
[34]
Sur les anciennes cartes, la petite rivière qui passe à Genappe porte le nom de
Thy et va plus loin vers l'est se confondre avec la Dyle. Mais la carte de
l'Etat-major belge nomme cet affluent : la Dyle. C'est l'appellation générale dans le pays.
[35] Tomkinson, Diary of a cavalry officier, 284, 285. Mercer, I, 275-278. Lettre de lord Uxbridge, Bruxelles, 28 juin, citée par Cotton, A Voice of Waterloo, 27. Lettres d'Evans, Grady, Vivian. (Waterloo Letters, 37, 60, 135, 155.) Siborne, I, 261-267. Pontécoulant, 186-187. Pétiet, Souvenirs militaires, 205-208. Paillard, Biographie du général Sourd, 15.
Dans l'escarmouche des Quatre-Bras, au combat de Genappe et pendant la retraite, les Anglais eurent 238 hommes tués, blessés ou prisonniers. (Etat des manquants, le 17 juin, Dispatches of Wellington, XII, 485.)
[36] Pétiet, Souvenirs, 204, 208. Pontécoulant, 185-186. Souvenirs d'un ex-officier, 281.
Pétiet était dans l'état-major de Soult. Pontécoulant, fils du sénateur, était lieutenant dans l'artillerie à cheval de la garde et attaché à la batterie même qui le 17 juin marcha à l'avant-garde.
[37] Larrey, Relations de Campagne, 395. Lettre de Sourd, citée par Paillard, Sourd, 17. Pontécoulant, 186.
[38] Le 26 novembre 1812, un canonnier amputé d'un bras en plein steppe se relève aussitôt après l'opération et reprend son chemin d'un pas ferme en disant : J'ai encore loin tout de même d'ici Carcassonne ! Général Lejeune, Mém., II, 275.
[39] Lettre du lieutenant Grady. (Waterloo Letters, 162.) Mercer, I, 275. Cotton, A Voice of Waterloo, 24. Napoléon, Mém., 111.
[40] Gourgaud (79) dit : 6 heures et demie ; Pétiet (208) : 6 heures.
Ces assertions sont confirmées par les témoignages étrangers. Le prince d'Orange, dans son rapport au roi des Pays-Bas, Bruxelles, 22 juin (Suppl. Dispatches of Wellington, X, 555), dit que toutes les troupes étaient en position sur les hauteurs de Mont-Saint-Jean à 6 heures du soir ; et Mercer (I, 281-282) rapporte qu'il rejoignit l'arrière-garde de Brunswick près de Mont-Saint-Jean, la dépassa, établit sa batterie, et que, peu après, les Brunswickois traversèrent le vallon, suivis par l'avant-garde française.
Il n'y a que 12 kilomètres des Quatre-Bras à la Belle-Alliance, mais la poursuite, très vive au début, s'était beaucoup ralentie après le combat de Genappe qui avait duré plus d'une heure. Cf. le rapport de von Gröben (cité par von Ollech, 179), qui, à Mont-Saint-Guibert, entendait la canonnade.
[41] La Belle-Alliance est un cabaret situé sur la grande route de Charleroi à Bruxelles, au bord extrême du plateau qui fait face au plateau de Mont-Saint-Jean. Le nom de Belle-Alliance avait été donné ironiquement à cette chaumière en souvenir d'un mariage du premier propriétaire, qui était vieux et laid, avec une jolie paysanne.
[42] Gourgaud, 79. Napoléon, Mém., 111-112. Mercer, 1, 281-283. Pétiet, 208209. Lettre du capitaine Rudyart. (Waterloo Letters, 232.) Cotton, 27.
[43] Relation de Reille. (Arch. Guerre.) Notes journalières du général Foy. Comm. par le comte Foy.) Notes du chef de bataillon Duuring. (Comm. par M. de Stuers.) Relation de Durutte. (Sentinelle de l'armée, 8 mars 1836.) Relation de la dernière campagne (par René Bourgeois, chirurgien-major aux cuirassiers), 67.
[44] Gourgaud, 79-80. Napoléon, Mém., 112. Pétiet, 209.
[45] Mercer, I, 283.
[46] D'Erlon à Ney, au bivouac, 17 juin au soir. (Arch. Guerre.)
[47] D'Erlon à Ney, au bivouac, 17 juin. (Arch. Guerre.) Relation de Reille. Notes précitées de Foy. Notes du capitaine de Stuers, des lanciers rouges Comm. par M. de Stuers. Dupuy, Souv. milit., 288-289. Cf. Relation de la dernière camp., 71.
[48] Relation du général Petit. Notes précitées du chef de bataillon Duuring du 1er chasseurs à pied de la garde. Cf. Mauduit, Derniers jours de la Grande Armée, II, 230. — Dans sa relation, Petit laisse en blanc le nom du village, mais ce ne peut être que Glabais, seul village qui se trouve entre Genappe et la ferme du Caillou, à l'est de la route de Bruxelles. Il n'y eut que le 1er bataillon du 1er chasseurs qui vint jusqu'au Caillou ; il servit de garde au quartier-impérial. Duuring, qui commandait ce bataillon, rapporte que le lendemain il vit du Caillou défiler la garde sur la grande route.
[49] René Bourgeois (chirurgien-major aux cuirassiers), Relation de la dernière campagne, 67, 71. Lemonnier, Souv. milit., 375. Mauduit, II, 231-233. Précis des journées des 15, 16, 17 et 18 juin (Amblez de Londres, LII, 430). Souvenirs d'un ex-officier, 281-283. Pétiet, Souv. milit., 209. — On pilla aussi à Gembloux, et la nuit précédente on avait pillé à Fleurus, à Ligny, à Saint-Amand, à Gosselies. Voir les ordres du jour de Vandamme, Gembloux, 17 juin (Arch. Guerre) ; de Foy, Gosselies, 17 juin. Registre de corresp. comm. par le comte Foi) ; et la lettre du général Radet à Soult, Fleurus, 17 juin, où il offre sa démission de grand-prévôt de l'armée. (Arch. Guerre.)
[50] Mauduit, II, 921. Lettre de Lavoye, sous-lieutenant au 29e de ligne, Soissons, 26 juin. (Comm. par M. Pin) Lemonnier, 375. Souvenirs d'un ex-officier (du 45e), 283-284 ; Relation de la dernière campagne, 71. — L'auteur de cette relation, le chirurgien Bourgeois, des cuirassiers, ne cache point ses sentiments ultra-royalistes ; son témoignage n'eu a que plus de poids sur ce point.
[51] Colonel Tomkinson, The Diary of a cavalry officier, 287. Lettres de Gomm, Kennedy, Taylor, Pratt, etc. (Waterloo Letters, 28, 67, 168, 326, et passim.) Cotton, A Voice of Waterloo, 28 ; Relation anglaise de la bataille de Waterloo, 13, 32 ; Relation (anglaise) de la campagne de Flandre, 215, 223, 236, 285. Mercer, Journal of the Campaign, II, 285-292. Lettre de Hervey, aide de camp de Wellington, 3 juillet 1815. (Nineteenth Century, mars 1893.)
[52] Journal des séjours de l'empereur. (Arch. nat., AF* IV, 437.)
Avec sa façade à deux étages, ses petites proportions et le jardin qui l'entoure, le Caillou a plutôt l'aspect d'une maison de campagne que d'une ferme. C'est d'ailleurs aujourd'hui une habitation de plaisance. Une grange qui y attenait en 1815 a été incendiée par les Prussiens dans la nuit du 18 juin. La chambre où coucha l'empereur, le 17 juin, est située au rez-de-chaussée et donne sur la route. Ses gens de service y avaient dressé son lit de camp, garni d'une courtepointe de soie à crépines d'or et orné de rideaux de satin vert. Près de cette chambre, et prenant jour sur le jardin, est le salon-salle à manger où il dîna le 17 et déjeuna le 18. — Par la cordiale hospitalité des propriétaires actuels du Caillou, Mme veuve Emile Goulot' et ses deux fils, MM. Emile et Henry Coulon, je me suis assis à la table même, pieusement conservée, où Napoléon prit pour ainsi dire son dernier repas comme empereur.
Avec M. Emile Coulon, que je ne saurais assez remercier pour les traditions locales et les documents de toutes sortes qu'il a recueillis dans la contrée à mon intention, je veux remercier, de sa réception et de ses renseignements, M. Clément Lyon, de Charleroi. Il a bien voulu me servir de guide depuis cette ville jusqu'au-delà de Ligny, dans une des excursions que j'ai faites sur le théâtre de la guerre avec mon aimable confrère de la Sabretache, M. Paul Marmottan. — Que MM. Gouttier, notaire à Braine-L'Alleud ; Van Malderghem, sous-conservateur des Archives de Bruxelles ; Berger, bourgmestre de Genappe ; le De Delpierre, de Braine-L'Alleud ; Viandier, notaire à Nil-Saint-Vincent, agréent aussi mes remerciements.
[53] La Belle-Alliance, ode à la Princesse d'Orange, par Conquébau (fils du fermier du Caillou, Boucqueau, dont Conquébau est l'anagramme), note 9. — Tous ces faits, ainsi que les détails donnés dans notre note précédente, sont consignés dans les actes de vente du Caillou (communiqués par M. Emile Coulon).
[54] Napoléon, Mémoires, 114. Cf. lettre de Soult à Grouchy, le Caillou, 18 juin, 10 heures du matin. (Registre du major-général.) Cf. Wagner, IV, 55. Damitz, II, 226.
C'était la brigade du colonel de Sohr postée derrière Tilly pour observer les mouvements des Français. Deux ou trois pelotons se détachèrent du gros des cuirassiers afin de reconnaître la cavalerie prussienne. Après une légère escarmouche, celle-ci se retira lentement et fut suivie à distance jusque près de Mont-Saint-Guibert (9 kilomètres à vol d'oiseau de Tilly). Là à 4 heures environ, les cuirassiers s'éloignèrent.
Wagner se trompe en disant que la cavalerie de Sohr n'arriva à Mont-Saint-Guibert qu'à la nuit tombante. Nous savons par le rapport de von Graben (cité par von Ollech, 170) que dès 5 heures cette cavalerie fut relevée à Mont-Saint-Guibert par le détachement de Ledebur (corps Bülow).
[55] Napoléon (Mémoires, 115) dit expressément qu'il envoya à 10 heures du soir, le 17, l'ordre à Grouchy de porter un détachement de 7.000 hommes à Saint-Lambert pour se relier à la droite de l'armée impériale, et de marcher lui-même avec toutes ses troupes sur ce point dès qu'il se serait assuré que Blücher avait évacué Wavre. (Cf. Gourgaud, Camp. de 1815, 82, oui le même ordre est rapporté en termes un peu différents.)
Cette assertion est manifestement inexacte. Si, comme il est vraisemblable, mais non certain, l'empereur écrivit, le soir du 17, à Grouchy, ce fut uniquement pour l'informer de la marche d'une colonne prussienne sur Wavre et lui enjoindre de se porter lui-même dans cette direction, afin de se rapprocher de l'armée impériale et de se mettre en rapport d'opérations avec elle. La preuve, c'est que le lendemain matin, à 10 heures, Napoléon envoya ces instructions-là à Grouchy. (Soult à Grouchy, le Caillou, 18 juin, 10 heures. Registre du major-général.) — Si le 17, alors que Napoléon ignorait encore s'il livrerait bataille le lendemain, il avait envoyé à Grouchy l'ordre précis et formel d'occuper Saint-Lambert, à plus forte raison le 18, à 10 heures du matin, quand la bataille allait s'engager, il lui eût donné ce même ordre. Or, dans la lettre écrite au Caillou, il est question de Wavre et non de Saint-Lambert.
Le témoignage de Baudus (souvenirs manuscrits), que Soult ayant conseillé à l'empereur, le soir du 17, de rappeler une partie des forces de Grouchy, son avis fut repoussé, est une autre preuve que la lettre en question ne fut pas envoyée.
Quant à l'argument de nombreux historiens, que Napoléon ne put envoyer cet ordre à Grouchy le soir du 17, puisque cet ordre ne figure pas au registre du major-général, il est sans valeur. Durant cette campagne, plusieurs ordres de Napoléon ne furent pas transcrits sur ce registre, notamment la lettre de Soult à Ney du 17 juin, Ligny, midi (duc d'Elchingen, Docum. inédits) et la lettre de Soult à Grouchy, 18 juin, 1 heure. (Citée par Grouchy, Relat. succ., App. I, 21.)
Au témoignage d'un certain Letourneur, dont la lettre est citée dans la Relation succincte de Grouchy (App. IV, 21), un aide de camp de Blücher racontait à Caen, en 1815, que l'officier français porteur de l'ordre de 10 heures du soir fut amené à Wavre au feld-maréchal, soit qu'il eût été pris, soit qu'il eût trahi. Il n'est question de cela dans aucun document allemand.
[56] Il faut savoir si Blücher et Wellington se proposent de se réunir pour couvrir Bruxelles. Napoléon à Grouchy ; Ligny, 11 heures et demie du matin. (J'ai cité cette lettre in extenso, pp. 229-230.)
[57] Même le lendemain matin, Napoléon n'admettait pas encore cette hypothèse. C'est seulement à une heure après midi qu'il fit écrire à Grouchy : Rapprochez-vous de l'armée afin qu'aucun corps ennemi ne puisse se mettre entre nous. Voir les deux lettres à Grouchy, le Caillou, 18 juin, 10 heures (Registre du major-général), et en avant du Caillou, 18 juin, 1 heure. (Citée par Grouchy, Relat. succ., Appendice, I, 21.)
[58] Napoléon, Mémoires, 119. Cf. 193-196, 198-199.
[59] Cf. l'ordre précité à Grouchy, 17 juin : Instruisez-moi des mouvements de l'ennemi, de manière que je puisse pénétrer ce qu'il veut faire.
[60] Napoléon, Mémoires, 195, 199. Cf. la lettre de Bassano à Caulaincourt (le Caillou, 18 juin au matin, Arch. Aff. étr., 1802) où se reflète la pensée de l'empereur : La victoire de Ligny est d'une haute importance. L'élite de l'armée prussienne a été écrasée. Le moral de cette armée s'en ressentira longtemps. — La Relation de l'Ambigu, de Londres (LII, 429), que Napoléon jugeait très véridique : ... On s'exagéra les résultats de la bataille de Ligny. — Les paroles de Soult citées dans les notes manuscrites de Baudus : Dans l'état où la bataille a mis l'armée prussienne, il suffirait d'un faible corps pour l'observer.
[61] Les lettres de Wellington où il annonce qu'il va livrer bataille sont datées : Waterloo, 18 juin (de 2 heures à 4 heures du matin). (Dispatches, XII, 470, 478, et Supplementary, 501.) Jusque-là il prend éventuellement position. Il espère combattre le lendemain à Colville, 17 juin, au soir (Dispatches, XII, 476) : ... L'armée conservera probablement demain sa position en avant de Waterloo, mais il n'a pas encore pris de résolution ferme. — Aussi Hügel, commissaire du roi de Wurtemberg au quartier-général anglais, écrit à son souverain le 17 juin au soir : A la nouvelle de la retraite des Prussiens, Wellington s'est retiré à Waterloo et conservera cette position si Blücher tient sa promesse. (Lettre citée par Pfisfer, Aus dem Lager der Verbündeten, 307.)
[62] Müffling, Aus meinem Leben, 208. Cf. Rapport de Wellington à Bathurst, Waterloo, 18 juin (Dispatches, XII, 479), et Memorandum de Wellington. (Supplementary Dispatches, X, 527.)
[63] Von Ollech, I, 186.
[64] Von Ollech, I, 187.
[65] Wagner, IV, 55. Damitz, II, 145-146,
207. Von Ollech, I, 166-167, 187.
[66] Lettre de Bülow, Dion-le-Mont, 17 juin, 10 heures du soir. (Citée par von Ollech, 167-108.) Damitz, II, 207-210.
[67] Von Ollech, I, 187.
[68] Témoignage de Hardinge, cité par Stanhope, Notes of conversations with the duc of Wellington, 110. Cf. l'article du colonel Maurice dans l'United Service Magazine, de juillet 1890. — Hardinge, blessé à Ligny aux côtés de Blücher (on dut l'amputer du poignet gauche), avait été transporté à Wavre.
[69] Blücher à Müffling, Wavre, 17 juin (entre 11 heures et minuit) (citée par von Ollech, 187). Ordres à Bülow et à Pirch, Wavre, 17 juin, minuit (cités par le même, 188). Cf. C. de W. (Müffling), 20.
[70] De Wavre à Waterloo il y a quinze kilomètres à vol d'oiseau. Müffling (C. de W., 20) dit que cette lettre arriva à 9 heures du matin. C'est un lapsus, car les lettres de Wellington, datées de 3 heures après minuit, prouvent qu'il avait déjà reçu la dépêche de Blücher.
[71] Wellington à sir Charles Stuart, au duc de Berry, à lady Webster, Waterloo, 18 juin, 3 heures du matin. (Dispatches, XII, 476, et Supplementary, X, 501.)
Dans ces lettres, Wellington semble certain de la victoire à Mont-Saint-Jean ; mais il admet la possibilité d'être tourné par Hal, auquel cas il abandonnerait sa position et découvrirait Bruxelles. Tenez-vous prête à quitter Bruxelles pour Anvers, écrit-il à lady Webster, au cas où cela deviendrait nécessaire.
[72] Le maréchal Wolseley (Déclin et Chute de Napoléon, 196) juge inconcevable la conduite de Wellington. Pour l'expliquer, il est assez disposé à admettre, sans cependant se prononcer absolument, que, comme l'ont dit ou répété Lockart, Young, le colonel Maurice et Ropes, le duc serait allé Wavre dans la soirée, aurait conféré avec Blücher et serait revenu è Waterloo avant minuit, avec l'assurance formelle de la coopération des Prussiens.
Or cette excursion de Wellington au quartier-général prussien est infirmée, implicitement mais péremptoirement, par la lettre de Blücher citée plus haut. En outre, si Wellington avait été à Wavre, comment Müffling n'en eût-il rien su ni dit, et comment la chose n'eût-elle pas été ébruitée et coulée ensuite par les historiens allemands et anglais
(Depuis que j'ai écrit cette note, M. Archibald Fortes a publié (Century, 1er janvier 1898) un article où il nie absolument, pour beaucoup de bonnes raisons, la prétendue visite de Wellington au maréchal Blücher, à Wavre. Il reproduit en outre un entretien de Wellington au cours duquel le duc a dit : Il n'est pas vrai que je sois allé à Navre. Je n'ai pas vu Blücher la veille de Waterloo.)
[73] Napoléon, Mémoires, 118. — Dans l'ordre de Soult du 18 juin (Arch. Guerre) que je citerai plus loin, il est en effet parlé d'un ordre de bataille dicté la veille au soir par l'empereur.
[74] Souvenirs de Davout sur les Cent Jours dictés à Gordon, précepteur de son fils. (Comm. par le général duc d'Auerstædt.)
Cette assertion de Davout ne me paraît point devoir être mise en doute, d'autant qu'il y avait eu, le 16 juin, à la Chambre, une séance assez orageuse dont il fut rendu compte à l'empereur. Note pour l'empereur, 16 juin (Arch. Aff. étr., 1802), et Berlier à Bassano, 17 juin (Arch. nat., AF, IV, 1933) : Le projet de finances donnera matière à discussion pour les Chambres. Cela vaudra mieux, car, quand on n'a pas de quoi s'occuper, on s'agite et on ne peut le faire que d'une façon fâcheuse... Les succès de l'armée seront bien utiles pour relever le courage des hommes faibles et en imposer aux mécontents.
L'auteur de Napoléon, sa Famille, ses amis, etc. (IV, 382, 385) assure, d'après une confidence faite par l'empereur à Regnaud de Saint-Jean-d'Angély, qu'une main traîtresse avait glissé clans ce courrier du 17 juin un billet signé : Duc d'Enghien, Ferdinand VII, Pie VII, où la chute prochaine de l'empereur était prophétisée en termes apocalyptiques. Ce même auteur dit encore que, sur le champ de bataille de Ligny, le lendemain de l'action, un blessé français avait prédit à Napoléon une trahison des généraux en chef, et que, dans le verger du Caillou, on trouva cette inscription : Ici sera le tombeau des Français. Il me parait que c'étaient bien des présages pour un seul jour !
[75] Napoléon, Mémoires, 120. — Le récit de Napoléon est confirmé par les notes de Conquébau (Boucquau, fils du fermier du Caillou), écrites en 1816 (La Belle-Alliance, Ode dédiée à la Princesse d'Orange) et par les traditions locales. L'empereur, dans sa visite aux avant-postes, s'arrêta à la ferme de Chantelet où le maréchal Ney avait pris gîte. Soult, Bertrand, Bassano étaient couchés au Caillou, dans les pièces du second étage, sur de la paille ; d'autres officiers généraux logèrent à Plancenoit et à Monplaisir.
[76] Gourgaud, 82. — Il y a plus de 8 lieues de Gembloux au Caillou par Sombreffe et les Quatre-Bras. Il n'est donc pas extraordinaire que l'estafette ait mis, en pleine nuit, quatre heures à ce trajet. Marmont, toujours très peu véridique, prétend (Mém., VII, 124), d'après le témoignage du colonel Bernard, que cette lettre arriva au quartier-impérial à 8 heures du soir, c'est-à-dire deux heures avant d'avoir été écrite ! Napoléon (Mém., 116) est également inexact en disant : 1° que cette lettre était datée de 5 heures ; 2° qu'il la reçut à 11 heures.
[77] J'ai cité cette lettre in extenso, au chapitre précédent.
[78] Napoléon (Gourgaud, 83, et Mém., 117) prétend avoir envoyé alors un duplicata de l'ordre qu'il avait expédié à 9 heures, prescrivant à Grouchy de porter un détachement à Saint-Lambert. Les raisons que j'ai données contre l'envoi par l'empereur d'un ordre à Grouchy d'occuper Saint-Lambert valent également contre le prétendu duplicata de ce prétendu ordre.
[79] Napoléon, Mémoires, 122. Cf. Gourgaud, 84, et discours de Drouot à la Chambre des pairs. (Moniteur, 24 juin.)
[80] Napoléon, Mémoires, 122.
[81] Napoléon, Mémoires, 122.
[82] L'existence de cet ordre du 17 juin (de 8 à 10 heures du soir), que personne n'a signalé jusqu'ici, est prouvée par les mots de l'ordre de Soult du 18 juin au matin (Arch. Guerre, Armée du Nord) : ... afin que chacun puisse être en bataille à la position de bataille que l'empereur a indiquée par son ordre d'hier soir.
C'est évidemment pour l'exécution de cet ordre de la soirée que Foy avait prescrit à sa division d'être sous les armes à Genappe, à 3 heures et demie du matin, et de se tenir prête à suivre le mouvement de la division Jérôme. (Ordre, Genappe, 17 juin. Registre de corresp. de Foy, comm. par le comte Foy.)
[83] Napoléon, Mémoires, 122. Discours de Drouot à la Chambre des pairs. (Moniteur, 24 juin.)
[84] Ordre de Soult, quartier-général impérial, 17 juin (entre 4 et 5 heures du matin). (Arch. Guerre, Armée du Nord.)
Cet ordre prouve que l'empereur comptait attaquer dès 9 heures du matin. On en doit conclure aussi que, le soir du 17, il avait l'intention d'attaquer de meilleure heure encore. En effet, si Napoléon avait déjà prescrit, dans son ordre de 10 heures du soir, que l'armée fût en bataille à 9 heures du matin, il n'eût point cru utile de réitérer ce même ordre au point du jour. Dans le second ordre, il n'est point question de nouvelles positions. On doit occuper les positions indiquées la veille. Pourquoi alors ce second ordre, si ce n'est pour fixer une autre heure de rassemblement ? Quant aux causes de ce retardement, je l'ai dit, c'est l'état du terrain et aussi la, nécessité de donner aux troupes, qui étaient très dispersées, le temps de se rallier.