1815

LIVRE I. — L'ENTRÉE EN CAMPAGNE

 

CHAPITRE III. — LES PREMIERS COMBATS.

 

 

I

Le 15 juin, à trois heures et demie du matin, les avant-gardes françaises passèrent la frontière à Leers, à Cour-sur-Heure et à Thy[1]. D'après l'ordre de mouvement expédié du quartier-impérial dans la soirée de la veille, l'armée marchait sur Charleroi en trois colonnes principales : la colonne de gauche — corps de Reille et corps d'Erlon par Thuin et Marchienne — ; la colonne centrale — corps de Vandamme, corps de Lobau, garde impériale et réserve de cavalerie de Grouchy —, par Ham-sur-Heure, Jamioulx et Marcinelle ; la colonne de droite (corps de Gérard), par Florenne et Gerpinnes[2].

L'empereur avait tout combiné au point de vue proégétique pour faire l'écoulement rapide de ces masses et pour éviter aux hommes l'énervante fatigue du piétinement sur place ; il avait tout disposé au point de vue tactique pour faciliter en cas de résistance sérieuse de l'ennemi le prompt déploiement et l'aide mutuelle des diverses colonnes. La levée des bivouacs pour les différents corps d'armée était échelonnée de demi-heure en demi-heure, les troupes les plus proches de la frontière ayant à se mettre en mouvement dès trois heures du matin, les troupes les plus éloignées à huit heures seulement. Douze régiments de cavalerie éclairaient la marche. II était prescrit aux autres troupes à cheval de cheminer à la gauche de l'infanterie. Les sapeurs de chacun des corps d'armée devaient être réunis et marcher dans chaque corps après le premier régiment d'infanterie légère. Trois compagnies de pontonniers avec quinze pontons et quinze bateaux étaient désignées pour suivre immédiatement le corps de Vandamme ; les ambulances devaient se mettre en mouvement à la suite du quartier impérial. Il y avait ordre de brûler toute voiture qui se glisserait dans les colonnes et de ne laisser approcher, jusqu'à nouvel avis, à, plus de trois lieues de l'armée les bagages et les parcs de réserve. Les généraux commandant les avant-gardes étaient tenus de régler leur marche de façon à rester toujours à la hauteur les uns des autres ; ils devaient, s'éclairer dans toutes les directions, interroger les habitants sur les positions ennemies, saisir les lettres dans les bureaux de poste, se communiquer leurs renseignements et adresser de fréquents rapports à l'empereur qui serait de sa personne avec la tête de la colonne centrale. Toute l'armée devait avoir passé la Sambre avant midi[3].

Cet ordre de mouvement est, avec justice, regardé comme un modèle. Jamais aux heures fortunées d'Austerlitz et de Friedland, Napoléon n'avait dicté un dispositif de marche plus étudié ni mieux conçu. Jamais son génie n'avait été plus lucide, jamais il n'avait mieux montré son application au détail, ses larges vues sur l'ensemble, sa clarté et sa maîtrise de la guerre.

Par malheur, les ordres ne furent point ponctuellement exécutés. Drouet d'Erlon prit sur lui de commencer son mouvement à quatre heures et demie[4], au lieu de lever ses bivouacs à trois heures, comme cela était prescrit. Vandamme, qui devait partir à trois heures, attendait encore à cinq les instructions du quartier-impérial : la nuit, l'officier porteur de l'ordre de mouvement s'était cassé la jambe en tombant de cheval et était resté inerte et isolé en pleine campagne. Vandamme ne fut prévenu de la marche de l'armée que par l'arrivée du corps de Lobau à l'arrière de ses bivouacs[5]. Les troupes de Gérard, enfin, qui devaient également se mettre en route à trois heures, se trouvèrent massées au point de rassemblement, à la hauteur de Florenne, à sept heures seulement[6].

Tout le 4e corps était en émoi. On venait d'apprendre que le général de Bourmont, commandant la division de tête, avait passé à l'ennemi. Cette désertion confirmait bien malencontreusement les craintes de trahison et les suspicions contre les chefs dont les soldats avaient l'esprit troublé depuis trois mois. Des murmures, des imprécations partaient des rangs. Un des brigadiers de Bourmont, le général Hulot, jugeant le moment critique, harangua les deux régiments sous ses ordres ; il leur jura solennellement, l'épée à la main, de combattre avec eux les ennemis de la France jusqu'à son dernier souffle[7]. Gérard, à son tour, crut devoir passer devant le front des troupes et leur adresser quelques paroles ; elles répondirent par des acclamations[8]. Gérard était lui-même très ému de la désertion de son protégé Bourmont. Hulot lui en donna les détails.

Un peu après cinq heures du matin, Bourmont était monté à cheval à Florenne avec tout son état-major, le colonel Clouet, le chef d'escadrons de Villoutreys, les capitaines d'Andigné, de Trélan et Sourda et une escorte de cinq chasseurs. Les avant-postes français passés, il avait remis au brigadier de chasseurs une lettre pour Gérard, écrite à Florenne, l'avait congédié ainsi que l'escorte, et s'était lancé au galop avec ses officiers dans la direction de la frontière[9]. Il disait dans sa lettre à Gérard : ... Je ne veux pas contribuer à établir en France un despotisme sanglant qui perdrait mon pays... J'aurais donné ma démission et serais allé chez moi, si j'avais pu croire qu'on m'en laissât le maître. Cela ne m'a pas paru vraisemblable et j'ai dû assurer ma liberté par d'autres voies... On ne me verra pas dans les rangs étrangers. Ils n'auront de moi aucun renseignement capable de nuire à l'armée française, composée d'hommes que j'aime et auxquels je ne cesserai de porter un vif attachement[10].

Deux heures après avoir écrit cette protestation qu'il n'était qu'un déserteur et non un traître, Bourmont révélait au colonel de Schutter, commandant les avant-postes prussiens de la Sambre, que les Français attaqueraient Charleroi dans l'après-midi[11]. Un peu plus tard, il dit au colonel de Reiche, aide de camp de Zieten, que l'armée française s'élevait à 120.000 hommes[12]. Enfin, quand vers trois heures il rencontra Blücher près de Sombreffe, il se serait sans doute empressé de répondre à toutes les questions que celui-ci lui eût posées. Mais le vieux soldat, révolté de voir un homme portant l'uniforme de général de division déserter le matin d'une bataille, daigna à peine lui parler. Un officier de l'état-major prussien ayant fait remarquer au feld-maréchal qu'il devrait se montrer moins brusque envers Bourmont, puisque celui-ci avait une cocarde blanche, Blücher, sans se soucier d'être compris par le transfuge, qui pouvait savoir l'allemand, dit tout haut : — Qu'importe la cocarde ! J. F. sera toujours J. F. ![13]

 

II

L'ennemi n'avait pas besoin des renseignements du comte de Bourmont. Dès le 9 juin, Zieten et le général Dörnberg, qui commandait la brigade de cavalerie légère détachée en avant de Mons, étaient informés de grands mouvements de troupes vers la frontière. Le 12, le général Dörnberg, avait envoyé à Wellington, qui l'avait fait transmettre à Blücher, l'avis que 100.000 Français se concentraient entre Avesnes et Philippeville. Le 13, le même Dörnberg, qui avait de nombreux espions sur la frontière, écrivit directement à Blücher qu'une attaque lui paraissait imminente. Le 14, Pirch II annonça de Marchienne que les Français attaqueraient le lendemain. Dans la soirée, les avant-postes prussiens se rendaient parfaitement compte de la proximité de l'armée impériale. En vain on avait eu la précaution d'établir les feux de bivouac dans des plis de terrain, la lueur de ces innombrables brasiers réverbérait sur le ciel qui s'illuminait d'une grande clarté blanche[14].

Tout en croyant que Napoléon ne prendrait pas l'offensive, Wellington et Blücher s'étaient cependant concertés, dès le 3 mai, dans une entrevue à Tirlemont[15], en prévision de cette éventualité. Avaient-ils expressément arrêté ce jour-là, comme l'exposent nombre d'historiens, une concentration sur la ligne Sombreffe les Quatre-Bras ? C'est douteux, car ils ignoraient si l'armée française déboucherait par Philippeville, par Maubeuge, par Condé ou par Lille. Bien plutôt, les deux commandants en chef s'étaient entendus seulement pour une jonction en avant de Bruxelles, sans fixer le point précis ; les circonstances en décideraient[16]. Le surlendemain de la conférence de Tirlemont, Blücher, toujours zélé pour la cause commune, avait prescrit à ses troupes, afin de les rapprocher de l'armée anglaise, un mouvement général sur leur droite. Le Ier corps se concentra à Fleurus, le IIe à Namur ; le IIIe corps marcha de Trèves sur Arlon, puis sur Dinant et Huy ; le IVe vint de Coblentz à Malmédy et, un peu plus tard, à Liège. Blücher porta son quartier-général de Liège à Namur[17]. Zieten, commandant le Ier corps d'armée, le plus proche des cantonnements anglais, reçut l'ordre de se tenir en étroit contact avec l'armée de Wellington. En cas d'attaque, lui fit écrire Blücher dès le 5 mai, vous attendrez à Fleurus le développement des manœuvres de l'ennemi, et vous donnerez au duc de Wellington ainsi qu'à moi des nouvelles au plus vite[18]. Sinon Wellington, qui sur la promesse de Blücher, à Tirlemont, de couvrir le flanc gauche de l'armée anglaise, avait échelonné ses forces de façon à protéger surtout les routes d'Ath, de Mons et de Nivelles[19], du moins Blücher était donc préparé à subir une attaque du côté de Charleroi. Le 14 juin avant midi, le feld-maréchal, renseigné par les rapports de Pirch II et de Dörnberg, commença à prendre des dispositions pour une concentration de toute son armée à Fleurus[20].

Les avant-postes de Pirch II, qui couvraient le front du corps de Zieten, s'attendaient, dans la nuit du 14 juin, à être attaqués au point du jour. Ils reçurent les tirailleurs français à coups de fusil, puis, en danger d'être débordés, ils se retirèrent pied à pied, de position en position, jusqu'à la Sambre. Dans ces divers engagements, à Thuin, à Ham, au bois de Montigny, à la ferme de la Tombe, les Prussiens perdirent environ 500 hommes, tués, blessés ou prisonniers[21]. Toujours poussant l'ennemi, les têtes de colonnes françaises arrivèrent entre neuf et dix heures au bord de la Sambre : la division Bachelu, du corps de Reille, devant Marchienne ; la cavalerie de Pajol, devant Charleroi. Les ponts, barricadés, étaient défendus par de l'infanterie et du canon. L'attaque de Marchienne, trop longuement préparée, prit deux heures. Ce fut seulement un peu avant midi que le 2e léger enleva le pont à la baïonnette. Reille fit aussitôt déboucher le 2e corps, mais le pont étant étroit, les quatre divisions et la cavalerie n'eurent achevé leur mouvement qu'au milieu de l'après-midi. Le 1er corps, qui suivait le corps de Reille, ne commença de traverser la Sambre qu'à quatre heures et demie[22].

Pajol fut aussi retenu longtemps devant le pont de Charleroi. Entre neuf et dix heures, le tee hussards tenta un hurrah qui échoua sous le feu nourri des tirailleurs embusqués dans lés maisons et derrière la barricade. Pour forcer cette position, il fallait de l'infanterie. Pajol se résigna à attendre le corps de Vandamme, dont il se croyait suivi à courte distance. Comme on sait, ce corps d'armée avait levé ses bivouacs quatre heures trop tard. Vers onze heures, Pajol vit arriver non point Vandamme, mais l'empereur lui-même avec les marins et les sapeurs de la garde et la jeune garde de Duhesme. Informé du retard de Vandamme, Napoléon avait envoyé l'ordre à la division Duhesme de quitter son rang dans la colonne centrale pour se porter à vive allure vers Charleroi par un chemin de traverse. Sapeurs et marins s'élancèrent sur le pont et déblayèrent la barricade, ouvrant le passage aux escadrons de Pajol. Les Prussiens s'étaient déjà retirés. Les cavaliers, gravissant au grand trot la rue escarpée et sinueuse qui traverse Charleroi du sud au nord, les poursuivirent jusqu'à la bifurcation des deux routes. Pajol détacha le 1er hussards sur la route de Bruxelles pour éclairer la gauche et s'engagea avec le gros de sa cavalerie sur la route de Fleurus par laquelle les Prussiens débusqués de Charleroi opéraient leur retraite[23].

 

III

Il était un peu plus de midi[24]. L'empereur, acclamé par les habitants[25], traversa Charleroi. Il s'arrêta au pied des glacis éboulés, à quelque cent mètres en deçà de l'embranchement des routes de Bruxelles et de Fleurus, près d'une petite guinguette appelée la Belle-Vue. De là, on dominait toute la vallée de la Sambre. Il descendit de cheval, se fit apporter une chaise de la Belle-Vue et s'assit au bord de la route. Les troupes défilaient. En l'apercevant, cavaliers et fantassins poussaient des vivats qui couvraient les roulements des tambours et les éclats des trompettes. L'enthousiasme tenait de la frénésie ; des soldats sortaient des rangs pour embrasser le cheval de leur empereur[26]. Selon un témoin, Napoléon s'assoupit bientôt, et le bruit des acclamations ne put le tirer de son sommeil[27]. Le fait ne paraît pas invraisemblable si l'on se rappelle qu'à Paris, aux mois d'avril et de mai 1815, l'empereur était pris souvent de ces somnolences subites, et si l'on réfléchit que ce jour-là, à midi, il était resté déjà sept ou huit heures à cheval.

Gourgaud, qui avait accompagné le 1er hussards sur la route de Bruxelles, revint, vers deux heures, annoncer que les Prussiens se montraient en forces à Gosselies. L'empereur le dépêcha aussitôt à Marchienne, avec l'ordre pour le général Reille de marcher sur Gosselies. Inquiet néanmoins pour sa gauche, jusqu'à l'exécution de ce mouvement, il fit établir sur la route de Bruxelles, à deux kilomètres de Charleroi, un des régiments de jeune garde de Duhesme et une batterie à cheval. Peu après, il donna l'ordre à Lefebvre-Desnoëttes de se porter au soutien du 1er hussards avec la cavalerie légère de la garde (lanciers et chasseurs), et il dicta à Soult une lettre pour d'Erlon, enjoignant à celui-ci de marcher sur Gosselies pour seconder Reille[28]. Cette lettre venait d'être expédiée, — il était un peu plus de trois heures, — quand survint le maréchal Ney[29].

Arrivé le 13 juin à Avesnes, en poste, sans ses chevaux et avec un seul aide de camp, Ney n'avait trouvé, le lendemain, qu'une carriole de paysans pour aller à Beaumont. Là, dans la matinée du 15, il avait acheté deux chevaux au maréchal Mortier, rendu impotent par une sciatique soudaine, et avait piqué sur Charleroi en longeant les colonnes. Les soldats le reconnaissaient ; ils paraissaient heureux de le revoir. Ça va marcher ! criaient-ils, voilà le rougeaud[30].

L'empereur, qui voulait aussi que ça marchât, dit au maréchal : — Bonjour, Ney. Je suis bien aise de vous voir. Vous allez prendre le commandement des 1er et 2e corps d'armée. Je vous donne aussi la cavalerie légère de ma garde, mais ne vous en servez pas. Demain vous serez rejoint par les cuirassiers de Kellermann. Allez, poussez l'ennemi sur la route de Bruxelles et prenez position aux Quatre-Bras[31].

Sur le terrain, en présence de l'ennemi, le beau plan stratégique conçu à Paris par Napoléon se précise et se développe. Il comptait seulement, dans cette première journée, se porter sur le point de jonction présumé des deux armées alliées de façon à les y devancer. Maintenant, puisque ses adversaires lui en laissent le temps, il va étendre son champ d'action et les mettre dans l'impossibilité de se réunir. Le gros des Anglais venant de Bruxelles et le gros des Prussiens venant de Namur, les deux armées doivent nécessairement opérer leur jonction par la chaussée de Namur à Nivelles qui passe à Sombreffe et croise aux Quatre-Bras la route de Charleroi à Bruxelles. L'empereur veut donc porter son aile gauche aux Quatre-Bras et son aile droite à Sombreffe[32]. Lui-même s'établira à Fleurus, sommet du triangle formé par ces trois points, prêt à fondre, le lendemain, avec sa réserve sur celle des armées ennemies qui s'approchera la première. Si toutes deux se dérobent, il gagnera Bruxelles sans tirer un coup de canon.

Grouchy arriva comme l'empereur achevait de donner ses instructions au maréchal Ney, qui partit sur-le-champ. Grouchy était parvenu une heure auparavant, avec les dragons d'Exelmans, au pont de Charleroi où défilait encore la jeune garde ; impatient de rejoindre son 1er corps de cavalerie, qu'il supposait engagé, il avait devancé la colonne et s'était porté à Gilly en un temps de galop. Après avoir reconnu cette position, il venait demander des ordres à l'empereur. Celui-ci monta aussitôt à cheval, voulant se rendre compte par lui-même. Il était trois heures passées, les dragons d'Exelmans avaient fini de déboucher à la suite de la garde, et la tête de colonne de Vandamme entrait dans Charleroi[33].

Le général Pirch II avait établi sa division en arrière de Gilly, le front couvert par le ruisseau boueux du Grand-Rieux. Quatre bataillons et une batterie occupaient les pentes des hauteurs boisées qui dominent le vallon depuis l'abbaye de Soleillemont jusqu'à Chatelineau : trois autres bataillons se tenaient en réserve près de Lambusart ; un régiment de dragons observait la Sambre, de Chatelet à Farciennes[34]. Trompé par l'extension de cette ligne de bataille, extension qui avait précisément pour but d'imposer aux Français, Grouchy évaluait les forces de l'ennemi à une vingtaine de mille hommes[35]. L'empereur jugea au premier coup d'œil qu'il y en avait tout au plus dix mille. Il arrêta avec Grouchy, investi verbalement du commandement de l'aile droite[36], les dispositions d'attaque. Une des divisions de Vandamme, secondée par la cavalerie de Pajol, aborderait l'ennemi de front, tandis que Grouchy le prendrait de flanc, en passant à gué le ruisseau, près du moulin Delhatte, avec les dragons d'Exelmans. On poursuivrait alors les Prussiens jusqu'à Sombreffe où l'on prendrait position[37].

Ces ordres donnés, l'empereur regagna Charleroi afin de presser la marche du corps de Vandamme[38]. Il eût mieux valu qu'il restât à Gilly. En son absence, Vandamme et Grouchy mirent deux heures à combiner leur attaque. Vers cinq heures et demie, l'empereur, surpris de ne point entendre le canon, revint sur le terrain et enjoignit à Vandamme de donner tête baissée contre l'ennemi[39].

Après une courte canonnade qui éteignit le feu des pièces de Pirch, trois colonnes, de deux bataillons chacune, s'élancèrent baïonnettes croisées. Les Prussiens postés en première ligne n'attendirent pas le choc. Sur l'ordre de Zieten, Pirch les mit incontinent en retraite. Irrité de voir ces bataillons se retirer sans pertes, l'empereur ordonne à l'un de ses aides de camp, le général Letort, de charger, d'écraser l'infanterie prussienne avec ses escadrons de service. Letort ne prend pas le temps de réunir les quatre escadrons. Il part avec les seuls dragons ; les autres suivront quand ils seront prêts ! Il franchit le ruisseau au nord de la route, dans la partie la moins encaissée du ravin, retraverse la route de Sart-Allet devant les colonnes de Vandamme et fond sur les Prussiens en retraite. Des quatre bataillons ennemis, deux parvinrent à gagner les bois de Soleillemont. Les deux autres, formés en carrés, furent enfoncés et sabrés ; leurs débris se sauvèrent dans les bois, dont une compagnie du 1er régiment de la Prusse occidentale occupait la lisière. En les poursuivant, Letort reçut une balle dans le ventre et tomba mortellement blessé à bas de son cheval. Les dragons adoraient ce chef doux et intrépide ; ils vengèrent sa mort en massacrant tout ce qu'ils trouvèrent à portée de leurs longues épées[40].

Pendant ce combat, les dragons d'Exelmans, brigades Burthe et Vincent en tête, débouchaient au-dessus de Chatelineau, culbutaient le régiment de dragons du colonel Moïsky, chassaient un bataillon du bois de Pironchamp et le rejetaient sur Lambusart. Toutes les troupes de Pirch s'étant ralliées là, l'ennemi fit tête. Attaqué simultanément par les dragons d'Exelmans et par la cavalerie légère de Pajol, qui avait dépassé les colonnes de Vandamme, il se replia au-delà de Fleurus[41]. Grouchy avait conduit en personne l'attaque de droite. Bien que le jour déclinât, il voulait emporter Fleurus, occupé seulement par deux bataillons[42], et pousser les Prussiens jusqu'à Sombreffe, selon les ordres de l'empereur. Mais Vandamme, qui avait déjà commencé d'établir ses bivouacs entre Winage et les bois de Soleillemont, refusa formellement d'aller plus loin, disant que ses troupes étaient trop fatiguées, et que d'ailleurs il n'avait point d'ordres à recevoir du commandant de la cavalerie[43]. Grouchy, ne pouvant attaquer Fleurus sans infanterie, s'arrêta à deux portées de canon de ce village. Les corps d'Exelmans et de Pajol bivouaquèrent en première ligne, couvrant l'infanterie de Vandamme, entre Lambusart et Campinaire[44].

 

IV

L'aile gauche n'avança pas non plus aussi loin que Napoléon l'aurait voulu. Le 1er hussards, envoyé de Charleroi sur la route de Bruxelles, avait rencontré vers une heure et demie, au-delà de Jumet, la cavalerie de Lutzow et les tirailleurs du 29e régiment qui couvraient la concentration à Gosselies de la division Steinmetz. On s'observa assez longtemps, puis les deux cavaleries s'engagèrent. Les uhlans ramenaient vivement les hussards, lorsqu'ils furent chargés et repoussés à leur tour par les lanciers de Piré, avant-garde du corps de Reille[45]. Reille pressa la marche de son infanterie, parvint sur les trois heures à portée de canon de Gosselies et fit ouvrir le feu contre ce village. Au moment où les colonnes d'attaque commençaient leur mouvement, arriva le maréchal Ney[46] avec la cavalerie légère de la garde qu'il avait rejointe en route. Gosselies, défendu par le 29e régiment prussien, fut occupé après un léger combat. L'affaire n'était cependant point terminée. La plus grosse fraction de la division Steinmetz se trouvait encore en marche à l'ouest de Gosselies ; par l'occupation de ce village, la route directe sur Heppignies et Fleurus lui était coupée. Sans hésiter, Steinmetz poussa quelques bataillons contre les Français qui commençaient à déboucher de Gosselies, les y refoula et, sous la protection d'un fort détachement tenant les maisons au nord du bourg, il continua sa retraite sur Heppignies[47].

La route de Bruxelles était libre, et l'on avait encore près de quatre heures de jour. Mais le maréchal Ney jugea sans doute que, malgré l'ordre formel de l'empereur de pousser l'ennemi, il s'était déjà trop avancé par rapport à l'aile droite de l'armée. Au lieu de continuer sa marche avec toutes ses troupes, il établit les divisions Girard, Foy et Jérôme autour de Gosselies, dirigea sur Mellet la division Bachelu et la cavalerie légère de Piré et détacha seulement vers les Quatre-Bras les lanciers et les chasseurs de la garde[48].

Arrivés vers cinq heures et demie en vue de Frasnes[49], les lanciers de la garde furent reçus à coups de canon. Le village était occupé par un bataillon de Nassau et une batterie à cheval commandés par le major Normann. Cet officier, laissé sans aucune instruction, mais entendant la canonnade de Gosselies, avait pris aussitôt des dispositions pour défendre bravement son poste. Lefebvre-Desnoëttes fit incontinent demander quelque infanterie. Un bataillon du 2e léger, tête de colonne de la division Bachelu, parvenu à la hauteur de Mellet, continua sa route vers Frasnes en accélérant le pas. Les tirailleurs ouvrirent le feu contre les Nassaviens. En attendant ce renfort, Lefebvre-Desnoëttes avait dirigé une partie des lanciers sur la droite de Frasnes, de façon à tourner l'ennemi[50]. L'escadron de l'île d'Elbe (Polonais), commandé par le général Edouard de Colbert en personne, poussa jusqu'aux Quatre-Bras qui n'étaient pas occupés. Mais Colbert se trouva là sans soutien, fort loin du gros de sa division ; il revint près de Frasnes[51]. Dans l'intervalle, le bataillon du major Normann s'était replié sur la route en maintenant toujours les Français à petite portée de canon. Il prit position sur la lisière du bois de Bossu, à deux kilomètres en avant des Quatre-Bras, où arrivait au même instant le prince Bernard de Saxe-Weimar avec quatre bataillons de Nassau[52]. Prévenu fortuitement à Genappe du passage de la Sambre par les Français, ce jeune prince avait, de son chef, mis ses troupes en marche pour aller occuper cet important point stratégique[53].

Au bruit du canon, le maréchal Ney rejoignit son avant-garde. Il reconnut la position. Bien que les Nassaviens fussent seulement 4.500 avec six bouches à feu[54], c'était assez pour défendre les Quatre-Bras contre les 1.700 lanciers et chasseurs de Lefebvre-Desnoëttes[55] soutenus par un seul bataillon. Ney se contenta de faire exécuter quelques charges assez molles contre les fantassins de Nassau, en position devant les Quatre-Bras, et de diriger à l'est de ce point, du côté de Sart-Dame-Aveline, une reconnaissance qui ne s'approcha même pas à portée de fusil des petits-postes ennemis[56]. Puis, un peu avant huit heures, il rallia à Frasnes, où elle s'établit, la division Lefebvre-Desnoëttes, et revint à Gosselies pour y passer la nuit[57].

L'aide de camp de Ney pendant cette campagne, le colonel Heymès, a donné, comme explication de la conduite du maréchal, qu'il n'y avait pas une chance sur dix de s'emparer des Quatre-Bras[58]. En effet, quand Ney arriva en vue des Quatre-Bras, non point à dix heures du soir comme le prétend Heymès, mais à sept heures au plus tard comme on vient de le voir, il pouvait difficilement songer à enlever cette position avec deux régiments de cavalerie et un bataillon. Mais si dès cinq heures de l'après-midi, étant à Gosselies, il avait mis en marche sur la route de Bruxelles le quart seulement des troupes que l'empereur lui avait confiées, soit deux divisions de cavalerie, deux d'infanterie et quatre batteries[59], avant neuf heures il eût exterminé aux Quatre-Bras avec ces 14.000 hommes les 4.500 fantassins du prince Bernard de Saxe dont la plupart n'avaient que dix cartouches[60]. En arrêtant le corps de Reille autour de Gosselies, Ney, pour la première fois de sa vie, avait cédé à la prudence. Il avait renoncé à occuper les Quatre-Bras, sinon par un poste de cavalerie au cas où ce point ne serait pas défendu. Il avait jugé que ce serait compromettre son corps d'armée que de le porter en flèche, à quatre lieues de l'aile droite, dans une position où l'on pouvait se trouver aux prises avec toutes les forces de Wellington. Des stratégistes ont déclaré que Ney agit selon les vrais principes de l'art de la guerre. C'est bien possible. Mais si le prince Bernard de Saxe-Weimar avait entendu ces principes-là, il n'aurait pas obéi à l'inspiration de marcher aux Quatre-Bras avec quatre bataillons, au risque d'y être écrasé par toute l'armée française.

 

 

 



[1] Reille à Soult, Gosselies, 15 juin, 9 heures du soir. Notes de Pajol sur la journée du 15 juin. (Arch. Guerre, Armée du Nord.)

[2] Ordre de mouvement pour le 15, Beaumont, 14 juin. (Napoléon, Correspondance, 22053.) Soult à Vandamme, à Grouchy et à Gérard, Beaumont, 14 juin. (Registre du major-général. Bibliothèque nationale, Manuscrits, F. Fr., 4366.)

[3] Ordre de mouvement pour le 15 juin, Beaumont, 14 juin. (Napoléon, Correspondance, 22053.)

[4] Ordre du chef d'état-major du 1er corps, Avesnes, 14 juin. (Arch. Guerre.)

[5] Lobau à Soult, Jamignon (Jamioulx), 15 juin, 8 heures du soir. Janin, Campagne de Waterloo, 6-7. — L'adjudant-commandant Janin était sous-chef d'état-major de Lobau.

[6] Rapport de Hulot (communiqué par le baron Hulot).

[7] Rapport de Hulot. (Communiqué par le baron Hulot.)

[8] Rapport de Hulot. Cf. Mauduit, les Derniers Jours de la Grande Armée, II, 33, et la Relation de l'Ambigu de Londres, LII, 423 : La trahison de Bourmont inspira aux soldats la crainte d'autres trahisons et les prédisposa à se rebuter facilement des échecs et des souffrances.

[9] Rapport de Hulot. Cf. Clouet, Quelques mots sur la conduite du comte de Bourmont, 11-22. — Dans la soirée du 14, Bourmont avait soupé avec le général Hulot, sans lui laisser rien soupçonner de sa détermination, dit Hulot ; en la lui annonçant, dit Clouet. Le témoignage de Hulot nous parait plus sûr.

[10] Bourmont à Gérard, Florenne, 11 juin, au matin. (Arch. Guerre. Dossier de Bourmont.) — La lettre de Bourmont, comme le dit Bulot, était accompagnée d'une autre lettre de Clouet à Gérard qui se trouve également au dossier de Bourmont.

C'est en vain que dans sa lettre Bourmont s'efforce d'excuser sa conduite. Il est trop prouvé que, loin de le contraindre à prendre un commandement, l'empereur n'avait consenti à l'employer que sur les instances réitérées de Ney et de Gérard. Vraisemblablement, si ces deux officiers généraux avaient tant insisté, c'était à la demande de Bourmont lui-même. La lettre à Gérard ne prouve qu'une chose : la préméditation de Bourmont, préméditation confirmée d'ailleurs par le détail, cité plus loin, d'une cocarde blanche à son chapeau dès son entrée sur le territoire ennemi. Il n'avait pas, apparemment, trouvé cette cocarde sur la grande route. Cf. sur la conduite peu louable de Bourmont, Les Cent Jours en Belgique par un émigré. (Bibliothèque universelle de Genève, juillet-août 1857.)

[11] Von Ollech, Geschichte des Feldzuges von 1815, 100.

[12] Rapport de Zielen, sur la hauteur près de Gilly, 15 juin, une heure et demie (cité par von Ollech, 101). Cf. von Ollech, 100 et Hooper (Waterloo, 68) qui rapporte, au témoignage de sir Francis Head, présent le 15 juin à l'état-major de Zieten, que Bourmont aurait livré l'ordre pour le mouvement de la journée en disant qu'il avait exécuté sa chère intention de trahir Napoléon, a cherished intention of betraying Napoleon.

Non content d'avoir parlé, Bourmont écrivait le soir, de Namur, au duc de Feltre, comme s'il voulait laisser une pièce à conviction de sa trahison : ... Parti ce matin de Florenne, j'ai laissé le 4e corps sous les ordres du général Gérard à Philippeville. Il aura probablement marché aujourd'hui sur Charleroi. Le reste de l'armée, c'est-à-dire trois corps et la garde, était massé vers Beaumont. Il est vraisemblable que les Anglais on les Prussiens seront attaqués demain. (Catalogue des autographes de Benjamin Fillon, n° 2840.)

[13] Einerlei was das Volk für ein Zeichen ansteckt ! Hundsfott bleibt Hundsfott ! Siborne, I, 56. — Cf. von Ollech, 101, qui dit que Blücher laissa passer Bourmont sans rien lui demander.

[14] Ordre de Zieten, Charleroi, 9 juin, et lettres de Dörnberg, Zieten, Hardinge, Pirch II et Steinmetz, 9, 12, 13 et 14 juin (von Ollech, 87-88, et Suppl. Dispatches of Wellington, X, 436, 437, 454, 455, 476).

[15] Wellington au prince d'Orange, Bruxelles, 3 mai (au matin et 9 heures du soir) ; à Hardinge, Bruxelles, 5 mai. (Dispatches, XII, 345 et 349.) Müffling, Aus meinem Leben, 183.

[16] Cf. Müffling, Aus meinem Leben, 200-201. Siborne, History of the war in 1815, I, 39. Damitz, Hist. de la camp. de 1815 (traduc. fr.), I, 32. Van Leben, Précis de la campagne de 1815, trad. du hollandais, 96. Chesney, Conférences sur Waterloo, trad. de l'anglais, 119. Von Ollech, Geschichte des Feldzuges von 1815, 45. Ropes, The campaign of Waterloo, 71, 91, 92.

Sauf le livre de Müffling, qui n'est pas, d'ailleurs, très clair sur ce point, aucun document contemporain ne précise les décisions prises à Tirlemont. Il est fort vraisemblable que, selon la judicieuse remarque de Ropes, Müffling donne connue ayant été arrêté entre Blücher et Wellington un plan de concentration conçu par lui-même après les événements et qu'imposaient d'ailleurs, en cas d'une attaque du côté de Charleroi, les positions des armées et la configuration du terrain. Mais Ropes va trop loin en disant qu'il ne fut question à Tirlemont que de plans d'offensive. Les lettres de Wellington du 30 avril au prince d'Orange, à lord Uxbridge et à lord Hill (Dispatches, XII, 337) témoignent que le duc pensait alors à se prémunir contre une attaque et que, comme le dit Müffling (Aus meinem Leben, 190), il désirait qu'au cas échéant l'armée prussienne vînt prolonger sa gauche. De là, le but de l'entrevue de Tirlemont. Les ordres de Blücher du 5 mai, en vertu desquels les Prussiens commencèrent à se rassembler sur leur droite, indiquent que, le 3 mai, des mesures défensives avaient été concertées entre les deux généraux. J'ai été très satisfait de mon entrevue avec Blücher, écrivait, le 4 mai au soir, Wellington au prince d'Orange. (Dispatches, XII, 345.)

[17] Ordres de Blücher, Liège, 5 mai (cités par von Ollech, 45-16). Hardinge à Wellington, 5 mai. (Supplementary Dispatches, X, 239.) — Blücher vint à Namur du 10 au 15 mai.

[18] Blücher à Zieten, Liège, 5 mai (cité par von Ollech, Geschichte des Feldzuges von 1815, 45).

[19] Wellington au prince d'Orange, Bruxelles, 9 et 12 mai. (Dispatches, XII, 365, 367.) Prince d'Orange à Wellington, Braine-le-Comte, 10 et 12 mai. (Suppl. Dispatches, X, 271, 281.)

[20] Ordres de Blücher et de Gneisenau, Namur, 14 juin. Blücher à Müffling, Namur, 15 juin, 9 heures du matin (cités par von Ollech, 90-91, 96).

[21] Reille à Soult, Gosselies, 15 juin, 9 heures du soir. Notes de Pajol, 15 juin. (Arch. Guerre.) Damitz, I, 62-63. Wagner, IV, 11-12.

[22] Reille à Soult, Gosselies, 11 juin, 9 heures du soir. Relation de Reille. D'Erlon à Soult, Marchienne, 15 juin, 4 heures et demie du soir. Notes de Pajol. (Arch. Guerre.) Damitz, I, 64. Wagner, IV, 12.

[23] Notes de Pajol sur la journée du 15 juin. (Arch. Guerre.) Gourgaud, 44. Napoléon, Mém., 79. Damitz, I, 63-16. Journal manuscrit de Gourgaud. (Papiers du général G.)

[24] Les notes de Pajol et le Bulletin de l'armée (Moniteur, 18 juin) concordent sur l'heure où Pajol, que l'empereur suivait de près, traversa Charleroi : midi. Les documents allemands disent : 11 heures et demie.

[25] Napoléon, Correspondance, 22055. Récit de l'Ambigu, de Londres, LII, 422. Traditions locales. — A Charleroi, les Prussiens s'étaient rendus odieux.

[26] Merode-Westerloo, Mémoires, I, 348. Notes manuscrites du colonel Baudus (comm. par M. de Montenon). Traditions locales.

La Belle-Vue a été démolie il y a une quinzaine d'années. Elle se trouvait à la gauche de la route, à environ 150 mètres au sud du point où est aujourd'hui le passage à niveau du Grand-Central-Belge.

[27] Notes précitées du colonel Baudus. — Baudus était alors commandant, attaché à l'état-major de Soult.

[28] Journal manuscrit de Gourgaud. Notes de Pajol. (Arch. Guerre.) Soult à d'Erlon, en avant de Charleroi, 15 juin, 3 heures. (Registre du major-général.) Cf. Napoléon, Mém., 80-81. Gourgaud, Camp. de 1815, 45-46.

[29] La question, très importante, de l'heure où Ney rejoignit l'empereur, a suscité des discussions innombrables. Heymès (Relation, 6) dit : 7 heures. Pajol (Notes sur la journée du 15 juin, Arch. Guerre) dit : midi. Garrot (lettre rectificative, Annales militaires, octobre 1818) dit : dans l'après-midi. Tous les historiens disent : de 4 à 5 heures.

De l'ensemble et de la concordance des témoignages cités ci-après, il est hors de doute que l'entrevue de Ney et de l'empereur eut lieu entre 3 heures et 3 heures et quart au plus tard :

1° Gourgaud (Journal manuscrit) dit que Ney prit le commandement avant l'attaque de Gosselies ;

2° Gourgaud (Camp. de 1815, 46) dit que Ney arriva au moment où Reille se portait de Marchienne sur Gosselies ;

3° Reille (Relation, Arch. Guerre) dit que Ney vint prendre le commandement du 2° corps quand ce corps d'armée marchait sur Gosselies ;

4° Ney lui-même (lettre au duc d'Otrante, 26 juin, Journal de l'Empire, du 29 juin) dit qu'il arriva à Charleroi au moment où l'ennemi se repliait sur Gosselies et que bientôt après il poussa l'ennemi et l'obligea d'évacuer Gosselies.

Or, de la guinguette de la Belle-Vue, point où Ney rencontra l'empereur, jusqu'à Gosselies, il y a 6 kilomètres ; et, d'après le témoignage des auteurs allemands et hollandais (Damitz, 67, Reiche, II, 416, von Ollech, 101, Treuënfeld, 103 et 128, van Löben, 123. Cf. Clausewitz, 30, Plotho, 30, Wagner, IV, 14, etc.), les Français attaquèrent Gosselies à 4 heures au plus tard.

Un mot encore pour prouver le peu de véracité d'Heymès. A l'entendre, Ney dut quitter Beaumont vers Il heures. Si donc il n'était arrivé à Charleroi qu'à 7, il aurait mis huit heures pour faire 26 kilomètres ! lui, un cavalier, avec un cheval tout frais, lui Ney, quand le canon grondait !

[30] Lettre de Ney au duc d'Otrante, 26 juin. (Heymès, Relation, 6). — On a vu (premier chapitre de ce livre) que Ney fut appelé à l'armée seulement le 11 juin, l'empereur ne s'étant déterminé qu'au dernier moment à lui donner un commandement.

[31] Ce sont les paroles mêmes d'Heymès (Relation, 6-7), — sauf les derniers mots relatifs aux Quatre-Bras que l'aide de camp de Ney, dans une brochure écrite uniquement pour la justification du maréchal, a naturellement oublié de mentionner. Mais Gourgaud (Camp. de 1815, 46) et Napoléon (Mém., 81) disent positivement que Ney reçut le 15 juin l'ordre de marcher aux Quatre-Bras. Et il y a, pour confirmer les dictées de Sainte-Hélène sur ce point, deux témoignages décisifs :

1° Grouchy (Observations sur la camp. de 1815, édition de Philadelphie, 1818, p. 32) dit que l'empereur, en sa présence, blâma la conduite de Ney qui avait suspendu le mouvement de ses troupes au lieu d'exécuter les ordres qui lui prescrivaient de se porter aux Quatre-Bras.

2° Le Bulletin de l'Armée, rédigé à Charleroi dans la soirée du 15 (Moniteur du 18 juin), porte :

L'empereur a donné le commandement de la gauche au prince de la Moskova, qui a eu ce soir son quartier général aux Quatre-Chemins (Quatre-Bras), sur la route de Bruxelles.

Ce dernier document, qui est péremptoire, clôt toute discussion.

[32] Grouchy dit positivement et à plusieurs reprises (Relation succincte, 12, et Appendices, IV, 32 et VII, 12 : déclaration de l'aide de camp Bella, et Notes sur les lettres de Jomini) que Napoléon lui donna non seulement verbalement, mais par écrit, l'ordre de poursuivre l'ennemi au-delà de Fleurus et de Sombreffe, et même de pousser des partis sur Gembloux. Cette assertion est confirmée par la lettre de Grouchy à Napoléon, Fleurus, 1i ; juin, 5 heures du matin (Arch. Guerre) : Je réunis en ce moment mes troupes pour effectuer le mouvement que vous avez ordonné sur Sombreffe.

Donc, malgré les dénégations de Napoléon dans la quinzième de ses Notes sur l'art de la guerre, du général Rogniat, il est certain que son objectif était d'occuper Sombreffe le soir du 15 juin.

Si l'on avait occupé Sombreffe, dit l'empereur dans cette note dictée à Sainte-Hélène, cela aurait fait manquer toutes les manœuvres, car la bataille de Ligny n'eût pas eu lieu. Or, ainsi que je le démontrerai plus loin par les lettres mêmes de l'empereur, cette bataille était absolument hors de ses prévisions le soir du 15 et même le matin du 16. Par conséquent, il ne pouvait vouloir manœuvrer, comme il l'a prétendu à Sainte-Hélène, pour amener une concentration des Prussiens sur ce point.

[33] Grouchy, Observations sur la Campagne de 1815, 61. Cf. Relation succincte, 11, où Grouchy dit que les dragons débouchèrent avant le corps de Vandamme, et le Bulletin de l'Armée (Moniteur, 18 juin) où on lit que le corps de Vandamme déboucha à 3 heures.

[34] Wagner, IV, 13. Damitz, I, 69-70. Von Ollech, 103.

[35] Grouchy, Relation succincte, 11.

[36] Grouchy, Relation succincte, 13, et Appendice IV, 31 : déclaration de l'aide de camp Bella. — De même que Napoléon avait donné à Ney le commandement de l'aile gauche, il donnait à Grouchy celui de l'aile droite. Mais les ordres écrits confirmatifs ne furent adressés aux deux maréchaux que le matin du 16. (Napoléon, Corresp., 22058, 22059. Soult à Ney et à Grouchy, Charleroi, 16 juin. Registre d'ordres du major-général.)

[37] Grouchy, Relation succincte, 11-12 ; Observations, 61. Notes de Pajol. (Arch. Guerre.) Cf. Gourgaud, 82-83. Napoléon, Mém., 40.

[38] Grouchy, Relation succincte, 11. Cf. Notes de Pajol. (Arch. Guerre.)

[39] Gourgaud, 40. Napoléon, Mém., 83. Journal manuscrit de Gourgaud, Damitz, II, 70-71. Notes du colonel Simon-Lorière sur les journées des 15 et 16 juin. (Arch. Guerre.) — Grouchy (Relation succ., 11 et 12, et Appendice IV, 31) ne veut pas reconnaître que lui et Vandamme aient perdu du temps. Il prétend même que Vandamme attaqua prématurément, sans attendre ses ordres. Or ce fut l'empereur lui-même qui donna l'ordre à. Vandamme d'attaquer. Grouchy, étant à. la droite, ne pouvait savoir exactement ce qui se passait au centre.

[40] Lettre de Kimann, chef d'escadrons aux dragons de la garde, au bivouac, 17 juin. (Papiers du général G.) Journal manuscrit de Gourgaud. Bulletin de l'Armée. (Moniteur, 18 juin.) Gourgaud, Camp. de 1815, 46-50. Napoléon, Mém., 83. Damitz, 71. Wagner, IV, 15.

[41] Grouchy à Napoléon, Campinaire, 15 juin, 10 heures du soir. Cf. Exelmans à Soult, 16 juin, et Pajol à Grouchy, Lambusart, 15 juin, 10 heures du soir. (Arch. Guerre.)

[42] Wagner, IV, 16.

[43] Grouchy, Relation succincte, 12, 13, et Appendice IV, 32 : déclaration de Bella. Cf. Pajol à Grouchy, Lambusart, 15 juin, 10 heures du soir. (Arch. Guerre.) Journal manuscrit de Gourgaud. — Gourgaud rapporte qu'après une longue et vive discussion Vandamme consentit à donner un bataillon. Mais trop de temps était perdu. Il faisait nuit noire.

Il faut remarquer que, le 15 juin, Vandamme ignorait qu'il fût sous les ordres de Grouchy, l'empereur ayant négligé de l'en informer, et Grouchy n'étant investi que verbalement du commandement de l'aile droite.

[44] Grouchy à Napoléon, Campinaire, 15 juin, 10 heures du soir. Pajol à Grouchy, Lambusart, 10 heures du soir. Vandamme à Napoléon, La Cens de Fontenelle, 10 heures du soir. (Arch. Guerre. Armée du Nord.)

[45] Relation de Reille. (Arch. Guerre.) Damitz, I, 66-67. Cf. Rapport de Zieten, 11 juin, 1 heure ½ (cité par von Ollech, 100) et Soult à d'Erlon, Charleroi, 15 juin. (Registre du major-général.)

On a vu plus haut que Gourgaud avait porté à Reille l'ordre de marcher de Marchienne sur Gosselies. Quand Reille reçut cet ordre, il s'était déjà de lui-même mis en marche sur Jumet.

[46] Relation de Reille. (Arch. Guerre.) Les divisions marchèrent sur le bois de Lombuc et Gosselies, dit Reille. C'est dans ce moment que le maréchal Ney vint prendre le commandement. — On n'est pas plus précis. — Cf. Journal manuscrit de Gourgaud. (Papiers du général G.)

[47] Relation de Reille. Journal manuscrit de Gourgaud. Cf. Wagner, IV, 14. Plotho, 30. Clausewitz, 30. Damitz, 68. Hoffmann, 28. Reiche, Réponse à Hoffmann. Von Ollech, 101. — D'après Plotho et Hoffmann, Steinmetz aurait repris et réoccupé complètement Gosselies. Mais Clausewitz et Reiche disent que sa division se fit jour à la baïonnette et continua sa retraite. Steinmetz lui-même, dans son rapport officiel (cité dans le Militaer Wochenblat, 1817), dit : Je gagnai Gosselies et continuai ma retraite jusqu'à Heppignies. — Il n'est pas question là d'une nouvelle occupation de Gosselies.

Steinmetz fut à peine poursuivi. C'est seulement à 8 heures du soir que, sur l'ordre de l'empereur de porter des forces dans la direction de Fleurus, la division Girard marcha par Ransart sur Wangenies et eut un nouvel engagement avec les Prussiens. (Reille à Soult. Gosselies, 15 juin. (Arch. Guerre.) Cf. Damitz, 68. Girard à Reille, Wangenies, 15 juin, 11 heures du soir.) (Papiers du général G.)

[48] Notes du chef d'escadrons de Stuers, des lanciers rouges (comm. par M. de Stuers). — La relation de Reille (Arch. Guerre, cf. Reille à Soult, Gosselies, 15 juin, 9 heures du soir) porte expressément que, après l'attaque de Gosselies, tout le 2e corps s'établit : trois divisions autour de Gosselies, deux divisions dont celle de Piré à Mellet, et que seule la cavalerie de la garde fut détachée sur la route de Bruxelles. Les page 2 et 8 de la Relation d'Heymès sont un tissu d'erreurs volontaires.

On remarquera aussi que, au mépris des ordres de l'empereur de ne pas employer la cavalerie de la garde, Ney envoya précisément ce corps d'élite à l'avant-garde, alors qu'il avait Piré sous la main.

[49] Le prince d'Orange [Rapport au roi des Pays-Bas, Nivelles, 17 juin, 2 heures du matin. (Papiers du général G.)] dit que l'attaque de Frasnes commença vers 5 heures. Le prince Bernard de Saxe-Weimar dans son rapport du 15 juin, Quatre-Bras, 9 heures du soir (cité par van Löben, 134-135) dit : à 6 heures et demie. Cette différence dans l'indication de l'heure provient sans doute de ce que le prince d'Orange entend par le commencement de l'attaque le moment où les lanciers arrivèrent devant Frasnes, et le prince Bernard, l'instant où le bataillon d'infanterie, qu'il avait fallu attendre près d'une heure, aborda le village.

[50] Rapports précités du prince d'Orange et du prince de Saxe-Weimar. Van Löben, 132-134. Notes du chef d'escadrons de Stuers, des lanciers de la garde (comm. par M. de Stuers). Cf. la lettre de Ney à Soult, Gosselies, 16 juin, 7 heures du matin (Papiers du général G.) où est mentionnée la présence à Frasnes du bataillon détaché de la division Bachelu.

[51] Colbert au duc d'Elchingen, 15 mai 1829. — Cette lettre, dont une copie m'a été communiquée par M. le général de Colbert, fut adressée au duc d'Elchingen, qui réunissait tous les témoignages des officiers sous les ordres de son père dans les journées des 15 et 16 juin, afin de les insérer dans sa brochure : Documents inédits, etc. Mais le duc d'Elchingen n'a pas publié cette lettre, on comprend pourquoi. Cette reconnaissance est mentionnée aussi par le colonel Lemonnier, aide de camp de Foy. (Campagnes, 236.) Il est hors de doute que Colbert poussa jusqu'aux Quatre-Bras ; mais ce général est mal servi par sa mémoire, en disant qu'il y vint vers 4 heures. Il put y arriver au plus tôt vers 6 heures, c'est-h-dire une heure avant que le prince de Saxe-Weimar n'y arrivât lui-même de Genappe.

[52] Rapports précités du prince d'Orange et du prince de Saxe-Weimar. Van Löben, 134. Cf. 130-132. Notes de Stuers. — Dans son rapport, le prince Bernard dit qu'il concentra sa brigade aux Quatre-Bras quand déjà le bataillon de Normann avait pris position au bois de Bossu.

[53] Van Löben (130-132) dit expressément que le prince Bernard s'était mis en mouvement, de son chef, pour se rendre aux Quatre-Bras avant d'en avoir reçu l'ordre expédié, vers 4 heures, de Nivelles, par le général Perponcher, lequel ordre avait été transmis d'abord à Houtain-le-Val. La remarque de Chesney (Waterloo, 128) est donc complètement erronée.

[54] 1er, 2e et 3e bataillons de Nassau ; 1er et 2e bataillons d'Orange-Nassau ; une compagnie de chasseurs à pied ; une batterie à cheval. En tout 11.500 hommes environ. — L'état de situation du 12 juin (cité par van Löben, 69) ne porte cette brigade qu'à 3,821 hommes ; mais le 2e bataillon d'Orange-Nassau et la compagnie de chasseurs n'y sont point mentionnés.

[55] La division Lefebvre-Desnoëttes comptait 2,067 hommes (Situation au 15 juin, signée d'Hériot, Arch. Guerre), mais deux escadrons de service étaient restés près de l'empereur.

[56] Notes du chef d'escadrons de Stuers et lettre de Colbert (précitées). Rapport du prince de Saxe-Weimar, Quatre-Bras, 9 heures du soir.

D'après ce rapport, tout était fini dès 8 heures, et le prince ne craignait plus aucune attaque dans la soirée. — Le prince d'Orange dit de même dans son rapport au roi des Pays-Bas : L'escarmouche cessa à 8 heures.

[57] Relation de Reille. (Arch. Guerre.) Notes de Stuers. Cf. Lettre de Ney au duc d'Otrante, 26 juin. (Journal de l'Empire, du 29 juin.)

[58] Heymès, Relation, 9.

[59] Dans ce cas, les deux autres divisions du corps de Reille se fussent portées à Mellet et elles eussent été remplacées à Gosselies par les deux premières divisions du corps de d'Erlon. On a prétendu que d'Erlon était très en arrière. C'est une erreur. Ses troupes serraient sur le 2e corps, mais voyant que ce corps s'était arrêté à Gosselies, il ne poussa pas plus loin que Jumet (2 kil. de Gosselies) où il prit gîte dans cette nuit du 15 au 16. (D'Erlon à Soult, Marchienne, 16 juin, 4 heures et demie du soir et 9 heures du soir. Arch. Guerre.)

[60] Rapport du prince de Saxe-Weimar, Quatre-Bras, 9 heures du soir cité par van Löben, 134).