1815

 

PRÉFACE.

 

 

Les monarques, les capitaines et les ministres ne sont pas les seuls personnages de l'Histoire. Le peuple et l'armée y jouent aussi leur rôle. A côté de la Cour et du Sénat il y a la place publique, autour du quartier général il y a le camp. Dans ce livre, qui est moins un chapitre de la vie de l'empereur que l'histoire de la France pendant une année tragique, j'ai cherché à peindre les sentiments des Français de 1815 et à marquer leur action sur les événements. Napoléon, Louis XVIII, Talleyrand, Fouché, Ney, Davout, Carnot, restent au premier plan, mais non loin d'eux on voit les paysans, les bourgeois, les ouvriers, les soldats, comme dans le théâtre grec on voit près d'Ajax et d'Agamemnon le chœur des vieillards et des guerriers.

Pour m'affranchir, avant de commencer ce travail, de toute opinion a priori, j'ai fait l'effort assez facile d'oublier le peu que je savais sur la Restauration et les Cent Jours. Je me suis mis à apprendre dans les différents dépôts d'archives cette page de l'histoire de France comme si elle m'était aussi inconnue que la chronique des empereurs de la Chine. Du milieu des papiers froissés et jaunis dont quelques uns, écrits sur le champ de bataille, semblent encore sentir l'enivrante fumée de la poudre, j'ai vu renaître les hommes et les choses. Sous cette impression directe, mon opinion s'est formée au jour le jour, vingt fois modifiée, enfin fixée et affermie grâce à la multitude des documents et à la concordance de la pluralité des témoignages.

J'ai tenté d'exprimer les idées et les passions de cette époque troublée avec le langage du temps. Quand je dis des mousquetaires les soldats d'antichambre, des vendéens les brigands et des prêtres les calotins, je parle comme les officiers à la demi-solde et les maçons du quai de Gêvres. Quand j'appelle Napoléon l'usurpateur ou l'aventurier Corse, les maréchaux de l'empire les va-nu-pieds, et les conventionnels les assassins, je parle comme les amis du comte d'Artois. De même, j'ai reproduit dans toute leur atrocité les propos sanguinaires des fédérés bonapartistes contre les nobles et les monstrueuses menaces de répression proférées à Gand et à Londres par les émigrés. L'historien ne doit pas seulement raconter les événements, il doit aussi, selon le mot de Saint-Marc-Girardin, faire revivre les passions qu'on n'a plus.

 

H. H. - 24 février 1893.