1814

LIVRE SEPTIÈME

I. — LA RÉGENCE ET LA DÉFENSE DE PARIS.

 

 

Depuis le départ de Napoléon pour l'armée, le gouvernement appartenait nominalement à l'impératrice, investie de la régence par lettres patentes du 23 janvier, effectivement au roi Joseph, nommé lieutenant général de l'empereur, à l'archichancelier, conseil de Marie-Louise, et aux ministres de l'Intérieur, de la Guerre et de la Police. À la vérité, si occupé et si absorbé qu'il fût par ses pressants devoirs de général en chef, l'empereur laissait rarement passer un jour sans écrire à Joseph, à Clarke, à Montalivet, à Rovigo sur toutes sortes de questions militaires, administratives et politiques[1]. Mais loin de Paris, imparfaitement renseigné par des rapports quelquefois trop optimistes, plus souvent trop alarmants, il ne pouvait donner que des avis, des conseils, des instructions et non des ordres précis et formels. Il en résultait que sauf pour ce qui regardait les renforts et les munitions à envoyer à l'armée impériale, les messages à faire passer aux commandants des autres armées et aux gouverneurs des places fortes, Napoléon était mal obéi, à peine écouté. On discutait, on différait, on éludait ses ordres. Je ne suis plus obéi, écrivait l'empereur, le 26 février, à Montalivet. Vous avez tous plus d'esprit que moi, et sans cesse on m'oppose de la résistance en m'objectant des mais, des si, des car[2]... De fait, beaucoup des mesures prescrites par Napoléon présentaient de grandes difficultés ; mais ces difficultés, les ministres ne tentaient rien pour les aplanir ou les tourner. Ils estimaient plus commode de les signaler au quartier impérial que de chercher les moyens d'y parer. Si Joseph et les ministres repoussaient comme impossibles à exécuter la plupart des projets de l'empereur, au moins auraient-ils dû en concevoir de plus praticables, eux qui présents à Paris connaissaient l'opinion, les besoins, les ressources de la capitale. C'était ce que voulait l'empereur. Il écrivait : Vous me raites des rapports ! Ce n'est pas ainsi qu'il faut agir, c'était bon quand j'étais à Paris. Il écrivait : ... On dirait que vous dormez à Paris. Il écrivait : Ne me parlez que des choses indispensables. Faites prendre tous les décrets par la régence[3]. Malheureusement, Napoléon, en imposant ses idées à ses conseils et en asservissant toutes les volontés à la sienne, avait détruit l'esprit d'initiative. Il avait trop gouverné, selon le mot de Talleyrand. Dans les années de gloire, on se reposait sur le génie ou sur la fortune de l'empereur, et l'on exécutait aveuglément ses ordres. Les revers avaient affaibli la confiance. On n'obéissait plus, et comme on était déshabitué de penser et d'agir par soi-même, on ne savait que ne rien faire.

Marie-Louise, qui était une femme et qui avait vingt-trois ans ; Cambacérès, grand juriste et politique sagace, mais philosophe toujours préparé à accepter le fait accompli ; Joseph, dévoué à son frère, animé des plus louables sinon des meilleures intentions, mais génie sans ressort et dont toutes les velléités d'ailleurs avaient été brisées par Napoléon ; Talleyrand, mal en cour, antipathique au peuple, suspect à tous ; Montalivet, administrateur habile et intègre, mais esprit modéré, ennemi de toute mesure extralégale ; Rovigo, ayant perdu au ministère de la police son énergie de soldat ; Clarke, enfin, commis scrupuleux, scribe infatigable, sorte de Berthier inférieur, plus apte à transcrire des ordres qu'à en donner ; ces divers personnages ne pouvaient constituer le comité de Salut public que les circonstances imposaient. Au reste, organiser la défense de Paris était une tâche presque impossible, qui consistait à faire tout avec rien. À une pareille mission, le zèle, l'intelligence, l'activité ne suffisaient pas. Il fallait la foi et le génie.

Paris, où depuis la fin de décembre 1813, refluaient toutes les recrues, tous les cadres, toutes les armes, toutes les munitions, tous les approvisionnements[4], avait l'aspect d'une ville de guerre : partout des uniformes ; sans cesse des défilés, des exercices, des revues ; les rues pleines de soldats, l'air rempli de batteries de tambours, d'appels de trompettes et du grondement continu des canons roulant sur le pavé. Malgré ce tumulte, Paris était moins une place forte qu'un immense dépôt de troupes se vidant à mesure qu'il se remplissait. Chaque jour, de nombreux détachements arrivaient des provinces du Nord, de l'Ouest et du Centre ; chaque jour partaient des colonnes pour rejoindre l'armée[5]. Toutes les après-midi, la foule s'installait su les chaises des grands boulevards, dans l'attente de ces défilés quotidiens. C'était un tel mouvement de troupes, que les beaux esprits disaient qu'on faisait continuellement passer et repasser les mêmes soldats, comme des figurants de théâtre, afin de donner confiance aux Parisiens[6].

Il aurait mieux valu pour la sécurité de Paris que les mêmes troupes eussent passé et repassé, sortant par la barrière de Fontarabie et rentrant par la barrière du Roule, car dans ce renouvellement continu, ce qui partait était bon ou passable, et ce qui restait ne valait rien. À peine les conscrits étaient-ils armés et habillés, à peine savaient-ils charger leur fusil et faire par le flanc, que suivant les ordres pressants de l'empereur, qui ne cessait de demander des renforts, on les dirigeait sur l'armée[7]. Ces départs journaliers des hommes à peu près en état de marcher et de combattre expliquent comment les situations du général Hullin, commandant la 1re division militaire, dénoncent un si grand nombre d'indisponibles. En moyenne, il y avait dans l'infanterie de ligne un homme disponible sur trois[8]. Dans les dépôts de la jeune garde, la proportion des hommes prêts à marcher était plus faible encore. La situation du 6 mars accuse 7.861 indisponibles sur un effectif de 10.721 hommes[9]. Au grand dépôt de remonte de Versailles c'était pire, car là il fallait compter non seulement avec les maladies, l'instruction, l'armement et l'habillement, mais aussi avec le harnachement et les chevaux. Le 10 mars, l'effectif était de 18.577 officiers et soldats, dont il y avait à défalquer en malades et en hommes non armés ou non instruits 11.458 hommes. Mais, pour monter les 7.119 disponibles, on avait seulement 3.615 chevaux[10]. Il n'y avait donc en fait que 3.615 hommes disponibles sur 18.577 figurant à l'effectif, c'est-à-dire un sur six.

Au demeurant, le nombre des indisponibles qui était d'une telle gravité pour les armées d'opération importait peu à la défense de Paris, puisque les troupes des dépôts ne faisaient point, à proprement parler, partie de la garnison. Dès que les hommes étaient armés et encadrés, on les envoyait, par détachements, rejoindre sur l'Aisne ou sur l'Aube les divisions dites divisions de réserve de Paris, lesquelles devenaient, à peine au complet, divisions de première ligne. Les dépôts pouvaient ainsi se trouver presque absolument dépourvus d'hommes prêts à combattre le jour où l'ennemi viendrait insulter les barrières. Pour sa défense, Paris devait compter seulement sur les 1.200 fantassins et cavaliers de la vieille garde, commis spécialement par l'empereur à la garde de l'impératrice et du roi de Rome[11], sur les 800 gendarmes à cheval de la Ville, sur les compagnies de vétérans, les Invalides, les sapeurs pompiers, enfin sur la garde nationale.

La garde nationale de Paris eût constitué une force réelle si on l'eût organisée plus tôt et si le recrutement en eût été moins exclusif. Cette garde ne fut appelée à l'activité que par décret du 8 janvier — la dernière de toutes celles de la France[12]. Un tel retard dénonce les, préventions que l'empereur et surtout ses ministres avaient contre la milice parisienne, les défiances et les craintes qu'elle inspirait à ceux qui avaient vu le 20 juin, le 10 août et le 13 vendémiaire. Néanmoins, dans l'idée primitive de l'empereur, la garde nationale de Paris devait se recruter, comme celles des provinces, comme l'armée elle-même, dans toutes les classes de la population, sans distinction de pauvres et de censitaires[13]. Il disait, prétend-on : Dans la position où je suis, il n'y a pour moi de noblesse que dans la canaille et de canaille que dans la noblesse que j'ai faite[14]. — Paroles prophétiques, si l'on songe à la conduite qu'allaient tenir envers lui beaucoup des membres de cette jeune noblesse ! Mais l'empereur hésita à prendre sur lu : d'armer le peuple des révolutions. Il réunit en conseil privé les princes de sa famille, les trois dignitaires, les ministres, les présidents du Sénat et du Conseil d'Etat, l'inspecteur général de la gendarmerie, et leur soumit la question. La réponse ne pouvait pas être douteuse. On rappela le rôle de la garde nationale pendant la période révolutionnaire. L'empereur se laissa convaincre. Il fut arrêté que la milice ne se recruterait que parmi les hommes dont la situation présenterait toutes les garanties d'ordre et qui seraient disposés à la fois à défendre les murailles et à faire respecter leur domicile[15].

Cette mesure, malheureuse comme toutes celles qui sont dictées par la peur, avait un double inconvénient : d'une part, la garde nationale allait être composée des gens les moins capables de faire le métier de soldat et en même temps les plus hostiles au gouvernement : propriétaires et boutiquiers ruinés par la guerre[16] ; d'autre part, le recrutement étant limité à la classe la moins nombreuse de la population, la milice allait se trouver réduite au tiers de ce qu'elle aurait pu être. En un pareil moment, c'était une faute capitale que de dédaigner quarante mille bras d'ouvriers dont beaucoup avaient porté le fusil[17]. D'après les calculs, la garde nationale censitaire, formée à douze légions, devait donner un effectif minimum de 24.000 baïonnettes. Déjà ce n'était point assez pour défendre Paris, mais il s'en fallut de la moitié que ce chiffre fût atteint. Le 11 février, la garde nationale comptait 6.000 hommes, le 27 février 8.000 et le 16 mars 11.500 dont 3.000 armés de piques[18]. D'ailleurs, si multipliées qu'eussent été les demandes d'exemption, si ingénieux les moyens employés par les mécontents du faubourg Saint-Germain pour se dérober au ridicule de monter la garde[19], ce n'étaient pas tant les hommes qui manquaient que les armes et les effets d'habillement qui faisaient défaut[20]. Les gardes des compagnies d'élite, chasseurs et grenadiers, étaient tenus de s'armer et de s'habiller à leurs frais. Ils se présentèrent avec des fusils de chasse, des carabines et des mousquetons de divers calibres. C'était un petit noyau de combattants[21]. Mais comment habiller, équiper, armer les fusiliers des compagnies du centre ? La Ville ni l'Intérieur n'avaient de budget pour cela, et d'ailleurs l'argent manquait au Trésor comme dans la caisse municipale. Plusieurs crédits, dont l'un de 60.000 francs, furent ouverts successivement en janvier et en février[22]. Ces sommes étaient insuffisantes, dérisoires même, si l'on songe que seuls l'habillement et l'équipement d'un garde était évalué à 157 fr. 22 et l'armement à 100 francs[23].

Les arsenaux étaient vides. On a vu que dans la plupart des dépôts on comptait un fusil pour trois hommes. À Paris, au commencement de février, il y avait 11.000 fusils en état. Clarke les conservait pour la ligne et la jeune garde. Il y avait en outre 30.000 fusils au fort de Vincennes, mais tous étaient hors de service. Des ouvriers de la manufacture de Charleville arrivèrent pour les réparer, escortant huit cents voitures chargées de pièces de monture. À mesure que ces fusils sortaient des ateliers, le ministre de la guerre les distribuait dans les dépôts[24]. Il était plus naturel, en effet, de donner des fusils aux troupes de ligne, qui attendaient d'être armées pour aller combattre, que de les réserver pour la garde nationale, destinée, tout le monde l'espérait et elle surtout, à un service pacifique.

Cette question de l'armement de la milice était la constante préoccupation du roi Joseph, de Montalivet, de Chabrol, de Rovigo, du maréchal Moncey. On mit tout en œuvre, on eut recours à tous les expédients pour se procurer des fusils. On commença par retirer des lycées les fusils d'exercice. Puis on voulut prendre ceux des élèves de l'École polytechnique, sous prétexte que ces jeunes gens, servant dans l'artillerie, n'avaient pas besoin d'être armés. Le commandant de l'école réclama ; les polytechniciens gardèrent leurs fusils[25]. Informé qu'il y avait des fusils dans les magasins du commerce de Nantes et du Havre, Rovigo pensa à les faire acheter ; mais c'étaient des fusils de traite qui risquaient d'éclater à chaque coup[26]. Le 13 février, l'empereur écrivit à Joseph que les paysans ayant ramassé sur les champs de bataille 40.000 fusils abandonnés par l'ennemi, il fallait envoyer des commissaires pour les leur reprendre. Le lendemain, Chabrol sur l'ordre du roi dépêcha à cet effet en Champagne un premier commissaire, M. de Froidefonds, auditeur au conseil d'État[27]. Mais quelques jours après, on dit aux Tuileries que cette recherche des fusils aurait l'air d'un désarmement, qu'on paralyserait la défense en enlevant aux paysans les moyens de résister aux Cosaques. On arrêta le départ des autres commissaires. M. Froidefonds, seul envoyé, revint le 6 mars, rapportant 480 fusils ; encore ces armes ne furent-elles point distribuées à la garde nationale, Clarke les retint pour l'armée[28]. A défaut de fusils, Joseph fit fabriquer 6.000 piques. La plupart des miliciens refusèrent ou n'acceptèrent qu'avec répugnance ces armes d'un autre âge, bien qu'on les eût décorées de flammes tricolores du meilleur effet, et que pour relever le prestige des porteurs de piques, on parlât de créer une garde d'honneur du roi de Rome sous le nom pompeux de lanciers de la garde nationale[29].

Le manque d'armes arrêta l'exécution du projet de Napoléon, qui consistait à faire une nouvelle levée de gardes nationales dans la population parisienne, et spécialement parmi les ouvriers sans travail. L'empereur voulait d'abord appeler 30.000 hommes, mais il y renonça sur les observations du roi Joseph qu'il serait impossible de doubler la garde nationale sans la dénaturer et que d'ailleurs il y avait l'invincible difficulté du manque d'armes[30]. Plus tard, le 10 mars puis le 14 mars et le 23 mars encore, il revint à cette idée, tout en réduisant sa demande de 30.000 à 12.000 hommes[31]. On consulta le préfet de police, dont la juste vision des choses était, à ce qu'il semble, étrangement troublée par la panique qui régnait depuis-quelques jours. Le baron Pasquier répondit que ce qui existait de garde nationale n'était en état de porter les armes d'aucune façon ; qu'à la moindre alarme, les gardes refuseraient tout service, qu'ils étaient disposés à la rébellion ; et que par conséquent il fallait se garder d'augmenter cette milice, déjà fort mauvaise, au moyen d'éléments plus mauvais encore. Par-dessus tout, ajoutait Pasquier, il faut craindre d'émouvoir la population de Paris. On ne sait où on la pourrait conduire. Une fois agitée elle serait facilement entraînée par toutes les factions. Elle est très malheureuse. Il serait extrêmement aisé de la pousser aux mesures de désespoir contre ceux qui la gouvernent, et il ne manquerait pas de gens aidant à mettre ces dispositions à profit. La plus vile populace même, qu'on peut peut-être émouvoir pendant deux fois vingt-quatre heures dans le sens du gouvernement, au troisième jour marcherait peut-être dans un sens tout à fait contraire. La licence à laquelle il faudrait ouvrir la porte faciliterait extrêmement ce changement de scène[32]. Pasquier eût dû se borner à dire que puisque déjà les fusils faisaient défaut aux gardes nationales appelées à l'activité, il était inutile de lever un nouveau contingent qu'on serait dans l'impossibilité absolue d'armer. C'était là le meilleur, le seul argument à opposer au projet de l'empereur. Les autres raisons invoquées par le préfet de police témoignent plutôt de sa pusillanimité que de son jugement. Ce n'était pas la population, a dit justement Odilon Barrot dans un discours célèbre, qui manquait à son gouvernement, c'était le gouvernement qui manquait à la population[33]. Il n'était pas vrai que la garde nationale ne fût en état de porter les armes d'aucune sorte, ni qu'elle dût refuser tout service à la moindre alarme. Bien que son recrutement, établi sur le cens, fût très vicieux, la garde nationale de Paris était animée d'un assez bon esprit. Si elle était peu disposée, sans doute, à s'élancer hors des murailles contre l'ennemi, elle était déterminée à les bien défendre[34]. Quant à la vile populace, comme dit avec un dédain tout aristocratique le futur duc de Louis-Philippe, il n'était pas vrai non plus qu'elle fia prête à seconder l'invasion par une révolution. Les rapports secrets de police, que cependant devait bien connaître Pasquier, et les rapports journaliers de Pasquier lui-même, pendant les mois de janvier, février et mars 1814, témoignent que la population ouvrière était, malgré tout, restée bonapartiste, et que les conspirateurs et les ennemis du dedans ne se cachaient pas dans les faubourgs. Presque chaque jour, pendant cette période, on signale des propos, des placards, des complots royalistes, et c'est à peine si trois ou quatre fois[35] les agents mentionnent quelque parole qui puisse faire appréhender un mouvement jacobin, comme on disait alors. Les événements d'avril allaient prouver, de reste, que les révolutions ne se font pas toujours par le peuple. Napoléon jugeait bien, qui écrivait au roi Joseph : Le peuple a de l'énergie et de l'honneur. Je crains que ce ne soient certains chefs qui ne veulent pas se battre[36].

S'il y avait des hommes et pas de fusils pour l'infanterie, pour l'artillerie il y avait des canons mais point d'hommes. Vincennes renfermait 700 bouches à feu de tout calibre, la plupart pièces de siège et de place. Quant aux pièces de campagne, beaucoup manquaient d'avant-trains[37]. On fit entrer à Paris 312 canons[38]. Mais dès que l'on avait pu organiser une batterie, on l'envoyait à l'armée : vingt-huit batteries, soit 166 pièces, partirent ainsi[39] ; 186 bouches à feu restèrent dans Paris. C'était plus qu'on n'en pouvait utiliser, car les ouvrages extérieurs n'existaient encore qu'à l'état de projet et les canonniers étaient en très petit nombre. On avait compté sur plus de vingt compagnies d'artillerie : canonniers gardes-côtes, canonniers de la marine, canonniers hollandais, invalides, enfin élèves des écoles polytechnique, de droit et de médecine[40]. Mais les deux compagnies hollandaises avaient été affectées à la garnison de Vincennes, les quatre compagnies de la marine étaient entrées dans les divisions du duc de Padoue et du général Souham[41] ; enfin, devant l'attitude honteuse d'un certain nombre d'élèves des écoles de droit et de médecine, qui avaient accueilli avec des huées le général de Lespinasse, chargé de les commander, on avait renoncé à l'organisation de ces compagnies[42]. Réduite aux gardes-côtes, aux invalides, aux polytechniciens et à quelques volontaires de la garde nationale, l'artillerie parisienne atteignait à peine l'effectif d'un millier d'hommes. Parmi les 12000 gardes nationaux non armés, on aurait pu sans doute formez des artilleurs, mais comme il est beaucoup plus difficile d'improviser des canonniers que des fantassins, on ne voulut même pas y essayer. Sur les 186 pièces, 54 furent placées aux barrières ; les 132 autres canons furent parqués au Champ de Mars[43], en attendant qu'on élevât des ouvrages destinés à les recevoir et qu'il tombât du ciel des artilleurs pour les servir.

Au mois de janvier 1814, les fortifications de Paris, si l'on peut ainsi dire, consistaient dans le mur d'octroi, qui n'était pas même achevé sur tout son périmètre. L'empereur, revenant à l'idée qu'il avait eue dès l'ouverture de la campagne de 1805, voulut faire de Paris une véritable place forte. Le comité du génie présenta un projet. Des redoutes seraient établies sur les sommités qui commandent Paris ; d'autres seraient élevées à la tête des faubourgs, qui seraient barricadés, crénelés et reliés par des tranchées. De tels travaux auraient nécessité beaucoup de temps et beaucoup d'argent. L'empereur, en outre, appréhendait d'alarmer la population parisienne par la perspective d'un siège à soutenir. Il ne voulait pas qu'on pût croire que le vainqueur de l'Europe en fût déjà réduit à craindre pour la capitale de son empire. Napoléon rejeta le projet du comité du génie, et le 14 janvier il posa les bases d'un dispositif plus simple. On se bornerait à barricader les faubourgs extérieurs, à fermer par des palissades les parties du mur d'octroi non encore terminées, et à établir aux portes des tambours en palanques avec créneaux et embrasures prenant des flancs sur l'enceinte. Ces faibles retranchements suffiraient à mettre Paris à l'abri d'un hurrah de cavalerie, et l'empereur, au milieu de janvier, ne redoutait pas autre chose ou du moins voulait qu'on crût qu'il ne redoutait pas davantage[44]. Dès le 3 février, le génie de la garde nationale, auquel on avait adjoint un certain nombre d'ouvriers civils, avait élevé les tambours et les palissades. Mais le comité de défense ayant clos ses séances après le départ de l'empereur pour l'armée, on ne s'occupa point de fortifier les faubourgs[45].

Ce fut seulement dans les premiers jours de mars qu'au cours d'une inspection des barrières de Paris faite par le roi Joseph, ses officiers lui démontrèrent l'insuffisance de ce semblant de fortifications. Allent, qui fut consulté, rappela— bien tardivement ! — qu'un plan plus sérieux avait été soumis à l'empereur[46]. Joseph n'osa pas ordonner l'exécution de ces travaux sans en référer à son frère. Il lui écrivit le 8 mars, le priant d'autoriser la levée d'une nouvelle taxe de 500.000 francs, destinée aux fortifications. Pour ne pas perdre un moment, ajoutait Joseph, je propose à Votre Majesté d'autoriser M. de La Bouillerie à en faire l'avance. Le 11 mars, l'empereur répondit : Il faut donner vos ordres pour qu'on commence des redoutes à Montmartre. Mais la lettre était muette sur la taxe des 500.000 francs et sur l'avance à en faire par La Bouillerie. Le 12 mars, Joseph adressa une dépêche à l'empereur pour lui rappeler que le comité de défense avait présenté un projet dont l'exécution n'avait été retardée que par le manque de fonds. — Le plan est bien compliqué, répondit Napoléon, le 13 mars, sans parler d'instructions à La Bouillerie relatives à l'ouverture du crédit[47]. Le14 mars, le comité du génie se réunit de nouveau et présenta un second projet qui ne différait du premier que par quelques simplifications. Au lieu de redoutes, on établirait des batteries fermées à la gorge ; au lieu de tranchées continues, on pratiquerait quelques coupures et on ferait quelques levées de terre. Le 15 mars, Joseph expédia ce projet à l'empereur et répéta dans sa lettre d'envoi : Pour que ces travaux puissent se commencer sur-le-champ, il faut : 1° que le plan reçoive l'approbation de Votre Majesté ; 2° qu'elle autorise une avance de 100.000 francs, remboursable au trésor de la couronne sur le produit de la nouvelle contribution que le conseil d'État discute aujourd'hui[48]. L'empereur ne répondit pas à cette lettre si précise et si pressante. L'heureux combat de Reims venait de lui rendre l'espoir d'attirer sur lui, bien loin de Paris, tout l'effort des armées alliées. Le 22 mars, Joseph écrivit encore : Le général Dejean (président du comité du génie) attend impatiemment l'approbation de Votre Majesté[49]. Cette dernière lettre, si elle ne tomba pas entre les mains des coureurs ennemis, ne parvint à Napoléon que la veille de la bataille de Paris.

La conduite des habitants de Saint-Denis eût dû servir d'exemple au roi Joseph. Complètement abandonnés dès les premiers jours de février, laissés dans une ville dépourvue de toute clôture, sans aucune garnison (on rappela dans Paris les troupes qui la composaient) et sans garde nationale organisée, les habitants de Saint-Denis prirent spontanément des mesures pour se mettre l'abri d'un hurrah de Cosaques. On forma une garde nationale, dont les hommes s'armèrent et s'équipèrent à leurs frais, fondant des balles et confectionnant des cartouches avec la poudre oubliée dans les magasins de la caserne. Des officiers de la milice et des architectes, constitués en comité de défense, décidèrent les travaux à exécuter. On ferma la ville par des portes et des tambours, et on l'entoura de tranchées, de palissades et de chevaux de frise. Les vieux ormes de l'avenue Saint-Remi fournirent le bois ; les souscriptions, le fer ; les habitants donnèrent volontairement et gratuitement leurs bras[50].

Était-ce demander trop au conseil de régence de l'empire d'avoir autant d'initiative qu'une municipalité de banlieue ? Joseph ne devait-il pas penser dès le mois de février à l'insuffisance des fortifications ? Ne devait-il pas convoquer dès cette époque le comité du génie et le presser d'étudier un nouveau plan ? Le plan arrêté, ne devait-il pas en ordonner l'exécution dans ses parties essentielles, passant outre, vu la gravité des circonstances, aux funestes hésitations de l'empereur et à ses ordres malheureusement contradictoires[51] ? Le roi devait-il attendre l'approche des colonnes ennemies pour faire commencer les redoutes de Montmartre et de Romainville, les barricades, les palanques, les tambours de Pré-Saint-Gervais, de Pantin, de Charonne, d'Aubervilliers, les lignes de tranchées du nord de Paris, où déjà le canal projeté de Saint-Denis formait une tranchée naturelle qu'on ne songea pas à rendre tout à fait infranchissable[52] ? Joseph avait écrit à l'empereur qu'il était arrêté par le manque de fonds. L'argent cependant n'était pas indispensable pour bien des travaux ! Lac arbres ne manquaient ni au bois de Boulogne ni au bois de Vincennes. Quant aux travailleurs, on les eût trouvés facilement au moyen de corvées commandées dans la garde nationale[53]. Pendant six semaines, les gardes auraient été plus utiles à la défense en remuant la terre qu'en faisant faction aux barrières sans armes ou avec des fusils qui au point de vue balistique équivalaient à des manches à balai[54]. Les miliciens qui auraient jugé trop pénibles les travaux de terrassement auraient d'ailleurs été autorisés, exceptionnellement pour ce service, à fournir des remplaçants. Il s'en fût trouvé dix pour un dans la population des faubourgs. Par cette mesure, on eût atteint le double but de fortifier Paris et d'occuper un certain nombre d'ouvriers sans travail. Il semble enfin que si l'on avait proposé Saint-Denis comme exemple aux communes suburbaines, on aurait obtenu de leurs habitants, qui ne furent appelés à faire partie de la garde nationale qu'au milieu de mars[55], des corvées volontaires qu'eussent commandées des officiers et des sous-officiers du génie.

Avec un peu d'initiative, il aurait donc été facile à la régence de pourvoir aux fortifications de Paris Lui eût-il de même été possible, en multipliant les taxes de guerre, de pourvoir à l'armement complet des gardes nationales parisiennes et à celui des douze mille hommes de la levée en masse que demandait l'empereur ? La question est plus douteuse. Comment trouver tout l'argent qu'il fallait dans cette population si terriblement appauvrie, et qui déjà avait tant de peine à payer les contributions ordinaires et les énormes contributions additionnelles. À Paris, c'était alors la misère pour le grand nombre, la gêne pour les plus favorisés. Les commandes manquaient aux fabricants, le travail aux ouvriers ; dans les boutiques, on vendait à perte quand par hasard se présentait quelque acheteur. Les propriétaires ne touchaient ni loyers ni fermages. Depuis le 17 novembre 1813, les pensions et les traitements civils subissaient une retenue de 25 p. 100 ; encore étaient-ils payés en retard et par acomptes[56]. Pour lever dans Paris de gros impôts de guerre, il eût fallu, en tous cas, s'y prendre dès le commencement de janvier. Dans ce mois et dans celui de février, les contributions directes donnèrent à Paris 70000 francs par jour. Au mois de mars, la gêne et la misère II croissant, le rendement journalier tomba à moins de 1.000 francs[57]. Quand à bout de ressources, la régence se résolut à lever des taxes spéciales pour la défense de Paris, il était trop tard. La contribution de un million discutée le 22 février, en vue de fournir 2.000 chevaux d'artillerie à l'armée, fut perçue dans le délai de cinq jours[58]. Mais l'impôt extraordinaire de 750.000 francs voté le 8 mars par le conseil municipal pour les dépenses de la garde nationale — sommes sur laquelle d'ailleurs les deux tiers avaient été avancés par la caisse de la Ville — ne donna rien ou presque rien, et la taxe de défense de 120.000 francs, discutée au conseil d'État le 16 mars, ne fut point perçue[59]. On dut ainsi renoncer à l'acquisition de 3.000 fusils de chasse en magasin chez les armuriers, à l'établissement d'une manufacture qui devait fournir de 500 à 1.000 fusils par jour, enfin à la création d'ateliers de charité destinés à travailler aux fortifications[60]. Ce dernier projet avait été délibéré en conseil des ministres dès le 22 décembre 1813 ; il avait été ajourné à cause de l'épuisement du trésor, et l'empereur en avait de nouveau prescrit l'exécution le 11 mars[61]. Mais loin que l'on pût former des ateliers de charité, on laissait, faute de commandes ou plutôt faute d'argent pour solder les commandes, des fournisseurs militaires renvoyer des ouvriers par trois cents à la fois[62]. L'argent manquait totalement. Si le Trésor avait plus de quatre cents millions en obligations, bons, traites, inscriptions[63], c'était du papier ; il fallait de l'or. Rien, écrivait le roi Joseph, ne peut plus se faire par le crédit[64].

Seul l'empereur, grâce aux économies de sa liste civile, avait encore de l'argent comptant. Mais ce fameux trésor des caves des Tuileries, cette poire pour la soif comme l'appelait Napoléon, n'était pas inépuisable. Ces millions avaient bien diminué depuis trois mois que le domaine extraordinaire subvenait à toutes les dépenses de la garde et du grand dépôt de remonte et à une petite partie de celles de l'Administration de la Guerre. Sur les soixante-quinze millions renfermés dans les caves des Tuileries, à peine s'il en restait vingt-quatre au commencement de mars[65]. Cette dernière ressource, Napoléon qui s attendait à la longue durée des hostilités, la ménageait jalousement. Le baron de La Bouillerie, trésorier de la couronne, n'avançait aucune somme que sur l'ordre exprès de l'empereur, et souvent l'ordre se faisait attendre. C'est ainsi que maintes fois le général Ornano, commandant les dépôts de la garde, et le général Préval, commandant le dépôt de cavalerie de Versailles, durent arrêter, faute de fonds, la mise sur le pied de guerre des bataillons et des escadrons. Il y a pour témoigner les lettres du roi Joseph[66] et celles du général Préval, qui en moins d'un mois avait monté, équipé, habillé, armé douze régiments de marche : Malgré la cessation de paiement, écrivait-il à Clarke, je suis parvenu à obtenir un certain nombre de livraisons. J'ai encore arraché aujourd'hui 127 chevaux ; en sorte que je dois en ce moment plus de 800 chevaux, et à la pluralité des fournisseurs plus de 500.000 francs. Je suis fondé à croire que sans la cessation des paiements, je serais parvenu à fournir non 6000 chevaux comme je m'y étais engagé, mais 9.000 ou 40000 environ. Et j'en donne une forte preuve puisque, malgré tous les obstacles, j'aurai fourni dans le courant de mars de 7 à 8.000 chevaux... Quelques jours plus tard, il écrivait encore : Je n'ai plus d'hommes à envoyer, car je n'ai pas d'argent... Encore faut-il aux hommes des bottes et surtout des chevaux. Selon le vieux mot du maréchal de Trivulce, je vous répète : De l'argent, de l'argent, de l'argent ![67]

Si Napoléon ménageait ses derniers millions même quand il s'agissait de l'armée qui était tout son espoir, à plus forte raison était-il peu disposé à épuiser le trésor des Tuileries au profit de la garde nationale et de ces fortifications de Paris dont il ne voyait malheureusement l'utilité qu'avec intermittence. La Guerre, bien qu'elle fût aidée par les fonds des autres ministères[68] et les versements du domaine extraordinaire, ne pouvait déjà pas subvenir aux énormes dépenses de l'armement, de l'habillement, des munitions, des vivres et de la solde. Encore moins pouvait-elle payer les fusils de la garde nationale et les ateliers de charité. Paris devait donc suffire seul à sa défense. Or, au mois de mars, Paris n'avait plus rien.

Quelques jours avant son départ pour l'armée, l'empereur avait dit tout haut, à une séance du conseil des ministres, en regardant fixement le prince de Bénévent : — Je sais bien que je laisse à Paris d'autres ennemis que ceux que je vais combattre. Et Talleyrand, cet homme dont Murat disait qu'il recevrait soudain un coup de pied au derrière sans que son visage en laissât rien paraître, Talleyrand était resté impassible[69]. La régence, qui ne fit pas tout ce qu'elle put dans les préparatifs de défense contre l'étranger, fit-elle du moins tout ce qu'elle dut pour paralyser ces ennemis de l'intérieur que dénonçait Napoléon ? Assurément non. Quand l'initiative et l'énergie manquent pour une chose, elles manquent pour toutes. Le préfet de police Pasquier, le préfet de la Seine Chabrol, le ministre de l'intérieur Montalivet, l'archichancelier Cambacérès, conseiller de la régente, le roi Joseph, lieutenant général de l'empereur, eurent leur part de responsabilité dans l'anarchie morale qui régna à Paris sous la régence. Mais le grand coupable fut le duc de Rovigo. Ministre de la police, Savary devait tout connaître ; il ne le sut ou ne le voulut point. Il entretint l'empereur de méchants commérages de femmes et de misérables différends avec ses collègues du ministère, au lieu de le renseigner sur les mille complots qui s'ourdissaient[70]. Sceptique, temporisateur, indifférent à tout ou reculant devant tout, tremblant à l'idée d'un acte dont il eût à répondre, Il ne prit aucune mesure pour parer aux événements qu'il se vantait de prévoir. Doué d'ailleurs à un haut degré d'un esprit souple, vif et délié, mais ayant aussi trop de suffisance, il s'amusa à jouer au plus fin avec plus fin que lui et, en résumé, il fut dupe de tout le monde.

Pendant que l'empereur combattait sur l'Aube et sur l'Aisne, Paris était devenu un foyer d'intrigues. Il y avait, dit l'abbé de Pradt, je ne sais quelle odeur de conspiration répandue sur toute la ville. On disait : Cela ne durera pas ; il n'y en a pas pour longtemps, la corde est trop tendue... On s'entendait rien qu'en se regardant[71]. Si l'on s'entendait rien qu'en se regardant, on s'entendrait mieux encore en causant et en tenant des conciliabules. C'est à quoi ne manquaient ni les royalistes non ralliés comme Mathieu et Adrien de Montmorency, Alexis de Noailles, Étienne de Durfort, le duc de Fitz-James, l'abbé de Montesquiou, Gain de Montagnac, Guillaume de Nieuwerkerke, ni les intrigants comme Morin, Roux-Laborie familier de Cambacérès, et le concussionnaire Bourrienne, ni le prince de Bénévent, vice-grand électeur de l'empire, ni Pradt, archevêque de Malines, ni l'ex-abbé Louis, conseiller d'État et baron de l'empire, ni Vitrolles, inspecteur des bergeries impériales et ami. de La Valette et de Pasquier, ni Royer-Collard, doyen de la Faculté des lettres, ni les sénateurs comme Lambrecht, Grégoire, Garat, le général de Beurnonville, ni Anglès, haut fonctionnaire de la préfecture de police, ni Bellart, conseiller municipal, ni enfin Dalberg, créé duc et doté par l'empereur, et Jaucourt, chambellan du roi Joseph[72]. Ce dernier, qui faisait très exactement son service au Luxembourg, profitait de sa situation pour apprendre le premier les nouvelles certaines des opérations militaires et pour être le premier à les rapporter à Talleyrand et à ses complices. Ce misérable espion — je parle de M. de Jaucourt — affectait de prendre le plus patriotique intérêt à la marche des armées françaises, et dès qu'il savait l'arrivée d'ira courrier, il s'adressait au comte Miot, écuyer du roi Joseph, qui, plein de confiance, s'empressait de le bran renseigner[73]. De son côté, le conseiller d'État La Besnardière qui, premier commis aux Affaires étrangères, sa trouvait à Châtillon auprès de Caulaincourt, informait très exactement le prince de Bénévent de l'état des négociations[74]. Partout la trahison.

L'hôtel de la rue Saint-Florentin était le principal foyer de cette conspiration expectante. Dès le mois de novembre 1813, les mécontents, qui étaient nombreux, et les royalistes, qui étaient encore rares, avaient tourné les yeux vers le prince de Bénévent comme vers un chef désigné[75]. Trop prudent pour accepter ouvertement ce rôle et trop avisé pour ne pas penser à en profiter au cas échéant, Talleyrand se le laissa donner sans paraître consentir à le prendre. Au leste, si cet habile homme était depuis quelque temps déjà à la tête des mécontents, il n'était pas encore avec les royalistes. Une haine commune contre Napoléon l'unissait à eux ; mais s'il avait le même male, il n'avait pas le même but. L'ex-évêque d'Autun n'était pas bien assuré de l'accueil que feraient les princes à celui qui avait célébré la messe du 14 juillet[76] ; puis l'idée de devenir  premier ministre sous un roi ne satisfaisait pas l'ambition du prince vice-grand électeur de l'Empire. Ses visées étaient plus hautes. Le roi de Rome avait alors trois ans. Pendant quinze ans, Talleyrand pouvait gouverner la France comme président du conseil de régence. Pour cela, il ne fallait qu'un événement : la mort de l'empereur. Talleyrand l'espérait. Il eût appelé providentiel le boulet qui eût frappé Napoléon, mais le prince de Bénévent n e croyait guère à la Providence. Il souhaitait charitablement au grand capitaine la mort de Charles XII ; à défaut de celle-ci, il eût sans répugnance accepté pour l'empereur la mort de Paul Ier[77].

Talleyrand se complut dans ce rêve d'une régence durant toute la campagne de 1811. La nouvelle de la proclamation du roi à Bordeaux, qui exalta les royalistes de Paris, le surprit sans le troubler[78]. Ce fut seulement le jour du départ de l'impératrice pour Blois qu'il se retourna vers les Bourbons. Jusque-là, néanmoins, le prince de Bénévent, tout en ne désirant pas une restauration, se garda de décourager autour de lui ceux qui la désiraient si ardemment. Comme aux souverains alliés, tous les moyens lui semblaient bons pour ébranler le colosse. Si d'ailleurs la régence échouait, la royauté serait encore un pis-aller sortable. L'important était que l'empereur tombât. Les royalistes étaient donc bien accueillis par Talleyrand ; il leur donnait des renseignements, parfois un conseil ; il se défendait de leur prête son appui[79]. Fidèle à la méthode qui lui avait toujours réussi, le prince de Bénévent évitait de se compromettre avant le lendemain des événements, selon le mot de Chateaubriand. Il commentait avec perfidie les nouvelles du congrès et des armées et il émettait d'un ton chagrin les plus sombres pronostics. Il ne lui convenait pas de paraître, même aux yeux de ses complices, pousser plus loin le rôle de conspirateur. — Vous ne connaissez pas ce singe, disait le duc de Dalberg à Vitrolles. Il ne risquerait pas de brûler le bout de sa patte, lors même que les marrons seraient pour lui tout seul[80].

Tandi0 que les libéraux du Sénat, de la Chambre et des ministères restaient, comme Talleyrand, dans l'expectative, ne faisant rien qui pût les compromettre gravement, mais avivant les haines et abattant les courages, se comptant, s'entendant à demi-mot, se tenant prêts à constituer un gouvernement si l'occasion s'en présentait, les royalistes étaient moins réservés et plus actifs. Le secrétaire particulier du duc de Dalberg, Hedelhofer, le comte Gain de Montagnac, Adrien de Montmorency, les deux Polignac, le baron de Vitrolles, un certain Thurot, condamné en 1809 pour détournement à l'Administration de la guerre et recueilli plus tard par Anglès, chef du 4e arrondissement de la police — Anglès avait eu, comme on voit, la main heureuse — partirent successivement pour les états-majors des souverains alliés ou la résidence des princes[81]. Pradt, qui recevait assez régulièrement les journaux anglais par l'entremise d'une dame de Bruxelles, les colportait de réunions en réunions : ce qui, dit-il avec satisfaction, dissipait les illusions où les journaux français entretenaient le public[82]. Illusions, sans doute, mais illusions nécessaires à la défense de la patrie. — D'autres royalistes faisaient circuler les plus violents pamphlets venus d'Angleterre et des provinces occupées par l'ennemi[83] ; d'autres imprimaient clandestinement, et semaient la nuit par les rues des placards royalistes qui promettaient avec l'oubli du passe et le maintien des droits acquis, un gouvernement constitutionnel, la suppression des droits réunis et l'abolition de la conscription[84].

Rovigo n'ignorait rien de l'attitude menaçante des libéraux, des intrigues et des menées des royalistes, ou du moins il prétendit plus tard qu'il en était parfaitement informé. Déjà, à. l'en croire, il aurait prévenu le fameux complot militaire du 23 octobre 1812, si Mallet, La Borie et Guidai avaient bien voulu attendre jusqu'au 24 pour l'exécuter[85]. Il importait peu, au reste, que le duc de Rovigo prévît les conspirations et connût les conspirateurs puisque dans la crainte de provoquer l'insurrection, il s'était interdit par principe toute mesure répressive[86]. Aux avances fort peu équivoques de l'abbé de Pradt, il se contentait de répondre : Ne me tenez pas ce langage ; je ne puis l'entendre. À ces paroles que Talleyrand, qui le venait voir souvent, lui répétait sans cesse : La France est dans un état déplorable ! Que faire en des circonstances aussi fâcheuses ? Il ne convient pas à tout le monde de rester dans une maison qui brûle. Prenez garde à vous... il ne répondait rien[87]. Un jour, vers le milieu du mois de mars, Rovigo, entrant sans avoir été annoncé dans le cabinet du prince, surprit celui-ci en conférence avec Pradt. L'apparition soudaine du ministre de la police fut comme un coup de foudre Les deux interlocuteurs restèrent un instant inter dits et muets ; Pradt, moins maître de soi que Talleyrand, laissa voir un visage tout décomposé. — Pour cette fois, s'écria Rovigo, je vous prends à conspirer ! Talleyrand et Pradt se mirent à rire, et Rovigo, en bon compère, finit par rire avec eux[88].

Rovigo envient qu'en mainte circonstance il aurait pu faire arrêter le prince de Bénévent. Mais, dit-il, il n'y avait après tout contre lui que des préventions. L'empereur, si plein d'irritation et de défiance qu'il fût à son égard et bien que sollicité par un grand personnage, avait refusé de le faire emprisonner avant de quitter Paris. Talleyrand était vice-grand électeur, il fallait pour l'arrêter l'autorisation du roi Joseph. Et quel effet sur l'opinion ! Prendre une pareille mesure, c'était risquer une révolution. Talleyrand d'ailleurs ne conspirait que contre l'empereur et non contre la dynastie. Il rendait service au chef de la police en l'informant de ce que faisait le comte d'Artois. Il contenait le faubourg Saint-Germain. Au reste, s'il avait fallu arrêter tous les conspirateurs, les prisons n'y eussent pas suffi[89]. Pauvres raisons, vaines excuses ! La vérité, c'est que bien loin d'avoir jamais pensé à provoquer quelque mesure contre Talleyrand, Rovigo, dupe du maitre diplomate, éluda l'ordre de l'arrêter qui lui fut envoyé par l'empereur[90]. Certes le dévouement de Savary pour Napoléon est hors de doute, mais il n'en est pas de même des capacités du ministre de la police, qui se rendit haïssable aux jours de calme sans savoir se rendre utile à la veille d'une révolution.

Le duc de Bassano a marqué Savary d'un mot indélébile : Ce fut une grande dupe. Il a toujours cru aux mystifications qu'on lui faisait. On l'a joué toujours[91]. Il y avait du Jocrisse dans cet homme d'esprit. Rovigo ne sut rien prévoir ni rien voir, rien prévenir ni rien arrêter. C'est à son insu qu'en novembre 1813 le secrétaire du duc de Dalberg était parti pour Francfort portant ces mots aux souverains alliés : On vous attend à Paris à bras ouverts[92]. C'est à son insu qu'en février et en mars Vitrolles et dix autres émissaires du parti royaliste se rendirent près des princes et aux états-majors des Coalisés. C'est à son insu que les 9 et 17 mars Eugène de Chabannes et le comte de Sémallé arrivèrent de Vesoul à Paris, le premier comme envoyé de Monsieur, le second comme commissaire du roi[93]. C'est à son insu que les royalistes recevaient des journaux étrangers, par l'entremise même d'un agent du ministère de la police[94]. Rovigo ferma les yeux sur les intrigues du Luxembourg comme sur celles de l'hôtel Saint-Florentin. Il ignora que Guillaume et Charles de Nieuwerkerke composaient et tiraient eux-mêmes, sur une presse à bras, les proclamations des Bourbons, que Morin s'occupait de propagande royaliste dans la classe bourgeoise, que Chateaubriand faisait imprimer en plein Paris le plus violent réquisitoire qu'on pût écrire contre Napoléon[95]. Il ne sut pas expulser les sujets allemands qui semaient l'alarme dans les lieux publics[96]. Il ne sut pas arrêter l'affichage et la distribution der placards royalistes. Il ne sut pas empêcher l'évasion des deux Polignac, qu'il laissait quasi prisonniers sur parole dans une maison de santé de Vincennes et qu'il recevait souvent chez lui, comme parents de sa femme, à leurs jours de sortie dans Paris[97]. Il ne fit pas même l'effort de destituer Anglès. Enfin, malgré des ordres formels, il éluda l'arrestation de Talleyrand et celle du marquis de Rivière, qui se livrait dans le Berry à la plus ardente propagande royaliste. Il est vrai que M. de Rivière avait dit jadis à Rovigo : Je me regarde comme tellement obligé avec l'empereur que si M. le comte d'Artois lui-même arrivait dans la plaine de Grenelle avec cent mille hommes, je n'irais pas le rejoindre[98]. Il n'en fallut pas davantage pour rassurer ce ministre de la police ! — Napoléon était bien fondé à écrire, le 14 mars, au duc de Rovigo : Ou vous êtes bien maladroit, ou vous ne me servez plus[99].

Pendant que dans le monde politique les intrigues se multipliaient, dans la population les inquiétudes allaient croissant. Jusqu'aux premiers jours de mars, la confiance que les batailles de Champaubert et de Montmirail avaient rendue à Paris et à la France avait à peine décliné. Ceux qui ne croyaient plus à la victoire croyaient encore à la paix. Mais le manque de nouvelles certaines, puis bientôt après les mauvaises nouvelles, la bataille de Laon, l'abandon des négociations de Lusigny, la retraite de Napoléon sur Soissons et de Macdonald sur Provins, les événements de Bordeaux, enfin la rupture du congrès de Châtillon et la prise de Lyon portèrent de nouveau dans tous les esprits l'effroi et l'abattement[100]. Rédigés en vertu du décret de Troyes[101], les journaux annonçaient seulement ce que le gouvernement consentait à faire connaître, c'est-à-dire rien ou à peu près rien. Ils ne parlaient point des événements ou les exposaient de façon à en dissimuler la gravité. Mais on ne se laissait pas abuser. Bien que les nouv6aux bulletins publiés fussent presque analogues aux précédents, et que parfois on tirât encore le canon aux Invalides[102], le public distinguait entre les victoires comme Vauchamps et les batailles comme Craonne[103]. Pour renseigner Paris, il y avait, à côté des journaux, les lettres de l'armée, les indiscrétions fortuites ou voulues 'des familiers des Tuileries et du Luxembourg, enfin l'annonce de mauvaises nouvelles de l'hôtel Talleyrand. Il y avait aussi les gazettes étrangères, dont Pradt et ses amis colportaient à l'envi les mensonges. Selon les rédacteurs du Times, du Globe, du Courrier, du Morning Chronicle, l'abandon du plateau de Craonne par les Russes n'avait été qu'une habile manœuvre destinée à attirer l'empereur dans la plaine de Laon. À Laon, les Français complètement battus avaient perdu 90.000 hommes, 70 canons, nombre de généraux, parmi lesquels Macdonald et Sébastiani. L'empereur se repliait sur Rouen, avec une armée réduite à 30.000 soldats ; Blücher, vainqueur de Napoléon, et Schwarzenberg, vainqueur d'Oudinot, marchaient concentriquement sur Paris par la route de Soissons et par la route de Provins[104]. Déjà en février les alarmistes avaient répandu de pareilles nouvelles. Mais il y avait alors, pour les démentir, les lettres particulières des officiers, les bulletins précis du quartier impérial, les présentations de drapeaux pris sur l'ennemi, les colonnes de prisonniers défilant chaque jour sur les boulevards. Au milieu de mars, on ne voyait plus passer que des blessés français, amenés en charrettes aux barrières, en bateaux sur la Seine. D'autres rentraient à pied dans Paris, isolément ou par petits groupes : fantassins qui s'appuyaient sur leur fusil en guise de béquille ; cavaliers qui, la tête couverte, sous le casque, de linges ensanglantés, et le bras passé dans la bride, cheminaient lentement à côté de leurs chevaux blessés comme eux. Refusés dans les hôpitaux qui regorgeaient, dans les casernes où le règlement défendait de les recevoir, ils erraient par les rues, demandant du pain[105].

Pendant les douze années du consulat et de l'empire, Paris n'avait connu de la guerre que les victoires ; de la guerre, il n'avait entendu que les salves et les Te Deum, il n'avait vu que les retours triomphaux, les éblouissants défilés de soldats, vainqueurs et superbes, les milliers de canons ennemis traînée dans les arsenaux, les brassées d'étendards portée aux Invalides. Maintenant la guerre approchait. C'était le vrai canon qui tonnait à dix lieues de Paris. Les convois de blessés levaient un coin du voile des rendez-vous de carnage et donnaient à tous l'horrible vision des champs de bataille au lendemain des combats.

Le gouvernement ne se dissimulait pas l'effet désastreux que la vue des blessés produisait sur la population. Dès le 11 février, le ministre de l'Intérieur avait écrit à Clarke pour que les convois fussent arrêtés aux barrières et dirigés sur la Normandie et l'Orléanais. Daru avait proposé de créer des hôpitaux hors des murs, de façon que les blessés et éclopés n'eussent plus à traverser Paris. Le roi Joseph voulait transformer en une vaste ambulance soit l'hôtel des Invalides, soit la caserne de Courbevoie. Napoléon, qui avait le don de penser à tout, prescrivit de répartit les malades et les blessés entre Versailles, Saint-Germain, Rouen, Évreux et Chartres[106]. Le désarroi régnait dans les services. On ne donna pas suite à ces projets, comme à tant d'autres d'ailleurs. Les blessés continuèrent à affluer dans Paris où les hôpitaux encombrés de malades, qui gisaient sur la paille dans les corridors, les chapelles, les salles de bains, les appartements des directeurs, ne pouvaient tous les recevoir. Du 15 janvier au 10 mars, le nombre des soldats malades s'était élevé de 1.685 à 8.375. On craignait le typhus[107].

Comme s'il n'y eût point dans Paris assez d'inquiétudes réelles, le bureau de l'esprit public, comme on disait alors, semblait prendre à tâche de provoquer des terreurs chimériques sous le vain prétexte de pousser à la défense. Chaque jour, les gazettes et les émissaires de la police répétaient que le sort de Moscou était réservé à Paris ; que les Alliés y entreraient la torche à la main[108]. Les généraux et les soldats ennemis et les journaux étrangers proféraient, il est vrai, ces odieuses menaces. Les Prussiens et les Cosaques parlaient du pillage de Paris, comme d'une chose qui leur était due et promise. Le général autrichien Colloredo disait : La destruction de Paris serait un bienfait pour la France[109]. On lisait dans le Times : Si Blücher et les Cosaques entrent à Paris, quelle merci lui feront-ils ? et pourquoi lui en feraient-ils aucune ? Épargneront-ils les précieux monuments des arts ? Oh ! non !non ! Ces guerriers indignés s'écrieront que c'est le jour de la vengeance et de la destruction... En frappant Paris, ils frapperont au cœur la nation française. Peut-être au moment où nous écrivons, cette cité fameuse est-elle déjà réduite en cendres[110].

Mais si les haineuses gazettes anglaises prêchaient l'incendie de Paris, si les généraux alliés montraient comme une proie cette ville à leurs troupes, si les soldats s'y promettaient le viol et le butin, était-ce une raison pour reproduire ces articles dans les journaux français, pour colporter ces propos dans tous les lieux publics ? Ne servait-on pas l'ennemi on répandant la terreur ? Comme l'écrivait le comte d'Hauterive à Caulaincourt, au lieu de donner du courage tout cela en fait perdre[111]. Sans doute on espérait ranimer le patriotisme défaillant et pousser les Parisiens à la résistance ; mais puisque cependant on n'avait point d’armes, ces appels devaient de toute façon rester vains. À qui s'adressaient-ils ? au peuple ? Le gouvernement de la régence qui méprisait et redoutait injustement la population ouvrière ne lui demandait que de rester tranquille. Les fusils manquaient, et eussent-ils abondé que Joseph, Rovigo, Pasquier et autres pusillanimes personnages eussent hésité à les remettre aux ouvriers. C'était donc la bourgeoisie qu'on voulait exalter. On ne réussissait qu'à la terroriser. La bourgeoisie ne pouvait prêter les mains à une guerre d'extermination ni consentir à faire de Paris un autre Saragosse. Les belles phrases des journaux : La terre sacrée que l'ennemi a envahie sera pour lui une terre de feu qui le dévorera... L'ennemi trouvera sa tombe dans les rues de Paris... Il faut s'ensevelir sous les ruines de Paris... étaient fort mal accueillies, et la malignité publique les rapprochait avec à-propos de certain article du Moniteur du 21 mai 1809, où il était démontré que la défense d'une capitale comme Vienne est odieuse[112]. — C'était vraisemblablement celui-là même qui avait jadis rédigé cet article qui le rappelait dans ces jours de trahison : qui autre que l'auteur aurait pu s'en souvenir ? — La garde nationale comptait nombre d'hommes résolus à se battre aux barrières. À ceux-là, qui avaient l'honneur comme seul mobile, il était puéril de parler d'incendie. Quant aux couards et aux traîtres, ils s'étaient inébranlablement marqué leur conduite. Ils pensaient qu'en somme on ne brûlerait pas tout Paris, et que ceux qui recevraic.it le plus de coups seraient ceux qui s'exposeraient à en recevoir.

Vers le milieu de la deuxième quinzaine de mars, Paris retomba dans son abattement et ses angoisses des premiers jours de février. La situation était pire encore, car toute espérance de paix avait disparu, et l'on soupçonnait que l'empereur était trop loin de la capitale pour y devancer l'ennemi[113]. Si l'on avait su Napoléon à proximité, les alarmes eussent été moins grandes. On n'avait plus aucune confiance dans ses lieutenants, mais on croyait encore qu'il pouvait faire un miracle[114]. L'émigration reprit, les affaires s'arrêtèrent, les théâtres furent désertés, on ferma les boutiques, on enfouit son or, le change des billets de banque remonta à 60 et 70 pour 1000, la rente descendit à 48, à 47, à 46, à 45. Des attroupements se formaient sur les boulevards, sur les quais, sur les places, attendant anxieusement les nouvelles du jour, discutant avec passion les nouvelles de la veille. Les proclamations des Bourbons se multipliaient. On en jetait la nuit sous les portes. D'autres placards, d'un caractère différent mais non moins grave, engageaient les citoyens à s'assembler dans leurs sections pour inviter collectivement les députés à traiter de la paix au nom du pays. Des réunions dans ce sens eurent lieu chez des sénateurs[115].

Les 27 et 28 mars, l'arrivée en masse aux barrières de paysans des environs, fuyant avec leurs bestiaux et leurs meubles chargés sur des charrettes, révéla l'approche de l'ennemi[116]. Était-ce un parti, une colonne isolée ? était-ce un corps d'armée ? La population était dans le doute. Le gouvernement ne pouvait plus ignorer que ce fût toute l'armée coalisée. Depuis le 22 mars, le roi Joseph était instruit du mouvement des maréchaux Mortier et Marmont sur Châlons, qui découvrait la route de Soissons, et du mouvement de l'armée impériale sur Vitry, qui découvrait la route de Coulommiers[117]. Du 23 au 28 mars on ne reçut directement ni à la Guerre ni aux Tuileries ni au Luxembourg aucune nouvelle de l'empereur[118]. Mais le 24 mars, Blücher, dans le dessein évident d'intimider la régence, fit remettre aux avant-postes, près de la Ferté-Milon, la fameuse lettre de Napoléon à l'impératrice saisie par les Cosaques dans la nuit du 22 au 23[119]. Cette lettre exposait sommairement les projets de l'empereur et sa marche sur Saint-Dizier. De la position des armées et du fait même que le courrier qui portait la dépêche du quartier impérial avait été arrêté, il était difficile de ne pas inférer que l'ennemi se trouvât placé désormais entre Napoléon et Paris. Le 26 mars, la nouvelle de la défaite de Marmont à Fère-Champenoise par des forces extrêmement considérables et de la retraite du général Compans vers la Ferté-Gaucher[120], vint confirmer cette supposition.

Il n'y a plus à compter sur des ordres de Napoléon ; il faut agir par soi-même. Joseph s'inquiète, s'agite, multiplie les ordres, mais il ajourne encore la construction des redoutes, jusqu'à ce que l'empereur approuve le plan qui lui a été soumis[121]. En attendant, on fera seulement des clôtures aux faubourgs extérieurs et des coupures aux chemins. Pour ces travaux, le ministre de l'intérieur ouvrira d'urgence un premier prédit de 15.000 francs sur la taxe de défense votée le 15 mars mais non perçue. Le roi ordonne au directeur de l'artillerie de s'entendre avec le général Hullin pour établir un certain nombre de batteries en position sur les hauteurs. Il décide que la garde nationale sera entièrement chargée de la garde des barrières, de façon à laisser les troupes disponibles pour combattre aux avancées. Il s'occupe aussi de faire dresser l'état exact des hommes sans armes et celui des fusils restant dans les arsenaux. Enfin il enjoint à Clarke et à La Valette de multiplier les courriers pour porter à l'empereur les nouvelles de ce qui se passe et le rappeler dans la capitale[122]. De l'avis de tous, et surtout de l'avis du roi Joseph, n'est-ce pas ce qui importe surtout ?

Clarke, lui, agit comme s'il doutait encore de la réalité. Il semble se refuser à comprendre que tout désormais doit être sacrifié à la défense de Paris. Il hésite à laisser établir l'artillerie en position, car, dit-il, il n'aura plus de batteries organisées à envoyer à l'empereur[123]. En même temps qu'il presse le retour des corps de Marmont et de Mortier dans Paris, il affaiblit la garnison de la ville en dirigeant sur l'Oise une colonne d'infanterie et le 11e de marche de cavalerie[124]. Clarke, d'ailleurs, plus disposé à charger les autres des rôles héroïques que jaloux de les prendre lui-même, envoie de nombreux renforts à Meaux et adresse au général Ledru Desessarts, qui y commande, cette adjuration désespérée : Au nom du ciel, général, qu'on n'évacue pas Meaux qui défend les approches de Paris. Qu'on y tienne de la manière la plus opiniâtre, qu'on y tienne comme les Espagnols ont tenu à Saragosse. C'est ainsi qu'on sauvera Paris[125]. C'était le 27 mars que Clarke écrivait cette lettre ; le 28 on apprit que Ledru Desessarts et Compans, forcés dans Meaux, se repliaient sur Ville-Parisis[126]. Les illusions n'étaient plus possibles. Sous deux jours l'ennemi serait devant Paris.

Avant même de s'occuper des dernières dispositions de défense, Joseph, lieutenant général de l'empereur et frère de Napoléon, avait à prendre la plus grave des déterminations. Dans ces circonstances terribles, l'impératrice et le roi de Rome devaient-ils rester à Paris ? Joseph avait des ordres précis de Napoléon, mais ces ordres étaient tels qu'il ne voulut pas assumer la responsabilité de les exécuter sans soumettre la question au conseil de régence. Les trois grands dignitaires, Cambacérès, Lebrun et Talleyrand, le président du Sénat Lacépède, le grand juge Molé, et tous les ministres[127] à l'exception des ducs de Bassano et de Vicence, absents de Paris, se réunirent aux Tuileries le 28 mars, à huit heures et demie du soir, sous la présidence de l'impératrice[128]. Joseph fit connaître au conseil le motif de la convocation, puis il donna la parole au ministre de la guerre. Clarke exposa la situation telle qu'elle était, sans chercher à en voiler les périls. Il rappela que l'empereur était au delà de la Marne, coupé de Paris par l'armée ennemie qui avait sur lui plusieurs marches d'avance. Il montra les fortifications à peine ébauchées, la garde nationale composée de 42.000 hommes dont 6.000 armés de piques ou de mauvais fusils, la garnison se montant à 20.000 hommes, y compris les troupes de Compans et de Ledru Desessarts qui, la veille, s'étaient si mal conduites à Meaux. Quant aux corps de Marmont et de Mortier, qui étaient réduits d'un tiers et qui, au moment où le ministre parlait, étaient encore sur la route de Provins, arriveraient-ils à Paris avant l'ennemi ? En mettant les choses au mieux, on aurait 43.000 soldats et miliciens à opposer aux armées alliées[129]. Si Clarke, dit Rovigo, n'ajouta rien qui pût augmenter les inquiétudes, il ne dit rien non plus de propre à les calmer[130]. Clarke devait parler ainsi. Il ne faisait pas une proclamation au peuple ou à l'armée, il faisait un rapport au conseil des ministres. Sans doute il aurait pu ajouter, en son nom personnel, qu'avec quarante mille hommes une résistance de deux ou trois jours dans Paris, même contre des forces triples, n'était pas impossible. Mais comme ministre de la guerre, il avait le devoir absolu de donner exactement le chiffre des effectifs, d'exposer sans rien en cacher l'état des fortifications et de l'armement.

Les paroles de Clarke n'ébranlèrent pas le conseil. Plusieurs des membres parlèrent tour à tour, assurant que le départ de l'impératrice désintéresserait les citoyens de la défense de Paris en leur prouvant que tout espoir était perdu. Ils insistèrent sur les dangers qu'il y aurait à laisser la capitale, si l'ennemi y entrait, en proie à. toutes les intrigues. La population, le gouvernement, la police, tout le monde pensait, tout le monde disait, tout le monde répétait, que Paris pris, il n'y aurait plus d'empire. Plusieurs fois Napoléon lui-même l'avait dit. Rovigo, revenu un peu tard de ses préventions, assura qu'on pouvait compter d'une façon absolue sur le dévouement et le concours efficace des ouvriers. Talleyrand, qui conservait encore l'arrière-pensée de gouverner pendant la minorité de Napoléon II, fut de l'avis général ; il déclara que seule la présence de l'impératrice à Paris pouvait arrêter une révolution[131]. L'énergique Boulay de la Meurthe proposa de conduire l'impératrice et le roi de Rome dans les faubourgs, à l'Hôtel de Ville et d'appeler Paris aux armes. À condition que l'on eût des fusils à donner, l'idée était bonne. Marie-Louise n'avait pas l'âme de son aïeule Marie-Thérèse, mais elle aurait su en simuler le rôle dans la partie décorative. On pouvait tout faire avec cette poupée, même une grande chose. Le spectacle de cette femme jeune et belle, bravant les boulets et l'incendie, portant dans ses bras le fils de Napoléon et appelant sou peuple à la défense de Paris, eût exalté la population.

On demanda à voter. L'archichancelier recueillit les voix. Tous les membres du conseil, à l'exception de Clarke, qui opina pour la retraite, et de Joseph qui s'abstint, — comme il s'était défendu de parler afin de n'influencer personne, — votèrent contre le départ de l'impératrice[132]. Clarke, qui était au courant de la lettre de l'empereur, que Joseph allait bientôt produire[133], reprit la parole et dit qu'il ne fallait pas exposer l'impératrice et le roi de Rome à tomber entre les mains de l'ennemi, qu'on s'exagérait les dangers d'un départ de Paris, que le pouvoir de l'empereur le suivrait partout et que tant qu'il resterait un village où lui ou son fils serait reconnu, c'est là que serait la capitale, là que se rallieraient tous les bons Français. La discussion s'engagea de nouveau. Un second vote eut lieu qui donna le même résultat que le premier. Il n'y eut pas, dit Rovigo[134], une seule voix de moins que dans le précédent.

Le roi Joseph, alors, exhiba une lettre de l'empereur, du 16 mars, portant l'ordre formel de faire quitter Paris à l'impératrice et au roi de Rome si Paris était menacé. Rappelez-vous, écrivait Napoléon[135], que je préférerais savoir mon fils dans la Seine que dans les mens des ennemis de la France. Le sort d'Astyanax, prisonnier des Grecs, m'a toujours paru le sort le plus malheureux de l'histoire. Joseph ne lut que cette seule lettre. Il aurait pu en lire plusieurs autres, toutes exprimant la même volonté[136]. Celle-là suffisait. Les membres du conseil demeurèrent atterrés. Ils maintinrent cependant leur opinion, disant avec raison que si le conseil avait pleins pouvoirs pour décider, l'impératrice resterait à Paris, mais que puisqu'il existait des ordres de l'empereur, il fallait y obéir. Ils ajoutèrent que ces ordres ne souffrant pas la discussion, il avait été inutile de les appeler à en délibérer. On procéda, pour la forme, à un troisième vote, et l'archichancelier, après avoir recueilli les suffrages, déclara que l'impératrice partirait le lendemain à huit heures du matin pour Rambouillet. Lui-même accompagnerait la souveraine, que suivrait aussi La Bouillerie avec le Trésor. Pour les ministres et les dignitaires, ils resteraient à Paris avec le roi Joseph, jusqu'au moment où le lieutenant général de l'empereur leur ferait signifier l'ordre de départ. La séance fut levée à deux heures dans la nuit[137].

A l'issue du conseil, presque tous les ministres s'arrêtèrent dans le salon d'attente pour parler librement. Chacun à l'envi déplorait la résolution à laquelle il avait été contraint de souscrire. — Si j'étais ministre de la police, dit quelqu'un à Rovigo, demain matin Paris serait insurgé et l'impératrice ne partirait pas. Rovigo répliqua qu'en effet il n'ignorait pas les dispositions de Paris, qu'il serait très facile de mettre le peuple en mouvement ; mais qu'il ne lui convenait pas d'assumer une pareille responsabilité, alors que tous les ministres réunis n'avaient point voulu prendre celle de faire rester l'impératrice dans la capitale. — Je déplore comme tout le monde, dit-il, la funeste résolution qui vient d'être arrêtée, mais je ne veux point me charger seul de ce que vous n'avez pas su faire tous ensemble[138]. C'était chez tous le même manque d'initiative, la même terreur des responsabilités.

On se sépara, et il n'y eut, dit un témoin, aucun membre du conseil qui en sortant des Tuileries ne dit un sincère adieu à son collègue, tant on était persuadé que c'était le dernier acte du gouvernement auquel on avait été associé. — Voyez, conclut Talleyrand en quittant le duc de Rovigo, quelle chute dans l'histoire ! Donner son nom à des aventures au lieu de le donner à son siècle !... Mais il ne convient pas à tout le monde de se laisse : engloutir sous les ruines de cet édifice[139]. Depuis une heure, l'empire semblait perdu ; depuis une heure, le prince de Bénévent avait pris son parti de la royauté.

 

 

 



[1] Correspondance de Napoléon, XXVII, passim.

[2] Correspondance de Napoléon, 21 375.

[3] Correspondance de Napoléon, 21 236, 21 415, et lettre à Clarke, Saint-Dizier, 23 mars. Arch. nat., AF., IV, 906. (Non citée dans la Correspondance.)

[4] Correspondance de Napoléon, XXVII, 21 056, 21 068, 21 081, et passim. Correspondance de Clarke de décembre 1813 à mars 1814. Arch. de la guerre. Correspondance de Joseph, X, passim.

[5] Voici sur le mouvement des troupes quelques chiffres pris dans les rapports journaliers du général Hullin.

ARRIVÉS À PARIS

PARTIS DE PARIS

Le 20

janvier

475

hommes.

1.434

hommes.

Le 2

1.450

3.130

Le 31

1.640

350

Le 3

février

1.600

4.450

Le 7

2.400

3.600

Le 11

2.620

1.458

Le 16

2.500

1.350

Le 23

600

2.250

Le 28

1.790

2.630

Le 4

mars 

1.040

2.300

Le 9

880

3.350

Le 11

868

460

Arch. nat., AF. IV, 1534.

[6] Rodriguez, Relation de ce qui s'est passé à Paris, 8. Véron, Mémoires d'un bourgeois de Paris, I, 145 et passim.

[7] Correspondance de Napoléon, XXVII, passim. Correspondance de Joseph, X, passim. Clarke à Hullin et à Préval, février et mars. Arch. de la guerre.

[8] Situations journalière de Hullin. Arch. nat., AF., IV, 1534.

EFFECTIFS

DISPONIBLES

Le 1er

janvier

11.722

hommes.

4.804

hommes.

Le 8

12.988

7.780

Le 23

7.768

2.334

Le 2

février

8.343

2.134

Le 9

10.570

2.678

Le 11

12.759

4.617

Le 14

14.991

5.521

Le 22

15.663

7.360

Le 23

16.532

8.170

Le 26

15.495

4.688

Le 1er

mars

17.751

6.408

Le 5

20.714

5.648

Le 9

22.135

3.490

Le 12

20.543

4.245

Le 14

19.909

3.899

Nous ne donnons les chiffres que pour l'infanterie. Dans les troupes de cavalerie et d'artillerie qui, non compris les cavaliers du grand dépôt de Versailles, se montaient jusque vers le milieu de mars, à 8.000 hommes environ pour toute la 1re division militaire, Paris, Versailles, Soissons, Compiègne, Beauvais, Orléans, etc., la proportion des indisponibles n'était que de 1 sur 3.

[9] Situation des dépôts de la garde au 6 mars. Arch. nat., AF., IV, 1670.

[10] Situation du grand dépôt de cavalerie de Versailles, au 10 mars. Arch. nat., AF., IV, 1667.

[11] Correspondance de Napoléon, 21 134 ; Méneval, II, 57.

[12] Moniteur du 9 janvier.

[13] Rovigo, VI, 293, 396. Cf. Bourrienne, IX, 311-313, et Correspondance de Napoléon, 21 460.

[14] Bourrienne, IX, 310.

[15] Rovigo, VI, 393-316. Cf. Correspondance de Napoléon, 21 375 : La France serait tout entière sons les armes dans la pusillanimité des ministres. 21 358 : ... Si j'avais écouté mes ministres, je n'aurais pas formé de garde nationale et je me serais défié de Paris. Rapport de police, 22 janvier et lettre de Pasquier à Montalivet, 16 mars. Arch. nat., F. 7, 6603 et F. 9, 753. — C'est vraisemblablement pour maintenir à la garde nationale son recrutement homogène et afin qu'aucune brebis galeuse ne puisse se glisser dans le troupeau, que le décret du 8 janvier porte : Nul ne pourra se faire remplacer dans le service de la garde nationale ai ce n'est le père par le fils, le beau-père par le gendre, l'onde par le neveu, le frère par son frère. Cette exception est spéciale à Paris ; dans toutes les autres villes de l'Empire, on pouvait se faire remplacer par qui on voulait ou, à mieux dire, par qui voulait.

[16] La classe marchande qui va en partie composer la garde nationale est celle où il y a le plus de mécontents. Rapport de police, 22 janvier. Arch. nat., F. 7, 6603. Cf. Rovigo, VI, 294 ; et lettre de Pasquier à Montalivet, 26 mars. Arch. nat., F. 9, 753.

[17] Rovigo, VI, 294. — Comme on le verra plus loin, les fusils manquaient pour armer ces quarante mille bras. Il semble donc qu'on soit fondé à dire qu'il n'y avait pas faute à ne pas s'en servir puisqu'il y avait impossibilité. Mais au conseil tenu dans les premiers jours de janvier, on ne parla point des difficultés de l'armement. La question de principe fut seule posée, et de l'avis de Rovigo et du nôtre, elle fut mal résolue.

[18] Correspondance de Joseph, X, 92, 164, 201 (lettres à Napoléon, 11 février, 27 février et 16 mars). Cf. Joseph à Montalivet, 15 février. Arch. nat., F. 9, 753.

[19] Lettres diverses à Montalivet, Clarke, Pasquier, etc., du 1er février au 5 mars. Arch. nat., F. 7, 6605, et F. 9, 753 ; et Montalivet à Rovigo, 25 mars. Arch. nat., F. 7, 4290.

[20] Tout le monde montre du zèle, mais les armes sont rares. Votre Majesté sait que ce qui manque malheureusement aux troupes ce sont des fusils. La garde nationale éprouve le même besoin. — Je harcèle sans cesse Clarke pour les fusils. Les fusils manquent et même les fusils de chasse. — L'invincible difficulté du manque d'armes existe toujours. Joseph à Napoléon, 2 février, 7 février, 8 février, 22 février, 3 mars (Correspondance de Joseph, X, 43, 61, 65, 152, 175). Cf. Correspondance de Napoléon, 21 134 : La grande difficulté pour la garde nationale est le manque d'armes. 24 janvier.

[21] Moniteur, 9 janvier. Billets de service. Arch. nat., F. 7, 6605. Rapport de Peyre à Hullin, Paris, 4 mars. Arch. de la guerre.

[22] Procès-verbaux du conseil des ministres. Arch. nat., 99. Rapports et projets de décrets relatifs aux paiements des dépenses de la garde nationale, br. in-8° 1814. — D'après les diverses pièces reproduites dans cette brochure, les dépenses du premier établissement de la garde nationale ne paraissent pas s'être élevées à 500.000 francs, crédits qu'on voulut dépasser en mars et qu'on essaya de couvrir par la taxe extraordinaire de 750.000 francs, votée par le conseil municipal le 8 mars, mais non perçue.

[23] Montalivet à Malouet, 8 janvier. Arch. de Laon. Correspondance de Joseph, X, 187.

[24] Correspondance de Joseph, X, 66, 67. Rapport de Pasquier, 3 février. Arch. nat., AF. IV, 1534.

[25] Lettre de Fontanes, Chabrol, Cessac, du 2 au 10 février. Arch. nat., F. 9, 734. Rovigo à Clarke, 10 février. Arch. nat., F. 7, 4291.

[26] Clarke à Rovigo, 17 février. Arch. nat., F. 7, 6603.

[27] Correspondance de Napoléon, 21256. Joseph à Montalivet, 16 février et Chabrol à Froidefonds, 16 février. Arch. pat., F. 9, 753. — Napoléon exagérait, comme de coutume. Si les Alliés avaient abandonné 5 ou 6.000 fusils, c'était le maximum. De ces 5 ou 6.000 fusils, 1.000 avaient servi à l'armement, sur le terrain même, de deux bataillons de gardes nationales mobilisées.

[28] Rovigo à Chabrol, 20 février et à Maurice Mathieu, 6 mars. Arch. nat., F. 9, 753.

[29] Chabrol à Montalivet, 11 et 15 mars, et Rapport au roi Joseph, 18 mars. Arch. nat, F. 9, 754 et F. 9, 755.

[30] Correspondance de Joseph, X, 156 ; Correspondante de Napoléon, 21 360.

[31] Correspondance de Napoléon, 21 460, 21 437, et Napoléon à Clarke, Reims, 15 mars, et Saint-Dizier, 23 mars. Arch. nat., AF., IV, 806 (lettres non citées dans la Correspondance).

[32] Rapport de Pasquier à Montalivet, 16 mars. Arch. nat., F. 9, 753.

[33] Discours sur les fortifications de Paris. Moniteur du 29 janvier 1841.

[34] Cf. Correspondance de Joseph, X, 43, 131, 153 et passim ; Rapports de Pasquier et de Hullin, 24 janvier, 4 février, 20 février et passim. Arch. nat., AF. IV, 1534. — On verra plus loin que la garde nationale tint, et au delà, les espérances, d'ailleurs fort modérées, que l'on fondait sur elle. Le 30 mars, bien que découragée par le départ de l'impératrice et du roi de Rome, travaillée par les meneurs, laissée sans ordres et sans direction, pour ainsi dire abandonnée à elle-même, elle se conduisit honorablement On trouva même 3 à 4.000 volontaires sur 12.000 hommes pour sortir de l'enceinte.

[35] Rapports de police, 6 février, 8 février. Rapport de Pasquier, 10 février. Arch. nat, F. 7, 6603, 5737 et AF., IV, 1534.

[36] Correspondance de Napoléon, 21 477. Cf. 21 356. Les ministres ont en général peu de tête. 21 423, 21 415 : On dirait que vous dormez à Paris. 21 363 et passim.

[37] Correspondance de Joseph, X, 67, 80. Correspondance de Napoléon, 21 191 ; Cf. Lettre de Daumesnil au gouvernement provisoire, 8 avril. Arch. de la guerre.

[38] Clarke à Hullin, 25 et 29 mars. Arch. de la guerre. Rapport de Lespinasse à Montalivet, 26 mars. Arch. nat., F. 9, 754. Rapport de Peyre sur les barrières de Paris, 4 mars. Arch. de la guerre.

[39] Clarke à Hullin, 25 mars. Arch. de la guerre. Cf. Correspondance de Napoléon, 21 194, 21 224, 21 294 et passim.

[40] Correspondance de Napoléon, 21 134, 21 198, 21 294. Décret du 24 janvier sur l'organisation de l'artillerie de la garde nationale. Arch. nat., F. 9, 754. Daumesnil au gouvernement provisoire, 8 avril. Arch. de la guerre.

[41] Clarke à Hullin, 29 mars, et Daumesnil au gouvernement provisoire, 8 avril. Arch. de la guerre. Cf. Correspondance de Napoléon, 21 281. Mémoires de Marmont, VI, 208, 213. Rapport à Clarke, 8 mars. Arch. de la guerre. C'étaient ces canonniers de la marine qui, ayant laissé leurs pièces à la prolonge le soir du 9 mars, les perdirent dans le hurrah d'Athies.

[42] Le doyen de la Faculté de médecine à Clarke, et Lespinasse à Clarke, 7 février. Arch. nat., F. 7, 16605.

[43] Clarke à Montalivet et à Hullin, 14 février, 25 et 29 mars. Rapport de Peyre sur les barrières de Paris, 4 mars. Arch. de la guerre. Lespinasse à Montalivet, 26 mars. Arch. nat., F. 9, 754. — Toutes ces pièces n'étaient pas d'ailleurs destinées à Paris. Clarke devait continuer à envoyer des batteries à l'armée, au fur et à mesure des demandes de l'empereur.

[44] Correspondance de Napoléon, 21 084, 21 089-90. Procès-verbal de conseil des ministres, 22 décembre 1813, Arch. nat., AF., IV, 99. Relation d'Allent dans la Suite au Mémorial de Sainte-Hélène, II, 52, 57, 61-62. Mémoires de La Valette, II, 78.

[45] État des travaux, de fortifications et lettres diverties. Arch. nat., 29 janvier au 3 février. Arch. nat., F. 9, 753 et F. 9, 754. Cf. Relation d'Allent.

[46] Relations d'Allent, 105-106. — Selon Allent, cette inspection n'aurait eu lieu que le 14 mars. Il confond les dates de cette tournée et de la réunion du comité du génie, qui s'assembla en effet le 14 mars. Dès le 8 mars, Joseph avait écrit à l'empereur au sujet des fortifications de Paris, sur l'insuffisance desquelles ses officiers venaient d'appeler son attention.

[47] Correspondance de Joseph, X, 188, 193-196. Correspondance de Napoléon, 21 451, 21 477.

[48] Correspondance de Joseph, X, 200. Cf. 208 et Relation d'Allent, 106-110. La taxe de 500.000 francs fut réduite à 120.000 francs par le conseil d'Etat et ne fut point perçue.

[49] Correspondance du roi Joseph, X, 208.

[50] La Défense de Saint-Denis en 1814, par Dezobry, ancien commandant de la garde nationale, pp. 10 à 14. Cf. Correspondance du roi Joseph, X, 188.

[51] Cf. Correspondance de Napoléon, 21 461 et 21 477.

[52] Mémoires de Langeron. Arch. des affaires étrangères, Russie, 25. — Langeron rapporte que le jour de la bataille de Paris, son artillerie n'aurait pu franchir le canal s'il n'avait trouvé un passage laissé pour les voitures. Ainsi on n'avait pas même pensé à détruire ce passage et à le remplacer par un pont volant que les dernières troupes en se retirant auraient coupé ou enlevé !

[53] Les corvées du génie sont d'un usage constant dans les troupes de ligne. En 1870, la garde nationale fut employée aussi à ces travaux.

[54] Rapport à Clarke sur l'état des barrières de Paris, 4 mars. Arch. de la guerre : Barrière de la Rapée, 80 gardes nationaux avec 40 fusils dont les cartouches ne sont pas de calibre. — Barrière du Trône, 20 gardes nationaux avec fusils hors de service, plusieurs sans chien, etc., etc. Cf. Dupons à Dessolles, 20 mai 1814. Arch. nat., F. 9, 763.

[55] Cf. Correspondance du roi Joseph, X, 188. Chabrol à Montalivet, 7 mars. Décret impérial, 15 mars. Arch. nat., F. 9, 751.

[56] Délibération du conseil des ministres, du 19 novembre 1813. Rapport : journaliers de Pasquier, 14 janvier, 11 février, 9 mars et passim ; Arch. nat., AF., IV, 99 et AF., IV, 1534. Journal d'un prisonnier anglais, 286. Hauterive à Caulaincourt, 7 février. Arch. des affaires étrangères, fonds France, 670.-11 étai naturel que les traitements civils fussent irrégulièrement payés, puisqu'on ni suffisait pas à pourvoir à la solde de la troupe et des officiers. Voir Rapport de Pasquier, 10 février. Arch. nat., AF., IV, 1534 ; Napoléon à Berthier 2 mars, Arch. nat., AF., IV, 906 (lettre non citée dans la Correspondance) Ney à Berthier, 16 mars. Arch. de la guerre.

[57] Cf. Journal d'un prisonnier anglais, 285. Correspondance du roi Joseph, X, 186, 200 et passim ; voir enfin dans le Dictionnaire des finances (554-566) les recettes des contributions directes du premier trimestre de 1814 qui, bien qu'elles dussent donner, en raison des énormes augmentations décrétées en novembre 1813 et en janvier 1814, un excédent de plus de 50 p. 100 sur le premier trimestre de 1810, accusent au contraire un déficit de plus de moitié.

[58] Décret impérial (signé Marie-Louise) du 22 février 1814. Arch. nat., F. 9, 754 ; Correspondance de Napoléon, 21 194 ; Correspondance du roi Joseph, X, 150.

[59] Délibération du conseil municipal du 8 mars. Chabrol à Cambacérès, 12 mars, à Montalivet, 26 mars. Arch. nat., F. 9, 753 et 754. Correspondance du roi Joseph, X, 187, 188, 200. Rapports et projets de décrets sur les dépenses de la garde nationale de Paris, in-8° (1814).

[60] Correspondance du roi Joseph, X, 187, 195, 200. Correspondance de Napoléon, 21 460. Chabrol à Rovigo (s. d.). Arch. nat., F. 9, 753.

[61] Délibération du conseil des ministres du 22 décembre 1813 ; Arch. nat., AF. IV, 99. Correspondance de Napoléon, 21 461.

[62] Rapport de Pasquier, 7 février. Arch. nat., AF., IV, 1534.

[63] Mollien, Mémoires d'un ministre du trésor public, t. IV, annexe I. Cf. Dictionnaire des finances, art. Budget général de l'État.

[64] Correspondance du roi Joseph, X, 187.

[65] L'empereur avait donné, de la fin de novembre à la fin de février, trente millions à la guerre, 14 millions à la garde, 2 millions au grand dépôt de cavalerie (Correspondance de Napoléon, 20 902, 21 067, 21 147. Correspondance lu roi Joseph, X, 66, 128, 132, 133 et passim. Fain, 2274. Méneval, II, 25. D'Hauterive à Caulaincourt, 25 février. Arch. des affaires étrangères) sans compter les sommes avancées à l'armée d'opération, pour des acomptes sur la solde des officiers et de la troupe. (Napoléon à Berthier, Jouarre, 3 mars. Arch. nat., AF. IV, 906, non citée à la Correspondance.) Il restait au 8 mars 24 millions. Sur ce reliquat, l'empereur donna encore au moins 4 millions à la garde et 1.500.000 francs au dépôt de cavalerie. (Correspondance de Napoléon, 21 537, Correspondance de Joseph, 193, 195.) Quand La Rouillerie quitta Paris avec l'impératrice, le 25 mars, le trésor ne comptait plus que 18 millions, sur lesquels 10 furent, comme on sait, arbitrairement confisqués, pour ne pas dire volés, à Blois, par les agents du gouvernement provisoire. — États du Trésor. Arch. nat., AF., IV, 1933.

[66] Correspondance du roi Joseph, X, 133, 175, 186, 203, 204, 207.

[67] Préval à Clarke, 6 mars, 18 mars, 23 mars, 28 mars. Arch. de la guerre.

[68] D'après une lettre de Napoléon à Mollien (Troyen, 26 février. Arch. nat., AF., IV, 906, non citée dans la Correspondance), le ministre de la police eut l'ordre de tenir un million à la disposition de l'Administration de la guerre. Il en fut ainsi vraisemblablement pour les autres ministères.

[69] Mollien, IV, 118. Cf. Mémoires de Rovigo, VI, 298-299.

[70] Napoléon à Rovigo, Jouarre, 2 mars, Reims, 14 mars ; à Cambacérès Reims, 16 mars. Arch. nat. AF., IV, 906 (lettres non citées dans la Correspondance).

[71] Pradt, Récit des événements qui ont amené la restauration de la royauté, 32-33.

[72] Pradt, 32, 35 ; Vitrolles, I, 33, 38, 39 et passim ; Miot de Mélito, III, 342, 343 ; Rovigo, VI, 304, 314, 317, 320 à 334, et passim ; Bourrienne, IX 344, 345 et passim ; Gain de Montagnac, 2, 3, 116 ; Révélations de Morin, 2143, Beauchamp, II, 248-255 ; Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, XI, 369.

[73] Mémoires de Miot de Mélito, III, 344.

[74] Mémoires de Rovigo, VI, 342-343.

[75] Vitrolles, I, 33 ; Rovigo, VI, 297, 314 et passim. Pradt, 35.

[76] Mémoires de Vitrolles, I, 50.

[77] Si l'empereur était tué, écrivait Talleyrand, le 17 ou le 18 mars, à la duchesse de Courlande, nous aurions alors le roi de Rome et la régence de sa mère. Les frères de l'empereur seraient bien des obstacles à cet arrangement par l'influence qu'ils auraient la prétention d'exercer, mais cet obstacle serait facile à lever. On les forcerait à sortir de France, où ils n'ont de parti ni les uns ni les autres... Brûlez cette lettre, je vous prie. Le 20 mars il écrivait encore : ... On parlait aujourd'hui d'une conspiration contre l'empereur et l'on nommait des généraux parmi les conjurés, tout cela vaguement. Si l'empereur était tué, sa mort assurerait les droits de son fils aujourd'hui aussi compromis que les siens... Tant qu'il vit tout reste incertain... L'empereur mort, la régente satisferait tout le monde, parce qu'on nommerait un conseil qui plairait à toutes les opinions et que l'on prendrait des mesures pour que les frères de l'empereur n'eussent aucune influence sur les affaires du pays... Brûlez cette lettre. Lettres inédites de Talleyrand, publiées d'après les originaux conservés à l'Académie royale de Bruxelles, dans la Revue d'histoire diplomatique, 1857, n° 2. Cf. Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, VI, 213, 214 ; Mémoires de Vitrolles, I, 58 (note) ; Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, XII, 375, 393, 394 ; Mémoires de Rovigo, VI, 304, 343 ; VII, 4, 55, 110. D'après Rovigo (VI, 352), Fouché qui se trouvait alors dans le midi de la France disait à la princesse Elisa, propre sœur de napoléon, ce que Talleyrand se contentait de penser : Madame, il n'y a qu'un moyen de nous sauver, c'est de tuer l'empereur sot-le-champ. — C'était dans l'arrière-pensée de la régence que Talleyrand s'opposait dès le mois de février an projet de faire partir l'impératrice. Voir Correspondance de Napoléon, 21 216. L'empereur pressentait là une trahison.

[78] Si la paix se fait, Bordeaux perd de son importance. Il la perdrait de même si l'empereur était tué. Lettre de Talleyrand à la duchesse de Courlande, 17 ou 18 mars. Revue d'histoire diplomatique, 1887, n° 2.

[79] Mémoires de Vitrolles, I, 61, 62, 67, 68 et passim.

Moins pour servir les royalistes que pour précipiter la chute de Napoléon, Talleyrand au commencement de mars suggéra l'envoi d'un émissaire aux souverains alliés, afin, dit Vitrolles, de les éclairer et de leur donner courage en relevant leurs espérances. Mais quand il s'agit de donner à cet émissaire, qui était Vitrolles, un mot ou un signe quelconque d'introduction, le prince de Bénévent s'y refusa ou du moins voulut paraître s'y refuser. D'après Vitrolles (I, 68, cf. 92), Dalberg écrivit devant lui, Vitrolles, avec de l'encre sympathique, un billet pour Nesselrode. D'après le témoignage du feu comte Nesselrode, qui nous a été transmis par son fils, le comte Nesselrode actuel, en même temps qu'il nous remettait la copie de ce billet dont il possède l'original, Ces lignes furent bien écrites en effet par Dalberg, mais elles furent écrites sous la dictée même de Talleyrand et en l'absence de Vitrolles, qui en ignora toujours le véritable auteur.

Nous donnons pour la première fois le texte de ce célèbre billet : L'homme qui vous remettra ceci mérite toute confiance. Écoutez-le et reconnaissez-moi. Il est temps d'être clair : Vous marchez sur des béquilles ; servez-tous donc de vos jambes et voulez (pour : veuillez) ce que vous pouvez.

[80] Mémoires de Vitrolles, I, 68.

[81] Souvenirs inédits de Jomini, II, 332, 333 ; Mémoires de Vitrolles, I ; Gain de Montagnac, Journal d'un Français, 3, 4, 81 ; Mémoires de Rovigo, VI, 311, 316, 324 et passim.

[82] Pradt, 45.

[83] Entre autres, une brochure du marquis de la Maisonfort, publiée à Londres, et le Fragment d'un ouvrage sur la conscription, imprimé vraisemblablement à Nancy et portant la date du 2 mars 1814.

[84] La seule nuit de la mi-carême, mille exemplaires de la proclamation du comte d'Artois furent répandus dans Paris. —Cf. Notes de police, du 13 février au 29 mars. Arch. nat., F. 6603, 6603, 7737, etc. Beauchamps 252-253 ; Rodriguez, Relation de ce qui s'est passé à Paris, 35. Rovigo, VI, 301. — Nous avons cité quelques passages de ces proclamations.

[85] Mémoires de Rovigo, VI, 17 à 21.

[86] Mémoires de Rovigo, VI, 321.

[87] Mémoires de Rovigo, VI, 347. Pradt, 38.

[88] Mémoires de Rovigo, VI, 34. Pradt, 47. La Valette, II, 83. — Selon Pradt (48), Rovigo lui aurait dit le 27 mars : Il est impossible que Napoléon continue à régner : il faut qu'il abdique en faveur de son fils. Gain de Montagnac (116) dit aussi que Rovigo voulait la régence.

[89] Mémoires de Rovigo, VI, 297, 304, 321 et passim ; VII, 51, 52, 53. Cf. Pradt, 37.

[90] Mémoires de La Valette, II, 84-85 : J'étais dans le cabinet de Rovigo quand il reçut l'ordre d'arrêter Talleyrand... Cf. Pradt, 37-33. Je ne puis douter qu'il n'ait plusieurs fois retenu le bras de Napoléon levé sur Talleyrand. Il fut vivement gourmandé à Blois, m'a-t-il dit, pour ne nous l'avoir fait arrêter. Viel-Castel (Histoire de la Restauration, I, 161) dit aussi : Après la bataille de Montereau, Napoléon avait ordonné formellement à Rovigo d'éloigner Talleyrand de la capitale, mais Rovigo ne crut pas devoir exécuter cet ordre.

[91] Papiers du général Pelet. Arch. de la guerre (carton du colonel Brahaut).

[92] Souvenirs inédits de Jomini, II, 332, 333. — On a dit que ce message avait déterminé les souverains à brusquer les choses et à entrer immédiatement en France. Il est permis de croire, en tout cas, que ces paroles n'étaient pas de nature à. arrêter leurs projets d'invasion.

[93] Révélations de Morin, 21-23 ; Gain de Montagnac, 3.

[94] Rovigo, VI, 351. — Savary apprit ce fait après la chute de l'empire.

[95] Révélations de Morin, 23. Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, VI, 207-208.

[96] Notes de police, 30 janvier, 6 février et passim. Arch. nat., F. 7, 6603.

[97] Rapport de police du 4 février. Arch. nat., AF., IV, 1534.

[98] Mémoires de Rovigo, VI, 334-335, 345.

[99] Lettre de Napoléon à Rovigo, Reims, 14 mars. Arch. nat., AF. IV, 906. (Non citée dans la Correspondance.)

[100] Rapports journaliers de Pasquier, du 3 au 12 mars. Notes et rapports de police et lettres de préfets, du 3 au 30 mars. Arch. nat., AF., IV, 1534 ; F. 3737 ; F. 7, 3772 ; F. 7, 4289 et 4290. Les préfets et les commissaires généraux de police mentionnent spécialement l'effet désastreux produit dans presque tous les départements par la révolution de Bordeaux et surtout par la prise de Lyon.

[101] Ce décret rendu à Troyes le 4 février et non inséré au Bulletin des lois portait formation d'un comité pour la surveillance et la rédaction des journaux. Le comte Boulay (de la Meurthe) en était président ; les cinq membres étaient : Desrenaudes, conseiller de l'Université ; Pellenc, censeur ; Étienne, Tissot et Gay, rédacteurs en chef du Journal de l'empire, de la Gazette de France et du Journal de Paris. L'article III était ainsi conçu : Tous les articles des journaux relatifs aux mouvements des armées, à l'esprit public et à la politique extérieure seront rédigés par ce comité ou lui seront fournis. Aucun article sur lesdits objets ne pourra être imprimé sans être revêtu en minute de l'approbation dudit comité. Arch. nat., F. 7, 4379.

[102] Rapport de police, 9 mars, Arch. nat., F. 7, 3737 ; Correspondance de Joseph, X, 200.

[103] La bataille de Craonne, connue le 9 mars, ne fit monter la rente que de 25 centimes, de 51 à 51,25 ; et le lendemain, 10 mars, le Moniteur ayant annoncé cette affaire comme une bataille très glorieuse, mais non décisive, la rente tomba à 49,50. — La prise de Reims, connue le 15 mars, laissa les cours à 49,25. — Le mouvement de l'empereur vers l'Aube, signalé dans le Moniteur du 22 mars comme présentant déjà de grands succès, ne trouva pas confiance à la Bourse. La rente descendit de 49 à 48,75.

[104] Le Times, le Globe, le Morning Chronicle, l'Ambigu, le Courrier, le Journal de Stuttgart, des 8, 12, 14, 15, 16, 17 mars. Le Morning Chronicle disait même que Schwarzenberg avait remporté une victoire à Charenton !

[105] Rapports de police, 9 et 11 février et passim. Arch. nat , AF., IV, 1584, Daru à Clarke, 9 mars. Arch. de la guerre. Correspondance du roi Joseph, X, 142. Rodriguez, 25 ; — Chateaubriand, dans son fameux pamphlet : Buonaparte et les Bourbons, fait de l'entrée des blessés à Paris ce tableau romantique : ... des chars que l'on suivait à la trace du sang, remplis de conscrits sans bras et sans jambes, jetant des cris et priant les passants de les achever.

[106] Montalivet à Clarke, 11 février. Arch. nat., AF., IV, 1534. Daru à Clarke, 2 mars. Arch. de la guerre. Correspondance du roi Joseph, X, 142-444.

[107] Rapports de Pasquier, 9 février et 1er mars, et rapports de Hullin, 16 janvier et 10 mars. Arch. nat., AF., IV, 1534.

[108] Journal de l'Empire, Gazette de France, Journal de Paris du 15 février au 23 mars, Cf. d'Hauterive à Caulaincourt, 28 février, et Caulaincourt à d'Hauterive, 2 mars. Arch. des affaires étrangères, fonds France, 670. Rodriguez, 27, 28.

[109] Cf. Rapports d'auditeurs en mission et de préfets, dépositions de prisonniers, etc. Arch. mat., AF. IV, 1668. F. 7, 3772. F. 7, 4290 et F. 7, 4291.

Paris sera anéanti si l'ennemi y entre. C'est une chose que les généraux ennemis ont promise à leurs soldais qui frémissent de joie en parlant de Paris. Aucune puissance humaine n'arrêterait le pillage et l'incendie. Je suis fixé là-dessus par tous les détails que j'ai recueillis des conversations des généraux ennemis et des propos des soldats. Rapport à Rovigo d'un commissaire général de police envoyé en mission. La Ferte-sous-Jouarre, 8 mars. Arch. nat., F. 7, 4290. Un autre rapport parle de petits barils de mèches incendiaires apportés de Russie par les Cosaques ! À force de vouloir inspirer la terreur on était soi-même terrorisé.

[110] Times, 15 mars. — Les journaux anglais et allemands de février et de mars et le Journal de Bruxelles sont remplis de pareils articles.

[111] Hauterive à Caulaincourt 28 février. Arch. des affaires étrangères, tonds France, 670. — Caulaincourt, répondait le 2 mars : Vous avez raison sur les journaux qui ne servent qu'à consterner la France...

[112] Pasquier à Rovigo, 16 mars. Arch. nat., F. 9, 753.

[113] Les nouvelles se répandaient grâce aux indiscrétions perfides des Dalberg, des Jaucourt, des Pradt, des Bourrienne, des Angles, car les journaux gardaient le silence sur la dissolution du congrès de Châtillon comme sur l'interruption des communications avec l'empereur. Le 22 mars, le Moniteur parlait des affaires du 19 à Plancy, et à Châtres et de la retraite des Alliés sur Bar-sur-Aube ; les jours suivants, il ne donnait aucune nouvelle. Le 28, il disait : L'armée occupe Doulevent, Chaumont, Brienne. Elle est en communication avec Troyes, et les patrouilles vont jusqu'à Langres. Mais il ne disait pis que les Alliés se trouvaient entre l'armée et Paris.

[114] Rapport de Pasquier, 11 mars. Arch. nat., AF., IV, 1534. On remarque que l'œil se porte partout là où se trouve l'empereur et que l'on n'a confiance que dans le succès de ses armes. Cf. Lettre à Rovigo, F. 7, 9290 : Or ne peut espérer qu'à l'armée où commande l'empereur et l'on est fondé d'attendre des revers là où il ne commande pas.

[115] Rapports de police, 17, 21, 23, 25, 26, 27, 28 mars. Arch. nat., F. 7, 6605 et F. 7, 3737. Journal d'un prisonnier anglais. (Revue britannique, 1826, IV, 284-287). Rodriguez, 34, 35, 40. Cf. Gain de Montagnac, 116.

[116] Rapports de police, 27 et 28 mars. Arch. nat., F. 7, 3737.

[117] Berthier à Joseph, Arcis-sur-Aube, 21 mars et Joseph à Napoléon, 22 mars (Correspondance du roi Joseph, X, 207, 208). Cf. Joseph à Hullin, 23 mars. Arch. de la guerre.

[118] Joseph à Napoléon, 26 et 28 mars (Correspondance du roi Joseph, X, 211 et 214). — La lettre à Clarke datée de Sommepuis, 22 mars (Correspondance de Napoléon, 21 529) état parvenue an ministère dans la nuit du 22 au 23 (Clarke à Michal, 23 mars. Arch. de la guerre.) Le 26 ou le 27, une lettre de Fain du 25 était arrivée à La Valette (Correspondance du roi Joseph, X, 214), mais c'était tout. Le courrier porteur de la longue et si intéressante lettre de Napoléon à Clarke, datée de Saint-Dizier, 23 mars (Arch. nat., AF., IV, 906), trouvant les routes directes coupées, chercha un autre chemin et n'arriva à Paris que le 28 on le 29 mars, quand les communications eurent été rétablies par Troyes.

[119] Clarke à Napoléon, 25 mars, 1 heure du matin. Arch. de la guerre. Cf. Mémoires de Rovigo, VI, 356-359 ; Souvenirs de Méneval, II, 37-38. On a vu comment cette lettre était tombée aux mains de l'ennemi.

[120] Compans à Clarke, Sézanne, 25 mars, 10 heures du soir. Arch. de la guerre.

[121] Joseph à Hullin, 23 mars. Arch. de la guerre.

[122] Joseph à Hullin, 23 mars. Le sous-directeur des parcs à Hullin, 24 mars. Rapport du premier inspecteur du génie, 25 mars, Arch. de la guerre. Correspondance du roi Joseph, X, 210-213. Relation d'Allent, 110-134.

[123] Clarke à Hullin, 25 mars. Arch. de la guerre.

[124] Clarke à Joseph, 27 mars. Arch. de la guerre.

[125] Clarke à Ledru Desessarts, 27 mars. Arch. de la guerre.

[126] Ledru Desessarts à Clarke, Meaux, 27 mars, 9 heures du soir. Cf. Clarke à Mortier, 28 mars, 10 heures du soir. Arch. nat., AF., IV, 1670. — En même temps que la lettre de Ledru Desessarts, Clarke recevait le rapport de Marmont, daté de Provins, 27 mars, 7 heures du soir, où se trouvaient ces mots : Le mouvement de l'ennemi sur Paris n'est pas douteux.

[127] Ministres avec portefeuille : Montalivet (intérieur), Clarke (guerre), Daru (administration de la guerre), Decrès (marine), duc de Gaëte (finances), Mollien (trésor public), Rovigo (police), Bigot de Préameneu (cultes), Sussy (Commerce). Ministres d'Etat : ducs de Cadore et de Massa, Regnault de Saint-Jean-d'Angély, Boulay de la Meurthe, Merlin de Douai, Muraire, comte de Cessas, Fermont.

[128] Rovigo, VI, 363-364 ; Mollien, IV, 129 ; Méneval, II, 48 ; lettres inédites de Talleyrand, 28 et 29 mars (Revue d'histoire diplomatique). Regnault de Saint-Jean-d'Angély à Moncey, 28 mars. Arch. de la guerre.

[129] Mémoires de Rovigo, VI, 364-368 ; Méneval, II, 130. — Rovigo ne dit pas le chiffre des troupes que donna Clarke. Si le ministre était renseigné comme il le devait être et s'il fut exact dans la déposition, il dut énumérer les effectifs suivants :

Paris : disponibles des dépôts de la ligne, 3000 ; disponibles des dépôts de la garde : 5500 ; cavalerie et infanterie de la vieille garde, affectée à la garde du roi de Rome : 1 200 ; 12. de marche de cavalerie : 400 ; gendarmes d'élite : 800 ; vétérans : 500 ; canonniers de la marine, de la garde, de la ligne, canonniers hollandais à Vincennes : 1000 ; artillerie de la garde nationale (volontaires, invalides et élèves de l'École polytechnique) : 800 ; sapeurs pompiers et élèves de l'École d'Alfort, et de Saint-Cyr, gardes nationales de la banlieue : 1.200 ; gardes nationales : 12.000. Total : 26.400 hommes.

Corps de Meaux : infanterie de Ledru Desessarts : 3.400 ; infanterie de Compatis : 1.200 ; cavalerie de Vincent (isolés et 8e et 10e de marche) : 1.000. Total : 5.600 hommes.

Corps de Marmont et de Mortier : 11.200 hommes. (Clarke n'avait point ce dernier chiffre. Il devait évaluer ces deux corps d'armée entre 10 et 15.000 hommes. Total général 43.200 hommes.

Cf. Ornano à Clarke, 24 mars. Clarke à Hullin, 29 mars. Ledru Desessarts à Clarke, 26 mars. Situation des 6e corps d'armée et des divisions de la garde sous Mortier, 29 mars. Situation de la subdivision de Seine-et-Marne, 26 mars. Journal de Vincent. Arch. de la guerre. Correspondance de Napoléon, 21 134, etc., etc.

[130] Rovigo, très irrité contre Clarke depuis l'affaire du général Mallet, charge extrêmement le ministre de la guerre. Il dit que Clarke cacha qu'il avait 54.000 fusils dans les arsenaux. Or on a vu que dans les premiers jours de février il y avait à Paris 11.000 fusils en état et à Vincennes 30.000 fusils à réparer. Si l'on songe qu'en février et en mars on arma !es divisions Charpentier, Boyer de Rebeval, Porret de Morvan, Arrighi, Souham, Lefebvre-Desnoëttes, Compans, Ledru Desessarts, etc., on reconnaît qu'en admettant que les 30.000 fusils aient été tous réparés, il devait en rester à peine 2 ou 3.000 non employés. Ce furent ces 2 ou 3.000 fusils qui furent distribués le soir du 29 mars et le 30 au matin à la garde nationale. Pour accuser Clarke sur ce point, il faudrait accuser avec lui Joseph et le général Daumesnil. Il faudrait accuser Rovigo lui-même, qui eût été bien avisé de ne pas attendre la publication de ses Mémoires pour révéler l'existence de ces 54.000 fusils ignorés. Rovigo reproche aussi à Clarke envole enlevé d'autorité à la préfecture le la Seine les chevaux de trait qu'on était parvenu à y réunir. Mais ces chevaux, le ministre de la guerre ne les prenait pas pour ses carrosses apparemment. C'était pour le service des batteries de campagne que l'empereur ne cessait pas de demander.

[131] Rovigo, VI, 366-371 ; Mollien, IV, 130. Lettres inédites de Talleyrand, 29 mars (Revue d'histoire diplomatique). Mais quel poids pouvait avoir aux yeux de Joseph l'opinion de Talleyrand, s'il se rappelait ces mots écrits par Napoléon le 8 février : Si Talleyrand est pour quelque chose dans l'opinion de laisser l'impératrice à Paris, c'est une trahison qu'il doit comploter. Je vous le répète, méfiez-vous de cet homme... Correspondance, 21 210.

[132] Rovigo, VI, 368. Cf. Méneval, II, 48.

[133] Cette lettre, datée du 16 mars, avait été communiquée le 18 par Joseph à l'impératrice, à Cambacérès et aux ministres de la guerre et de la marine. Joseph à Napoléon, 18 mars (Correspondance du roi Joseph, 204). Clarke se souvenait si bien de la lettre que dans son discours il en reproduisait les termes mêmes : Le fils d'Hector livre aux Grecs...

[134] Rovigo, VI, 368-369.

[135] Correspondance de Napoléon, 21 497.

[136] L'intérêt du pays est que l'impératrice et le roi de Rome ne restent pas à Paris... Je préférerais qu'on égorgeât mon fils plutôt que de le voir jamais élevé à Vienne comme prince autrichien. Correspondance, 21 210 (Nogent, 8 février). Dans sa lettre à Napoléon du 5 février (Correspondance de Joseph, X, 44-45), Joseph fait allusion à un ordre analogue ou à des instructions verbales de l'empereur prescrivant le départ de l'impératrice. De même dans les lettres du 6 février, du 8 février, du 9 février. — Les mots de la lettre de l'empereur du 7 février. Tenez ferme aux barrières de Paris (Correspondance, 21 196) qu'on a tenté d'opposer à ces instructions n'y sont nullement contradictoires. D'abord il s'agissait, là de repousser un parti ennemi et non une armée ; ensuite dans l'idée de l'empereur on pouvait défendre Paris sans y laisser pour cela Marie-Louise.

[137] Clarke à Joseph, 29 mars, 3 heures du matin. Arch. de la guerre. Lettre précitée de Talleyrand, 29 mars. Rovigo, VI, 370-372 ; Méneval, II, 48-49 ; Mollien, IV, 131 ; Supplément aux Mémoires de Gaudin, 164.

[138] Mémoires de Rovigo, VI, 372-373. — D'après l'auteur des Mémoires du roi Jérôme, Jérôme n'assistait pas au conseil de régence, et il eut après la séance une très vive altercation avec Clarke. Jérôme voulait que le gouvernement restât à Paris.

[139] Mémoires de Rovigo, VI, 378-379.