Le 23 mars, à l'heure même où les souverains et les généraux alliés, fort troublés par le hardi mouvement de Napoléon sur leur ligne de communications et bien loin de penser alors à prendre la route de Paris, discutaient à Pougy s'ils battraient en retraite vers Langres ou s'ils suivraient les Français au delà de la Marne, l'empereur, à Saint-Dizier, méditait les divers plans stratégiques qui se combattaient dans son esprit. Quand Napoléon balançait entre plusieurs projets, il lui arrivait souvent de les préciser par écrit, fixant ainsi les pensées fugitives, les voyant plus clairement et les jugeant mieux. Il dicta une note au duc de Bassano d'après laquelle il y avait quatre partis à prendre : l° marcher sur Vitry dans la nuit et y attaquer l'ennemi le lendemain matin ; 2° se porter sur Saint-Mihiel et Pont-à-Mousson, rallier les garnisons des places et donner une bataille avec Metz pour ligne d'opération ; 3° marcher sur Joinville et Chaumont ; 4° marcher sur Brienne. Le plus raisonnable de ces projets, concluait l'empereur, paraît être celui qui s'appuie à Metz et à mes places fortes et qui approche la guerre des frontières[1]. Ce projet qui paraissait le plus raisonnable dans l'après-midi, et qui d'ailleurs était conforme au plan antérieur de Napoléon, l'empereur y renonça dans la soirée, ou du moins le différa. De nombreux renseignements parvenus au quartier impérial, il résultait que loin de chercher à défendre lent ligne d'opération — ce que les Alliés auraient pu faire en se portant sur la route de Brienne contre l'armée française —, ils l'abandonnaient et, évacuant Troyes, Bar, Brienne, dégarnissant Chaumont et Langres, ils s'avançaient en masse vers Vitry[2]. Napoléon, alors, combine un nouveau mouvement. Il laissera les Austro-Russes s'engager à sa poursuite dans la direction de Metz et, par un brusque changement de front, il se rabattra vers l'Aube et prendra sa ligne d'opération sur Bar et Troyes. Il ira, comme on dit, coucher dans le lit de l'ennemi. Ainsi placé sur les communications de la grande armée et ayant rétabli les siennes avec Paris, il pourra, selon les circonstances, se porter contre les Alliés ou attendre en bonne position, couvert par l'Aube, leur retour offensif[3]. A onze heures et demie du soir, Berthier envoya l'ordre à toutes les brigades de cavalerie qui marchaient vers Bar-sur-Ornain et Vaucouleurs, de rallier le lendemain l'empereur sur la route de Saint-Dizier à Vassy. Le même ordre fut envoyé au prince de la Moskowa, à Frignicourt, et au duc de Tarente à Villotte. Nous marchons sur Bar-sur-Aube, écrivit le major général, mais faites courir le bruit parmi vos soldats, à cause des prisonniers, que nous marchons sur Metz. Cette recommandation ne fut pas oubliée : les blessés français tombés entre les mains de l'ennemi près de Frignicourt dirent que l'empereur se portait de Saint-Dizier sur Metz[4]. Dans cette soirée du 13 mars, Caulaincourt arriva à Saint-Dizier[5]. Abusé par les lettres de Metternich[6], le duc de Vicence croyait encore à la possibilité de la paix et espérait reprendre au quartier général des Alliés, avec les ministres, les négociations rompues à Châtillon avec les plénipotentiaires[7]. Après la clôture du congrès, il avait voulu rejoindre incontinent l'empereur afin d'obtenir de lui les sacrifices nécessaires. Mais il avait été retenu jusqu'au 21 à Châtillon par les formalités de la remise des passeports et arrêté ensuite, dans sa route, par le mauvais vouloir manifeste des commandants des avant-postes ennemis. Introduit auprès de l'empereur dès son arrivée, Caulaincourt fit le récit détaillé des dernières séances du congrès, et s'appuyant sur les trompeuses promesses de Metternich, il tenta de faire partager à Napoléon ses espérances de renouer les négociations et de les mener à bonne fin. L'empereur, qui lisait mieux que son plénipotentiaire dans la pensée des Alliés, ne se payait point de ces illusions. Plus que jamais, il jugeait la paix impossible. D'autre part, les derniers renseignements le faisaient bien augurer de son audacieuse manœuvre. Les armes seules lui laissaient des chances de salut. Les représentations et les prières du duc de Vicence restèrent vaines[8]. Le 24 mars, la vieille garde, l'artillerie de réserve et les divisions Letort et Lefebvre-Desnoëttes se mirent en marche dès quatre heures du matin sur la route de Vassy. Le corps de Ney et la cavalerie avaient l'ordre de suivre le mouvement. En raison de sa position, Macdonald devait faire l'arrière-garde. Il en était fort troublé, s'imaginant qu'il allait être attaqué par toute l'armée alliée. Pour mal fondées qu'elles fussent, car déjà il avait été prescrit aux Austro-Russes de se porter sur Châlons[9], les craintes du maréchal n'en étaient pas moins vives. Si l'ennemi me poursuit, écrivait le duc de Tarente, il arrivera malheur infailliblement. Je ne puis, dans l'état des choses, espérer des résultats favorables... Nous perdons tout si l'ennemi fait un effort. Il peut m'écraser, car rien ne peut aller en hommes ni en chevaux[10]. Enfin à sept heures du matin, comme l'empereur allait de sa personne quitter Saint-Dizier, un aide de camp de Ney arriva au quartier impérial. Le prince de la Moskowa, ému des supplications de Macdonald et inquiet de ses inquiétudes — la crainte est contagieuse — sollicitait l'autorisation de rester sur la Marne pour soutenir ce maréchal et demandait à être soutenu lui-même par l'empereur. Le parti de Napoléon était pris, et d'ailleurs il était accoutumé depuis les débuts de cette fatale campagne aux doléances de ses lieutenants. Il se refusa à suspendre son mouvement. L'empereur, répondit Berthier au maréchal Ney, serait parti pour vous rejoindre sur-le-champ s'il n'était indispensable que Sa Majesté se trouvât avec l'avant-garde dans la marche qu'elle fait sur Colombey-les-Deux-Églises... L'empereur ne peut pas ordonner d'ici le mouvement. Il le dirigera lui-même suivant les renseignements qu'il recevra en route, afin de pouvoir prendre une autre direction s'il le fallait[11]. Le mouvement s'opéra comme le voulait l'empereur. Le soir, la garde cantonna à Doulevent et aux environs, les cuirassiers de Saint-Germain occupèrent Nully sur la route de Brienne, et l'infatigable cavalerie légère de Piré poussa jusqu'à Daillancourt et à Colombey-les-Deux-Églises. L'infanterie de Ney, les divisions Colbert et Exelmans sous Sébastiani, et les divisions Maurin et Defrance s'échelonnèrent entre Saint-Dizier et Vassy, les trois corps de Macdonald et la cavalerie de Trelliard et de Milhaud, entre Perthes et Saint-Dizier[12]. Contrairement à ses appréhensions, le duc de Tarente n'avait été suivi que par quelques escadrons ennemis. Voyant néanmoins que Ney ne le couvrait plus, il avait retenu Sébastiani jusqu'à onze heures du matin, en invoquant de prétendus ordres de l'empereur — moyen peu digne d'un chef, dit Sébastiani[13]. Le 25 mars, tandis que la cavalerie jetait des partis sur Brienne, Bar-sur-Aube et Chaumont[14], l'empereur séjourna à Doulevent. Avant de poursuivre de sa personne sa marche sur Bar et Troyes, il voulait avoir de nouveaux renseignements. Les reconnaissances lui confirmaient que les Austro-Russes abandonnaient le terrain jusques à Langres, qu'ils évacuaient Troyes, que l'empereur d'Autriche se sauvait vers Dijon, que tout était eu désarroi sur la ligne d'opération des Alliés[15]. Mais, d'autre part, Schwarzenberg, qui la veille avait accusé son mouvement sur Vitry, semblait l'arrêter ou tout au moins le ralentir. Macdonald n'avait pas été inquiété dans sa retraite, Ney écrivait que tout était tranquille du côté de Vitry et que les Coalisés paraissaient se diriger H vers Brienne[16]. Quels étaient donc les desseins de l'ennemi qui, en même temps qu'il s'éloignait de Vitry, évacuait Troyes et se disposait à évacuer Langres ? Ces desseins, on les sait bien, mais Napoléon ne pouvait alors que les soupçonner, et, connaissant la stratégie prudente du généralissime autrichien, il lui était impossible d'y croire. Néanmoins l'empereur s'arrêta, hésitant, et dépêcha l'ordre aux commandants de corps d'armée de faire halte dans la journée aux points où ils se trouvaient, échelonnés entre Vassy et Doulevent. Ce n'est que dans quatre ou cinq heures d'ici, écrivit-il, que j'aurai des idées claires sur ce que fait l'ennemi. Il est donc nécessaire que personne ne bouge[17]. Dans l'après-midi et dans la soirée, de nouvelles dépêches arrivèrent au quartier impérial. Macdonald écrivait qu'il entendait le canon à l'arrière-garde, Ney que dix mille chevaux s'avançaient sur la route de Vitry à Saint-Dizier, qu'ils entraient dans cette ville, qu'ils franchissaient la Marne[18]. (C'était la cavalerie de Winzingerode.) Ainsi, au lieu de défendre leur ligne de communications par Brienne, comme l'empereur s'y était attendu, ou de suivre l'armée française sur la fausse piste de Metz, comme il l'avait un instant espéré, les Austro -Russes marchaient vers Saint-Dizier. Les dix mille chevaux signalés étaient-ils d'ailleurs un corps détaché ou une forte avant-garde ? L'empereur l'ignorait. Mais quelles qu'elles fussent, ces troupes avaient la Marne à dos ; c'était une bonne occasion pour les combattre. Macdonald lui-même, peu porté à l'optimisme, et bien que se plaignant du manque total de distributions, déclarait la position très tenable. À neuf heures du soir, les ordres furent expédiés. L'intention de l'empereur, écrivit Berthier à Ney et à Macdonald, est d'attaquer l'ennemi demain matin et de l'acculer à la Marne. L'ennemi est disséminé. Tout porte à croire que nous aurons demain une bonne journée...[19] Malgré la bonne journée que se promettait Berthier, l'empereur ne laissait pas d'être fort inquiet des incompréhensibles mouvements de l'ennemi. Sa confiance de l'avant-veille l'abandonnait. De plus, l'arrivée du duc de Vicence, preuve vivante de la rupture du congrès, avait provoqué une émotion malheureuse au quartier impérial. Tandis que les soldats et les officiers de troupe combattaient encore pour la vengeance et pour la victoire, les états-majors ne combattaient plus que pour la paix. La clôture des pourparlers détruisait cette espérance, le mécontentement éclatait en murmures. Une simple porte pouvait empêcher Napoléon d'entendre ces mots : — Où va-t-on ? — Que deviendrons-nous ? — S'il tombe, tomberons-nous avec lui ?[20] L'empereur feignait d'ignorer ces propos, mais le découragement de son entourage le gagnait lui-même. À la suite d'un nouvel entretien avec Caulaincourt, il l'autorisa à écrire au prince de Metternich pour renouer les négociations. Devant les trahisons de la fortune, Je souverain était resté inébranlable ; devant la désaffection de ses compagnons d'armes, le soldat faiblissait. Il se résignait à céder la rive gauche du Rhin. Les lettres du duc de Vicence partirent dans la nuit même[21]. En attendant la très douteuse reprise de l'action diplomatique, il fallait combattre, toujours combattre. Le lendemain 26 mars, l'empereur, parti à deux heures et demie du matin de Doulevent, arriva à Vassy au point du jour[22]. Il apprit de Macdonald que l'ennemi, qui la veille pressait vivement l'arrière-garde de Gérard, s'était arrêté et n'avait plus en présence que quelques sotnias de Cosaques. Tettenborn qui formait la tête de colonne de Winzingerode avait habilement agi. Tant que les Français battaient en retraite, son rôle était de les serrer de près afin de leur faire croire qu'ils étaient suivis par une armée, mais s'ils paraissaient revenir sur leurs pas, il fallait se dérober, de peur qu'un engagement sérieux ne révélât à l'empereur qu'il n'avait devant lui qu'un rideau. Tettenborg s'arrêta donc à Éclaron, jetant seulement quelques partis à Humbécourt. Malgré cette tactique, il ne put éviter le combat. La cavalerie française refoula les Cosaques jusqu'à la Marne qu'ils passèrent en désordre. Du sommet du plateau de Valcour, l'empereur vit sur la rive droite de la rivière une masse de chevaux soutenue par de l'infanterie et du canon. Les escadrons formés sur deux lignes, en avant et en arrière de la route de Vitry, appuyaient leur gauche au faubourg de Saint-Dizier, que défendait un millier de fantassins, et s'étendaient à droite vers la garenne de Perthes, dont un bataillon occupait la lisière. Douze canons étaient en batterie sur le front, trente étaient en réserve. Quelques escouades de tirailleurs se tenaient espacées sur le bord de la rivière. L'empereur ordonna de marcher en masse à l'ennemi, de façon à le terrifier par la rapidité de l'attaque et le grand déploiement des forces. Oudinot avec le 7e corps se dirigea sur Saint-Dizier par la forêt du Val, et toute la cavalerie, Sébastiani en tête, franchit la Marne au gué de la Neuville, se formant par pelotons en ligne à mesure qu'elle atterrissait. Les troupes de Macdonald et de Gérard et la vieille garde s'élancèrent à sa suite, mais elles n'eurent point à donner. La cavalerie qui, chargée au débouché par les Cosaques de Tettenborn, les repoussa et s'engagea par échelons aussitôt sa formation achevée, suffit à rompre l'ennemi. Comme il arrive généralement, les troupes, sans recevoir le choc total de forces si supérieures, en subirent néanmoins l'effrayante impression. À la vue de la foule d'hommes et de chevaux qui s'avançaient contre elles, elles furent intimidées, ébranlées, vaincues d'avance. Cet effet moral, inspiré ou subi, double ou diminue, dans les batailles, l'action des combattants. L'avant-garde d'une grande armée a une irrésistible puissance parce que les hommes qui la composent, fussent-ils inférieurs en nombre à leurs adversaires, sentent derrière eux des masses prêtes à les soutenir, masses qui effectivement agissent sur l'ennemi par leur seul déploiement. C'est pourquoi un général est mal fondé à dire : Nous avons combattu à forces égales, car je n'ai engagé que la moitié de mon monde. Le plus souvent c'est cette autre moitié, celle qui n'a pas combattu, qui a décidé de la victoire. Il en fut ainsi à Saint-Dizier. Avant d'avoir pris contact, la cavalerie de Winzingerode était ébranlée ; aux premières charges, elle se prépara à céder le terrain. Winzingerode donna l'ordre à Tettenborn de se replier sur Vitry, tandis que lui-même battrait en retraite sur Bar-sur-Ornain en tâchant de rallier son infanterie à Saint-Dizier. Le général Sébastiani, voyant les Russes se former en colonnes, lança sur ces cavaliers, pendant qu'ils présentaient le flanc, les dragons de la garde et les grenadiers à cheval. Las deux mille dragons d'Espagne du comte Trelliard appuyèrent le mouvement. Bientôt rompue, la cavalerie de Winzingerode s'enfuit, partie dans la forêt des Trois-Fontaines, partie sur la route de Bar-sur-Ornain. Pendant ce temps, l'infanterie de Levai entrait tambour battant dans Saint-Dizier dont les défenseurs firent à peine résistance. Les deux bataillons russes se mirent en retraite sur la route de Bar, oh bientôt rejoints par les dragons de Trelliard, ils furent sabrés et poursuivis jusqu'à cinq kilomètres au delà de Saudrupt. À la gauche, la division Lhéritier rejeta vers Perthes les Cosaques de Tettenborn et les tirailleurs ennemis. Lefebvre-Desnoëttes, qui soutenait Lhéritier, n'eut à engager qu'un peloton de mameluks, auxquels le fameux Roustan s'était joint en volontaire. Les mamelucks, dit le rapport de Lefebvre-Desnoëttes, ont sabré à l'ordinaire. En deux heures, la plaine fut nettoyée. L'ennemi laissa sur le champ de bataille 500 tués ou blessés, 2.000 prisonniers et 18 canons[23]. L'ardeur des Français dans l'attaque avait été magnifique, égale à la ténacité dans la défense qu'ils avaient montrée à Arcis-sur-Aube. La victoire, facile à remporter, était peu de chose, mais le grand élan des troupes, que tant de souffrances et de fatigues n'avaient point découragées, était significatif. Avec une pareille armée dans la main, Napoléon était encore redoutable. Les plus graves inquiétudes vinrent troubler la satisfaction que cette brillante affaire donnait à l'empereur. Il avait cru combattre un corps de l'armée de Schwarzenberg, et il a combattu un corps de l'armée de Blücher. Comment Blücher, qui, il y a quelques jours, menaçait Soissons, est-il maintenant sur les confins de la Lorraine ? Et comment Schwarzenberg, qui marchait vers Vitry, a-t-il soudain disparu ? Où est la grande armée austro-russe ? Faut-il donc ajouter foi aux propos de quelques prisonniers qui disent que les Allies s'avancent sur la route de Paris. L'empereur doute encore et surtout veut encore douter. Pour acquérir une certitude, il pousse le corps d'Oudinot sur Bar ; lui-même avec l'armée se porte sur Vitry. En reprenant l'offensive, en pressant vigoureusement les colonnes éparses de l'ennemi, il saura enfin où se concentrent ses masses[24]. Dans l'après-midi du 27 mars, on était devant Vitry. L'empereur et les maréchaux tenaient conseil sur la possibilité d'enlever la place de vive force, lorsque de nouveaux renseignements arrivèrent de toutes parts[25]. Dépêches interceptées[26], bulletins imprimés de l'ennemi[27], rapports de paysans, récits de prisonniers français évadés, tout s'accorde, tout malheureusement se confirme : les Alliés marchent sur Paris. — Il s'agit bien maintenant de Vitry ! L'empereur remonte à cheval et pique vers Saint-Dizier. Il s'enferme, étudie ses cartes, ses rapports. Il hésite sur le parti à prendre. Il s'abîme dans ses pensées[28]. Depuis son entrée sur la scène du monde, jamais les événements n'ont placé Napoléon dans une aussi redoutable alternative. Le sceptre et l'épée tremblent dans sa main ; il les tient encore, mais le moindre faux mouvement les fera lui échapper. Faut-il donc revenir à marches forcées vers Paris ? Mais arrivera-t-on à temps ? Les Alliés ont une avance de trois jours sur l'armée impériale. Ne les trouve-t-on pas déjà maîtres de la capitale de la France ? Les quelques troupes des dépôts et les gardes nationales qui en forment la garnison auront-elles pu résister soixante heures ? Faut-il, au contraire, ne pas plus s'inquiéter de Paris que le czar ne s'est inquiété de Moscou, et persister dans le mouvement commencé ? De l'Yonne à la Marne, de la Seine à la Meurthe, les Alliés ont abandonné tout le terrain. Pendant quinze jours, on manœuvrera librement. On peut rallier les garnisons des places, proclamer la levée en masse en Lorraine, en Alsace, en Champagne, en Bourgogne, détruire les colonnes en retraite, saisir les convois, reprendre les villes occupées : Châlons, Vitry, Dijon, Vesoul, Langres, Nancy. Déjà Troyes, Bar-sur-Aube, Bar-sur-Ornain, Chaumont sont au pouvoir de nos troupes, reçues partout au cri de : Vive l'empereur ![29] Le général Durutte est sorti de Metz avec 4.000 hommes, il a forcé le blocus de Thionville, emmené la moitié de la garnison, repoussé le corps du prince électeur de Hesse ; il s'avance le long de la Moselle[30]. Le général Broussier est au moment de quitter Strasbourg à la tête de 4.000 fantassins et de 1.000 cavaliers. Les garnisons de Schlestadt, de Neuf-Brisach, de Phalsbourg sont averties et se préparent à rallier Broussier dès son entrée en campagne[31]. Le général Duvigneau marche sur Châlons avec 9.000 hommes de la garnison de Verdun[32]. Devant Longwy, Montmédy, Luxembourg, Sarrelouis. Landau, il n'y a que des cordons de troupes qui se rompront à la première alerte[33]. Souham est à Nogent avec sa division. À Auxerre, 2.000 hommes résolus sont concentrés sous les ordres d'Allix qui vaut une armée[34]. A côté des soldats, il y a les paysans. Le mouvement
patriotique qui, au mois de février, a remué la Champagne, la Brie, la
Bourgogne, gagne la Lorraine, l'Alsace, la Franche-Comté. Surprises par
l'invasion, que les populations rurales ne pouvaient prévoir, — car elles
croyaient Napoléon invincible, et les bulletins mensongers de 1813 les
avaient maintenues dans leur foi, — les provinces frontières n'ont d'abord
opposé aucune résistance. Mais le poids odieux de l'occupation étrangère, les
réquisitions, le pillage, les mauvais traitements, n'ont pas tardé à
exaspérer villes et campagnes. À l'abattement a succédé la colère, à la
soumission la révolte. Un grand cri de vengeance retentit de l'Yonne aux
Vosges. Partout les paysans se trouvent prêts à seconder l'armée. Où la prise
d'armes n'est pas faite, elle est imminente. Dans
l'état d'exaspération où est le peuple, écrit Napoléon, on ferait marcher jusqu'aux femmes[35]. Les Ardennes
sont en pleine insurrection[36]. Dans l'Argonne,
dont 750 partisans, tous déterminés et bons tireurs, occupent les défilés,
6.000 paysans ont répondu à l'appel du tocsin[37]. Dix-huit
compagnies de gardes nationales, organisées militairement par le colonel
Viriot, battent l'estrade dans la Meurthe et dans la lieuse. Quinze mille montagnards, écrit cet officier, se lèveront quand nous paraitrons. Mon mot de ralliement est
Patrie et Napoléon, tous deux chers à mon cœur. Je verserai la dernière
goutte de mon sang pour le grand Napoléon[38]. Dans le Loiret,
dans l'Yonne, en Saône-et-Loire, les levées en masse s'organisent. Dans
l'Oise, dans la Somme, sur les confins de l'Aisne et du Pas-de-Calais, dans
le Puy-de-Dôme, la Loire, le Rhône, l'Ain, l'Isère, jusque dans la Gironde et
le Gers, ce sont aussi des prises d'armes[39]. Les paysans des
Landes massacrent les détachements anglais et brûlent les maisons des
royalistes ; le peuple de Bordeaux prépare une contre-révolution[40]. À Nancy, où est
le grand dépôt d'approvisionnement de l'armée de Silésie, à Langres, où sont
les principaux magasins de l'armée de Bohême, les habitants n'attendent que
la venue d'un escadron français pour assommer la
garnison[41]
et déjà les gouverneurs de ces deux places prennent en tremblant leurs
dispositions de retraite[42]. De Toul à
Chaumont, de Saint-Mihiel à Bar-sur-Aube, des bandes de paysans armés de
fusils de chasse, de fourches, de faux, de bâtons, parcourent toutes les
routes, tous les chemins. En trois jours, du 25 au 28 mars, ils amènent aux
quartiers généraux un millier de prisonniers, des prolonges de munitions, des
bestiaux, des canons[43]. À vingt-quatre
heures de date et de deux endroits différents, le maréchal Oudinot et le
général Piré adressent ces lettres à Berthier : ... Il
est incompréhensible, écrit Oudinot, qu'on ne
profite pas de l'élan des paysans de la Lorraine et du Barrois. Il ne faut
point laisser refroidir la chaleur de ce peuple qui ne respire que vengeance[44]. — Je suis assailli, dit Piré, par des paysans qui me demandent des armes et de la poudre pour marcher
à l'ennemi. Le sang français se fait sentir dans toutes les veines et je
crois le moment arrivé où l'empereur peut se servir de la nation et
n'employer l'armée que pour lui servir de guide et d'auxiliaire. Rien ne
serait si facile que d'établir dans trois jours l'insurrection dans tout le Bassigny.
Le feu se communiquerait rapidement à la Lorraine, à l'Alsace, à la
Franche-Comté, à la Bourgogne. Toutes les tètes sont montées. On a vu passer
des colonnes immenses de voitures emmenant le résultat des pillages. Les
paysans veulent reprendre leurs bestiaux, leurs effets ; ils veulent se
venger des coups qu'ils ont reçus, des outrages faits à leurs femmes et à
leurs filles... Je propose à l'empereur de
faire sonner le tocsin à une heure et à un jour fixés dans toutes les
communes de la Haute-Marne. Nous marcherons sur Langres et sur Vesoul. Les
paysans savent qu'ils trouveront là beaucoup de butin et peu de résistance.
Le mouvement une fois donné se communiquera à tous les cantons pillés par les
Cosaques... Nous avons peu d'armes, mais nous
en prendrons à l'ennemi. Tout ce que je demande, ce sont des ordres et des
cartouches[45]. Ainsi, tout était prêt pour cette Vendée impériale — à mieux dire pour cette Vendée nationale — qui était la suprême terreur des Alliés[46]. Depuis le début de la campagne, deux idées opposées prédominaient tour à tour, selon l'heure et la circonstance, dans l'esprit de l'empereur : défendre ou abandonner Paris. Il avait dit : Si l'ennemi arrive sous Paris, il n'y a plus d'empire. Il avait écrit : Jamais Paris le sera occupé de mon vivant. Il avait écrit encore : Il ne faut point abandonner Paris, il faut s'ensevelir plutôt sous ses ruines[47]. Mais il avait aussi, à plusieurs reprises, donné des ordres précis pour le départ de l'impératrice et du gouvernement[48], et quand le 21 mars, il avait continué sa marche vers la Marne, il savait que ce mouvement qui pouvait sauver Paris risquait aussi de le livrer. Enfin, selon un témoin véridique, Napoléon n'avait pas cessé de prévoir cette éventualité et il s'était familiarisé avec les résolutions qu'elle comporterait[49]. Il semble, en effet, que le capitaine l'emportait décidément sur le souverain. Napoléon, du moins depuis le 15 mars ; s'était résigné à sacrifier Paris. Il conservait néanmoins l'espoir de n'avoir point à faire un si dangereux sacrifice. L'heure en avait inopinément sonné, et il se reprenait à hésiter. Tout porte à croire cependant que si Napoléon n'eût pris alors conseil que de lui-même, il eût persisté dans sa résolution. Mais il y a son entourage ! il y a son état-major dont le mécontentement et le découragement, qui se sont déjà manifestés à la nouvelle de la rupture du congrès, vont s'accroître à l'annonce de ce parti désespéré. Il y a les ducs de Vicence et de Bassano qui jugent la question au point de vue politique. Il y a Berthier, il y a Ney, il y a Lefebvre, il y a vingt généraux qui ont leur famille, leur hôtel dans Paris menacé, qui sont las de combattre et qui comprennent que manœuvrer eu Lorraine c'est éterniser la guerre. L'empereur cède[50]. À onze heures du soir, le major général expédie les ordres. Il est décidé que les-troupes se mettront en marche le lendemain vers Paris par Bar-sur-Aube, Troyes et Fontainebleau[51]. Cette route, un peu plus longue que celle de Sézanne, donne aux troupes le double avantage de n'avoir pas à forcer le passage de la Marne à Meaux et de cheminer constamment le flanc droit couvert par la Seine. Dans la matinée du 28 mars, le mouvement commença. À dix heures, l'empereur prêt à quitter Saint-Dizier se mettait à table, lorsque des paysans de Saint-Thiébaut amenèrent sur des charrettes, au quartier impérial, des prisonniers d'importance qu'ils avaient faits sur la route de Nancy à Langres. Il y avait par ces prisonniers le comte de Weissenberg, ambassadeur d'Autriche à Londres. Le baron de Vitrolles voyageait avec lui, mais bien que très glorieux d'avoir été reçu à Châtillon par le comte de Stadion, à Troyes par le czar et le prince de Metternich, et à Nancy par le comte d'Artois, il s'était abstenu de décliner ses noms et qualités. Il avait de l'esprit, il comprenait que la mission de traître et d'espion qu'il venait de remplir ne serait point trop payée par douze balles dans tête. Ce personnage endossa la livrée d'un domestique de l'ambassadeur autrichien et parvint à s'évader[52]. L'empereur qui croyait à la Destinée vit peut-être sa main dans l'arrestation de Weissenberg. Il fit déjeuner l'ambassadeur avec lui, et à la suite d'un long entretien, il le chargea d'une mission confidentielle pour l'empereur d'Autriche, s'engageant de nouveau, sans doute, à accéder aux conditions des Alliés[53]. Le duc de Vicence remit à Weissenberg, qui partit incontinent dans une voiture donnée par l'empereur, une lettre adressée au prince de Metternich[54]. Cette lettre et ces paroles, comme d'ailleurs les lettres du 25 mars, devaient rester sans réponse. Metternich, qui conspirait depuis Prague la chute de Napoléon, avait désormais tout à fait levé le masque. Entre cinq et six heures du soir, l'empereur arriva à Doulevent[55] où il fut rejoint par un émissaire de La Valette, son ancien aide de camp d'Égypte, alors directeur général des Postes. Cet homme était porteur d'un billet chiffré. La dépêche, — le seul écrit que l'on eût reçu de Paris, depuis six longs jours[56], — dévoilait les menées des partisans de l'étranger et finissait par ces mots : La présence de l'empereur est nécessaire, s'il veut empêcher que sa capitale soit livrée à l'ennemi. Il n'y a pas un moment à perdre[57]. Il n'y avait pas un moment à perdre, Napoléon le pensait autant que La Valette ; mais force lui était de continuer à marcher militairement, car peut-être des partis ennemis se trouvaient-ils encore entre la Seine et l'Aube. L'empereur des Français ne pouvait pas risquer de se faire enlever par les Cosaques ! Il dut donc passer la nuit à Doulevent. Le lendemain, l'empereur se mit en marche de bon matin avec sa garde[58]. À la grande halte, au pont de Dollencourt, on rencontre toute une troupe de courriers. Les communications étant coupées, plusieurs de ces courriers ont été contraints de s'arrêter trois jours à Nogent et à Montereau. Ils apportent une liasse de lettres du roi Joseph, du ministre de la guerre, de Montalivet. Il y a des projets, des nouvelles des départements, des demandes d'argent ; il y a des rapports sur la bataille de Limonest, sur l'occupation de Lyon, sur les combats de Fère-Champenoise, sur l'évacuation de Sézanne et de Coulommiers[59]. Mais tout cela, c'est déjà de l'histoire ancienne. C'est sur les lettres datées de la veille que se jettent fiévreusement les yeux de l'empereur. Il apprend que Meaux est au pouvoir de l'ennemi, que l'on combat à Claye, que Marmont et Mortier se dirigent sur Paris[60]. Il y a de moins en moins de temps à perdre. Le général Dejean, aide de camp de l'empereur, quelques heures plus tard le général de Girardin, aide de camp du major-général, partent à franc étrier pour aller annoncer au roi Joseph le retour rapide de Napoléon[61]. On presse la marche des troupes ; on double l'étape. Dans la nuit on atteint Troyes. La garde a fait plus de dix-sept lieues depuis le lever du soleil. L'armée rallie aussi vite qu'elle peut. Ney s'arrête à Dollencourt, Macdonald à Nully ; Oudinot qui fait l'arrière-garde bivouaque près de Doulevent[62]. A Troyes, l'empereur prend à peine le temps de dormir. À l'aube du 30 mars, le commandement de l'armée remis à Berthier qui la doit conduire à Fontainebleau, Napoléon part à cheval, escorté seulement par les escadrons de service[63]. Il compte coucher à Villeneuve-sur-Vanne[64]. Mais l'impatience le dévore. Il se reposera plus tard. En poste, si l'on brûle le pavé, on peut être à Paris dans la nuit même. L'empereur abandonne son escorte et se jette avec Caulaincourt dans un cabriolet d'osier. Drouot, Flahaut et un autre aide de camp montent dans une deuxième carriole ; dans une troisième prennent place l'officier d'ordonnance Gourgaud et le maréchal Lefebvre, qui doit organiser la défense des faubourgs avec la population ouvrière. Les chevaux courent au triple galop sur la route de Paris[65]. |
[1] Correspondante de Napoléon, 21 538. Cf. Registre de Berthier (ordres du 23 mars ; 1 heure et demie et 4 heures de l'après-midi). Arch. de la guerre. Lettre de Napoléon à Clarke, Saint-Dizier, 23 mars. Arch. nat., AF., IV, 806. (Non citée dans la Correspondance.)
[2] Piré à Berthier, Joinville, 23 mars, 2 heures et 7 heures et demie du soir. Ney an même, Frignicourt, 4 heures et demie du soir. Sébastiani au même, Huiron, 8 heures du soir. Arch. de la guerre. Cf. Registre de Berthier. — Ces renseignements étaient parfaitement exacts ce jour-là. On a vu que le 23 mars, il fut décidé dans le conseil de guerre de Pougy que l'armée alliée, qui marchait alors sur Vitry, se porterait vers Châlons pour revenir ensuite sur Vitry à la poursuite de Napoléon, et que Brienne, Bar, Troyes, Chaumont, seraient évacués.
[3] Berthier à Macdonald, Saint-Dizier, 23 mars, 11 heures et demie du soir et à Ney, Saint-Dizier, 24 mars, 7 heures du matin. (Registre de Berthier. Arch. de guerre.) — Ces deux lettres sont précieuses, car c'est là seulement que sont exposés les motifs et le but de la marche de Napoléon sur Bar-sur-Aube. Les historiens n'ont pas consulté ou ont mal lu le Registre. Aussi parlent-ils de ce mouvement, qui eût pu-être si important, sans l'expliquer d'aucune façon. Disons d'ailleurs, une fois pour toutes, que jusqu'ici les opérations de Napoléon du 22 au 28 mars ont été racontées très succinctement et avec la plus extrême confusion. C'est pourquoi nous avons donné un certain développement à l'exposé de ces opérations, chapitre de l'histoire de la campagne de France toujours sacrifié par les historiens.
[4] Registre de Berthier (à Piré, Maurin, Defrance, Saint-Germain, Ney, Macdonald, etc., Saint-Dizier, 23 mars, 11 heures et demie du soir). Arch. de la guerre. Cf. Schels, II, 423.
[5] Ney à Napoléon, Frignicourt, 23 mars, 5 heures du soir : Le duc de Vicence arrive à l'instant. AF., IV, 1607.
[6] ... Peut-être sommes-none plus près de la paix à la suite de la rupture d'aussi stériles négociations ?... Le jour où on sera tout à fait disposé pour la paix avec les sacrifices indispensables, venez pour la faire.... etc. Metternich à Caulaincourt, Troyes, 18 mars. Arch. des Aff. étrangères, fonds France, 668. — Par un miracle de duplicité, tant qu'il resta l'ombre d'une chance de victoire pour l'empereur, Metternich se posa auprès de Caulaincourt comme un médiateur, lui qui dès Prague avait juré la perte de Napoléon. Or, le 18 mars, on l'a vu, les Alliés se croyaient dans la plus périlleuse situation. Les Russes, les Prussiens et même les Anglais, moins prudents que Metternich, allaient néanmoins rompre les négociations le 19, mais Metternich se réservait une porte de rentrée.
[7] Caulaincourt à Metternich, Châtillon, 20 mars, et Joigny, 21 mars ; à Hauterive, Châtillon, 18 mars. Arch. des Aff. étrangères, 668, 670.
[8] Si l'on s'en rapportait aux deux lettres de Vicence à Metternich, datées de Doulevent, 25 mars (Arch. des aff. étrangères), dont il sera parlé plus loin, Napoléon aurait consenti tout de suite à une démarche in extremis auprès du ministre autrichien. Arrivé cette nuit seulement près de l'empereur, écrivit Caulaincourt, Sa Majesté m'a sur-le-champ donné ses derniers ordres pour la conclusion de la paix. Mais Caulaincourt, afin de prouver à Metternich les intentions pacifiques de l'empereur, postdatait de 24 heures son arrivée au quartier impérial. Ce n'était pas à Doulevent dans la nuit du 24 au 25 mars qu'il rayait rejoint, c'était à Saint-Dizier dans la nuit du 23 au 24, comme l'a dit Fain, assertion confirmée par la lettre précitée du maréchal Ney. Ainsi Thiers, quoiqu'on l'ait discuté sur ce point, a eu raison de dire que les propositions de Caulaincourt ont été le 23 repoussées par l'empereur. Mais il a eu tort de passer sous silence les lettres de Caulaincourt écrites à Metternich le 25 mars.
[9] Le corps du comte de Wrède, le seul qui eût suivi Macdonald jusqu'aux bords de la Marne, s'arrêta vers minuit en arrière de Courdemanges et rétrograda le 24 de bon matin sur Châlons, selon les ordres de Schwarzenberg du 23 mars. 3 heures de l'après-midi. Schels, II, 13 ; Bogdanowitsch, II, 111. — Ainsi, dans la nuit du 23 au 24 mars, Macdonald n'était nullement en péril.
[10] Macdonald à Berthier, Villette, 24 mars, 4 heures, 6 heures et demie, et 7 heures du matin. Arch. de la guerre.
[11] Registre de Berthier (à Ney, Saint-Dizier, 24 mars, 7 heures un quart eu matin). Arch. de la guerre.
[12] Registre de Berthier (ordres du 24 mars, Doulevent, 5 heures du soir). Saint-Germain à Berthier, Nully, 10 heures du soir. Piré à Berthier, Daillencourt, 7 heures du soir. Ordre de Macdonald, Berthier, 24 mars, 6 heures du soir. Arch. de la guerre.
[13] Macdonald à Berthier, Saint-Dizier, 25 mars, 5 heures du matin. Sébastiani à Berthier, Vassy, 24 mars, 9 heures du soir. Arch. de la guerre. Berthier au contraire avait écrit le matin : Sa Majesté désire que Sébastiani vienne la rejoindre, vu qu'elle n'a pas assez de cavalerie sans ces deux divisions pour déboucher sur Bar-sur-Aube.
[14] Registre de Berthier (ordres de Doulevent, 25 mars, 3 heures et demie et 8 heures du matin). Piré à Berthier, Chaumont, 3 heures et demie du soir. Arch. de la guerre. Lanezan à Napoléon, Bar-sur-Aube, 25 mars, 8 heures et demie du matin. Arch. nat., AF., IV, 1670.
[15] Registre de Berthier (à Ney et à Macdonald, Doulevent, 25 mars, 3 heures et demie du matin). Correspondance de Napoléon, 21 541, et lettres précitées de Piré, Saint-Germain, Maurin, Defrance.
[16] Ney à Berthier, Vassy, 24 mars, 1 heure après-midi et 8 heures de soir. Arch. de la guerre.
[17] Correspondance de Napoléon, 21 541. Ordres de Ney et de Macdonald, Vassy et Marthey, 23 mars, midi. Arch. de la guerre.
[18] Macdonald et Ney à Berthier, Vassy et Marthey, 25 mars midi, 5 heures et demie, et 6 heures du soir. Arch. de la guerre.
[19] Registre de Berthier (à Ney, à Macdonald, à Drouot. Doulevent, 25 mars, 9 heures du soir). Arch. de la guerre.
[20] Fain, 194-195.
[21] Caulaincourt à Metternich, Doulevent, 25 mars. Arch. des affaires étrangères, 668. — La teneur de ces deux lettres ne laisse aucun doute sur l'étendue des sacrifices que l'empereur s'était résigné à faire. Nous citerons entre autres cette phrase : Votre tâche, mon prince, est glorieuse, la mienne sera bien pénible. Le 28 mars, Caulaincourt écrivait d'ailleurs au comte d'Hauterive : Sa Majesté parait décidée à faire les sacrifices nécessaires. Quelques jours plus tôt, on sauvait tout. Arch. des aff. étr., 670. — D'après une Note du colonel Galbois, citée par Pont (Congrès de Châtillon, 491-42) l'empereur aurait écrit lui-même une dépêche à l'empereur d'Autriche.
[22] Registre de Berthier (ordres du 25 mars, 10 heures du soir, et du 26, 2 heures et demie du matin). Arch. de la guerre. Schels, II, 89-94 ; Bogdanowitsch, II, 134. — D'après le rapport de Winzingerode, les Russes, au combat de Saint-Dizier, comptaient seulement 8.140 hommes, car les 3.000 Cosaques, Kalmouks et Baskirs de Czernischew ayant poussé jusqu'à Montiérender ne prirent pas part à l'action.
[23] Rapport Lefebvre-Desnoëttes. Arch. nat., AF., IV, 1670. Journal de la division Leval. Registre de Berthier (à Piré, 27 mars). Arch. de la guerre. Cf. Schels, VI, 95-101 ; Bogdanowitsch, II, 134-135. Les rapports étrangers avouent naturellement des pertes beaucoup moindres. Il est possible que Berthier exagère un peu en parlant de 2.000 prisonniers et de 18 canons ; cependant le Journal de Leval dit plus encore : 3.000 prisonniers et presque toute l'artillerie.
[24] Fain, 197-198. — Koch (II, 553) et Vaudoncourt (II, 318) prétendent que dès le 26 au soir l'empereur savait, par les rapports des prisonniers, la marche des Alliés sur Paris. Ils blâment en conséquence le mouvement sur Vitry et sur Bar, qui devait faire perdre deux jours. Ces deux écrivains se trompent. Que dès la soirée du 26, Napoléon eût des rapports de prisonniers annonçant la marche des Alliés sur Paris, cela parait assuré ; qu'il fût inquiet de ces nouvelles et qu'il y crût dans une certaine mesure, cela parait probable. Mais qu'il fût certain du fait, voilà qui est plus que douteux ; et ce fut précisément pour acquérir une certitude qu'il se résolut à presser ennemi sur Vitry et sur Bar. Fain le dit expressément, p. 197, et le registre de Berthier confirme cette assertion. Dans ses lettres du soir du 26 et de la matinée du 27, le major général ne parle nullement aux divers généraux de la marche des Alliés sur Paris. C'est seulement dans ses lettres de la nuit du 27 au 28 qu'il fait mention de nouveaux renseignements annonçant ce mouvement. Voyez aussi la lettre de Napoléon, Saint-Dizier, 27 mars, 8 heures du matin où l'empereur ordonne d'envoyer des reconnaissances pour avoir des nouvelles.
[25] Fain, 197. Cf. Schels, II, 112-113
; Bogdanowitsch, II, 136.
[26] Barclay de Tolly au commandant-général Estel, à Bar-sur-Aube : Ordre de faire suivre les parcs et magasins qui se trouvent à Chaumont par Brienne et Fère-Champenoise. Ceux qui ne sont pas encore à Chaumont rétrograderont sur Langres. L'armée sera dans la journée de demain à Fère-Champenoise. Les troupes légères du général Winzingerode formeront notre arrière-garde. Arch. nat., AF., IV, 1568. — Cette dépêche, d'une si haute importance, n'a aucune indication de date ni de lieu. Elle tut certainement écrite le 21 dans la soirée, à Brébant ou à Sommepuis. Vraisemblablement le Cosaque ne trouva plus le général Estel à Bar-sur-Aube, il l'alla chercher entre Chaumont et Langres, et fut arrêté le 26, sur cette route, par les coureurs ou les paysans français. Berthier fait mention de cette dépêche de Barclay, dans une lettre à Macdonald, du 28 mars, 4 heures du matin. Registre. Arch. de la guerre.
[27] À propos de ce bulletin de la victoire de Fère-Champenoise, Bourrienne, qui est cependant peu véridique, conte (IX, 377) que Napoléon le déclara d'abord faux, sous prétexte qu'il portait la date du 29 mars et qu'on était au 27. Drouot fit alors remarquer que le 9 devait être un 6 renversé. Ce bulletin, imprimé à Vitry, existe aux Arch. nat. (AF., IV, 1568), il porte, en effet, par suite d'un chiffre retourné, la date du 29 mars.
[28] Fain, 198, 203. Berthier à Oudinot. Saint-Dizier, 27 mars, 11 heures du soir. Arch. de la guerre.
[29] Oudinot à Berthier, Bar-sur-Ornain, 27 mars. Piré à Berthier, Chaumont, 26 mars. Henrion à Drouot, Bar-sur-Aube, 26 mars. Arch. de la guerre et Arch. nat., AF., IV, 1670.
[30] Dépêches de Durutte, 25, 23 mars et 3 avril. Arch. de la guerre.
[31] Correspondance de Broussier et de Rœderer, 27, 28, 29, 30 mars. Arch. de la guerre.
[32] Duvigneau à général commandant à Châlons, 17 mars. Arch. de la guerre. Rapport de Drouet (vers le 25 mars). Arch. nat., AF., IV, 1670,
[33] Rapport de Drouet. Arch. nat., AF., IV, 1671.
[34] Souham à Clarke, Nogent, 26 mars ; Allix à Clarke, Auxerre, 26 mars. Arch. de la guerre.
[35] Napoléon à Clarke, Saint-Dizier, 23 mars. Arch. nat., AF. IV, 906. (Lettre non citée dans la Correspondance.)
[36] Mémoires de Longeron. Arch. des affaires étrangères, Russie, 25.
[37] Rapport de Drouet, 25 mars. Arch. nat., AF., IV, 1670.
[38] Colonel Viriot à commandant de Châlons, 17 mars. Arch. de la guerre.
[39] Procès-verbal du major commandant Montargis, 21 mars. Allix à Clarke, Auxerre, 24 et 25 mars. Rovigo à Montalivet, 25 mars. Avine à Hullin, Beauvais, 25 mars. Merlin à d'Aigremont, Montdidier, 25 mars. Préfet du Puy-de-Dôme à Clarke, 26 mars. Montholon à Clarke, 26 mars. Clarke à Hullin, 28 mars. Saint-Vallier à Clarke, 13, 19, 21 mars, etc., etc. Arch. de la guerre. Cf. Mémoires de Langeron. Arch. des affaires étrangères. — Le directeur d'une usine écrit à Clarke, le 24 mars : 1.500 à 2.000 paysans s'étaient réunis à Clermont (Oise), pour marcher à l'ennemi qui était à trois lieues. On les a renvoyés. Partout on demande des munitions. Le moment n'est donc pas encore venu où on sonnera le tocsin dans toute la France et où 30 millions de Français écraseront 200.000 barbares !
[40] Général Napier, Hist. de la Guerre de la Péninsule, XIII, 123-124. Cf. Lettres de Lynch, 30-36, 39.
[41] Defrance à Berthier, Saint-Dizier, 24 mars. Piré à Berthier, Chaumont, 26 et 27 mars. Arch. de la guerre.
[42] Piré à Berthier, Chaumont, 23 mars. Mémoires de Langeron. Arch. des affaires étrangères, Russie, 25. — La garnison de Nancy se préparait à se retirer sur Deux-Ponts, celle de Langres sur Vesoul.
[43] Maire de Joinville à Berthier, 24 mars. Commandant de Bar-sur-Aube à Berthier, 26 et 28 mars. Piré à Berthier, Chaumont, 26 mars. Arch. de la guerre. Proteau à Berthier, Vassy, 26 mars. Henrion à Berthier, 26 et 28 mars. Arch. nat., AF., IV, 1670. Cf. Mémoires de Vitrolles, I, 255-258.
[44] Oudinot à Berthier, Saint-Dizier. 28 mars. Arch. de la guerre.
[45] Piré à Berthier, Chaumont, 27 mars, Arch. de la guerre. — Dans cette lettre, Piré demande des commissions en blanc pour les officiers retraités qui commanderaient les levées en masse. C'était aussi l'avis de Rovigo et de Clarke. Le duc de Feltre écrivait le 26 à l'empereur : Je ne pourrai pas encadrer les levées en masse dans les cadres de la ligne. Il faut pour les commander d'anciens militaires du pays. On obtiendra des résultats beaucoup plus considérables des bonnes dispositions que montre presque partout la population en ne la contrariant pas dans la direction qu'elle veut suivre. Arch. de la guerre.
Dans une autre lettre du 28, Piré répète sa proposition et demande une proclamation de l'empereur qui ferait un bien grand effet. Cf. aussi sur les dispositions belliqueuses des campagnes la lettre du général Defrance, Saint-Dizier, 24 mars ; le Journal de Fabvier, p. 7 ; le Journal du 5e corps de cavalerie, 69, 73, etc.
[46] Relation de Diebitsch. 25 mars. Arch. de la guerre. Journal de Langeron. Arch. des affaires étrangères, Russie, 25.
[47] Mémoires de Mollien, IV. Correspondance de Napoléon, 21 089, 21 210.
[48] Correspondance de Napoléon, 21 210, 21 497. Correspondance du roi Joseph, X, 44, 45, 47, 77.
[49] Fain, 203.
[50] Fain, 203. Cf. Koch (II, 554-555), contemporain des événements et dont le récit supplée aux discrètes réticences du secrétaire de l'empereur.
Oudinot qui était à Bar-sur-Ornain, Macdonald qui était à Perthes ne forent point consultés. D'après la lettre précitée du duc de Reggio, il semble qu'il eût conseillé de rester en Lorraine. Quant au duc de Tarente, sa lettre du 30 mars témoigne pour lui. Il déclare à Berthier qu'il est trop tard pour sauver Paris et qu'il faut, ou se concentrer à Sens ou tenir la campagne en Alsace-Lorraine. (Arch. de la guerre.)
[51] Registre de Berthier (ordres et lettres du 27 mars, 11 heures da soir). Arch. de la guerre.
[52] Fain, 205. Mémoires de Vitrolles, I, 256, 266. — Piré, dans sa lettre du 16 mars (Chaumont), disait qu'il envoyait un peloton de chasseurs à la poursuite de personnages de considération. Les paysans avaient devancé nos cavaliers, et informés que des relais avaient été commandés sur cette route pour le comte d'Artois, ils avaient cru prendre le prince et avaient voulu amener eux-mêmes à l'empereur cette précieuse capture.
[53] Cf. Caulaincourt à Metternich, 25 mars, et à Hauterive, 28 mars. Arch. des affaires étrangères, fonds France, 668 et 670.
[54] Fain, 206 ; Caulaincourt à Metternich, 29 mars, et à Hauterive, 28 mars, Arch. des affaires étrangères, 668 et 670.
[55] Registre de Berthier (ordres de Courcelles — 6 kilomètres en deçà de Doulevent — 28 mars, 4 heures et demie du soir.) Arch. de la guerre.
[56] Fain dit : depuis dix jours ; cela semble une exagération. Les communications entre l'armée et Paris furent libres jusqu'au 22 mars par Sézanne et Sommepuis. La dernière lettre de l'empereur reçue par Clarke est du 22 (Clarke à Napoléon, 21 mars. Arch. de la guerre). Donc réciproquement les dépêches de Paris durent parvenir à l'empereur jusqu'au 22 mars, peut-être même jusqu'au 23. Les communications redevinrent libres par Nogent, Troyes et Bar à dater du 25. Mais les courriers ne sachant pas que cette contrée fût évacuée par l'ennemi attendirent à Montereau et à Nogent jusqu'au 27 et an 28 mars.
[57] Fain, 207. Cf. Mémoires de La Valette, II, 90.
[58] Registre de Berthier (ordres du 29 mars, 8 heures du matin).
[59] Joseph à Napoléon, 22, 25 mars, 26 et 27 mars (Correspondance, X, 20, à 212). Clarke à Napoléon, 23, 24, 25, 26 mars. Arch. de la guerre.
[60] Mortier reçut à Nangis le 28 mars une lettre désespérée de Clarke, datée du même jour, 10 heures du matin, annonçant la prise de Meaux et la marche des Alliés sur Claye où il n'ose espérer qu'on tienne Le duc de Trévise fit faire douze copies de cette lettre et les envoya par douze cavaliers à l'empereur (Arch. nat., AF., IV, 1670). Napoléon reçut au moins une de ces copies au pont de Dollencourt. Cf. Registre de Berthier (à Macdonald, pont de Dollencourt, 29 mars, 3 heures après-midi). Berthier exagère quelque peu en disant : Les ducs de Raguse et de Trévise qui n'ont pas souffert (sic) et ce qu'on a pu ramasser à Parie sont en bataille avec une nombreuse artillerie sur les hauteurs de Claye. L'opinion de la ville est bonne.
[61] Fain, 208 ; Relation de Gourgaud dans Bourrienne et ses erreurs, II, 327.
[62] Fain, 208 ; Registre de Berthier (ordres et lettres du 29 et du 30 mars). Macdonald à Berthier, Nully, 30 mars, 4 heures du matin. Ordres de Gressot Saint-Dizier, 29 mars, 8 heures du matin. Ney à Berthier, Troyes, 30 mars, 4 heures et demie après-midi. Arch. de la guerre. — Dans sa lettre Macdonald, se plaint de cette marche forcée : e Les villages sur nos flancs et sur nos derrières sont remplis de traînards. Si nous ne marchons avec un peu d'ordre, nous formerons une longue queue et l'apparition de quelques Cosaques suffira pour notre dissolution.
[63] Fain, 208 ; Relation de Gourgaud, 328 ; Registre de Berthier (ordres et lettres du 30 mars). Tous les historiens font partir Berthier avec Napoléon. C'est une erreur que réfutent le récit de Gourgaud et les ordres mêmes de Berthier.
[64] Registre de Berthier (à Macdonald et à Oudinot, Troyes, 30 mars, 10 heures du matin : L'empereur couche ce soir à Villeneuve-sur-Vanne, se dirigeant sur Fontainebleau.
[65] Fain, 208 ; Relation de Gourgaud dans Bourrienne et ses erreurs, II, 328. Pendant la route, le vieux duc de Dantzig, enthousiaste de la mission que venait de lui confier l'empereur et dont il se sentait tout rajeuni, rappela à Gourgaud qu'il était resté très populaire dans le peuple comme ancien sergent aux gardes françaises.