A la fin de l'empire, on disait souvent : menteur comme un bulletin de bataille. On n'aurait pas accusé la vanité de Napoléon si l'on avait pu pénétrer sa pensée. Après les glorieuses journées de Montmirail et de Vauchamps, il écrivait au duc de Rovigo : Il faut, en vérité, que vous ayez perdu la tête à Paris pour dire que nous étions un contre trois, lorsque, moi, je dis partout que j'ai trois cent mille hommes, lorsque l'ennemi le croit et qu'il faut le dire jusqu'à satiété. Voilà comme, à coups de plume, vous détruisez tout le bien qui résulte de la victoire. Vous devriez savoir qu'il n'est pas question ici d'une vaine gloriole et qu'un des premiers principes de la guerre est d'exagérer ses forces. Mais comment faire comprendre cela à des poètes qui ne cherchent qu'à me flatter et à flatter l'amour-propre national ?[1] Aussi, quand le lendemain de la bataille de Craonne, Napoléon ordonnait de faire imprimer et afficher partout qu'il avait battu ce qui restait de l'armée russe[2], ce n'était pas pour s'enorgueillir ; c'était pour relever l'opinion, c'était pour imposer à Schwarzenberg, qui se trouvait sans communications avec Blücher. Mais Napoléon ne s'abusait pas. Son coup d'œil militaire lui avait montré qu'une seule fraction de l'armée coalisée avait combattu à Craonne. Il était donc porté à croire, et il crut en effet, que la tenace défense de cette position dissimulait ou une retraite de Blücher sur Avesnes ou un nouveau mouvement du feld-maréchal vers Paris par Laon, La Fère et la rive droite de l'Oise[3]. Déjà l'abandon sans combat de la ligne de l'Aisne avait fait penser à l'empereur que Blücher cherchait à se dérober[4]. Dans ces deux hypothèses : la retraite vers le nord et le mouvement sur Paris, Laon indiqué aux différents corps d'armée comme point de concentration plutôt que comme position de défense ne serait vraisemblablement occupé que par une arrière-garde. On pourrait s'emparer de la ville peut-être par un hurrah, en tout cas par un assaut[5]. L'empereur n'espérait plus, comme huit jours auparavant, exterminer l'armée de Silésie. Les pertes énormes qu'avait coûtées aux Français la journée de Craonne, où ils avaient combattu seulement contre une partie des troupes alliées, témoignaient trop que l'on n'aurait pas si bon marché de l'armée entière, reposée et renforcée. Si l'empereur réussissait à s'emparer de Laon, à infliger une nouvelle défaite à l'arrière-garde, ennemie et à rejeter Blücher sur ses lignes de communications, ce serait déjà un résultat satisfaisant, car on aurait dégagé Paris, mis les Prussiens en retraite, terrorisé les Coalisés. Napoléon, alors, manœuvrerait de façon à rallier à lui les garnisons des places du nord-est pour se rabattre sur le flanc droit de la grande armée, tandis qu'Augereau l'attaquerait sur le flanc gauche par Bourg et Vesoul[6]. Deux routes s'offraient à l'empereur pour se porter sur Laon : la route de Soissons qui passe à Chavignon et débouche au sud-ouest de Laon ; la route de Reims qui passe à Corbény et débouche au nord-est. Le soir de la bataille de Craonne, l'empereur se trouvait engagé sur la première route avec la plus grande partie de son armée ; le corps de Marmont se trouvait sur la seconde. Rappeler ce corps et suivre avec toutes ses forces la route de Soissons, c'était laisser l'arrière-garde russe libre de se retirer sans combat vers Avesnes. L'empereur se décida à défiler en deux colonnes par les deux routes. La manœuvre était périlleuse, car elle manquait à ce principe de stratégie que l'on ne doit pas tenter une concentration sur un point où l'on peut être devancé par l'ennemi. Mais la marche en deux colonnes avait l'avantage d'être plus commode et plus rapide. D'ailleurs Napoléon ne croyait pas que Blücher l'attendît en forces à Laon. Les ordres furent donnés le 8 mars dans la matinée. Marmont encore à Berry-au-Bac, où il était arrivé de Soissons par Braisne, dans la matinée du 7, eut le commandement de la colonne de droite, composée du fie corps, du 1er corps de cavalerie et de la division Arrighi[7], et présentant un effectif de neuf mille cinq cents hommes à peu près[8]. Les dragons de Roussel et toute la garde, qu'avait ralliée Mortier avec ses trois divisions, formèrent la colonne de gauche commandée par l'empereur. Ces troupes s'élevaient à vingt-sept mille hommes environ[9]. La cavalerie de Colbert qui marchait en tête chassa l'arrière-garde ennemie jusqu'à Étouvelles, dont le défilé était occupé par Czernicheff avec quatre régiments d'infanterie et une batterie de douze pièces. Une première volée de mitraille arrêta les éclaireurs et les chevau-légers français Engagés sur une étroite chaussée, que bordaient à droite et à gauche des terrains marécageux où il était impossible de prendre pied, ils se retirèrent, laissant la place à la première division de Ney. Mais le défilé était également redoutable pour l'infanterie. Ney se replia à Urcel, attendant de nouveaux ordres[10]. Selon sa coutume, l'empereur consulta les gens du pays. L'un d'eux indiqua un chemin qui aboutissait sur la droite et au milieu du défilé. Gourgaud, alors chef d'escadrons et officier d'ordonnance de l'empereur, fut chargé de tourner la position avec deux bataillons de la vieille garde et trois cents cavaliers, tandis que l'infanterie de Ney l'aborderait de front. Dès qu'on serait maître du défilé, les dragons de Roussel et tous les chevaux de la garde déboucheraient au grand trot sur Laon pour y tenter un hurrah[11]. L'attaque fixée à une heure du matin réussit le mieux du inonde. Les Russes, leurs grand'gardes surprises et égorgées, furent éveillés et réendorrnis à coups de baïonnettes. Un régiment seul eut le temps de se former et parvint à se retirer sur Laon. Soit que les nombreux escadrons de Belliard se fussent concentrés trop tard, soit qu'un encombrement se produisît sur cette route étroite, la cavalerie ne put commencer son mouvement à la poursuite des Russes que vers cinq heures. Elle arriva avant le jour devant Laon, mais l'ennemi était sur ses gardes. Les dragons furent reçus au bas de la montagne par une salve de douze canons chargés à mitraille. Ils se replièrent hors de portée de l'artillerie[12]. Laon n'était pas à la merci d'un hurrah. Fatigué de toujours reculer, Blücher avait pris ses dispositions pour s'y défendre. Quoi qu'en dit Woronzoff, à qui son intrépide résistance avait fait illusion, le feld-maréchal considérait avec raison la journée de Craonne comme un échec. Il voulait prendre une revanche à Laon dont la position, formidable par elle-même, se prêtait en outre au déploiement de l'immense armée qu'il commandait. D'une altitude de cent mètres au-dessus de la rivière d'Arden, qui coule à ses pieds, la montagne de Laon s'élève au milieu d'une grande plaine, boisée et légèrement ondulée de l'est à l'ouest, absolument plate et découverte au nord où les vastes champs de blé s'étendent à perte de vue. De loin, la montagne d'un aspect plus imposant quo pittoresque se profile sur l'horizon comme une immense redoute, plane à son sommet et inclinant ses pentes à 45 degrés. Mais ce massif affecte en réalité la forme la plus irrégulière. En plan, les crêtes extrêmes donnent la figure d'un cheval auquel manqueraient la tête et les jambes de derrière. Il résulte de cette configuration que la montagne présente sur plusieurs points une suite de bastions naturels qui flanquent leurs feux. La cuve Saint-Vincent, par exemple, est un entonnoir à boulets où les assaillants seraient atteints de front et sur leurs deux flancs. Partout se creusent des ravins à pic. Les pentes accessibles ne laissent pas d'être fort roides et sont plantées de petits bois, de vignes, de jardins, dont les murs de clôture ajoutent à la difficulté de l'escalade. Cinq routes[13] qui aboutissent au pied de la montagne s'y subdivisent pour monter à la ville en une douzaine de sentiers étroits et escarpés. Mais avant de s'y engager, il faut avoir emporté les faubourgs d'où ils partent et qui forment pour ainsi dire des ouvrages avancés à la place : Semilly et Ardon au sud, Vaux, Saint-Marcel et La Neuville au nord. En 4814, à la vérité, les remparts de la vieille capitale de Louis d'Outremer se trouvaient dans le plus mauvais état. L'enceinte continue, qui suivait les crêtes de la montagne, avait partout des brèches, et ce qui restait des murailles n'eût point résisté à quelques coups de pic[14]. La ville n'était donc pas précisément une place forte, mais la montagne constituait une formidable position de bataille, un point d'appui sans pareil pour une armée[15]. Bülow, chargé avec ses dix-sept mille hommes de la défense du plateau, de ses abords et de ses débouchés, fractionna son infanterie en bataillons, et même en compagnies, et les établit sur tous les points des versants sud et ouest qui présentaient quelque retranchement naturel. Reliés entre eux par des chaînes de tirailleurs, ces postes pouvaient mutuellement se prêter aide et généralement croiser leurs feux. Une forte réserve occupait la ville, et deux détachements, chacun de deux bataillons, gardaient les faubourgs d'Ardon et de Semilly. Une partie de la cavalerie éclairait les routes principales ; l'autre était massée en réserve au nord de la montagne, devant le faubourg de Vaux. Cinquante canons en batterie sur les remparts et à mi-côte commandaient les débouchés d'Ardon et de Semilly[16]. A l'ouest de Laon, centre de la ligne de bataille, le corps de Winzingerode formait l'aile droite : l'infanterie ployée en colonnes de régiment, le front à Clacy ; l'artillerie devant l'infanterie ; la cavalerie en troisième ligne, sa gauche appuyée à la ferme d'Avin, sa droite vers Molinchart. À l'est, les corps de Kleist et d'York formaient l'aile gauche ; leurs troupes, placées un peu obliquement par rapport au front de bataille, regardaient le chemin d'Athies et la route de Reims. L'infanterie d'York, sa gauche abritée derrière le monticule de la ferme des Manoises, se déployait face à Atlas où il y avait un poste avancé de deux bataillons. L'infanterie de Kleist tenait la droite, à cheval sur la route de Reims. L'artillerie était établie en avant de la ferme des Manoises, sur la butte du Chauffour, avec une batterie détachée à droite de la route. La cavalerie de ces deux corps d'armée était massée à gauche et un peu en arrière de l'infanterie. Deux régiments de hussards barraient la route de Reims, à quatre kilomètres du front des troupes, entre la forêt de Lavergny et le village d'Eppes, et à quatre kilomètres de cet endroit, cinq escadrons du colonel Blücher, le fils du vieux maréchal, occupaient Festieux en grand'garde. Les Russes de Sacken et de Langeron, qu'allaient seulement rejoindre à dix heures du matin, par Coucy et La Fère, les troupes de la garnison de Soissons, étaient en réserve au nord de la ville, entre les faubourgs de Vaux et de La Neuville[17]. Non seulement cette réserve se trouvait complètement dérobée par la montagne aux vues des assaillants, mais la montagne cachait de même l'aile gauche de l'ennemi au corps français qui allait déboucher de la route de Soissons et son aile droite au corps français qui allait déboucher de la route de Reims. L'ensemble des forces de Blücher s'élevait à quatre-vingt-quatre mille hommes[18]. D'après les traditions locales, on croyait à Laon à la continuation de la retraite de l'ennemi. Quoi qu'ils fussent sans nouvelles bien précises de la bataille livrée le 7 mars, les habitants en voyant les masses russes et prussiennes refluer dans la plaine jugeaient que les Alliés n'avaient pas été victorieux. L'armée de Blücher, à la vérité, paraissait innombrable, mais on entendait les soldats prononcer le nom redouté de Napouléounn et des officiers dire que Laon serait leur Leipzig. Enfin, comme la majeure partie des troupes et tous les bagages étaient échelonnés au bas de la montagne, aux abords de la route d'Avesnes, on inférait de cette disposition que Blücher se préparait à une retraite. La terreur régnait, car on venait de proclamer l'état de siège et l'on s'attendait à un bombardement. Cependant on gardait l'espoir, tant le génie de Napoléon inspirait encore de confiance[19]. Sans doute, les Français s'abusaient sur les desseins du feld-maréchal. Blücher toutefois, si résolu qu'il fût de tenir à outrance dans Laon, ne laissait pas de prévoir l'éventualité d'une retraite. Des Cosaques avaient capturé près de Craonne un Hanovrien nommé Palm, attaché comme secrétaire à l'état-major de l'empereur. Amené au quartier général de Blücher, cet homme dit que Napoléon s'avançait sur Laon à la tête de soixante ou soixante-dix mille hommes, et qu'il était suivi par deux de ses maréchaux avec plus de vingt mille soldats. Müffling croyait peu à ce rapport, mais le chef d'état-major Gneisenau, toujours enclin à s'exagérer les forces de Napoléon, en prit une certaine inquiétude qui gagna le vieux maréchal[20]. On conçoit de reste que la perspective de voir Napoléon se présenter devant Laon avec quatre-vingt-dix mille baïonnettes dût troubler Blücher. La neige n'avait pas cessé de tomber pendant la nuit, comme pour préparer un linceul aux soldats. À six heures elle s'arrêta ; mais avec le jour s'éleva un de ces épais brouillards qui ne sont point rares dans cette vallée de Laon, boisée, coupée de petits cours d'eau et par endroits marécageuse. Tandis que Belliard faisait occuper Leuilly à la droite et jetait à gauche, vers Clacy, un poste de cavalerie, le corps de Ney déboucha de la route de Soissons, bientôt suivi par celui de Mortier. Les troupes se déployèrent aussitôt face à la ville, des deux côtés de la route, l'infanterie de Mortier appuyant sa droite au village de Leuilly, l'infanterie de Ney appuyant sa gauche à un mamelon qui s'élève en avant de Clacy. Pendant le déploiement, les deux maréchaux, voulant profiter du brouillard pour surprendre l'ennemi lancèrent sur Ardon la division Porret du Morvan et sur Semilly la brigade Pierre Boyer. Boyer aborda le faubourg à la baïonnette, subissant une première décharge presque à bout portant. Les Prussiens furent refoulés sur les rampes inférieures de la montagne. Clausewitz demanda du renfort et fit une contre-attaque qui réussit. Débusqués de Semilly, les Français se reformèrent sous le feu, marchèrent de nouveau à l'assaut et enlevèrent encore la position, sans pouvoir cependant s'y maintenir plus longtemps que la première fois. Jusqu'à onze heures, Semilly fut tour à tour pris et repris. À Ardon, Perret de Morvan obtint un succès plus marqué. Sa division repoussa les Prussiens au pied de la montagne, distante du fau- bourg de plus de mille mètres. Grâce au brouillard, une compagnie de jeune garde gravit en file indienne le sentier escarpé du Bousson et atteignit la crête du plateau, près de l'ancienne abbaye de Saint-Vincent. À cette altitude, le brouillard était presque nul. Signalés par les coups de feu des sentinelles et fusillés bientôt par tout un bataillon prussien, ces aventureux soldats redescendirent le sentier plus vite assurément qu'ils ne l'avaient monté. La division Porret de Morvan se replia dans Ardon où elle se maintint[21]. L'empereur cependant, abusé par ses présomptions, croyait la ville au pouvoir de l'avant-garde française[22]. Le jour de Craonne, Napoléon devançant ses troupes sur le terrain inspectait les positions ennemies dès huit heures. Le jour de Laon, il était encore à midi à Chavignon, éloigné de neuf kilomètres du champ de bataille. Ce fut seulement à cette heure-là, qu'instruit de la résistance quo rencontraient ses deux maréchaux, l'empereur se porta en avant avec le reste de ses troupes[23]. Blücher comptait prendre une vigoureuse offensive dès que Napoléon aurait dessiné son attaque. Jusqu'à ce moment, les commandants de corps d'armée devaient rester dans leurs positions en se contentant de bien garder leur front[24]. L'état-major prussien posté sur le rempart, au pied d'une vieille tour nommée Madame Ève, d'où il dominait la plaine, attendait impatiemment que se dissipât le brouillard qui lui cachait l'armée française. Vers onze heures, Blücher put distinguer les faibles bataillons de Ney et de Mortier déployés devant la montagne. La vue de cette poignée d'hommes l'inquiéta en raison même de leur petit nombre[25]. Était-il présumable qu'avec si peu de monde, Napoléon se risquât à combattre une armée appuyée à la formidable position de Laon ? Ce ne pouvait être là qu'une partie des troupes françaises, et ce mouvement était une simple démonstration destinée à tromper les Alliés qui allaient être attaqués sur un autre point. Et de quel côté viendrait l'attaque ? quelles seraient les forces des assaillants ? De la part d'un Napoléon, il fallait s'attendre aux manœuvres les plus hardies et les plus imprévues. Quant à des hommes, l'empereur en faisait sortir de terre. Si le prisonnier Palm avait dit vrai, si Napoléon allait cerner, escalader, forcer Laon avec quatre-vingt-dix mille soldats ? Dominé par cette appréhension, Blücher hésitait à donner le signal de l'attaque. Vers midi, un message de son fils, le colonel Blücher, vint ajouter à son trouble et augmenter son indécision : une forte colonne ennemie se dirigeant sur Laon était signalée à Festieux[26]. Müffling alors, — dit Müffling qui s'attribue volontiers les bons conseils, — suggéra à Blücher de faire déborder l'aile gauche du corps français déployé devant Semilly. Par ce mouvement, on contraindrait l'ennemi à marquer son objectif. S'il se dérobait, c'est qu'il aurait le dessein de tirer à droite afin de se réunir à l'armée arrivant de Festieux. S'il disputait énergiquement le terrain, c'est que cette armée devait manœuvrer de façon à prolonger sa droite[27]. Blücher ayant approuvé l'idée de Müffling dépêcha à Winzingerode l'ordre de porter sur le flanc gauche des Français toute sa cavalerie, toute son artillerie légère et une division d'infanterie. Pendant que s'exécutait ce mouvement, l'état-major tenait ses longues-vues braquées sur le champ de bataille, anxieux de savoir quel parti prendraient les Français. À l'approche des troupes de Winzingerode, la brigade Boyer, qui depuis le matin ne cessait pas de combattre dans Semilly contre les Prussiens de Clausewitz, se replia, car elle se voyait menacée dans sa ligne de retraite. Déjà une colonne d'infanterie russe avançait près de la route, lorsque Ney réunissant quelques escadrons la chargea et la refoula sur Clacy. En même temps la brigade de cavalerie du général Grouvelle chassait vers Laniscourt les Cosaques qui tentaient de tourner la gauche des Français par le chemin de Mons-en-Laonnoye. L'empereur arriva de Chavignon à ce moment du combat[28]. Pour Blücher comme pour Müffling, l'intention du corps français qui était en vue devenait évidente : il voulait conserver sa position dans le triangle formé par la rivière d'Ardon et le ruisseau de la Buse ; son objectif était bien l'assaut du versant sud de la montagne. Il importait donc maintenant de reprendre Ardon et de rejeter les Français sur Leuilly, afin de couper leurs communications avec la colonne qui arrivait de Festieux, laquelle comprenait vraisemblablement la plus grande partie de l'armée et était manifestement destinée à l'attaque principale[29]. Sur l'ordre de Blücher, Bülow fit quitter à la brigade Krafft, forte de neuf bataillons et de quatre escadrons, les positions défensives qu'elle occupait au pied de la montagne et la lança sur Ardon. Après un combat assez vif, les Prussiens délogèrent la division Porret de Morvan qui se replia vers Leuilly. Soutenu par la cavalerie de réserve du général Oppen, Krafft y marchait lorsqu'un contre-ordre du feld-maréchal l'arrêta en chemin. Un nouveau doute avait surgi dans l'esprit de Blücher. Était-il admissible que Napoléon voulût attaquer avec deux ailes aussi éloignées sans qu'elles fussent reliées par un centre ? Bien plutôt une troisième colonne française n'allait-elle pas déboucher de Bruyères et venir se déployer entre les troupes qui avaient pris position devant Leuilly et celles qui arrivaient de Festieux ? Dans cette incertitude, Blücher retarda son offensive générale, attendant pour, agir un rapport précis de Müffling qui fut dépêché dans la plaine afin de reconnaître le chemin de Bruyères et de juger des projets et de la force de la colonne signalée sur la route de Reims[30]. Cette colonne était celle de Marmont. Le duc de Raguse arrivait sur le champ de bataille en retard de six heures. Il ne s'était pas mis en marche dès la veille, bien qu'il en eût reçu, à deux reprises, l'ordre précis[31]. Il s'était contenté de faire occuper dans la soirée le village d'Aubigny et n'était parti de Berry-au-Bac, avec le gros des troupes, que le matin[32]. Arrivé passé dix heures à Festieux, qu'évacua à son approche la cavalerie du colonel Blücher, il s'y arrêta jusqu'à midi. Le brouillard, dit-il, était extrêmement épais. Je ne pouvais m'engager avec cette obscurité dans les vastes et immenses plaines de Marie dans lesquelles on entre immédiatement[33]. Les historiens locaux ont dit que si Marmont craignait tant les vastes et immenses plaines, il aurait pu, regardant la carte ou se renseignant auprès des paysans, obliquer à gauche et gagner par le plateau l'ancienne voie romaine qui descendait directement à Laon par Cherêt et Bruyères. L'escalade de ce plateau escarpé, d'une altitude de quatre-vingt-dix mètres, eût pris bien du temps. Plutôt que de passer par le plateau de Montchâlons, Marmont devait déboucher de Festieux, tourner à gauche et en rangeant les flancs de la montagne gagner par Veslud et Parfondru la route de Bruyères à Laon. De cette façon, il ne risquait pas d'aller donner par le brouillard au milieu des masses de cavalerie[34]. Mais la grande faute de Marmont était d'avoir ajourné son départ de Berry-au-Bac. Depuis la prise de Soissons, le duc de Raguse, cela est trop visible dans ses Mémoires, n'avait plus aucune espérance. Il ne cherchait plus qu'à obéir à peu près aux ordres qu'il recevait, sans mettre de zèle à les exécuter[35]. Que d'ailleurs si Marmont fût arrivé devant Laon à huit heures du matin au lieu d'y arriver passé deux heures de l'après-midi, Napoléon eût remporté la victoire, ce n'est point cela qu'il faut dire. Le brouillard dissipé, les troupes se mirent en marche. Les cinq escadrons du colonel Blücher, restés à mille mètres en arrière de Festieux, se replièrent sans combattre sur la brigade Katzler qui se déployait entre Eppes et la forêt de Lavergny, et qui, elle-même, tourna bride aux premiers coups de canon. Marmont avança ses têtes de colonnes à environ douze cents mètres du front ennemi, face à Vaux et face à Athies, et établit deux batteries sur la butte des Vignes et sur un autre tertre qui s'élève à gauche de ce monticule. La première batterie, de vingt-quatre pièces, canonnait Athies ; la seconde contrebattait l'artillerie prussienne en position à la butte du Chauffour[36]. Dans Athies, l'infanterie d'York écrasée de feux et menacée d'une attaque sur la gauche par une brigade de la division Arrighi, qui marchait résolument à l'assaut, reçut l'ordre d'abandonner ce poste. Mais soit qu'on voulût retarder par là l'occupation du village, soit, comme l'a dit Blücher, que des habitants eussent tiré sur les soldats[37], soit par simple sauvagerie, les Prussiens incendièrent Athies avant de l'évacuer. Ils procédèrent méthodiquement ; pénétrant dans chaque maison, ils enlevèrent quelques malades et quelques infirmes qui n'avaient pas pu se sauver et les déposèrent dans les jardins. Cela fait, ils mirent le feu partout. Cent quarante maisons sur cent quarante-quatre furent totalement détruites[38]. Pendant l'incendie, qui ne s'éteignit faute d'aliment que de cinq à six heures du soir, les jeunes soldats d'Arrighi tournèrent le village en flammes et poursuivirent les Prussiens. Ils durent bientôt se replier sous la mitraille. De même sur la route de Laon, les pièces de la batterie du Chauffeur ripostaient vigoureusement à l'artillerie française. Désormais l'ennemi dont Marmont voyait les masses profondes ne semblait plus vouloir céder de terrain[39]. On a cru que le général York n'avait fait d'abord une aussi faible défense que pour attirer Marmont et le prendre au filet. Sans doute York était satisfait de voir Marmont s'engager en l'air avec si peu de monde. Mais il faut se rappeler que d'après les ordres de Blücher, qui voulait ne rien risquer, les commandants de corps devaient se contenter de garder leur front jusqu'au moment de l'attaque générale[40]. Or le front d'York et de Kleist était la ligne de Chambry au Chauffeur. Eppes, la butte des Vignes, Athies, n'étaient que leurs positions avancées. C'est pourquoi il les avait si facilement abandonnées. De son observatoire de la montagne de Laon, Blücher voyait le combat, mais comme un vent très violent soufflait de l'ouest, il entendait à peine la canonnade[41]. À plus forte raison l'empereur, posté face à l'autre versant, ne pouvait-il distinguer le grondement lointain de cette canonnade au milieu du fracas de sa propre artillerie et des batteries ennemies qui y répondaient. Encore moins pouvait-il voir les manœuvres de la plaine d'Athies. Du débouché de Chivy à la butte des Vignes, il n'y a à vol d'oiseau que neuf kilomètres, mais les maisons d'Ardon et let bois de la région du Sauvoir limitent la vue à quatre mille mètres[42]. De plus, le vent chassait dans cette direction la fumée des combats de Semilly et d'Arden. Ainsi, tandis que Marmont attaquait Athies, Napoléon ne savait rien des mouvements de ce maréchal qui avait négligé, encore qu'il eût à cet égard des ordres formels, de lui envoyer aucun courrier[43]. En vain l'empereur dépêchait des cavaliers aux nouvelles, ils tombaient dans les patrouilles de Cosaques qui battaient l'estrade entre Ardon et Bruyères. Jusqu'au moment cependant où il saurait Marmont arrivé à sa hauteur, Napoléon ne pouvait s'engager à fond ; et s'il arrêtait son offensive, il risquait de trop indiquer à l'ennemi l'approche d'une autre colonne. Pour attirer l'attention de Blücher, l'empereur ordonna de nouvelles attaques sur les faubourgs du sud. Pierre Beyer aborda une fois encore Semilly et une fois encore il débusqua les bataillons de Clausewitz. Une charge des dragons de Roussel sur l'infanterie prussienne. massée en avant d'Ardon, facilita à Porret de Morvan la reprise de ce village. Enfin, vers quatre heures, les deux divisions de Victor, désormais placées sous le commandement de Charpentier, ayant débouché de la route de Soissons, l'empereur les lança contre le village de Clacy qu'étaient venus occuper avec du canon plusieurs bataillons russes. Situé au milieu d'un marais, Clacy n'était accessible que par l'étroite chaussée de Mons-en-Laonnoye. Des tirailleurs s'avançant sur la droite, au bord du marais, réussirent à occuper l'ennemi par un feu très vif. Pendant cette fusillade, la brigade Montmarie, ployée en colonne d'attaque, aborda la position de front. L'attaque fut si soudaine et si rapide que les Russes surpris et coupés laissèrent aux mains des soldats de la jeune garde deux cent cinquante prisonniers. Encouragé par le succès de Charpentier, Ney voulut pousser l'ennemi vers la Neuville en contournant le marais. Il dut bientôt se replier, canonné de front et d'écharpe par les batteries russes. De leur côté, la brigade Pierre Boyer et la division Porret de Morvan, après s'être maintenues quelque temps dans Semilly et Ardon, durent aussi évacuer ces faubourgs. À Ardon, particulièrement, le combat fut acharné. Le colonel Leclerc y trouva la mort et le général Porret de Morvan y fut très grièvement blessé[44]. Il était plus de cinq heures. Les attaques des faubourgs étaient repoussées et la nuit allait venir. Décidé à remettre la bataille au lendemain où il comptait sur la coopération de Marmont[45], l'empereur fit cesser le feu. Les troupes s'établirent au bivouac entre Clacy et Leuilly, sauf la vieille garde de Friant et une partie de la cavalerie qui furent échelonnées entre Chivy et Chavignon, où s'établit le quartier impérial. De fortes grand'gardes de cavalerie étaient postées à plus de cinq kilomètres sur les deux flancs de l'armée[46]. Du côté d'Athies, le feu cessa de même entre cinq et six heures. Après s'être emparé de ce village, Marmont avait arrêté son offensive. Il jugeait, dit-il, que l'attaque de Napoléon n'était que du bruit sans résultat, et il voyait devant lui les corps entiers de Kleist et d'York ; plus loin ; en réserve, les Russes de Sacken et, de Langeron ; à sa droite, les nombreux escadrons de Ziéthen[47]. Le duc de Raguse agit bien en ne s'engageant pas plus à fond contre de pareilles masses ; mais placé ainsi en l'air, au milieu d'une plaine, ayant en face de lui des forces quatre fois supérieures et à sa droite un gros de cavalerie, il eût mieux agi encore s'il eût fait rétrograder son armée jusqu'à l'entrée du défilé de Festieux. Il n'y songea pas, apparemment[48]. Ses troupes bivouaquèrent sur leurs positions de combat : l'infanterie et l'artillerie entre Athies, où restèrent deux bataillons, la butte des Vignes et la route de Reims ; la cavalerie en arrière et à droite, près de la ferme de la Mouillée, le front au ruisseau de Chambry. Les jeunes soldats du duc de Padoue, qui précisément se trouvaient le plus près de l'ennemi, avaient ce jour-là vu le feu pour la première fois Ils s'étaient bien comportés, mais sans aucune habitude de la guerre, ils ne savaient point se garder. Les canonniers de la marine, matelots pour la plupart, étaient bons pointeurs et fort braves mais ils ne connaissaient rien du service en campagne. Au lieu de mettre leurs pièces sur les avant-trains en les rassemblant au parc, ils les laissèrent à la prolonge. Marmont convient qu'il avait remarqué l'inexpérience complète de ses troupes. Néanmoins, il ne crut pas devoir y suppléer en veillant par lui-même aux dispositions de sûreté. Il alla prendre gîte au château d'Eppes, à quatre kilomètres d'Athies, s'en remettant à la Providence du soin de garder son armée[49]. |
[1] Correspondance de Napoléon, 21 316 (château de Surville, 19 février). — Le 24 février, l'empereur écrivait aussi au roi Joseph (Correspondance, 21 360) : Il y a peu de jours, les alliés croyaient que je n'avais pas d'armée ; aujourd'hui il n'est rien où leur imagination s'arrête. Trois ou quatre cent mille hommes ne leur suffisent pas. Ils disent que l'armée française est meilleure que jamais... Il est nécessaire que les journaux de Paris soient dans le sens de leurs craintes. Les journaux ne sont pas l'histoire, pas plus que les bulletins ne sont l'histoire...
[2] Correspondance, 21 455. Cf. 21 454, 21 456, et Moniteur du 12 mars.
[3] Napoléon devait inférer du petit nombre des troupes engagées à Craonne que l'ennemi était engagé dans un mouvement décousu. Koch, I, 403. Vaudincourt (II, 61) dit aussi : Il se présentait trois partis à Blücher : 1° manœuvrer sur la ligne d'opérations du nord ; 2° profiter de la position de La Fère pour s'approcher de Paris dans la direction de l'Oise ; 3° combattre à Laon. Il ne parait pas que Napoléon ait admis cette troisième hypothèse.
[4] Correspondance de Napoléon, 21 453, et Registre de Berthier (à Macdonald, 6 mars ; à Ney, 7 mars). Arch. de la guerre.
[5] Cf. Correspondance de Napoléon, 21 437, et les lettres bien significatives de Berthier à Marmont, Chavignon, 9 mars, 7 heures du matin et midi. Registre de Berthier. Arch. de la guerre.
Marmont n'a nullement tenu compte dans ses Mémoires des considérations qui engagèrent l'empereur à se porter sur Laon. Il juge le mouvement par ses seuls résultats et dit (VI, 208-210) : ... Une pareille opération est difficile à comprendre. Elle peut être l'objet de la critique la plus fondée... Attaquer Blücher dans ces conditions était folie... Napoléon était entraîné par une passion aveugle et s'abandonnait à des mouvements irréfléchis. — On sait de reste que, selon le duc de Raguse, les belles manœuvres di la campagne de France sont dues à Marmont et les faux mouvements, les retards, les désastres sont imputables à Napoléon. Napoléon ne faisait plus que des sottises.
[6] Cf. Correspondance de Napoléon, 21 443, 21 449, 21 450, 21 452, 21 457, 21 453. Registre de Berthier (à Macdonald, 6 mars). Arch. de la guerre.
Dès le 1er mars le ministre de la guerre, suivant les instructions de l'empereur, avait envoyé par duplicata et triplicata aux généraux Maison (entre Lille et Bruxelles), Morand (à Mayence), Broussier (à Strasbourg), Durutte (à Metz), Janssens (à Mézières), Merle (à Maastricht), etc., et jusqu'à Davoust (à Hambourg) et à Lemarois (à Magdebourg) l'ordre de distraire des troupes des garnisons pour tomber sur les derrières de l'ennemi. Correspondance de Clarke, du 1er au 15 mars. Arch. de la guerre.
[7] Registre de Berthier (à Marmont, 8 mars, Braye, 10 heures et 11 heures du matin). Arch. de la guerre. Marmont à Berthier, Berry-au-Bac, 8 mars, 7 heures du soir. Arch. nat., AF., IV, 1670.
[8] D'après la situation du 6e corps d'armée, du 28 février les troupes de Marmont se montaient à 6 088 hommes, plus 541 artilleurs. Il perdit un millier d'hommes dans les combats des 1er, 2 et 5 mars. Reste 5.500 hommes, pins la division Arrighi complétée à 4.000 fusils, depuis son départ de Paris (Mémoires de Marmont, VI, 208, et Situation de la division au 19 février. Arch. de la guerre), soit 9.500 hommes environ.
[9] Défalquer des 22.400 combattants de Craonne les 5.500 tués et blessés, ajouter la 2e brigade de la division Friant : 3.400 hommes ; la 2e brigade des dragons de Roussel : 1.000 hommes ; et le corps Mortier (infanterie de Christiani et de Porret du Morvan et cavalerie de Boulooir) qui, de plus de 8.000 hommes le 1er mars, avait été réduit par les combats et les marches forcées à moins de 4.000.
[10] Ney à Berthier, Urcel, 8 mars. Arch. nat., AF. IV, 1670. Cf. Journal de Majewsky, cité par Bogdanowitsch, I, 333. — Selon Bogdanowitsch (ibid.), la retraite de l'armée russe s'opéra difficilement dans la nuit du 7 au 8 mars, et si les Français avaient alors continué la poursuite ils lui auraient fait grand mal. Mais les troupes françaises avaient combattu tout le jour et fait les unes 6 lieues, les autres 7 et 8 lieues. Hommes et bêtes avaient besoin d'une nuit de repos.
[11] Correspondance de Napoléon, 21 457 ; Registre de Berthier (ordres du 8 mars, 10 heures du soir) ; Ordre de Ney, Chivy, sans date (8 mars), classé par erreur au 9 mars. Arch. de la guerre.
[12] Journal de la division Roussel. Registre de Berthier (à Marmont, 9 mars à 7 heures du matin). Journal du colonel Majewsky.
[13] Les routes de La Fère, d'Avesnes, de Reims et de Soissons et le chemin de Bruyères.
[14] Rapport de l'adjudant-commandant Bouchard à Clarke, 14 février. Arch. de la guerre. — Bouchard, qui commandait à Laon, l'évacua le 11 février. il n'axait que 4 canons et 500 hommes dont 300 gardes nationaux armés de mauvais fusils. On ne pouvait songer avec ces faibles troupes à tenir dans cette place qui avait tant d'approches à défendre et dont les remparts présentaient un développement de plus de cinq kilomètres.
[15] Clausewitz, Der Feldzug von 1814, 441.
[16] Ordres de Blücher, Laon, 8 mars, cités par Plotho, III, 292. Cf. Wagner, 79-83.
[17] Ordres de Blücher et d'York, Laon, 8 mars, cités par Plotho, III, 292-293 ; Müffling, Aus meinem Leben, 135 ; Journal de Langeron. Arch. de Saint-Pétersbourg. Cf. Wagner, III, 79-83, et Bogdanowitsch, I, 338-339.
[18] Les historiens allemands et russes disent 97.000, 110.000 et même 120.000 hommes. (Il est vrai qu'ils donnent 60.000 hommes à Napoléon qui en avait à peine 35.000, y compris les corps de Marmont et de Mortier !) Mais les effectifs qu'indiquent ces historiens aux jours de bataille sont généralement inexacts, car pour les établir ils se reportent à dos rapports antérieurs d'une semaine, d'un mois, parfois de deux mois, et ils ne tiennent aucun compte ni des troupes laissées en arrière devant les places, ni des déchets causés par les maladies, le feu, les marches, etc. Dans leur dénombrement des troupes massées sons Laon le 9 mars, ils ne défalquent pas du corps de Winzingerode les pertes de Craonne ; des corps Sacken, York, Kleist, les pertes des combats sur l'Ourcq. Ils portent le corps de Langeron à 24.000 hommes alors que dans le Journal de ce général (Arch. topographiques de Saint-Pétersbourg), il est dit qu'il n'avait avec lui que la cavalerie de Korff et de Pahlen, 1.800 hommes du 9e corps d'infanterie, le 10e corps (moins 2 régiments) et 2 régiments du 8° corps, soit en tout 13.500 hommes, d'après le tableau de l'armée de Silésie. Arch. de Saint-Pétersbourg, n° 22880.
Le calcul des troupes alliées sous Laon est cependant des plus simples. Blücher avait, le 24 février, an commencement de sa deuxième marche sur Paris, 48.000 hommes. Il reçut comme renforts les 26.900 hommes de Winzingerode, les 18.900 hommes de Bülow, 1.000 hommes qu'amena Langeron en rejoignant son corps d'armée, et un détachement de 2000 hommes commandés par Lowenthal. Total : 93 800 hommes, dont il faut défalquer : 1° 3.000 hommes environ tués, blessés et disparus dans les combats de Vindé, Meaux, Lizy, Gué-à-Tresmes, Neuilly, etc. ; 2° 1000 hommes pris ou tués à Reims, Braisne, Berry-au-Bac, Craonnelle, les 5 et 6 mars ; 3° 1.000 hommes tués ou blessés à Soissons, le 5 mars ; 4° 5.000 tués ou blessés à Craonne. En tout : 10.000. Il restait donc à Blücher environ 84.000 combattants.
[19] Fleury, Le département de l'Aisne en 1814, 333-335. — Tout petit enfant, j'ai été bercé par ces souvenirs. Ma grand'mère qui vécut et mourut à Bruyères m'a souvent conté, avec les forfaits des Cosaques et des Prussiens et les alarmes et les révoltes des paysans, l'enthousiasme et les espérances de victoire que provoqua la nouvelle de l'approche de Napoléon. J'ai vu l'empereur le matin de la bataille, disait-elle avec fierté. On trouvera des réminiscences de ces récits dans de belles pages des Confessions d'Arsène Houssaye, I, 71, 134-139.
[20] Müffling, Aus meinem Leben, 134. Cf. Mémoires de Langeron. Arch. des Affaires étrangères, fonds Russie, 25.
[21] Bogdanowitsch, I, 341 ; Wagner,
III, 86, 88 ; Fleury, 355-358.
[22] Berthier à Marmont, Chavignon, 9 mars, 7 heures du matin : L'empereur a fait cette nuit culbuter l'ennemi à Chivy. Nous croyons que dans ce moment notre avant-garde est à Laon. Si d'après la situation des choses sur la route que vous tenez et d'après les renseignements que vous vous serez procurés, vous ne jugez pas vos forces utiles sur Laon, l'empereur désire quo vous vous arrêtiez à l'endroit où vous recevrez cette lettre, l'intention de Sa Majesté étant de vous envoyer l'ordre de vous porter rapidement sur Reims, du moment qu'elle sera assurée que nous sommes entrés à Laon.
Berthier à Marmont, Chavignon, 9 mars (de 11 heures à midi) : Je vous ai écrit ce matin pour vous faire connaitre qu'il était à présumer que notre avant-garde était en possession de Laon, qu'en conséquence vous pourriez arrêter votre mouvement... Mais on s'y bat encore. Vous devez donc continuer à marcher sur cette ville. Registre de Berthier. Arch. de la guerre.
Vraisemblablement ces deux dépêches furent interceptées par les Cosaques, car si Marmont les avait reçues, il n'eût pas manqué de les alléguer comme excuses de retard de sa marche.
[23] Registre de Berthier (ordres du 9 mars, Chavignon, midi). Arch. de la guerre. — Napoléon dut recevoir, dés neuf ou dix heures, des nouvelles des maréchaux, mais à cause du brouillard qui leur cachait le déploiement des troupes ennemies, ceux-ci ne pouvaient savoir si la résistance de Blücher était sérieuse ou si elle était destinée seulement à couvrir sa retraite.
La plupart des historiens, se méprenant absolument sur la bataille de Laon qu'ils représentent comme une grande action décidée d'avance et comprenant l'enlèvement avec 35.000 hommes d'une position formidable occupée par 90.000 hommes, et qu'ils sont en droit ainsi de qualifier d'opération insensée, font arriver Napoléon sur le terrain dès huit heures du matin. Le registre de Berthier infirme leur assertion et répond par avance à leur critique en démontrant que Napoléon n'arriva devant Laon qu'entre midi et une heure et qu'il y avait porté ses troupes non pour livrer bataille à Blücher mais pour le poursuivre dans la marche en retraite qu'il lui attribuait.
[24] Ordre du Blücher du 9 mars, cité par Plotho, III, 293.
[25] Müffling, Aus meinem Leben, 136, 138. — Il n'y avait pas alors 15.000 hommes dans la plaine, car ni la vieille garde, ni l'ancien corps de Victor (divisions Charpentier et Boyer de Rebeval), ni la réserve d'artillerie n'avaient encore débouché.
[26] Müffling, 129, 134, 138. Cf. Mémoires de Langeron. Arch. des Affaires étrangères. — Un rapport de Troyes, 24 février (Arch. nat., AF., IV, 669), montre bien quelle surprise et quel effroi causaient à l'ennemi les forces nouvelles que Napoléon lui opposait. L'empereur n'avait pas 20.000 hommes il y a quinze jours, disaient les Alliés, et le voici avec 300.000 hommes.
[27] Müffling, Aux meinem Leben, 136.
[28] Müffling, Aus meinem Leben, 136-137 ; Bogdanowitsch, I, 342 ; Registre de Berthier (ordre et lettres de Chavignon, 9 mars, midi). Arch. de la guerre.
[29] Müffling, Aus meinem Leben, 137-138.
[30] Müffling, Aus meinem Leben, 136-138.
[31] Ces ordres sont : le premier de 10 heures du matin ; le second de 11 heures. Registre de Berthier, 8 mars. Arch. de la guerre. Ils durent arriver à Marmont entre midi et 2 heures de l'après-midi. S'il se fût mis en mouvement aussitôt, il pouvait facilement venir coucher, le 8, à Festieux et être devant Laon le 9 à 8 heures du matin.
[32] Je ne puis exécuter le mouvement ce soir... Je serai en marche avant le jour... Marmont à Berthier, Berry-au-Bac, 8 mars, 7 heures du soir. Arch. nat., AF. IV, 1670.
[33] Marmont, Mémoires, VI, 211. — Dans ses Mémoires, Marmont dit qu'il arriva à Festieux à 8 heures, mais dans son rapport à l'empereur, du 10 mars (Arch. nat., AF. IV, 1670), il n'indique que l'heure de son départ : midi. Le fait que Blücher ne reçut qu'à midi la dépêche lui annonçant l'arrivée de Marmont à Festieux prouve que le maréchal n'y arriva pas à 8 heures du matin. D'ailleurs les troupes avaient eu à faire 18 kilométras pour venir de Berry-au-Bac.
[34] Les ordres du major général, fort peu détaillés, prescrivaient seulement à Marmont de marcher de Corbény sur Laon, par Aubigny, en veillant bien à se lier à l'armée impériale (ce que Marmont d'ailleurs ne chercha pas à faire). Marmont avait donc toute liberté de prendre après Aubigny et a fortiori après Festieux, la route qui lui paraissait la plus convenable. Il importait peu qu'il débouchât dans la plaine de Laon un peu plus à l'est ou un peu plus au sud. Ce qui importait c'était de marcher le plus vite possible an canon de l'empereur, que Marmont reconnait avoir entendu des Festieux (Mémoires, VI, 211).
[35] Mon but unique était de me conformer à un ordre positif qu'il eut été criminel de ne pas exécuter. Mémoires, VI, 212, Cf. 206-209 et passim.
[36] Droysen, York's Leben, III, 348-34d. Bogdanowitsch, I, 344. Cf. rapport de Marmont, Corbény, 9 mars, 2 heures de matin (c'est-à-dire 10 mars). Arch. nat., AF., IV, 1670.
[37] ... Quelques paysans, égarés par les proclamations de l'empereur Napoléon, ont pris les armes contre les Alliés et ont tiré sur eux. L'incendie du village d'Athies, dont Napoléon a été le témoin, aurait dû lui ouvrir les yeux sur le terrible châtiment auquel il expose les Français par cette mesure à laquelle il les anime. Proclamation de Blücher, Laon, 10 mars. Arch. de Laon.
[38] Rapport de Marmont, Corbény, 10 mars, 2 heures du matin. Arch. nat., AF., IV, 1670. Cf. Fleury, Le département de l'Aisne en 1814, 364.
[39] Rapport de Marmont à Napoléon, Corbény, 11 mars. Arch, nat., AF., IV, 1 670. Cf. Mémoires de Marmont, VI, 233. Journal de Fabvier, 43-49.
[40] Ordre de Blücher, Laon, 9 mars, cité par Plotho, III, 293.
[41] Müffling, Aus meinem Leben, 138.
[42] Napoléon devait être vraisemblablement au débouché de Chivy, à l'embranchement du chemin de Leuilly (point coté 68 sur la carte d'état-major), à deux kilomètres du faubourg de Semilly. C'est l'endroit précis où la vue a le plus d'étendue. Si l'on appuie un peu pins h. gauche, le massif de Laon l'arrête complètement ; un peu plus à droite, on a devant soi, outre les bois de Leuilly, la butte de la Moncelle, à quatre kilomètres. — Bien que depuis 1830 on ait beaucoup déboisé dans cette région, du point indiqué, où nous nous sommes placé, la vue ne porte pas encore au delà d'Arden.
[43] ... Avant tout, maintenez bien nos communications. Vous devez vous mettre en communications avec le duc de Trévise. Berthier à Marmont. Braye, 8 mars, 10 heures du matin et 11 heures du matin. Registre. Or Marmont avoue dans ses Mémoires (VI, 212) qu'il n'envoya jusqu'à la fin de la journée du 9 aucun courrier à l'empereur. Je n'avais reçu, dit-il, aucune nouvelle de l'empereur, les communications étaient interceptées entre nous. Marmont oublie que ces communications, c'était à lui de les maintenir.
[44] Lettre de Blücher à Schwarzenberg, Laon, 10 mars, citée par Bogdanowitsch, I, 343, 509. Wagner, III, 89. Cf. Registre de Berthier et Journal de la division Roussel. Arch. de la guerre.
[45] Comme nous l'avons dit, le vent qui soufflait de l'ouest empêchait Napoléon d'entendre le canon de Marmont et la configuration du terrain lui cachait ses mouvements. D'autre part le duc de Raguse n'envoya aucun officier l'empereur jusqu'a 6 heures du soir où il dépêcha Fabvier qui s'arrêta en route. Mémoires de Marmont, VI, 212. Rapport de Marmont à Napoléon, Corbény, 9 mars. Arch. nat., AF., IV, 1670. Fabvier, Journal du 6e corps. L'empereur cavait sans doute que Marmont était à proximité, mais il ignorait le point où il se trouvait.
[46] Positions de l'armée, le 9 mars au soir. Arch. nat., AF., IV, 1 668.
[47] Mémoires de Marmont, VI, 212. Fabvier, Journal du 6e corps. — Sur l'ordre de Blücher, Sacken et Langeron s'étaient portés en soutiens d'York et de Kleist. La cavalerie de Ziéthen s'était de même vers quatre heures massée à la gauche de la forêt de Samoussy afin d'arrêter un mouvement tournant éventuel des lanciers et des cuirassiers de Bordessoulle. Bogdanowitsch, I, 344.
[48] Dans ses Mémoires (VI, 212) Marmont dit qu'il comptait bien la nuit venue regagner le défilé de Festieux. Pourquoi ne le fit-il pas tout de suite ? Mais dans son rapport de Corbény (Arch. nat., AF., IV, 1 670), il dit seulement qu'il se disposait à prendre une position de nuit. Pourquoi ne la prenait-il pas tout de suite ? Ce sont là de mauvaises excuses coutumières au duc de Raguse.
[49] Mémoires de Marmont, VI, 212-213. Cf. Bogdanowitsch, I, 345. Droysen, 349 ; Fleury, 366. Fabvier, Journal du 6e corps, 49-50.