1814

LIVRE TROISIÈME

I. — LA BATAILLE DE CRAONNE.

 

 

Depuis la campagne de Russie, Napoléon était habitué aux trahisons de la fortune. Il les subissait sans abattement, gardant toute sa fermeté et trouvant toujours, en son inépuisable génie stratégique, de nouvelles combinaisons pour remplacer celles que le sort faisait échouer. La reddition de Soissons était un grand malheur. L'empereur ne jugea pas que ce malheur fût irréparable. Il n'avait pu combattre Blücher en deçà de l'Aisne : il l'atteindrait au delà de cette rivière. Napoléon savait que le corps de Winzingerode était venu augmenter les forces du feld-maréchal, mais il évaluait ce corps à l'effectif qu'il avait lors de la première prise de Soissons, c'est-à-dire à une quinzaine de mille hommes[1]. Quant au corps de Bülow, l'empereur le croyait encore aux environs d'Avesnes[2]. Avant qu'il eût rallié l'armée de Silésie, on aurait donné la bataille. La crainte de l'empereur, c'était que Blücher, maître de la rive droite, ne défendit opiniâtrement le passage de l'Aisne. Il donna l'ordre de jeter plusieurs ponts de chevalets afin de n'avoir point à déboucher sous le feu de l'ennemi par le seul pont de Berry-au-Bac[3].

Blücher avait bien l'intention de disputer le passage de l'Aisne[4], mais croyant à une attaque de Napoléon vers Vénisel ou Micy, il n'avait pas cru nécessaire de faire occuper Berry-au-Bac en forces et il avait établi ses troupes face à la rivière, sa droite à Fontenay et sa gauche à Vailly, avec des postes de cavalerie jusqu'à Berry, où quelques régiments de Cosaques et un peu d'infanterie avec deux canons gardaient le pont[5]. Napoléon fut averti à onze heures du matin par un officier de dragons, envoyé en reconnaissance, que l'on pourrait s'en emparer sans difficultés. Il modifia aussitôt son plan. Les commandants de corps reçurent l'ordre d'arrêter la construction des ponts et de se porter immédiatement à Berry-au-Bac où toute l'armée passerait l'Aisne[6]. Nansouty, avec les lanciers polonais et la 2e division de cavalerie de la garde (chevau-légers et dragons), fut désigné pour enlever la position. Les vedettes cosaques postées sur la rive gaucho se retirèrent au grand galop par le pont, mêlées avec les Polonais qui le franchirent en mime temps qu'elles. L'attaque fut si soudaine et si vive que l'ennemi n'eut pas le temps de se mettre en défense. Cavaliers et fantassins s'enfuirent par les rues du village, jusqu'au delà de Corbény. Ils laissaient aux mains des Français leurs deux canons et deux cents prisonniers. Parmi ceux-ci se trouvait le prince Gagarine, qu'avait poursuivi un vieux brigadier de dragons, vétéran d'Égypte et d'Italie et comptant vingt-trois ans de service. Ce brave fut décoré le lendemain[7]. Le chemin était ouvert. La division Meunier et la brigade Boyer du corps de Ney et la vieille garde de Friant, qui marchaient on tète de colonne, passèrent l'Aisne et vinrent s'établir entre Berry-au-Bac et Corbény, éclairées par la cavalerie de Nansouty. Les autres troupes débouchèrent successivement. Le passage dura jusqu'au surlendemain[8].

Blücher apprit seulement dans la soirée du 5 mars que les Français, maîtres du pont de Berry-au-Bac, manœuvraient de façon à le devancer à Laon. Il conçut le plan de surprendre Napoléon en marche, par une vigoureuse attaque sur son flanc gauche. Divers chemins, entre autres la route des Dames, permettaient au feld-maréchal de porter par plusieurs voies le gros de ses troupes au sommet du plateau de Craonne, d'où elles redescendraient dans la plaine, entre Berry-au-Bac et Corbény. Toute l'armée ayant fait demi-tour pivota sur son extrême gauche, devenue extrême droite. Les corps de Winzingerode, de Sacken, de Kleist et de York, et la cavalerie de Langeron, se dirigèrent vers Craonne. Bülow se porta en réserve à Laon ; Rudzewitsch, avec toute l'infanterie de Langeron, demeura dans Soissons[9]. Le 6 mars, Blücher quitta Chauvignon de sa personne et se mit en route pour Craonne. Mais sans pousser jusque-là, il vit que l'opération projetée n'était plus possible. Winzingerode, n'ayant pas mis assez de diligence dans l'exécution des ordres, n'avait pu occuper ni la forêt de Corbény, ni même, du moins en forces suffisantes, le village de Craonne construit sur la crête orientale du plateau[10]. D'autre part, Napoléon, averti vers midi que des troupes ennemies étaient en mouvement sur ce plateau, avait envoyé en reconnaissance deux bataillons de la jeune garde qui avaient pu enlever ce village. À la droite, Ney avec la division Meunier avait délogé de l'abbaye de Vauclère, dans la vallée de l'Ailette, deux régiments d'infanterie russe et les refoulait sur le plateau[11].

L'offensive prise par Napoléon déconcertait Blücher, mais le mouvement de Blücher sur Craonne déconcertait Napoléon. Le feld-maréchal devait renoncer à son plan qui était d'attaquer les Français en flagrant délit de marche, dans une plaine où il aurait pu déployer toutes ses forces[12]. L'empereur devait également abandonner son projet qui était de se porter droit sur Laon, par la grande route de Reims, pour y devancer les Alliés[13]. Marcher vers Laon alors que l'ennemi occupait le plateau de Craonne eût été s'exposer à une attaque de flanc. Les deux adversaires prirent presque à la même heure un nouveau parti. Blücher se décida à recevoir la bataille sur le plateau au lieu de la donner dans la plaine, Napoléon à refouler l'armée coalisée vers Laon au lieu d'aller l'attendre sous les murs de cette ville. Mais la fortune favorisait Blücher en lui donnant une magnifique position défensive dont il ne connut toute la force qu'après s'être résolu à s'y établir.

Entre l'Aisne et l'Ailette s'élève parallèlement au cours de ces deux rivières un long plateau qui tantôt vaste comme une plaine, tantôt resserré comme un défilé, s'étend des environs de Corbény à l'est jusque passé Soissons à l'ouest. À son extrémité orientale, ce plateau projette au milieu de la campagne, ainsi qu'un fort avancé, un promontoire d'une altitude de cent cinquante mètres au-dessus du niveau de l'Aisne. Ce promontoire qui s'appelle le petit plateau de Craonne se relie au grand plateau par une sorte d'isthme, qui dans sa partie la plus étroite, où s'élève la ferme d'Hurtebise, a cent trente mètres de largeur. Soit qu'on suive la route de Corbény qui traverse le petit plateau, soit qu'on gravisse la route des Dames qui après avoir côtoyé la montagne vient se confondre avec la route de Corbény devant la porte de la ferme et se dirige alors vers Chavignon[14], il faut pour atterrir sur le grand plateau passer l'isthme d'Hurtebise, dont le terrain est légèrement en contrebas des deux sommités. La position n'a pas d'autre accès. En arrière de l'étranglement d'Hurtebise, les flancs de la montagne tombent presque à pic, au nord dans la marécageuse vallée de l'Ailette, où se creuse un ravin qui porte le nom de Trou de la Demoiselle, au sud dans la vallée Foulon, où le précipice plus roide et plus profond encore s'appelle le Trou d'Enfer.

Blücher, voyant que l'occupation du plateau se réduisait à peu près à la défense d'un défilé, jugea qu'il n'était point nécessaire d'y immobiliser toute son armée. Une trentaine de mille hommes, appuyés par une forte artillerie, suffiraient pour arrêter les assaillants. Les autres troupes, opérant un grand mouvement tournant, vie draient prendre les Français à revers pendant leur assaut. Le comte Woronzoff, lieutenant de Winzingerode, fut chargé go la défense du plateau avec 16 300 fantassins, 2 200 cavaliers et 96 canons. Ce premier corps de bataille avait comme réserve les trois divisions de Sacken, comptant 13 500 hommes. Winzingerode reçut l'ordre de réunir toute sa cavalerie, moins celle laissée à Woronzoff, toute celle de Langeron et toute celle d'York. Avec cette masse de plus de dix mille chevaux, que renforçaient soixante pièces d'artillerie légère et que suivait le corps de Kleist, infanterie et cavalerie, Winzingerode devait passer l'Ailette entre Chevregny et Filain, et se rabattre le lendemain, par Festieux et la route de Reims, sur les derrières de Napoléon[15].

Pendant que Blücher prenait ces nouvelles dispositions, le combat se poursuivait au sommet du petit plateau, entre les premières troupes qui y étaient arrivées. Après que les deux bataillons de la garde avaient, délogé l'ennemi du village de Craonne, l'un d'eux s'était avancé sur ce plateau ; mais, chargé sur ce terrain découvert par les hussards Paulowgrad, il s'était retiré dans le village où ces cavaliers l'avaient laissé fort tranquille. La petite division Meunier, conduite à l'assaut par le maréchal Ney, s'était emparée de l'abbaye de Vauclerc, dans la vallée de l'Ailette, puis, gravissant la côte à la suite des deux régiments russes, elle les avait refoulés dans la ferme d'Hurtebise. Trois fois cette position fut prise et reprise. Enfin vers sept heures, à la nuit noire, Ney évacua la ferme. Il établit les bivouacs de la division à mi-côte, entre Hurtebise et Vauclerc ; lui-même vint coucher au château de la Bove, de l'autre côté de l'Ailette, non loin de la brigade Pierre Boyer qui occupait Bouconville[16]. La cavalerie de la garde (divisions Colbert et Exelmans), les dragons de Roussel, la vieille garde de Friant, les divisions Boyer de Rebeval et Curial bivouaquaient entre Berry-au-Bac et Corbény, où se trouvait le quartier impérial. De forts avant-postes gardaient la route de Laon et les crêtes du petit plateau, à Craonne et à Craonnelle. Une partie de l'artillerie, la division Charpentier, la division Arrighi, la 3e division de la cavalerie de la garde n'avaient point encore passé le pont[17]. Quant aux ducs de Trévise et de Raguse, ils étaient fort en arrière, le premier à Cormicy, le second à Braisne, car l'ordre de rejoindre l'empereur ne leur était parvenu devant Soissons que le 5 mars dans l'après-midi, alors qu'ils venaient de tenter sur les faubourgs de cette ville un coup de main aussi honorable qu'inutile, où ils avaient perdu huit cents de leurs soldats et tué un millier d'hommes à l'ennemi[18].

Dans la soirée, Napoléon prit ses dispositions d'attaque pour le lendemain. Il avait ses cartes, mais il ne négligeait point de s'informer auprès des gens du pays. Le maître de postes de Berry-au-Bac dit que M. de Bussy, maire de Beaurieux, qui avait servi jadis comme officier, renseignerait très bien l'empereur. Napoléon, chez qui la mémoire des noms n'était pas, comme on l'a dit, une simple prétention, se rappela avoir eu comme camarade au régiment d'artillerie de la Fère, un officier du nom de Bussy. Une escorte de cavalerie fut envoyée au maire de Beaurieux ; il arriva au milieu de la nuit. Après quelques paroles d'amitié, l'empereur le mit en peu de mots au courant de son plan d'attaque. Napoléon comptait canonner l'isthme d'Hurtebise afin de faire croire aux Russes qu'il préparait une attaque de front. Pendant le feu, les troupes de Ney escaladant la montagne en arrière d'Hurtebise viendraient déboucher sur le flanc gauche de l'ennemi par la route des Dames ; eu même temps, la cavalerie de Nansouty, avec quelques batteries d'artillerie légère, gravirait le plateau vers Vassoigne et ferait une vigoureuse démonstration sur le flanc droit. Les Russes, selon lui, seraient ainsi débordés sur leurs deux ailes. Bussy objecta que, en débouchant de la route des Dames, la colonne de Ney serait foudroyée par l'artillerie française établie sur le petit plateau. C'était plus avant dans la vallée de l'Ailette, vers le village d'Ailles, que l'on devait aborder la position ennemie. L'empereur se rendit à ces raisons, et envoya de nouveaux ordres à Ney. Bussy, réintégré incontinent dans les cadres de l'armée avec le grade de colonel d'artillerie, — avancement singulièrement rapide, — fut chargé de guider la cavalerie de la garde à travers le vallon d'Oulches[19]. Au reste, Napoléon abusé par des rapports de la nuit, assurant que le gros des troupes russes opéraient une marche rétrograde, pensait n'avoir à attaquer qu'une arrière-garde dont il aurait bon marché[20].

Le lendemain, 7 mars, vers huit heures du matin, l'empereur, voulant inspecter les positions de l'ennemi, se rendit sur le petit plateau qui n'était encore occupé que par deux bataillons de la garde. Sur le grand plateau, les Russes avaient déjà pris leur formation de combat. Ils présentaient trois lignes successives de colonnes de bataillon. La première ligne, forte de quatorze bataillons, s'étendait à choyai sur la route des Dames, face au débouché d'Hurtebise, douze cents mètres environ de la ferme, la gauche à la crête de la montagne, la droite débordant la sortie du défilé et regardant le ravin de la vallée Foulon. La seconde ligne, de sept bataillons, et la troisième, de neuf bataillons, toutes deux également à cheval sur la route des Dames, étaient, celle-là à cinq cents mètres et celle-ci à mille mètres on arrière du premier corps de bataille. Huit cents chasseurs occupaient comme poste avancé la ferme d'Hurtebise, ayant deux escadrons pour soutien. À la droite de la première ligne, le régiment Paulowgrad et quatre régiments de Cosaques se tenaient prêts à charger les assaillants qui tenteraient l'escalade du plateau par les sentiers de Vassoigne ; et, à deux kilomètres en arrière de la troisième ligne étaient massés les 4.200 chevaux du corps de Sacken dent l'infanterie servait d'extrême réserve. Trente-six pièces de canon, dont douze de gros calibre, établies devant le front du premier corps de bataille, commandaient le défilé. Douze pièces placées obliquement au-dessus du Trou d'Enfer croisaient leurs feux avec ceux des batteries du centre. À l'aile gauche, dix-huit canons de position, douze dominant le Trou de la Demoiselle et six braqués sur Ailles, battaient la vallée de l'Ailette. Enfin une réserve d'artillerie de trente bouches à feu se trouvait entre la deuxième et la troisième ligne de bataille[21].

Dans la nuit il avait gelé très fort et il était tombé un peu de verglas. Les chevaux d'artillerie glissaient en montant. Les premières batteries françaises arrivèrent seulement entre neuf et dix heures sur le petit plateau. Impatient d'occuper l'ennemi sur son front, de façon à détourner son attention de son flanc gauche, où il allait être attaqué, l'empereur donna l'ordre d'ouvrir le feu. Les batteries russes ripostèrent. On se fit peu de mal[22]. On canonnait à près de 2.000 mètres, distance qui, à cette époque, excédait de moitié non point la portée mais la portée efficace des bouches à feu.

Venu de Braye, où il avait couché, Blücher était alors sur le terrain, prêt à prendre l'offensive dès que le canon de Winzingerode sur les derrières de l'armée française l'aurait averti de l'exécution du mouvement tournant. À dix heures, une estafette apprit du feld-maréchal que la grande colonne de cavalerie, qui selon tous les calculs aurait dû se trouver déjà à la hauteur de Festieux, était encore dans la vallée de l'Ailette, près de Chevregny. Aussitôt Blücher, laissant le commandement en chef à Sacken, partit pour Chevregny afin d'activer la marche de Winzingerode[23].

A l'heure même où Blücher quittait le plateau, Ney, marchant au canon, prononçait son mouvement. La brigade Pierre Boyer se porta sur Ailles, la division Meunier, bientôt soutenue par la division Curial, se glissa à travers bois jusqu'au pied du Trou de la Demoiselle et commença la difficile escalade des rampes[24]. Les Français ne tardèrent pas à être signalés par les tirailleurs qui garnissaient les crêtes du plateau. Les bataillons de l'aile gaucho ouvrirent un feu nourri contre la tête de la colonne d'attaque, tandis que la batterie du Trou de la Demoiselle tirait à mitraille sur les troupes qui n'étaient pas encore dans l'angle mort du ravin. Les soldats de Ney parvinrent cependant à prendre pied sur le plateau, mais pour un instant. Criblés de balles et de biscaïens, partout refoulés, ils se reformèrent à mi-côte, se préparant à un nouvel assaut. Aux débouchés d'Ailles, la brigade Pierre Boyer rencontrait la même résistance. À l'extrême droite de la ligne ennemie, les 4e et 2e divisions de la cavalerie de la garde (éclaireurs, lanciers et dragons) gravissaient au-dessus de Vassoigne des sentiers escarpés où il fallait passer homme par homme et où l'on resta longtemps sans avancer[25].

L'empereur n'avait encore sous la main que la division Friant, et le moment n'était pas venu de faire donner les grognards. Napoléon les ménageait plus qu'il ne se ménageait lui-même. Le maréchal Victor arriva avec sa première division de jeune garde, commandée par Boyer de Rebeval. L'empereur lui ordonna de côtoyer le ravin de Vauclere jusqu'à la route des Dames, par où il déboucherait en arrière de la ferme d'Hurtebise afin de prolonger la gauche de Ney, qui avait tenté un second assaut. Les Russes postés dans la ferme risquaient d'être coupés. Woronzoff leur envoya l'ordre de l'évacuer. Ils se replièrent et entrèrent dans le premier corps de bataille après avoir incendié les bâtiments. Grâce à l'épaisse fumée qui s'éleva des granges, la division Boyer de Rebeval, ployée en colonne serrée, put déboucher sous les feux Croisés de quarante-huit canon : sans être trop maltraitée. Pour reprendre haleine elle s'abrita derrière un grand tertre factice, d'origine gauloise, nommé la Mutte au Vent[26]. Le défilé étant devenu libre, l'empereur y fit passer quatre batteries qui vinrent s'établir à la gauche de la division Boyer de Rebeval, leur droite abritée par le remblai de la route des Dames. L'artillerie ouvrit le feu, mais les canonniers novices chargeaient lentement et pointaient mal. En vain Drouot se multipliant, courant d'une batterie à une autre, maniant l'écouvillon et la planchette de hausse, montrait leur métier à ces jeunes gens avec autant de douceur que de sang-froid, ils recevaient six boulets pour un et plusieurs des pièces furent démontées avant d'avoir pu tirer[27].

L'ennemi ébranlé cependant par les attaques réitérées du prince de la Moskowa, qui n'abandonnait les crêtes du plateau que pour y revenir aussitôt à la charge, infléchit son aile gauche, prenant une ligne légèrement oblique. Victor, profitant de ce mouvement, porta d'un bond sa division à près de mille mètres en avant, sur la lisière d'un petit taillis appelé le bois Marion. Dans la marche, le duc de Bellune reçut une balle qui lui traversa la cuisse de part en part. Il remit le commandement à Boyer de Rebeval[28]. Celui-ci, accueilli par un feu d'enfer et se voyant, en terrain découvert, seul avec sa division à soutenir l'effort de l'armée russe, n'osait ni avancer ni reculer. Avancer, c'était se briser sans utilité contre une muraille de baïonnettes et de canons ; reculer pour s'abriter dans le bois, c'était s'exposer à un sauve-qui-peut. Les conscrits déjà fort émus se débanderaient dès qu'ils ne seraient plus coude à coude et sous l'œil des serre-files. Dans cette crainte, le général ne voulut même pas faire déployer sa division. Il la maintint en bataillons en masse sous la mitraille de l'artillerie russe, qui tirait à petite portée. Nos jeunes soldats, écrit l'aide de camp de Boyer, firent plus qu'on n'aurait pu espérer. Pendant une heure nous nous massacrâmes d'une manière épouvantable. Le 14e de voltigeurs perdit trente officiers sur trente-trois ; le régiment fut fauché comme un champ de blé[29].

Enfin un premier renfort franchit le défilé d'Hurtebise : la brigade Sparre des dragons d'Espagne. Grouchy n'ayant pu réunir que ce millier d'hommes était parti avec eux sans attendre la seconde brigade. Les dragons, débouchant au grand trot de l'angle du bois Marion, chargèrent la batterie établie à l'aile gauche : les artilleurs furent sabrés, les douze canons pris. Pendant que Grouchy enlevait cette batterie, Nansouty parvenu à se former sur les crêtes du plateau, à l'autre extrémité du champ de bataille, lança ses escadrons contre la droite de l'ennemi. Après avoir dispersé les Cosaques et rompu les hussards Paulowgrad, les cavaliers de la garde chargèrent en ligne deux bataillons russes qu'ils refoulèrent jusque près de Paissy. Hommes et chevaux, confondus en un affreux désordre, allaient être infailliblement précipités dans ce ravin à pic, lorsqu'une des batteries de réserve, soudain démasquée, arrêta l'élan de la cavalerie française et permit aux Russes de se rallier[30].

Woronzoff était encore intact à son centre, mais il avait abandonné le poste avancé d'Hurtebise, sa droite était  entamée et sa gauche fléchissait sous les charges des dragons de Grouchy qu'appuyait l'infanterie de Ney et de Boyer de Rebeval. Woronzoff avait l'ordre de se maintenir jusqu'à la dernière extrémité afin de donner le temps à Winzingerode d'opérer son grand mouvement tournant. Une contre-attaque devenait nécessaire. À la droite, les bataillons et, les escadrons russes, dégagés par le feu de la batterie de réserve, se reportèrent en avant, ramenant Nansouty jusqu'aux crêtes de Vassoigne. À la gauche, deux régiments d'infanterie fondirent baïonnettes croisées sur les dragons de Grouchy. Acculés à la batterie dont ils venaient de s'emparer, ceux-ci voulant reprendre du champ pour fournir une nouvelle charge abandonnèrent les pièces. Comme ils se ralliaient devant le front de la division Boyer, Grouchy et Sparre, furent blessés presque au même instant. Grouchy reçut un biscaïen au genou droit, Sparre une balle dans la jambe. Sans chef et sans ordres, les dragons restèrent indécis, immobiles sous la mitraille. Woronzoff voyant leur hésitation fit avancer du troisième corps de bataille une brigade fraîche qui marcha à la baïonnette contre ces escadrons. Ils tournèrent bride et vinrent jeter le désordre dans les régiments de Boyer de Rebeval qui bichèrent pied. La panique gagna les jeunes soldats de Ney établis à leur droite ; ils s'enfuirent à leur tour, malgré les exhortations, les cris et les coups de plat d'épée du maréchal. Fantassins et cavaliers se précipitèrent au fond des ravins de l'Ailette. Le grand plateau était presque complètement nettoyé. Pour la cinquième ou la sixième fois, les Français abandonnaient ces crêtes dont la courte possession leur avait coûté tant de sang[31].

Depuis longtemps déjà, l'empereur recevait de Ney et de Boyer de Rebeval d'incessantes demandes de renforts. Nous allons être culbutés, disait Boyer, les pièces démontées affaiblissant le feu de notre artillerie et le feu de notre infanterie devenant presque nul par suite du grand nombre de blessés qui quittent les rangs[32]. Le malheur était que Ney, prenant la préparation de l'attaque pour lé début de l'attaque et marchant au canon, se fût engagé trop vite, avant que l'empereur n'eût concentré des troupes suffisantes. Napoléon ne pouvait envoyer des renforts qu'à mesure que ses divisions étaient prêtes à entrer en ligne. À une heure enfin, les chasseurs et les grenadiers à cheval de La Ferrière (3e division de la garde), l'infanterie de Charpentier, la réserve d'artillerie atteignent le petit plateau. C'est le moment décisif.

Les cavaliers de La Ferrière franchissent au galop l'isthme d'Hurtebise et viennent charger le centre de la ligne ennemie. Ils reculent bientôt, mais leur furieuse attaque a permis à la division Charpentier, qui a suivi le mouvement, de s'établir à cheval sur la route des Dames, prolongeant la gaucho de Boyer de Rebeval dont les bataillons décimés se reforment devant le bois Marion. En même temps, les troupes de Ney revenues de leur panique couronnent de nouveau les crêtes de droite tandis qu'au sud du plateau, entre Vassoigne et la ferme des Roches, les quatre mille cinq cents cavaliers de la garde se déploient en ligne, sabre au clair. Enfin, saluées par les acclamations de toute l'armée, soixante-douze pièces de la garde et de la réserve d'artillerie débouchent du défilé d'Hurtebise n passent au grand trot dans les intervalles des brigades, roulant sur la terre durcie avec le bruit du tonnerre. En mi instant, les batteries sont établies devant le front des troupes, les avant-trains détachés, les canonniers à leurs pièces. Les soixante-douze bouches à feu foudroient les Russes. L'empereur arrive sur la ligne de bataille[33].

Il était temps pour l'ennemi que s'opérât la diversion de Winzingerode. Encore la cavalerie russe eût-elle été signalée par les lanciers polonais du comte Pacz qui éclairaient la route de Laon, arrêtée quelques moments par la deuxième brigade de Roussel qui occupait Corbény, combattue enfin par la division Arrighi et les corps des maréchaux Mortier et Marmont, qui étaient échelonnés à cette heure-là entre Craonne et Berry-au-Bac[34]. Il est donc fort probable que l'admirable manœuvre conçue par Blücher n'eût pas amené les résultats qu'il en espérait, c'est-à-dire donné le coup de grâce à l'armée française[35]. Au demeurant, la diversion ne devait pas avoir lieu. Le manque de temps et le mauvais état des chemins, rendaient presque impossible ce raid de cavalerie ; de plus Winzingerode n'avait pas mis dans sa marche toute la diligence qu'il fallait[36]. Blücher averti dans la matinée que Winzingerode se trouvait encore à environ vingt kilomètres du point où le feld-maréchal le croyait arrivé, était, on l'a vu, parti immédiatement pour Chevregny afin de presser la marche de la colonne. Mais où Winzingerode — le premier sabreur de l'Europe, comme l'appelait Blücher[37] — n'était point parvenu à défiler, le feld-maréchal n'y réussit pas mieux. Les chemins embourbés de la vallée de l'Ailette, où la gelée n'avait eu que peu d'effet, et les pentes glissantes des hauteurs qui l'entouraient étaient difficiles pour la cavalerie, impraticables à l'artillerie. En outre l'infanterie de Kleist qui, elle aussi, selon les ordres de la veille, avait commencé son mouvement d'Anizy sur Chevregny, venait encombrer le vallon. Toutes ces troupes piétinaient sur place en une affreuse confusion[38]. — Quelle belle canonnade on eût fait là dedans ! — Après s'être épuisé en efforts, Blücher qui entendait depuis longtemps tonner le canon sur les hauteurs de Craonne vit que la diversion de Winzingerode serait en tout cas trop tardive. Il se décida à concentrer son armée sous Laon, et expédia à Sacken l'ordre de se mettre on retraite[39]. Cet ordre parvint vers une heure et demie à Sacken qui le fit aussitôt communiquer à Woronzoff sur le champ de bataille. Woronzoff commença par répondre que puisqu'il avait déjà tenu cinq heures, il pourrait bien tenir jusqu'à la nuit[40], cette prolongation de résistance devant lui coûter moins de monde qu'une retraite sans cavalerie, en terrain découvert. Sacken renouvela impérativement à Woronzoff l'ordre de se replier, ajoutant qu'il mettait en mouvement les quatre mille deux cents chevaux de son corps d'armée pour soutenir la retraite de l'infanterie[41].

Les Français, maîtres des crêtes orientales et s'étendant en travers du plateau, s'étaient formés en ligne parallèlement à l'ennemi. Les Pusses commençaient à lâcher pied, ébranlés de front par le feu de l'artillerie, débordés sur leur droite par la cavalerie de la garde, dont l'empereur venait de confier le commandement à l'aide-major général Belliard, inquiétés sur leur gauche par les vétérans d'Espagne de la brigade Pierre foyer qui attaquaient vigoureusement le village et les hauteurs d'Ailles. Que Woronzoff le voulût ou non, il lui fallait battre en retraite. Dans les premiers moments cette retraite fut admirable. Les Russes, enlevant leurs pièces démontées et un certain nombre de leurs blessés, se retirèrent pas à pas, avec un calme imposant, par bataillons carrés en échiquier[42]. Les régiments Navaginsk et Tula ne cédèrent le terrain que sur des ordres réitérés. Le général-major Ponset, qui commandait cette brigade, n'était point encore guéri d'une blessure reçue à Leipzig ; il se tenait la béquille à la main devant ses troupes et allait grommelant : — Je mourrai ici, mais je ne reculerai point d'un pas. Le général Wuitzch, commandant le premier corps de bataille, vit que l'ordre qu'il avait donné tardait à s'exécuter ; il galopa vers Ponset qui répéta : — Je mourrai ici, mais je ne reculerai point. Wuitzch piqué répondit avec le plus grand sang-froid : Si Votre Excellence veut mourir ici, je n'ai rien à y voir ; mais quant à la brigade je lui ordonne de se mettre en retraite[43]. Sur un autre point de la ligne, le régiment Schirwan se tenait immobile sous le feu d'une des batteries de Drouot. Les deux frères Sellenick, tous deux capitaines au régiment, demandèrent au général Laptew l'autorisation de charger cette batterie. — Avec l'aide de Dieu ! répond Laptew, et lui-même marche en tête. Atteint d'un biscaïen, il roule à bas de cheval ; le colonel tombe aussi ; les deux Sellenick sont tués à cinquante mètres des pièces. Les soldats hésitent, s'arrêtent, reculent. Mais leur contre-attaque les a mis en l'air. Ils sont chargés, entourés par plusieurs escadrons, et les cartouches leur manquent. Ces braves se frayent passage à la baïonnette et emportant leurs blessés et les cadavres des deux frères, ils parviennent à rejoindre le gros des troupes russes[44].

A mesure que s'accentuait la retraite de l'ennemi à mesure les attaques des Français devenaient plus vives et plus menaçantes. Pour ne pas être débardé par la cavalerie, Woronzoff dut précipiter son mouvement de façon à atteindre une éminence située devant Cerny, à deux kilomètres et demi de son premier front de défense. Là, il prit une nouvelle position, remit vingt-quatre pièces en batterie et arrêta quelque temps la marche de l'armée impériale[45]. Bien qu'à cet endroit le plateau se resserre, les Russes prêtaient néanmoins le flanc droit à la cavalerie de la garde que ne pouvaient contenir les faibles escadrons de Beckendorff, hussards Paulowgrad et Cosaques réguliers. Wasilitschikoff, avec les quatre mille chevaux du corps de Sacken, déboucha fort à propos pour dégager l'aile droite de Woronzoff par ses charges multipliées — certains régiments chargèrent jusqu'à huit fois de suite. Grâce à cette diversion, l'infanterie russe put reprendre sa marche rétrograde sans être entamée. Mais elle tenta en vain de faire une nouvelle halte à la hauteur de Cerny. Belliard refoula sur ses carrés les cavaliers de Wasilitschikoff. Sacken empêcha la déroute en faisant établir une batterie de trente-six pièces à quinze cents mètres de Cerny, au lieu dit le Grand Tilliolet. Les troupes de Woronzoff défilèrent à droite et à gauche de la batterie qui ouvrit le feu dès qu'elles eurent passé. La cavalerie de la garde s'arrêta ; mais en moins d'une demi-heure les pièces russes contrebattues par la formidable artillerie de Drouot cessèrent de tirer. L'armée française se reporta en avant. Tandis que le gros des troupes de Woronzoff continuait sa retraite par la route des Dames, quelques bataillons s'étaient retirés par un chemin creux qui descend dans la vallée de l'Ailette. Le général Charpentier fit braquer sur ce point quatre canons dont les boulets décimèrent les Russes, les prenant d'écharpe dans cet entonnoir. En même temps, une division de Ney, descendue dans la vallée, cherchait à les tourner. Ils furent sauvés grâce au général Langeron qui posté à Trucy protégea leur passage par une forte canonnade. Sur le plateau, les Français menèrent l'ennemi battant jusqu'à la grande route de Paris à Laon[46]. La nuit interrompit cette poursuite de quinze kilomètres.

Ainsi finit la bataille de Craonne, si acharnée et si meurtrière, où certaines positions ne furent conquises qu'après six assauts, où l'on ne prit ni un canon ni un homme et où le quart des combattants resta sur le carreau. Cinq mille soldats tombèrent du côté des Russes[47], cinq mille quatre cents du côté des Français[48]. L'armée française eut neuf officiers généraux blessés : Victor, Grouchy, Boyer de Rebeval, La Ferrière, Sparre, Rosier, Cambronne, Bigarré et Le Capitaine[49].

A lire la Correspondance de Napoléon et le Moniteur, la bataille de Craonne fut une victoire presque décisive, où les Français battirent toute l'armée russe, firent deux mille prisonniers, prirent des canons et infligèrent des pertes énormes à l'ennemi, tout en n'ayant eux-mêmes que sept à huit cents hommes hors de combat[50]. La plupart des historiens français, Thiers entre autres, nous montrent aussi Napoléon enlevant avec trente mille hommes une position formidable aux cinquante mille soldats de Woronzoff, de Sacken et de Langeron. Si nous écoutons les historiens russes et allemands, tout change. La bataille n'est plus qu'une affaire d'arrière-garde où Woronzoff, luttant avec quinze mille hommes seulement contre le double de Français, n'abandonna sa position que sur l'ordre exprès de Blücher ; autrement, jamais Napoléon ne se fût emparé du plateau. La journée du 7 mars 1814 est des plus glorieuses pour les armes russes. Ce combat est un éclatant triomphe[51].

Ce mot d'éclatant triomphe, glanzenden Triumph, fait sourire. La défense tenace d'un défilé, suivie d'une belle retraite, peut être considérée comme très honorable ; mais céder une position formidable à un adversaire égal en nombre ; et se faire ensuite mener battant pendant plus de trois lieues ; cela, cependant, ne s'appelle pas triompher ! Les défenseurs de Craonne ; disent encore les Russes, n'étaient que quinze mille, et les assaillants étaient trente mille. Étrange façon de compter ! La vérité, c'est que Napoléon engagea vingt-deux mille quatre cents hommes contre les vingt-deux mille cinq cents soldats de Woronzoff et de Sacken[52]. Ainsi on combattit à forces égales, et non point, comme on le croit en France, deux Français contre trois Russes, ni comme on l'a écrit en Russie, un Russe contre deux Français.

Quand Woronzoff reçut l'ordre de battre en retraite, il n'avait encore cédé que peu de terrain. Par cela même, le général russe se crut autorisé à dire qu'il se retirait parce que ses instructions l'y obligeaient et non point parce que les Français l'y contraignaient[53]. Or, à se rappeler les différentes péripéties de la bataille, il n'est pas douteux que si la retraite n'avait pas été proscrite, elle aurait été imposée. Entre deux heures et deux heures et demie, Woronzoff, hésitant à obtempérer aux ordres de Sacken, n'avais encore marqué b ses troupes aucun mouvement de retraite, que déjà celles-ci commençaient à fléchir. L'attaque des Français, jusque-là précipitée et décousue, prenait de l'ensemble. L'empereur lançait contre l'ennemi dix mille hommes de troupes fraîches et le mitraillait avec soixante-douze canons. Les fantassins de Ney, de Boyer de Rebeval, de Charpentier, les cavaliers de Nansouty, de Colbert, de La Ferrière, ayant franchi le défilé ou escaladé les rampes, se déployaient face aux Russes. La vieille garde approchait, prèle à donner. Woronzoff disait que, puisqu'il avait déjà tenu cinq heures, il pourrait bien tenir jusqu'à la nuit. Woronzoff oubliait qu'il avait résisté avec tout son monde contre six mille, puis contre dix mille assaillants, que dix mille hommes de renforts étaient arrivés aux Français, qu'ils occupaient le plateau et qu'à la défense d'une position presque inaccessible allait succéder une bataille rangée en terrain découvert. Que la résistance des Russes eût été des plus tenaces s'ils n'avaient pas reçu l'ordre de se retirer, cela est certain ; que leur retraite eût été retardée de deux heures, cela est possible. Mais au moment où l'armée française se forma en ligne sur le plateau, elle avait virtuellement gagné la bataille.

 

 

 



[1] Rapport de Winzingerode au czar. 14 février, cité par Bogdanowitsch, Geschichte Krieges 1814, I, 217. Winzingerode avait 18.000 hommes, mais tous n'étaient pas à Soissons le 14 février.

[2] Registre de Berthier (à Marmont, 4 mars). Arch. de la guerre. Dans sa lettre à Joseph du 5 mars (Correspondante, 21 438) Napoléon écrit : L'armée ennemie de Sacken, Blücher, York, Winzingerode et Bülow était en retraite... On devrait inférer de là que Napoléon savait l'arrivée de Bülow, si d'une part il n'y avait le témoignage contraire de Berthier et si d'autre part la phrase de l'empereur n'était destinée à la publicité. (Moniteur du 7 mars.) Dans les lettres écrites pour être publiées, l'empereur par principe exagérait toujours ses avantages. Les journaux, écrivait-il, ne sont pas de l'histoire, pas plus que les bulletins ne sont de l'histoire. Napoléon qui dans ce moment devait penser à Bülow, dont la marche d'Avesnes sur Laon était de nature à l'inquiéter, écrivait : Bülow, afin de faire croire que tous les corps prussiens étaient en retraite.

[3] Registre de Berthier (ordres de Fismes, 5 mars, 8 et 9 heures du matin) Archives de la guerre. Correspondance de Napoléon, 21 432.

[4] Cf. Clausewitz, 439 ; Damitz, III, 20 ; Plotho, III, 288.

[5] Ordre de Blücher, Chavignon, 4 mars. cit. par Plotho, III, 285. Cf. Bogdanowitsch, I, 311.

[6] Registre de Berthier (ordres de Fismes, 5 mars, 11 heures du matin). Arch. de la guerre.

[7] Nansouty à Napoléon, Corbény, 7 heures et demie du soir, et Drouot à Napoléon, Berry, 6 mars. Arch. nat., AF., IV, 1670. Correspondance de Napoléon : quels corps passeraient l'Aisne sur le pont, quels autres suivraient les bagages sur Fismes. D'après Müffling, toutes les troupes auraient suivi les bagages vers Fismes et auraient passé l'Aisne à Berry-au-Bac.

[8] Lettre de Winzingerode à Blücher, 3 mars, 5 heures du matin, citée par Damitz, Gesch. des Feldz. 1814, II, Annexes, 580.

[9] Ordres de Blücher des 5 et 6 mars, cit. par Plotho, III, 286, 288. Cf. Clausewitz, 439 ; Damitz, III, 20 ; Journal de Langeron. Archives topographiques de Saint-Pétersbourg.

[10] Lettre de Woronzoff à Winzingerode, cit. par Damitz, III, annexes 453. Cf. Plotho, III, 288 ; Bernhardi, III, 182 ; Clausewitz, 439. — Lowenstern dans son manuscrit (cit. par Bernhardt) dit qu'à cette occasion Blücher réprimanda vivement Winzingerode.

[11] Ney à Berthier, château de la Bove, G mars, 7 heures et demie du soir. Arch. de la guerre. Cf. Fain, 164 ; Schulz, XII, 2e part., 115 ; Bogdanowitsch, I, 318, et Moniteur du 12 mars.

[12] Müffling, Kriegsgeschichte des Jahres 1814, II, 97-98 ; Bernhardi, III, 183 ; Clausewitz, 439 ; Plotho, III, 288-289 ; Damitz, III, 22.

[13] Correspondance de Napoléon, 21 447, 21 413. Registre de Berthier (ordres et lettres des 5 et 6 mars). Arch. de la guerre.

[14] La route des Dames fut construite vers 1770 pour Mesdames de France, qui allaient en villégiature au château de la Bove chez M. de Narbonne. Cette route, partant de la Bove, traversait l'Ailette, côtoyait le versant nord de la montagne de Craonne et atteignait le haut du plateau devant la ferme d'Hurtebise. Là, elle tournait brusquement à l'ouest et traversait le grand plateau presque dans tonte sa longueur, jusqu'à l'Ange-Gardien on tale rejoignait la route royale de Paris à Laon par Soissons.

[15] Copie de la disposition de Blücher, Arch. nat., AF., IV, 1668. Ordre de Blücher, 6 mars, 6 heures du soir, cité par Plotho, III, 289. Cf. Journal de Langeron et rapport de Woronzoff. Arch. topographiques de Saint-Pétersbourg. Clausewitz, Der Feldzug in Frankreich, 440.

[16] Ney à Berthier, La Bove, 7 heures et demie du soir, 6 mars. Arch. de la guerre. Cf. Bogdanowitsch, I, 317-318.

[17] Registre de Berthier (ordres du 6 mars, Corbény) ; Journal de la division Roussel ; Journal de la division Boyer de Rebeval. Arch. de la guerre.

[18] Rapport de Marmont à Berthier, Villeneuve, 2 heures du matin, et lettre au même, Braisne, 5 heures du soir, 6 mars. Arch. de la guerre. Journal de Langeron. Arch. topographiques de Saint-Pétersbourg. Cf. Registre de Berthier (à Marmont et à Mortier, 4, 5 et 6 mars).

[19] Fain, Manuscrit de 1814, 161-165 ; Waldbourg-Truchsess, Itinéraire de Napoléon à l'île d'Elbe appendice à la 3e édition, pp. 61-63. Cf. Fleury, le Département de l'Aisne en 1814, 292-295.

[20] Correspondance de Napoléon, 21 433. Registre de Berthier (à Ney, Corbény, 7 mars, 4 heures du matin). Arch. de la guerre. — D'après l'opinion de l'empereur, l'ennemi en se portant sur Craonne n'avait eu d'autre but que de gagner Laon par la route de Corbény. Ce débouché étant occupé par les Français, il s'était mis en retraite par Chavignon.

[21] Rapport de Woronzoff sur la bataille de Craonne. Arch. topographiques de Saint-Pétersbourg, n° 47535.

[22] Journal de Boyer de Rebeval. Arch. de la guerre. Cf. Bogdanowitsch, I, 321-322.

[23] Müffling, Kriegsgesch. des Jahres 1814, II, 101-102 ; Varnhagen, Biographisch Denkmale, III, 341-346.

[24] Ordre de Ney, La Bave, 7 mars, 10 heures du matin. Arch. de la guerre. Rapport de Woronzoff. Arch. topographiques de Saint-Pétersbourg.

Il y a de la bataille de Craonne quatre récits originaux : 1° aux archives de Saint-Pétersbourg (n° 47535), le rapport du général Woronzoff ; 2° aux Archives de la guerre, une relation du général Belliard, une assez longue note du général Colbert, et le Journal de marche de la division Boyer de Rebeval. (Il ne faut citer que pour mémoire le Journal de marche de la division Roussel, oh il y a seulement deux lignes sur la bataille.) Or, de ces quatre récits, trois : celui de Woronzoff, celui de Colbert et celui de Bayer de Rebeval, concordent parfaitement et présentent les faits sous le même jour. Celui de Belliard est tout opposé et raconte les choses d'une façon absolument différente, du moins pour les deux premiers moments de la bataille. Non seulement la concordance parfaite entre les rapports de trois témoins, dont aucun n'a nécessairement pu connaitre les rapports des deux autres, milite en faveur de leur véracité ; non seulement l'examen du terrain appuie leur témoignage ; mais, de plus, la relation de Belliard est formellement contredite sur plusieurs points par les lettres et les ordres de Ney du 6 et du 7 mars. Or, entre une relation élaborée le lendemain de la bataille et des ordres écrits au moment de l'attaque, alors que la moindre erreur dans l'indication des lieux peut mener les plus graves conséquences, l'hésitation n'est pas permise. C'est pourquoi nous avons suivi, pour tous les points où il y a désaccord, les récits identiques de Woronzoff, de Colbert et de Boyer de Rebeval, de préférence au récit, souvent inexact, de Belhard, qu'ont adopté les auteurs de Victoires et Conquêtes et l'historien du Consulat et de l'Empire.

[25] Rapport de Woronzoff. Arch. de Saint-Pétersbourg. Relation de Colbert. Arch. de la guerre.

[26] Le rédacteur du Journal de la division Boyer de Rebeval, qui n'était pas archéologue, appelle ce monticule (très vraisemblablement poste télégraphique gaulois) une vieille redoute. — On voit que dans ce défilé tout rappelle la violence de l'Aquilon : Hurtebise (Heurte-bise) et la Mutte (Butte) au vent.

[27] Journal de la division Boyer de Rebeval ; Rapport de Woronzoff.

[28] Journal de la division Boyer de Rebeval ; Rapport de Woronzoff. Larrey écrivait le 9 mars à Berthier : La blessure du duc de Bellune est très grave. Dans tous les cas, il ne pourra être guéri avant trois mois. Registre de correspondance de Larrey (communiqué par M. le baron Larrey).

[29] Journal de la division Boyer de Rebeval. — L'officier qui rédigea ce journal dit : pendant trois heures. C'est une exagération, mais on conçoit que le temps lui ait paru long.

[30] Rapport de Woronzoff. Cf. la relation de Colbert, la relation de Belliard et le Journal de la division Roussel. Arch. de la guerre.

[31] Rapport de Woronzoff. Cf. Journal de la division Boyer de Rebeval ; Relation de Belliard ; Relation de Colbert ; Lettre de Grouchy à Berthier, Craonne, 7 mars, Arch. de la guerre et Registre de Larrey.

[32] Journal de la division Boyer de Rebeval.

[33] Relation de Colbert ; Relation de Belliard ; Journal de la division Boyer de Rebeval. Cf. Rapport de Woronzoff. — C'est Colbert qui dit que l'empereur vint lui-même diriger le feu de l'artillerie.

[34] Ney à Pacz, La Bove, 7 mars ; Marmont à Berthier, Berry-au-Bac, 7 mars, midi ; Guyot commandant la place de Berry-au-Bac à Berthier, 8 mars. Les ducs de Bellune et de Trévise sont partie d'ici hier matin (7 mars). Arch. de la guerre.

[35] Müffling, Aus meinem Leben, 131-132 ; Richter, III, 196. Cf. Damitz, III, 124, et Varnhagen, III, 386.

[36] Winzingerode avait reçu l'ordre de former sa colonne de cavalerie et d'artillerie le 6 mars à 8 heures du Soir. Il s'était aussitôt mie en route, puis arrivé à la nuit tombante dans la vallée de l'Ailette, au milieu de marais et de bois, il n'avait pas voulu y engager ses troupes sans avoir comme éclaireurs les Cosaques de Czernischeff. Ceux-ci, qui avaient escarmouche toute la journée dans la plaine vers Corbény, avaient leurs chevaux harassés : ils durent les faire manger et reposer. Winzingerode passa la nuit à Filain, remettant son départ au lendemain, 6 heures du matin. C'était là une faute dont Blücher le blâma (Manuscrit de Lowenstern, cite par Bernhardi, III, 181 : Varnhagen, III, 386). — Au reste, il y avait aussi de la faute de Blücher qui avait indiqué un mauvais itinéraire. Si, au lieu de passer par Chevregny, Fresles, Festieux et Aubigny (ordre de Blücher, du 6 mars), Winzingerode eût marché directement sur Aubigny, par Chamouille et Arrancy, en suivant la vallée de la Bieres, il eût abrégé sa route d'un bon tiers. Les chemins étaient mauvais, mais ils ne l'étaient guère moins dans l'autre direction.

[37] Müffling, Aus meinem Leben, 125.

[38] Lettre de Winzingerode à Alexandre, 8 mars, citée par Bogdanowitsch, I, 319. Cf. Varnhagen, III, 349.

[39] Müffling, 132 ; Bogdanowitsch, I, 319, 325.

[40] C'était là une prétention fort discutable. En outre, Woronzoff n'avait pas encore tenu cinq heures puisque l'attaque de l'infanterie de Ney, la première engagée, avait commencé à 10 heures et demie seulement.

[41] Rapport de Woronzoff. Arch. de Saint-Péter bourg, n° 47533.

[42] Rapport de Woronzoff ; Relation de Colbert ; Relation de Belliard ; Journal de Boyer de Rebeval, Arch. de la guerre.

[43] Journal du colonel Majewsky, cité par Bogdanowitsch, I, 325.

[44] Journal du colonel Majewsky.

[45] Pendant cette halte, un bataillon rendit les honneurs funèbres au fils du général Strogonow, tué, à dix-sept ans d'un boulet de canon. Il fut enterré sur le champ de bataille. Peu de mois après le père mourut de chagrin. Rapport de Woronzoff et Mémoires de Langeron.

[46] Relation de Colbert ; Relation de Belliard ; Journal de foyer de Rebeval. Arch. de la guerre. Rapport de Woronzoff. Arch. topographiques de Saint-Pétersbourg, 47535. Ney et Berthier, Froidmont, 9 heures du soir. Arch. nat., AF. IV, 1670. Cf. Registre de Berthier (lettres et ordres des 7 et 8 mars). Arch. de la guerre.

La nuit, l'arrière-garde russe : hussards Paulowgrad, Cosaques, et 13e et 14e chasseurs à pied, s'établit antre l'Ange-Gardien et Chavignon, à portée de carabine des avant-postes français. La cavalerie de la garde prit position en première ligne entre Jouy et Chavignon ; l'infanterie en seconde ligne ; la vieille garde en troisième ligne, à Brave, où coucha l'empereur.

[47] 1.500 tués et plus de 3.000 blessés. Rapport de Woronzoff.

[48] Suivant la relation de Belliard (Arch. de la guerre), qui a été suivie par presque tous les historiens, nos pertes se seraient élevées à près de 8.000 hommes. Il y a là une exagération d'un tiers. D'après les états de situations des 8 et 9 mars (Arch. nat., AF. IV, 1670), la division foyer de Rebeval, qui fut la plus exposée, perdit 1645  hommes, et une des divisions de la cavalerie de la garde perdit 70 hommes. Si l'on compte que le corps de Ney (brigade Pierre foyer et divisions Meunier et Curial) qui présentait un effectif à peu près égal à celui de la division Rebeval et qui fut comme elle très longtemps et très vivement engagé, eut le même nombre d'homme ; hors de combat, si l'on compte également 1.600 tués ou blessés pour la division Charpentier, 70 pour chacune des autres divisions de cavalerie et pour la brigade des dragons de Sparre, 200 pour l'artillerie et pour la première brigade (Pelet), de la vieille garde, laquelle resta en réserve, on aura un total approximatif de 5.400. Larrey, dans son Registre de correspondance à la date du 9 mars n'accuse que 1.000 à 1 200 blessés entrés aux ambulances. Il dut être imparfaitement renseigné, et d'ailleurs, nous dit Boyer de Rebevat, nombre de blessés furent emportés chez des paysans qui venaient les ramasser sous le feu de l'ennemi.

[49] Ces deux derniers furent légèrement atteints ; tous les autres durent quitter leur commandement. La Ferrière et Rosier furent amputés sur le champ de bataille. Registre de Larrey et Journal de Boyer de Rebeval.

[50] Correspondance de Napoléon, 21 454, 21 455, 21 436. Moniteur des 10 et 12 mars.

[51] Bogdanowitsch, I, 329. Cf. 325 ; et Clausewitz. 410.

[52] Woronzoff avait sous ses ordres immédiats 16 300 fantassins et 2.000 cavaliers (Rapport de Woronzoff. Cf. Tableau de la composition de l'armée du Nord. Arch. de Saint-Pétersbourg, n° 22 854). À ces 18.300 hommes, il convient d'ajouter les 4 200 chevaux du corps de Sacken qui, ainsi qu'on l'a vu, prirent une part bien nécessaire à Faction. Total : 22.500 Russes. Pour les 9.000 fantassins de Sacken qui restèrent en extrême réserve, il n'y a pas à les compter, pas plus d'ailleurs que nous ne comptons les troupes françaises qui demeurèrent loin du champ de bataille.

Voici maintenant le tableau des troupes françaises engagées : corps de Ney (divisions Meunier et Curial, et brigade P. Boyer) : 4.000 hommes ; corps de Victor (divisions Boyer de Rebeval et Charpentier), réduit de plus d'un quart par suite des détachements laissés en arrière, des fatigues et des maladies : 8.800 ; cavalerie de la garde (y compris 500 Polonais de Pacz) : 4.600 ; la brigade de dragons de Sparre : 1.000 ; la première brigade de la vieille garde : 3.000 ; artillerie de réserve : 1.000. Total : 22 400 hommes.

Rapport de Drouot à Napoléon, Fismes, 5 mars ; Musée des Archives ; Situations et notes des 8 et 9 mars ; Ney à Berthier, 7 mars. 7 heures du soir. Arch. nat., AF., IV, 1670 ; Situation de la cavalerie au 2 mars et Journal de la division Boyer de Rebeval. Arch. de la guerre. — Encore comptons-nous largement, car la brigade Pelet (chasseurs de la vieille garde) formant la première réserve fut à peine engagée. Quant à la brigade de la vieille garde et aux trois divisions de Mortier, c'est à peine si elles avaient dépassé Hurtebise quand déjà l'ennemi était refoulé au delà de Cerny. Pour la deuxième brigade de dragons de Roussel, elle observait la route de Laon en avant de Corbény.

[53] Selon les Russes, leur retraite se serait changée, comme à Kunersdorf, en une magnifique victoire. C'est aisé à dire. La situation était loin d'être la même. Quand le 12 août 1759, vers 5 heures du soir, Frédéric envoya à Berlin des courriers annonçant sa victoire, il n'avait même plus deux bataillons en réserve, toutes ses troupes avaient donné et étaient exténuées de j fatigue. S'il avait culbuté l'aile gauche de l'ennemi et fait fléchir son centre, la droite des Russes était intacte, protégée par l'Oder et des marais infranchissables.

A Craonne, l'armée française n'avait, il est vrai, forcé ni la gauche, ni le centre, mais elle avait fait le plus difficile en s'établissant sur le plateau face à l'ennemi. Celui-ci ne pouvait plus trouver de position avec obstacles naturels. ll devait accepter la bataille en terrain plat. De plus, nos troupes qu'appuyait une puissante réserve n'étaient point fatiguées. Ce n'est pas le fait de troupes épuisées que de poursuivre l'ennemi pendant quatre lieues et de ne s'arrêter de combattre qu'à la nuit.