1814

LIVRE PREMIER

III. — LE CONGRÈS DE CHÂTILLON.

 

 

Ce changement de fortune, plutôt cette revanche du génie sur le nombre, paraissait faciliter la paix. Napoléon avait remporté dix victoires, mais il restait dans une situation très critique. Les souverains alliés étaient encore au cœur de la France, mais leurs armées vaincues et démoralisées battaient en retraite. Des deux côtés, il semblait que l'on dût se montrer accommodant. Or, moins que jamais, un accord était possible. La gloire de Montmirail et de Vauchamps, l'espérance de pareilles journées, détournaient l'empereur de souscrire aux humiliantes conditions dictées par les Coalisés. Malgré leurs revers, malgré leur retraite, les Coalisés étaient décidés à repousser les propositions de Napoléon.

Il est douteux que les Alliés désirassent la paix à Prague[1]. Il est plus douteux encore qu'ils s'y fussent résignés à Francfort[2]. Il est certain qu'ils ne la voulaient pas quand ils envoyèrent leurs ministres à Châtillon. Si même il n'avait dépendu que de la volonté des souverains étrangers, la comédie qui porte dans l'histoire le nom de Congrès de Châtillon n'aurait pas été jouée. Dès l'entrée des armées en France, la perte de Napoléon était tacitement résolue[3]. Il n'y avait divergences d'opinions que sur la forme de gouvernement à donner à la France. L'Angleterre voulait les Bourbons. La régence de Marie-Louise pouvait convenir à l'empereur François comme père ; il la repoussait comme souverain, subissant l'influence de Metternich et de Schwarzenberg. Celui-ci avait dit à Bassano dès le commencement de 1813 : Napoléon a bien fait un divorce dans un intérêt politique ; pourquoi Marie-Louise ne pourrait-elle pas en faire autant ?[4] Comme l'empereur d'Autriche et le gouvernement anglais, le roi de Prusse était disposé à prêter la main à une restauration, pourvu toutefois qu'auparavant son armée ivre de vengeance eût mis la France à feu et à sang, puisqu'on ne devait pas lui prendre de territoire. Le czar, sans être en principe absolument hostile aux Bourbons, jugeait encore leur retour impossible. La France les réprouvait, pensait-il. Guidé tantôt par un libéralisme vague, tantôt par des amitiés personnelles, l'empereur n'avait point de projet arrêté. Son esprit flottait entre l'empire donné à Bernadotte et la convocation d'une grande assemblée de députés qui eussent eux-mêmes décidé des destinées de la France. La République dût-elle être proclamée, il ne s'en effrayait pas. Le czar était d'ailleurs dominé par une idée fixe : Napoléon était entré à Moscou, Alexandre voulait entrer à Paris[5]. Et il y voulait entrer à cheval, à la tête de sa garde, tambours battants et drapeaux déployés, non point avec les pensées de massacre et d'incendie qui hantaient le cerveau de Blücher et des affiliés du Tugendbund, mais pour s'y montrer aux Parisiens, aux Français, au monde entier, dans sa gloire et sa magnanimité.

Ces idées régnant au quartier général de Langres, on y était peu disposé à entamer des négociations qui, si elles réussissaient, feraient avorter les projets des diplomates et évanouir les espérances des souverains, Mais depuis trois mois les ministres de la coalition mettaient en avant leurs sentiments pacifiques. Après avoir à Francfort, le 9 novembre, proposé officieusement de traiter de la paix sur les bases des frontières naturelles de la France[6] ; après avoir déclaré officiellement, le 25 novembre, que l'on était prêt à entrer en négociation[7] ; après avoir proclamé le 1er décembre, dans la Déclaration de Francfort, que le premier usage que les souverains avaient fait de la victoire avait été d'offrir la paix à l'empereur des Français[8] ; pouvait-on refuser la réunion d'un congrès sans exaspérer toute la nation française et sans choquer même l'opinion de l'Europe, non moins désireuse de la paix que la France elle-même ? Cédant aux représentations de Castlereagh et de Metternich, le czar consentit enfin, le 29 janvier, à laisser ouvrir des conférences, mais sur des bases toutes différentes de celles de Francfort : la France rentrerait dans ses limites de 1789. Il était entendu d'ailleurs que les pourparlers n'arrêteraient pas les opérations militaires, et Razumowsky, le plénipotentiaire russe, reçut du czar des instructions secrètes afin de faire traîner en longueur les négociations. Le duc de Vicence qui attendait depuis trois semaines, aux avant-postes ennemis le bon plaisir des Alliés, reçut enfin l'avis que les plénipotentiaires allaient se réunir à Châtillon[9].

Les Coalisés ne risquaient guère en consentant à entamer des négociations. Ils savaient trop bien que Napoléon, qui deux mois auparavant avait hésité devant la proposition de réduire son empire aux frontières naturelles de la France, ne voudrait jamais céder la rive gauche du Rhin, le pré carré français. Conséquemment, ils seraient bientôt dégagés dans l'esprit des partisans de la paix[10]. Les négociations devaient être illusoires, dit très bien le comte de Langeron. Les souverains savaient qu'il fallait détruire le mal dans la racine et anéantir le jacobinisme impérial[11].

Au moins, Napoléon n'était pas dupe. Comme les Alliés, il négociait à Châtillon afin de marquer des dispositions pacifiques ; mais, comme les Alliés aussi, il ne croyait pas qu'un accord fût possible. Le 4 janvier, il écrivait au duc de Vicence : Je pense qu'il est douteux que les Alliés soient de bonne foi et que l'Angleterre veuille la paix. J'ai accepté les bases de Francfort, mais il est probable que les Alliés ont d'autres idées ; leurs propositions n'ont été qu'un masque. Un mois plus tard, le 4 février, jour de la première séance du congrès, il écrivait de nouveau : Vous me demandez toujours des instructions lorsqu'il est encore douteux si les Alliés veulent traiter[12]. Je de ne tiens pas au trône, avait-il dit encore, alors que Caulaincourt attendait à Lunéville ses passeports pour Châtillon. Je n'avilirai ni la nation ni moi en souscrivant à des conditions honteuses[13]. Ces conditions honteuses, c'était les limites de l'ancienne France, c'était ce que Napoléon, dans sa connaissance des hommes et sa prescience des événements, se doutait que les diplomates étrangers allaient exiger. En réalité, la situation à Châtillon était celle-ci : Napoléon avait offert de négocier sur des bases qu'il savait ne devoir pas être acceptées par les plénipotentiaires des Alliés, et les Coalisés avaient consenti à traiter sur des bases qu'ils savaient devoir être repoussées par le plénipotentiaire français. Comédie des deux côtés, uniquement conçue et jouée pour abuser l'opinion.

Le congrès s'ouvrit le 4 février. L'animosité des souverains, la clairvoyance de Metternich et de Castlereagh avaient bien choisi les plénipotentiaires : sir Charles Stewart[14], frère et âme damnée du ministre anglais ; le baron de Humboldt, aussi gallophobe que Blücher lui-même ; le comte de Stadion, l'instigateur de la guerre de 1809 ; le comte Razumowsky, un des plus ardents ennemis de Napoléon. Tous les retards importaient aux Alliés et surtout au czar qui, moins sagace que Metternich, craignait de se voir priver de l'entrée triomphale à Paris par l'empressement de Caulaincourt à tout accepter. Dans la première séance, on se contenta de s'ajourner au lendemain[15]. Le 5 février, les plénipotentiaires alliés exposèrent qu'ils étaient chargés de traiter de la paix au nom de l'Europe ne formant qu'un seul tout ; qu'ils ne traiteraient que conjointement ; enfin que le code maritime n'entrerait pas dans la discussion. Caulaincourt adhéra à ces préambules et demanda que le fond du débat fût immédiatement abordé. Mais, soit que la chose fût exacte, soit plutôt qu'il voulût gagner du temps, Razumowsky objecta que ses pouvoirs n'étaient pas en règle. La conférence fut remise au lendemain, mais à cause d'un second retard dans la régularisation des pouvoirs de Razumowsky, le congrès ne se réunit à nouveau que le surlendemain[16]. Les Alliés déclarèrent que la France devait rentrer dans les limites qu'elle avait avant la Révolution, sauf des arrangements de convenance réciproque sur des portions de territoire au delà des limites de part et d'autre ; et qu'elle devait abandonner toute influence hors de ses frontières futures. Le duc de Vicence ayant fait remarquer combien ces conditions différaient des propositions de Francfort, Razumowsky et Stadion eurent l'audace de dire qu'ils ignoraient que les cours alliées eussent jamais fait ces propositions à l'empereur des Français. Invoqué en témoignage, Aberdeen éluda la question[17].

On a dit et répété que ce jour-là, Caulaincourt, muni de pleins pouvoirs, tint entre ses mains la guerre et la paix. S'il eût accepté dans l'instant les propositions des Alliés, tout extraordinaires qu'elles devaient lui paraître, les hostilités eussent été arrêtées[18]. La vérité est, au contraire, que, le 7 février, le duc de Vicence ne se sentait pas investi de pouvoirs assez étendus pour signer un pareil traité, et cela sans discussion, en quelque sorte les yeux fermés[19]. Il avait, c'est vrai, reçu la lettre du 4 février où Napoléon vaincu à la Rothière lui disait : Aussitôt que les Alliés vous auront communiqué leurs conditions, vous êtes libre de les accepter ; mais où il ajoutait : ou d'en référer à moi dans les vingt-quatre heures[20]. Il avait reçu la célèbre lettre du duc de Bassano, du 5 février : Sa Majesté me charge de vous dire qu'elle vous donne carte blanche pour conduire les négociations à bonne fin, sauver la capitale et éviter une bataille où sont les dernières espérances de la nation[21]. Mais le jour même où cette carte blanche arrivait à Caulaincourt, il lui arrivait aussi une nouvelle lettre de l'empereur : Vous devez accepter les bases si elles sont acceptables, écrivait Napoléon, et dans le cas contraire, nous courrons les chances d'une bataille et même de la perte de Paris et de tout ce qui s'ensuivra[22].

Ces ordres contradictoires, la réception simultanée de la carte blanche de Bassano et de la lettre de Napoléon où il était question de conditions acceptables ; devaient étrangement embarrasser le duc de Vicence. Toutefois ses incertitudes ne pouvaient longtemps durer devant cette considération : l'envoi des pleins pouvoirs, bien qu'évidemment autorisé par l'empereur, était de Bassano, tandis que la lettre était tout entière de la main de Napoléon. Pour le duc de Vicence, il devenait certain que la carte blanche était la carte forcée — blanc seing équivoque arraché à Napoléon par son entourage[23]. Caulaincourt devait donc se référer seulement à la dernière lettre de l'empereur : Acceptez les conditions si elles sont acceptables. Or, dans sa conscience de serviteur dévoué et dans son honneur de soldat pouvait-il juger acceptables ces indécentes propositions — le mot est de Thiers — alors même qu'il eût oublié les paroles de Napoléon : Les chances les plus malheureuses de la guerre ne sauraient jamais faire consentir l'empereur à ratifier ce qu'il regarderait comme un déshonneur et la France comme un opprobre[24]. En ces circonstances, tout ce que pouvait faire le duc de Vicence, et il le fit, c'était, sans repousser en principe ces propositions si différentes qu'elles fussent de celles de Francfort, de demander et dans les termes les plus modérés et avec les assurances les plus pacifiques, que les plénipotentiaires voulussent bien s'expliquer positivement sur tous les points. Caulaincourt gagnait ainsi du temps pour écrire encore à l'empereur. Les plénipotentiaires déclarèrent qu'ils prenaient la réponse du duc de Vicence ad referendum[25]. Inquiétés par la modération de son langage et craignant peut-être qu'il ne s'empressât de conclure, eux aussi voulaient demander de nouvelles instructions.

Caulaincourt ne pouvait, le 7 février, adhérer aux bases posées par les Alliés, sans trahir la volonté de l'empereur. S'y fût-il résigné d'ailleurs, se fût-il offert à tout finir séance tenante, que les plénipotentiaires n'y eussent pas consenti. Le 6 février, Razumowsky avait reçu cette lettre de Nesselrode : Sa Majesté approuve complètement la marche dilatoire que vous avez suivie au commencement des négociations. Elle désire que vous continuiez dans cette façon. Depuis la victoire de la Rothière, les temporisations deviennent de plus en plus nécessaires. Ainsi avertis, les diplomates auraient trouvé quelque échappatoire. Les termes mêmes dont ils s'étaient servis[26] : sauf des arrangements de convenance réciproque sur des portions de territoire au delà des limites de part et d'autres[27] leur fournissaient un prétexte à des discussions sans fin, au cours desquelles il leur aurait été facile d'émettre de nouvelles prétentions. Caulaincourt eût été amené à présenter des contre-propositions, et ces contre-propositions, les Alliés les eussent repoussées ou admises ad referendum. Dans l'un et dans l'autre cas, c'était l'ajournement. Bassano, tout en condamnant Caulaincourt pour n'avoir pas fait la paix le 7, a laissé échapper cette phrase : En supposant que les Alliés voulussent faire la paix avec Napoléon. Or, le 7 février, les Alliés ne voulaient pas faire la paix avec Napoléon.

A Châtillon, le duc de Vicence se trouvait isolé, sans conseils, souvent sans autres renseignements que de fausses nouvelles communiquées par les Alliés, qui faisaient intentionnellement subir mille retards aux courriers diplomatiques[28]. Fort inquiet de la retraite des armées françaises et des événements qui pouvaient s'ensuivre, il s'avisa, reprenant une idée de l'empereur ; de négocier un armistice immédiat. Il s'en ouvrit d'abord confidentiellement à l'un des plénipotentiaires : Celui-ci lui ayant répondu que, quoi qu'il proposât, il n'obtiendrait pas de suspension d'armes ; Caulaincourt pensa à prendre le prince de Metternich comme médiateur. Il lui écrivit le 9 février, le priant d'intervenir afin qu'un armistice immédiat fût consenti par les plénipotentiaires. À ces conditions, disait-il, il était prêt à entrer en pourparlers sur les bases des frontières d'avant 89 et à remettre comme gages une partie des places que ce sacrifice devait faire perdre à la France[29]. Caulaincourt s'avançait beaucoup ; mais un armistice n'engageait pas expressément la parole de Napoléon sur la question des territoires à céder. La remise de quelques places de la rive gauche du Rhin eût rendu une armée d'élite à l'empereur ; et si, lors de la discussion des articles, les conditions lui eussent semblé inacceptables, il fût resté maître, l'armistice dénoncé, de reprendre les hostilités avec des troupes plus nombreuses et mieux organisées. D'autre part, la lettre de Caulaincourt méritait d'être prise en considération par les Alliés, puisqu'il s'offrait formellement à ouvrir incontinent des pourparlers sur les bases posées par les plénipotentiaires eux-mêmes, et s'obligeait à la remise de places fortes comme gages[30]. Cette lettre arriva le 10 février à Troyes. Ce jour-là même, le duc de Vicence reçut des plénipotentiaires une communication des plus inattendues. Une Note fort sèche l'informait qu6 les conférences resteraient suspendues jusqu'à nouvel ordre. Le prétexte donné étaie que l'empereur de Russie avait à se concerter avec les souverains sur l'objet des conférences. Datée du 9, la Note était écrite depuis plusieurs jours, mais les plénipotentiaires avaient longtemps balancé à la remettre. Ils ne s'y étaient décidés que sur les instances de Razumowsky et ses menaces de quitter le congrès. Caulaincourt protesta par une Note très digne et remplie des meilleurs arguments[31]. — On se souciait bien au quartier impérial du czar des protestations de M. le duc de Vicence ! L'armée de Silésie et la grande armée de Bohème étaient en pleine marche sur Paris. Le czar voulait rompre le congrès de peur que la paix ne fût faite avant son arrivée sur la place de la Concorde.

Cependant la lettre de Caulaincourt troubla Metternich, l'empereur d'Autriche et, sauf les Russes, tous les ministres de la coalition. Pour mal disposés qu'ils fussent envers Napoléon, lord Castlereagh, Metternich et Hardenberg hésitèrent à pousser les choses à l'extrême. D'une part, l'attitude conciliatrice prise par Caulaincourt et le ton un peu dolent de sa missive semblaient indiquer qu'on pourrait traiter sur les bases proposées par les Alliés ; d'autre part, Napoléon vaincu et en retraite n'avait cependant pas encore tiré son dernier coup de canon. Son génie pouvait rappeler à lui la fortune des armes. Par un traité de paix réduisant la France à ses frontières de 89, le but avoué de la guerre était atteint et même dépassé. Restait, il est vrai, le but secret. Mais fallait-il risquer d'y sacrifier les immenses avantages qu'on se croyait au moment d'obtenir à Châtillon ? Détrôner Napoléon, quel succès pour les diplomates ! mais repasser le Rhin, quels désastres et quelle honte pour les armées[32] ! Au demeurant, les hésitations des ministres fussent tombées devant la volonté formelle du czar de continuer la guerre, et sans les défaites de Blücher, assurément, on n'eût pas repris les conférences à Châtillon[33].

Lord Castlereagh se chargea de persuader le czar de la nécessité de renouer les négociations. Rebelle à tous les arguments du premier ministre, Alexandre dit que la seule nécessité était de continuer la guerre et de la mener plus énergiquement qu'on ne l'avait fait jusqu'alors[34]. N'ayant point réussi à convaincre le tzar par ses paroles, lord Castlereagh lui écrivit. Alexandre fit répondre par Nesselrode en ces termes : Sa Majesté regrette que lord Castlereagh incline toujours à l'avis du cabinet autrichien en faisant des efforts pour la paix et en préconisant la marche lente des opérations, tactique désastreuse, ainsi que vient de le prouver le malheur de l'armée de Blücher[35].

En attendant qu'on pût décider le czar, les ministres se réunirent le 13 février, à Troyes, pour délibérer sur une sorte de questionnaire qui venait de leur être soumis par le cabinet de Vienne. Les principales questions portaient sur la réponse à donner au duc de Vicence, sur le parti à prendre envers les Bourbons et envers Napoléon, sur la conduite à tenir si l'on entrait à Paris[36]. Le czar eut communication du double de cette pièce. Prenant la plume, il donna aussitôt les réponses suivantes[37] :

1° On déclinera la proposition de l'armistice, ce qui fera tomber les autres propositions d'elles-mêmes.

2° On continuera à suivre la marche qu'on a adoptée. En conséquence, les puissances ne se prononceront pas en faveur des Bourbons, mais laisseront aux Français l'initiative sur cette question... Elles conserveront un rôle passif. Elles n'empêcheront point les Bourbons d'agir hors des lignes des pays occupés pat leurs troupes, mais elles ne les encourageront point et éviteront jusqu'aux apparences d'avoir pris la moindre part à leurs démarches[38].

3° Les dispositions de la capitale guideront les puissances sur la conduite à tenir. L'opinion de S. M. l'empereur serait qu'elles convoqueront (sic) les membres des différents corps constitués, en y réunissant les personnes les plus marquantes par leurs mérites et le rang qu'elles occupent, et que cette assemblée fût invitée à émettre librement et spontanément ses vœux et son opinion sur l'individu qu'elle croit le plus propre pour être à la tête du gouvernement[39].

D'ailleurs on sera à même de juger des moyens que fournira Paris pour soutenir le parti qu'il aura pris et de l'effet que ce parti pourra produire sur l'armée qui restera à Napoléon. Si Paris ne se prononce pas contre lui, le meilleur parti à prendre pour les puissances serait de faire la paix avec lui[40].

4° On cherchera à conserver à Paris les autorités locales et municipales.

On nommera un gouverneur pour avoir sur elles une surveillance générale. S. M. l'empereur désire que ce soit un gouverneur russe, la Russie étant la puissance qui a le plus longtemps combattu l'ennemi commun[41].

A l'issue de la conférence, Castlereagh et Hardenberg avaient de leur côté rédigé un rapport dont les conclusions, différant entièrement de celles du czar, portaient qu'il fallait accepter les propositions du duc de Vicence et conclure la paix sur les bases des frontières de 89[42]. Cette pièce communiquée à Alexandre, celui-ci y répondit par une très longue Note où il exprimait derechef la volonté de continuer la guerre.

L'empereur, écrivait-il, est persuadé que maintenant aussi bien qu'autrefois les chances du succès nous restent. Une bataille perdue n'anéantirait pas en un jour le fruit de toutes nos victoires. Le seul danger, c'est que les craintes ressenties par quelques-uns d'entre nous ne pénètrent les troupes. On ne peut obtenir de sérieux résultats qu'en continuant la guerre... Le czar ne partage pas les idées des Alliés sur ce que la chute de Napoléon n'est plus nécessaire. Il pense au contraire que jamais la situation n'a été plus favorable pour donner le repos à l'Europe et à la France, dont la situation intérieure ne saurait laisser ses voisins indifférents pour leur propre tranquillité. La chute de Napoléon sera un bienfait et le plus grand exemple de justice et de morale que l'on puisse donner au monde[43].

Devant l'opposition décidée d'Alexandre, le comte Hardenberg était prêt à faire le sacrifice de ses idées et même à se retirer des conseils de la coalition, puisque, disait-il, sa présence semblait devoir compromettre les bonnes relations de la Russie et de la Prusse. Mais lord Castlereagh avait la ténacité de sa race. Il ne se tenait pas pour battu. Le 14 février, il alla retrouver le czar à Pont-sur-Seine, où celui-ci s'était rendu autant pour échapper à de nouvelles discussions que pour presser la marche des tètes de colonnes de la grande armée. Castlereagh exposa de nouveau à Alexandre la nécessité de reprendre les négociations de Châtillon. — Il faut faire la paix, dit-il, avant que la retraite sur le Rhin ne devienne nécessaire. L'autocrate irrité lui répondit en élevant la voix : — Mylord, ce ne sera pas la paix. Ce sera seulement un armistice qui ne nous donnera que quelques jours de repos. Sachez une fois pour toutes que je né serai pas toujours disposé à faire faire quatre cents lieues à mes troupes pour venir à votre secours. Je ne ferai pas la paix tant que Napoléon restera sur le trône[44].

Lord Castlereagh se retira sans avoir rien obtenu. Le lendemain cependant, la quatrième défaite subie par Blücher aidant au changement d'opinion, Alexandre se ravisa. Les Ministres furent informés que la Russie consentait à la reprise des négociations. En même temps, le czar envoyait de nouvelles instructions à Razumowsky, lui enjoignant de continuer à traîner les choses[45]. Ce n'est pas chose facile d'être le ministre de la coalition, disait Metternich à Caulaincourt, dans la lettre où il lui annonçait que le congrès allait reprendre ses séances[46].

Les plénipotentiaires se réunirent de nouveau le 17 février. Les événements accomplis depuis dix jours n'avaient pas préparé l'accord. Si, à la vérité, les Ministres alliés, profondément troublés, étaient prêts cette fois, sauf cependant Razumowsky, à entrer sincèrement en pourparler sûr la base des frontières de 89, Caulaincourt, de son côté, avait l'ordre formel de repousser ces conditions. Dès le lendemain de la bataille de Montmirail, Napoléon avait révoqué sa très équivoque carte blanche par ces mots dictés au duc dé Bassano : ... Il ne peut y avoir de paix raisonnable que sur les bases de Francfort, toute autre ne serait qu'une trêve[47]. Caulaincourt néanmoins, demeurant partisan de la paix et s'abusant peu sur la durée des succès de l'empereur, commença par écouter les Alliés sans rien trahir de ses nouvelles instructions. Les plénipotentiaires le prirent sur un ton très haut, particulièrement Razumowsky et Humboldt. Après avoir décliné la proposition d'armistice, sous prétexte que un traité préliminaire qui aurait pour suite la cessation immédiate des hostilités atteindrait mieux et plus convenablement qu'une suspension d'armes au but généralement désiré[48], ils donnèrent lecture d'un projet de traité conforme aux bases posées en principe dans la séance du 7 février. Le duc de Vicence se contenta de faire quelques observations de détail puis à déclara que la pièce dont il venait de lui être donné lecture était d'une trop haute importance pour qu'il pût y faire dans cette séance une réponse quelconque, et qu'il se réservait de proposer aux plénipotentiaires une séance ultérieure dès qu'il serait dans le cas d'entrer en discussion[49].

Le duc de Vicence se montrait dans cette réponse aussi circonspect qu'il fallait. Dupe des protestations amicales de Metternich, il croyait que la paix était possible aux conditions exigées par les Alliés et il ne désespérait pas de faire accepter ces conditions par l'empereur. En rappelant aux plénipotentiaires que les récentes victoires de l'armée française leur imposaient de modérer leurs prétentions, il aurait risqué de provoquer une nouvelle rupture des pourparlers, si laborieusement repris. Caulaincourt ne le voulut pas. Napoléon eût écouté avec moins de calme la lecture du traité préliminaire, lui qui écrivait, le 19 février, au duc de Vicence : ... Je suis si ému de l'infâme proposition que vous m'envoyez que je me crois déshonoré rien que de m'être mis dans le cas qu'on vous l'ait proposée... Je veux faire moi-même mon ultimatum... Aussitôt que je serai à Troyes, je vous enverrai le contre-projet que vous aurez à donner...[50]

L'empereur ne se pressa point d'envoyer ce contreprojet qui, dans sa pensée, devait être conforme aux propositions de Francfort. Avant de le mettre en discussion devant les ministres alliés dont l'hostilité était manifeste, il avait l'espoir de le faire agréer en principe par l'empereur d'Autriche. La grande armée battue et le prince de Schwarzenberg demandant un armistice, Napoléon pensa que les circonstances étaient propices pour recourir à l'intervention de François Ier. Il lui écrivit le 21 février une lettre pleine de caresses et de menaces, le conjurant et lui intimant à la fois de faire la paix sur les bases de Francfort. Cette lettre où Napoléon parlait de l'ultimatum de la France et proclamait hautement son opiniâtre résolution de ne rien céder[51], n'eut pas, au moins dans le premier moment, le mauvais effet que certains historiens y ont attribué. Tout au contraire, cette démarche faite pour intimider l'empereur d'Autriche et pour mettre ainsi la désunion parmi les souverains, augmenta le trouble d'esprit où se trouvaient alors les Coalisés[52]. Ils s'empressèrent de réitérer leur demande d'armistice. Napoléon ne pouvait refuser une suspension d'armes, sous peine de démentir les assurances pacifiques de sa lettre. Le 24 février, les commissaires se réunirent à Lusigny. C'étaient pour l'armée française le général Flahaut, pour les armées alliées les généraux Duca, Schouvalow et Rauch[53].

Mieux que les diplomates des soldats pouvaient tomber d'accord. Malheureusement, Napoléon avait posé deux conditions dont l'une enlevait aux Coalisés l'avantage qu'ils cherchaient dans l'armistice et dont l'autre était inadmissible en l'état des choses. La première condition était que les pourparlers n'arrêteraient pas les hostilités ; la seconde, qu'on insérerait au protocole un préambule portant que les plénipotentiaires étaient réunis à Châtillon pour traiter de la paix sur les bases proposées à Francfort[54]. Des commissaires militaires n'avaient point qualité pour admettre ce préambule qui eût engagé les négociateurs de Châtillon. Ceux-ci, on l'a vu, n'avaient cessé de disconvenir des propositions de Francfort. Le lendemain d'ailleurs, Flahaut renonça à imposer le préambule. Mais d'autres difficultés surgirent, dans la discussion des points à occuper par les armées. Des deux côtés, les prétentions étaient excessives. Ni l'un ni l'autre des belligérants ne pouvaient accepter sans être dupe la ligne de démarcation proposée par la partie adverse[55]. Flahaut et Duca, tous deux bien intentionnés pour la paix, déploraient la rigueur de leurs mutuelles instructions. Le général Duca suppliait le plénipotentiaire français d'obtenir des concessions de Napoléon. — Au nom de Dieu, s'écriait-il, faites que les hostilités cessent. Facilitez-nous les moyens de faire la paix. Je vous assure que l'empereur d'Autriche et l'Angleterre la veulent honorable pour la France. — Mon général, disait-il encore, nous ne sommes pas des diplomates. Nous sommes deux militaires. Je vous ai prouvé que je désire que les choses s'arrangent. Je vous assure que c'est le vœu de mon empereur. Mais nos pouvoirs ne vont pas plus loin que je ne vous l'ai dit. C'est oui ou non qu'il faut répondre. Qu'est-ce que peut faire dans un armistice un peu de terrain de plus ou de moins ?... Que votre empereur aide un peu mieux à faire cesser la guerre ![56] Sur les lettres pressantes de Flahaut où, sans se permettre de donner aucun conseil, l'aide de camp de l'empereur laissait néanmoins voir sa pensée, Napoléon se décida à des concessions fort raisonnables[57]. Mais ces concessions que Flahaut ne fut autorisé à exposer que le 27 février, ne suffisaient pas. On n'aurait pu obtenir un armistice, et encore la chose est douteuse, qu'en acceptant les inacceptables conditions de l'état-major ennemi. Le 28 février, les commissaires alliés les proposèrent de nouveau à Flahaut. Cette fois, c'était sous, la forme d'un ultimatum. Les pourparlers furent rompus[58]. Au reste, depuis trois grands jours, Flahaut et Duca perdaient leur peine et leurs paroles. Dès le soir du 25 février, le roi de Prusse avait écrit à Blücher : La suspension d'armes n'aura pas lieu[59].

Dans le conseil de guerre tenu à Bar-sur-Aube le 25 février, chez le général Knesebeck, les souverains n'avaient pas seulement délibéré sur la question militaire. Après avoir décidé la retraite sur Langres de l'armée de Bohème, la marche offensive de l'armée de Silésie et la formation d'une armée du Sud[60], on avait discuté sur le parti à prendre dans les négociations entamées. Le refus de Napoléon de suspendre les hostilités, dès la réunion des commissaires à Lusigny, rendait l'armistice inutile pour la grande armée ; d'ailleurs les troupes avaient pu éviter une Bataille et effectuaient leur retraite au delà de l'Aube. D'autre part, un revirement subit s'était fait dans l'esprit des Anglais et des Autrichiens, qui pendant quelques jours s'étaient montrés disposés à traiter. La lettre de Napoléon à l'empereur François avait d'abord intimidé les Alliés. Soixante-douze heures ayant passé, et dans ces soixante-douze heures, les Austro-Russes s'étant dérobés au combat, on avait réfléchi. Les raisons données par l'empereur étaient oubliées. On se rappelait de sa lettre seulement les altières menaces et la déclaration qu'il ne ferait la paix que sur les bases de Francfort.

Un traité de paix laissant à la France ses frontières naturelles, il s'en fallait que ce fût là l'intention des Coalisés, même des plus timorés, partant des plus conciliants. Si Castlereagh et Metternich avaient lutté quatre jours, au milieu de février, contre la volonté du czar pour faire reprendre les négociations, c'était dans la crainte que de nouvelles victoires de Napoléon ne rejetassent les armées alliées au delà du Rhin. Ils étaient disposés à sacrifier leurs espérances à leur sûreté. Mais cette paix qu'il leur coûtait tant d'accorder à celui dont ils avaient juré la perte, ils voulaient du moins qu'elle consacrât l'humiliation de Napoléon et l'affaiblissement de la France. Il fallait à l'Europe tous les territoires que les armes lui avaient pris depuis la Révolution. S'ils ne les obtenaient, les Alliés continueraient la guerre au risque des pires désastres. — Dût-on repasser le Rhin, dit lord Castlereagh, il ne faut faire aucune concession[61]. Ces paroles trouvèrent de l'écho. L'empereur Alexandre cédait au point de vue militaire, puisque le conseil avait décidé la retraite de la grande armée, mais il triomphait au point de vue diplomatique. On le laissa maître d'indiquer le ligne de démarcation pour l'armistice, ce qui équivalait à la rupture des pourparlers ; et quant au congrès de Châtillon, il fut arrêté que les plénipotentiaires alliés presseraient le plénipotentiaire français de s'expliquer catégoriquement et ne lui donneraient qu'un très court délai pour adhérer aux bases du traité préliminaire à lui communiqué le 17 février. À l'expiration du terme reconnu suffisant, la négociation serait regardée comme rompue[62].

C'est avec ces nouvelles instructions que Razumowsky, Stadion, Humboldt et les autres ouvrirent à Châtillon, le 28 février, la quatrième séance du congrès. Ils commencèrent par exprimer leur étonnement que le plénipotentiaire français tardât tant à répondre à leurs propositions, puisque ces propositions étaient fondées en substance sur une offre faite par ce plénipotentiaire dans sa lettre du 9 février au prince de Metternich. Ils déclarèrent ensuite qu'ils regarderaient tout retard ultérieur à cette réponse, passé un délai à débattre, comme un refus de traiter de la part du gouvernement impérial. Ils ajoutèrent qu'ils ne sauraient d'ailleurs écouter aucune proposition qui différât essentiellement du sens de l'offre déjà faite par le plénipotentiaire français. Caulaincourt, qui n'avait pas encore le contre-projet, répondit avec beaucoup d'à-propos : premièrement, que les Alliés étaient mal fondés à se plaindre des retards, puisque dès l'ouverture des négociations, ils avaient sans motif suspendu neuf jours les séances ; deuxièmement, qu'ils ne pouvaient se prévaloir de l'offre confidentielle faite par lui au prince de Metternich, puisque cette proposition était subordonnée à un armistice immédiat qui avait été refusé. Les plénipotentiaires affectèrent de ne point daigner répondre à ces arguments. Ils insistèrent de nouveau pour que le duc de Vicence fixât le délai dans lequel il devrait donner sa réponse. En vain Caulaincourt objecta qu'en une si grave affaire, on ne pouvait ni imposer ni prendre l'obligation de répondre à jour fixe, il dut accepter la date du 10 mars comme dernier terme[63]. Neuf jours, c'était bien peu pour décider Napoléon à de tels sacrifices, Napoléon qui à ces paroles de Saint-Aignan : La paix sera assez bonne si elle est assez prompte, avait répondu : La paix arrivera assez tôt si elle est honteuse[64].

De Bar-sur-Aube, tout l'état-major allié, souverains, ministres et généraux, moins le roi de Prusse et le prince de Schwarzenberg, s'était rendu à Chaumont. Lord Castlereagh, revenu de l'alarme où l'avait mis la lettre de Napoléon à l'empereur d'Autriche, mais appréhendant qu'une autre démarche du même ordre ne vînt traverser ses plans en détachant l'Autriche de la coalition[65], voulut resserrer l'alliance européenne par un nouveau traité. Les clauses portaient que les puissances contractantes seraient liées pour vingt années et qu'aucune d'elles ne pourrait écouter de propositions particulières ni traiter séparément. Lord Castlereagh prit pour prétexte à sa proposition le règlement de divers arrangements financiers que les puissances continentales, toujours à court d'argent, sollicitaient depuis le passage du Rhin. Il offrit pour toute la durée des hostilités un subside annuel de cent cinquante millions de francs à partager entre la Russie, l'Autriche et la Prusse. Chacune de ces puissances s'obligerait de son côté à poursuivre la guerre avec un contingent de cent cinquante mille hommes. Signé à Chaumont le ter mars, ce traité fut, comme on sait, l'origine de la Sainte Alliance, — la sainte alliance barbaresque, irrévérencieusement chansonnée par Béranger.

 

 

 



[1] Cf. Mémoires de Metternich, I, 139 à 160, II, 467 ; Dépêches de Gentz, I, 19 à 45. — Depuis que ces lignes ont été écrites, le prince Napoléon parait avoir dit le dernier mot sur la question : Napoléon et ses détracteurs, pp. 71 à 90.

[2] ... À Francfort, les Alliés déterminèrent les conditions de paix à offrir à la France. Il est agréable au czar de se souvenir jusqu'à quel point il était opposé à une marche rapide des négociations. Il rejeta à plusieurs reprises les propositions de hâter l'entrée en conférence, non qu'il ne désirât pas la paix, mais parce qu'il croyait qu'avec le temps on la ferait plus avantageusement. Opinion de la cour de Russie sur les réponses de lord Castlereagh et du baron de Hardenberg aux questions posées par le cabinet de Vienne Troyes, 13 février, citée par Bogdanowitsch, Geschichte des Krieges 1814, II, 303-313, d'après les Archives du ministère des affaires étrangères de Saint-Pétersbourg. Cf. Mémoires de Metternich, I, 144, 153, 174 et passim.

[3] Il s'agissait de porter à l'existence de Napoléon (par l'invasion) un coup qui serait décisif. — La chute de Napoléon était décidément inévitable... Toute paix qui aurait rejeté Napoléon dans les anciennes limites de la France n'aurait été qu'un armistice ridicule... Elle n'aurait pu conduire au but que s'était proposée la grande alliance, un état de paix durable fondée sur l'équilibre entre les puissances. — La puissance de Napoléon est brisée, elle ne se relèvera plus. — La chute prochaine de l'empire était indubitable pour tout homme politique qui ne se payait pas d'illusions. Mémoires de Metternich, I, 172, 182, 185 et 188. Cf. II, p. 467 (Rapport de Metternich à François II, 12 juillet 1813) ; Correspondance de lord Castlereagh, V, I07, 187, 267, et passim Jomini, II, 410-231 ; Mémoires du comte de Longeron. Arch. des affaires étrangères, fonds Russie, 25 ; Damitz, Geschichte des Feldzuges 1814, I, 409-411.

[4] Conversation de Bassano, rapportée dans le journal du général Pelet, Arch. de la guerre.

[5] Cf. Mémoires de Metternich, I, 172, 182-186, 188 ; Correspondance de lord Castlereagh, V, 213-214 et passim. Note autographe de l'empereur Alexandre, Troyes, 13 février, citée par Bogdanowitsch, II, 70-72. Dépêches de Gentz, I, 61-62. Caulaincourt à Napoléon, Châtillon, 30 janvier. Le czar veut faire voir ses gardes aux Parisiens pour venger Moscou. Cf. Hauterive à Caulaincourt, 17 février. Arch. des affaires étrangères, fonds France, 668 et 670.

[6] Note de Saint-Aignan, Francfort, 9 novembre. Arch. des affaires étrangères, fonds France, 668.

[7] Metternich à Bassano, 25 novembre. Arch. des affaires étrangères, 668.

[8] Déclaration des Coalisés, Francfort, 1er décembre 1813. — Dans cette pièce, les Alliés disent implicitement que leur offre a été repoussée. Or, le 16 novembre, Bassano avait écrit à Metternich que le duc de Vicence était prêt à se rendre pour négocier près des plénipotentiaires alliés aussitôt que Metternich lui aurait fait connaître le jour fixé pour le congrès. Bien que cette lettre contint an lieu des mots : S. M. adhère aux bases générales et sommaires ces mots un peu ambigus : Une paix par l'indépendance de toutes les nations a été l'objet constant de la politique de l'empereur, ce n'était cependant pas une fin de non-recevoir. Les Alliés n'étaient donc nullement fondés à prétendre que leur offre avait été refusée.

On a dit que si l'empereur avait pris la balle au bond, il eût obtenu la paix à Manheim sur la base des frontières naturelles. Cela parait plus que douteux. Si les Alliés avaient eu sincèrement l'intention de faire la paix, ils auraient attendu, avant de lancer la déclaration de Francfort, que le duc de Bassano eût le temps d'envoyer sa réponse à Metternich qui lui demandait, le 25 novembre, de s'expliquer catégoriquement sur les bases générales et sommaires ; et au reçu de la lettre du 2 décembre, de Vicence l'homme de la paix, où le nouveau ministre disait expressément : J'annonce à V. E., avec une vive satisfaction, que S. M. adhère aux bases générales et sommaires, ils auraient envoyé leurs plénipotentiaires à Manheim. D'après les Mémoires de Metternich et la Correspondance de lord Castlereagh, les propositions de Francfort n'étaient qu'une duperie imaginée pour abuser et l'Europe et la France. C'est avec raison que Caulaincourt conseillait à Napoléon de publier toutes les pièces des négociations afin de montrer le fond du sac de Francfort et de prouver sa bonne foi et sa modération. Il faut, écrivait-il encore, proclamer l'engagement public et réciproque pour les Alliés de ne pas exiger plus et pour V. M. de ne pas exiger moins. 23 décembre. Arch. des affaires étrangères, 668. Cf. Dépêches de Gentz, I, 50, 58. Gentz parle des dispositions pacifiques de Napoléon, et reconnais que les bases furent pleinement acceptées par la lettre mémorable du duc de Vicence, du 2 décembre.

[9] Protocole de la conférence de Langres du 29 janvier, cité par Bogdanowitsch, II, 305 ; Mémoires de Metternich, I, 189 ; Correspondance de lord Castlereagh, V, 215 ; Lettre de Nesselrode à Razumowsky, Bar-sur-Seine, 6 février, citée par Bogdanowitsch, II, 61 ; Dépêches de Gentz, I, 64 ; Damitz, I, 410, 411. Moniteur supprimé du 20 janvier. — Le duc de Vicence avait reçu ses passeports pour Châtillon dés la nuit de 19 janvier. Mais, comme on le voit, il s'en fallait encore, à cette date, que le czar fût décidé à laisser entamer les négociations.

[10] ... Je lisais trop bien dans la pensée de Napoléon pour ne pas voir de grands avantages dans toute tentative d'arrangement, sans risquer pour cela d'ajourner le retour d'un meilleur ordre de choses par un accommodement intempestif. Mémoires de Metternich, I, 189.

[11] Mémoires du comte de Langeron, lieutenant général au service de la Russie. Arch. des affaires étrangères, fonds Russie, 25.

[12] Correspondance de Napoléon, 21 062 et 21 178.

[13] Correspondance, 21 062. Cf. 21 063. ... Ce qui serait demandé au delà des bases de Francfort est donc repoussé par le fait même que ces bases ont été offertes par tous les cabinets et même par l'Angleterre...

[14] L'Angleterre était représentée en outre par lord Cathcart et lord Aberdeen.

[15] Protocole du 4 février. Arch. des affaires étrangères, fonds France, 668.

[16] Protocoles des 5 et 7 février. — Dans sa lettre à Napoléon, du 5 février, Caulaincourt se plaint très vivement de Razumowsky.

[17] Caulaincourt à Napoléon, 8 février. Arch. des affaires étrangères, 668, et protocole du 7 février.

[18] Note du duc de Bassano, citée par Ernouf, Maret, duc de Bassano, 625-626 ; Pons de l'Hérault, Congrès de Châtillon, 361-366.

[19] Caulaincourt à Bassano, Chatillon, 6 février, à Napoléon, 8 février. Arch. des affaires étrangères, 668.

[20] Correspondance de Napoléon, 21 178.

[21] Correspondance, t. XXVII, 185, note.

[22] Correspondance, 21 179. — Cette lettre est datée de Troyes, 5 février, 1 heure du matin. La lettre de Bassano précitée porte, Troyes, 5 février, sans indication d'heure. D'après la Note de Bassano (citée par Ernouf, 621), elle fut expédiée le 5 à la pointe du jour. Conséquemment, Caulaincourt dut recevoir les deux lettres dans la même journée.

[23] Cf. sur les efforts de Bassano et de Berthier pour faire consentir l'empereur à l'envoi de la carte blanche la Note de Bassano, citée par Ernouf, 620-622, et Fain, 93, 95.

[24] Correspondance de Napoléon, 21 063. Cf. 21 062 et 21 178.

[25] Protocole du 7 février.

[26] Note de Bassano, citée par Ernouf, 624.

[27] Nesselrode à Razumowsky, Bar-sur-Seine, 5 février. Le 7 février, Nesselrode écrivait encore : Ces nouveaux événements (la retraite de Napoléon, etc.) vous persuaderont qu'en présence des circonstances nouvelles, il y a moins que jamais hâte de conclure. Troyes. 7 février. Lettres citées par Bogdanowitsch, II, 63-61, d'après les Arch. du ministère des affaires étrangères de Saint-Pétersbourg.

[28] Des courriers mirent six jours à faire le trajet du quartier impérial à Châtillon et réciproquement. Berthier à Schwarzenberg, Nogent, 22 février. Correspondance de Napoléon, XXVII, 253. Cf. Lettres de Metternich, de Caulaincourt et de Bassano. Arch. des affaires étrangères, 668, 669, 670.

[29] Caulaincourt à Napoléon, 5 et 8 février ; à Metternich, 9 février. Arch. des affaires étrangères, 668.

[30] Bassano (Note citée par Ernouf, 625 et 626) critique vivement la démarche de Caulaincourt. Cependant, à se reporter à la lettre de Caulaincourt à Napoléon du 5 février (Arch. des affaires étrangères, 668), et à la Correspondance de Napoléon, 21 293, le plénipotentiaire agit en cela d'après les instructions mêmes de son souverain.

[31] Note des plénipotentiaires alliés, 9 février, Caulaincourt à Napoléon, 10 février. Note de Caulaincourt, 10 février. Arch. des affaires étrangères, 668. Ct. Bogdanowitsch, II, 69.

[32] Ce que nous disons ici n'infirme nullement ce que nous avons dit précédemment, à savoir que les plénipotentiaires alliés n'eussent pas signé la paix le 7 à Châtillon, quelles qu'eussent été les concessions de Caulaincourt. Le protocole de la conférence des ministres alliés à Troyes, le 13 février, et la Correspondance de lord Castlereagh indiquent qu'à la réception de la lettre de Caulaincourt, le 10 février, les ministres de la coalition hésitèrent s'ils ne concluraient pas la paix et y furent même un instant disposés. Mais, le 7, leurs plénipotentiaires n'avaient point des instructions en ce sens. Vraisemblablement Razumowsky avait même déjà l'ordre du czar de suspendre les conférences.

[33] Le czar cela, il est vrai, aux représentations de Castlereagh, comme on le verra plus loin ; mais les victoires de Napoléon donnaient une singulière autorité à ces représentations qui, autrement, n'eussent point eu d'effet.

[34] Bernhardi, IV, 419 ; Bogdanowitsch, II, 69. Cf. Correspondance de Castlereagh, V, 226. Dépêches de Gentz, I, 67, et Caulaincourt à Napoléon, 10 février. Arch. des affaires étrangères, 668.

[35] Nesselrode à Castlereagh, lettre citée par Bogdanowitsch, II, 70.

[36] Questions proposées par le cabinet de Vienne (12 ou 13 février), citées par Bogdanowitsch, II, 70, 71, d'après les Arch. des affaires étrangères de Saint-Pétersbourg.

[37] Nous reproduisons, tout en l'abrégeant un peu, ce curieux document (inédit, pensons-nous, pour la plupart des lecteurs français), non seulement parce qu'il porte la plus vive lumière sur les projets et la conduite politique et diplomatique des Alliés, mais aussi parce qu'écrit plus de deux mois avant l'abdication de Napoléon, il semble l'avoir été après les événements de mars et d'avril 1814. L'empereur Alexandre tait preuve dans cette page ou de la prescience d'un illuminé on de la sagacité d'un profond politique. Tout ce qui allait advenir est consigné là : l'abandon des négociations, la prise de Paris, la convocation de Sénat, l'armée qui reste fidèle à Napoléon après l'occupa Lion de la capitale et avec l'opinion de laquelle il faut compter, tout enfin jusqu'aux hésitations qui prirent le czar à l'hôtel Talleyrand quand Caulaincourt, Ney et Macdonald vinrent lui parler en faveur de la régence.

[38] De tous les coalisés, on le sait, Alexandre était le moins sympathique art Bourbons. On sait aussi que ces instructions de ne point encourager les royalistes ne furent point suivies par les généraux alliés et particulièrement par les généraux russes.

[39] C'est là ce que Metternich appelait les idées romanesques du czar.

[40] Ceci est bien caractéristique. Pour Castlereagh et Metternich, le but de la guerre est de détrôner Napoléon. Pour le czar, c'est d'entrer à Paris. Une fois le colosse terrassé, Alexandre admettait la possibilité de traiter avec son ennemi vaincu.

[41] Note autographe de l'empereur Alexandre en réponse aux questions posées par le cabinet de Vienne, citée par Bogdanowitsch, II, 308-309, d'après les Arch. des affaires étrangères de Saint-Pétersbourg.

[42] Protocole du 13 février, cité par Bogdanowitsch, II, 72-73 et 309, d'après les Arch. du ministère des affaires étrangères de Saint-Pétersbourg.

[43] Opinion de la cour de Russie sur les réponses de lord Castlereagh et de baron d'Hardenberg aux questions posées par le cabinet de Vienne. Troyes, 13 février, document cité par Bogdanowitsch, II, 309-313.

[44] Récit de Toll, cité par Bogdanowitsch, II, 74. Cf. Pertz, Stein's Leben, III, 540.

[45] Pertz, III, 541.

[46] Metternich à Caulaincourt, Troyes, 15 février. Arch. des affaires étrangères, 668.

[47] Bassano à Caulaincourt, la Haute-Épine, 12 février. Arch. des Aff. étrangères. Cf. Correspondance de Napoléon, n° 28 785. Je vous ai donné carte blanche... maintenant mon intention est que vous ne signiez rien sans mon ordre. — Pons, dans son Congrès de Châtillon, prétend que Caulaincourt était encore libre de traiter le 17 sans en référer à l'empereur puisque la lettre de Napoléon où il lui ordonnait de ne rien signer sans son ordre est datée de Nangis, 17 février. En effet. Caulaincourt n'avait pas reçu le jour de la séance la lettre de Nangis. Mais il avait reçu la lettre de la Belle-Épine, 12 février, dont Pons ignorait l'existence, La lettre de Caulaincourt à Bassano. Châtillon, 14 février, où il demande avec instance un mot de l'empereur, prouve qu'à ce moment le duc de Vicence estimait que la carte blanche, dont il avait en scrupule à faire usage, lui était retirée.

[48] Protocole de la séance du 17 février. — Le czar, dans sa lettre à Razumowsky, avait insisté pour qu'un amnisties ne fat pas conclu (Pertz, III, 541), parce qu'il jugeait avec raison que la signature d'un armistice présenterait beaucoup moins de difficultés que celle de préliminaires de paix. Le plus carient de l'affaire, c'est que le jour intime où les plénipotentiaires alliés refusaient l'armistice à Chatillon. Schwarzenberg écrivait de Bray à Berthier pour en obtenir un. Voir au chapitre précédent.

[49] Protocole de la séance du 17 février, et Caulaincourt à Napoléon, 17 février. Arch. des affaires étrangères, fonds France, 668.

[50] Correspondance de Napoléon, 21 315.

[51] ... Je propose à Votre Majesté de signer la paix sans délai sur les bases qu'elle-même a posées à Francfort, et que moi et la nation française nous avons adoptées comme notre ultimatum... Jamais je ne céderai Anvers et la Belgique. Une paix fondée sur les bases de Francfort peut seule être sincère... Si l'on ne vent poser les armes qu'aux conditions affreuses proposées au Congrès, le génie de la France et la Providence seront pour nous.... Correspondance de Napoléon, 21 341.

[52] Bernhardi, IV, 487-490.

[53] Schwarzenberg à Berthier, Troyes, 23 février, et Flahaut à Napoléon. Lusigny, 24 et 25 février. Arch. nat., AP., IV, 1663.

[54] Instructions à Flahaut, Correspondance de Napoléon, 21 359.

[55] La ligne de démarcation que demandaient les commissaires alliés avait été indiquée par le csar lui-même. Bogdanowitsch (II, 81) reconnait que l'empereur de Russie l'avait faite à dessein inacceptable.

[56] Lettres de Flahaut à Napoléon et à Berthier, Lusigny, 25, 26, 37 et 28 février. Arch. nat., AF., IV, 1 669.

[57] Correspondance de Napoléon, 21 389.

[58] Flahaut à Napoléon, Lusigny, 28 février. Arch. nat., AF., IV, 1609.

[59] Lettre du roi de Prusse à Blücher, Bar-sur-Aube. 25 février, citée par Bogdanowitsch, I, 274.

[60] Sur le conseil de guerre de Bar-sur-Aube, voir la fin du chapitre précédent.

[61] Bernhardi, IV, 520. Cf. Caulaincourt à Napoléon : ... Les Alliés parlent d'une campagne d'été, de revers possibles, de doubler leurs armements. Arch. des affaires étrangères, fonds Francs, 668.

[62] Bernhardi, IV, 520-523 Bogdanowitsch, I, 271-272. Cf. le Protocole de la séance du 28 février du congrès de Châtillon. — Les résolutions prises au point de vue diplomatique ne furent pas consignées au Protocole du conseil de guerre de Bar-sur-Aube. On y mentionna seulement les décisions militaires.

[63] Protocole de la séance du 25 février, et Caulaincourt à Napoléon, 1er mars. Arch. des affaires étrangères, fonds France, 668.

[64] Fain, 130 ; Mémoires de Ségur, VI, 408.

[65] Caulaincourt à Napoléon, 27 février. ... Votre Majesté a compromis par cette lettre l'empereur d'Autriche vis-à-vis des alliés... Stadion me dit que l'Angleterre en est inquiète... etc., etc. Arch. des affaires étrangères, fonds France, 668.