Texte numérisé et mis en page par Marc Szwajcer
I. — GALLIEN ET LA TRADITION HISTORIQUEII. — GALLIEN COLLÈGUE DE VALÉRIEN EN OCCIDENTIII. — LA GRANDE CRISE DE L’EMPIRE (258-268)IV. — GALLIEN ET LES INVASIONSV. — GALLIEN ET LES USURPATIONSVI. — LA POLITIQUE ORIENTALE DE GALLIENVII. — LA RÉORGANISATION MILITAIREVIII. — L’ADMINISTRATION INTÉRIEUREIX. — GALLIEN ET L’HISTOIREI. — GALLIEN ET LA TRADITION HISTORIQUE.S’il est un empereur qui ait eu peu à se louer des historiens, c’est Gallien. Anciens et modernes semblent s’être donné le mot pour noircir sa mémoire et lui faire une réputation détestable. On lui prodigue sans compter les épithètes désagréables et les accusations infamantes. Son règne est une honte, une souillure[1], une peste[2], le plus terrible des fléaux que le monde romain ait connus[3]. Le chef d’Etat et l’homme privé sont traités avec un égal mépris. Gallien est un mauvais empereur ; il ne s’occupe pas des affaires publiques[4] et sa négligence attire sur l’Empire les plus affreuses calamités[5]. Tandis que les Barbares multiplient leurs invasions par terre et par mer que les usurpateurs surgissent de toutes parts, que l’Etat se disloque, il ne songe qu’à ses plaisirs, aux jeux du cirque, aux représentations théâtrales et passe son temps dans les orgies les moins avouables[6]. Les désastres de toute espèce dont l’Empire romain est alors la proie, loin de le consterner, l’amusent prodigieusement : On rougit de citer les plaisanteries que se permit Gallien au milieu des maux qui affligeaient le genre humain. Quand on lui annonça que l’Egypte s’était séparée de l’Empire : Quoi, dit-il, ne pourrons-nous vivre sans le lin d’Egypte ?... Quand la Gaule fut perdue pour Rome, il dit en souriant : La République n’est-elle donc pas en sûreté sans les étoffes d’Arras ? Il se faisait ainsi de toutes les pertes de l’Empire un sujet de moquerie[7], comme s’il se fût agi des objets les plus vils et les plus méprisables. La dernière des femmes lui est supérieure[8]. Zénobie en Orient[9], Victoria[10] en Gaule gouvernent mieux que lui et lui font honte de sa lâcheté[11]. Déplorable empereur, Gallien est aussi un fils dénaturé. La captivité de son père Valérien est pour lui une véritable délivrance[12] : Tandis que la plupart des citoyens déploraient la captivité de son père, Gallien trouvait une sorte de gloire à se réjouir de ce que ce prince était la victime de son courage. On savait d’ailleurs qu’il ne pouvait supporter l’austérité de Valérien et qu’il avait ardemment désiré secouer un joug qui lui pesait tant. A la mort de Valérien, il se contente de dire philosophiquement : Je savais que mon père était mortel[13]. Gallien, enfin, est l’incarnation vivante de tous les vices et de toutes les infamies. Il est indolent et jouisseur[14] : Il construisait des chambres à coucher avec des roses et des châteaux avec des fruits[15]. Il est débauché et, sur ce chapitre, les historiens latins s’en donnent à cœur joie : Gallien ne vécut que pour son ventre et pour le plaisir ; passant ses jours et ses nuits dans l’ivresse et la débauche, il perdit enfin la République[16]. Il convoque des femmes au conseil : Quand elles lui avaient baisé la main, il leur donnait quatre aurei à son effigie[17]. Il prend pour maîtresse la fille d’un roi barbare, Pipa[18]. Ses nuits sont une orgie continuelle et publique[19]. Il s’entoure de bouffons, de mimes et de gens sans aveu[20] ; il mène dans ses jardins de l’Esquilin une vie dégradante et efféminée : Lorsqu’il se rendait dans les jardins qui portaient son nom, il était suivi de tous les officiers du palais. Devant lui marchaient les préfets et les maîtres des différents offices qui étaient admis a ses repas et à ses festins et se baignaient avec lui. Souvent il invitait un grand nombre de femmes à ses festins et alors il choisissait pour lui les plus belles et les plus jeunes, laissant à ses convives les laides et les vieilles. Voilà ce qu’il appelait se divertir, tandis qu’il perdait l’Empire romain[21]. Il est buveur : Il passe ses jours et ses nuits dans l’ivresse[22], en compagnie d’ivrognes comme lui[23] ; il change constamment de vin et ne boit jamais dans un repas deux coupes du même[24]. Il est gourmand et gourmet : Il conservait des raisins pendant trois ans ; il avait des melons sur sa table au plus fort de l’hiver et il enseigna la manière de préparer le vin doux pour toute l’année. Il se faisait toujours servir hors de la saison des figues vertes et des fruits nouveaux[25]. Il est prodigue et dépensier : Toutes ses nappes étaient d’étoffes d’or ; il n’avait que des coupes d’or enrichies de pierres précieuses ; il saupoudrait ses cheveux d’une poussière d’or[26]. Il est frivole et puéril : Il se faisait un jeu du gouvernement de l’Etat, semblable à ces enfants qui jouent aux dignités ; aux Décennales, pour tromper le peuple, il fait paraître des troupes de faux prisonniers goths, sarmates, francs, perses[27]. Il passe son temps aux choses les plus ineptes[28]. Il est d’une cruauté féroce. A la fête des Décennales, quelques bouffons se glissent parmi les soi-disant prisonniers perses, faisant partout les plus minutieuses recherches et examinant d’un air inquiet et surpris le visage de chacun d’eux. On leur demanda ce qu’ils cherchaient avec tant de soin : Nous cherchons, répondirent-ils, le père de l’empereur. Gallien, à qui l’on rapporta cette plaisanterie, ne laissa voir aucun sentiment de honte, de tristesse ou de piété filiale et il ordonna de brûler vifs ces mauvais plaisants[29]. Il se montre très cruel vis-à-vis des soldats et en fait tuer quelquefois trois ou quatre mille en un jour[30]. Les soldats songent à choisir un autre empereur : Gallien, qui ne savait ni les calmer, ni les ramener dans son parti, les fait tous mettre à mort[31]. Il réprime avec une sauvagerie inouïe la révolte d’Ingenuus : Il sévit avec la dernière rigueur contre tous les soldats et tous les habitants de la Mésie. Personne ne fut à l’abri de sa cruauté, et il poussa si loin la vengeance et la barbarie qu’il dépeupla la plupart des villes de cette contrée[32]..... Il nous reste une lettre de Gallien à Celer Venerianus qui montre toute la férocité de son caractère : Je ne serai point satisfait si vous vous bornez à tuer les soldats. Il faut tuer tous les hommes, même les vieillards et les enfants..... Déchirez, tuez, massacrez. Pénétrez-vous bien de mes sentiments et partagez la colère de celui qui vous écrit. Une insurrection éclate à Byzance en 263 : Gallien saccage la ville et aucun habitant ne survit au désastre[33]. Il est sans foi. Il trompe l’opinion publique et fait croire que tout l’Empire est en paix ; souvent même, il célèbre des jeux et des fêtes triomphales pour mieux confirmer la réalité de ses mensonges[34]. Il promet l’impunité aux soldats mutinés de Byzance ; le lendemain, il les fait entourer par ses troupes et, au mépris de la parole donnée, prescrit de les massacrer jusqu’au dernier[35]. Ammien Marcellin, énumérant les cruautés de l’empereur Constance, l’accuse de s’être montré plus cruel que Gallien lui-même (XXI, 16, 9-10). En résumé, Gallien a conduit l’Empire romain à sa perte[36]. Deux traits complètent le portrait : les victoires mêmes qu’il remporte et dont on ne peut nier la réalité, on s’efforce au moins de lui en enlever le mérite. Il bat les Goths en Illyricum (267) ; son biographe rapporte l’événement de la manière suivante : Gallien, que les maux de l’Empire tiraient à peine de sa torpeur, marcha contre les Goths qui erraient dans l’Illyricum. Le hasard voulut qu’il en tuât un grand nombre[37]. — Second trait : on le rend responsable même des calamités naturelles, comme la peste, les inondations, les tremblements de terre. Le biographe, après avoir énuméré les malheurs de toute espèce qui s’abattent alors sur l’Empire : tremblements de terre, inondations, peste, invasions, usurpations, conclut formellement en ces termes : Tous ces maux venaient, comme nous l’avons dit souvent, du mépris qu’inspirait Gallien, le plus luxurieux de tous les hommes[38]. Le réquisitoire est donc aussi complet que possible. La question est de savoir s’il est légitime et dans quelle mesure le Gallien qu’on se plaît à nous représenter ainsi correspond à la vérité historique. Une première remarque s’impose. De tous ces vices, de toutes ces turpitudes, la tradition historiographique grecque ne connaît absolument rien. Les historiens byzantins Zosime, Zonaras, Syncelle, Malalas, les fragments conservés de l’Anonyme continuateur de Dion et de Pierre le Patrice n’en disent pas un mot, et ce silence est singulièrement de nature à retenir notre attention. Il y a plus. Les faits sont en contradiction directe avec les accusations des historiens latins. Reprenons les griefs essentiels invoqués contre Gallien. — Tout d’abord, Gallien est-il l’empereur indolent et fainéant de la tradition romaine ? Voici les faits dans toute leur sécheresse et aussi dans toute leur éloquence. En 256, Gallien quitte Rome pour la frontière du Rhin qu’il va défendre contre les Barbares. Pendant près de deux ans (256-258), il remplit brillamment sa tâche, arrête les Germains sur le seuil des Gaules où il les écrase[39]. En 258, il part en toute hâte pour l’Illyricum où l’appelle la révolte d’Ingenuus ; il réprime le soulèvement[40]. En 259, il revient en Gaule à la suite de l’usurpation de Postumus ; il combat ce dernier pendant deux ans (259-260) et le réduit à s’enfermer dans une ville forte où il l’assiège[41]. En 261, il regagne l’Italie pour repousser les Alamans qui ont envahi la Péninsule ; il les bat à Milan[42]. En 262-263, nous le retrouvons en Gaule où il reprend contre Postumus la campagne interrompue ; il remporte de nouvelles victoires[43]. En 263, une insurrection éclate à Byzance, Gallien s’y rend aussitôt et rétablit l’ordre[44]. La même année, il revient à Rome et y célèbre ses Décennales. Il y reste pendant la fin de l’année et le début de l’année suivante (264). A la fin de 264, il fait un voyage en Grèce. Au cours des deux années suivantes (265-266), il ne semble pas avoir quitté sa capitale. En 267, il va en Thrace faire campagne contre les Goths. En 268, il revient précipitamment dans l’Italie du Nord où son général Aureolus vient d’usurper l’Empire. Il est tué la même année, au siège de Milan. La seule chronologie de ces déplacements nous montre que Gallien, loin d’être l’empereur apathique de la tradition, a fait preuve au contraire, durant tout son règne, d’une activité indéniable. Gallien n’est ni un lâche, ni un efféminé. Il est brave de sa personne. C’est ainsi qu’il combat vaillamment les Germains sur la ligne du Rhin[45]. Il propose à Postumus de régler leur querelle par un combat singulier[46]. Au cours de la guerre de Gaule, il donne de sa personne et est blessé d’une flèche[47]. Il fait constamment la guerre et la fait bien : victoires sur les Germains (256-257) ; répression de l’usurpation d’Ingenuus en Illyricum (258) ; guerre heureuse contre Postumus (259-260). En 261, Gallien, avec une armée fort inférieure en nombre, écrase les Alamans à la bataille de Milan[48]. En 262-263, nouvelles victoires sur Postumus[49] ; en 263, il réprime l’insurrection de Byzance. En 267, victoire sur les Hérules au fleuve Nestos, qui formait la frontière de la Thrace et de la Macédoine[50]. Fait remarquable : cet homme qu’on nous représente comme un indolent et un incapable, qui eut à lutter contre tous les barbares, Francs, Alamans, Hérules, Goths, et contre quelques-uns des généraux romains les meilleurs de son époque, Ingenuus, Postumus, Victorinus, Aureolus, a pu subir quelques échecs partiels[51], d’ailleurs rapidement réparés[52], il n’a éprouvé aucune défaite sérieuse. C’est le plus bel éloge qu’on puisse faire de lui. Gallien s’est-il montré fils dénaturé ? L’auteur de sa biographie prétend qu’il était las des reproches de son père et que la captivité de Valérien a été pour lui une véritable délivrance[53]. Mais les rapports du père et du fils ne semblent pas avoir été mauvais. Valérien, jusqu’à l’époque de sa captivité, n’a jamais eu de graves reproches à adresser à son fils. Les historiens latins eux-mêmes sont unanimes à constater que les débuts de Gallien ont été dignes de tous éloges[54]. Quant à l’accusation de n’avoir rien tenté pour la délivrance de son père prisonnier, nous verrons plus loin, par l’étude des faits, qu’elle doit être absolument écartée. Enfin, Gallien est-il, par son caractère et ses mœurs, l’être méprisable et abject qu’on s’est plu à nous représenter ? Les sources, grâce auxquelles nous pourrions critiquer le témoignage des historiens latins, sont trop rares et trop pauvres pour qu’il puisse être question d’un contrôle minutieux et suivi. Tout au moins peut-on procéder à un certain nombre de vérifications qui, pour être éparses, n’en sont pas moins intéressantes. La Vie de Gallien reproche à l’empereur d’avoir vécu dans la luxure et la débauche, au moment même où Postumus usurpait le pouvoir en Gaule[55]. L’allégation est fausse ; lorsque se produisit la révolte de Postumus, Gallien se trouvait sur le Danube, où il menait rude campagne contre Ingenuus. Erreur du même genre chez Aurelius Victor (Caess., XXXIII) : Gallien mène une vie de fête et d’orgies. Il faut l’usurpation d’Aureolus pour le tirer de son indolence et le faire sortir de Rome. Or, à la date où Aureolus prend l’Empire, Gallien est retenu en Macédoine par la guerre contre les Barbares du nord, — guerre qu’il dirige d’ailleurs avec ardeur et succès[56], — et c’est de Macédoine, non de Rome, qu’il marche directement contre l’usurpateur. Autre fait. Le même Aurelius Victor (Caess., XXXIII) nous dit que Gallien était absolument soumis à la volonté de sa femme, l’impératrice Salonine. Une anecdote, rapportée par l’Anonyme continuateur de Dion, donne la preuve du contraire[57]. Salonine, qui se défle d’Ingenuus, ne peut cependant empêcher sa nomination à un grand commandement et doit se contenter de le faire surveiller. On allègue, comme une preuve de débauche[58], la liaison de Gallien avec une femme d’origine barbare, Pipa ou Pipara, mais il y a là autre chose qu’un caprice de Gallien. Voici les faits : au début du règne, entre les années 253 et 258, la Pannonie est envahie par les Marcomans, les Quades, les Sarmates. Gallien, suivant un principe qui est de tous les temps, cherche a diviser l’ennemi. Il conclut un traité avec un roi marcoman, Attale, lui abandonne une partie de la Pannonie, à charge pour lui de la défendre contre les autres Barbares, et prend comme concubine, — peut-être faut-il dire comme seconde épouse, — la fille de ce roi, Pipa[59]. La conduite de Gallien s’explique donc, au moins en partie, par des raisons politiques fort avouables. Gallien, nous disent les historiens latins, passe son temps à courir les cabarets. Un texte d’Ammien Marcellin (XIV, 1, 9) nous montre que ce n’était pas uniquement par ivrognerie et habitudes d’intempérance : On vit Gallus ne pas reculer devant un moyen périlleux autant qu’infâme et dont Gallien, dit-on, avait jadis fait l’essai à Rome, au grand déshonneur de son administration. C’était de parcourir sur le soir les carrefours et les tavernes avec un petit nombre de compagnons qui cachaient des épées sous leurs robes, s’enquérant auprès de chacun de ce qu’on pensait de l’empereur. Le procédé a trouvé plus d’un imitateur ; Haroun al Raschid et Bonaparte, premier consul, y ont également eu recours. Il rentre dans la catégorie des pratiques policières et comme tel ne prouve rien contre la moralité de Gallien. Orose (VII, 23, 13) rapporte que Gallien a été tué à Milan, où, après avoir abandonné les affaires de l’État, il perdait son temps dans les plaisirs. Reproche doublement erroné. Gallien marche sur Milan pour combattre l’usurpateur Aureolus, par conséquent pour remplir son devoir de chef d’Etat, et il est si peu dans la ville de Milan qu’il y tient son compétiteur assiégé. Ses principaux officiers, d’après sa biographie, le mettent à mort en 268, ne diutius theatro et circo addicta Respublica per voluptatum deperiret illecebras[60]. Il faut convenir que le moment était singulièrement mal choisi pour adresser à Gallien une accusation de ce genre, car, depuis l’année précédente (267), Gallien n’avait cessé d’être en campagne, d’abord contre les Goths, en Macédoine et en Thrace, ensuite dans l’Italie du Nord contre l’usurpateur Aureolus. La Vie de Gallien (VI, 4, 7) nous montre l’empereur accueillant par des plaisanteries aussi niaises que déplacées les nouvelles relatives à la sécession de l’Egypte, de l’Asie et de la Gaule. La vérité historique est tout autre. Gallien, loin de se satisfaire à bon compte et par quelques mots d’un goût douteux, a tout fait pour ramener à l’unité impériale les provinces en question ; il y a réussi pour deux d’entre elles, l’Asie et l’Egypte. Son voyage en Grèce (264) n’échappe pas, — il fallait s’y attendre, — aux plus amères critiques[61]. Gallien se fait nommer archonte ; il veut être inscrit au nombre des citoyens athéniens, être initié à tous les mystères, entrer à l’Aréopage, et cela par vanité et mépris de l’État romain. Pourquoi lui supposer de si noirs motifs et ne pas voir là tout simplement, comme autrefois chez Hadrien, goût de l’hellénisme et curiosité inoffensive de lettré ? L’historiographie latine, enfin, fait de Gallien un monstre de cruauté. Remarquons tout d’abord que le reproche d’avoir fait tuer trois ou quatre mille soldats par jour est simplement grotesque. La situation où se débattait péniblement l’Empire était déjà assez lamentable, les ressources en hommes dont disposait l’empereur étaient déjà trop restreintes pour que Gallien, de gaieté de cœur, s’avisât de décimer lui-même ses dernières troupes. Au contraire, un certain nombre de faits nous présentent, sans hésitation possible, l’empereur sous un tout autre jour. Gallien, d’après l’Histoire Auguste, aurait réprimé le soulèvement d’Ingenuus avec une férocité inouïe[62]. Zonaras (XII, 24) ne connaît rien de pareil : Gallien, nous dit-il, marcha contre Ingenuus avec une armée dans laquelle entraient particulièrement des Maures. La bataille eut lieu à Sirmium. Aureolus, le maître de la cavalerie, livra à l’usurpateur un violent combat. Beaucoup d’ennemis furent tués, les autres mis en déroute. Ingenuus, pendant qu’il fuyait, fut tué par ses propres soldats. Une anecdote, rapportée par l’Anonyme continuateur de Dion[63], donne aux accusations de l’Histoire Auguste le démenti le plus formel. Un soldat amène à Gallien son propre frère, un combattant de l’armée d’Ingenuus, qu’il a fait prisonnier. L’empereur fait bon accueil au rebelle et lui accorde sa grâce. Fait non moins remarquable. Cet homme, qui aurait tué les soldats par milliers, est vivement regretté d’eux et ils se soulèvent pour le venger[64]. La mort de Gallien fut suivie d’une violente sédition militaire... Les soldats disaient qu’on leur avait ravi un prince nécessaire, vaillant et capable. Il est vrai que le biographe explique cette attitude par l’intérêt personnel des soldats qui espèrent le pillage et regrettent en Gallien un empereur particulièrement précieux à cet égard. L’Histoire Auguste elle-même nous donne à penser que Gallien pourrait bien n’avoir pas été aussi cruel qu’on veut bien le dire : un jour, raconte-t-elle, un marchand vend à l’impératrice des perles fausses pour des fines. La tromperie est découverte. L’impératrice demande la punition du coupable. Gallien ordonne de saisir le vendeur, comme pour le livrer aux lions, puis, au lieu de bêtes fauves, il lâche dans l’arène un chapon. Tout le monde s’étonne d’une semblable plaisanterie. Gallien alors fait crier par le curion : Trompeur, il a été trompé à son tour[65]. Il faut convenir que la leçon ne manquait pas d’esprit et que vraiment, pour un homme cruel, Gallien a perdu une excellente occasion de l’être à bon escient. Enfin, Zonaras (XII, 25), dans le jugement d’ensemble qu’il porte sur le caractère de Gallien, est aussi catégorique qu’on peut le désirer : Il était magnanime et voulait rendre service à tout le monde. Aucun solliciteur ne fut jamais repoussé par lui. Il ne châtia même ni ses ennemis, ni les partisans des usurpateurs. Deux autres faits sont particulièrement significatifs. La tradition romaine, qui maltraite si brutalement Gallien, est bien obligée de lui reconnaître un certain nombre de qualités naturelles : le courage et l’activité, au moins par intermittences et sous l’aiguillon de la nécessité : Le ressentiment des injures éveillait quelquefois chez lui un subit et audacieux courage ;... il devenait, quand la nécessité le pressait, actif, courageux, violent[66] ; de l’esprit[67] ; une culture étendue et le goût des choses intellectuelles[68] : On ne saurait nier qu’il ne possédât à un degré remarquable le talent de la parole, de la poésie et de toutes les belles connaissances. On a de lui un épithalame qui fut jugé le meilleur entre ceux de cent autres poètes... Ses vers et ses discours le placèrent au premier rang des poètes et des rhéteurs de son temps. D’autre part, les textes qui lui sont le plus défavorables font remarquer que ses débuts, comme empereur, ont été excellents de tous points : Le règne de Gallien, écrit Eutrope[69], eut un commencement heureux, une suite satisfaisante, une fin désastreuse. Jeune encore, il se signala par de nombreux exploits en Gaule et en Illyricum... Longtemps sage et modéré, il se livra ensuite à tous les excès de la débauche. Les historiens latins ont, sur la grande crise de l’Empire au IIIe siècle, deux thèmes qui reviennent systématiquement dans leurs œuvres : le thème de la fatalité, pour Valérien ; le thème de la dépravation, pour Gallien : L’Empire que Valérien a perdu par une malheureuse destinée et Gallien par le dérèglement de sa vie, écrit l’auteur du recueil des Trente Tyrans[70]. La Vie de Gallien oppose le fatum du père aux mores du fils ; le règne de Valérien et Gallien, dit Eutrope, fut fatal à l’Empire et faillit amener sa ruine, soit par le malheur, — il s’agit de Valérien, — soit par la lâcheté, — ce reproche vise Gallien, — des empereurs[71]. Ces deux thèmes, d’un développement facile et d’une simplicité saisissante, avaient aux yeux des Romains l’immense avantage de sauvegarder l’orgueil national, et ainsi s’explique que les historiens latins se les soient pieusement transmis. Raison de plus pour que nous ne les acceptions pas les yeux fermés. Les remarques qui précèdent suffisent à nous mettre en défiance. L’étude du règne de Gallien, dans ses traits essentiels, nous permettra d’aboutir sur bien des points à une solution positive. II. — GALLIEN COLLÈGUE DE VALÉRIEN EN OCCIDENT.Vers la fin de 256, Valérien quittait Rome pour aller combattre les Perses en Orient. Son fils Gallien, associé à l’Empire depuis quelques années déjà, restait en Italie. Ce ne fut pas pour longtemps. La situation, en effet, s’aggravait de jour en jour sur le Rhin. Les envahisseurs germains, Francs au nord, Alamans au sud, multipliaient leurs attaques. En 253, les Romains ont déjà à les combattre ; les monnaies de Valérien portent à cette date la légende Victoria Germanica ; en 255, il est question d’une expédition contre eux. Le limes, qui constituait en avant du fleuve une première ligne de défense, était déjà fortement entamé. La Gaule était menacée de l’invasion ; peu de temps après le départ de son père, sans doute encore dans le courant de 256, Gallien accourut de sa personne pour organiser la résistance[72]. Les effectifs dont il disposait étaient peu considérables, mais il avait à côté de lui deux excellents généraux, Postumus et Aurélien, qui se répartirent la défense de la frontière. Énergiquement appuyé par ses deux lieutenants, Gallien tint tête aux Germains sur toute la ligne du fleuve et extermina ceux d’entre eux qui avaient réussi à passer en Gaule[73]. La légende monétaire Victoria Germanica, le titre de Germanicus renouvelé par six fois à Gallien nous ont conservé le souvenir de ces campagnes victorieuses. Malheureusement, les forces en présence étaient trop disproportionnées. Les positions avancées sur la rive droite du Rhin succombent les unes après les autres. Au nord, la zone d’influence romaine qui s’étendait du Rhin au bassin du Weser par les vallées de la Lahn, de la Ruhr, de la Lippe et de l’Ems, tombe définitivement aux mains des Barbares ; au sud, de Coblentz à Ratisbonne, la ligne défensive du limes germano-rhétique est forcée de toutes parts. Du confluent de la Moselle au Mein, deux seuls castella, — Kapersburg et Niederbieber, — tiennent encore ; du Mein au bassin du Danube, les derniers castella conservés, — Miltenberg, Walldurn, Oster-burken, Jagsthausen, Oehringen, Pfahlbronn, — constamment battus en brèche, réussissent toutefois péniblement à se maintenir. Le grand péril est donc au nord du Mein, sur le Rhin inférieur ; la chute du limes septentrional ouvre une brèche où risque de passer l’invasion menaçante. Gallien fait face à la situation avec habileté et énergie[74]. Il use, selon les nécessités du moment, de la force et de la diplomatie. Lorsqu’il se sent débordé, il s’entend avec un chef germain, conclut un fœdus par lequel le Barbare s’engage à fermer la ligne du Rhin aux autres envahisseurs[75]. Enfin, dernière précaution, il couvre la rive gauche du fleuve de forteresses nouvelles et y organise systématiquement la défense. Cologne, la vieille Colonia Agrippinensis, reçoit une enceinte dont les restes subsistent encore aujourd’hui[76] ; Novaesium, l’actuelle Neuss, qui avait été aux deux premiers siècles de l’Empire un centre militaire important, est remise en état de défense et pourvue d’une nouvelle garnison[77] ; Antunnacum, l’Andernach moderne, est transformée en place forte[78], et enfin, par surcroît de précautions, Trêves, solidement fortifiée, est chargée de fermer aux Barbares la grande voie d’invasion de la Moselle[79]. Toute cette mise en état de défense de la vallée du Rhin a été conçue par Gallien selon un plan d’ensemble : Colonia, Novaesium, Antunnacum commandent les principaux passages du fleuve. Au cas où les Barbares réussiraient, soit à enlever, soit à tourner ces places de première ligne, ils trouveront désormais devant eux les fortifications de Trêves. Ce plan, habilement conçu et rapidement exécuté, fait le plus grand honneur à Gallien. Les historiens, acharnés contre sa mémoire, ne nous en ont rien dit et, sans le témoignage impartial de l’archéologie, il nous serait resté absolument inconnu. Gallien pouvait, à juste titre, se vanter d’avoir rétabli l’ordre dans les Gaules. Les monnaies de l’atelier de Lugdunum lui donnent fréquemment le titre de Restitutor Galliarum, et, second fait plus caractéristique encore, ne le donnent qu’à lui seul. Son père et collègue Valérien avait partagé avec lui le titre de Germanicus et la légende monétaire Victoria Germanica ; au contraire, Gallien est seul qualifié de Restitutor Galliarum. L’œuvre défensive réalisée dans la région rhénane est une œuvre personnelle dont il a eu toute la charge et dont on tient à lui laisser tout le mérite. En 258, Gallien apprend tout à coup qu’Ingenuus, commandant en chef de l’armée de Pannonie, vient de se soulever et d’usurper l’Empire[80]. Valérien est retenu au fond de l’Orient. La présence de Gallien est donc nécessaire sur le Danube ; il quitte le Rhin[81] précipitamment avec l’intention d’y revenir dès qu’il en aura fini avec l’usurpateur, mais, si courte que doive être son absence, il a soin cependant de prendre toutes les précautions nécessaires. La défense du Rhin en son absence reste divisée entre deux généraux, Postumus, qui conserve son commandement, et Silvanus, nommé en remplacement d’Aurélien qui vient d’être, quelque temps auparavant, envoyé sur le Danube. Ce n’est pas tout. Gallien, pour donner à la défense l’unité de direction indispensable et aussi pour écarter tout péril d’usurpation, laisse sur le Rhin son fils, Licinius Cornelius Valerianus, un jeune homme de bonne mine et de belles espérances, nous dit Zonaras (XII, 24), revêtu du titre de César et confié à la garde de Silvanus. Il était impossible de montrer plus de prévoyance et de manifester une sollicitude plus éclairée pour les deux intérêts essentiels dont l’empereur devait également se préoccuper : la défense de la frontière et le salut de la dynastie. Retenu jusque-là par les affaires de Gaule, Gallien n’avait pas encore paru sur la frontière danubienne, et cependant, là aussi, la situation devenait plus critique chaque jour. Les Marcomans, les Quades, les Sarmates envahissaient la Pannonie ; les Goths et les Carpes, la Dacie transdanubienne, l’ancienne conquête de Trajan. Gallien, qui ne pouvait quitter le Rhin sans compromettre la défense de la Gaule, s’était contenté de placer sur le Danube de bons généraux et, renouvelant le procédé qui lui avait déjà réussi, de recourir à la diplomatie lorsque la force des armes restait inefficace. Il négocia avec un roi des Marcomans, Attale, lui céda par traité des terres en Pannonie et prit comme concubine sa fille Pipa ; le roi, en revanche, s’engageait à défendre le Danube contre les autres envahisseurs[82]. Ce traité doit être rapproché de la convention analogue que nous avons vu Gallien conclure sur le Rhin : dans les deux cas, le but, le procédé, les conditions sont les mêmes. La diplomatie de Gallien nous apparaît donc comme particulièrement active. Ce goût de l’empereur pour les règlements diplomatiques, nous le retrouverons plus tard à propos des affaires d’Orient : c’est un des traits les plus remarquables et les plus originaux de son caractère. Quant à la Dacie, qui se trouvait singulièrement excentrique par rapport à sa sphère d’activité, Gallien ne put rien faire d’efficace. Dès 257, la province était perdue, à l’exception de la partie méridionale, la Petite-Valachie actuelle, où se concentrèrent les débris de l’ancienne armée d’occupation[83]. Telle était la situation sur la frontière danubienne en 258, au moment où se produisit l’usurpation d’Ingenuus[84]. Cette révolte était pour Gallien un événement doublement grave : d’abord parce qu’elle désorganisait la défense du Danube et ensuite parce qu’Ingenuus pouvait franchir les Alpes et se jeter sur l’Italie sans défense. Gallien ne perdit pas de temps. Il accourut en Pannonie ; Ingenuus fut battu et tué dans la déroute[85]. III. — LA GRANDE CRISE DE L’EMPIRE (258-268).Sauf la perte de quelques positions avancées sur le Rhin et sur le Danube, l’Empire avait réussi à maintenir partout en Europe l’intégrité de son territoire. L’activité et l’intelligence déployées par Gallien depuis son association à l’Empire avaient été pour beaucoup dans ce résultat. Tout change brusquement en 258 ; à peine Gallien a-t-il quitté la frontière rhénane pour marcher contre Ingenuus que les Germains franchissent le Rhin et inondent la Gaule. Cette invasion soudaine marque dans l’histoire de l’Empire au me siècle le début d’une crise qui va se prolonger pendant les dix dernières années du règne de Gallien (258-268). Les invasions se multiplieront sur toutes les frontières : Rhin, Danube, Euphrate, Afrique ; elles entraîneront sur tous les points du territoire une série d’usurpations ; enfin, ces usurpations elles-mêmes auront pour résultat la dislocation momentanée de l’unité romaine. Le désordre sera partout au dehors comme au dedans, aux armées comme dans l’administration. Les calamités naturelles, — tremblements de terre, inondations, peste, — se déchaîneront sur le monde méditerranéen. L’Empire défaillant semblera un instant perdu et l’œuvre de la romanisation brusquement arrêtée dans son essor. Exposons tout d’abord les faits : connaître les nécessités pressantes auxquelles l’empereur devra faire face, c’est le seul moyen de comprendre la politique de Gallien et de la juger avec toutes les garanties d’impartialité désirables. Avant de quitter la frontière du Rhin, Gallien avait pris de sages précautions pour assurer l’unité de la défense, et il pouvait penser qu’elles seraient suffisantes[86]. Malheureusement, Postumus et Silvanus ne s’entendirent pas ; le fils de Gallien était trop jeune, trop inexpérimenté, pour faire cesser ces tiraillements. Les Francs, toujours aux aguets sur la rive droite, mirent à profit la situation[87] ; les derniers castella du limes septentrional, particulièrement celui de Niederbieber, furent enlevés d’assaut. Par les vallées de la Meuse et de la Sambre, les envahisseurs pénétrèrent en Gaule, dévastèrent la Gaule méridionale, l’Espagne, où ils enlevèrent Tarragone[88], et, grâce aux navires qu’ils trouvèrent dans les ports d’Espagne, allèrent piller en Afrique la Maurétanie tingitane (258-259)[89]. L’heureux succès de l’entreprise déchaîna le long de la frontière danubienne toute une série d’invasions successives. En 259, les Alamans, tournant les défenses du Rhin moyen, pénètrent en Gaule par la vallée du Rhône et pendant deux années entières (259-260) ravagent toute la partie sud-est du pays[90]. En 261, ils franchissent les Alpes, font jonction dans la vallée du Pô avec d’autres bandes venues par le col du Brenner et s’avancent jusqu’à Ravenne[91] ; un certain nombre même traversent l’Apennin et se portent sur Rome[92]. Nouvelle invasion six ans plus tard (fin 267, début 268). Les Alamans détruisent les derniers castella du limes rhétique qui tiennent encore, — notamment le castellum d’Aalen, — occupent la Rhétie et se préparent à franchir les Alpes ; quelques mois plus tard, au printemps de 268, l’empereur Claude les écrasera au lac de Garde[93]. Sur le bas Danube, les Goths, maîtres de l’ancienne province de Dacie, envahissent les pays de la rive droite et menacent l’Orient hellénique (261)[94]. En Asie, l’invasion est plus redoutable encore et va amener la plus terrible des catastrophes que l’Empire ait encore connues. Une première fois, en 256, les Perses avaient envahi la Syrie et dévasté les deux grandes métropoles de l’Orient romain, Antioche et Césarée[95]. Valérien, accouru en toute hâte, franchit l’Euphrate en 259 et porte la guerre en Mésopotamie, mais son armée est écrasée[96]. Lui-même tombe aux mains de l’ennemi qui le gardera prisonnier jusqu’à sa mort[97]. Dès lors, c’est l’Orient livré sans défense aux envahisseurs ; Antioche est de nouveau mise à sac, la Cilicie, la Cappadoce sont affreusement dévastées et le roi des Perses, Sapor, regagne l’Euphrate avec un immense butin[98]. En Afrique, une insurrection formidable éclate dans la région de la Kabylie actuelle. Les puissantes peuplades indigènes des Bavares, des Quinquegentanei se soulèvent avec l’appui d’un chef de partisans, un certain Faraxen, et se jettent sur la province romaine de Numidie (258-259)[99]. Les mers elles-mêmes deviennent la proie des Barbares. En Occident, les pirates saxons pillent les côtes de Gaule et de Bretagne. En Orient, les Goths, les Boranes, les Hérules, établis au nord du Pont-Euxin, viennent par mer attaquer les provinces romaines ; en 256, ils dévastent le littoral de la Colchide[100] ; en 257-258, ils enlèvent Trébizonde, forcent le Bosphore et se répandent dans la Méditerranée ; Chalcédoine, Nicée, Apamée, Pruse, Nicomédie sont mises au pillage[101]. Interrompues pendant cinq années, les invasions maritimes reprennent en 263. Les côtes d’Asie Mineure sont de nouveau dévastées ; Chalcédoine, une seconde fois, Ilion, Ephèse, avec son célèbre temple d’Artémis, sont saccagées[102]. Nouvelle invasion en 264 : Goths et Boranes débarquent en Bithynie où ils pillent de nouveau Nicomédie et traversent par terre la partie occidentale de l’Asie Mineure, en rançonnant systématiquement toutes les villes[103]. Deux ans plus tard, en 266, les Barbares viennent débarquer dans la province de Pont, près d’Héraclée, et vont ensuite piller la Bithynie[104]. L’invasion se renouvelle plus grave que jamais en 267[105]. Goths et Hérules, montés sur cinq cents navires, traversent diagonalement le Pont-Euxin et débarquent à l’embouchure du Danube[106]. Repoussés par les villes de Mésie[107], ils réussissent à franchir les détroits, pillent Cyzique[108] et le rivage de la province d’Asie, Lemnos, Scyros, Athènes, Eleusis, Corinthe, Sparte, Argos ; toute la Grèce est dévastée[109]. Les habitants abandonnent partout villes et villages pour se réfugier dans la montagne. Un Athénien, Dexippe, réunit une armée de deux mille hommes et détruit une bande de pillards. C’était un brillant coup de main, pas davantage, et les Barbares n’en continuèrent pas moins leurs ravages[110]. Pictes et Scots, en Bretagne ; Francs, en Gaule, en Espagne, en Maurétanie ; Alamans, dans les pays danubiens, en Gaule, en Italie ; Goths, dans la péninsule des Balkans ; Perses, en Syrie et en Asie Mineure ; Berbères, en Afrique ; Goths, Boranes, Hérules, dans la Méditerranée orientale ; Saxons, sur les côtes de la mer du Nord, de la Manche et de l’Atlantique, — pas une province n’est indemne. L’invasion est universelle et permanente. Les provinces partout envahies et saccagées sans merci, souvent abandonnées par un pouvoir central débordé, songent à se défendre elles-mêmes contre les Barbares. Elles se donnent des chefs, des empereurs régionaux : la crise d’invasions se double ainsi d’une crise d’usurpations non moins grave que la première. Sur le Rhin, au lendemain de la grande invasion qui vient de dévaster la Gaule, Postumus est proclamé empereur par ses soldats (258)[111]. Il met à mort le fils de Gallien fait prisonnier à Cologne[112]. La Gaule tout entière le reconnaît ; la Bretagne et l’Espagne vont bientôt suivre cet exemple. Tout l’Occident se trouve ainsi constitué en Empire gallo-romain indépendant de l’Empire. L’Orient était livré à lui-même depuis la catastrophe de 260. Les deux principaux lieutenants de Valérien, Ballista et Macrianus, ramenèrent les débris des troupes romaines et s’efforcèrent d’organiser la défense[113]. Ces deux hommes n’étaient ni les premiers venus, ni de vulgaires ambitieux : Ballista, préfet du prétoire, avait témoigné de qualités militaires remarquables ; Macrianus s’était révélé le premier des généraux et un des meilleurs conseillers de Valérien[114]. Tous deux tombèrent d’accord que l’Orient romain était perdu si on ne lui donnait pas un empereur particulier[115] ; l’exemple de l’Empire gallo-romain, d’ailleurs, était fort encourageant à cet égard. L’Orient fut constitué en Empire autonome. Sur le refus des deux généraux, les deux fils de Macrianus, Macrianus jeune et Quietus, furent proclamés empereurs[116]. Le centre du nouvel Empire était la Syrie et sa capitale, Hémèse[117], mais les pays voisins, l’Asie Mineure au nord, l’Egypte au sud, ne tardèrent pas à s’y rallier. Vers le milieu de 261, l’État sécessionniste d’Orient est définitivement constitué ; ses frontières sont les limites traditionnelles de l’Orient romain, du Bosphore à la Cyrénaïque. Sur le Danube, deux usurpations se produisent successivement : en 258, Ingenuus, gouverneur de Pannonie, un des meilleurs généraux de Valérien, est proclamé empereur[118], un peu plus tard, à la fin de 258 ou au début de 259, les troupes de Mésie donnent l’Empire à un autre de leurs chefs, Regalianus[119] ; une dernière usurpation aura lieu en 268, celle d’Aureolus dans l’Italie du Nord[120]. En Grèce, double usurpation de Valens, proconsul d’Achaïe et de Calpurnius Piso (261)[121]. En Asie Mineure, c’est Trebellianus, un aventurier d’Isaurie, qui se soulève dans les montagnes et fait frapper monnaie à son effigie[122] ; en Egypte, Aemilianus[123], le préfet impérial (262) ; en Afrique, Celsus[124]. Deux autres, enfin, nous ne savons où : Saturninus[125] et Memor[126]. Partout l’invasion, partout les usurpations, et cependant nous n’avons pas encore achevé l’énumération des maux qui fondent sur l’Empire. La Sicile est désolée par une guerre servile causée par les brigands qui s’étaient répandus dans cette province et qu’on eut beaucoup de peine à réprimer[127]. En 262, un tremblement de terre épouvantable désole l’Italie, l’Afrique et l’Orient : Au milieu de tous ces maux produits par la guerre, écrit l’auteur de la Vie de Gallien, il y eut un épouvantable tremblement de terre et des ténèbres qui durèrent plusieurs jours. On entendit aussi sortir des entrailles de la terre un mugissement semblable au bruit du tonnerre, quoiqu’il ne tonnât pas. Dans ce tremblement de terre, beaucoup de maisons furent englouties avec ceux qui les habitaient ; la frayeur seule fît mourir beaucoup de monde. Ce désastre eut des effets encore plus tristes dans les villes d’Asie. Rome fut violemment ébranlée ainsi que la Libye ; la terre s’ouvrit sur plusieurs points et de l’eau salée jaillit de ces ouvertures[128]. Les eaux de la mer recouvrirent de nombreuses villes[129]. Une peste terrible se déchaîne sur le monde méditerranéen. L’épidémie sévissait déjà depuis plusieurs années en Orient et avait enlevé une partie de l’armée de Valérien[130]. En 261, elle fait son apparition en Egypte ; l’évêque d’Alexandrie, Denys, témoin oculaire, nous a laissé un tableau pathétique des ravages causés par le fléau[131] : Partout le deuil, les lamentations, les pleurs ; la quantité des morts et de ceux qui meurent quotidiennement est telle que la ville est remplie de gémissements... Il n’y a aucune maison où l’on ne compte une victime et plût au ciel qu’il n’y en eût qu’une... L’épidémie a été supérieure à toute prévision... Beaucoup de nos frères, entraînés par l’excès de leur charité, oublieux de leur propre santé, soucieux de s’entraider les uns les autres, ont été frappés avec ceux qu’ils soignaient... Beaucoup d’entre eux, après avoir soigné les malades et les avoir sauvés, sont morts eux-mêmes... Les païens ont eu une conduite tout opposée. Ils se débarrassaient de ceux qui commençaient à être malades et ils fuyaient les êtres qui leur étaient le plus chers ; ils les abandonnaient dans les rues à demi nus ou les laissaient sans sépulture pour éviter la contagion, à laquelle cependant, en dépit de toutes les précautions, ils n’arrivaient pas à se soustraire. En 262, l’épidémie gagne l’Europe. Au témoignage de Zosime (I, 37), elle est plus violente qu’aucune de celles qui l’ont précédée ; elle emporte des villes entières, surtout en Italie et en Grèce. La Vie de Gallien nous dit qu’il y eut jusqu’à cinq mille victimes par jour[132]. La persécution religieuse, renouvelée par les édits de Valérien (257-258), mettait aux prises les païens et les chrétiens de l’Empire. L’agriculture était ruinée ; les champs restaient en friche et la famine décimait la population[133]. Plus de commerce, ni par terre, ni par mer ; une situation économique presque désespérée ; la puissance financière de l’Empire ruinée comme sa puissance militaire ; une monnaie dépréciée à la fois par les altérations officielles et les fraudes des particuliers : Il semblait que le monde entier, écrit le biographe de Gallien[134], eût conspiré la perte de l’Empire,... c’était la fortune elle-même qui sévissait,... partout le désespoir et nulle part la moindre espérance de salut[135]. » Les malheurs publics, enfin, ne l’oublions pas, se doublent pour Gallien d’infortunes domestiques : son fils mis à mort par Postumus en 258, son père fait prisonnier par les Perses en 260. Reconnaissons qu’il y avait dans cet enchaînement de calamités, dans cet acharnement du destin, de quoi accabler un homme quelque bien doué, quelque bien trempé qu’il pût être. IV. — GALLIEN ET LES INVASIONS.La double sécession de l’Occident on 258, de l’Orient en 260 réduisait singulièrement le territoire de l’Empire romain. Les seules régions qui restent, d’une manière constante, fidèles à Gallien, sont l’Italie, les pays danubiens, la péninsule des Balkans, les îles méditerranéennes et les provinces d’Afrique, mais pendant dix années (258-268), les invasions s’y succèdent et s’y multiplient. Voyons un peu si Gallien, comme le veulent les historiens latins, est l’homme qui laisse faire et ne songe qu’à ses plaisirs. En Afrique, au cours des années 259-260, la campagne est vigoureusement menée contre les envahisseurs. Le légat de Numidie, G. Macrinius Decianus, bat les Bavares dans la région de Mila, une seconde fois sur la frontière de Maurétanie et de Numidie, et les rejette dans leur pays, le massif montagneux du Babor. De leur côté, les Quinquegentanei furent également expulsés de Numidie et Faraxen fait prisonnier. Une inscription[136] nous donne les détails de cette capture : un chevalier romain, Q. Gargilius Martialis, à la tête d’une cohorte de Singulares et d’un détachement de cavaliers Maures, s’empara du chef berbère et le mit à mort. La disparition de Faraxen ne termina d’ailleurs pas la lutte. Quelque temps après, les Bavares attiraient Gargilius dans une embuscade et le faisaient périr. Mais ce n’est plus dès lors qu’une guerre de guérillas et de coups de main qui ne met pas en danger la domination romaine. A la fin de 260, l’ordre est rétabli en Afrique. En 261, nous avons laissé les Alamans maîtres de l’Italie du Nord et en pleine marche sur Rome. Gallien est absent, retenu en Gaule par les opérations contre Postumus ; l’Italie est dégarnie. Devant l’immense péril qui menace la capitale, le Sénat fait preuve d’initiative. Il mobilise la garnison, enrôle les plus vigoureux d’entre les citoyens et leur fournit des armes[137]. Les Barbares trouvent Rome en état de défense ; ils s’éloignent vers le nord, en dévastant de nouveau les campagnes. A la première nouvelle de l’invasion, Gallien s’était hâté de revenir. Il se porta dans l’Italie du Nord, sur la ligne de retraite des Alamans. Malgré la disproportion des forces, — Zonaras (XII, 24) lui donne dix mille hommes et en attribue trois cent mille aux envahisseurs, deux chiffres dont probablement le premier seul est vrai, — il remporte à Milan une victoire décisive (fin 261)[138]. Vers la même époque, d’autres Barbares, surtout des Goths, avaient mis au pillage les provinces du Danube moyen (Norique et Pannonie). La situation fut un instant très grave. Les envahisseurs furent enfin chassés, — nous ne savons quand ni comment, — probablement sans intervention personnelle de Gallien[139]. En 263, lors de la reprise des grandes invasions maritimes en Asie Mineure, Gallien se rend à Byzance sur la ligne de retraite même de l’ennemi[140]. Il envoie en Asie des troupes qui battent les Goths et les contraignent à se rembarquer. Trois ans plus tard, en 266, c’est Odaenath, le représentant de Rome, le mandataire de Gallien en Orient, qui manœuvre contre les Barbares en Cappadoce et les oblige à regagner leurs vaisseaux[141]. Enfin, la conduite de Gallien, lors de la grande invasion gothique de 267, lui fait particulièrement honneur. Il envoie aussitôt deux ingénieurs byzantins, Cleodamus et Athenaeus, pour mettre en état de défense les villes romaines de la mer Noire et fermer, autant que possible, aux Barbares l’accès des détroits[142]. Dans le Bosphore même, il poste une flotte, sous les ordres de Venerianus, un homme de mer habile et énergique, avec l’ordre d’arrêter les envahisseurs. Ces mesures étaient bien combinées et l’exécution en avait été confiée par l’empereur à des hommes fort bien choisis. Cleodamus et Athenaeus battirent les Barbares qui durent se rembarquer[143], et, lorsque les Goths se présentèrent devant le Bosphore, Venerianus, avec la flotte romaine, les rejeta sur le Pont-Euxin. Malheureusement Venerianus avait péri dans le combat[144]. La flotte romaine, affaiblie et démoralisée par la mort de son chef, se retira et les Barbares purent librement se répandre dans la Méditerranée[145]. Nous avons vu plus haut quels ravages ils avaient exercés en Grèce. Il s’agissait d’en débarrasser la péninsule des Balkans et, s’il était possible, de les anéantir. Gallien combina très habilement son plan en conséquence. Son général Marcianus, à la tête de troupes tirées du bas Danube, devait couper la retraite aux envahisseurs, en attendant que l’empereur pût venir le rejoindre avec d’importants renforts ; la flotte romaine de Venerianus, réorganisée et pourvue de nouveaux chefs, ces mêmes Cleodamus et Athenaeus que nous avons déjà vus à l’œuvre, reçut l’ordre de croiser sur les côtes de Grèce pour détruire la flotte des Barbares. Le plan, bien conçu, vigoureusement exécuté, réussit complètement. Sur mer, Cleodamus et Athenaeus attaquèrent les envahisseurs, en firent un grand massacre, coulèrent, capturèrent ou dispersèrent leurs vaisseaux[146]. Sur terre, le résultat fut tout aussi brillant. Marcianus ferma aux Barbares la route du nord, les battit au nord de la Grèce et les rejeta vers le sud[147]. Errant par bandes à travers la Béotie, la Macédoine, l’Epire, ils cherchèrent à se faire jour par le nord-ouest[148], mais, à ce moment même, Gallien accourait au secours de son lieutenant. L’empereur avait été retenu longtemps par la crainte d’une descente de Postumus en Italie et par les menaces d’invasion germanique sur la frontière du haut Danube. Il s’était décidé enfin à confier la garde de l’Italie du Nord au chef de sa cavalerie, Aureolus, et à aller rejoindre Marcianus. Chemin faisant, sur les rives du Nestos, il rencontra une bande d’Hérules, commandés par un certain Naulobatus. Il les battit et leur tua trois mille hommes[149]. Mais bientôt Gallien recevait d’Italie une très grave nouvelle. Aureolus venait de faire défection et d’usurper le pouvoir impérial. Gallien, arrêté une fois de plus au cours de ses succès, dut négocier ; il engagea Naulobatus au service de l’Empire, lui accorda les ornements consulaires[150] et rebroussa chemin vers l’Italie. Marcianus prit le commandement en chef avec Claude pour second[151]. Les Barbares, voyant, depuis la défaite du Nestos, leur retraite définitivement coupée, désespérèrent d’atteindre le Danube. Se couvrant de leurs chariots comme d’un rempart, ils se jetèrent dans le massif montagneux du mont Gessax, probablement le Rhodope[152]. Marcianus les y poursuivit et leur livra plusieurs combats dont l’issue ne fut pas toujours à l’avantage des troupes romaines[153]. Claude proposait de les cerner dans la montagne : Si, disait-il avec justesse, on les laissait rentrer chez eux et mettre leurs compatriotes au courant de leurs succès antérieurs, ils reviendraient se venger et déchaîneraient sur l’Empire une nouvelle invasion[154], raisonnement qui était d’ailleurs fort juste, comme l’avenir le prouva. Marcianus, au contraire, préférait les laisser partir. Peut-être n’avait-il plus, depuis le départ de Gallien, les effectifs nécessaires et avait-il, raison plus décisive, reçu l’ordre de se porter sur l’Italie. Toujours est-il qu’il permit aux débris de l’armée barbare de regagner leur pays et qu’au début de 268 il alla rejoindre Gallien devant Milan[155]. V. — GALLIEN ET LES USURPATIONS.La politique de Gallien vis-à-vis des usurpateurs aurait été, selon l’Histoire Auguste, faite d’indifférence et de douce gaîté. Voyons les faits. Le recueil des Trente Tyrans mentionne pour le règne de Gallien vingt-six usurpateurs, dont vingt-quatre tyrans et deux tyrannides, Zénobie et Victoria ; Zosime et l’Anonyme continuateur de Dion en nomment un vingt-septième, Memor. Ce total de vingt-sept doit être réduit pour différentes raisons. Macrianus le père et Ballista n’ont jamais été empereurs. Six autres constituent la dynastie palmyrénienne et aucun d’eux, au temps de Gallien, n’a revendiqué ni possédé la plénitude des titres impériaux ; enfin, des dix-neuf restants, sept appartiennent à la dynastie gallo-romaine fondée par Postumus. Outre ce dernier, nous avons donc affaire à douze usurpateurs : Ingenuus et Regalianus sur le Danube, Valens et Piso en Grèce, Macrianus jeune et Quietus en Orient, Trebellianus en Asie Mineure, Aemilianus en Egypte, Celsus en Afrique, Aureolus dans l’Italie du Nord, Saturninus et Memor, nous ne savons où. Plusieurs de ces usurpateurs, —Regalianus, Valens, Piso, Celsus, Saturninus, Memor, — sont tués par leurs propres soldats après un règne éphémère. Étudions, en toute impartialité, quelle a été la politique de Gallien vis-à-vis des autres, c’est-à-dire en procédant par ordre chronologique : Ingenuus, Postumus, Macrianus et Quietus, Aemilianus, Trebellianus, Aureolus. . Au moment où Ingenuus se souleva sur le Danube (258), Valérien se trouvait déjà en Orient, immobilisé par l’invasion perse. Gallien seul, occupé à la défense du Rhin, pouvait intervenir. Il le fit avec décision et énergie. Il accourut[156] par la haute vallée du Danube, amenant avec lui une partie de l’armée rhénane, quelques contingents tirés de Bretagne[157] et des détachements de cavalerie maure[158]. La bataille se livra près de Mursa[159]. La cavalerie romaine, sous les ordres d’Aureolus, un des meilleurs généraux de Gallien, enfonça les troupes d’Ingenuus ; l’usurpateur prit la fuite et, dans la déroute, ses propres gardes le massacrèrent[160]. La répression fut rigoureuse, car Gallien tenait à faire un exemple. Quant aux accusations de cruauté et de sauvagerie que l’Histoire Auguste[161] lui prodigue, nous avons déjà vu ce qu’il fallait en penser[162]. Gallien venait à peine d’en finir avec Ingenuus et il était encore sur le Danube, lorsqu’il apprit que Postumus s’était révolté en Gaule et avait mis à mort son fils Cornelius Valerianus, fait prisonnier à Cologne[163]. L’empereur revint précipitamment par l’Italie du Nord[164] et envoya à Postumus des députés pour s’enquérir de ce qui s’était passé. Il lui demandait également de retirer les garnisons qui occupaient les passages des Alpes menant en Gaule : Que Postumus le laissât entrer en Gaule avec son armée et le sort des armes prononcerait entre eux ; le vainqueur aurait l’Empire. Postumus repoussa les deux demandes. Gallien lui envoya alors une seconde députation chargée de lui proposer un combat singulier. Postumus répondit qu’il n’était pas un gladiateur : Il avait, disait-il, sauvé les provinces que Gallien lui avait confiées et avait été élu empereur par les Gaulois. Il ne demandait rien de plus, mais se devait à ceux qui avaient eu confiance en lui[165]. C’était la guerre. Gallien marcha contre Postumus avec Theodotus[166] comme second. Le théâtre des opérations semble avoir été le Rhin moyen. D’abord vaincu, Gallien reprit bientôt l’avantage et mit l’armée de Postumus en fuite[167] ; il ordonna à l’un de ses lieutenants, Aureolus, de le poursuivre. L’ordre ne fut pas exécuté et Postumus put se réfugier dans une ville forte de Gaule, dont nous ne connaissons pas le nom. Gallien vint l’y assiéger. Au cours d’une reconnaissance effectuée le long de l’enceinte, il fut blessé d’une flèche dans le dos et dut lever le siège[168]. La guerre continua quelque temps encore, marquée pour Gallien par une série de succès et de revers[169]. L’invasion alamannique de 261 l’obligea à lâcher prise. Il renonça, provisoirement au moins, à abattre Postumus et se porta au secours de l’Italie envahie. Cette première guerre avait duré près de trois ans (258-261). Dès l’année suivante (début de 262), il était de retour en Gaule avec deux de ses meilleurs généraux, Aureolus et Claude[170]. Postumus avait mis à profit l’absence de l’empereur pour reprendre haleine et renforcer son armée ; il l’avait grossie de nombreux contingents gaulois et francs et avait lié partie avec un autre général romain, Victorinus. Nous ne connaissons à peu près rien des opérations militaires. L’auteur des Trente Tyrans[171] se borne à nous dire que Postumus et Victorinus luttèrent en commun contre Gallien, qu’ils traînèrent la guerre en longueur et lurent finalement vaincus ; le biographe de Gallien ajoute qu’il y eut plusieurs rencontres d’issue variable où Gallien prit définitivement l’avantage[172]. Nous ne savons rien de plus. La mort même de Postumus n’arrêta pas les hostilités. Gallien combattit le nouvel empereur gallo-romain Laelianus[173]. Cette fois encore, la lutte resta indécise, non par inexpérience ou par lâcheté de Gallien, comme la tradition latine le donne à entendre, mais tout simplement en raison des calamités multiples qui fondaient à la fois sur l’Empire. Déjà, en 261, l’invasion des Alamans avait contraint Gallien à abandonner Postumus à demi vaincu[174]. En 263, il est une seconde fois obligé d’interrompre la campagne pour aller réprimer la révolte de Byzance[175] et, les années suivantes, il ne semble pas avoir eu le loisir de revenir en Gaule. La guerre traîne en son absence et, au moment où Gallien disparaît en 268, aucun résultat décisif n’a été atteint. En tous cas, on ne saurait méconnaître la ténacité dont Gallien a fait preuve vis-à-vis de Postumus. Il ne lui a jamais pardonné ni la sécession de l’Occident ni le meurtre de son fils. On ne peut raisonnablement l’en blâmer. A l’autre extrémité de l’Empire, Gallien se trouvait en présence d’un second Etat séparatiste, l’Empire oriental de Macrianus et Quietus. Tous deux étaient des jeunes gens sans expérience, mais ils avaient derrière eux deux hommes de premier ordre, leur père Macrianus et Ballista, les fondateurs et les soutiens de l’Empire romain d’Orient. Malheureusement pour le nouvel État, Macrianus le père commit une faute très lourde. Il crut pouvoir renverser Gallien et passa en Europe, emmenant avec lui son fils Macrianus avec une fraction considérable de l’armée d’Orient[176] ; l’autre empereur, Quietus, restait avec Ballista à Hémèse[177]. L’aventure tourna fort mal. Gallien envoya des troupes importantes, sous les ordres d’Aureolus, à la rencontre de l’envahisseur[178]. Une grande bataille eut lieu : Macrianus, son fils et l’élite de l’armée y succombèrent[179] (261). Le coup était rude pour l’Empire romain d’Orient ; toutefois, rien n’était encore perdu ; Quietus continuait à régner sous la tutelle de Ballista. Gallien eut la sagesse de ne pas aller l’attaquer en Syrie. C’est alors qu’il entre en relations avec Odaenath de Palmyre et qu’il élabore cette politique orientale, si personnelle et si méconnue, dont nous aurons à étudier plus loin le caractère et à apprécier les résultats. Un an plus tard, un nouvel usurpateur, Aemilianus, prenait le titre impérial en Egypte. Le recueil des Trente Tyrans nous a transmis sur cet événement un récit quelque peu puéril[180]. L’esclave d’un curateur d’Alexandrie s’avise de dire à un soldat qu’il a de meilleures chaussures que lui. Le soldat s’offense de cette déclaration pourtant bien anodine et, à bout de raisons, frappe son interlocuteur. Le peuple s’assemble, marche vers la maison d’Aemilianus et, dans sa rage, l’attaque aussitôt avec tous les instruments des séditions. On lui jette des pierres ; on lève sur lui des glaives ; tout devient une arme entre les mains des furieux. Entraîné par les circonstances et persuadé que, d’une manière ou de l’autre, il fallait périr, Aemilianus se fait proclamer empereur, et l’armée d’Egypte le soutient en haine de Gallien. Quoi qu’il en soit, cet Aemilianus n’était pas le premier venu. Préfet d’Egypte depuis plusieurs années déjà, il avait, lors de la persécution de Valérien, durement fait appliquer les édits contre les chrétiens. L’évêque d’Alexandrie, Denys, et ses prêtres avaient comparu devant lui ; après interrogatoire, il les avait exilés d’abord en Libye, plus tard dans le désert. Nous ne savons s’il conserva son poste pendant la courte période où l’Egypte releva de Macrianus ; toujours est-il qu’en 262, nous le retrouvons préfet d’Egypte au nom de Gallien ; c’est au printemps de cette même année qu’il prend l’Empire[181]. Il administre habilement la province, défend la Haute-Égypte contre les invasions barbares[182], et même, ajoute l’auteur du recueil des Trente Tyrans, qui ne perd jamais l’occasion de dire une sottise, prépare une grande expédition contre les Indes[183]. L’usurpation d’Aemilianus était doublement désagréable pour Gallien ; tout d’abord, elle lui coûtait l’Egypte qu’il venait à peine de recouvrer, et, ensuite, elle compromettait gravement l’alimentation de Rome. La province d’Afrique et l’Egypte étaient les deux greniers de la capitale. Aemilianus, en arrêtant l’exportation du blé égyptien, pouvait créer à Gallien les plus graves embarras. C’est ce qu’il fit aussitôt ; il mit la main sur les entrepôts de céréales[184], et de nombreuses villes, privées de leurs arrivages réguliers, furent réduites à la famine. La perspective d’une révolte à Rome était particulièrement grave pour Gallien. Il fallait agir et agir vite. Une armée commandée par Theodotus envahit l’Egypte[185]. Aemilianus fut battu, fait prisonnier et étranglé dans sa prison[186]. Theodotus reçut en récompense le gouvernement de l’Egypte avec le titre de préfet[187]. La province devait, désormais, rester fidèle à l’Empire jusqu’à la mort de Gallien. Postérieurement à la révolte d’Aemilianus, sans que l’on puisse d’ailleurs fixer la date avec certitude, se produisit en Isaurie l’usurpation de Trebellianus[188]. C’était un soulèvement nettement local et sans grande importance. Gallien, cependant, crut devoir agir. Il envoya en Asie Mineure un bon général, Camsisoleus, frère de Theodotus. Trebellianus fut vaincu, emmené prisonnier dans le camp romain et mis à mort. Les Isauriens, enfermés dans leurs montagnes, n’en continuèrent pas moins la résistance ; on dut, pour les réduire, construire autour de leur pays une ligne de retranchements[189]. Plus tard, Claude, pour prévenir toute nouvelle révolte, confia à un de ses amis les plus sûrs le gouvernement de l’Isaurie et, par surcroît de précaution, transplanta un grand nombre des habitants dans la province voisine de Cilicie[190]. Enfin, au début de 268, Aureolus[191], nous l’avons vu, usurpa l’Empire dans l’Italie du Nord. Gallien se trouvait aux prises avec les Goths lorsqu’il reçut cette nouvelle. L’usurpation d’Aureolus était particulièrement grave ; elle pouvait faire perdre à Gallien l’Italie, peut-être même une partie de l’armée danubienne, c’est-à-dire les dernières ressources dont disposait l’Empire romain démembré. Aussi, avec une intelligence politique et un esprit de décision remarquables, Gallien prit-il immédiatement son parti. Laissant à Marcianus la direction de la guerre contre les Barbares[192], il se hâta de regagner l’Italie par la grande route de Sirmium, Aquilée, Vérone et Milan. Aureolus, pour couvrir cette dernière ville, avait occupé la ligne de l’Adda. Gallien força le passage au point même où la grande route de l’Italie du Nord traversait la rivière sur un pont qui prit, à la suite de cette victoire, le nom de Pons Aureoli (aujourd’hui Pontirolo)[193]. Aureolus, après avoir fait des pertes sensibles, blessé lui-même[194], fut rejeté dans Milan. Gallien se présenta devant la ville, y établit un camp retranché[195], pourvu de nombreuses machines de guerre[196], et poussa énergiquement le siège. Aureolus fît de fréquentes sorties, au cours desquelles Gallien se comporta vaillamment ; un jour même, l’impératrice Salonine faillit être enlevée dans sa tente[197]. L’usurpateur allait être contraint de capituler. C’est sur ces entrefaites que Gallien fut assassiné par ses propres généraux[198]. VI. — LA POLITIQUE ORIENTALE DE GALLIEN.A en croire le témoignage des historiens latins, la politique orientale de Gallien, pendant les huit années qui séparent la prise de Valérien de la fin du règne, lui ferait fort peu honneur. Indifférence, lâcheté, cynisme sont des épithètes qui se retrouvent à chaque ligne. Gallien ne fait rien pour délivrer son père ; il se réjouit de le voir prisonnier[199]. Il ne se soucie en rien des choses d’Orient : Instruit de la mort de Macrianus et de ses fils, écrit son biographe, Gallien se livra aux plaisirs et à la débauche avec autant de tranquillité que s’il n’eût plus rien à craindre et que son père fût sorti d’esclavage[200]. On annonce à Gallien que l’Asie est dévastée à la fois par les calamités naturelles et les invasions barbares : il se contente de répondre par un bon mot[201]. A ses décennales, en 263, il fait paraître un cortège de faux prisonniers, particulièrement des Perses ; nous avons vu plus haut le supplice qu’il aurait infligé à quelques mauvais plaisants dans la circonstance[202]. Il triomphe des ennemis vaincus par Odaenath, le prince de Palmyre, sans même faire mention de Valérien[203]. Une dernière honte était réservée à l’Orient romain, le gouvernement d’une femme : Tout sentiment de pudeur semblait éteint et la République était tombée si bas, sous l’infâme Gallien, que des femmes purent s’en déclarer avec succès les chefs. On vit jusqu’à une étrangère du nom de Zénobie, qui se vantait d’être de la race des Cléopâtres et des Ptolémées, revêtir, après la mort de son époux Odaenath, le manteau impérial, se parer de tous les insignes du pouvoir, ceindre son front du diadème et régner au nom de ses fils, Herennianus et Timolaus, plus longtemps que ne semblait le comporter son sexe[204]. A la lâcheté de Gallien s’opposent l’énergie et l’intelligence politique d’Odaenath : Sous le consulat de Gallien et Saturninus, Odaenath, roi des Palmyréniens, obtint l’Empire de tout l’Orient, car il s’était montré digne du rang suprême par ses exploits, tandis que Gallien demeurait dans l’inaction ou ne faisait que des choses honteuses, insensées ou ridicules[205]. Odaenath ne poursuivait qu’un but, la délivrance de Valérien, et il faisait chaque jour de nouveaux efforts, quoique des difficultés sans nombre dans un pays étranger arrêtassent à chaque instant cet excellent général[206]. C’en était fait de la domination romaine en Orient si Odaenath ne se fût emparé de l’Empire après la captivité de Valérien et les pertes essuyées par la République[207]. Odaenath mort, sa femme Zénobie gouverne d’une main ferme les Palmyréniens et la plupart des nations de l’Orient[208]. La thèse est donc très nette. Gallien, par ses vices, perd l’Orient romain ; Odaenath et Zénobie le sauvent par leurs vertus. Cette manière simpliste de présenter les événements est-elle conforme à la vérité historique ? Nous ne devons juger Gallien que sur les faits eux-mêmes. Voyons tout d’abord quelle est la situation en 260, au moment où Gallien reste seul empereur, seul responsable de la politique orientale romaine. Valérien vient d’être fait prisonnier par les Perses. L’armée romaine a été écrasée ; Macrianus et Ballista en ramènent les débris en Syrie. Ils se concertent à Hémèse et fondent un Etat séparatiste d’Orient, dont les deux fils de Macrianus, Macrianus jeune et Quietus, sont proclamés empereurs. L’Asie Mineure et l’Egypte se rallient au nouvel Empire, qui comprend dès lors tout l’Orient romain. Tout ce mouvement de sécession s’est opéré en dehors de Gallien ; aurait-il pu intervenir pour l’entraver et sauver l’unité romaine ? Précisons davantage : pouvait-il même momentanément abandonner l’Occident ? L’examen des faits est ici encore parfaitement décisif. Postumus, en 258, vient de fonder l’Empire gallo-romain, qui comprend désormais la Gaule, la Bretagne et l’Espagne. Depuis plus d’une année, Gallien guerroie contre lui en Gaule même, sans résultats décisifs. Les Alamans ont envahi la Gaule et menacent l’Italie où ils vont pénétrer en 261. Sur la frontière danubienne, deux usurpations, celles d’Ingenuus et de Regalianus, ont eu lieu en 258 ; elles ont été réprimées, mais elles peuvent se renouveler d’un instant à l’autre. La Sicile est en proie à la guerre servile ; l’Afrique dévastée par les Bavares, les Quinquegentanei et les bandes de Faraxen ; les Francs ravagent la Maurétanie. Dans ces conditions, c’eût été une pure folie d’abandonner l’Occident à lui-même pour se porter en Orient. Cette folie, Gallien ne pouvait pas la commettre et on ne saurait le lui reprocher. Il a donc dû assister en spectateur impuissant, — ce qui ne veut pas dire indifférent, — à la sécession de l’Orient et à la formation de l’Empire de Macrianus. Il se contente, car il ne peut faire davantage, de fermer à Macrianus le chemin de l’Occident ; quand celui-ci, en 261, passe en Europe, il trouve devant lui une forte armée que Gallien a envoyée sous les ordres d’Aureolus. Macrianus est battu et tué ; le reste de ses troupes capitule. Sans doute l’Empire qu’il a fondé reste intact, mais tout au moins Gallien, par son intervention décisive en Illyricum, l’a-t-il définitivement confiné en Orient. La victoire d’Aureolus et la ‘disparition de Macrianus étaient, semble-t-il, deux circonstances favorables dont Gallien eût pu profiter pour agir en Orient. Cependant, il n’en fit rien. Comme l’année précédente, la situation en Occident le paralysa. Nous sommes en 261. Les opérations continuent contre Postumus ; les Alamans sont aux portes de Rome, et Gallien est contraint d’abandonner Postumus à demi vaincu pour se porter au secours de la capitale en péril. Ce n’est évidemment pas à ce moment qu’on pouvait attendre de lui une intervention militaire dans les provinces orientales de l’Empire. Est-ce à dire qu’il s’en désintéresse ? En aucune façon. L’année 261 marque précisément chez lui l’élaboration d’une politique orientale dont nous allons maintenant étudier les origines et suivre le développement ultérieur. L’Empire de Macrianus n’avait plus aucun lien avec l’Empire romain proprement dit. Sa situation, à cet égard, était exactement la même que celle de l’Empire gallo-romain. Les deux empereurs d’Orient, Macrianus jeune et Quietus portent l’ensemble de la titulature impériale : le prénom d’Imperator, les titres de César et d’Auguste ; on frappe monnaie à leur nom en Asie Mineure et en Egypte. C’est une souveraineté complète. L’Empereur de Rome, Gallien, n’a aucun droit, aucune influence sur eux ; l’unité romaine n’est même pas sauvegardée en apparence. Gallien ne pouvait, faute de moyens d’action suffisants, intervenir personnellement, mais il n’avait pas renoncé à l’Empire universel. Contre l’Empire de Macrianus, il lui fallait un allié, un instrument. Odaenath de Palmyre se présenta pour être l’un et l’autre. Palmyre, grâce à sa situation qui en faisait l’étape nécessaire entre la Syrie et l’Euphrate, grâce aux nombreuses routes qui s’y croisaient en tous sens, avait pris, dans les premiers siècles de l’Empire, une importance politique et commerciale de premier ordre. Le pouvoir était aux mains d’une aristocratie de marchands enrichie par le trafic des caravanes ; une famille, particulièrement, celle des Odaenath, s’était, au cours des deux derniers siècles, décidément placée hors de pair. Au début du IIIe siècle, une inscription nous montre un Septimius Odaenath, fils d’Haeranes, λαμπρότατος συγκλητικός, clarissime sénateur[209] ; son fils, Septimius Haeranes, au témoignage d’une inscription de 251, ajoute au titre paternel un titre nouveau, έξαρχος Παλμυρηνών, l’équivalent du latin Princeps Palmyrenorum[210] ; Septimius Odaenath, le contemporain de Gallien, — vraisemblablement un frère du précédent, — porte, sur une inscription de 258, les titres de λαμπρότατος ύπατικός, clarissimus consularis, et de δεσπότης, seigneur[211]. L’historien Rufus Festus, au moment où Odaenath entre en scène, en 260, lui donne le titre de Decurio[212] ; l’Histoire Auguste, à la même date, celui de Princeps Palmyrenorum[213] et Zonaras le qualifie du titre très vague d’ailleurs d’ήγεμονεύων[214]. Ses pouvoirs officiels sont donc les suivants : il est membre du Sénat de Palmyre (Decurio) et il a reçu de l’Empereur la dignité consulaire (λαμπρότατος ύπατικός). Il a un commandement militaire (ήγεμονεύων, princeps Palmyrenomm). Rang élevé dans la hiérarchie civile, commandement des troupes palmyréniennes, ainsi peut se résumer au double point de vue civil et militaire la situation officielle d’Odaenath en 260. Odaenath, énergique et ambitieux, veut jouer un grand rôle en Orient ; la captivité de Valérien et le désarroi des troupes romaines sont une occasion unique qu’il n’a garde de laisser échapper. Il lève une troupe de ses compatriotes et se porte sur l’Euphrate[215]. Lorsque Sapor rentre en Perse parla grande route de Cappadoce, il l’attaque au passage du fleuve, non loin de Samosate, lui enlève tout son butin et le contraint à regagner ses Etats en désordre[216]. Ce hardi coup de main eut un grand retentissement en Orient. Suivant de près le désastre des armées romaines, il avait une allure de revanche. Odaenath, rentré à Palmyre, se crut assez fort pour prendre le titre de roi, Rex Palmyrenorum, et faire participer à sa dignité nouvelle sa femme Zénobie ainsi que son fils aîné Hérodes[217]. Le nouveau roi était désormais une puissance avec laquelle il fallait compter. Il avait d’ambitieux desseins et rêvait de se tailler un empire dans l’Orient romain. C’était peu de concevoir un tel plan ; il fallait trouver les moyens de le réaliser. Ces moyens, Odaenath les discerna avec une netteté qui fait honneur à son génie politique et à ses capacités d’homme d’État. Le plan devait nécessairement s’exécuter aux dépens de l’Empire fondé par Macrianus, et, par conséquent, Odaenath avait intérêt à lier parti avec le grand en nemi de Macrianus, le représentant de l’unité romaine, avec Gallien. Se présenter en Orient comme l’agent de Gallien, comme mandataire de l’Empire romain contre les usurpateurs, c’était un véritable coup de maître, une trouvaille de génie dont les conséquences devaient être incalculables. Or, nous avons vu plus haut que Gallien, impuissant à agir par lui-même en Orient, cherchait un auxiliaire, un allié qu’il pût lancer contre l’empire séparatiste de Macrianus. Odaenath lui apparut comme l’instrument rêvé. Ces deux hommes avaient donc besoin l’un de l’autre ; ils étaient faits pour s’entendre. Un pacte intervînt entre eux. Gallien, en sa qualité d’Empereur légitime, conférait à Odaenath le titre de στρατηγός τής έώας (Syncelle)[218] ou πάσης Άνατολής (Zonaras)[219], en latin Dux Orientis, c’est-à-dire le constituait représentant légal de l’Empire en Orient. Odaenath, de son côté, s’engageait à se faire, partout en Orient, le soldat de Rome, à la fois contre les ennemis de l’intérieur, en l’espèce les chefs de l’Empire romain d’Orient, et contre les ennemis du dehors, Perses ou Barbares (261). Au moment où se conclut entre Gallien et Odaenath une convention qui devait être décisive pour l’histoire ultérieure de l’Orient, il importe d’en préciser les clauses réciproques. Tout d’abord, les limites dans lesquelles s’exercera l’autorité d’Odaenath sont nettement déterminées : au nord le Taurus, au sud le golfe Arabique. La sphère d’action du prince palmyrénien comprend la Cilicie, la Syrie, la Mésopotamie, la Phénicie, la Palestine et l’Arabie ; la plus grande partie de l’Asie Mineure et l’Egypte restent eu dehors. L’empire de Macrianus renversé, ces deux régions devront revenir à Gallien. De plus, dans les limites mêmes du commandement reconnu à Odaenath, Gallien conserve la plénitude de ses droits souverains au triple point de vue militaire, civil et monétaire. Enfin, le titre de Dux conféré à Odaenath est purement personnel ; sa femme Zénobie, son fils aîné Herodes n’y participent ni l’une, ni l’autre. Une semblable convention, qui affecte nécessairement la forme d’un compromis entre ambitions rivales, ne peut guère se juger que par ses résultats. La première conséquence fut la chute de l’Empire de Macrianus. Odaenath marcha sur Hémèse, la capitale du jeune empereur Quietus. A peine avait-il paru devant la place, qu’une révolte éclata parmi les défenseurs. Quietus fut mis à mort[220] ; Ballista capitula pour vivre dès lors en simple particulier. L’Empire romain d’Orient s’écroula. L’Orient tout entier revint à l’unité romaine, mais, conformément à la convention de 261, dans des conditions différentes. La plus grande partie de l’Asie Mineure et l’Egypte rentrèrent sous l’autorité directe de Gallien : les autres provinces constituèrent le commandement militaire d’Odaenath. La frappe reprit au nom de Gallien dans les ateliers monétaires de Cyzique, d’Antioche et d’Alexandrie (262). Le second article du programme arrêté avec Gallien était la guerre contre les Perses. Odaenath, revenu à Palmyre, entra en campagne dès l’année 262[221]. Il commença par reconquérir la Mésopotamie, reprit les deux grandes places fortes de Nisibe et de Carrhes, boulevards traditionnels de Rome contre les empires orientaux, puis marcha sur la capitale perse Ctésiphon[222]. La ville fut assiégée peut-être une première fois en 263, certainement en tout cas l’année suivante. Nous connaissons assez mal les détails de la campagne. Zosime (I, 39) nous dit qu’Odaenath pénétra deux fois jusqu’à Ctésiphon et réduisit les Perses a s’enfermer dans la ville. Selon l’Histoire Auguste, Odaenath assiégea un grand nombre de Perses réfugiés dans Ctésiphon ; il dévasta tout le territoire environnant et tua une multitude d’ennemis. Mais tous les satrapes étant accourus pour la défense commune, il se livra différents combats et la victoire, longtemps disputée, resta enfin aux Romains[223]. Ctésiphon, toutefois, ne put être enlevée, mais peu importait. L’essentiel, c’étaient la Mésopotamie reconquise, Nisibe et Carrhes réoccupées, la frontière de l’Euphrate remise en état de défense. Gallien pouvait être satisfait de son collaborateur ; d’ailleurs, l’attitude d’Odaenath à son égard était d’une correction parfaite : Odaenath, dit le biographe de Gallien[224], se montra plein d’égards pour l’Empereur. Il lui envoya les satrapes faits prisonniers. Quand ils furent arrivés à Rome, Gallien triompha de ces ennemis vaincus par Odaenath ; l’historien ajoute qu’Odaenath agit ainsi pour faire injure à Gallien et se glorifier lui-même de ses succès[225]. Cette allégation gratuite ne prouve qu’une chose, l’inintelligence du biographe. Il n’a rien compris aux relations officielles d’Odaenath et de Gallien et, d’autre part, il n’a pas voulu laisser échapper l’occasion d’attaquer une fois de plus le malheureux Gallien. La conduite de Gallien est absolument conforme aux traditions impériales romaines. L’Empereur est le général en chef de ses armées. Les victoires remportées par les généraux le sont sous ses auspices ; lui seul a droit au triomphe. Odaenath, d’après la convention de 261, est le lieutenant, — dux, — de l’Empereur ; la conduite de Gallien n’a donc rien de ridicule ni de bien noir. Elle est parfaitement correcte et strictement constitutionnelle. Gallien, d’ailleurs, ne se montra pas ingrat vis-à-vis d’Odaenath ; il lui conféra, eu 264[226], ainsi qu’à son fils Herodes, le titre d’Imperator[227], reconnaissance officielle de ses victoires en Orient. Odaenath conserve naturellement son titre antérieur de dux orientis ; territorialement, rien n’est changé à l’extension de son commandement, — la plus grande partie de l’Asie Mineure et l’Egypte continuent à rester en dehors, — mais le titre i’Imperator donne à Odaenath une situation plus haute. Il a désormais rang impérial, ce qui rehausse singulièrement son prestige en Orient. Le titre d’Imperator est viager, tandis qu’un dux reste toujours révocable à la volonté de l’Empereur ; enfin, le fait que son fils, l’héritier présomptif de son pouvoir, Herodes, partage ce nouveau titre à’Imperator, est capital. Il prépare directement et consacre aux yeux des Orientaux l’hérédité dans la dynastie palmyrénienne. Depuis 264, les titres d’Odaenath sont donc les suivants : clarissimus consularis-λαμπρότατος ύπατικός, (inscription de 258), rex-βασιλεύς (depuis 261), dux-στρατηγός τής έώας, (depuis 261), imperator-αύτοκράτωρ (depuis 264). Or, en 270, les titres officiellement reconnus par Aurélien à Waballath, le fils et le successeur d’Odaenath, seront les suivants : vir consularis, rex, imperator, dux Romanorum[228]. Les deux séries de témoignages relatifs aux titres du père et du fils se rejoignent et concordent : la titulature d’Odaenath, depuis la collation du titre d’Imperator en 264, est précisément celle que nous retrouvons en 270 pour son fils Waballath : vir consularis, rex, imperator, dux Romanorum ; en grec : ύπατικός, βασιλεύς, αύτοκράτωρ, στρατηγός. De ces quatre titres portés par Odaenath, deux, vir consularis et dux, lui sont strictement personnels ; il en partage un troisième, rex, avec sa femme Zénobie, — Zénobie porte officiellement le titre de reine (βασίλισσα, regina), — et enfin le quatrième, celui A’imperator, avec son fils aîné, alors son successeur désigné, Herodes. En 265, selon le biographe de Gallien[229], Odaenath aurait reçu un dernier titre, le plus haut de tous, celui d’Auguste : Sous le consulat de sou frère Valérien et de Lucillus son parent, Gallien conféra le titre d’Auguste à Odaenath, partagea l’Empire avec lui et ordonna de frapper des pièces de monnaie où ce général fût représenté traînant les Perses captifs, détermination que le Sénat, le peuple, tout le monde enfin accueillit avec de grandes marques de joie. Il s’agirait d’une association formelle à l’Empire. Odaenath aurait reçu la plénitude de la puissance impériale et serait devenu le collègue de Gallien. En réalité, nous sommes ici en présence d’une des nombreuses erreurs de l’Histoire Auguste. La biographie d’Odaenath, dans le recueil des Trente Tyrans, ne reproduit pas cette indication. On n’a jamais retrouvé de monnaies à l’effigie d’Odaenath, et il est vraisemblable qu’il n’en a jamais existé. Enfin, la série des inscriptions de Palmyre en l’honneur de Septimius Vorodès ne connaît qu’un Auguste, Gallien ; or, parmi ces inscriptions, l’une est datée d’avril 265, deux autres d’avril 267. Ces deux dernières, tout au moins, sont postérieures à la date à laquelle Odaenath aurait reçu le titre d’Auguste ; elles devraient, par suite, mentionner deux Augustes et non Gallien seul. L’erreur du biographe repose purement et simplement sur une confusion. Il nous donne les raisons qui ont décidé Gallien à cette concession : Apprenant qu’Odaenath avait battu les Perses, réduit Nisibe et Carrhes au pouvoir des Romains, conquis toute la Mésopotamie et qu’enfin, arrivé à Ctésiphon, il avait mis en fuite le roi, fait les satrapes prisonniers et tué un grand nombre de Perses[230]. Or, nous l’avons vu plus haut, ce sont ces mêmes victoires qui avaient valu à Odaenath, en 264, son titre d’Imperator. L’Histoire Auguste, avec ce manque de critique qui est un de ses moindres défauts, a reproduit, en la déformant cette fois, une information qu’elle avait déjà précédemment donnée. Concluons donc qu’Odaenath n’a jamais reçu le titre d’Auguste et qu’il s’en est tenu jusqu’à la fin de sa carrière à la titulature officielle de 264. Odaenath était imperator depuis deux ans, lorsqu’il eut une nouvelle occasion, en 266, de remplir le mandat que Gallien lui avait confié. Il s’agissait cette fois de lutter, non plus contre les Perses, mais contre les Barbares du Nord. Ceux-ci venaient de débarquer près d’Héraclée et s’étaient répandus à travers l’Asie-Mineure. Odaenath marcha à leur rencontre par la Cappadoce, menaçant ainsi leur ligne de retraite, et les contraignit à évacuer le territoire romain[231]. Le moment est venu, à cette date de 266, de porter un jugement sur la politique orientale de Gallien en général et la convention de 261 en particulier. Au début de 261, l’Orient tout entier est perdu pour l’Empire romain ; il s’est constitué en Etat séparatiste sous Macrianus et Quietus. En 264, l’unité est rétablie : Gallien est seul empereur dans le monde romain. L’Asie-Mineure, l’Égypte reconnaissent son autorité sans intermédiaire ; le reste forme le gouvernement militaire d’Odaenath, niais celui-ci n’est que le lieutenant de l’Empereur et agit en toutes circonstances au nom du souverain. Les Perses qui, à deux reprises, avaient saccagé Antioche, sont rejetés au delà de l’Euphrate ; la Mésopotamie est reconquise et le limes d’Orient reconstitué. Sans doute Gallien avait dû payer très cher la collaboration d’Odaenath ; outre sa délégation comme dux, il l’avait reconnu pour roi de Palmyre, lui avait concédé à lui et à son fils Hérodes le titre d’Imperator, avait en un mot fait des dynastes palmyréniens les délégués officiels, les représentants légaux de l’Empire en Orient. Il pouvait y avoir là un danger pour la domination de Rome en Orient, mais un danger d’avenir seulement. Dans la situation terrible où se débattait l’Empire, l’essentiel était de gagner du temps, de vivre et pour cela de sauver avant tout la domination romaine en Occident. Le recueil des Trente Tyrans définit avec netteté les rapports ultérieurs de l’empereur Claude et de l’Etat palmyrénien : Claude, alors occupé de la guerre contre les Goths, a permis, par une secrète et sage résolution, que Zénobie gardât en qualité de reine les frontières d’Orient, afin d’achever avec plus de sécurité ses propres entreprises, ut illa servante Orientalis fines imperii, ipse securius quae instituerai perpetrarel[232]. Cette politique, Gallien l’a inaugurée, l’a pratiquée le premier. Les résultats acquis en 266 prouvent jusqu’à l’évidence qu’il avait vu juste. La convention de 261 a été pour l’Empire et pour l’Empereur un succès diplomatique de premier ordre. D’ailleurs, la situation créée en Orient par la convention de 261 devait être dans la pensée de l’Empereur essentiellement transitoire. Gallien n’avait jamais renoncé à éliminer l’élément palmyrénien et il attendait pour agir l’occasion favorable. Un événement imprévu précipita le dénouement ; ce fut l’assassinat d’Odaenath (entre le 29 août 266 et le 28 août 267)[233]. La personnalité du meurtrier, les causes et les circonstances du meurtre demeurent également mystérieuses. Vengeance personnelle, intrigue orientale ou calcul d’ambitieux, Odaenath disparaît à la fin de 266 ou au début de 267. Fait non moins capital : il n’est pas frappé seul. Son fils Hérodes est tué en même temps que lui[234]. Odaenath laissait un second fils Waballath, — un fils de Zénobie, celui-là, — mais Waballath était encore mineur. L’assassin d’Odaenath, Maeonius, profita de cette circonstance favorable pour mettre la main sur le pouvoir. Il ne le conserva pas longtemps ; ses propres gardes le mirent à mort. Zénobie, qui désirait le gouvernement pour Waballath et par conséquent pour elle-même, ne dut pas rester étrangère à ce second meurtre. Quoi qu’il en soit, à peine Maeonius mort, elle se saisit des affaires au nom de son fils Waballath[235]. Quelle est, au lendemain de cette double révolution de palais, la situation de Palmyre vis-à-vis de l’Empire romain ? Dans la succession d’Odaenath, il fallait distinguer deux choses : la situation de fait, la situation de droit. En fait, Palmyre est maîtresse de l’Orient, du Taurus au nord, à la frontière d’Egypte au sud ; en droit, il n’existe plus aucun lien légal entre le gouvernement palmyrénien et l’Empire. Odaenath était consularis, roi de Palmyre, dux, imperator ; son fils Hérodes était imperator, et la légitimité de ces titres résultait de conventions formelles avec Gallien. De tous ces titres, un seul est héréditaire, celui de roi, mais avec une double réserve : il ne vaut que pour le territoire de Palmyre proprement dit et, pour tout autre qu’Odaenath, il lui faut la ratification impériale. Les autres titres, — consularis, dux, imperator, — sont strictement personnels ; ils disparaissent purement et simplement avec leurs titulaires, Odaenath et Hérodes. Waballath ne peut donc hériter de la haute situation d’Odaenath qu’en vertu d’un pacte nouveau, d’une convention formelle entre la dynastie palmyrénienne et l’Empereur. Zénobie affectait de continuer la politique d’Odaenath avec la même fermeté, les mêmes principes, le même personnel gouvernemental. Il n’est pas douteux qu’au nom de son fils mineur, elle n’ait cherché a obtenir de Gallien le renouvellement des conventions antérieures. Gallien, cette fois, refusa net, et il faut reconnaître qu’en bonne politique il n’avait pas tort. Il avait dû faire de grandes concessions à Odaenath, d’abord parce qu’il se trouvait en présence du fait accompli et ensuite parce que la crise de l’Empire en 261 l’exigeait sans hésitation possible. Or, au moment où meurt Odaenath, la situation est tout autre. Sans doute, l’Empire gallo-romain a réussi à se maintenir, mais du moins la défense des frontières semble de nouveau assurée ; la grande période d’usurpations est passée ; la paix, affermie. Le moment paraît venu pour Gallien de rétablir sous une forme complète l’autorité impériale en Orient. La disparition d’Odaenath, l’avènement de Waballath enfant sont autant de circonstances favorables qu’en politique avisé il ne veut pas laisser échapper : autant de raisons qui décident l’Empereur à repousser les propositions de Zénobie et à refuser au fils la haute situation légale du père. Mais Zénobie, femme de tête et héritière des traditions politiques d’Odaenath, n’était nullement disposée à se laisser déposséder sans résistance. Gallien le savait. La puissance palmyrénienne ne pouvait être brisée que par la force ; l’Empereur se résolut à une intervention immédiate. Un seul texte nous a conservé le récit de ces événements : c’est un passage de la Vie de Gallien, dont l’importance est capitale : Lorsque Gallien apprit la mort d’Odaenath, il se disposa à porter la guerre chez les Perses pour délivrer Valérien de sa trop longue captivité et il fit faire des levées par son général Heraclianus, conduite enfin digne d’un prince qui n’a pas perdu toute pudeur. Mais Heraclianus, s’étant mis en marche contre les Perses, fut, vaincu par les Palmyréniens et perdit toute l’armée qu’il avait réunie. Zénobie gouvernait alors d’une main ferme les Palmyréniens et la plupart des nations de l’Orient (XIII, 4-5). La date de l’intervention résulte directement du texte : Ubi nuntiatum Odaenathum interemptum. Gallien ne perd pas de temps, il se décide à agir à la nouvelle même de la mort d’Odaenath (vraisemblablement au printemps de 267). Le général qu’il envoie en Orient n’est pas le premier venu ; c’est Heraclianus, le préfet du prétoire, le premier de l’Empire après lui-même, le vice-empereur[236]. Ce choix suffit à montrer l’importance que Gallien attache à l’entreprise et le soin avec lequel il la prépare. Le plan de Gallien est conçu d’une manière fort habile. Le texte nous dit qu’il s’agissait de faire la guerre aux Perses pour délivrer Valérien ; la guerre aux Perses n’est que le prétexte invoqué, le voile dont on masquera l’expédition. Zénobie affecte de poursuivre la politique d’Odaenath et de n’être en Orient que la déléguée de l’Empereur légitime. Elle continue à reconnaître, à solliciter la suprématie romaine ; l’atelier monétaire d’Antioche frappe toujours à l’effigie de Gallien et de Gallien seul. Gallien oppose habileté à habileté. Palmyre se donne comme Adèle vassale de Rome. Gallien ne peut la traiter en ennemie ; il ruse avec elle. L’armée qu’il envoie en Orient, — il l’annonce bien haut, — est destinée à marcher contre les Perses ; en réalité, il s’agit de soustraire l’Orient à l’influence palmyrénienne et d’y rétablir l’autorité impériale. La marche d’Heraclianus n’a pas d’autre but. Le plan de Gallien était habilement conçu. Mais Zénobie ne fut pas dupe ; elle considéra comme un casus belli l’entrée de l’armée romaine dans les provinces orientales, attaqua Heraclianus, écrasa complètement son armée et le contraignit à s’enfui[237]. Gallien eût peut-être renouvelé sa tentative, mais il n’avait plus les mains libres. De multiples calamités fondent de nouveau sur l’Empire. En 267, une terrible invasion gothique se répand sur l’Asie Mineure et la péninsule des Balkans ; un peu plus tard, les Alamans inondent la Rhétie et menacent l’Italie ; enfin, au début de 268, Aureolus usurpe l’Empire dans l’Italie du Nord. Le statu quo se maintint donc en Orient. En fait, la question se trouvait résolue au bénéfice de Palmyre ; Zénobie, au nom de Waballath, continue à gouverner d’une main ferme, comme le dit la Vie de Gallien, les Palmyréniens et la plupart des nations orientales[238]. En droit, la situation n’est nullement réglée. Gallien, qui a échoué dans sa tentative de reconquête, refuse toujours à Waballath la reconnaissance des titres paternels. Zénobie et Waballath restent maîtres de l’Orient, mais sans titre légal. Quel que soit le désaccord, les deux parties ont cependant même intérêt à ne pas brusqueries choses. Gallien, retenu par de graves embarras, impuissant pour le moment à renouveler sa tentative en Orient, a besoin de Palmyre pour défendre la frontière de l’Euphrate. Zénobie, de son côté, encore mal assurée du pouvoir, tient à gagner du temps pour consolider sa situation. Elle fait continuer dans l’atelier d’Antioche la frappe au nom de Gallien ; deux émissions, à l’effigie impériale, ont lieu successivement au cours des années 267 et 268. Rien n’est changé dans le privilège monétaire romain. Des deux côtés, on s’accorde à pratiquer une politique d’expectative qui ménage le présent et sauvegarde l’avenir. VII. — LA RÉORGANISATION MILITAIRE.Dans sa lutte contre les Barbares, Gallien ne se contente pas de faire front avec activité et succès. Il voit plus haut et plus loin. 11 conçoit un plan de réorganisation militaire et en poursuit systématiquement la réalisation. Ce plan comporte deux parties ; réforme de l’armée romaine, renforcement des défenses de l’Empire. Voyons successivement quelle a été l’œuvre de Gallien sur ces deux points. L’armée romaine au IIIe siècle présente deux graves inconvénients : elle est peu nombreuse, elle est peu mobile. Elle est peu nombreuse, non par pénurie d’hommes, mais pour des raisons financières ; l’armée impériale, comme toutes les armées de métier, coûte cher et les finances de l’Empire n’ont jamais été fort brillantes. Les empereurs ont donc dû s’en tenir à des effectifs très limités. L’armée, de plus, est devenue fort peu mobile ; le recrutement est désormais strictement local. Les soldats sont mariés dans le pays même où ils tiennent garnison et, depuis Septime Sévère, leur mariage est reconnu par la loi. Dans ces conditions, il devient fort délicat de les déplacer : trop souvent les troupes refusent d’obéir et ne reculent pas même devant la révolte. Telle est la situation en présence de laquelle se trouve Gallien. Contre le premier inconvénient, insuffisance des effectifs, il n’y a rien à faire. La question est d’ordre strictement financier. Or, le trésor est vide ; l’Empire au point de vue économique est ruiné. Gallien ne peut songer à augmenter le budget militaire. Restait la question de mobilité. Sans doute, il était difficile de réagir contre le caractère sédentaire de la légion et, d’ailleurs, les effectifs d’infanterie étaient trop peu élevés pour qu’on pût déplacer les troupes légionnaires sans inconvénient. Mais, à côté de l’infanterie, il y avait l’élément mobile par excellence, la cavalerie. Gallien, avec un sens remarquable des nécessites militaires, s’est rendu compte que le grand effort de réorganisation devait porter sur la cavalerie. Contre les bandes pillardes, mobiles, souvent insaisissables des Barbares, elle seule pouvait donner des résultats rapides et décisifs. Aussi réorganise-t-il complètement la cavalerie romaine, au double point de vue des effectifs et du commandement. Dans l’armée du milieu du me siècle, il n’y a plus de cavalerie légionnaire. La cavalerie romaine comprend uniquement les ailes de cavalerie auxiliaire. Gallien crée de nouveaux corps de cavalerie : Gallien, le premier, nous dit l’historien byzantin Cedrenus (I, p. 454 (éd. Bonn)), créa des corps de cavalerie. Jusque-là les Romains avaient servi presque tous dans l’infanterie. Le fait ainsi présenté est inadmissible, car il existait avant Gallien des corps de cavalerie romaine, mais il contient un double élément de vérité : la cavalerie romaine était insuffisante avant Gallien ; Gallien a créé de nouveaux corps de cavalerie. Quels sont ces corps ? En premier lieu, un corps de cavalerie dalmate, les Equites Dalmatae, mentionné par Zosime dès le règne de Gallien. L’historien, racontant l’assassinat de l’Empereur, nous dit que l’officier chargé de l’exécution était commandant du corps de cavalerie dalmate[239]. La Vie de Gallien donne une indication analogue, Dux Dalmatarum, en ajoutant son nom, Cecropius (XIV, 4 et 9). Aux IVe et Ve siècles, la cavalerie dalmate forme une portion importante de la cavalerie romaine ; elle figure à la fois dans l’armée sédentaire des frontières (en Bretagne, Belgique, Pannonie, Mésie, Dacie, Syrie, Osrhoène, Phénicie, Palestine, Arabie) et dans l’année mobile (Equites Tertio Dalmatae, Quinto Dalmatae, Sexto Dalmatae, Octavo Dalmatae, Nono Dalmatae, qui font partie des vexillationes comitatenses). Deux autres corps de cavalerie semblent avoir été également créés par Gallien ; ce sont les Promoti et les Scutarii, que l’on trouve répartis au Ve siècle dans la double armée des frontières (en Pannonie, Mésie, Syrie, Mésopotamie, Osrhoène, Palestine, Arabie, Thébaïde) et de l’intérieur (vexillationes palatinae et comitatenses d’Orient et d’Occident). Enfin, — mais ceci est une pure hypothèse, — les corps de cavalerie maure, qui figurent dans la Notitia Dignitatum à côté des précédents, remontent, peut-être aussi à Gallien[240]. Toute cette cavalerie de nouvelle création reçoit une organisation autonome sous les ordres d’un chef unique. Gallien constitue ainsi un grand commandement militaire qu’il confie à un de ses meilleurs généraux, Aureolus. Il le lui laisse dix années ; en 258, Aureolus commande déjà la cavalerie romaine dans la campagne contre Ingenuus[241] ; en 268, c’est en la même qualité qu’il est chargé de couvrir l’Italie et de fermer les débouchés des Alpes[242]. Plus tard, sous Claude, le commandement supérieur de la cavalerie indépendante passe à Aurélien[243]. Aux mains de ce chef entreprenant et énergique, la cavalerie romaine joue un rôle de premier ordre au cours de la campagne contre les Goths. Les monnaies frappées au début du règne d’Aurélien portent fréquemment la légende Virtus Equitum, hommage mérité rendu à la cavalerie et à ses chefs. Plus tard encore, à la bataille d’Hémèse, où Aurélien écrasera l’armée palmyrénienne, la cavalerie dalmate tiendra une place d’honneur[244]. Pour l’infanterie légionnaire, la réforme essentielle est celle du haut commandement dont il sera question plus loin à propos de l’administration intérieure. Elle consiste dans le remplacement à la tète de la légion de l’ancien légat sénatorial par le préfet du camp d’ordre équestre. Cette réforme ouvrait le haut commandement aux soldats de carrière. Plus de condition de naissance ou de fortune ; il suffira, dorénavant, pour devenir chef de la légion, d’avoir fait ses preuves sur le champ de bataille. La valeur du cadre d’officiers supérieurs ne pouvait qu’y gagner. Peut-être enfin faut-il attribuer aussi à Gallien une réorganisation de la garda impériale sous le nom de protectores divini lateris. Ici encore les preuves décisives font défaut. En tout cas, nous en savons assez pour conclure que les réformes militaires de Gallien, dans leur ensemble, ont été heureuses et fécondes ; elles ont rendu possibles les brillantes victoires de ses successeurs les princes illyriens. Il n’est que juste de lui en tenir largement compte. Le système défensif de l’Empire, tel qu’on le trouve pleinement réalisé à la an du IIe siècle, reposait essentiellement sur un double principe : utilisation des frontières naturelles, — Rhin, Danube, Euphrate, déserts de Syrie, d’Egypte, d’Afrique ; — renforcement des points faibles par la construction de fortifications artificielles, d’un limes, — limes de Bretagne, limes germano-rhétique, limes dacique, limes oriental, limes égyptien et africain. Si solide et si bien combiné qu’il pût paraître, cet ensemble présentait de graves lacunes. La frontière seule était défendue ; il n’y avait pas de forteresses à l’intérieur de l’Empire ; le limes forcé, tout le monde romain était ouvert à l’invasion. De plus, il y avait, depuis le début du IIIe siècle, une brèche importante dans la ceinture cuirassée de l’Empire, la trouée du Pont-Euxin. Là s’étendaient, du Dniepr au Caucase, les seuls rivages du monde méditerranéen qui ne fussent pas possession romaine ; la côte appartenait au royaume du Bosphore, dont le territoire se prolongeait vers l’est jusqu’aux limites du royaume d’Arménie. Rome, pendant les deux premiers siècles, avait réussi à écarter tout danger en maintenant le royaume du Bosphore dans une étroite vassalité. Tout change au début du IIIe siècle. La dynastie royale bosporane est déchirée par les dissensions ; des usurpateurs mettent la main sur le pouvoir, au moment même où la poussée des Barbares de l’intérieur se renouvelle plus violente que jamais. De nouveaux peuples, en effet, les Goths, les Boranes, les Hérules, viennent de s’installer dans la Russie méridionale. Le monde romain les attire par sa richesse. Il leur faut, comme à la Russie moderne, une fenêtre sur la mer. Ils occupent la Crimée, et le royaume du Bosphore tout entier ne tarde pas à Lomber dans la vassalité des Barbares. Le Pont-Euxin et la Méditerranée orientale se trouvent désormais livrés à leur merci. Depuis le milieu du IIIe siècle, sous la pression constante des invasions, le système défensif romain craque de toutes parts : sur le Rhin, sur le Danube, sur l’Euphrate, le limes est forcé. L’Italie même est envahie et les Alamans, en 261, s’avancent jusqu’à Rome. Gallien s’emploie de son mieux à réparer les brèches .que l’attaque des Barbares ouvre constamment le long des frontières. Nous l’avons déjà vu, lors de son séjour sur le Rhin (256-258), construire sur la rive gauche du fleuve toute une série de camps retranchés et de forteresses à Cologne, Novaesium, Antunnacum, Trêves. Sur le Bas-Danube, il fait exécuter par ses généraux un travail analogue. En 256, un ouvrage fortifié est construit près de Kutlovica (Bulgarie occidentale), propter tutelam castrensium et civium Montanensium[245] ; deux ans plus tard, un officier de l’Empereur, P. Aelius Antoninus, construit une porte prétorienne et une tour de défense[246]. Nous saisissons ici le contrecoup de la perte de la Dacie. La partie de la Mésie inférieure, où s’élèvent les fortifications de 256 et 258, était autrefois couverte parles lignes fortifiées de la Dacie du Nord, de l’Aluta et de la Ternes. La Dacie perdue, la rive romaine se trouve désormais découverte ; il faut y organiser la résistance. La sécession de l’Empire gallo-romain en 258 fit passer à Postumus la charge de la défense rhénane. L’œuvre de Gallien n’en devint que plus active dans le reste de l’Empire. Malgré la pauvreté de nos documents, nous en saisissons les résultats en Thrace, en Arabie, en Tripolitaine, dans l’Italie du Nord. En 267, à l’annonce de la grande invasion gothique, Gallien envoie en Thrace deux ingénieurs byzantins, Cléodamus et Athenaeus, pour relever les fortifications des villes et en construire de nouvelles. Le but visé fut atteint. Les villes tinrent bon et les Barbares durent se retirer[247]. — Le limes romain d’Arabie, destiné à couvrir la province contre les peuplades du désert, avait été constitué sous les derniers Antonins et achevé sous le règne de Marc-Aurèle. Gallien le renforce par de nouveaux travaux de défense. Nous avons ici le témoignage de deux inscriptions[248], trouvées au voisinage de Der’ At, da ns le Hauran, sur l’ancienne route de Bostra à Gadara et à Scythopolis. L’une de ces inscriptions nous apprend que Gallien a ordonné l’érection d’un mur fortifié pour lequel il a fourni les fonds nécessaires. Le travail a été exécuté par l’architecte Verus, sous la haute surveillance du gouverneur de la province Statilius Taurus, un personnage d’ordre équestre, et sous la direction immédiate d’Isidorus. La dédicace est datée de la 158e année de l’ère de Bostra, qui correspond à 263 ap. J.-C. La seconde inscription mentionne la construction d’une tour, sur l’ordre du gouverneur de la province Junius Olympus et sous la direction d’un certain Flavianus. La date est mutilée et incomplète. La province d’Arabie avait fait partie de l’Empire oriental de Macrianus en 260-261. A la fin de 261, l’Orient tout entier, grâce au pacte conclu entre Gallien et Odaenath, revient à l’unité romaine ; deux ans plus tard, en 263, se place le renforcement du limes arabique que nous ont révélé les inscriptions de Der’ At. Ce souci de la défense orientale, en un tel moment, malgré les embarras de tout ordre qui l’assaillaient en Occident, est caractéristique chez Gallien. Les historiens latins l’accusent d’avoir systématiquement laissé l’Orient à son malheureux sort. Les travaux du limes d’Arabie, attestés par des documents irréfutables, nous montrent ce qu’il faut penser de cette accusation. C’est également contre les tribus du désert qu’était dirigé le limes de Tripolitaine. Une ligne ininterrompue de castella, parallèle au littoral méditerranéen, reliait le massif des Matmata (au sud de Gabès) à Tripoli et Leptis Magna (l’actuelle Lemda), fermant ainsi aux nomades de l’intérieur l’accès de la côte. Sur l’emplacement d’un de ces ouvrages, à Ras el Aïn, près de Foum-Tatahouine, on a découvert, en 1893, l’inscription suivante[249] : Imperator Caesar P. Licinius Gallienus, pius, felix, invictus, Augustus. Germanicus, Persicus maximus, pontifex maximus, tribunicia potestate XII, consul V, pater patriae, castra cohortis VIII Fidae opportuno loco a solo instituit, operantibus fortissimis militibus suis ex limite Tripolitano. Il s’agit donc de la construction d’un castellum, destiné à la VIIIe cohorte fida et exécutée par les soldats du limes tripolitain. La date qui résulte des titres impériaux se place entre le 10 décembre 263 et le 1er mars 264. Nous ne savons pas si la construction a été limitée à un seul castellum ou si la mesure de Gallien a été générale ; il résulte cependant de quelques indices que la seconde hypothèse a des chances d’être la vraie. Une autre inscription[250], découverte dans le sud tunisien à Ksar Tarcine sur l’Oued Hallouf, mentionne également la construction d’un castellum, Centenarium Tibuhuci quod Valerius Vibianus, vir pertectissimus, initiari, Aurelius Quintianus vir perfectissimus, praeses provinciae Tripolitanae perfici curavit. Cette seconde inscription n’est pas datée avec précision, mais elle est de la fin du IIIe siècle. — D’autre part, la Tripolitaine, jusque-la rattachée à l’Afrique, a été constituée en province au plus tôt vers la fin du IIIe siècle ; peut-être le remaniement du limes tripolitain et la formation de la province de Tripolitaine sont-ils contemporains. Peut-être l’auteur des deux mesures a-t-il été Gallien. Le fait est extrêmement vraisemblable ; on ne peut dire davantage. Enfin Gallien a pris des mesures décisives pour la défense de l’Italie. En 261, les Alamans venus de Gaule avaient traversé les Alpes et dévasté l’Italie du Nord ; d’autres envahisseurs, partis du Danube, avaient franchi le col du Brenner et opéré leur jonction avec les premiers dans les plaines du Pô[251]. Quelques bandes avaient même poussé jusqu’à Rome[252]. Gallien écrasa les Barbares à Milan[253], mais il importait d’empêcher le renouvellement de l’invasion et de couvrir l’Italie contre une attaque nouvelle. Les principales routes d’accès vers l’Italie du Nord étaient : la route des Alpes cottiennes par le mont Genèvre ; la route des Alpes grées par le Grand Saint-Bernard ; la route du Splügen par Curia (Coire), Clavenna (Chiavenna) et le lac de Côme ; la route du Brenner (Via Claudia) par la vallée de l’Adige ; la route des Alpes juliennes par la Vénétie. La dernière était fermée par la place forte d’Aquilée. Déjà sous Marc-Aurèle, la ville avait arrêté les Marcomans et les Quades. Maximin venait vingt-cinq ans auparavant d’en renforcer les défenses[254]. Les auteurs anciens, — Hérodien (VIII, 2), Ammien Marcellin (XXI, 2), Ausone (De Clar. Urb., 7), Procope (Guerr. Vandal., I, 4), — sont unanimes à en reconnaître l’importance militaire. De ce côté, les précautions étaient donc prises. Restaient les routes de l’ouest et la route du Brenner, c’est-à-dire les grandes voies qu’avaient empruntées les envahisseurs de 261. Les unes débouchaient sur Milan, l’autre sur Vérone. Pour les fermer, Gallien fortifia solidement ces deux villes. Milan, désormais pourvue d’une enceinte fortifiée, prit le nom de Colonia Gallieniana Augusta Felix Mediolanium, que lui donne une inscription[255]. Quelques années plus tard, Dioclétien devait restaurer et renforcer les fortifications de Gallien. Vérone a été de tout temps une des clefs de l’Italie du Nord : Sa position, nous dit Tacite[256], entre la Rhétie et les Alpes juliennes, permettait de fermer le passage aux armées de Germanie ; dans les temps modernes, elle a fait partie du fameux quadrilatère. Il était donc naturel que Gallien songeât à fortifier la place. Une inscription[257] contemporaine nous donne d’intéressants détails sur la construction : Colonia Augusta Verona nova Gallieniana Valeriano II et Lucillo consulibus. Muri Veronensium fabricati ex die m Nonarum Aprilium, dedicati pridie Nonarum Decembrium, jubente sanctissimo Gallieno, Augusto nostro, insistente Aurelio Marcellino, viro perfoctissimo, duce ducenario, curaute Julio Marcellino. Le travail de fortification a donc été ordonné par Gallien ; il a été surveillé par Aurelius Marcellinus, un personnage d’ordre équestre qui avait un commandement militaire avec le titre de Dux Ducenarius et dirigé par un autre Marcellinus, Julius Marcellinus. La date est donnée par l’année consulaire, 265 ap. J.-C. L’inscription indique même la durée des travaux ; ils ont commencé le troisième jour des nones d’avril (3 avril) et la dédicace a eu lieu la veille des nones de décembre (4 décembre), huit mois plus tard. Le périmètre mesurant 800 mètres, on a construit en moyenne 100 mètres par mois. D’autres indications précieuses résultent de la construction elle-même[258]. La ville de Vérone, dans l’antiquité comme aujourd’hui, s’étendait de part et d’autre de l’Adige, la partie la plus considérable se trouvant sur la rive droite. La nouvelle enceinte se développa donc sur les deux rives ; deux ponts assuraient l’unité de la défense. Elle n’enfermait d’ailleurs pas l’agglomération tout entière. L’amphithéâtre, si bien conservé encore aujourd’hui, restait en dehors et jouait, dans la défense de la place, le rôle d’un bastion extérieur, d’un poste avancé. Les restes, nombreux surtout sur la rive droite, ont pu être particulièrement bien observés dans la partie aval, entre l’amphithéâtre et l’Adige. La muraille mesurait douze mètres de haut ; elle était revêtue de créneaux larges de deux mètres, séparés par des intervalles d’un mètre environ. L’épaisseur moyenne de la courtine était de deux mètres. L’enceinte était garnie de tours et percée de plusieurs portes ; une de ces portes, la porta dei Borsari, au-dessus de laquelle précisément est tracée l’inscription citée plus haut, mérite une mention particulière. Elle est antérieure à la construction de l’enceinte, sans qu’on puisse en déterminer ni la date ni la destination primitives ; Gallien l’a incorporée dans la nouvelle muraille et l’a utilisée comme passage. La fortification nouvelle n’a pas été entièrement construite de toutes pièces. A la base du mur se trouve une épaisse assise formée de débris variés qui proviennent d’édifices antérieurs : inscriptions, fragments architecturaux divers (frises, corniches), etc. L’extérieur est formé d’un revêtement continu de pierres inégales, mais régulièrement travaillées. En résumé, l’enceinte de Gallien à Vérone présente les caractères essentiels des fortifications urbaines construites dans l’Empire au IIIe et au IVe siècle : a) Périmètre réduit. — Vérone est décrite par Tacite comme une ville importante et Strabon la met sur le même pied que Milan. Or, le périmètre de l’enceinte, 800 mètres, est extrêmement restreint. Plusieurs édifices restent en dehors, particulièrement le plus important d’entre eux, l’amphithéâtre. b) Incorporation d’édifices antérieurs : c’est le cas de la porte dei Borsari. e) Mode de construction. — Assises de débris à la base avec revêtement extérieur ; dimensions générales, etc. Notons enfin qu’à Vérone comme à Milan, l’enceinte a été soumise à une restauration d’ensemble par Dioclétien et ses collègues de la tétrarchie. VIII. — L’ADMINISTRATION INTÉRIEURE.Le règne de Gallien marque une date décisive dans l’histoire de l’administration romaine. Auguste, en constituant le gouvernement impérial, avait laissé au Sénat un certain nombre de privilèges, un en particulier auquel l’aristocratie tenait beaucoup : le commandement militaire supérieur. Les légats pro praetore gouverneurs des provinces impériales, les légats de légion, chefs suprêmes des légions, sont pris les uns et les autres dans les rangs de l’aristocratie sénatoriale. Pendant les deux premiers siècles, le Sénat conserve son monopole ; toutefois, Septime Sévère y porte une double atteinte en donnant le gouvernement de la nouvelle province de Mésopotamie, d’une part, le commandement de trois légions nouvellement créées, les trois légions Parthicae, d’autre part, à des chevaliers et non plus à des sénateurs. On voit ainsi, à côté de l’ordre sénatorial en décadence, grandir l’ordre équestre, instrument plus souple et moins suspect des volontés impériales. L’administration tout entière évoluait dans le sens de l’unification et de la centralisation ; la grande crise du IIIe siècle, en découvrant les fissures de l’édifice romain, donna un nouvel élan à la politique unitaire des empereurs. Gallien vécut en fort mauvais termes avec le Sénat. En 261, lors de l’invasion alamannique, il le vit d’un très mauvais œil lever des troupes, distribuer des armes aux citoyens, mettre Rome en état de défense. Si Gallien n’aimait pas le Sénat, celui-ci le lui rendait bien. Aurelius Victor, dans ses Césars, nous raconte comment le Sénat a accueilli la nouvelle de la mort de Gallien : Le Sénat ordonna de jeter du haut des Scalae Gemoniae ses agents et ses proches. Il fit amener dans la curie l’administrateur du fisc et ordonna qu’on lui crevât les yeux, tandis que la foule, se précipitant de toutes parts, suppliait la terre et les dieux infernaux de donner à Gallien le séjour des impies. Si Claude, alléguant la volonté de l’armée, n’avait ordonné d’épargner les survivants, l’aristocratie et la plèbe eussent exercé déplus terribles représailles[259]. L’historien ajoute les raisons de cette hostilité : Les sénateurs, outre les calamités communes à tout le monde romain, avaient à venger l’injure faite à leur ordre. Gallien, en effet, par sentiment de sa lâcheté, par crainte que l’Empire ne fût donné aux membres les plus en vue de l’aristocratie, enleva le premier aux sénateurs les commandements militaires et leur interdit même de paraître à l’armée[260]. Il faut distinguer dans ce texte le fait lui-même et les motifs qui l’auraient inspiré. Gallien enlève aux sénateurs les commandements militaires ; les légats des provinces impériales et les légats chefs de légions cessent d’être pris parmi les sénateurs. L’innovation était capitale et on comprend très bien que le Sénat ne l’ait pas pardonnée à Gallien. L’épigraphie nous apporte ici encore un certain nombre de renseignements complémentaires. Une inscription d’Aquincum en Pannonie[261], datée de 267, donne les noms et titres du gouverneur de la province : T. Clementius Silvius, vir egregius, agens vices praesidis ; les deux inscriptions de Der’ At, dans la province d’Arabie, citées plus haut, fournissent des indications analogues ; sur l’une on lit : Προνοία Σταιλίου Άμμιανοΰ τοΰ κρατίστου διέποντος τήν ήγεμονίαν, c’est-à-dire viri egregii agentis vices praesidis ; sur l’autre : Προνοία Ίουλίου Όλύμπου τοΰ κρατίστου ήγεμόνος, c’est-à-dire perfectissimi praesidis. Grâce à ces documents, nous pouvons déterminer le système suivi par Gallien. Le gouverneur sénatorial disparaît ; il est remplacé par un fonctionnaire d’ordre équestre, mais la substitution n’est pas pure et simple. Le nouveau gouverneur équestre est considéré officiellement, non comme le remplaçant, mais comme le suppléant d’un gouverneur sénatorial qui en réalité n’existe plus. Ce fonctionnaire est pris dans la classe des Egregii : c’est le cas de T. Clementius Silvius, gouverneur de Pannonie inférieure en 267, et de Statilius Ammianus, gouverneur de la province d’Arabie en 263. Le système, qui avait l’avantage de sauver les apparences, était essentiellement provisoire ; sur la seconde inscription de Der’ At, le gouverneur équestre n’est plus un suppléant. Julius Olympus a le titre de gouverneur et le rang de perfectissime. Pour la province d’Arabie, l’évolution administrative est terminée ; le gouverneur sénatorial a été remplacé par un gouverneur équestre. Pour la transformation du commandement légionnaire, la marche est la même. Sur l’inscription d’Aquincum, mentionnée ci-dessus, le commandant en chef de la légion est Valerius Marcellinus, praefectus legionis (II Adjutricis) agens vices legati ; une inscription[262] du règne de Claude II, datée de 269, nomme Aurelius Superinus, praefectus Legionis I Adjutricis, agens vices legati ; une autre[263] du règne de Carinus, en 284, porte Aelius Paternianus, vir egregius, praefectus legionis II Adjutricis, agens vices legati. Le légat sénatorial est remplacé par le préfet du camp qui appartient à l’ordre équestre, mais, — de même que pour les gouvernements provinciaux, — sa fonction est considérée comme une simple suppléance ou intérimat. Graduellement, la fiction devait disparaître pour faire place à la réalité. Sous Claude, en 268, la IIe légion Adjutrix, que nous venons de voir commandée par un intérimaire, a pour chef Aelius Frontinus, praefectus legionis[264] ; en 290, sous Dioclétien, elle sera commandée par Aurelius Firminus, praefectus legionis[265]. L’évolution a été plus ou moins longue selon les légions ; elle est terminée dès 268 pour la IIe Adjutrix d’Aquincum ; elle ne s’achèvera pour la Ire Adjutrix de Brigetio que plus tard, probablement sous Dioclétien, en tout cas postérieurement à l’année 284. Quelle a été la cause déterminante de la Réforme ? Aurelius Victor (Caess., XXXIII) invoque l’intérêt personnel de Gallien. Non : Gallien avait moins à craindre les sénateurs que les généraux sortis du rang, dont plusieurs, Claude, Aurélien, Probus, Dioclétien, ont précisément été ses successeurs. La raison essentielle est beaucoup plus profonde. Gallien cherche un remède à la crise du IIIC siècle dans le renforcement de l’unité impériale. La vieille dualité de pouvoirs entre l’Empereur et le Sénat lui semble dangereuse pour l’État. Lorsqu’il enlève les commandements supérieurs aux sénateurs pour les donner à l’ordre équestre, il ne fait que reprendre et accentuer la politique unitaire de ses prédécesseurs. La mesure de Gallien fait donc date dans l’histoire administrative de l’Empire ; elle annonce et prépare les grandes réformes de Dioclétien. Au moment où Gallien resta seul Empereur, la question chrétienne se posait avec toute son acuité. Dans ce domaine encore, Gallien fit preuve d’une initiative et d’un esprit de décision remarquables. Laissons ici la parole à l’historien ecclésiastique Eusèbe : Valérien ayant été pris par les Barbares et réduit en servitude, son fils Gallien, devenu seul Empereur, agit avec plus de modération. Par des édits, il fit aussitôt cesser la persécution dirigée contre nous. Il ordonna que tous ceux qui présidaient à la religion du verbe pussent désormais remplir librement leurs fonctions habituelles, par un rescrit ainsi conçu : L’empereur César P. Licinius Gallienus Pieux, heureux, Auguste, à Denys, à Pinnas, à Demetrius et aux autres évêques. J’ai commandé que la libéralité de mes faveurs s’étendît par tout le monde et qu’on laissât libre désormais tout emplacement consacré au culte divin. Ainsi donc, vous aussi, vous pouvez vous faire fort de mon rescrit pour vous garantir de toute insulte d’où qu’elle vienne. Cette faculté que je vous accorde, il y a longtemps déjà que je l’ai octroyée... J’ai inséré ce document, ajoute Eusèbe, en le traduisant du latin en grec pour qu’il fût mieux compris. Il existe aussi du même empereur une autre constitution adressée à d’autres évêques, par laquelle il leur permet de reprendre possession des lieux dits cimetières[266]. Cet édit de Gallien est doublement intéressant par son contenu, par la date à laquelle il a été promulgué. Par son contenu tout d’abord : on ne poursuivra plus les chrétiens pour crime de christianisme ; les prêtres sont autorisés à remplir en toute sécurité leur ministère, et les fidèles à assister librement à la célébration du culte. Le séquestre qui pesait sur les lieux d’assemblée et de prière est levé. Les chrétiens reprennent la propriété des cimetières et peuvent y avoir librement accès. Les évêques pourront s’autoriser du décret contre toute entreprise hostile. Pour saisir la portée véritable de l’édit, il faut le rapprocher de la situation à laquelle il était destiné à mettre fin. En 260, l’attitude officielle de l’État romain vis-à-vis des chrétiens continue à être réglée par les deux édits de Valérien. En vertu du premier édit (août 257), tous les dignitaires de l’Église chrétienne, — évêques, prêtres, diacres, — sont mis en état d’arrestation ; on ne leur demande pas de renoncer à leur croyance, mais de sacrifier, comme les autres, aux dieux de l’Empire ; en cas de refus public et persistant, ils sont envoyés en exil. Enfin, interdiction aux chrétiens de tenir des assemblées, d’accéder même à leurs cimetières sous peine de mort. Le second édit (juillet 258) confirme le précédent et l’aggrave au point de vue des pénalités. Les dignitaires de l’Eglise, au lieu de l’exil, encourent la peine de mort et l’exécution doit immédiatement suivre le refus de sacrifier ; les sénateurs, chevaliers et honestiores sont soumis à la dégradation ; leurs biens sont confisqués ; en cas d’obstination persistante, ils sont frappés de mort. Les femmes sont condamnées à l’exil avec confiscation des biens ; les affranchis du pillais, les Césariens, mis aux fers, répartis sur les terres du domaine impérial et attachés à la glèbe. L’édit de Gallien révoque toutes ces prescriptions ; évêques, prêtres et diacres sont mis en liberté et pourront désormais, sans être inquiétés, vaquer à leurs fonctions religieuses ; les fidèles, se réunir en assemblée, pénétrer dans leurs cimetières ; les églises, les cimetières sont, restitués aux communautés chrétiennes. La portée de l’édit est grande, si l’on considère qu’elle met fin, d’une manière complète, à la persécution de Valérien, mais il ne faudrait cependant pas, comme on l’a fait souvent, en exagérer l’importance. Il n’y a pas là reconnaissance officielle du christianisme comme religion autorisée, religio licita, un édit de Milan avant la lettre. Non. Gallien ne règle pas définitivement la question chrétienne dans le sens de la tolérance comme le fera Constantin ; il se contente tout simplement de replacer les choses dans l’état antérieur à la persécution. Gallien rend à l’église chrétienne la tolérance de fait dont elle jouissait avant les édits de Valérien. Valérien avait déclaré la guerre au christianisme ; Gallien rétablit la paix, — c’est l’expression même dont Eusèbe se sert à plusieurs reprises, — et laisse désormais les chrétiens tranquilles. Rien de moins, mais rien de plus. Non moins significative est la date du décret que nous pouvons déterminer avec une approximation suffisante. La captivité de Valérien se place dans le courant de septembre ou au début d’octobre 260 ; elle n’a guère pu être connue en Occident, on se trouvait alors Gallien, avant la fin de septembre au plus lot. D’autre part, l’Egypte cesse de reconnaître l’autorité de Gallien pour se rallier à l’Empire de Macrianus, avant la fin d’octobre ; un papyrus daté du 27 Phaophi montre qu’à cette époque Macrianus et Quietus étaient déjà reconnus en Egypte. L’édit a nécessairement été promulgué en Egypte avant cette date. En tenant compte du temps nécessaire pour qu’il soit parvenu en Orient, il ne peut guère avoir été promulgué après le début d’octobre. Toutes ces indications nous amènent à une même date ; l’édit de Gallien se place au début d’octobre 260 ; il a donc, comme nous le dit Eusèbe, suivi de très près la captivité de Valérien. Le décret eut un effet immédiat. Les évêques exilés, Denys d’Alexandrie entre autres, revinrent aussitôt dans leur pays. La hiérarchie chrétienne se reconstitua ; les chrétiens rentrèrent en possession de leurs biens ou cimetières ; la vie chrétienne, paralysée par la persécution, reprit partout librement. L’Eglise, au sortir d’une crise aussi violente, ne demandait pas davantage. La liberté, c’était pour elle le moyen de conquérir de nouveaux adeptes et d’étendre son influence. L’Église ne s’y est pas trompée et, dans sa reconnaissance, elle comble Gallien de louanges. En 262, deux ans après l’édit, Denys d’Alexandrie, dans une lettre à Hermammon, entonne en son honneur un véritable hymne de triomphe. Il oppose la paix rétablie par Gallien à la politique persécutrice de ses prédécesseurs : Cet homme (Macrianus) qui a trahi l’un de ses empereurs et s’est insurgé contre l’autre a péri rapidement et avec toute sa famille jusqu’aux derniers rejetons. Gallien, au contraire, a été reconnu et approuvé du consentement universel, à la fois ancien et nouvel Empereur, plus ancien que ses adversaires et subsistant après eux. D’après la parole adressée au prophète Isaïe : voici venues des choses qui ont été dès l’origine et nouvelles sont les choses qui vont naître. Le nuage qui passe devant le soleil, en obscurcit pour peu de temps l’éclat et nous apparaît à sa place, mais il s’éloigne ou se dissout, et le soleil qui existait antérieurement reparaît comme une chose nouvelle. Gallien, au contraire, est toujours semblable à lui-même ; ce qu’il était antérieurement, il le reste. Le pouvoir impérial rajeuni et débarrassé de ses tares anciennes est plus florissant que jamais. On le voit, on l’entend de loin ; il fait sentir partout son action. Denys termine en ces termes : Il m’est permis de nouveau de compter les années de notre Empereur. Je vois que des empereurs si célèbres sont rentrés rapidement dans l’obscurité, tandis que notre Empereur, si religieux et si aimé de Dieu, a déjà accompli le cycle de ses sept ans, et cette année, où nous allons célébrer la fête de Pâques, est la neuvième de son règne[267]. La paix religieuse, rétablie par l’édit de 260, devait se prolonger jusqu’à la persécution de Dioclétien. Cette période va jouer, dans le développement du christianisme, un rôle considérable. Le décret pacificateur de Gallien n’a pas seulement été une mesure de circonstance et d’opportunité ; il est resté, pendant quarante-trois ans, le programme même des empereurs on matière de politique religieuse. Gallien s’est rendu très nettement compte que le premier pas vers la reconstitution de l’unité impériale devait être la pacification des consciences. Il a vu juste, il a agi vite, deux mérites, dont le second n’est ni le moins appréciable, ni le plus commun. IX. — GALLIEN ET L’HISTOIRE.Qu’y a-t-il donc à retenir du violent réquisitoire dressé contre Gallien par l’historiographie latine ? Après avoir impartialement étudié les faits, peut-être réussirons-nous à mettre en lumière la physionomie et la politique véritable de Gallien. Au moment où Valérien l’associe à l’Empire, Gallien a trente-cinq ans. Il était, nous dit le Byzantin Malalas[268], de taille bien prise ; il avait le port noble, les cheveux bouclés, une barbe touffue, de grands jeux, tous détails confirmés par l’iconographie des bustes et des effigies monétaires. A la distinction de sa personne s’ajoute chez Gallien l’élégance de la tenue. Il aime le luxe ; c’est un aristocrate de goût et de traditions. Il appartient, par sa naissance, à la plus haute aristocratie romaine. Son père Valérien était issu de la gens Licinia, une des premières de la ville[269]. Sa mère, Egnatia Mariniana, était fille, semble-t-il, d’Egnatius Marinianus, légat consulaire de Mésie supérieure ; elle se rattachait à la gens Egnatia, une vieille famille d’origine sainnite, qui, dès l’époque républicaine, avait eu ses représentants au Sénat. Gallien, par ses origines, fait donc partie de la haute aristocratie urbaine, cas exceptionnel chez les empereurs depuis l’avènement de Vespasien. Les Flaviens étaient des Italiens ; les Antonins, des provinciaux d’Espagne ou de Gaule ; les Sévères, des Africains ou des Orientaux ; Maximin, un Thrace ; Philippe, un Arabe. Après Gallien, le pouvoir allait revenir à une série d’empereurs danubiens, Claude, Aurélien, Probus, Carus, Dioclétien et ses collègues de la tétrarchie. Gallien, aristocrate de Rome, se différencie donc nettement et de ses prédécesseurs et de ceux qui lui ont succédé, — premier trait à retenir. Au moral, nous retrouvons chez Gallien ces mêmes caractéristiques de l’aristocrate romain. Il est cultivé, instruit, particulièrement doué, au témoignage même de ses détracteurs, pour l’éloquence, la poésie et les arts. Il aime la philosophie et entretient avec Plotin des rapports d’amitié. Il se plaît à séjourner en Grèce, où il trouve le milieu littéraire et artistique qui lui convient. C’est un esprit fin, délié ; il a le goût de la diplomatie et il saura y faire ses preuves. Il est naturellement doux, modéré, humain : rappelons-nous les éloges significatifs que Zonaras (XII, 25) lui décerne au moment de sa mort. Par naissance, par culture, par caractère, Gallien s’oppose donc à la plupart des empereurs qui, au IIIe siècle, l’ont précédé ou suivi. Rien en lui de la grossièreté, de la rudesse, de la brutalité d’un Maximin, d’un Aurélien, d’un Galerius, de tant d’autres parvenus au trône impérial, qui sont nés, qui ont vécu dans les camps et ne les ont quittés que pour l’Empire. Tel est l’homme qui, pendant dix années, va se trouver aux prises avec la crise la plus effroyable que le monde antique ait encore connue : invasions barbares sur toutes les frontières, usurpations multiples et sans cesse renaissantes, dislocation de l’Empire, persécution religieuse, ruine économique, calamités naturelles de toute espèce, deuils familiaux enfin : son fils est mis à mort par Postumus, son père fait prisonnier en Orient. Devant ce débordement de misères publiques et privées, Gallien ne perd cependant pas la tête. Il arrête, avec une sûreté et un sens de l’opportunité remarquables, les traits essentiels de son programme politique. On ne peut faire front de tous côtés ; il faut sérier les questions afin de les mieux résoudre. Pour lutter contre tant d’ennemis et défendre la cause de l’unité romaine, Gallien ne dispose plus que d’une seule armée, l’année danubienne. Les légions du Rhin, de Bretagne, d’Espagne ont suivi Postumus dans sa défection ; les troupes d’Orient, ou plus exactement les débris échappés à la défaite de Valérien, se sont ralliées à Macrianus. Cette armée du Danube, heureusement, est la plus nombreuse et la mieux aguerrie des armées impériales, mais elle est menacée elle aussi par le danger des usurpations : Ingenuus, Regalianus, plus tard Aureolus s’y feront proclamer empereurs. Il faut à tout prix la conserver à la cause impériale ; c’est pour l’Empire une question de vie ou de mort. Gallien, avec une perspicacité remarquable, a fait de cette nécessité l’article fondamental de son programme. Gallien commence par jeter du lest. En quelques jours, il met fin à la persécution religieuse par l’édit de 260 : c’est le rétablissement de l’unité morale qui prépare et rendra possible dans l’avenir la reconstitution de l’unité matérielle. La politique orientale va s’inspirer de considérations analogues. L’Orient tout entier a fait défection ; il constitue désormais sous Macrianus et Quietus un empire pleinement indépendant. Gallien, retenu eu Occident par de multiples difficultés, n’a ni le temps, ni les moyens d’intervenir personnellement en Asie. Ce qu’il ne peut faire par la force, il va le demander à la diplomatie. Il trouve dans Odaenath l’instrument nécessaire à la politique orientale de Rome, conclut avec lui une entente et le constitue son représentant officiel en Orient (261). Les bons résultats de cette initiative ne tardent pas à se faire sentir. L’Empire de Macrianus est renversé, la Mésopotamie reconquise, la capitale perse, Ctésiphon, assiégée. L’Orient tout entier revient à l’unité romaine. Sans doute Gallien a dû payer les services d’Odaenath de graves concessions ; il en a fait un dux, même un imperator, mais ces concessions toutes personnelles sont, dans la pensée de l’Empereur, purement temporaires. L’entente assure du moins à Gallien un double avantage : rétablissement de la puissance romaine en Orient, liberté d’action en Occident. L’édit de tolérance et la convention orientale ont déblayé le terrain de deux questions irritantes. Gallien peut dès lors faire face aux dangers les plus pressants. En Occident, l’Empire trouve devant lui trois séries d’ennemis : l’Empire gallo-romain de Postumus, les Barbares envahisseurs, les usurpateurs. Le programme impérial à leur égard est très simple : lutte à outrance. Lutte contre Tostumus, qui représente pour Gallien un général rebelle et le meurtrier de son fils ; luttes contre les Barbares, Alamans en Italie, Goths sur le bas Danube et dans la péninsule des Balkans, lutte enfin contre les usurpateurs, Ingenuus sur le Danube, Macrianus en Illyricum, Aureolus dans l’Italie du Nord. Sans doute, l’Empire gallo-romain réussit à se maintenir, — nous avons vu pourquoi, — mais les Barbares sont rejetés hors des frontières et les usurpateurs partout renversés. L’armée danubienne, le dernier espoir de l’Empire, reste intacte et fidèle à la cause de l’unité romaine. Les résultats de cette politique d’action en Occident ne tardent pas à avoir leur répercussion dans le reste de l’Empire ; Gallien peut intervenir en Egypte et en Asie Mineure où il renverse les deux usurpateurs Aemilianus et Trebellianus, et l’amélioration de la situation est telle, qu’à la mort d’Odaenath il peut faire une tentative, — vaine d’ailleurs, — pour soustraire définitivement l’Orient à l’influence palmyrénienne. Politique d’attente en Orient ou politique d’action en Occident, la politique de Gallien a toujours été franchement unitaire, mais l’Empereur a su, et ce n’est pas un des moindres mérites de l’homme d’état, agir en opportuniste. L’Empire romain ne pouvait tenir tête à tous ses ennemis du dehors et du dedans ; il fallait faire la part du feu, gagner du temps jusqu’au moment où il serait possible de rétablir la domination romaine dans son intégrité. L’essentiel était de ne pas périr. Ce but, Gallien l’a nettement discerné et il s’est efforcé de l’atteindre au prix des moyens les plus divers : entente diplomatique avec Odaenath, action militaire contre l’Empire gallo-romain, les Barbares, les usurpateurs, réorganisation de l’armée, construction de forteresses, tolérance accordée aux chrétiens, renforcement enfin de la centralisation impériale par la réforme des grands gouvernements provinciaux. Général, diplomate ou administrateur, Gallien s’est acquitté sérieusement et même, étant données les circonstances, brillamment de sa tâche. Comment expliquer dès lors l’acharnement avec lequel l’historiographie latine s’est plu à maltraiter sa personne et à calomnier sa politique ? La raison essentielle, il faut la chercher dans l’exaspération du patriotisme national humilié et blessé. La crise du IIIe siècle a failli emporter l’Empire romain. Que cette crise dût s’expliquer par des raisons politiques et sociales lointaines, l’orgueil romain n’a jamais voulu l’admettre. On s’en est tiré, comme toujours, en cherchant un bouc émissaire. Gallien s’est présenté à point nommé pour endosser ce rôle ingrat. D’ailleurs, le caractère de Gallien, s’il ne légitime pas ces attaques, les explique tout au moins. A une époque où la force brutale était tout, ses qualités d’intelligence, d’humanité, de culture semblaient anormales et quelque peu monstrueuses : Gallien, nous dit son biographe[270], était remarquable comme poète et comme orateur ; mais les qualités qu’on demande à un empereur ne sont pas celles qu’on exige d’un orateur ou d’un poète. L’Histoire Auguste ici encore force la note ; Gallien était autre chose qu’un poète ou un orateur, mais la remarque n’en reste pas moins caractéristique. L’énergie, la science militaire, l’ascendant sur le soldat, telles étaient les qualités primordiales d’un empereur aux yeux d’un peuple qui ne voulait pas périr. Claude, Aurélien, Probus, grands sabreurs et infatigables chevaucheurs, réaliseront pleinement cet idéal et sauveront la civilisation romaine. Mais il serait profondément injuste de faire état de leurs succès pour en accabler Gallien. Au Ier ou au IIe siècle, à une époque de vie normale, Gallien eût pris place parmi les bons empereurs. Dans la situation extraordinaire où il se débattait, il a fait figure plus qu’honorable. Les succès de sa diplomatie, ses luttes acharnées contre les Barbares et les usurpateurs, ses mesures de pacification intérieure, ses réformes militaires et administratives enfin ont préparé le relèvement de l’Empire et rendu possibles les victoires de ses successeurs. Le Gallien de légende, qu’on nous a présenté si longtemps, doit disparaître pour faire place au Gallien de l’histoire. |
[1] Vita Gallien., XIV, 5 : Labes improbissima.
[2] Vitae XXX Tyrann., XXVI, 1 : Pestis illa ; V, 6 : Illa pestis inauditae luxuriae.
[3] Vitae XXX Tyrann., XXXI, 7 : Quo nihil prodigiosius passa est Romana Respublica.
[4] Eutrope, IX, 10, 1.
[5] Eutrope, IX, 8, 1. — Vita Gallien., I, 1 : Moribus rem publicam perdiderat.
[6] Vita Gallien., XIV, 5-6.
[7] Vita Gallien., VI, 3-7 ; cf. XVII, 9 : Jocari se dicebat cum orbem terrarum undique perdidisset.
[8] Vitae XXX Tyrann., XII, 1 ; XIII, 2.
[9] Vitae XXX Tyrann., XXX, 1.
[10] Vitae XXX Tyrann., XXXI, 1.
[11] Vitae XXX Tyrann., I, 1.
[12] Vita Gallien., III, 9 ; cf. I, 1.
[13] Vita Gallien., XVII, 1.
[14] Vita Gallien., I, 2 ; Vitæ XXX Tyrann., IX, 3.
[15] Vita Gallien., XVI, 2.
[16] Vita Gallien., XVI, 1.
[17] Vita Gallien., XVI, 6.
[18] Aurelius Victor, Cæss., XXXIII ; Epitomé, XXXIII.
[19] Vitae XXX Tyrann., XXIII, 2.
[20] Vita Gallien., XVII, 7.
[21] Vita Gallien., XVII, 8-9.
[22] Vita Gallien., XVI, 1 ; Vitae XXX Tyrann., IX, 1.
[23] Aurelius Victor, Caess., XXXIII.
[24] Vita Gallien., XVII, 6.
[25] Vita Gallien., XVI, 2.
[26] Vita Gallien., XVI, 4 ; cf. VII, 4-VIII, la description des Décennales.
[27] Vita Gallien., VIII, 8.
[28] Vita Gallien., XII, 6 ; X, 1-2 ; XII, 2-5 ; XIV, 5-6.
[29] Vita Gallien., IX, 5.
[30] Vita Gallien., XVIII, 1.
[31] Vita Gallien., XII, 2.
[32] Vitae XXX Tyrann., IX, 3.
[33] Vita Gallien., VI, 8.
[34] Aurelius Victor, Caess., XXXIII.
[35] Vita Gallien., VII, 2.
[36] Vitae XXX Tyrann., X, 16 ; Vita Gallien., I, 1.
[37] Vita Gallien., XIII, 9.
[38] Vita Gallien., V, 7 : Quae omnia contemptu, ut saepe diximus, Gallieni fiebant, hominis luxuriosissimi.
[39] Zosime, I, 30 ; Eutrope, IX, 8, 2 ; Aurelius Victor, XXXIII.
[40] Eutrope, loc. cit. ; Aurelius Victor, Caess., XXXIII.
[41] Zonaras, XII, 24 ; Vitae XXX Tyrann., IV, 3-4.
[42] Zosime, I, 37 ; Zonaras, XII, 24.
[43] Vitae XXX Tyrann., IV, 6 ; VI, 2 ; VII, 1.
[44] Vita Gallien., VII, 2.
[45] Eutrope, IX, 8, 2 ; cf. Aurelius Victor, Caess., XXXIII.
[46] Anon. post Dionem, fragm. VI (Müller, Historicorum Romanorum fragm. IV, p. 194).
[47] Zonaras, XII, 24 ; Vitae XXX Tyrann., IV, 5.
[48] Zonaras, XII, 24.
[49] Vitae XXX Tyrann., IV, 6 ; VII, 1 ; VI, 2.
[50] Syncelle, I, p. 717 ; Vita Gallien., XIII, 1 ; Zosime, I, 40.
[51] Par exemple, au cours de la guerre contre Postumus (Zonaras, XII, 24 ; Vita Gallien., IV, 6 ; VII, 1).
[52] Vita Gallien., VII, 1 ; Vitae XXX Tyrann., VI, 2.
[53] Vita Gallien., VIII, 9.
[54] Eutrope, VIII, 1-2 ; IX, 8, 1 ; Aurelius Victor, XXXIII.
[55] Vita Gallien., IV, 3.
[56] Zosime, I, 40.
[57] Anon. post Dionem, fragm. V, 1 (Müller, H. R. F., IV, p. 194).
[58] Vita Gallien., XXI, 3 ; Aurelius Victor, Caess., XXXIII ; Epitomé, XXXIII.
[59] Aurelius Victor, loc. cit. ; Epitomé, loc. cit.
[60] Vita Gallien., XIV, 6.
[61] Vita Gallien., XI, 3.
[62] Vitae XXX Tyrann., IX, 3-9.
[63] Anon. post Dionem, fragm. V, 2 (Müller, H. R. F., IV, p. 194).
[64] Vita Gallien., XV, 1 ; cf. Zosime, I, 41.
[65] Vita Gallien., XII, 5.
[66] Vita Gallien., VII, 2 : Erat in Gallieno subitae virtutis audacia ; nam aliquando injuriis movebatur. Vita XXX Tyrann., IX, 3 : Ubi necessitas cœgerat, velox, fortis, vehemens.
[67] Vita Gallien., XII, 2.
[68] Vita Gallien., XI, 6-7.
[69] IX, 8, 1-2 ; cf. Aurelius Victor, Caess., XXXIII.
[70] XII, 8 : Rem publicam, quam Valerianus fato, Gallienus vitae suae genere perdiderunt. Cf. Vita Gallien., I, 1.
[71] Eutrope, IX, 7, 1.
[72] Zosime, I, 30.
[73] Zosime, I, 30 ; Aurelius Victor, Caess., XXXIII ; Eutrope, IX, 8, 2.
[74] Aurelius Victor, loc. cit. : Cum a Gallia Germanos strenue arceret ; Eutrope, loc. cit. : Multa strenue fecit.
[75] Zosime, I, 30.
[76] R. Schultze et C. Stenernagel : Colonia Agrippinensis, dans Bonner JahrbÜcher, fasc. XCVIII, 1895, p. 42 et suiv.
[77] H. Nissen, C. Kœnen, H. Lehner, Novaesium, dans Bonner Jahrbücher, fasc. CXI-CXII, 1904, p. 247 et suiv.
[78] H. Lehner, Antunnacum, dans Bonner Jahrbücher, fasc. CVII, 1901, p. 1-37.
[79] H. Lehner, Die römische Stadtbefestigung von Trier, dans Westdeutsche Zeitschrift, t. XV, 1896, p. 263 et suiv. ; cf. Domaszewski, Steinmetzchen der Porta Nigra, Korrespondenzblatt, XXII, 1903, p. 183-185.
[80] Vitae XXX Tyrann., I, 9 ; Zonaras, XII, 24 ; Aurelius Victor, Caess., XXXIII.
[81] Zonaras, XII, 24.
[82] Aurelius Victor, Caess., XXXIII ; Épitomé, XXXIII.
[83] Aurelius Victor, Caess., XXXIII ; Eutrope, IX, 8 ; Orose, VII, 22 ; Jordan., Rom., 217.
[84] Vitae XXX Tyrann., IX, 1-2 ; cf. X, 1 ; Zonaras, XII, 24. La date de l’usurpation est donnée formellement par les Vies des XXX Tyrans, IX, I (Tusco et Basso consulibus).
[85] Voir plus loin.
[86] Zonaras, XII, 24.
[87] Zonaras, XII, 24 ; Aurelius Victor, Caess., XXXIII ; Eutrope, IX, 8, 2 ; Orose, VII, 22, 4.
[88] Aurelius Victor, Caess., XXXIII ; Eutrope, IX, 8, 2.
[89] Aurelius Victor, Caess., XXXIII.
[90] Eutrope, IX, 8, 2 ; Orose, VII, 22, 4.
[91] Zosime, I, 37 ; Aurelius Victor, Caess., XXXIII ; Eutrope, IX, 8,2 ; Orose, VII, 22, 4.
[92] Zosime, I, 37.
[93] Épitomé, XXXIV.
[94] Zosime, I, 37 ; Vita Gallien., X, 6.
[95] Zosime, I, 27 ; Malalas, I, p. 295-296 ; Vitae XXX Tyrann., I, 2.
[96] Zosime, I, 36 ; Zonaras, XII, 23 ; Syncelle, I, p. 715-716 ; Aurelius Victor, Caess., XXXII.
[97] Zosime, I, 36 ; Vita Gallien., I, 1 ; Rufus Festus, XXIII,
[98] Zonaras, XII, 23 ; Syncelle, I, p. 716.
[99] C. I. L., VIII, 2615, 9047. (= suppl. 20736).
[100] Zosime, I, 31-32.
[101] Zosime, I, 31-32.
[102] Zosime, I, 28 ; Syncelle, I, p. 716 ; Vita Gallien., VI, 2 ; Jordan., Getic, XX, 107-108.
[103] Vita Gallien., XI, 1 ; Syncelle, I, p. 716.
[104] Vita Gallien., XII, 6 ; Syncelle, I, p. 717.
[105] Syncelle, I, p. 717 ; Zonaras, XII, 24 ; Vita Gallien., XIII, 6-7.
[106] Vita Gallien., XIII, 6.
[107] Vita Gallien., XIII, 6.
[108] Syncelle, I, p. 717 ; Vita Gallien., XIII, 8.
[109] Vita Gallien., XIII, 8 ; Syncelle, I, p. 717 ; Zosime, I, 29 ; Zonaras, XII, 26 ; Anon. post Dionem, fragm. IX, 1 (Müller, H. R. F., IV, p. 196).
[110] Dexippe, fragm. XXI (Müller, H. R. F., III, p. 680) ; Syncelle, I, p. 717.
[111] Zosime, I, 38 ; Zonaras, XIII, 24 ; Vita Gallien., IV, 3 ; Vitae XXX Tyrann., III, 2-4 ; Aurelius Victor, Caess., XXXIII ; Épitomé, XXXII ; Eutrope, IX, 9, 1 ; Orose, VII, 22, 10.
[112] Zonaras, loc. cit. ; Zosime, loc. cit. ; Épitomé, XXXII.
[113] Zonaras, XII, 23 ; Anon. post Dionem, fragm. III (Müller, H. R. F., IV, p. 193) ; Syncelle, I, p. 716 ; Vita Gallien., I, 2.
[114] Vitae XXX Tyrann., XII, 1 ; XIII, 3 ; XVIII, 4 ; Vita Gallien., I, 4.
[115] Vitae XXX Tyrann., XII, 3.
[116] Vitae XXX Tyrann., XII, 11 ; Zonaras, XII, 24.
[117] Zonaras, XII, 25 ; Anon. post Dionem, fragm. VIII (Müller, H. R. F., IV, p. 195).
[118] Voir plus loin.
[119] Vitae XXX Tyrann., X, 1 et suiv. ; Aurelius Victor, Caess., XXXIII ; Épitomé, XXXII.
[120] Vitae XXX Tyrann., XI, 1 ; Zosime, I, 40 ; Zonaras, XII, 25 ; Aurelius Victor, Caess., XXXIII.
[121] Vitae XXX Tyrann., XIX, 1 ; XXI, 1.
[122] Vitae XXX Tyrann., XXVI.
[123] Vitae XXX Tyrann., XXII, 1 ; Vita Gallien., IV, 1-2.
[124] Vitae XXX Tyrann., XXIX.
[125] Vitae XXX Tyrann., XXIII.
[126] Zosime, I, 38 ; Anon. post Dionem, fragm. IX (Müller, H. R. F., IV, p. 193-194).
[127] Vita Gallien., IV, 9.
[128] Vita Gallien., V, 2-4.
[129] Vita Gallien., V, 5.
[130] Zosime, I, 30.
[131] Eusèbe, Hist. ecclésiast., VII, 22.
[132] Vita Gallien., V, 5.
[133] Eusèbe, Hist. ecclésiast., VII, 22.
[134] Vita Gallien., IV, 9 : Quasi conspiratione totius mundi.
[135] Vita Gallien., V, 6-7 : Neque usquam spes mediocriter salutis ostentata erat.
[136] C. I. L., VIII, 9047.
[137] Zosime, I, 37.
[138] Zosime, I, 38.
[139] Zosime, I, 37.
[140] Vita Gallien., VII, 3.
[141] Syncelle, I, p. 717.
[142] Vita Gallien., XIII, 6.
[143] Vita Gallien., XIII, 6.
[144] Vita Gallien., XIII, 7 ; Syncelle, I, p. 717.
[145] Vita Gallien., XIII, 7 ; Syncelle, I, p. 717.
[146] Zonaras, XII, 26.
[147] Vita Gallien., VI, 1.
[148] Vita Gallien., XIII, 8-9.
[149] Vita Gallien., XIII, 10 ; Syncelle, 1, p. 717 ; Zonaras, XII, 24.
[150] Syncelle, I, p. 717 ; Anon. post Dionem, fragm. IX, 2-3 (Müller, H. R. F., IV, p. 196).
[151] Zosime, I, 40.
[152] Vita Gallien., XIII, 9.
[153] Vita Gallien., XIII, 10.
[154] Vita Claudius, VI, 1.
[155] Vita Gallien., XIV, 1.
[156] Aurelius Victor, Caess., XXXIII.
[157] C. I. L., III, 3228.
[158] Zonaras, XII, 24.
[159] Aurelius Victor, loc. cit. ; Eutrope, IX, 8, I ; Orose, VIII, 22, 3 ; cf. Zonaras, XIII, 24.
[160] Zonaras, loc. cit. ; Vitae XXX Tyrann., IX, 3 ; Eutrope, loc. cit. ; Orose, loc. cit.
[161] Vitae XXX Tyrann., IX, 3 et suiv.
[162] Voir plus haut, au début.
[163] Zonaras, XII, 24.
[164] Zonaras, XII, 24.
[165] Anon. post. Dionem, fragm. VI (Müller, H. R. F., IV, p. 194).
[166] Vita Gallien., IV, 4.
[167] Zonaras, XII, 24.
[168] Zonaras, XII, 24 ; Vita Gallien., IV, 4.
[169] Vita Gallien., IV, 6.
[170] Vita Gallien., VII, 1.
[171] Vitae XXX Tyrann., VI, 1-2.
[172] Vita Gallien., VII, 1.
[173] Vita Gallien., XXI, 3.
[174] Vita Gallien., IV, 6 ; Zosime, I, 38.
[175] Vita Gallien., VI, 8-9.
[176] Vita Gallien., II, 5.
[177] Vita Gallien., II, 5 ; Zonaras, XII, 24.
[178] Vitae XXX Tyrann., XI, 2 ; XII, 12-14 ; XIII, 2-3.
[179] Vita Gallien., II, 6-7 ; Vitae XXX Tyrann., XI, 1-2 ; Zonaras, XII, 24.
[180] Vitae XXX Tyrann., XXII, 3-4.
[181] Vitae XXX Tyrann., XXII, 3-4 ; Vita Gallien., IV, 1.
[182] Vitae XXX Tyrann., XXII, 7.
[183] Vitae XXX Tyrann., XXII, 8.
[184] Vita Gallien., IV, 1.
[185] Vita Gallien., IV, 1 ; Vitae XXX Tyrann., XXVI, 4.
[186] Vita Gallien., IV, 1-2 ; Vitae XXX Tyrann., XXII, 8 ; XXVI, 4.
[187] Vita Gallien., IV, 2.
[188] Vitae XXX Tyrann., XXVI.
[189] Vitae XXX Tyrann., XXVI.
[190] Vitae XXX Tyrann., XXVI.
[191] Zosime, I, 40 ; Zonaras, XII, 25 ; Aurelius Victor, Caess., XXXIII.
[192] Zosime, I, 40.
[193] Zonaras, XII, 25 ; Aurelius Victor, Caess., XXXIII ; Épitomé, XXXIII ; Vitae XXX Tyrann., XI, 4-5.
[194] Zonaras, XII, 25.
[195] Zonaras, XII, 25.
[196] Aurelius Victor, Caess., XXXIII.
[197] Zonaras, XII, 25.
[198] Vita Gallien., XIV, 9 ; Zosime, I, 40 ; Zonaras, XII, 25 ; Aurelius Victor, Caess., XXXIII ; Épitomé, XXXIII.
[199] Vita Gallien., I, 1 ; III, 9.
[200] Vita Gallien., III, 5 et suiv.
[201] Vita Gallien., III, 5-6.
[202] Vita Gallien., VIII, 7 ; IX, 5-7.
[203] Vita Gallien., V, 10.
[204] Vitae XXX Tyrann., XXX, 1-3.
[205] Vita Gallien., X, 1.
[206] Vita Gallien., X, 1 ; X, 8.
[207] Vitae XXX Tyrann., XV, 1.
[208] Vita Gallien., XIII, 5.
[209] C. I. G., 4507 (= Waddington, Voyage archéologique en Asie-Mineure, III, 2621 ; De Vogué, Syrie centrale. Inscriptions sémitiques, n° 21).
[210] Waddington, op. cit., 2600 ; De Vogué, op. cit., 22.
[211] Waddington, op. cit., 2602 ; De Vogué, op. cit., 23.
[212] Rufus Festus, 23.
[213] Vitae XXX Tyrann., XV, 1.
[214] XII, 24.
[215] Rufus Festus, XXIII ; Orose, VII, 22, 12-13 ; Chronique de saint Jérôme, ad Ann. Abraham, 2282.
[216] Zonaras, XII, 23 ; Syncelle, I, p. 716 ; Malalas, XII, p. 297 ; Vita Valerianus, IV, 2-4.
[217] Vitae XXX Tyrann., XV, 1-2 ; Vita Gallien., X, 1.
[218] Syncelle, I, p. 716.
[219] Zonaras, XII, 23 (cf. 24).
[220] Vita Gallien., III, 1-5 ; Vitae XXX Tyrann., XIV, 1-2 ; XV, 3 ; XVIII, 3 ; Anon. post Dionem, fragm. I (Müller, H. H. F., IV, p. 195) ; Zonaras, XII, 25.
[221] Zosime, I, 39.
[222] Zosime, I, 39 ; Zonaras, XII, 25 ; Syncelle, I, p. 716 ; Vita Gallien., X, 2-XI, 2 ; XII, 1 ; Vitae XXX Tyrann., XV, 34 ; Eutrope, IX, 10 ; Orose, VII, 22, 12 ; Rufus Festus, XXIII.
[223] Vita Gallien., X, 6-8.
[224] Vita Gallien., X, 4-5.
[225] Vita Gallien. : Insultandi prope gratia et ostentandi sui.
[226] Vita Gallien., X, 1.
[227] Vitae XXX Tyrann., XV, 5-6 ; cf. XVI, 1 ; Vita Gallien., X, 1.
[228] Voir mon Essai sur le règne de l’empereur Aurélien.
[229] Vita Gallien., XII, 1.
[230] Vita Gallien., XII, 1.
[231] Syncelle, I, p. 717.
[232] Vitae XXX Tyrann., XXX, 11.
[233] Zosime, I, 39 ; Zonaras, XII, 25 ; Syncelle, I, p. 717 ; Vita Gallien., XIII, I ; Vitae XXX Tyrann., XV, 5.
[234] Zonaras, XII, 24 ; Vita Gallien., XIII, 1 ; Vitae XXX Tyrann., XV, 5.
[235] Zosime, I, 39 ; Vita Gallien., XIII, 2 ; Vita Aurelianus, XXXVIII, 1.
[236] Vita Gallien., XIII, 4-5.
[237] Vita Gallien., loc. cit.
[238] Vita Gallien., XIII, 4-5.
[239] Zosime, I, 40, 2.
[240] E. Ritterling, Zum römischen Heerwesen des ausgehenden dritten Jakrhunderts (Festschrift für Otto Hirschfeld, 1903, p. 345-349).
[241] Zonaras, XII, 24.
[242] Zonaras, XII, 25.
[243] Vita Aurelianus, XVIII, 1.
[244] Zosime, I, 52, 3.
[245] C. I. L., III, 12376.
[246] C. I. L., III, 7450.
[247] Vita Gallien., XIII, 6-7.
[248] Brünnow et Domaszewski, Provincia Arabia, II, p. 258, n° 1 et 2.
[249] Héron de Villefosse, Comptes-rendus de l’Académie des inscriptions, 1894, p. 472, n° 2 ; Gauckler, le Centenarius de Tibubuci (Ibid.), 1902, p. 335.
[250] Gauckler, loc. cit., p. 333.
[251] Zosime, I, 37 ; Aurelius Victor, Caess., XXXIII ; Eutrope, IX, 8, 2.
[252] Zosime, I, 37.
[253] Zosime, I, 38.
[254] C. I. L., V, 7989-7990.
[255] C. I. L., V, 5869.
[256] Histoires, III, 8.
[257] C. I. L., V, 3329.
[258] Orti Manara, Delle Antiche Mura che cingeano la cilla di Verona a’ Tempi Romani (Annali dell’ Instituto di Corrispondenza Archeologica, 1851, p. 60 à 80).
[259] Aurelius Victor, Caess., XXXIII.
[260] Aurelius Victor, Caess., XXXIII.
[261] C. I. L., III, 3424.
[262] C. I. L., III, 4287.
[263] C. I. L., III, 3469.
[264] C. I. L., III, 3525 (= suppl. 10492).
[265] C. I. L., III (= suppl. 10406).
[266] Eusèbe, Hist. ecclésiast., VII, 13.
[267] Eusèbe, VII, 23.
[268] P. 298 (éd. Bonn).
[269] Epitomé, XXXII : Parentibus ortus splendidissimis.
[270] Vita Gallien, XI, 9.