LA PERSÉCUTION DES CHRÉTIENS SOUS NÉRON — ÉTUDE HISTORIQUE

 

V — LA COLONIE JUIVE À ROME.

 

 

Néron, nous l’avons vu, n’avait pas à se justifier d’une accusation qui circulait dans le peuple contre lui. Supposons toutefois qu’il ait eu quelque motif de vouloir prévenir tout soupçon au sujet du défaut de vigilance, du manque de soin à assurer la sécurité de la ville, et montrer que le gouvernement savait retrouver et punir les auteurs d’une façon exemplaire.

En ce cas quels sont ceux qu’il offrira à la vindicte publique ?

Prendra-t-il parmi les grands personnages ceux qui le détestent et qu’il hait, ceux qui sont ou qui peuvent devenir des conspirateurs ? Ne serait-ce pas l’occasion de les faire périr en les vouant à l’exécration du peuple ? S’il le veut, les délateurs et les faux témoins ne manqueront pas. Qu’il se fasse déférer la connaissance de l’affaire, ou qu’il la fasse confier à une commission sénatoriale, les accusés n’en sortiront pas acquittés et reconnus innocents.

S’il ne veut pas frapper les grands, parmi les petits que de débiteurs se réjouissaient d’être libérés par la mort de leurs créanciers et la destruction des titres qui constituaient leurs dettes, que de gens s’étaient enrichis par des vols opérés pendant la confusion causée par l’incendie ? Ceux qui en ont retiré profit ou satisfaction ne peuvent-ils pas être recherchés et traduits devant le préteur ? Is fecit cui prodest. Cinquante malfaiteurs peuvent suffire à satisfaire la vindicte publique.

Ce ne seront cependant ni les ennemis du Prince, ni les voleurs, qui porteront la charge du crime. On veut que Néron ait choisi des Juifs dissidents, ceux qui seront ultérieurement appelés chrétiens. Pourquoi donc ceux-ci plutôt que d’autres ? Que sont-ils ?

C’étaient, lisons-nous dans les Annales, des gens infâmes et détestés de la population.

Si le peuple de Rome avait les Juifs ou une partie des Juifs en abomination, le choix de Néron ne pouvait être meilleur ; il n’aura aucune peine à les faire passer pour coupables. Dans l’état d’agitation des esprits, un mot, un signe devait suffire pour qu’ils fussent massacrés ou tout au moins dénoncés aux licteurs pour être conduits au tribunal du préteur.

Avait-on au moyen âge besoin de beaucoup de preuves pour convaincre le peuple que les Juifs causaient les épidémies, empoisonnaient les fontaines et qu’il fallait leur courir sus ? Ils étaient haïs, cela suffisait. En 1666, fut-il difficile de persuader aux Anglais que l’incendie de Londres était dû aux papistes ? Quelque temps plus tard, en 1678, songea-t-on seulement à contrôler les dénonciations de Titus Oatés ? Qui eût osé exprimer le doute que les catholiques voulussent de nouveau brûler la ville et avec elle les navires ancrés dans la Tamise ? Qui eût osé défendre un papiste ? Une vie sans tache n’était pas une preuve d’innocence ; au contraire, aux yeux du peuple plus le papiste était consciencieux, plus sûrement il devait être conspirateur. Le gouvernement n’avait aucun effort à faire dans la recherche des coupables ou des complices ; la haine publique en dénonçait plus que les prisons n’en pouvaient contenir ; aucun supplice ne paraissait assez cruel pour eux.

Cherchons donc d’abord à connaître quels pouvaient être les sentiments de la population romaine à l’égard des Juifs en général, comment ceux-ci se trouvaient dans la capitale, ce qu’ils y faisaient, ce qui aurait pu les empêcher de trouver dans la grande ville cette patrie commune, communis patria, où fusionnaient les étrangers[1]. Puis nous nous demanderons en quoi les Jesséens ou Nazaréens auraient pu se distinguer de leurs coreligionnaires.

Les Juifs à Rome ne faisaient pas de commerce.

On voyait à Rome des jeunes gens de la famille d’Hérode et, avec eux, les fils des principaux personnages de la Judée qui venaient faire leur éducation politique, se créer des relations, des amitiés, des protecteurs ; des solliciteurs d’un rang moins élevé s’y rendaient aussi pour demander des privilèges, des fonctions et surtout pour traiter du sous-fermage des impôts ; d’autres venaient porter des doléances ou faire appel de certaines décisions de la justice proconsulaire. Voilà une partie de ceux que l’on trouvait au forum ou dans l’escorte des sénateurs ; ils mettaient certainement tous leurs soins à plaire aux grands et au peuple, et ils y réussissaient, puisque nous les voyons fort bien accueillis et quelques-uns devenir influents à la cour du prince. On ne peut supposer que ceux-là se faisaient haïr et mépriser ; et très certainement ils n’étaient pas des observateurs scrupuleux des prescriptions de la loi mosaïque.

Mais la plupart de ces personnages ne faisaient qu’un séjour de peu de durée à Rome, et ils ne constituaient pas à proprement parler la colonie juive. Une colonie est formée par les individus d’une même nation établis dans une ville pour y exercer une profession.

Ceux qui émigrent de leur pays natal ne le font d’ordinaire que pour aller chercher fortune au dehors, et presque toujours ils vont exercer la profession de leurs devanciers qui leur servent d’exemple ; c’était surtout vrai autrefois ; ainsi les Savoyards étaient ramoneurs, les Suisses soldats ou concierges ; les Génois étaient épiciers, etc. De même à Rome les Liburnes[2] étaient porteurs de litières ou marchands d’eau ; les Germains[3] étaient soldats de police ou gardes du palais ; les femmes du midi de l’Espagne, les gaditana[4], étaient gitanes, danseuses ; les Grecs faisaient exception[5], les uns venaient d’Égypte, d’autres d’Asie, d’autres des îles, et l’on trouvait ainsi des Grecs dans toutes les professions. Parmi tous ces étrangers, que faisait le Juif ?

Était-il venu trafiquer ? Nous ne pouvons le supposer. Les Juifs, en effet, n’avaient pas de marine pour porter au dehors les produits de leur sol, produits d’ailleurs fort restreints, et rapporter chez eux les denrées étrangères ; pas de marine, pas de trafic international pour les populations méditerranéennes. Les Palestiniens n’allaient pas chercher par caravanes les épices et les tissus de l’Orient, la Judée n’était pas une route de transit ; les marchandises de l’Inde arrivaient à Alexandrie par la mer Rouge et les canaux du Nil ; celles de la Perse arrivaient aux ports de la Phénicie et de la Syrie par les routes de Palmyre et de Nisibe. Quel marchand, d’ailleurs, eût osé traverser ce pays de montagnes infesté de brigandage ? Leur commerce ne pouvait être que réduit aux strictes nécessités des besoins de la vie. Ils faisaient peut-être descendre à Césarée ou à Joppé du froment, de l’huile, du vin, du miel, du baume[6] et en rapportaient du poisson salé[7], des ustensiles et une foule d’autres objets de fabrication étrangère que débarquaient dans ces ports les marins phéniciens, grecs ou égyptiens. Il est même plus probable que les populations commerçantes de la côte allaient elles-mêmes faire les échanges dans l’intérieur du pays[8] et y avaient établi des comptoirs.

En cet état de choses, sans marine, sans industrie, sans fertilité particulière du sol, quel commerce le Juif pouvait-il aller faire au dehors et surtout à Rome ? Était-il une industrie, était-il un art qui fit sa renommée ? Évidemment non. Aussi ne trouve-t-on dans les auteurs païens, juifs ou chrétiens, rien qui indique quel genre de commerce faisait le Juif. En cette situation on devait, ce nous semble, conclure qu’il n’était probablement pas commerçant. Cependant on n’en a pas moins continué à vouloir attribuer un but mercantile à leur venue à Rome. L’éminent auteur des Origines du christianisme nous dit[9] que ces pauvres gens qui débarquaient par centaines à la Ripa venaient faire le brocantage, exercer les trafics les plus chétifs, tels que chiffonniers ou vendeurs d’allumettes. Mais il eût fallu pour cela aux Juifs une souplesse extrême au lieu de ce caractère fanatique, hautain, haineux que leur reconnaissent tous les écrivains de l’antiquité. Puis, quelle que soit l’habileté dont le Juif a fait preuve de nos jours et au moyen âge dans le maniement des affaires, quelle que soit la supériorité qu’il ait montrée en ce point sur les races indo-germaniques, il n’était pas de taille à lutter avec les Gréco-Asiatiques et les Gréco-Égyptiens qui venaient à Rome ; dans la concurrence avec ceux-ci pour les petits métiers, il serait mort de faim.

D’ailleurs tous les vrais partisans de la constitution mosaïque et les prophètes s’opposaient à ce que les Juifs se livrassent au commerce à cause des relations qu’il entraînait avec les étrangers, relations qui ne pouvaient qu’affaiblir la foi en Jéhova[10]. Josèphe nous montre le dédain que les vrais fils de Jacob professaient pour ceux qui se livraient à l’industrie, au commerce et à la navigation. Nos voisins, dit-il[11], qui habitent le littoral de la Phénicie, s’appliquent par cupidité au trafic et aux affaires commerciales ; pour nous, nous habitons une contrée qui n’est pas maritime et nous cultivons la terre.

Rien n’était, en effet, plus incompatible avec les besoins et les aspirations des trafiquants que les espérances messianiques qui dominaient toutes les pensées du vrai Juif. Une des conditions essentielles au développement du commerce et de l’industrie, c’est l’ordre public, la paix assurée ; un des principaux mobiles qui poussent les hommes dans cette voie, c’est le désir d’arriver par un effort individuel à une fortune qui soit personnelle. Or, quel est le marchand qui eût été disposé à prêter l’oreille aux promesses d’un bouleversement social, dût-il avoir pour but le rétablissement du royaume d’Israël ? Aussi l’apôtre écrit-il à l’Église de Laodicée[12]. Tu dis : je me suis enrichi, je n’ai besoin de rien ; aussi tu n’es ni chaud, ni froid, tu fais vomir.

Si l’on veut voir combien le vrai Juif, celui qui croit au Messie, disciple ou non de Jésus, était étranger au commerce qui se faisait dans l’empire romain, écoutons l’auteur de l’Apocalypse[13]. Il croit voir Rome détruite, et dans son enthousiasme il s’écrie : Je vis descendre du ciel un ange ; la terre fut éclairée de sa gloire, et d’une voix retentissante il dit : Elle est tombée, elle est tombée, Babylone la Grande ! Puis il nous fait entendre les lamentations de ceux qui regrettent la ruine de l’empire.

Et les marchands de la terre pleureront et se lamenteront parce que personne n’achètera plus leurs denrées, les matières d’or et d’argent, les pierres précieuses, les étoffes de lin et de soie, les tissus teints de pourpre, les meubles d’ivoire ou de bois précieux, le bronze, le fer, le marbre, les parfums, le vin, l’huile, le blé, la farine, les brebis, les chevaux, les chariots, les esclaves. Tous ceux qui vendaient ces choses, qui s’étaient enrichis avec elles, pleuraient et se lamentaient en disant : Malheur ! Malheur ! Comment en une seule heure la grande cité et tant de richesses ont-elles été détruites ! Ces marchands et ces marins qui sont en abomination à l’apôtre n’étaient donc pas à ses yeux des Yehoudim, de ceux avec lesquels Jéhova avait fait un pacte d’alliance.

Les Juifs à Rome étaient guérisseurs ou chasseurs de démons.

Quels étaient donc les Juifs que l’on voyait aux bords du Tibre ? qu’y venaient-ils faire ?

Le fanatisme religieux, la foi dans le pacte avec Jéhova était le caractère général de toute la nation israélite. Du haut en bas de l’échelle sociale l’enthousiasme était entretenu par des prêtres, des scribes et des inspirés dont la foule était considérable. A Jérusalem tout le monde tirait du temple ses moyens d’existence. Le trésor du sanctuaire alimentait les fonctionnaires civils et religieux. Il s’enrichissait des dons et des offrandes imposés aux nationaux, de ceux qu’acquittaient volontairement les étrangers ; des legs de pieux personnages, etc. Tous les habitants faisaient profit de la venue des pèlerins aux trois grandes fêtes annuelles, qui, comme toutes les fêtes religieuses et locales de l’antiquité, étaient de grandes foires. Les visiteurs payaient à chers deniers leur logement, leur nourriture, les animaux destinés aux sacrifices ; ils achetaient une foule d’amulettes et d’objets de dévotion, soit pour leur usage, soit pour en faire le trafic[14]. C’était là le vrai, le seul commerce du Juif.

La monomanie religieuse avait, en outre, produit à côté des scribes et des interprètes officiels de la loi, une foule d’inspirés qui prétendaient connaître l’avenir, chasser les démons, guérir les maladies. Leurs livres sacrés enseignaient que tous les Juifs formaient un peuple de saints et de prophètes[15], et chacun d’eux, du fait seul qu’il était de la postérité de Jacob, pouvait se croire, ou du moins se dire doué de dons surnaturels.

En conséquence trop grand était le nombre des Voyants pour qu’ils trouvassent tous à vivre en Palestine. Un certain nombre d’entre eux allaient au dehors exercer leurs talents. Scribes et pharisiens, dit un évangéliste[16], vous courez la mer et la terre pour faire des prosélytes et vous les rendez deux fois pires que vous.

Il eût été certainement tentant pour eux d’aller dans la grande Ville. Ils entendaient dire que des sources de l’Euphrate aux rives du Nil de nombreuses contrées envoyaient à Rome[17] des colonies de philosophes, de prêtres, de devins, d’empiriques, qui tous trouvaient à exercer leurs métiers d’une façon très lucrative.

Ces voyants palestiniens allaient-ils à Rome ? Chez les vrais fils d’Abraham, religion et patriotisme ne formaient qu’un seul et même sentiment. Aussi ne pouvons-nous supposer qu’on vit au sein de la maudite Babylone, de la Grande Prostituée, beaucoup de ces voyants ou scribes dont parlent les évangiles. Il nous parait probable qu’ils ne visitaient guère que l’Asie et les îles qui bordent ses côtes.

Ils auraient trouvé d’ailleurs un obstacle considérable dans la difficulté de se faire comprendre. Les Romains qui n’avaient pas appris le punique au temps de la conquête d’Afrique, qui n’ont pas daigné connaître la langue ni l’écriture des Égyptiens, n’entendaient pas un mot d’hébreu ; et, de leur côté, les Juifs palestiniens ne connaissaient pas le latin ; ils ne parlaient guère même le grec, la langue universelle de l’Orient[18].

Ceux des Juifs qui allaient à Rome devaient donc se distinguer des autres par une sorte d’indifférence en matière de patriotisme et par l’usage de la langue latine ou tout au moins du grec.

Or, si nous considérons que l’autorité romaine assimilait les Juifs de la capitale aux Égyptiens en les frappant ensemble des mêmes mesures de police[19], nous sommes amenés à penser que la plupart de ceux qui se trouvaient à Rome arrivaient des bords du Nil.

Les Juifs y étaient assez nombreux ; ils étaient surtout condensés dans le district d’Héliopolis où ils avaient élevé un temple. Leurs pontifes se disaient issus de la race d’Aaron et leur autel rivalisait avec celui de Jérusalem[20]. Nés et vivant au milieu d’une population étrangère, éloignés de la mère patrie, ils s’étaient, dispensés par la force des choses d’une foule de prescriptions lévitiques, et le particularisme étroit des institutions mosaïques s’était effacé de leur esprit, du moins en partie. Ils ne savaient pas l’hébreu, ils parlaient le grec et ils ne lisaient la Bible que dans la traduction alexandrine, dite des Septante[21].

Pour eux, comme pour les Palestiniens, l’initiation au culte de Jéhova, l’affiliation à la famille d’Abraham était le but de leur émigration, leur grande affaire, leur gagne-pain sur le sol étranger. Les enfants d’Israël, disait Philon, sont destinés à être les prêtres et les prophètes de la race humaine tout entière[22].

Il en pouvait venir aussi des bords de l’Euphrate ou de l’Oronte, des descendants de ceux qui avaient préféré demeurer dans l’empire civilisé des Achéménides que de retourner dans les montagnes sauvages de la Palestine. Parlant la même langue que les Chaldéens, imbus des mêmes idées, ils leur étaient souvent assimilés[23]. Ainsi on avait vu le préteur des étrangers enjoindre à tous les Chaldéens de quitter Rome et l’Italie dans les dix jours et faire en même temps pareille injonction aux Juifs qu’il confondait avec eux[24].

Quoi qu’il en soit, arrivés d’Égypte, de la Chaldée ou d’ailleurs à Rome pour y faire des prosélytes, ils ne venaient pas exercer la profession de philosophes. Les hautes idées de morale, de justice, de charité, que les écoles grecques avaient vulgarisées dans le monde romain, et encore moins les idées scientifiques, ne pouvaient entrer dans la cervelle de gens qui croyaient que tout arrivait en vertu des caprices de leur Dieu, que les livres de leurs prophètes enseignaient tout ce qu’il était utile de savoir. Aussi l’histoire ne nous a conservé le souvenir d’aucun fait, d’aucune tradition qui puisse donner à supposer que les missionnaires juifs aient jamais tenté de traiter rationnellement aucune question. Ils n’invoquaient jamais d’autre autorité que l’inspiration prophétique[25].

Ils ne venaient même pas, s’appuyant sur l’antiquité et l’authenticité de leurs livres sacrés, enseigner l’unité de Dieu, ses attributs, ses lois, révéler l’origine du monde, la création de l’homme, etc. ; de toutes ces choses il ne fut jamais question. Cicéron qui, dans le de Natura deorum a passé en revue presque toutes les religions de l’Orient et notamment celles des Syriens et des Tyriens, ne dit pas un mot du judaïsme[26]. Ceux qui débarquaient à Rome ne venaient que faire montre de la puissance mystérieuse qu’ils tenaient de leur qualité d’enfants de Dieu. Ils prétendaient commander aux démons, les expulser des corps humains[27] ; guérir toutes les maladies par l’imposition des mains ou l’emploi de mots magiques, interpréter les songes[28], prédire l’avenir[29].

Au milieu de la foule d’étrangers qui encombraient Rome on distinguait les Juifs. Sur leur tête un turban couvre une noire chevelure dont quelques mèches tombent sur les tempes ; à leur front ils portent un bandeau de parchemin, phylactère, sur lequel sont tracés des formules cabalistiques ou quelques versets des livres sacrés ; ils ont une longue barbe ; une tunique étroite leur descend jusqu’aux pieds ; une ceinture d’étoffe ou de cuir entoure deux ou trois fois leurs hanches ; leurs épaules sont couvertes d’un manteau de poils ou de laine en forme de châle, comme le haïk algérien, et orné de franges de couleur violette ; ils ont à l’index une bague ou un cachet ; ils sont ordinairement munis d’un bâton orné de quelque emblème magique. Ils portent toujours un mystérieux coffret qui renferme quelques touffes d’herbes sèches, d’hysope[30], pour la purification[31] des péchés et la guérison des maladies[32]. On y voit aussi sinon des figurines dites ourim et thoumim, révélation et vérité, des pierres portant le nom des douze tribus d’Israël, des petits serpents en bronze et en or ; au moyen de ces amulettes ils jettent les sorts et obtiennent la réponse de Jéhova[33]. On ne manque jamais non plus de trouver dans leur marmotte quelques morceaux de cette fantastique racine de Bara[34] qui préservait si efficacement les humains contre les entreprises des démons.

Toute la race des devins est avide d’argent a dit Sophocle[35]. Aussi ces voyants n’entendaient point travailler au bien des incirconcis sans profit pour eux-mêmes. Faire des prosélytes était l’industrie, le commerce qui déterminait leur émigration.

Les veuves, les vieilles femmes étaient des proies faciles. Juvénal[36] nous les montre poursuivies par tous les intrigants. Les évangélistes reprochent aux pharisiens de les duper[37].

Ce serait une erreur de croire que les magistrats romains étaient sans souci ou sans moyen efficace de surveiller et de maintenir dans l’ordre la population de la capitale, que les malfaiteurs pouvaient impunément s’y rendre et s’y cacher.

La police était indubitablement fort bien faite à Rome, fort bien renseignée. A ce sujet, écoutons les cyniques héros de Pétrone. Arrivés dans l’auberge, nous décousions la tunique, dit l’un d’eux[38], pour en tirer l’or volé, quand nous entendîmes quelqu’un frapper et demander quels étaient les individus qui venaient d’arriver. Cette question nous mit la puce à l’oreille. Dès qu’il fut parti, je courus m’informer auprès de l’aubergiste de l’objet de cette visite. C’était, me répondit-il, le licteur du préteur, celui qui tient les registres publics des étrangers ; il venait prendre les noms, le lieu de la naissance, et la profession des deux personnes qu’il avait vues entrer chez moi. S’il en était ainsi dans une ville de Campanie, et très certainement elle avait pris modèle sur l’administration de Rome[39], quelle ne devait pas être l’organisation de la police dans la capitale de l’empire[40] !

Nous ne pouvons donc pas éprouver de surprise à voir que les escroqueries dont les Juifs furent accusés, motivèrent leur exclusion de Rome sous Tibère. Josèphe[41] soutient, à l’honneur de ses compatriotes, qu’ils payèrent la faute de quatre ou cinq fripons qui avaient abusé de la crédulité d’une patricienne du nom de Fulvie et s’étaient fait remettre pour offrande au temple de Jérusalem des sommes considérables qu’ils avaient gardées pour eux. Nous admettons bien que tous les Juifs ne furent pas complices du détournement de l’argent de la matrone romaine ; mais on ne saurait se refuser à convenir que si le gouvernement crut devoir prendre une mesure générale, c’est qu’aux yeux du prætor peregrinus ils exerçaient tous la profession de faiseurs de prosélytes.

Pline[42], Sénèque[43], Perse[44], Juvénal[45], n’ont jamais vu dans les Juifs de Rome que des marchands d’orviétan ; et l’unanimité des témoignages de ces hommes considérables, séparés par le temps, les intérêts, les opinions, présente à l’histoire des garanties sérieuses.

Il n’est d’ailleurs jamais fait mention dans les écrits évangéliques de commerce ou d’industrie que professent les habitués de la synagogue. Si l’on objectait l’exemple d’un certain Aquilas qui, au dire des Actes[46], faisait des tentes à Corinthe et au travail duquel Paul aurait donné la main, nous ferions remarquer qu’il nous est présenté comme un expulsé de Rome, réduit à vivre comme il peut ; et qu’aussitôt après sa liaison avec Paul, il s’empresse de quitter ses outils pour aller annoncer la Bonne Nouvelle et en retirer des moyens d’existence.

On nous objectera sans doute que la colonie juive était trop considérable à Rome pour être composée uniquement d’exorcistes. Il est évident que s’il y avait en effet un fort grand nombre de Juifs à Rome, tous ne pouvaient être des guérisseurs.

On lit dans le IIe livre des Annales (85) que le Sénat sous Tibère expulsa de l’Italie les Juifs et les Égyptiens et que quatre mille affiliés furent déportés en Sardaigne. Ce chiffre est en lui-même fort incertain ; il s’applique à toute l’Italie et il ne nous donne aucune indication sur le nombre d’individus qui étaient spécialement à Rome ; ce qui nous intéresserait surtout, ce serait de connaître la proportion relative des Égyptiens et des Juifs qui sont confondus, et nous n’avons aucune donnée pour y arriver. Toutefois, quand on songe à l’importance considérable qu’avait prise en Italie le culte de Sérapis, au développement des confréries d’Isis et d’Osiris qui avaient pu élever un temple dans Rome même ; quand on se rappelle que le Sénat ayant jadis ordonné la destruction de ce sanctuaire, il ne se trouva pas d’ouvrier pour y porter la main et que force fut au consul Lucius Paulus de donner lui-même le premier coup de hache, on doit croire que les Juifs ne formaient qu’un groupe peu important parmi les expulsés.

On n’a donc aucune donnée exacte du nombre des enfants d’Israël qui se trouvaient à Rome, et nous ne voyons rien qui puisse infirmer ce que les auteurs romains ont dit d’eux.

Ils n’étaient point honnis par la population.

Après nous avoir dit que les chrétiens étaient en abomination à cause de leurs infamies, per flagitia invisos, l’auteur affirme que de tous les points de l’empire les gens sans aveu affluaient dans la Capitale où ils étaient assurés de trouver de la considération, confluunt celebranturque. On doit donc tout d’abord remarquer qu’il s’inflige à lui-même la plus flagrante contradiction.

Cherchons cependant à savoir si les Juifs étaient haïs et méprisés de la population de la ville.

Tous les esprits éclairés, Cicéron, Horace, Sénèque, Quintilien, Pline, ne voyaient qu’avec peu d’estime de tels hommes ; mais ils n’avaient pour eux ni plus ni moins de mépris que pour les autres corporations de devins. Et de leur côté les Juifs n’avaient aucune affaire avec eux.

Si les fils d’Abraham se trouvaient alors dans la capitale, c’était volontairement ; et il n’est pas à présumer qu’ils y étaient venus chercher des ennuis et des tribulations, que n’aurait pas manqué de leur faire subir une foule qui leur eût été hostile. Ils y venaient au contraire avec l’espérance de gagner de l’argent, de se procurer une existence meilleure que celle qu’ils avaient dans leurs bourgades. Ils devaient donc, comme toutes les populations pauvres qui vont pour faire fortune dans les grandes villes, se montrer humbles et serviables ; les patriotes, ceux qui avaient l’orgueil d’un enfant de Jéhova, qui se croyaient appelés à être les maîtres de l’Orient, qui avaient en haine le nom romain, ceux-là, nous l’avons dit, ne sortaient pas de la Palestine. Ceux qui avaient débarqué à Ostie pour faire des prosélytes, ceux-là devaient nécessairement chercher à attirer à eux une clientèle docile, à gagner la confiance des gens auxquels ils offraient de les guérir de leurs maladies, d’expliquer leurs songes, d’interroger pour eux les sorts de Jéhova.

Arrivaient-ils à leur but ? Écoutons Juvénal. Selon lui, la colonie juive à Rome était formée de gens misérables, sorte de bohémiens qui louaient à l’État la droit d’habiter dans le bois consacré à la nymphe Égérie, près de la porte Capène[47]. Élevés dans le mépris des lois romaines, ils ne suivaient que les préceptes mystérieux du livre de Moïse ; ils se faisaient circoncire, s’abstenaient de la viande de porc, mais ils mangeaient, disait-on, de la chair humaine ; fidèles observateurs du sabbat, ils suspendaient ce jour-là tous les travaux ordinaires de la vie ; aucun d’eux ne daignait indiquer une rue, une fontaine au passant qui s’adressait à lui, si celui-ci n’était pas initié à leur culte[48]. Cependant ils savaient mettre de côté la fierté que leur donnait le caractère d’interprète sacré du Ciel et aller de maison en maison[49], tendre la main pour recevoir le salaire ou l’aumône. Ils n’étaient pas exigeants. On leur donnait peu. C’est au Juif que s’adressait quiconque voulait des chimères à bon marché[50].

Ainsi l’illustre satirique, tout en nous peignant les Juifs connue de bizarres personnages, des exploiteurs de la crédulité des classes inférieures de la société romaine, nous laisse voir qu’ils étaient écoutés du peuple et surtout des femmes, et il ne témoigne pas pour eux plus d’aversion qu’il n’en a pour tous ces autres charlatans orientaux qui avaient envahi la ville.

Si donc, sons Tibère, le sénat crut nécessaire de purger la ville des voyants juifs, d’ordonner leur expulsion, c’est une preuve qu’ils exerçaient sur une partie de la population une influence que l’autorité jugeait pernicieuse, mais qui n’en était pas moins réelle.

Aussi le peuple était loin d’applaudir aux mesures que le gouvernement croyait devoir prendre dans l’intérêt public. Il ne voyait que des victimes dans ceux qui étaient frappés, et il les prenait en plus grande considération. Tout devin, nous dit encore Juvénal[51], qui pour quelque escroquerie, quelque crime, ou l’emploi de quelque maléfice avait mérité les fers, le bagne ou l’exil, devenait un personnage en renom, était recherché d’une nombreuse clientèle ; celui qui n’avait eu aucun démêlé avec la police n’était qu’un homme sans valeur. Aussi beaucoup d’entre eux exhibaient de fausses marques de châtiments qu’ils prétendaient avoir subis de la main du carnifex.

Les voyants étaient si satisfaits de l’accueil qu’ils recevaient à Rome, ils y trouvaient tant d’avantages pour l’exercice de leurs métiers, qu’ils n’en sortaient qu’à regret ; et après chaque expulsion chacun d’entre eux s’ingéniait à rentrer dans la ville ; bientôt une nouvelle colonie se reconstituait.

Il est donc évident que la population romaine n’était pas hostile aux Juifs, et c’est ce dont témoignent Perse[52] et Sénèque[53]. Ils nous les montrent allumant librement, sans être troubles, des lampions à leurs fenêtres pour célébrer leurs fêtes religieuses.

Remarquons, d’autre part, que les écrivains juifs ne se sont jamais plaints de l’accueil que recevaient à Rome leurs compatriotes. A les entendre, ceux-ci, au contraire, étaient fort bien vus : ils avaient pour prosélytes de grandes dames telles que Poppée, des gens de la cour ; bien plus, la destinée du monde romain aurait été aux mains du prophétisme israélite ; c’est Agrippa qui aurait prédit à Caligula son élévation à l’empire ; c’est lui qui aurait décidé Claude à accepter le pouvoir[54], c’est Josèphe qui aurait donné confiance à Vespasien en lui dévoilant l’avenir et sa brillante fortune[55].

Les Nazaréens ou disciples de Jésus.

Les disciples de Jésus qui allaient au delà de la Palestine n’avaient pas de but différent de celui des autres voyants juifs[56]. On constate, en effet, qu’en dehors de la question du Messie, ils étaient jalousés et tenus en haine par les membres des synagogues établis avant eux dans le pays où ils arrivaient, parce qu’ils étaient des concurrents qui venaient comme eux guérir et chasser les démons.

Se sont-ils rendus de bonne heure dans la capitale ? Très vraisemblablement non. Car on ne saurait comprendre que ceux-là qui faisaient dire par Jésus : Je ne suis envoyé qu’aux brebis égarées d’Israël[57], et prétendaient que Jésus avait enjoint à ses apôtres de ne point aller vers les Gentils[58], aient été tentés de venir offrir le droit de cité dans le royaume du Messie aux oppresseurs du peuple de Dieu. Quand on voit les luttes et les haines qui éclatèrent parmi les disciples au sujet de l’admission dans leurs rangs des Syriens ou des Grecs, on ne peut guère présumer qu’ils aient été en faire l’offre aux Romains de Rome.

Toutes les situations ont leur logique. Aussi lorsqu’on a voulu établir que Paul avait fondé l’Église de la capitale, l’auteur des Actes, il faut le remarquer, semble n’avoir pas osé dire que le grand apôtre s’était rendu à Rome librement, volontairement dans un but de propagande ; il raconte, en effet, qu’il n’y a été conduit que par des circonstances fortuites, malgré lui[59], et par le fait même des Juifs.

Selon les Actes encore, Paul, quelques jours après son arrivée, rassemble les principaux Juifs, leur raconte son odyssée, jure qu’il est bon fils d’Israël, qu’il n’a rien dit ni fait contre les coutumes de leurs pères. A cette communication les Juifs lui répondent : Nous n’avons point reçu de lettre de Judée à ton sujet ; aucun frère n’a rapporté de mal contre toi. Nous serons bien aises cependant de connaître tes pensées, car tout ce que nous savons de cette secte, c’est qu’elle soulève partout de l’opposition[60].

Ainsi, dans la tradition des Églises, à l’arrivée de Paul à Rome, qu’on ne saurait placer avant l’an 61 ou 62, les principaux de la Synagogue ignoraient en quoi consistait la Bonne Nouvelle, et n’avaient rencontré sur les bords du Tibre aucun Nazaréen, aucun disciple de Jésus.

Donc il n’y avait pas ou il n’y avait que de rares disciples de Jésus à Rome au moment de l’incendie.

En tous cas quels motifs aurait eus la population de les haïr plus que les autres Juifs ? Par la nature de la Promesse qu’ils apportaient et qui était l’annonce de la prochaine venue de Jésus le Nazaréen et la résurrection des initiés ; d’autre part aussi par le peu d’importance personnelle des apôtres[61], les croyants ne pouvaient se composer que de gens appartenant aux classes inférieures de la société[62]. C’est ce dont convient l’épître aux Corinthiens[63]. Or, c’était précisément sur ces classes que s’appuyait Néron, et des confréries populaires n’auraient pu être inquiétées par lui ; il savait fort bien que le peuple était plus à craindre que les sénateurs et les chevaliers[64].

Les Jesséens, d’ailleurs, apportaient alors la plus grande circonspection dans leur conduite ; ils avaient pour règle : Soyez prudents comme des serpents et simples comme des colombes ; si l’on vous maltraite dans une ville, fuyez dans une autre[65].

Aussi les Actes des Apôtres témoignent-ils d’une façon indéniable que les disciples de Jésus se flattaient d’avoir toujours été protégés par les magistrats romains.

Conclusion.

Il n’est pas possible, on en conviendra, de comprendre comment les Juifs, et encore moins comment parmi eux ceux de la secte des Jesséens ou Nazaréens auraient été indiqués au choix de Néron pour porter devant le peuple la responsabilité de l’incendie.

Il faut nécessairement voir dans l’inimitié supposée du gouvernement et de la population contre eux, le transport à l’époque de Néron d’un état des esprits qui s’est produit beaucoup plus tard, quand leurs associations prirent un grand développement et se montrèrent agressives contre les anciens cultes et hostiles au pouvoir politique et religieux des empereurs.

 

 

 



[1] Sénèque, Consolation à Helvia, 6 : quæ velut communis patria potest dicit.

[2] Juvénal, Satires, III, v. 6.

[3] Tacite, Annales, XV, 58. Suétone, Néron, XXXIV.

[4] Juvénal, Satires, II, v. 164. - Pline le jeune, Lettres.

[5] Juvénal, Satires, III et VI.

[6] Ézéchiel, XXVII, 17.

[7] La pêche et la salaison de poisson étaient un des principaux objets du commerce des Phéniciens, comme le hareng saur le fut pour les Hollandais ; et à ce propos remarquons que Chananéens et Néerlandais ont la même signification, habitants des pays bas.

[8] Néhémie, XIII, 16.

[9] Apôtres, ch. XVI.

[10] Munk, Palestine, p. 383, 395.

[11] Josèphe, Contre Apion.

[12] Apocalypse, III, 16, 17.

[13] Apocalypse, XVIII.

[14] Mathieu, XXIII, 14, 18. Luc, XIX, 45, 46. Jean, II, 14, 17, XIII, 29. Actes, XXI, 24.

[15] Exode, XII, 6.

[16] Mathieu, XXIII, 6, 7.

[17] Cicéron, de Divinatione, ch. XCI et suiv.

[18] Nous ne savons jusqu’à quel point la langue grecque, la langue officielle de la cour des Macédoniens, avait pénétré dans la Judée au temps de leur domination. Mais depuis deux siècles déjà cette province était devenue un royaume autonome et, hors des villes commerciales de la côte, on n’y parlait que le syro-chaldaïque.

D’après ce qui est dit dans le Nouveau Testament au sujet de l’écriteau que Pilate aurait fait mettre sur la croix de Jésus, il est probable que les communications des magistrats romains aux populations juives étaient trilingues, qu’elles étaient formulées en latin, en grec, et en syro-chaldaïque, et l’évangéliste nous dit que c’est le texte en idiome national qui permit aux gens du temple d’en prendre connaissance. (Jean, XIX, 20.)

D’autre part, dans les Actes des Apôtres, on lit que Paul, conduit à la citadelle pour y être incarcéré, demanda au tribun de l’escouade, en grec : M’est-il permis de dire quelque chose ? A ces mots, le tribun, étonné d’entendre un juif s’exprimer dans une autre langue que le syro-chaldaïqe, lui dit : Tu sais donc le grec ? (Actes, XXI, 37.)

C’est pourquoi l’on ne put expliquer comment les disciples de Jésus auraient pu annoncer la Bonne Promesse au dehors de la Palestine, qu’en faisant intervenir le miracle, la descente du Saint-Esprit en langues de feu, ce qui leur aurait donné la faculté de parler des langues étrangères. (Actes, II, 3, 4.)

[19] Suétone, lib. XXXVI. Egyptos judaicosque ritus compescuit. Josèphe, Ant., XVIII, 3, Tacite, Annales, II, 85. Actum et de Egyptiis judaicisque pellendis.

[20] Munk, Palestine, p. 500.

[21] Tertullien, Apologétique, XVIII.

[22] De Abrah., v. 18, cité par Michel Nicolas, Doctrines religieuses des Juifs, page 300.

[23] Ier évangile, ch. II.

[24] Mommsen, H. R., liv. IV, eh. XII.

[25] Philon et quelques rares esprits d’élite s’étaient, il est vrai, imbus des idées égypto-platoniciennes. Mais ils étaient des exceptions, et n’eurent guère d’influence sur les idées religieuses des Palestiniens.

[26] Les Juifs n’eurent aucune idée générale qui leur fût propre : ils ne se sont jamais distinguée des grands peuples qui les environnaient que par leur retard dans la civilisation. Les doctrines proprement juives ne pouvaient avoir et n’eurent aucune influence dans le monde, et la preuve c’est que les hétairies chrétiennes durent, pour étendre leur cercle d’action, répudier le mosaïsme, c’est-à-dire la Loi écrite, étroite, immuable, et adopter une doctrine perfectible sous l’inspiration de l’Esprit-Saint, ou du moins modifiable selon les temps et les lieux. C’est pour cela que le quatrième évangile fait dire par Jésus à ses apôtres : J’ai encore bien des choses à vous dire, mais elles sont au-dessus de votre portée. L’Esprit plus tard viendra et vous conduira dans la vérité. Aussi c’est par un des faits historiques les plus singuliers que les livres sacrés hébraïques ont acquis la renommée dont ils jouissent ; c’est par l’exaltation qu’en ont faite les plus ardents ennemis des Juifs. Les chrétiens, en effet, ayant pour les besoins de leur cause voulus donner une origine antique à leur secte, déclarèrent, par la plus audacieuse contradiction, que la religion qu’ils propageaient était la continuation de ce judaïsme qu’ils accablaient de leurs anathèmes.

[27] Josèphe, Ant., VIII, 2 ; 3e Évangile, IX, 49.

[28] Genèse, XL. Josèphe, Guerre judaïque, II, 14. Juvénal, Satires, VI, 546.

[29] Josèphe, Guerre judaïque. Actes des Apôtres, XI, 38.

[30] C’est ce qu’il faut entendre, croyons-nous, par le Quorum cophinus fœnumque supellex, dont parle Juvénal (satire III, 14 ; VI, 48). En le traduisant, comme on le fait ordinairement, par un panier de foin forme tout leur mobilier, le vers du poète n’a aucun sens. A notre avis supellex indique ici, non le mobilier, mais la marmotte, l’instrument de leurs opérations, de leur travail. (Virgile, Géorgiques, I, 68, 66.) Juvénal, plein de dédain pour les circoncis et leur métier, qualifie leur bagage mystérieux de panier de foin ; tandis qu’un auteur juif aurait dit une cista au lieu de cophinus pour désigner le coffret mystique, et soit hyssopum, soit herba mirabilis ou sacra (Pline, H. N., XXIV, 99) pour spécifier la plante magique qui y était renfermée.

[31] Munk, Palestine, page 19. Hœfer, Phénicie, p. 34.

[32] Pline, H. N., XXV, 87.

[33] Suétone, Vespasien, 6. Dei carmeli consulentem ira confirmavere sortes.

[34] Josèphe, Guerre des Juifs, VII, y consacre le chapitre XXIIIe.

[35] Antigone.

[36] Juvénal, Satires, III, v. 130.

[37] Mathieu, XIII, 14.

[38] Satyricon, XV.

[39] Les filles de joie étaient également inscrites sur les registres publics. Tacite, Annales, II, 85.

[40] Ch. Dezobry, Rome au siècle d’Auguste, lettre 20. La police.

[41] Josèphe, Ant. jud., V.

[42] Pline, H. N., XXX, 2.

[43] Sénèque, Lettre XCV.

[44] Perse, satire V.

[45] Juvénal, Satires, III, VI.

[46] Actes, XVIII, 3, 18.

[47] Satires, III, 13-16.

[48] Satires, XIV, 96-104.

[49] Satires, VI, 143. Actes, XX, 20, Mathieu, X, 12, 13, II Timothée, III, 6.

[50] Satires, VI, 543-541.

[51] Satires, VI, 557-64.

[52] Perse, satire V.

[53] Lettre XCV.

[54] Josèphe, Ant. Jud., liv. XVIII, ch. VI. Liv. XII, ch. IV.

[55] Josèphe, Guerre Judaïque, Liv. III, ch. VII.

[56] Actes, XIII, 4-12 ; XIX, 13-20.

[57] Mathieu, XV, 24.

[58] Mathieu, X, 5, 6.

[59] Actes, XXV, 13 ; XXVI, 33.

[60] Actes, XXVIII, 14-29. Cette même tradition est rapportée dans la IIe épître à Timothée.

[61] Actes, IV, 13.

[62] Actes, XVII 32 : Tertullien, Apologétique, 48 ; Pline, Histoire naturelle, VII, 56.

[63] I Corinthiens, I, 26.

[64] Tacite, Annales, XIV, 50 ; Juvénal, Satires, IV, in fine.

[65] Ier Évangile, X, 16, 83.