Lettre d'Hincmar, Archevêque de Reims

 

AUX ÉVÊQUES ET AU ROI CARLOMAN

 

Texte mis en page par Marc Szwajcer

 

 

I

Hincmar, évêque et serviteur du peuple de Dieu

Considérant mon âge avancé et l’ancienneté de mon ordination, vous qui êtes plus jeunes que moi, bons et sages hommes, vous vous adressez à mon humilité, et me priez, moi qui ai pris part à la direction des affaires de l’église et du palais, alors qu’elles prospéraient au milieu de la grandeur et de l’unité du royaume, et qui ai entendu les conseils et les doctrines des hommes qui ont gouverné la sainte Eglise eu toute sainteté et justice, et de ceux qui aux temps passés ont assuré la prospérité du royaume et son unité, et à l’école desquels j’ai appris les traditions de leurs prédécesseurs, moi qui, après la mort de mon seigneur Louis, empereur, ai vécu dans la compagnie de ceux qui se sont efforcés de maintenir la concorde entre ses fils, nos rois, et qui les ai aidés dans la mesure de mes forces par mes fréquents voyages, mes paroles et mes écrits, vous me priez de retracer, d’après ce que j’ai appris et ce que j’ai vu moi-même, pour l’instruction de notre jeune et nouveau roi, comme aussi pour la restauration de l’honneur et de la paix de l’Église et du royaume, l’organisation ecclésiastique et celle de la maison royale dans le palais sacré; afin que, pénétré de ces maximes dès le début de son règne, notre roi puisse, dans le gouvernement du royaume, plaire à Dieu, régner heureusement en ce siècle et gagner ainsi le royaume éternel. Nous savons par expérience qu’un vase neuf garde longtemps la saveur et l’odeur dont il a été tout d’abord imprégné, comme dit un sage: « Quod semel est imbuta recens servabit odorem testa diu[1]. »

Et nous lisons qu’Alexandre eut dans son enfance un précepteur nommé Léonide, homme de mœurs relâchées et d’une conduite déréglée ; l’enfant prit ses défauts comme il eût sucé un lait malsain. Plus tard, à l’âge de la maturité, devenu un roi puissant, il se reprenait lui-même et cherchait à se corriger; mais, à ce qu’on rapporte, lui qui avait vaincu tous les royaumes, il ne put se vaincre lui-même.

II.

Que le roi comprenne donc à quelle charge il a été promu et qu’il écoute l’avertissement et la menace du Roi des rois lui disant à lui et aux autres rois: « Et maintenant, rois, comprenez, soyez instruits vous qui jugez la terre. Servez Dieu avec crainte et réjouissez-vous en lui en tremblant. Suivez ses préceptes de peur que le Seigneur ne s’irrite et que vous ne sortiez de la voie juste. » Beaucoup ont péri pour n’avoir pas tenu compte de ces paroles; nous le lisons dans les histoires, nous l’avons entendu dire, et même nous le savons par des exemples de notre temps. Qu’il écoute aussi ce précepte de la Sainte Ecriture : « Aimez la justice, vous qui jugez la terre. Que votre bonté s’inspire de Dieu, et cherchez-le avec un cœur simple...; car la sagesse n’entrera pas dans une âme perverse, elle n’habitera pas dans un corps assujetti au péché. »

III.

Quant à moi, pour satisfaire aux devoirs de mon ministère et à votre juste et raisonnable requête, j’entreprendrai l’œuvre que vous me demandez; les idées ni les mots ne seront miens; mais je m’appuierai sur la tradition des ancêtres, me rappelant ces paroles du Seigneur au prophète: « Écoute, et tu leurs annonceras ce que tu auras appris de moi. » Tu leur parleras d’après moi, dit-il, et non d’après toi; parce que, comme il l’a encore dit: « Celui qui tire tout de son propre fonds cherche sa propre gloire. » La Sainte Ecriture recommande à tout administrateur, à quelque ordre qu’il appartienne, de connaître tout ce qu’elle-même enseigne; car, s’il comprend le principe de l’administration qui lui est commise, il s’y applique avec plus de soin, sachant qu’il devra en rendre compte comme d’un talent à lui confié. Nous comparaîtrons tous devant le tribunal du Christ afin que chacun y rapporte ce qu’il a fait de son vivant, bonnes ou mauvaises actions. Qu’il n’entende point le juste Juge lui dire ce que le Seigneur dans l’Évangile déclare devoir répondre au serviteur méchant et paresseux, mais qu’il mérite plutôt cet éloge: « Bien! bon et fidèle serviteur, parce que tu as été fidèle quand il s’agissait de peu de choses, je t’établirai sur des biens nombreux; entre dans la joie de ton Seigneur.»

IV.

Nous lisons dans l’Ancien Testament que David, à la fois roi et prophète, préfigurant Notre Seigneur Jésus-Christ, qui seul a pu être tout ensemble roi et prophète, établit la division des prêtres en deux ordres: d’abord les souverains sacrificateurs ou pontifes, puis des sacrificateurs d’un rang inférieur, qui sont aujourd’hui les prêtres; ordonnant qu’à la mort de chaque pontife, le prêtre qui serait jugé le meilleur lui succédât dans le pontificat. Et, dans le Nouveau Testament, nous lisons dans l’Évangile que Notre Seigneur Jésus-Christ parmi ses nombreux disciples en choisit douze qu’il appela apôtres. Ce sont les évêques qui maintenant dans l’Église tiennent leur place, comme l’Écriture Sainte et les docteurs catholiques le démontrent. Notre Seigneur désigna encore soixante-douze autres disciples qui, placés au dessous des douze apôtres, préfiguraient les prêtres, c’est-à-dire les sacrificateurs du second ordre; afin qu’à la mort des évêques, des prêtres de cette classe fussent, aux termes des canons inspirés par Dieu et consacrés par le respect universel, élevés à leurs places au souverain sacerdoce. On en trouve une preuve éclatante dans les Actes des Apôtres, quand Pierre, après la mort de Judas, qui avait compté parmi les apôtres et avait obtenu la charge apostolique, s’adresse en ces termes à ses frères: « Il faut que parmi ces hommes qui ont vécu dans notre compagnie tout le temps que Notre Seigneur Jésus a passé au milieu de nous, nous en choisissions un qui témoigne avec nous de sa résurrection. » L’élection divine désigna Mathias qui dès lors s’ajouta aux onze apôtres.

V.

Nous lisons dans l’histoire sacrée des Rois que les princes des prêtres, quand ils consacraient les rois par l’onction sainte, posaient sur leur tête une couronne symbolisant la victoire et leur mettaient dans la main le livre de la Loi, afin qu’ils sussent qu’il était de leur devoir de se gouverner eux-mêmes, de corriger les mauvais et de maintenir les bons dans la voie droite. Comme le bienheureux pape Gélase le démontre dans sa lettre à l’empereur Anastase, en s’appuyant sur les Saintes Écritures, et comme il est dit dans les actes du concile récemment tenu au tombeau de sainte Macre, deux puissances concourent au gouvernement général du monde, en même temps que certaines choses sont plus spécialement dévolues à chacune d’elles: l’autorité sacrée des pontifes et le pouvoir royal. Les devoirs que chacune de ces dignités impose à ceux qui en sont revêtus ne sont pas moins différents que les noms qui les désignent. Que chacun prenne donc garde au nom de l’office qu’il remplit et qu’il s’efforce de tout son pouvoir de même d’accord nom et office. « Que d’abord, » comme le dit saint Cyprien, l’évêque recherche le sens du nom donné à sa dignité, puisque le mot grec évêque veut dire surveillant. Il est institué comme un surveillant; et, ce qu’on est en droit d’exiger d’un surveillant, Dieu lui-même le déclare lorsqu’il expliqué à l’évêque la nature de son office par ces paroles adressées au prophète Ezéchiel: « Je t’ai donné comme surveillant à la maison d’Israël. » Le devoir du surveillant est de montrer sans cesse par ses exemples et ses paroles au peuple qui lui a été confié la manière dont il doit vivre; comme il a été écrit du Christ, qui ordonne de le suivre, c’est-à-dire de conformer sa vie à ses actions et à son enseignement: « Qui caepit Jésus facere et docere... » Ainsi, que l’évêque ait soin de se renseigner sur la vie et les mœurs des fidèles qui lui sont confiés, et, ces mœurs une fois connues, qu’il s’efforce de les corriger, s’il peut, par la parole et l’action; s’il ne peut y réussir, il doit alors, conformément à la règle de l’Évangile, éloigner de lui les ouvriers d’iniquité.

VI.

Le roi doit faire en sorte que ses actions répondent à la dignité de son nom. Le nom du roi signifie qu’il doit remplir auprès de tous ses sujets l’office de directeur. Mais comment pourrait-il corriger les autres celui qui dans ses propres mœurs ne se garde pas de l’iniquité? puisque c’est par la justice du roi que le trône est exalté, et c’est par la vérité que sont affermis les gouvernements des peuples. En quoi consiste la justice du roi, saint Cyprien le montre surabondamment dans le degré neuvième du Traité des Abus.

VII.

L’ordre ecclésiastique a des lois promulguées par la divinité, fixant la façon dont chacun doit parvenir au rang suprême du gouvernement, c’est-à-dire à l’épiscopat; et la façon dont l’évêque constitué légalement doit vivre, la façon dont il doit enseigner, et lui indiquant comment, tout en vivant bien et en enseignant selon les règles, il doit considérer et reconnaître chaque jour sa faiblesse, comment aussi il doit gouverner les ministres qui lui sont soumis; enfin, avec quelle pureté d’intention il lui faut conférer les ordres sacrés et avec quelle discrétion lier et délier les fidèles. Dans ces mêmes lois il a été écrit d’elles-mêmes:

« Qu’il ne soit permis à aucun prêtre d’ignorer les canons ni de faire rien qui soit contraire aux règles posées par les Pères. » Car, on ne se rend pas moins coupable en allant contre les saintes traditions qu’en attaquant le Seigneur lui-même. S’il en est ainsi, c’est que le schisme et l’hérésie se touchent de près, comme le montrent les autorités sacrées. En d’autres termes, le schismatique qui, par mépris des saintes règles, leur désobéit et se sépare de l’unité de l’Église, qui est le corps du Christ, ne pêche pas moins que l’hérétique qui professe des opinions erronées sur Dieu, qui est la tête de l’Église.

VIII.

Et de même qu’il a été dit des lois ecclésiastiques qu’il n’est permis à aucun autre d’en ignorer les canons ni de rien faire contre les règles des Pères; de même, les lois sacrées ont décrété que nul n’a le droit d’ignorer les lois ni de mépriser leurs décisions. Et puisqu’il est dit que chacun doit connaître les lois et se conformer aux règles qu’elles ont posées, il n’y a personne dans l’ordre laïque, quelque place qu’il occupe, qui puisse se soustraire à cette obéissance. Il y a en effet des lois que les rois et les officiers de l’État sont tenus d’appliquer dans le gouvernement de quelque province que ce soit, il y a aussi les Capitulaires des rois chrétiens et de leurs descendants promulgués légalement par eux avec le consentement général de leurs fidèles, et qu’ils doivent observer. Saint Augustin dit de ces lois : « Bien que les hommes puissent en juger lorsqu’ils les établissent, cependant, une fois établies et sanctionnées, les juges n’ont plus à les juger, mais à rendre la justice d’après elles. »

IX.

C’est un devoir plus impérieux encore pour le roi et pour chacun, à quelque ordre qu’il appartienne, de ne pas mépriser les lois divines. Aussi les princes de la terre doivent veiller avec soin à ne pas laisser offenser Dieu en la personne de ceux qui ont charge de maintenir la religion chrétienne et de préserver les autres de toute offense. Puisque le roi a, par la volonté de Dieu, pris en mains la protection et la défense de l’Église, c’est par son consentement et aussi par l’élection du clergé et du peuple, et l’approbation des évêques de la province, et sans vénalité, que l’on doit parvenir à la dignité épiscopale; car le Seigneur dit dans l’Evangile. « Celui qui n’entre pas dans la bergerie par la porte, mais s’y introduit autrement, celui-là est un voleur et un larron. » Le roi ne doit pas faire difficulté de se conformer en toutes manières aux règles ecclésiastiques, s’il ne veut offenser le Roi des rois. Les évêques et le roi doivent faire en sorte de n’apporter dans les élections épiscopales aucune préoccupation étrangère au service de Dieu; que ni les présents, ni aucun lien humain, ni la parenté, ni l’amitié, ni un service temporel, ni quelque considération que ce soit, contraire à la vérité ou à l’autorité divine, ne soient pour rien dans l’élection. Que le roi, comme le démontre saint Augustin, ne se laisse ni gagner par les présents et les flatteries des méchants, ni tromper par les adulations; qu’il n’épargne pas par une affection toute charnelle et parce qu’il leur est uni par des liens de parenté ceux qui se livrent à des agissements pervers contre Dieu, la sainte Église et l’État. Car l’Esprit de Dieu a dit par la bouche du prophète David : « Est-ce que je ne haïssais pas, Seigneur, ceux qui t’ont haï, et n’ai-je pas séché de douleur à la vue de tes ennemis? Je les haïssais d’une haine profonde et ils sont devenus mes ennemis. » Haïr d’une haine parfaite les ennemis de Dieu consiste à aimer le bien pour lequel ils sont nés et à blâmer le mal qu’ils font, à réprimer les mœurs des méchants et à travailler par là à leur salut.

X.

Le roi doit établir des comtes et au dessous d’eux des juges qui détestent l’avarice et aiment la justice, qui s’acquittent de leurs fonctions avec équité et choisissent des subordonnés possédant les mêmes qualités. Tous ceux qui sont établis pour commander et sont appelés seigneurs, à quelque ordre qu’ils appartiennent et quelque charge qu’ils remplissent, doivent, comme le démontre saint Cyprien au sixième degré de l’Abus, posséder, avec l’aide de Dieu, la vertu du commandement; car le pouvoir de commander ne sert de rien si l’on n’y joint la fermeté de la vertu. Cette fermeté ne consiste pas tant dans la force matérielle, qui est cependant nécessaire aux seigneurs séculiers, que dans la fermeté d’âme, c’est-à-dire dans la pratique des bonnes mœurs on perd, en effet, le pouvoir de commander par faiblesse d’âme. Ceux qui commandent doivent obtenir trois choses : la terreur, l’obéissance et l’amour; si le seigneur n’est pas à la fois aimé et craint, il ne peut obtenir l’obéissance par ses bienfaits et sa bienveillance, il s’attirera l’amour de ses sujets, par de justes châtiments infligés, non pas pour venger ses propres injures, mais au nom de la loi de Dieu, il se fera craindre. Mais, parce que beaucoup de personnes dépendent de lui, lui-même doit s’attacher à Dieu, qui l’a placé au pouvoir et l’a établi, comme le plus fort, pour porter des fardeaux nombreux. Lorsqu’un pieu n’est pas solidement affermi et n’est pas fixé à quelque chose de plus fort, tout ce qui est suspendu à lui ne tarde pas à tomber, et lui-même cédant sous le poids tombe à terre avec sa charge. Il en est ainsi du prince qui, s’il ne s’attache pas étroitement à son Créateur, tombe, lui et tous ceux qu’il maintient. » Et qu’il sache que, puisqu’il s été mis à la tête des autres hommes, s’il ne corrige pas et lui et tous les pêcheurs qui lui obéissent en ce monde, c’est lui que frappera dans l’autre monde un châtiment implacable.

XI.

Les actes du concile tenu au tombeau de sainte Macre, dont il a été question, contiennent réunies par chapitres, brièvement et aussi utilement, si on les respecte et les observe, les décisions des Pères de l’Eglise, conformes aux Saintes Écritures, et les constitutions des rois chrétiens, concernant l’honneur et l’affermissement de la sainte Église et de ses ministres, le gouvernement du roi et du royaume, et l’organisation de la maison royale. Cependant, puisque le Samaritain, qui représente le vrai gardien du genre humain, en donnant deux deniers, en d’autres termes l’Ancien et le Nouveau Testament, à l’hôtelier, c’est-à-dire à l’ordre des pontifes, à qui il avait confié le soin et la guérison d’un blessé, a dit : « Ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai à mon retour, » je m’efforcerai d’ajouter, à titre de supplément aux actes du concile de Sainte-Macre, les choses que j’ai déjà consignées dans cet opuscule et celles qui vont suivre.

XII.

Adalhard, ce vieillard et ce sage, parent de monseigneur l’empereur Charles le Grand, abbé du monastère de Corbie, le premier conseiller entre les premiers, je l’ai connu dans ma jeunesse. J’ai lu et j’ai transcrit son opuscule sur l’Organisation du Palais: on y voit entre autres choses que le gouvernement de tout le royaume comprenait deux divisions, le jugement du Dieu tout puissant étant réservé et dominant toujours et partout. La première division assurant la direction constante et l’organisation du Palais du roi; la seconde division assurant, selon les circonstances et par un zèle prévoyant, l’administration du royaume entier.

XIII.

En ce qui touche la première division, le palais du roi était organisé comme il suit, pour le bien du gouvernement tout entier. Le roi et la reine, avec leur très noble famille, étaient placés au dessus de tous; quant aux affaires spirituelles et séculières, et aux soins matériels, les officiers que nous allons nommer en avaient constamment la direction. En premier lieu venait l’apocrisiaire, c’est-à-dire l’officier préposé aux affaires ecclésiastiques : sa charge prit naissance au temps où l’empereur Constantin le Grand, devenu chrétien, et voulant donner un témoignage de son amour et de son respect pour les saints apôtres Pierre et Paul, par l’intermédiaire desquels il avait obtenu la grâce du sacrement de baptême, abandonna par un édit sa capitale, la ville de Rome, au pape Silvestre, et transporta le siège de son empire dans la cité, jusqu’alors nommée Byzance, et qui, augmentée par lui, prit son nom; dès lors le siège de Rome et les autres sièges principaux eurent continuellement au palais un légat chargé des affaires ecclésiastiques.

XIV.

Le siège apostolique confiait cette mission tantôt à des évêques, tantôt à des diacres. C’est en cette dernière qualité que saint Grégoire la remplit. Les autres sièges principaux se faisaient aussi représenter par des diacres, comme l’ordonnent les canons sacrés. Dans les pays Cisalpins, après que Clovis, grâce à la prédication de saint Remi, eut été converti au christianisme et qu’il eut reçu de lui le baptême, la veille du saint jour de Pâques, en même temps que trois mille Francs, ce furent les saints évêques qui, sous ses successeurs, quittant leurs sièges en temps opportun pour venir au palais, s’acquittaient tour à tour de cette charge. Mais depuis le temps de Pépin et de Charles, cet office fut donné tantôt à des prêtres, tantôt à des évêques, mais par la volonté royale et avec le consentement épiscopal, plutôt à des diacres ou à des prêtres qu’à des évêques; car ceux-ci doivent exercer une continuelle surveillance sur leur troupeau, le diriger par les exemples et les paroles et, comme le déclarent les canons sacrés, ne pas rester trop longtemps éloignés de leur diocèse.

XV.

Les évêques, d’après les décisions des canons sacrés réunies par saint Grégoire, ne doivent pas séjourner inutilement au siège du gouvernement, que nous appelons maintenant la demeure royale ou plus habituellement le palais, de peur d’encourir une accusation, et en agissant contre les canons qu’on leur a remis lors de leur ordination de perdre leur dignité ecclésiastique. Et pour prendre des exemples et montrer tout à la fois ce qui est permis et ce qui est défendu, au temps de Pépin et de Charles, la charge d’apocrisiaire fut remplie, avec le consentement des évêques, par Fulrade, prêtre, puis au temps de Charles par les évêques Angelramne et Hildebold, enfin au temps de Louis par Hilduin, prêtre, et après lui par Fulcon, également prêtre, et ensuite par l’évêque Drogon.

XVI.

L’apocrisiaire, que nous appelons maintenant chapelain ou gardien au palais, avait sous ses ordres et sa direction tout le clergé du palais. L’archichancelier lui était uni; on le nommait autrefois a secretis; il était préposé à des officiers qu’on choisissait sages, intelligents et dévoués, tels qu’ils rédigeassent les préceptes royaux sans se laisser aller à la vénalité et à l’amour du gain, et capables de garder fidèlement les secrets qu’on leur confiait. A la suite de l’apocrisiaire et de l’archichancelier, le palais sacré comprenait encore dans son organisation d’autres fonctionnaires : c’étaient le chambrier, le comte du palais, le sénéchal, le bouteiller, le connétable, le maître des logis, quatre veneurs principaux et un fauconnier.

XVII.

Et quoique sous eux ou à côté d’eux il y eût d’autres officiers, tels que l’huissier, le trésorier, le dépensier, le gardien de la vaisselle, et quoique chacun de ces derniers eût sous lui des subalternes, juniores ou decani, ou même des délégués, comme les garde-chasse, les officiers des chiens, les chasseurs de castors et d’autres encore; quoique chacun d’eux eût dans le palais une fonction en rapport avec ses aptitudes, cependant ce n’était pas à eux comme aux autres officiers principaux qu’appartenaient, ainsi qu’on le verra plus loin, l’administration générale de tout le royaume et la solution des affaires, grandes ou petites, qui se présentaient chaque jour au palais lorsqu’ils y étaient réunis. Les grands fonctionnaires eux-mêmes, en raison de la diversité de leurs charges, de leurs qualités et des circonstances, n’étaient pas tous également utiles, quoique aucun d’eux, comme on l’a dit, ne pût ou même ne voulût se soustraire au service du roi à cause de la pleine fidélité qu’il devait garder au roi et au royaume. Sur les personnes et les charges de ces officiers, il y aurait beaucoup à dire; voici seulement les choses les plus importantes.

XVIII.

D’abord, suivant la nature et l’importance de chaque office, on choisissait pour le remplir une personne aussi noble par le cœur que par le corps, fidèle, intelligente, discrète et sobre. De plus, comme ce royaume, par la grâce de Dieu, est formé de plusieurs régions, on prenait soin, autant que possible, de tirer des diverses régions ces fonctionnaires, qu’ils appartinssent au premier ou au second rang, ou à quelque rang que ce fût, afin de faciliter l’accès du palais à tous les sujets, sûrs qu’ils étaient d’y rencontrer des membres de leur famille ou des personnes originaires de leur pays.

XIX.

Telles étaient en quelques mots les règles suivies dans le choix et la nomination des fonctionnaires du palais. Venons maintenant à leurs attributions et la hiérarchie de leurs offices. Car, bien que chacun de ces officiers dont nous avons parlé fût indépendant dans son office, n’eût personne au dessus de lui, et relevât directement du seul roi ou, suivant les cas, de la reine et de la famille royale, cependant, dans les affaires qui ne dépendaient pas de leur charge ou qui concernaient d’autres personnages, tous n’avaient pas auprès du roi un égal accès, mais chacun d’eux, se renfermant dans la mesure de ses attributions et de son autorité, implorait, quand les circonstances le voulaient, l’intermédiaire d’un autre fonctionnaire. Au premier rang venaient l’apocrisiaire, que nous appelons chapelain ou gardien du palais, et le comte du palais, ayant pour mission expresse : le premier, de diriger toutes les affaires de l’Eglise et de ses ministres; le second, de prendre en mains toutes les causes et les jugements séculiers, de façon à. ce que ni les ecclésiastiques ni les laïques n’eussent à s’adresser au roi avant d’avoir pris leur avis et avant qu’ils n’eussent jugé s’il était nécessaire de déférer la cause au roi; l’affaire était-elle secrète et convenait-il que le roi en fût informé avant tout autre, ces officiers fournissaient à l’intéressé l’occasion de la lui communiquer, après avoir prévenu le roi, pour qu’il pût, selon la qualité de la personne, l’accueillir avec honneur ou patience, ou même compassion.

XX.

L’apocrisiaire s’occupait de tout ce qui concernait la religion et la hiérarchie ecclésiastique, et aussi des difficultés relatives aux chanoines ou aux moines, en un mot de toutes les affaires ecclésiastiques apportées à la cour; il prenait soin que, parmi les causes étrangères au palais, celles-là seules vinssent au roi qui n’auraient pu être terminées sans lui. Il n’avait pas seulement la direction de tout ce qui touchait spécialement à l’organisation ecclésiastique et au service religieux du palais; il fallait encore que tous ceux des palatins qui avaient besoin d’une consolation spirituelle le trouvassent prêt à leur donner conseil; même, allant au devant de ceux qui ne réclamaient par son assistance, mais à qui il sentait qu’elle était nécessaire, il devait, tenant compte de la qualité des personnes, les détourner d’un projet pervers ou d’une entreprise mauvaise et leur montrer la voie du salut. Quant à toutes les autres choses d’ordre spirituel, qu’il serait trop long d’énumérer, et auxquelles ceux qui vivaient continuellement au palais ou qui n’y venaient qu’en passant devaient pourvoir, ou qu’ils devaient prévoir, selon Dieu ou selon le siècle, le soin lui en était spécialement confié; non pas que quelque autre des palatins ou des étrangers présents à la cour, si par la grâce de Dieu il possédait les lumières que donnent la sagesse et la vraie dévotion, ne pût se mêler de ces sortes de choses; mais c’était généralement la coutume qu’il agit de concert avec l’apocrisiaire, ou d’après son conseil, de peur qu’il ne suggérât au roi quelque décision fâcheuse ou indigne.

XXI.

Le comte du palais, parmi ses attributions presque innombrables, n’en avait pas de plus importante que de terminer, selon la justice et la raison, tous les procès légaux qui, nés ailleurs, étaient apportés au palais pour y recevoir une solution conforme à l’équité, et aussi de réformer les jugements mal prononcés; de manière à plaire à tous: à Dieu, par sa justice, aux hommes, par son respect des lois. Un cas se présentait-il, que les lois séculières n’eussent pas prévu dans leurs décisions ou sur lequel la coutume païenne eût statué plus cruellement que ne le comportent la justice chrétienne et la sainte autorité de l’Eglise, on en remettait l’examen au roi, afin qu’avec l’assistance de personnes également versées dans l’un et l’autre droit et craignant la loi de Dieu plus que les lois humaines, il en décidât de façon à concilier ces législations toutes les fois qu’elles pouvaient l’être; si cela était impossible, la loi du siècle devait, comme il convient, céder devant la justice de Dieu.

XXII.

L’économie intérieure du palais, à l’exception de la boisson, de la nourriture, et aussi de l’entretien des chevaux, et spécialement la pompe royale et encore la réception des dons annuels des vassaux appartenaient à la reine d’abord, et sous ses ordres au chambrier; selon les circonstances, tous deux avaient soin de prévoir à temps l’avenir de façon à ce que quelque chose ne vint pas à manquer au moment opportun et quand on en avait besoin. Quant aux dons qu’apportaient les diverses ambassades, c’était l’affaire du chambrier; à moins que, sur l’ordre du roi, il ne dût en conférer avec la reine. Dans l’administration de toutes ces choses et autres du même genre, la reine et le chambrier agissaient de telle sorte que, libre de toute inquiétude domestique, et sans souci des affaires intérieures du palais, autant du moins qu’il était raisonnable et convenable, le seigneur roi pût, ne cessant jamais de mettre son espoir en Dieu tout puissant, avoir l’esprit toujours prêt à organiser et à maintenir l’ordre du royaume entier.

XXIII.

Quant aux trois autres fonctionnaires, le sénéchal, le bouteiller et le connétable, il convenait que, selon la nature et l’importance de ses attributions, chacun d’eux dans son office, agissant d’accord avec les autres, ne négligeât pas d’informer d’avance et au plus vite tous les agents royaux du lieu où le roi ferait résidence, de l’époque de son arrivée et de la durée de son séjour, pour permettre d’amener et de préparer ce qui était nécessaire: de peur qu’avertis trop tard, les agents n’eussent à exiger des services en temps inopportun et avec trop de hâte, et que les gens du roi ne souffrissent sans nécessité de cette négligence. D’ailleurs ce soin, bien qu’il fût partagé avec le bouteiller et le connétable, retombait au premier chef sur le sénéchal, qui, à l’exception de la nourriture des chevaux et de la boisson, s’occupait de tout le reste. Au nombre des officiers de cette classe se trouvait encore le maître des logis, à qui revenait surtout, comme son nom l’indique, le soin d’avertir à temps les agents nommés plus haut et aussi les intendants spéciaux de l’époque à laquelle le roi se rendrait en tel ou tel lieu, pour qu’ils préparassent les logements; de peur qu’avertis trop tard par là forcés d’opprimer les gens de la villa, ils ne manquassent à leur devoir quand il ne convenait pas; ou que par une réception indigne, comme s’ils n’avaient pas eu de bonnes intentions, quoiqu’en réalité la volonté ne leur eût pas manqué, mais le pouvoir, ils n’encourussent le mécontentement du roi.

XXIV.

Semblablement quatre veneurs et un fauconnier, agissant avec le même accord et suivant les circonstances, avaient soin d’examiner et de disposer en temps convenable et non pas trop tard les choses dont la direction appartenait à leurs charges, et de fixer le nombre de veneurs qu’on devait en tel ou tel temps garder au palais, et quand il fallait qu’ils y fussent tous ou qu’il n’y en eût aucun, ou combien il fallait en envoyer au dehors, selon la coutume, pour y être nourris pendant un certain temps; ils désignaient encore en temps opportun les lieux entre lesquels il convenait de les répartir pour y chasser et y vivre. Cette distribution de leurs subordonnés entre le palais et l’extérieur, ils devaient toujours la faire avec mesure et intelligence, de façon à ce qu’il y en eût autant qu’il était utile et pas davantage. Dans ces offices, il n’est pas facile de déterminer d’une façon invariable le nombre des hommes, des chiens ou des oiseaux nécessaires: aussi s’en remettait-on à eux pour fixer combien et quels ils devaient être.

XXV.

Le but qu’on se proposait en tout cela, c’était qu’il y eût toujours au palais des officiers de nombre et de qualité tels qu’ils pussent, entre autres affaires et nécessités, subvenir surtout à celles-ci que nous allons dire. Tout d’abord, il importait que, soit que les principaux officiers tous ensemble, soit que les officiers inférieurs dussent s’absenter pour des missions spéciales ou des affaires personnelles, il en restât en tout temps au palais un nombre suffisant pour diriger les affaires comme l’exigeaient la raison et la dignité, et que jamais les conseillers compétents ne vinssent à faire défaut; afin que toute ambassade, qu’elle vint pour saluer le roi ou pour faire sa soumission, pût trouver un accueil honorable; et, afin que l’un apportait la rectitude du conseil, un autre des paroles consolantes de miséricorde et de bienveillance, un autre encore un remède à la ruse et à l’audace. Afin que, de quelque partie du royaume qu’il vint au palais, un homme abandonné et sans soutien, ou accablé de dettes, ou poursuivi par d’injustes et calomnieuses accusations, ou bien en proie à quelqu’un de ces autres maux de même nature et qu’il serait trop long d’énumérer) surtout les veuves et les orphelins, que ce fussent d’ailleurs des personnages importants ou de moindre condition, chacun selon son malheur ou sa qualité pût avoir recours à la miséricorde et à la piété des officiers supérieurs et eût sous la main quelqu’un qui fit parvenir ses plaintes jusqu’aux pieuses oreilles du prince.

XXVI.

On trouvait ainsi l’occasion de n’abandonner complètement aucun de ces malheureux, et, en même temps, s’il y en avait parmi eux qui, par un long service, s’étaient rendus dignes d’une récompense, de les rappeler, selon leurs mérites, à la mémoire du prince, sans qu’ils fissent une requête; mais il leur suffisait d’invoquer la conscience et le devoir de ces officiers dont nous avons parlé. On agissait en cela de façon d’abord à plaire à Dieu en usant de justice et de miséricorde; ensuite à affermir la fidélité et la constance de ceux qui s’acquittaient d’un service public; enfin à remplir de joie les personnes vivant au loin dans les limites du royaume. Un des officiers ou des conseillers venait-il à mourir, on le remplaçait par un autre aussi compétent et utile.

XXVII.

Pour assurer l’entretien continuel et la persistance de cette multitude, dont la présence au palais est nécessaire, on la divisait en trois classes. La première comprenait les serviteurs royaux qui n’avaient pas de charge particulière; grâce à la bienveillance et à la sollicitude des hauts fonctionnaires qui leur donnaient tantôt la nourriture, tantôt le logement, ou bien de l’or, de l’argent, des chevaux, ou d’autres ornements, quelquefois d’une façon occasionnelle et selon que le temps, la raison ou les évènements le permettaient, mais plus souvent encore d’une façon prolongée, les secours ne leur faisaient jamais défaut; le service du roi leur tenait toujours d’autant plus à cœur que ces mêmes hauts fonctionnaires les appelaient à l’envi dans leurs maisons, aujourd’hui ceux-ci, demain ceux-là; se préoccupant moins de satisfaire leur gourmandise que de se créer avec eux, autant que possible, des relations amicales et affectueuses; aussi était-il rare qu’un de ces serviteurs restât une semaine sans qu’un grand l’appelât pour lui offrir l’hospitalité.

XXVIII.

La deuxième classe comprenait les jeunes gens répartis entre les divers services du palais, et qui, s’attachant à leur maître, l’honoraient et en étaient honorés; chacun d’eux, dans la place qu’il occupait, et suivant les circonstances, trouvait un appui dans la vue et les encouragements de son maître. La troisième classe se composait des serviteurs des grands comme des petits, dont chacun tenait à prendre à son service et à entretenir un aussi grand nombre qu’il pouvait le faire sans péché, c’est-à-dire sans avoir recours aux rapines et au vol. Ce qu’il y avait d’admirable dans cette hiérarchie, c’est que les personnages qui la constituaient, sans compter les allants et venants qui fréquentaient le palais, suffisaient aux nécessités imprévues qui se présentaient de temps à autre; cependant la plupart, comme on l’a dit, en raison de la bienveillance dont ils étaient l’objet, toujours joyeux et riants, conservaient l’esprit dispos et gai.

XXIX.

La seconde division du gouvernement tendait au maintien de l’ordre de tout le royaume, autant du moins qu’il était de la raison humaine, car là, comme ailleurs, on doit toujours réserver le jugement du Dieu tout puissant. C’était l’usage de ce temps de tenir deux assemblées par an, et pas davantage. La première était celle où l’on réglait l’état du royaume entier pour le reste de l’année courante; ce qu’on y avait décidé, nul évènement ne pouvait le faire modifier, si ce n’est une nécessité impérieuse et commune à tout le royaume. Dans cette assemblée se réunissaient tous les grands tant clercs que laïques: les plus considérables pour délibérer et prendre des décisions; les moins considérables pour y donner leur adhésion, quelquefois aussi pour en délibérer, et les confirmer non pas par force et aveuglément, mais de leur propre mouvement et avec intelligence; les uns et les autres y venaient également pour remettre au roi l’ensemble des dons annuels.

XXX.

Une autre assemblée se tenait seulement avec les plus considérables d’entre les grands et les principaux conseillers; on commençait à y traiter les affaires de l’année suivante, si par hasard il s’en présentait auxquelles il fallait songer d’avance ou si, au moment où l’année touchait à sa fin, quelque évènement survenait qui demandait qu’on prit une décision anticipée et qu’on y pourvût de suite: par exemple, si dans quelque partie du royaume des marquis avaient conclu des trêves pour un tempe, que devait-on faire à l’expiration de ces trêves? Fallait-il ou non les renouveler? Si dans d’autres parties du royaume la guerre était imminente, ou la paix près d’être rétablie, et si, suivant les circonstances, on avait, ici ou là, soit à diriger une attaque, soit à repousser une incursion, on cherchait à assurer la tranquillité en appelant des troupes d’autres régions du royaume. Après que les grands avaient ainsi tenu conseil et considéré d’avance ce qu’exigeait l’avenir, et réglé la marche à suivre, leurs décisions étaient tenues secrètes, et restaient si complètement ignorées de tous autres jusqu’à la prochaine assemblée générale, qu’on eût pu croire que rien n’avait été arrêté ni même pris en considération. De cette façon, si l’on avait à prendre une mesure touchant les affaires intérieures ou extérieures du royaume, que certaines personnes, en étant informées, eussent voulu empêcher ou rendre inutile, ou par quelque ruse plus difficile à exécuter, cela leur était complètement impossible. D’ailleurs, dans l’assemblée générale, sil était nécessaire de faire quelque chose soit pour la satisfaction du reste des grands, soit pour calmer ou échauffer l’esprit des peuples, on en délibérait à nouveau et on en décidait avec les assistants, comme si on n’avait rien prévu à ce sujet, et, Dieu aidant, on menait à bien l’entreprise. La première année terminée, les affaires de l’année suivante se réglaient de la même façon.

XXXI.

Quant aux conseillers, clercs et laïques, on les choisissait, autant que possible, tels que d’abord ils eussent, chacun selon leur qualité ou leurs fonctions, la crainte de Dieu, en second lieu qu’ils se montrassent fidèles à ce point de ne rien mettre au dessus de l’intérêt du roi et du royaume, si ce n’est la vie éternelle; et que ni l’amitié, ni la haine, ni la parenté, ni les dons, ni les flatteries, ni les menaces n’eussent prise sur eux; on les voulait, non pas sophistes et rusés, ni sages de cette sagesse mondaine qui est ennemie de Dieu, mais intelligents et possédant la vraie sagesse qui les mit en état non seulement de réprimer avec justice et droiture, mais encore de confondre pleinement ceux qui ont mis leur confiance dans la ruse humaine. Les conseillers ainsi choisis convenaient entre eux et avec le roi qu’aucune des paroles qu’ils auraient échangées familièrement aussi bien touchant l’état du royaume que l’affure d’un particulier, ne serait sans le consentement de tous confiée à leur serviteur ou à quelque autre personne, quel que fût d’ailleurs le temps pendant lequel il importait de garder le silence, que ce fût un jour, ou deux, ou plus, ou une année, ou même toujours. Car, souvent dans ces sortes d’affaires, il arrive que, pour sauvegarder l’intérêt général, on tient sur une personne des propos qui, connus d’elle, la troublent fortement, ou même la jettent dans le désespoir, ou, ce qui est plus grave, la poussent à l’infidélité; par là, tous les services qu’elle aurait pu rendre en mille circonstances se trouvent perdus, alors pourtant qu’elle n’aurait rien eu à craindre de ces propos si elle les eût ignorés. Ce qui arrive pour un homme peut, si l’on n’y apporte de grandes précautions, arriver pour deux, pour cent, pour un plus grand nombre, ci même pour une famille entière, ou toute une province.

XXXII.

L’apocrisiaire, qu’on appelle encore chapelain ou gardien du palais, et le chambrier assistaient toujours aux conseils; aussi les choisissait-on avec le plus grand soi, ou une fois choisis on les instruisait de façon à ce qu’ils pussent dignement prendre part aux délibérations. Si parmi les autres officiers il s’en trouvait un qui, d’abord en écoutant, plus tard en donnant des conseils, fût digne de remplacer honorablement l’un des conseillers, on lui ordonnait d’assister à toutes les délibérations et de prêter la plus grande attention aux affaires qui s’y traitaient, gardant les secrets, apprenant ce qu’il ignorait, retenant ce qu’on avait ordonné et établi; de façon à ce que, si dans les limites du royaume ou au dehors, quelque évènement inattendu se présentait auquel on n’eût pas songé (parfois il eût été nécessaire de soumettre l’affaire à la délibération des premiers conseillers, mais le temps ne permettait pas de les convoquer), de façon à ce qu’alors les officiers palatins, par la miséricorde de Dieu, et grâce à leur intervention continuelle dans les affaires publiques, comme aussi à leur habitude de parler, de répondre et de donner leur avis dans les affaires domestiques, fussent capables, selon les circonstances et le temps, ou d’arrêter d’une façon définitive ce qu’il y avait à faire, ou au moins d’indiquer les moyens de remettre et de maintenir sans inconvénient l’affaire en suspens jusqu’à une époque déterminée. Voilà pour les affaires les plus importantes.

XXXIII.

Pour les affaires de moindre importance, ou en d’autres termes palatines, et qui n’intéressaient pas, comme celles que nous avons indiquées, la totalité du royaume, mais se rapportaient spécialement aux personnes attachées au palais, il convenait que le roi avec ses conseillers les ordonnât avec tant de soin qu’il ne pût en résulter aucun dommage, et que, dans le cas où quelque désordre s’était produit ou était imminent, on pût utilement l’atténuer ou même l’étouffer et le faire disparaître complètement. Si la chose était telle qu’elle demandât une prompte solution, et que cependant il y eût moyen d’en retarder la décision jusqu’à l’assemblée générale, sans péché ou sans préjudice pour personne, les conseillers devaient pouvoir indiquer ce moyeu d’y surseoir, en agissant comme dans les affaires plus graves dont il a été question, et en imitant la sagesse des premiers conseillers, et donner ainsi des conseils agréables à Dieu et utiles au royaume. Quant à ces hauts conseillers dont j’ai parlé, leur premier soin, quand on les convoquait au palais, était de ne pas s’occuper des causes des particuliers quelles qu’elles fussent et quels qu’ils fussent, ni même des procès apportés au palais, et où il s’agissait d’une question de fait ou d’application des lois, avant d’avoir réglé avec l’aide de Dieu les affaires générales qui intéressaient l’État et le salut du roi et du royaume. Ensuite, si sur l’ordre du seigneur roi on devait réserver quelque affaire qui ne pouvait être terminée, sans qu’ils l’eussent prise en considération, par le seul comte du palais ou les autres officiers dans la compétence desquels elle rentrait, ils procédaient à son examen.

XXXIV.

Les hauts fonctionnaires ainsi que les premiers d’entre les grands du royaume, dans l’une et l’autre assemblée, pour qu’ils ne parussent pas convoqués sans motif, recevaient de l’autorité royale, pour en conférer et les examiner, les principales dispositions législatives ou administratives, distribuées en chapitres, et que le roi lui-même avec l’inspiration divine avait trouvées ou qui lui avaient été suggérées de tous côtés après leur départ. Ces chapitres une fois communiqués, ils délibéraient tantôt un jour, tantôt, deux, quelquefois trois et davantage, suivant l’importance des affaires; cependant, par l’intermédiaire de messagers choisis parmi les officiers palatins, ils adressaient au roi des questions sur tous les points qu’ils voulaient, et recevaient réponse; aucun étranger n’approchait d’eux avant que le résultat de leur délibération sur chaque point n’eût été annoncé au glorieux prince et mis sous ses regards sacrés, et que tous n’eussent adhéré à la décision que la sagesse qu’il tient de Dieu lui faisait choisir. C’est ainsi que l’on procédait pour un, pour deux, pour autant de chapitres qu’il y eu avait, jusqu’à ce que, par la grâce de Dieu, on eût pourvu à toutes les nécessités du temps.

XXXV.

Tandis que ces délibérations avaient lieu en l’absence du roi, celui-ci restant avec la foule recevait les présents, saluait les grands, s’entretenait avec ceux qu’il voyait rarement, compatissait aux souffrances des vieillards, se réjouissait avec les jeunes gens et s’occupait des autres choses de même nature tant dans l’ordre spirituel que dans l’ordre séculier. Néanmoins, aussi souvent que ceux qui s’étaient retirés le voulaient, il allait les trouver et siégeait avec eux tout le temps qu’ils désiraient; ceux-ci en toute familiarité lui faisaient connaître les solutions trouées, lui racontaient les propos qu’ils avaient échangés, leurs désaccords, leurs discussions, leurs luttes amicales. Il ne faut pas oublier que, si le temps était beau, l’assemblée se tenait en plein air; dans le cas contraire, à l’intérieur, dans plusieurs locaux séparés de façon à ce que ceux des grands qui avaient été choisis en nombre suffisant pour délibérer pussent le faire à l’écart du reste de la multitude, et que les autres personnes de rang inférieur n’assistassent pas à leurs discussions. Dans les deux cas, les enceintes destinées aux grands étaient séparées en deux parties pour que tous les évêques, les abbés et les clercs du rang le plus élevé pussent se réunir sans aucun mélange de laïques. De même les comtes et les autres dignitaires laïques, conformément à leur rang, s’éloignaient du reste de la foule dès le matin, jusqu’à ce que commençassent les délibérations en présence ou en l’absence du roi. Alors ces grands, les clercs de leur côté, les laïques du leur, se rendaient, selon la coutume, dans la salle qui leur avait été désignée et où ou leur avait fait honorablement préparer des sièges. Une fois éloignés de la multitude, il restait en leur pouvoir de siéger tous ensemble ou séparément, selon la nature des affures à traiter, spirituelles, séculières ou mixtes. Ils étaient également libres de faire venir qui bon leur semblait pour se procurer des aliments ou pour roser quelque question à celui qu’ils avaient convoqué, et de le renvoyer après avoir eu ce qu’ils voulaient. C’est ainsi qu’avait lieu l’examen des affaires que le roi proposait à leurs délibérations.

XXXVI.

La seconde occupation du roi consistait à s’informer auprès de chacun si dans la partie du royaume d’où il venait, il s’était produit quelque évènement digne de mention ou d’examen; car non seulement il était permis à chacun de ces grands, mais il leur était même expressément enjoint de s’enquérir avec soin avant de revenir auprès du roi des affaires intérieures et extérieures du royaume, tant auprès des nationaux que des étrangers, auprès de leurs amis comme auprès de leurs ennemis, sans tenir grand compte des personnes par l’intermédiaire desquelles ils obtenaient ces renseignements. Si dans quelque partie, quelque région ou quelque coin du royaume, le peuple était agité, il s’informait de la cause de ce mouvement. Il demandait si le peuple murmurait ou si quelque désordre était survenu dont il fallait que l’assemblée générale se préoccupait, et autres questions semblables. A l’extérieur, quelque nation soumise cherchait-elle à se soulever, telle autre qui s’était révoltée voulait-elle faire sa soumission, une autre non encore vaincue préparait-elle une attaque contre le royaume; il s’inquiétait de tous les évènements de cette nature. Dans toutes les affaires qui menaçaient d’être un danger pour l’Etat, il cherchait surtout à savoir la cause qui les avait fait naître.

Comme additions aux décisions des ancêtres, réunies lors du synode tenu au tombeau de sainte Macre, et présentées au roi Louis, mort récemment, voilà, touchant la hiérarchie et l’organisation du palais et du royaume, les règles que j’ai recueillies dans les écrits et de la bouche de nos prédécesseurs, et que j’ai vues encore appliquées dans ma jeunesse; elle serviront à l’éducation de notre jeune roi et à l’instruction de ses officiers et de ceux qui gouvernent le royaume; je vous les offre pieusement pour obéir à voire requête. Quant au choix des personnes qui par leurs mœurs et leurs qualités sont capables de relever celles des institutions qui sont ruinées, c’est à vous de vous en préoccuper; car de tous ceux qu’au temps du seigneur Louis, empereur, j’ai vus à la tête du palais et du royaume, aucun, je le sais, ne survit : mais je sais que les pères ont laissé des fils de leur noble race pour les remplacer; j’ignore, il est vrai, leurs mœurs et leurs qualités. Qu’ils aient soin surtout par leurs mœurs, leur vertu, autant que le permet leur jeune âge, et aussi la nature des temps, par leur sagesse et leurs efforts de ne pas dégénérer, afin de tenir dignement la place et les offices de leurs pères; venus à cette succession, ils prendront bien garde, comme le dit saint Grégoire, que, placés au faite des honneurs et jouissant de la gloire, leur âme n’en soit pas changée, se souvenant de Saül qui, d’abord, lors de son élévation, se montra humble, mais qui, plus tard, mérita le blâme par la hauteur de son orgueil.

 

 

 



[1] Horace, Epistolae.