LA VRAIE MATA-HARI, COURTISANE ET ESPIONNE

TROISIÈME PARTIE

 

XXXVII. — Conclusion.

 

 

L'affaire Mata Hari n'implique aucun mystère. Pour ceux qui connaissent les faits, elle n'a rien d'énigmatique. Au contraire, elle est fort claire.

Le procès de l'espionne a été le procès de tous les espions pendant la guerre. Tout n'est passé normalement. Aucune des nombreuses prescriptions de la loi n'a été violée.

L'inculpée a pu profiter des dépositions des témoins à décharge cités par la défense d'anciens amants qui lui ont apporté le témoignage de reconnaissance d'un bonheur fugace.

Aucune atteinte n'a été portée aux droits de la défense ; l'inculpée elle-même a toujours pu parler en toute liberté. Aucune pièce secrète n'a été communiquée aux juges hors la présence du défenseur. L'instruction avait été longue et scrupuleuse.

L'accusation a donné des preuves irrécusables ; la condamnation unanime des juges militaires s'est trouvée confirmée par les deux instances supérieures.

Tout s'est passé exactement comme pour les autres femmes jugées pour espionnage.

Pourtant la condamnation de Mata Hari seule a donné lieu au doute, à des négations, à des tentatives de réhabilitation, à des apologies plus ou moins sincères.

On s'est efforcé à rendre suspecte la sentence rendue contre l'espionne. Le nationaliste allemand Guido Kreutzer parle même de procédure sommaire — Standrecht — ; il va même jusqu'à appeler le jugement le jugement le plus monstrueux de l'histoire de la Guerre — das ungeheuerlichste Urteil der Kriegsgeschichte — et le procès le procès le plus odieux que connaisse l'histoire de la criminologie étrangère — den rachedurtigsten Prozesz, den die Geschichte forensischer Verbrechen kennt[1].

L'origine de toute la suspicion entourant l'affaire Mata Hari se trouve à Berlin. Déjà avant la mise en jugement les journaux allemands avaient écarté la culpabilité, et le Bonnet Rouge, docile aux ordres de Berlin, avait emboîté le pas à ces journaux[2].

Par l'arrestation de Mata Hari les Allemands avaient perdu la meilleure de leurs alliées secrètes. Il est naturel qu'ils n'aient pu cacher leur regret de cette perte.

L'exécution, par contre, était pour eux une bonne affaire. Nier que la suppliciée eût espionné pour la cause germanique, puis répandre le bruit que la France chevaleresque avait fusillé une innocente quelle aubaine pour la propagande contre la France !

Il est vrai que les Allemands, tout en proclamant l'innocence de Mata Hari, n'en ont jamais donné la moindre preuve, ni même produit le moindre argument pouvant plaider en faveur de leur thèse.

En cela ils sont restés fidèles à leur procédé habituel d'affirmer avec emphase, de proclamer, souvent contre l'évidence même.

Ils affirment l'innocence de Mata Hari comme ils ont affirmé et affirment toujours que l'Allemagne a été innocente de la guerre, comme les 93 intellectuels ont affirmé que l'Allemagne n'avait pas détruit Louvain et que les Belges étaient des francs-tireurs.

La thèse allemande trouve des partisans hors de l'Allemagne et même en France.

Ces propagateurs bénévoles, tout en ignorant ce qu'une longue instruction a établi et ce que les débats du Conseil de guerre ont révélé, parlent, sans toutefois affirmer formellement l'innocence, d'erreur judiciaire.

Ils sont presque tous pacifistes ou révolutionnaires — ce qui souvent va de pair —. Ces derniers tournent les yeux vers l'Est et sont disposés à accepter comme évangile tout, ce qui est proclamé en Allemagne. N'est-ce pas là qu'a vécu et vaticiné Marx, le prophète ?

Antimilitaristes de principe, ils aiment à jeter la suspicion sur les juges militaires, parce que ceux-ci leur sont doublement suspects, comme bourgeois et comme traîneurs de sabre.

Et quand on leur assure que la culpabilité a été établie et que tous les juges ont vu les preuves, vu de leurs propres yeux, ce qu'on appelle vu, ils objectent : Le public ne connaît pas le dossier.

Ils oublient qu'aucun dossier d'espion n'a été publié.

Mais aucun doute n'est plus permis depuis que l'avocat de Mata Hari, Me Clunet, A RECONNU UN JOUR, LUI-MÊME, LA CULPABILITÉ DE CELLE QU'IL AVAIT DÉFENDUE.

Dans un entretien qu'il a eu en 1919 avec un des diplomates accrédités auprès du gouvernement de la République, il s'est exprimé ainsi MATA HARI N'ÉTAIT PAS INNOCENTE, mais non coupable au point de mériter la mort.

Telle était l'opinion d'un défenseur qui avait eu pour sa cliente des trésors d'indulgence et d'affection et qui aurait été bien plutôt porté à l'absolution complète. Mais l'avocat lui-même devait finir par s'incliner devant la logique des faits. Puis, on ne peut pas oublier qu'il y a eu contre Mata Hari sept chefs d'accusation, alors qu'un seul a suffi à faire condamner d'autres espions à mort.

Mata Hari a protesté de son innocence, mais une telle protestation ne saurait avoir quelque valeur que pour celui qui ignore que le mensonge est le premier moyen de défense auquel recourt le criminel. Les adeptes d'Avinain sont nombreux et, à en croire les forçats eux-mêmes, la plupart d'entre eux seraient innocents.

Dans ses lettres, écrites de Saint-Lazare au consul et au ministre des Pays-Bas, Mata Hari s'est dite innocente, mais mollement, presque sans conviction. Ce ne fut jamais un cri du cœur.

A Saint-Lazare elle ne parlait pas de son procès, ne se plaignait pas d'avoir été victime d'une injustice, pas même au matin de son exécution.

D'ailleurs, dans ses lettres aux représentants de son pays d'origine, elle n'a pu mettre à néant ni même discuter une seule des accusations portées contre elle. Dans sa lettre à M. de Stuers, ministre des Pays-Bas, elle parle d'une grave erreur, d'exagération chez les juges, de jalousies et de vengeances, sans préciser en quoi que ce soit.

On admettra que ces vagues raisons sont peu convaincantes.

Par contre, quand un jour, à Berlin, pendant la guerre, elle s'est appelée UNE FEMME QUI A ÉSORMÉMENT FAIT ET ÉNORMÉMENT SOUFFERT pour l'Allemagne, elle a fait l'aveu formel de sa collusion avec ce pays[3].

Et Guido Kreutzer, qui lui met cet aveu dans la bouche, déclare qu'il a basé son livre sur des notes authentiques et des documents absolument sûrs !

L'Allemagne continue à soutenir l'innocence de Mata Hari[4].

Qu'importe ! Les historiens, les philosophes, les militaires, les intellectuels, les politiciens de l'Allemagne réunis ne peuvent pas effacer les réalités du passé, ne peuvent pas déformer définitivement les événements derrière nous.

L'Histoire jugera. N'est-ce pas un Allemand qui dit : L'Histoire du monde est le Tribunal du monde[5] ?

Elle est au-dessus de toutes les complaisances, de toutes les contingences politiques, au-dessus de l'oubli imprudent, du pardon prématuré. Elle est la Vérité, la Justice.

Il était nécessaire, dans l'intérêt de cette vérité historiques, en raison des brouillards que de nouveau on s'est ingénié à accumuler autour d'elle, d'arracher à Mata Hari les oripeaux romantiques dont on s'était plu à l'affubler et de faire disparaître la Mata Hari de la fantaisie et de l'imposture pour montrer la vraie Mata Hari, surtout de lui enlever l'auréole de l'infortune dont on a voulu nimber sa tête, de montrer au monde son vrai visage.

Une Mata Hari est indigne de la couronne des martyrs !

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Cf. chapitre XXV.

[2] Cf. chapitre XXVIII.

[3] Cf. chapitre XXV.

[4] Kôlnische Zeitung, janvier 1929.

[5] Die Weltgeschichte ist das Weltgericht.