Le général de brigade en retraite — General major a. D. — Gempp, ancien chef du service de Contre-espionnage au ministère de la Reichswehr, a écrit dans la Kölnische Zeitung du 31 janvier 1929 un article, intitulé Dans les coulisses de l'Espionnage. Une seule phrase de cet article se rapportait à Mata Hari. La voici avec son contexte : On a inventé des fables sans nombre sur le service secret allemand ; il aurait, accompli les performances les plus impossibles et commis d'innombrables forfaits. Des cas comme celui de la malheureuse danseuse Mata Hari, qui d'ailleurs n'a en réalité rien fait pour le service d'Information allemand, ont été singulièrement exploités. Voilà ce que déclare le général de brigade en retraite Gempp. On aurait pu le prier de s'expliquer au moins, d'étayer son affirmation par de solides arguments. Mais il parait croire que, dans la bouche d'un ex-général de la ci-devant glorieuse armée impériale, une simple affirmation suffit. En cela il ne fait que suivre les beaux exemples de la guerre. Lorsque les Alliés accusèrent les Allemands d'avoir mis le feu à la bibliothèque de Louvain, d'avoir fusillé des civils innocents, d'avoir braqué sans nécessité militaire leurs canons sur des cathédrales, de faire la guerre d'une façon barbare, d'avoir violé la neutralité de deux pays, les 93 intellectuels réfutèrent ces accusations par de simples affirmations. Il n'est pas vrai. A chaque fait de barbarie relaté par les Alliés, tous ces savants, ces artistes et ces professeurs opposèrent invariablement cette unique dénégation. Elle revenait dans leur manifeste comme une litanie. La seule parole allemande ne contrebalançait-elle pas toutes les légitimes protestations des Alliés ? De même quand l'Allemagne républicaine affirme que l'Allemagne impériale était innocente de la guerre — l'agneau allemand ayant été attaqué par le loup français et l'ours russe —, elle ne s'explique pas non plus. La parole de l'Allemagne est supérieure à toutes les évidences ! Pourtant, le général Gempp oublie une chose capitale c'est que l'affaire Mata Hari n'est pas une chose politique. Bien qu'on ait tâché de la dénaturer, elle n'a cessé d'être une affaire juridique. L'affaire d'une femme qui a été légalement jugée et condamnée par un tribunal régulier. Et personne ne saurait mettre à néant un jugement régulier par une simple affirmation. Pour la révision d'un procès il faut au moins un fait nouveau qui prouve que le condamné a été victime d'une injustice voulue ou d'une erreur judiciaire. Or, le général Gempp, ayant négligé d'apporter le fait nouveau, a pourtant entrepris — en paroles — la révision du procès. Il est possible qu'il ne se soit pas rendu compte de tout ce qu'implique son audacieuse affirmation, puisque, après tout, n'a fait que répéter ce que l'Allemagne a affirmé dès la condamnation de l'espionne et même avant. Peut-être le général n'a-t-il attaché lui-même aucune importance à ses paroles et a-t-il répété presque inconsciemment la thèse allemande connue, agissant ainsi en bon Allemand discipliné. Mais ceux qui ont été mêlés directement à l'affaire ont le droit de dire à l'homme, qui, douze ans après le procès, vient à l'improviste affirmer l'innocence de la condamnée et attaquer la chose jugée : Avant de vous prononcer d'une façon si catégorique vous avez le devoir — et nous vous mettons en demeure d'accomplir ce devoir — de prouver que se sont trompés, ont agi légèrement ou ont violé les devoirs de leur charge : 1° le rapporteur, magistrat de carrière, ayant instruit l'affaire pendant six mois ; 2° le commissaire du gouvernement, magistrat de carrière, qui, dans son réquisitoire, a prouvé les sept chefs d'accusation à la charge de l'accusée ; 3° les sept juges du 3e Conseil de guerre qui ont répondu affirmativement et à l'unanimité à toutes les questions qui leur avaient été posées, et ont ainsi voté pour la mort à l'unanimité ; 4° le Conseil de Révision qui a confirmé le jugement de ces officiers, après examen du dossier ; 5° la Cour de Cassation qui a rejeté le pourvoi de la condamnée, après examen du dossier ; 6° le président de la République — M. Poincaré — qui a rejeté le recours en grâce, après examen du dossier et après avoir demandé l'avis du ministre de la Guerre — M. Painlevé. ***Mais, à tous les arguments, le brave général ne peut opposer qu'une seule petite phrase insignifiante. Il semble, malgré tout, que la pauvre petite phrase d'un général allemand porte loin, bien au delà des frontières du Reich. Elle s'amplifie et prend une portée considérable, grâce à certains journalistes français, américains et hollandais. Voici comment une simple affirmation se transforme en déclaration sensationnelle, en révélation, sous la plume de ces propagateurs bénévoles d'indéfendables thèses allemandes : PARIS-MIDI du 5 février 1929. MATA HARI AURAIT ÉTÉ FUSILLÉE SANS RAISON (Par téléphone de Berlin, du correspondant
particulier du journal.) Le commandant Gempp — le général est devenu simple commandant, H — qui fut du service d'espionnage et de contre-espionnage au ministère Reichswehr, vient, de publier dans la Gazette de Cologne un intéressant article plus spécialement consacré à l'affaire Mata Hari — mensonge ! H. Le commandant G. déclare que l'étude de ses dossiers lui aurait apporté la preuve que la célèbre danseuse n'avait pas rendu de services à l'Allemagne pendant la guerre et qu'elle aurait été en conséquence fusillée sans raison. Par prudence évidemment ce correspondant particulier ajoute : Nous ignorons naturellement dans quelle mesure on peut accorder créance aux affirmations de l'ancien chef de l'Espionnage allemand dont rien ne prouve qu'il n'obéit pas à des mobiles particuliers en se livrant à ces publications. NEW-YORK HERALD (édition parisienne du 6 février 1929). Berlin, mardi. (Source Paris-Midi.) Mata Hari, la belle danseuse qui fut fusillée comme espionne pendant la guerre, n'aurait pas été coupable, après tout, d'espionnage. Cette déclaration sensationnelle fut faite ici (!) hier par le commandant Gempp, chef du service d'Espionnage allemand pendant la guerre (?). Dans un article de magazine — la Kölnische Zeitung n'est pas un magazine, mais un quotidien ! H — le commandant Gempp a traité l'histoire de l'affaire Mata Hari. Il dit que de minutieuses recherches dans les archives du Service secret allemand lui ont donné la conviction que le gouvernement allemand n'a jamais employé la danseuse en quelque qualité que ce soit. Lors de l'exécution de Mata Hari, les autorités françaises déclarèrent avoir des preuves irréfutables de sa culpabilité. NIEUWE ROTTERDAMSCHE COURANT (du 9 février 1929). (Source New York Herald.) D'après l'information du correspondant berlinois du New York Herald — inexact : Le New York Herald avait lu et découpé un entrefilet de Paris-Midi, H — le capitaine Gempp — le pauvre général, rétrogradé pour la seconde fois, est devenu capitaine ! H — qui pendant la guerre mondiale fut le chef du service d'Espionnage allemand, a fait dans un article de revue (!) une communication sensationnelle sur l'affaire Mata Hari. On sait que cette danseuse d'origine hollandaise — elle s'appelait Marie [sic ! H] Zelle et était la fille d'un coiffeur [re-sic ! H] de Leeuwarden — fut exécutée en 1917 à Vincennes comme espionne au service de l'Allemagne. Or le capitaine Gempp déclare avoir examiné minutieusement tous les registres du service d'Espionnage allemand et en avoir tiré la conclusion que l'exécutée n'a jamais rien fait pour ce service. Aussi il croit qu'il est presque certain que Mata Hari a été condamnée et exécutée innocente. C'est ainsi que naissent et se propagent les légendes ! |