LA VRAIE MATA-HARI, COURTISANE ET ESPIONNE

DEUXIÈME PARTIE

 

XXVII. — La fille de Mata Hari et son père.

 

 

Depuis que Mata Hari, étant encore Mme Mac Leod, avait quitté définitivement le foyer conjugal, en 1903, elle ne s'occupait plus guère de sa fille.

En 1906 elle avait été déchue de ses droits maternels par le tribunal d'Arnhem, qui avait confié la tutelle de sa fille au père, en faveur de qui le jugement de divorce avait été rendu.

Elle avait toujours été dépourvue des sentiments d'une véritable mère. Pour trouver l'occasion de rencontrer ses amants, elle n'avait même pas hésité — nous l'avons raconté plus haut[1] — à emmener sa fillette dans une maison de débauche et à souiller ainsi l'âme innocente de l'enfant.

Aussi les dérèglements de sa vie vagabonde, ses succès amoureux et pseudo-artistiques la consolèrent-ils bien vite de l'absence définitive de sa fille.

Pourtant il semble qu'un jour, plus de cinq ans après son divorce, elle ait eu, dans sa villa de Neuilly-Saint-James, conscience du vide affreux de son cœur et de sa vie elle adressa au ministre de la Justice de son pays une requête où elle demandait l'intervention du gouvernement néerlandais pour la réintégrer dans ses droits de mère, ce qui lui permettrait de prendre sa fille avec elle.

Il est tout naturel que la réponse du ministre de la Justice ait été négative on lui répondit tout simplement (septembre 1911) que l'affaire en question n'était pas de la compétence du gouvernement.

La petite Louise-Jeanne avait presque huit ans lorsque avait été prononcé le divorce de ses parents.

Son père, tuteur légal de la fillette, ne voulait plus vivre que pour cette enfant tendrement chérie et, dans ce but, il se refusait à lui-même toute joie et toute distraction. Collaborateur de quelques journaux, il se partageait entre sa fille et sa tâche journalistique. Rien que pour la pension de sa fillette il payait six cents florins par an, somme assez élevée au prix d'avant-guerre.

Mais à la longue il supportait mal la solitude et puis, il avait de plus en plus besoin de la présence de son enfant unique.

C'est pourquoi il se remaria, en novembre 1907, après une vie solitaire de quatre ans. Il épousa en secondes noces Mlle Elizabeth Van der Mast, beaucoup plus jeune que lui et qui, par sa beauté, avait attiré l'homme, si sensible au charme physique de la femme.

Hélas ! le second mariage ne fut pas plus heureux que le premier. Les époux se séparèrent en 1912 et divorcèrent en 1917. La fille, née en 1909 de ce mariage, Norma Mac Leod, resta avec sa mère.

Le 3 octobre 1917 enfin, le commandant Mac Leod risqua une troisième fois sa chance dans la loterie du mariage et cette fois eut le bonheur de gagner le gros lot.

Mlle Grietje Meyer, jeune femme de vingt-cinq ans, qui pendant plus de quatre ans avait été sa fidèle gouvernante, se trouvait être une excellente femme d'intérieur et avait toutes les qualités pour lui donner les joies du foyer conjugal auxquelles il avait toujours aspiré sans jamais les atteindre.

Et la troisième Mme Mac Leod sut donner à son vieux mari, qui était son aîné de trente-six ans, le bonheur qu'il méritait. Elle le comprenait, l'appréciait comme bon époux et excellent père. Elle avait de l'ordre, de l'économie et du courage et gérait de façon exemplaire les affaires du ménage, de sorte que le commandant Mac Leod, si mauvais financier lui-même, put enfin respirer librement sans être continuellement tourmenté par des soucis d'argent.

***

Après la séparation d'avec sa seconde femme en 1912, il avait envoyé sa fille Louise-Jeanne — Non dans l'intimité — à l'école normale d'institutrices à La Haye, et celle-ci ne venait que pour ses vacances dans la maison paternelle à Velp.

Lorsque, pendant la guerre, Mata Hari habitait La Haye, la jeune fille passait souvent devant la maison richement installée de sa mère.

Celle-ci savait que sa fille faisait ses études à La Haye. Une seule fois elle fit, par l'intermédiaire d'un avocat, une tentative pour la voir. Elle entama même dans ce but une correspondance avec son ex-mari, mais celui-ci lui ayant fait entendre que, si elle tenait tant à sa fille, elle pourrait bien l'aider financièrement, la correspondance s'arrêta net.

D'ailleurs la jeune fille ne tenait nullement à revoir sa mère, dont son cœur d'enfant semblait avoir gardé de mauvais souvenirs et qui était devenue une étrangère pour elle.

Louise-Jeanne Mac Leod avait le caractère hautain ; elle était fort entêtée et, de ce fait, ne démentait pas son origine frisonne. Mais elle était aimable avec tout le monde ; aussi tout le monde l'aimait.

Elle avait la vive intelligence de son père. Elle manifestait de grandes dispositions pour la musique et aurait pu facilement devenir une musicienne de profession. Elle était excellente pianiste et aimait aussi à pincer de la mandoline.

Après avoir passé brillamment son examen d'institutrice, elle fit la classe à Velp et accomplit les devoirs de son emploi à la satisfaction de son chef et de ses petits élèves.

Physiquement la jeune maîtresse d'école était une très belle femme, qui avait l'air plus distingué que sa mère. Svelte et très grande — à l'âge de vingt ans elle ne mesurait pas moins de 1 rn. 80 —, elle avait le teint foncé, plus foncé que Mata Hari, de beaux cheveux presque noirs, de grands yeux rieurs brun clair. Elle n'avait ni le nez fort, ni les grosses lèvres sensuelles de sa mère.

Elle n'en avait non plus ni la cupidité, ni l'égoïsme, ni le manque de dignité ; c'était une jeune fille sensible, bonne et parfaitement honorable. Elle disait toujours : J'espère que je ne recevrai jamais rien de l'argent de Mata Hari.

***

Au début de septembre 1919, la jeune fille devait partir pour Java comme institutrice d'école publique le gouvernement, de son pays l'avait mise à la disposition du Gouverneur général des Indes Néerlandaises.

Dès le 20 juin son passeport était prêt.

Elle était pleine de courage pour entreprendre ce grand voyage elle pouvait quitter son père chéri sans trop d'inquiétude, parce qu'elle savait qu'il avait enfin épousé une femme qui le rendait heureux.

Mais une lourde fatalité semblait peser sur la descendance de Mata Hari. Son fils avait été frappé par une main criminelle ; sa fille devait être frappée, non moins brutalement, par la main implacable du Destin.

Ce fut dans la nuit du 9 au 10 août 1919, trois semaines avant le départ du paquebot pour les régions tropicales.

Le père, une seconde fois cruellement atteint dans sa tendresse paternelle, trouva, le matin de ce 10 août tragique, sa fille adorée morte dans son lit virginal. Pendant la nuit elle avait succombé, foudroyée par un mal subit et mystérieux.

Le docteur, appelé pour déterminer la cause du décès, hésita entre une syncope cardiaque et une hémorragie cérébrale l'homme de la science lui-même ignorait, comme tout le monde, la vraie nature du mal qui avait terrassé cette belle jeune fille en fleur.

Louise-Jeanne Mac Leod, fille unique de Mata Hari, morte à vingt et un ans, dort son dernier sommeil dans un petit cimetière de village en Hollande.

***

Le père, brisé de douleur, fut, deux ans plus tard, un peu consolé de cette perte irréparable par la naissance de son dernier enfant, le 30 mars 1921, une fillette qui reçut le prénom de Non.

C'est par ce nom que la petite qui venait de naître devait, rappeler la chère disparue, à qui son père, sa belle-mère et ses familiers avaient toujours donné ce nom dans l'intimité.

Et le père aima la petite Non avec la même tendresse qu'il avait eue pour la grande.

Pendant sept ans, l'enfant éclaira sa verte vieillesse d'une douce lueur.

Enfin l'heure fatidique sonna aussi pour le commandant Mac Leod.

Il tomba malade le 5 janvier 1928. La pneumonie qui l'avait atteint l'emporta peu après, dans la nuit du 9 au 10 janvier.

Il eut la satisfaction de voir sa fille Norma à son lit de mort.

Il fut enterré dans le petit cimetière Heiderust à Worth-Rheden, où reposait déjà sa fille Louise-Jeanne.

Sa dernière volonté avait été d'être inhumé dans la même tombe qu'elle.

Une humble pierre, ombragée d'un petit rosier, couvre la tombe, et porte cette épitaphe, émouvante dans sa simplicité

Onze NON

Notre NON

2 Mei 1898

2 mai 1898

10 Aug. 1919

10 août 1919

en haar pader.

et son père.

1 Maart 1856

1er mars 1856

9 Jan. 1928

9 janv. 1928

 

 



[1] Chapitre VIII.