Mata Hari est morte courageusement. On a fait grand cas de ce courage. On n'a jamais parlé des autres espionnes fusillées à Vincennes et qui ont montré autant de bravoure qu'elle. Marguerite Francillard et la femme Tichelty — fusillées le 10 janvier 1917 et le 15 mars 1917 — ont refusé comme elle le bandeau et n'ont pas eu de défaillance devant les douze fusils braqués sur leur poitrine. Leurs noms ont à peine dépassé les murs de Saint-Lazare. D'ailleurs le courage de Mata Hari n'a rien d'extraordinaire et ne sort pas de l'ordinaire. Le courage parait être naturel à l'homme dans les circonstances graves de la vie. Sans penser aux martyrs de l'Église, on peut dire que la plupart des condamnés qu'on a exécutés au cours des siècles, coupables ou innocents, croyants ou mécréants, sont morts courageusement et ont eu la force de ne pas trembler devant le supplice. Parmi les condamnés de la Terreur, la Dubarry, reculant d'horreur devant la guillotine et luttant avec le bourreau, forme une exception. Presque toutes les autres victimes des terroristes ont attendu, stoïques ou avec héroïsme, leur triste fin, même les femmes les plus jeunes et les plus délicates. La conception — banale il est vrai — que Mata Hari s'était faite de la vie, offre une autre explication de son attitude devant le peloton d'exécution. On récolte ce qu'on sème — cette pensée déjà exprimée par le psalmiste — qui sème le vent récoltera la tempête — et après lui, il y a plus de deux mille ans, par Confucius, sous une forme plus énergique — chaque action de l'homme est un arbre dont il lui faudra manger les fruits, — cette pensée revient souvent dans les lettres de Mata Hari, dès ses fiançailles, quand elle avait dix-huit ans. Elle croyait fermement que l'homme provoque le hasard, c'est-à-dire se forge sa propre destinée. Sans doute se sera-t-elle rendu compte, aux derniers jours de sa vie, que le mauvais grain qu'elle avait semé partout où elle avait passé ne pouvait produire tout au plus que des ronces, et qu'elle devait manger les fruits vénéneux de l'arbre qu'elle avait planté. Elle a dû se dire, quand dans la désolation de sa cellule elle regardait en face le châtiment prochain, qu'elle l'avait mérité. De là sa fermeté, son calme dans les moments suprêmes. ***La légende a expliqué son courage de tout autre façon. Son avocat, pour la rassurer, lui aurait fait croire qu'il n'y aurait qu'un simulacre d'exécution, que les douze fusils seraient chargés à blanc. Un écrivain a même utilisé cette fantaisie, renouvelée de Sardou, pour faire un roman et un drame, dont une espionne est l'héroïne. Son dernier amant, un certain Pierre Mortissac, membre brillant du Paris mondain, aurait ourdi avec quelques amis un complot pour la sauver du peloton d'exécution à Vincennes. Mais son plan aurait été découvert et déjoué, sans qu'il eût appris jamais par qui. Me Clunet en aurait eu connaissance et Mata Hari, mise au courant par lui, aurait ainsi pu avoir à Vincennes l'attitude d'une reine, qui passe ses troupes en revue. Après la fin tragique de l'espionne, le fidèle ami, inconsolable de la mort de sa maîtresse adorée, aurait quitté Paris et aurait disparu. Mais, trois ans plus tard, le journal espagnol El Mundo révélait que Pierre Mortissac s'était fait moine et s'était réfugié au couvent des Chartreux de Miraflores près Burgos. Peu après, les journaux américains donnaient la même nouvelle dans un télégramme de Paris : A bare-footed
and emaciated monk in the cloisters of the Cartuja de Miraflores near Burgos,
Spain, the last lover of Mata Hari,
the beautiful dancer whom the French shot as a spy, is trying to make atonement
for having loved to the point of madness the woman with the body of a goddess
and the charms of a demon. The man whom Mata Hari held in her power so firmly
that he could not live without her, not yet forgive himself for doing so, is none
other than Pierre Mortissac, the brillant member of the younger set, who
turned the heads of both Paris and London society[1]. Inutile de dire que rien n'est venu confirmer que ce Pierre Mortissac ait jamais existé. Au contraire, tout porte à croire que l'histoire de cet amant désespéré et repentant, dont a parlé M. Camille Pitollet, il y a sept ans, dans le Mercure de France[2], doit être considérée comme une des nombreuses légendes qui se sont créées autour du nom de la fameuse espionne. |
[1] Un moine déchaussé et émacié au couvent des chartreux de Miraflores près Burgos (Espagne), le dernier amant de Mata Hari, la belle danseuse que les Français ont fusillée comme espionne, tâche de faire pénitence pour avoir aimé à la folie la femme au corps de déesse et aux charmes de démon. L'homme que Mata-Hari tenait si bien en son pouvoir qu'il ne pouvait me passer de son amour ni se pardonner de faire cela, n'est autre que Pierre Mortissac, le brillant membre du beau monde de Paris et de Londres.
[2] Numéro du 15 août 1922, pp. 503 et suivantes.