LA VRAIE MATA-HARI, COURTISANE ET ESPIONNE

DEUXIÈME PARTIE

 

XVIII. — L'arbre généalogique de Mata Hari.

 

 

Dans son libelle contre son ex-gendre, le père Zelle avait doté sa fille d'une origine noble. Il avait inventé une baronne Margaretha Van Wynbergen et en avait fait la grand'mère de Mata Hari, sans expliquer si cette baronne légendaire était sa mère ou sa belle-mère à lui.

Une aïeule baronne pour sa fille suffisait à la sotte vanité du père, mais non à l'orgueil démesuré de la fille, que certains gogos de Paris et d'ailleurs avaient prise pour une princesse hindoue et que tous avaient considérée comme une grande dame.

Mata Hari n'avait pas de sang allemand dans les veines, comme elle l'a reconnu un jour elle-même, mais, sans doute pour les besoins de sa cause éminemment allemande, elle s'était forgé une origine germanique.

Elle avait commencé par ajouter la particule nobiliaire von (de) à son nom de jeune fille.

Frau Mac Leod, geboren von Zelle... Comme cela sonnait bien ! Et comme, par ce simple moyen, elle se ferait bien venir par les autorités de son pays d'élection où l'on a toujours été et où l'on est toujours, malgré tous les progrès des idées démocratiques dans l'Allemagne républicaine actuelle, plein de respect pour les hautes naissances.

Mais elle ne s'arrêta pas là. Elle se fit fabriquer un arbre généalogique qui devait établir rien de moins que sa parenté avec le roi d'Angleterre — de souche allemande comme elle — et avec le Kaiser lui-même.

Au temps de ses débuts au musée Guimet elle s'était glorifiée d'une parenté bien plus étroite avec le roi Édouard VII. Elle avait, en effet, fait à l'explorateur Gayet la confidence qu'elle était la fille naturelle du prince de Galles (Édouard VII) et d'une princesse hindoue.

L'arbre généalogique plongeait ses racines dans le sol germanique du moyen âge et remontait à Azo IV d'Este, en l'an mille, qui semblait être le fondateur de la glorieuse maison des von Zelle.

Parmi ses ancêtres Mata Hari comptait les Guelfes de Hanovre qui, en 1714, montèrent avec Georges Ier, prince électeur de Hanovre, sur le trône d'Angleterre, et les ducs de Brunswick-Lunenbourg.

Guillaume IV, duc de Brunswick-Lunenbourg, né en 1535 et mort en 1592, était le fils d'Ernst, duc von Zelle.

De ce duc Ernst von Zelle descendait en ligne droite le roi Édouard VII, mort en 1910 et père de George V, le roi actuel.

Ce lignage se présentait ainsi :

ERNST, duc von Zelle, épouse Sophie de Mecklembourg

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GUILLAUME VI, duc de Brunswick-Lunenbourg, né 1535, † 1592

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GEORGE II, duc de B.-L., né 1582, † 1641

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ERNST-AUGUST, prince élect. de Brunswick, né 1629

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GEORGE LUDWIG, duc von Zelle, prince élect. de Hanovre 1705, ROI D'ANGLETERRE, 1714 (George Ier). Épouse Sophie Dorothea, fille de George Guillaume, duc von Zelle, † 1727

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GEORGE II, roi d'Angl., 1727-1760

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FRÉDÉRIC-LOUIS, prince de Galles, † 1751

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GEORGE III, roi 1760-1820

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GEORGE IV, roi 1820-1830

GUILLAUME IV, roi de Hanovre et d'Angleterre, 1830-1837

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VICTORIA, duchesse von Zelle, reine, 1837-1901, épouse Edouard, duc de Kent (?)

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ÉDOUARD VII, roi, 1901-1910

 

Constatons que le d généalogiste de Mata Hari donnait comme époux à la reine Victoria, duchesse von Zelle, un certain Édouard, duc de Kent et reléguait dans l'ombre du néant Albert de Saxe-Cobourg, le véritable prince consort.

L'arbre généalogique établissait que Johann George, prince électeur de Brandebourg, un Hohenzollern, qui était l'ancêtre en droite ligne de l'empereur allemand Guillaume II, était également celui de George Ier, roi d'Angleterre et duc von Zelle, et prouvait par conséquent que Mata Hari, étant une von Zelle, était apparentée aux Hohenzollern, donc à la famille impériale d'Allemagne.

JOHANN GEORGE, prince électeur de Brandebourg

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MAGDALENA DE BRANDEBOURG, épouse Louis VI, landgrave de Hesse-Darmstadt

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ANNA ÉLÉONORA, 1601-1649 épouse George II de Brunswick-Lunenbourg

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ERNST-AUGUST de BRUNSWICK-L.

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GEORGE Ier, roi d'Angleterre

 

Adam duc von Zelle, descendait de la maison princière de Hanovre — la généalogie ne disait pas comment —, avait trois fils Herman Otto, duc von Zelle, Ludwig et Guillaume.

Ils avaient commandé sous le généralissime Ferdinand de Brunswick Wolfenbüttel, leur parent, l'armée envoyée par Frédéric Guillaume II, roi de Prusse, en Hollande pour venger l'outrage fait à sa sœur Wilhelmine, femme du stadhouder Guillaume V, par les patriotes hollandais (1787).

Herman Otto, duc von Zelle, né 1743, mort 1806, avait eu également trois fils, Adam, Ludwig et Guillaume.

D'après l'arbre généalogique, Lady Mac Leod, née von Zelle, était la petite-fille de ce Herman Otto.

Malheureusement pour l'authenticité de cette généalogie ingénieuse, mais fantaisiste, l'état civil du père de Lady Mac Leod prouve qu'il était fils non d'un duc Herman Otto, mais d'un simple roturier qui s'appelait tout court Cornelius Zelle et était l'époux de Grietje Hamstra.

D'autre part, Adam Zelle, père de Mata  Hari était né en 1841 et le père d'Adam  Zelle, tel que le donnait la généalogie, était  mort en 1806 !

Voilà donc un fils posthume, né trente-cinq ans après la mort de son père ! Un véritable enfant du miracle !

Qui oserait affirmer que celui qui avait  exécuté la commande de Mata Hari n'avait  pas l'esprit original et inventif ?

L'arbre généalogique de Mata Hari est écrit dans un hollandais fort approximatif, ce qui semble indiquer qu'il a été confectionné ou remanié en Allemagne ou en France.

La copie que nous en possédons, fort mal dactylographiée, a été faite par le notaire Meyer, d'Amsterdam, et adressée à M. Xavier Rousseau, banquier, 41, rue Vivienne, à Paris. Mais la pièce ne fut jamais expédiée.

Ce curieux document figurait, entre un missel romain et les armoiries de la famille von Zelle, dans l'inventaire du mobilier et d'autres objets ayant appartenu à Mata Hari, qui furent dispersés aux feux des enchères publiques à La Haye, les 9 et 10 janvier 1918.