Dans le dossier Mata Hari, produit devant le Conseil de guerre en 1917, il y avait des lettres intimes d'un ministre français, écrites sur du papier à entête officiel et adressées à Mata Hari. Ces lettres étaient signées My. Elles établissaient que des relations amoureuses avaient existé entre leur auteur et l'espionne. Ces mêmes lettres servirent en août 1918, lors du procès de M. Malvy devant la Haute Cour, de documents à charge pour l'accusation, qui les attribuait à l'accusé. Celui-ci protesta contre cette attribution et déclara que ce n'était pas lui qui avait signé les lettres incriminées. Il ne connaissait pas Mata Hari et ne l'avait même jamais vue. Malgré cette dénégation formelle, le bruit que l'ancien ministre Malvy avait été un des amants de Mata Hari se répandit et se colporta en France et en Espagne. Jusqu'en 1926, M. Malvy, redevenu ministre de l'intérieur, dans le neuvième cabinet Briand, dut se défendre contre cette imputation. A la séance du 18 mars 1926, où le nouveau gouvernement se présentait devant la Chambre, M. Malvy, dans sa réponse aux attaques de ses adversaires politiques, porta à la tribune la question des lettres à Mata Hari. A ce sujet on lit dans le Journal officiel (19 mars 1926) : M. LOUIS NICOLLE. — Il y a un jugement. M. LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR. — Eh ! oui, il y a un jugement. Mais... est-ce qu'il est fait mention dans l'arrêt de toutes les accusations portées contre moi ? Est-ce que celle qui s'étale encore aujourd'hui dans les journaux de droite... M. LE MARQUIS DE LA FERRONNAYS. — C'est au Journal officiel. M. LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR. — ...qui me représente comme ayant été l'amant des espionnes, de Mata Hari — ce nom que l'on attache au mien — me faut-il donc vous dire encore et, par delà cette assemblée, me faut-il crier au pays que c'est là une abjecte calomnie ? (Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche.) A droite. Demandez la révision ! M. LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR. — Faut-il donc révéler — ah ! vous me forcerez à le dire — que s'il y a eu des lettres d'un ministre dans le dossier de Mata Hari, ces lettres ne sont pas signées de moi, mais d'un autre ? (Vifs applaudissements à gauche et à l'extrême gauche.) M. BOUTEILLE. — D'un ministre radical. M. LAMAZOU-BETREDER. — C'était un radical, lui aussi. M. BOUTEILLE. — D'un de vos amis ! D'un général franc-maçon. M. LE PRÉSIDENT. — Laissez M. Malvy se défendre. Un curieux hasard avait voulu que le ministère Viviani, remanié vers la fin du mois d'août 1914, comptât jusqu'à cette date deux ministres dont le nom commençait par un m et finissait par un y : M. Malvy, ministre de l'intérieur, et M. Messimy, ministre de la Guerre. Or, l'auteur des lettres en question — c'était le secret de Polichinelle — était M. Messimy. Quelques jours après cette séance orageuse de la Chambre, Mme Séverine invita, dans un journal du matin, l'ancien ministre de la Guerre, devenu sénateur, soit à confirmer, soit à démentir la rumeur qui lui attribuait une correspondance amoureuse avec Mata Hari, et, s'il était l'auteur des lettres en question, à détruire définitivement la légende qui les mettait au compte de M. Malvy. M. Messirny accéda de bonne grâce à la demande de Mme Séverine et lui répondit comme suit : Ce qui rend, à la vérité, assez délicate cette mise au point n'est point la difficulté, que vous m'engagez à surmonter, d'un aveu. C'est même le contraire Vous me rappelez que les Français ont été, de tout temps, fort indulgents pour les fautes qui ont valu à François Ier et au Béarnais une bonne part de leur popularité. Permettez-moi de vous répondre que j'en suis, parbleu, bien informé, mais je sais aussi que non seulement les Français, niais plus encore peut-être les Françaises, sont dénués de toute bienveillance et de toute aménité vis-à-vis de l'homme qui se dérobe aux avances flatteuses, tentantes et directes d'une femme, surtout si celle-ci est célèbre et belle. C'est cependant l'histoire véridique de mes relations avec Mata Hari. Pendant de longs mois, il y a quatorze ans, celle-ci, par tous les moyens de séduction ou d'adresse dont elle savait jouer de façon incomparable, s'efforça de conquérir le droit de se dire ma maîtresse. Je la trouvais charmante, mais remplie de mystère, et aussi tentatrice qu'inquiétante, J'eus l'imprudence de le lui dire, mais encore de le lui écrire. Quels sont les termes des lettres que je lui ai adressées et qu'elle avait classées avec soin ? J'avoue, à trois lustres de distance, en avoir perdu tout souvenir, n'ayant jamais été assez précautionneux pour prendre copie des billets de ce genre, lorsqu'il m'est advenu d'en envoyer. A coup sûr, ces lettres étaient fort galantes, car, en les écrivant, je m'adressais à moi-même le reproche d'être trop docile aux conseils de la prudence, et de renouveler sottement l'histoire de Mme Putiphar et de son serviteur. Que l'aventure serve de leçon aux jeunes députés ministrables que poursuivraient de leurs avances de jolies femmes, dont ils se méfieraient confusément... En ce qui me concerne, laissez-moi en terminant vous remercier, madame, de l'occasion que vous m'avez offerte de ramener à ses justes proportions un incident qui, s'il n'a rien pour moi de flatteur, au sens gaillard du mot, ne me laisse du moins pas l'ombre d'un remords, sinon d'un regret... M. Messimy a donc reconnu ouvertement avoir écrit des lettres d'amour à Mata Hari, mais il est douteux que par sa réponse il ait réussi à détruire la rumeur qui, non seulement lui attribuait une correspondance amoureuse avec la fameuse espionne, mais encore le désignait comme un de ses amants. De toute façon, outre qu'elle met définitivement M. Malvy hors de cause, la réponse de M. Messimy a son importance en ce sens qu'elle prouve la force de caractère de l'ancien ministre, qui, pour sauvegarder sa vertu et sa dignité ministérielle, n'hésitait pas à jouer le rôle effacé et peu glorieux d'un Joseph, bien qu'il trouvât charmante et tentatrice la Putiphar qu'il fuyait tout en lui écrivant des lettres fort galantes. |