La Loïe Fuller, Isadora Duncan, Mata Hari — trois femmes qui ont dansé devant le public, qui furent contemporaines, dont on a beaucoup parlé à Paris au début de notre siècle, qui furent célèbres et qui ont disparu. Mais les deux premières seules méritaient pleinement le nom de danseuses artistiques. Mata Hari aurait pu leur servir de repoussoir, non pas au physique, mais au sens plus élevé de la beauté esthétique. La Loïe Fuller et Isadora Duncan ont laissé la trace lumineuse de leur passage en France et ailleurs. Elles restèrent célèbres jusqu'à la fin chaque fois qu'elles reparurent sur une scène parisienne, elles turent accueillies avec reconnaissance et enthousiasme. Mata Hari finit par laisser le spectateur indifférent et fut démasquée enfin comme mystificatrice. Où elle a passé, elle n'a laissé que des ruines. Miss Fuller débuta à Paris en 1892. Elle apparut là comme la fée Lumière et, après son succès triomphal du premier soir, tout Paris courut voir cette femme enroulée dans un tourbillon de clartés et de gazes mouvantes envolées et tordues comme une fumée d'encens[1]. Et pendant de longues années, elle sut varier et raffiner le spectacle qu'elle avait imaginé. Pendant la guerre, elle comprit son devoir vis-à-vis du pays qui avait fait sa gloire et se rendit en Amérique, pour se dépenser dans sa patrie comme propagandiste pour la cause des Alliés. Américaine comme Miss Fuller, Isadora Duncan pratiquait te nu comme Mata Hari, mais en partant de l'idée que le nu est beau et chaste, quand de belles pensées l'inspirent. Pour elle, le but de la danse était de créer de la beauté comme la Fuller, mais, de plus, d'exprimer tous les sentiments, toutes les émotions de l'humanité et surtout les plus nobles et tes plus profondes. Pour elle, la danse cessait d'être un divertissement frivole et agréable et devenait un sacerdoce. Miss Duncan a été une créatrice ; elle a apporté à l'Europe une esthétique nouvelle, elle a créé les danses chorales, étroitement unies à la poésie et à la musique. Elle a formé beaucoup d'élèves et son école, dirigée après la mort tragique par sa sœur Élisabeth, est toujours en pleine prospérité. Pour elle, dans la danse, le corps devient transparent et n'est que le truchement de l'âme et de l'esprit ; il n'est qu'un instrument bien accordé. Comme l'art vraiment beau vient de l'esprit humain, il ne demande pas d'embellissements extérieurs. S'inspirant de ce principe, Isadora Duncan dédaignait les voiles soyeux et multicolores, les bijoux scintillants, les costumes brillants de Mata Hari ; elle ne se chargeait pas les bras et les jambes de bracelets et d'anneaux, elle ne se ceignait pas le front d'un diadème ; elle se montrait toujours en simple tunique courte. Mata Hari ne se soucie nullement — comme Fuller, comme Duncan — de réaliser par la danse un idéal de la beauté artistique. La danse luis est moyen et non but miroir à alouettes pour attirer les hommes, prétexte à montrer la souplesse de ses membres, la beauté de ses lignes, la grâce de ses formes, à exhiber sa nudité partielle ou complète. Son but final n'a rien à voir avec n'importe quel art elle aspire à vivre dans l'oisiveté et le luxe, aux dépens des hommes assez sots pour se mettre à ses genoux. Isadora Duncan, dès que la guerre éclate, part pour l'Amérique, comme la Loïe Fuller, et, indignée de l'apparente indifférence de sa patrie, fait, par son improvisation de la Marseillaise à l'Opéra de New-York, un ardent appel aux jeunes Américains aptes à s'enrôler comme volontaires. Comme sa compatriote, elle a admirablement servi la cause de la France. Mata Hari a fait à cette cause le plus de mal possible. La Loïe Fuller et Isadora Duncan d'un côté, Mata Hari de l'autre sont aux antipodes. Celles-là : véritables artistes qui ont créé et laissé une œuvre vivante. Celle-ci : fausse danseuse dont l'imposture aboutit à l'avilissement de l'art. |