LA VRAIE MATA-HARI, COURTISANE ET ESPIONNE

PREMIÈRE PARTIE

 

II. — Le Prince Charmant.

 

 

Un jour, Gretha Zelle lut dans le journal quotidien Het Nieuws van den Dag[1] une annonce ainsi conçue :

Capitaine des Indes, passant son congé en Hollande, cherche femme à sa convenance, de préférence un peu fortunée. Lettres, etc.

Elle envoya une réponse avec son portrait à l'adresse indiquée dans l'annonce.

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Rudolf Mac Leod était de haute lignée. Il descendait d'une des plus illustres familles de l'Écosse, dont l'origine remonte au XIIe siècle. Le premier ancêtre fut Leod, fils d'Olaf le Noir, roi de Man et des lies, et qui naquit vers la fin de ce siècle.

Le clan des Mac Leod a joué un rôle considérable dans l'histoire de l'Écosse et de l'Angleterre. Dunvegan-Castle était et est toujours leur château ancestral.

Beaucoup furent officiers supérieurs ou généraux dans l'armée britannique, tel autre amiral ou professeur d'université.

Un Norman Mac Leod fut l'émule de Lafayette. Il combattit, à la tête d'une compagnie des hommes du clan, pour l'indépendance américaine et fut présenté à Washington. Plus tard, il devint généralissime aux Indes.

Vers la fin du XVIIe siècle, les Mac Leod se convertirent au protestantisme. Au début du XVIIIe siècle, plusieurs hommes du clan, mécontents des nouvelles lois tendant à détruire l'organisation et la puissance des clans, quittèrent l'Angleterre pour entrer au service de puissances continentales.

Le premier membre de la famille qui traversa la Mer du Nord pour aller se fixer en Hollande fut Norman, fils de Donald Mac Leod, troisième fils de John IV of Gesto.

En 1706 il fut nommé lieutenant clans un régiment de la brigade écossaise et servit là jusqu'au licenciement de son régiment. Il eut ensuite une charge en Angleterre et mourut en 1729 à Londres.

Son fils John s'engagea à son tour dans la brigade écossaise en Hollande et fut promu au grade de colonel. En 1782 les régiments écossais perdirent leur nationalité et furent incorporés dans l'armée hollandaise. Le colonel, qui avait épousé Margaretha-Arnolda van Brienen, mourut en Angleterre. Son fils Norman devint, comme ses pères, officier dans l'armée hollandaise, et, après l'exil du prince d'Orange (1795) et la révolution en Hollande, il retourna en Angleterre. Mais l'année d'après il reprit du service en Hollande et devint lieutenant-colonel au régiment de Bentinck. Il fut promu général et prit part au blocus du Helder (1814). Il épousa une dame galloise, Sarah Evans.

Son fils aîné, Norman, fut général et gouverneur militaire de La Haye. Son troisième fils, John van Brienen, mourut en 1888, à l'âge de quarante-trais ans, capitaine, au camp de Milligen. Il avait épousé Dina-Louise, baronne Sweerts de Landas.

Rudolf était son fils unique[2].

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Rudolf Mac Leod, né le 1er mars 1856 à Heukelom, suivit la grande tradition séculaire de sa famille et choisit la carrière militaire. Il s'était d'abord destiné la marine, mais il changea d'avis et à seize ans il s'engagea au Bataillon d'instruction à Kampen, une des écoles préparatoires pour les officiers de l'armée de terre.

Nommé le 22 juillet 1877 second lieutenant, il partit trois mois après pour les Indes Néerlandaises, sur le Conrad, un des plus anciens paquebots postaux en service entre la Hollande et Java.

Envoyé d'abord à Padang (Sumatra), il partit en 1878 pour Atjeh, où, depuis cinq ans, sévissait la guerre. Il y resta quatre ans et prit part à diverses batailles, entre autres celle de Samalangan.

C'est là qu'il eut aussi la joyeuse surprise de rencontrer un membre de la branche des Mac Leod qui était restée en Angleterre, le vice-amiral britannique Angus Mac Leod, en visite aux Indes avec son vaisseau Pallas.

Après avoir quitté Atjeh, Rudolf Mac Leod resta cinq ans à Magelang (Java) et quelques années à Bandjermassin (Bornéo).

En 1881, il fut promu premier lieutenant, en 1892, capitaine.

Après un service ininterrompu de dix-sept ans sous les tropiques, le capitaine Mac Leod partit pour la Hollande en congé de convalescence.

Congé qu'il passa d'abord à La Haye, puis, après trois semaines, chez sa sœur, à Amsterdam, Leidsche Kade 79.

Louise-Jeanne Mac Leod, d'un an plus jeune que son frère, était devenue veuve en 1888, après un mariage de six ans et demi avec le notaire Wolsink.

Elle était la sœur unique de l'officier. Ils avaient été élevés ensemble à Kampen et à Elburg, et il y avait toujours eu entre eux le lien très fort d'une tendre affection fraternelle.

 

Le capitaine Mac Leod était un bel homme à qui l'uniforme militaire seyait à merveille. Il était dans la force de l'âge. Il avait les yeux bleu-gris et la moustache longue et fine. Sa figure énergique, à l'expression un peu sévère, respirait la franchise.

C'était un officier de valeur, fort cultivé, militaire jusqu'au bout des ongles.

Par ailleurs, il était charmeur et causeur étincelant. Ces qualités, jointes à sa belle prestance, lui gagnaient facilement le cœur des femmes.

Pendant les dix-sept ans qu'il avait passés aux Indes, il avait beaucoup aimé, mais il ne s'était jamais occupé des femmes indigènes.

Il avait l'intention de ne jamais se marier, mais le Destin en décida autrement.

Un jour du début de 1895, il se trouvait au café de l'Américan Hotel à Amsterdam, avec plusieurs de ses amis, tous réunis autour d'une grande table ronde[3].

Tous célibataires comme lui avait le cafard et ses amis s'en aperçurent. Le journaliste Balbian Verster, reporter du Nieuws van den Dag, lui dit en plaisantant : Je sais ce qui te manque, mon vieux. Une femme ! Tu dois te marier.

Il eut beau protester : son interlocuteur rédigea sans délai une annonce à insérer dans le Nieuws van den Dag.

C'était l'annonce qui devait tomber sous les yeux de Mlle Margaretha Zelle à La Haye.

 

 

 



[1] Les Nouvelles du Jour.

[2] Les Mac Leod en France sont de la même origine écossaise que les familles de ce nom en Hollande. Leurs armoiries sont les mêmes et portent au-dessus du crest la devise Hold fast (persévère) et en dessous Murus aheneus esto (que le mur soit d'airain).

Les Mac Leod en France descendent de la branche catholique qui a émigré en Irlande. Leur premier ancêtre connu fut James Francis M. L. né en 1774. La plupart de ses huit enfants se fixèrent en France et firent souche de familles françaises. Son fils aîné Robert Francis, se fit construire un château près de Vendôme, habité actuellement par son petit-fils, l'amiral Dupetit Thouars. Son quatrième fils John († 1882) épousa Marie de Musset, une cousine du poète. Leur fils John (1860-1923) eut de son épouse Hélène de Flers, sœur de l'écrivain dramatique, trois fils, Raymond, Bernard et Raoul, âgés actuellement de 27, 25 et 22 ans. Les descendants de James Francis dans la ligne féminine appartiennent aux familles Cambon, de Rotalier, Vimal de Morteil, Jacqueminot de Ham, de Jolinière, Ronin, Audran de Kerdrel et Jeanpierre.

[3] Chailley-Bert (Java et ses habitants) aurait dit : la table de bitter.