I. — L'ÂNE D'OR. Le premier païen accusé publiquement de jehouddolâtrie, c'est Apulée. On donne 148 de l'Erreur christienne à l'Apologie qu'il prononça pour sa défense, et comme il est sorti de ce procès à son honneur, des gens se sont rencontrés pour prétendre qu'il avait comparu devant des magistrats christiens. Cela ne tient pas debout. Augustin, qui est même pays qu'Apulée et qui, comme Apulée, professa la rhétorique à Carthage, déclare très nettetés que les juges étaient païens[1]. Nous n'avions pas besoin cette attestation pour savoir que, sous Antonin, il n'y avait encore de judéolâtres que parmi les Juifs. Lorsqu'il comparut, Apulée avait déjà publié l'Âne d'or, et c'est ce titre même qui lui a valu la stupide accusation de magie christienne dont il eut à se défendre. Sur ce point, comme sur tant d'autres, hélas ! je me mets en contradiction avec tous les critiques littéraires et philologiques, mais je saurai supporter avec sérénité cette cause nouvelle de discrédit. Car je donne la preuve matérielle de ce que j'avance : elle est signée Apulée, il devait savoir qu'il avait fait l'Âne d'or avant l'Apologie ! Connu sous le titre de Lucius ou les Métamorphoses,
et plus communément sous celui de l'Âne d'or, l'ouvrage d'Apulée n'a
d'original que ce qu'il y a mis. Pour le reste c'est un pot-pourri des
histoires de brigands, des enchantements thessaliens et des fables milésiennes
qui couraient sous le nom de Lucius de Patras ; Lucien a donné une version
moins développée de ces mêmes Métamorphoses de Lucius de Patras. Il
est peu de sottises qu'on n'ait dites d'Apulée et de son Âne d'or,
jusqu'à prétendre qu'il s'était mis lui-même en scène. La vérité est que,
modernisant ces vieilles histoires de voleurs, de revenants, d'empoisonneurs,
de proxénètes et de sorcières, Apulée a tenté de les faire servir à la
philosophie ; et si cette intention n'apparaît plus aussi 'clairement qu'autrefois,
ce n'est pas toujours de sa faute. En dirigeant sa plume contre les dangers
de la Révélation juive, à commencer par celle que le Balaam de Gamala
appelait l'Évangile du Royaume des Juifs, il s'est exposé aux violentes
incursions de l'Église dans son œuvre. Il y aurait beaucoup à faire pour
restituer le sens complet de l'Âne d'or, et les mots de Bayle sont
encore vrais : Un homme qui s'en voudrait donner la
peine et qui aurait la capacité requise (il
faudrait qu'il en eut beaucoup) pourrait faire
sur ce roman un commentaire fort curieux, fort instructif, et où l'on
apprendrait des choses que les commentaires précédents, quelque bons qu'ils
puissent être d'ailleurs, n'ont point dites. Mais il faudrait d'abord,
et cela passerait ses forces, que notre homme restituât le texte. Il faudrait
aussi que, laissant un peu de côté les fables licencieuses du vieux fonds
grec, il laissât sa part à l'âne jubilaire sur lequel, en 789, Bar-Jehoudda
devait entrer dans la Jérusalem d'or et de pierreries, capitale du Royaume
agréable à Dieu ! Car c'est à cause de cette prophétie que l'Âne de notre Apulée est dit d'or, quoiqu'au départ il soit grec comme dans
les Métamorphoses de Lucius de Patras. La Bête romaine était la louve
pour Bar-Jehoudda, la Bête juive est l'âne pour Apulée. Ce signe de triomphe
n'a eu jusqu'ici d'autre résultat que d'exposer ceux qui s'en prévalent aux
pires tourments de esclavage comme aux pires erreurs de l'imagination, voilà
ce qu'Apulée s'est proposé de démontrer et ce qu'il expliquait dans ses
prémisses. Son héros n'est plus l'épais et crédule Lucius de Patras, il est
dit neveu du moraliste Plutarque et disciple du philosophe Sextus, qui fut après Fronton un des précepteurs de Marc-Aurèle.
Malheureusement ce jeune homme est inexpérimenté, facilement suggestible, et
travaillé par une curiosité capable de conduire aux mêmes abîmes qu'une foi
irraisonnée. II. — LA POISSONNADE DES CHRISTIENS DE THESSALIE. Certes il n'en est pointa croire une résurrection, une transfiguration, une assomption, mais il est homme à y aller voir, si on l'y convie. Il n'en est point à croire à la destruction de l'Empire par le retour offensif du scélérat que les Juifs ont condamné et Pilatus crucifié, mais il est homme à tendre une oreille ingénue du côté d'où part ce genre de spéculation. Et précisément, au moment où l'action commence, il voyage avec dei Grecs dont l'un, Aristomène, raconte à l'autre une fable étrange qu'on ne sait plus, car elle a été enlevée, mais qui ressemble fort à celle de Bar-Jehoudda. Cette fable vient d'Hypate de Thessalie, exploitée par des gens si la nationalité desquels on n'est plus renseigné. Ce sont des Juifs baptiseurs et qui prêchent l'Évangile du Royaume, c'est à dire la Grande Année de leur triomphe et de la ruine de Rome. Aristomène, qui fait part de cette nouvelle à l'autre, est un gros marchand de miel ethnique et de poissons[2]. Constamment sur les routes de Thessalie, d'Etolie et de Béotie, il sait et surtout il croit tout ce qui se dit dans les auberges. Demain, sans plus tarder, les Juifs seront rois de la terre où tout sera d'or pour le plus grand bien des Grecs. A cette étrange révélation, l'autre, homme sage et instruit, pousse un éclat de rire énorme : De grâce, dit-il, épargne-moi ces mensonges ineptes !... Autant vaut croire qu'en marmottant des mots[3] un magicien peut ramener subitement les fleuves en arrière[4], rendre la mer stérile en la séchant[5], ravir aux vents leur souffle[6], commander au soleil[7], dissiper la lune[8], faire crouler les étoiles[9], supprimer le jour et installer la nuit[10]. C'est en une phrase tout ce qui regarde les païens dans l'Apocalypse. C'est de cette absurde prophétie que causent les deux premiers personnages rencontrés sur sa route par Lucius avant de devenir âne, et cette route, c'est celle qui va de Macédoine à Kenkhrées. On la fera suivre au Pseudo-Paul au début de son apostolat, et les deux Lettres aux Thessaloniciens ont pour but de prévenir le retour du mal que faisait aux Juifs de cette contrée la prédication périodique de l'Évangile. La veille, seul, avant de rencontrer les deux Grecs, Lucius, en une ville qu'on ne dit plus, à une table mystérieuse, au milieu de convives non moins mystérieux, avait ingéré certaine bouillie dont on ne donne plus la composition. C'était une bouillie faite avec un poisson mâle et un poisson femelle, une poissonnade, mais tout ce qu'on en apprend ici, c'est qu'elle avait l'aspect d'un fromage[11]. On a également supprimé sa vertu qui était, malgré son intolérable viscosité, de communiquer un incalculable pouvoir de vie[12] et de richesse. Lucius s'était trouvé au milieu de Phrygiens envoûtés par des Juifs qui les avaient préparés aux futures splendeurs de la Poissonnerie d'où les Romains et les Grecs latinisants seraient ignominieusement chassés. Ce n'est pas qu'il soit sensible à cette partie du programme, puisqu'il doit à Rome le meilleur de son éducation, mais l'attrait de ce que l'Évangile appelle la nouvelle vie, l'appât d'une fortune dont le premier à-compte est de mille ans, la transfiguration générale des choses, toute cette magie galope dans sa cervelle. Entre les deux interlocuteurs il penche secrètement vers le plus ignorant, puisque c'est celui des deux qui promet le plus : Qui sait, dit-il à l'autre, si l'on ne verra pas ce que tu repousses opiniâtrement et en faisant le sourd ? Pour toi ces mensonges appartiennent aux opinions les plus insensées, parce que, les oreilles et les yeux n'ayant pas l'habitude, ils paraissent au-dessus de la portée de l'intelligence, et cependant, si tu les examines avec plus de soin, tu les trouveras non seulement aisés à concevoir mais faciles à exécuter ! La curiosité est un sentiment plus fort que la prudence, Lucius a constamment devant les yeux la Poissonnerie d'or. Hadrien venait de mourir lorsque Apulée voyageait en Asie, au commencement du règne d'Antonin, quatre ou cinq ans après 889, année jubilaire au compte juif, et centenaire de cette mort que les Juifs commençait à appeler la résurrection de Bar-Jehoudda. Plus que l'année jubilaire 839, celle-ci avait été marquée par une ardente prédication de l'Évangile pour lequel Bar-Kocheba, roi-christ depuis deux ans, combattait à Jérusalem avec une apparence de succès[13]. Il y avait eu en Thessalie un mouvement auquel le proconsul d'Hadrien opposa la raison, arme depuis longtemps usée. Les christiens, selon leur habitude, avaient répondu par des meurtres et des incendies, on en avait condamné les auteurs, et peut-être, avec eux, des gens du pays qui s'étaient laissés entraîner[14]. On était sous le coup de cette émotion lorsque Apulée, venant de Phrygie, traversa la Thessalie, allant à Kenkhrées[15]. III. — PARABOLE DE L'ÉDILE ET DES POISSONS JUBILAIRES. Quant à son héros, Lucius, à peine arrivé dans Hypate, son premier soin, une fois logé, est d'aller aux bains où l'on tient les poissons qu'il s'agit d'acheter, les poissons qui engendrent la richesse[16]. En un mot, on lui a persuadé qu'il fallait recevoir le baptême d'un de ces Juifs hellènes qui battaient monnaie les uns avec le baptême de Bar-Jehoudda, les autres avec celui d'Apollos. Il se dirige vers la piscine probatique[17]. Le prix demandé pour les poissons est de cent pièces d'une monnaie qui n'est plus indiquée, mais combien de fois ne les retrouvons-nous pas dans les Évangile avec la valeur multiplicative qu'ils ont dans le Millenium du Zib ! Cent, c'est mille. Cependant Lucius, qui n'est point encore un âne, les a pour vingt deniers et s'en va tout fier de son emplette. A peine est-il hors de la poissonnerie que l'édile vient à lui, entouré de ses licteurs, avec les faisceaux et tout le train de sa magistrature. C'est un ancien camarade d'école de Lucius, il lui saute au cou, l'interroge avec sympathie : Qu'est-ce que tu viens faire à Hypate ? — Tu le sauras demain, répond énigmatiquement Lucius. En attendant, l'édile se met à sa disposition p° u lui procurer tout ce qu'il peut désirer de mieux, car il est chargé de l'approvisionnement de l'année où l'on entre[18]. Lucius méprise cette proposition, il a les poissons, que lui faut-il de plus ? Tout en causant, Pythéas, c'est le nom de l'édile, aperçoit le panier, flaire les poissons, les examine : Qu'est-ce que ce fretin ? demande-t-il. Combien as-tu payé cela ? — Vingt deniers, dit Lucius, et encore ai-je eu bien de la peine à les avoir ! A ces mots, saisissant Lucius par la main et le ramenant dans la poissonnerie : Quel est celui, s'écrie-t-il, qui t'a vendu ces blagues-là ?[19] Et Lucius ayant montré un petit vieux qui se tenait dans son coin, Pythéas de sa voix la plus rude apostrophe les marchands : Vous ne finirez donc jamais de rançonner ainsi nos amis eux-mêmes et tous nos hôtes indistinctement, vous qui vendez si cher vos méchants poissons, vous qui, par votre denrée faites dans cette ville, fleur de la Thessalie, la solitude du désert et l'aspérité du rocher ! Mais vous me le paierez ! Et toi (il s'adresse à Lucius) je vais te montrer comment dans notre administration il faut que les coquins soient châtiés ! Alors, répandant le panier à terre devant tous, il ordonne à l'officier qui le suivait de piétiner les poissons et de les écraser jusqu'au dernier. Pythéas se contente de cette punition morale. L'affront fait à ce petit vieux suffit, dit-il, je veux bien m'en tenir là, mais toi, Lucius, retire-toi, je t'en prie ! Quelle histoire pour ces poissons, et que de grands mots ! Cet édile est-il devenu subitement fou ? Est-ce qu'il y a un tarif sur le prix des poissons en Thessalie, ou ailleurs dans toute l'étendue de l'Empire ? Est-ce que Lucius s'est plaint du prix ? Et s'il a fait une bonne affaire ? S'il a eu pour vingt deniers des poissons qui valaient les cent pièces demandées ? Si le vendeur est lui-même en perte au lieu d'être en gain ? Et puis pourquoi détruire ce qui pourrait être donné aux pauvres de la ville ? Ou bien encore pourquoi n'avoir pas forcé le marchand à rendre les vingt deniers ? Parce que ce n'est pas le prix que condamne Pythéas, c'est la tromperie sur la qualité de la marchandise vendue, c'est son origine christienne. Car le petit vieux, le presbytre de cette église, n'est qu'un sous-traitant de certains pécheurs dont il n'est plus question ici, mais que nous allons retrouver avec leur poissonnade, dans le procès intenté contre Apulée. C'est le caractère odieux de ces poissons que l'édile poursuit de sa justice. Son nom seul de Pythéas dit assez qu'il tient pour Apollon Pythien contre la sinistre prophétie du Joannès[20] ; et si les paraboles, si les séméiologies des Évangiles, sont toutes vues sous l'angle juif, celle-ci l'est sous l'angle gréco-romain. Les christiens vendent très cher le signe de l'An de grâce, ils en font une marchandise qu'ils ne peuvent pas livrer, ils s'enrichissent en appauvrissant le pays. Le brave édile, lui, ne donne que ce qu'il peut donner, l'annona, la nourriture de l'année. On sent déjà que le jour approche où ce magistrat sera chassé de la poissonnerie par vendeurs juifs ! Pour l'instant, Lucius navré, vexé même (il perd et l'argent et le gage des richesses
millénaires), Lucius sur conseil de Pythéas va prendre un bain dans un
endroit qui n'est pas baptismal. Mais il avait sans doute promis de ne toucher
qu'aux poissons ce soir-là, car il s'arrange de manière à se coucher sans
manger. Ce soir, le plus solennel de toute sa vie, c'est le 15 nisan 889,
c'est la Grande Pâque du Zib, voilà
pourquoi tout à l'heure il a dit à Pythéas : Ce que
je suis venu faire, tu le sauras demain. Voilà aussi pourquoi dans le
texte actuel le marchand Aristomène vend des fromages au lieu de vendre des
poissons, et du miel de l'Etna au lieu de vendre du miel ethnique. Mais on peut être sûr que dans
l'original il était marchand de poissons et de miel ethniques, c'est-à-dire
du pays, et qu'il était en passe d'être ruiné par les poissons et le miel
révélés qui sont dans les Évangiles la seule nourriture du Juif
consubstantiel et coéternel au Père. Comme l'Année de mille ans à l'annona de l'édile,
le miel et les poissons juifs lui font une concurrence à laquelle il ne
saurait résister. IV. — POISSONS D'AVRIL. L'affolement dans lequel cette échéance avait précipité
toute la population est parfaitement rendu par l'état de Lucius, le
lendemain, au lever du soleil. Il est mûr pour devenir âne. De ce qu'il y avait dans la ville il me semblait que rien n'était
comme je le voyais, mais que par le marmottement[21] des mots magiques tout avait été transfiguré[22] ! Si je rencontrais une pierre, mon imagination en faisait
un homme pétrifié[23] ; si j'entendais quelques oiseaux, c'était des hommes
emplumés[24]
; les arbres de l'enceinte, c'était encore des
hommes couverts de feuilles[25] ; les fontaines en coulant s'échappaient de corps humains[26]. Je croyais que les images et les statues allaient
marcher[27], les brebis parler[28], les bœufs et les autres animaux de ce genre rendre des
présages[29]
; que du ciel et de la gloire du soleil l'Oracle
allait venir à l'instant même[30]. Malade de ce vertige, stupide de cet étourdissement, je
tournais de tous côtés, sans pouvoir trouver trace ou commencement de trace
de ce que j'attendais[31]. Poursuivi par l'idée fixe de la bouillie magique, une force irrésistible le pousse vers la poissonnerie baptismale, et il y entrerait de nouveau, nonobstant la leçon que Pythéas lui a donnée la veille, s'il ne rencontrait devant la porte une magnifique dame, Byrrhène, la matrone grecque par excellence, Athènes elle-même[32]. Le rouge de la honte lui monte aux joues lorsqu'il aperçoit sa mère spirituelle qu'il allait peut-être abandonner pour la poissonnade dont les Juifs de Thessalie font commerce. Elle est accompagnée d'un vieillard qui est Socrate, la Raison, la Vérité, la Conscience. En Lucius elle reconnaît un fils de Salvia, la déesse Salut, protectrice de Rome. C'est moi, dit-elle, qui t'ai élevé de mes propres mains[33]. Et en effet, je suis parente de ta mère, je suis sa sœur de lait. Nous descendons toutes deux de la famille dont est Plutarque[34], nous avons tété en même temps la même nourrice[35], nous avons grandi ensemble, unies comme deux sœurs, et rien ne nous distingue que l'extérieur, parce que l'autre a fait un plus brillant mariage, tandis que moi j'en ai fait un plus discret. Je suis cette Byrrhène[36] dont bien souvent peut-être tu as entendu parler par tes précepteurs. Accepte donc en toute confiance l'hospitalité chez moi, ou plutôt sois-y désormais comme chez toi. Pendant tout ce discours Lucius a détourné la tête, et quoique Byrrhène l'emmène chez elle pour lui montrer l'image de la Victoire et de la chaste Diane, quoiqu'elle lui signale les dangers d'une curiosité impie et maladive, il n'évitera la poissonnerie juive que pour tomber dans la magie thessalienne. Il est dans sa destinée qu'il soit une. Au lieu de la transfiguration d'homme en dieu qui devait résulter de la poissonnade, il est métamorphosé en âne ! Et ce qu'il y a de pis, c'est qu'on le prendra pour l'âne juif. Nous ne considérerons le reste de la fable qu'à ce point de vue. V. — LE NOM DE CÉSAR ET L'ÂNE DE JUDA. Lucius s'est exposé à tous les inconvénients de la forme animale, parmi lesquels est l'incapacité naturelle de rendre à César ce qui est à César, voire son nom. Il arrive, en effet qu'accablé par des voleurs et presse par la nécessité, Lucius, un peu tardivement, il le reconnaît, mais de bon cœur, décide de se ranger sous les lois qui protègent chaque citoyen : Je voulus, dit-il, interposer le nom vénérable de l'Empereur pour me délivrer de toute misère. En plein jour, comme nous traversions un gros bourg qu'une foire avait encore grossit j'essayai, au milieu de la foule des Grecs, d'invoquer dans ma langue originelle le nom auguste de César. Tout ce que je pus dire, c'est un O puissant et expressif ; mais quant au reste du nom de César, impossible. Aussi, prenant prétexte de mon vice d'articulation, les voleurs me tombèrent-ils dessus, à tel point que ma peau n'eût pas même été bonne à faire un crible, alors que le nom de l'Empereur les eût peut-être arrêtés[37]. Dans une autre circonstance où il s'agit non plus du salut particulier, mais des mœurs publiques outragées[38], sa constitution d'âne l'empêche également d'en appeler aux lois reçues dans la civilisation romaine. Un retentissant, mais inutile, une protestation perdue pour tout le monde, pour les coupables eux-mêmes, voilà tout ce que peut faire un âne ! Quant aux leçons que Lucius pourrait tirer du langage d'un Fronton, d'un Sextus ou d'un Marc-Aurèle, sa fatale curiosité pour les secrets magiques lui interdit ce recours. Il n'a pu que braire : quelle situation pour l'organe du Verbe juif dans-quatrième signe ! Mais d'autres mésaventures lui sont réservées, dont l'une est vraiment bien curieuse[39]. VI. — PARABOLE DU LÉGIONNAIRE ET DU JARDINIER. Au cours de sa métamorphose, il arrive que l'âne Lucius est monté par un jardinier. La bête est déjà suspecte par elle-même, que sera-ce lorsque l'homme qui la monte sera en même temps l'ombre, portée jusqu'en Thessalie, du Jardinier annoncé par l'Évangile du Royaume ?[40] Et d'abord il est bon pour l'intelligence de cette parabole, car c'en est une, que vous sachiez à quelles circonstances de l'histoire juive Apulée fait allusion. Le dernier des rois-christs, Bar-Kocheba, ainsi surnommé de ce qu'il se disait fils de l'Etoile Âne, venait de succomber sous l'effort d'Hadrien, emportant avec lui dans la mort les dernières gouttes du sang de David. Mais pour le réduire il avait fallu envoyer contre lui deux armées, la première ayant été battue. Ce n'est pas que les Romains ne fussent habitués aux revers, ils en comptaient autant que de victoires, niais le début de la révolte avait été marqué par un acte de félonie dont il n'y avait pas d'exemple depuis celui de Ménahem à Massada et qui souleva la réprobation générale, même parmi les nations ennemies de l'Empire. Au mépris de leur loi, il faut bien le dire, et dans le dessein d'alléger leurs charges, les Juifs avaient accepté de fabriquer les armes destinées aux troupes romaines en garnison dans le pays. Ce qui se passa au moment de la livraison manque de clarté dans l'histoire, mais soit que les Romains eussent refusé les armes pour malfaçon, soit que les juifs se les fussent attribuées, les trouvant de la trempe convenable, du jour au lendemain ceux-ci s'en trouvèrent nantis et les goym privés, de telle manière que le procurateur d'Hadrien, assiégé en diverses forteresse, battu en plusieurs rencontres, dut appeler au secours pour reprendre à ses fournisseurs morts ou vifs les engins de guerre qu'ils avaient si prestement tournés contre le client. La ruine de Jérusalem et la dispersion des Juifs n'avaient pas effacé le souvenir de ces faits lorsque Lucius, mué en âne pour avoir couru après les poissons, fut rencontré, entre les jambes du jardinier, par un soldat romain qui portait à la main le cep de vigne, insigne ordinaire du centurion. Ce légionnaire, avisant Lucius sous la forme de l'âne, arrête le jardinier, et sans plus de motifs apparents que l'édile apostrophant le poissonnier, sur le ton du courroux mal réprimé, il lui demande en latin où il conduit cet âne qui semble affranchi de toute charge[41]. Le jardinier ne répond pas, il n'entend pas la langue de la Bête. Le soldat considère son silence comme une injure, le frappe du cep de vigne et le jette à bas. Le jardinier ayant expliqué que son mutisme tient à son ignorance du latin, le soldat lui parle en grec, exigeant qu'il lui livre l'âne dont il a besoin, dit-il, pour porter, avec d'autres bêtes de somme, les fournitures du commandant. En vain le jardinier le supplie d'agir d'une façon plus humaine avec un ancien compagnon d'armes, — il sait donc assez de latin pour exécuter un ordre, — le soldat n'écoute rien, c'est l'âne qu'il veut. Le jardinier, comme pour lui toucher les genoux en signe d'obéissance, s'avance près de lui, courbé, ramassé, puis tout à coup lui saisit les deux pieds, le lève en l'air, le laisse retomber de tout son poids, et à coups de poings, à coups de dents, avec des pierres, lui meurtrit face, mains et côtes. Sur le dos, le soldat est sans défense, mais il jure que, s'il se relève, il le transpercera de son épée. Averti, le jardinier le désarme, jette l'épée le plus loin qu'il peut, et se met à battre le soldat de plus belle. Pour échapper à la mort, celui-ci n'a d'autre expédient que de la contrefaire. Sur quoi le jardinier se retire, emportant l'épée avec lui, enfourche l'âne et s'enfuit. Il a pris l'arme et sauvé l'âne ! C'est, en une parabole païenne, toute l'origine de la dernière campagne contre les Juifs, la commande acceptée, exécutée, puis, au moment de la livraison, les Juifs ayant manqué à leur parole, Bar-Kocheba s'emparant de l'épée, battant les premières troupes envoyées contre lui et forçant le gouverneur à faire le mort jusqu'au débarquement de l'armée qui fit de Jérusalem Ælia Capitolina[42]. Voilà pourquoi le légionnaire est entré en fureur au seul aspect du jardinier. Ce militaire, comme je l'ai
appris depuis, dit Apulée par la bouche de Lucius, semblable à un homme sorti d'une longue ivresse, se releva
enfin, quoique chancelant et meurtri par la douleur des coups, il parvint à
la ville[43]. La confusion l'empêcha répandre le bruit de
l'impuissance à laquelle il était réduit, il dévora en secret son injure,
mais il rencontra des camarades à qui il raconta sa défaite. Après qu'il fut
resté quelque temps au quartier sans se montrer, car indépendamment de son
affront personnel il redoutait, en raison de la perte de son épée, les suites
de cette infraction au serment militaire, on décida de le venger et, notre signalement
étant connu, de nous poursuivre avec énergie. Le jardinier se réfugie
avec l'âne au sommet de la maison d'un ami qui, loin de les trahir, comme
s'il se fût agi de la Bête romaine, se défendit opiniâtrement de receler l'un
et l'autre[44].
Devant tous les soldats qui invoquent la foi de l'Empereur, il jure qu'il ne
les a pas chez lui, prenant à chaque mot le ciel à témoin. L'aventure finit
comme histoire de Bar-Kocheba dont elle est l'ombre : on exécute le jardinier
et on accable l'âne de railleries, accompagnées de rires qui n'en finissent
pas. C'est de là, dit ironiquement Apulée, qu'est né le proverbe si répandu : A son ombre, on
reconnaît l'âne[45]. Le Jardinier
tué, l'âne demeure au légionnaire, mais pour qu'on ne prenne plus cette bête
domestiquée[46]
pour l'âne de Juda, pour que son ombre ne soit plus une cause de suspicion
légitime, le légionnaire en fait un âne tout romain, un âne trophée, qui va
maintenant, affublé d'un équipement militaire au grand complet, avec casque
et boucliers clairs comme des miroirs, et, formant pinacle, une lance
remarquable par la longueur de son bois ! Désormais l'âne de Juda,
malgré sa répugnance pour les charges, portera sur son dos l'attirail de
Jupiter Capitolin dont Hadrien érigea la statue colossale[47] là où avait été le lieu des pieds de Iahvé. Ce n'est pas tout, et ce qui faisait le sel de cette allégorie, c'est que le légionnaire avait enveloppé ces attributs dans un vaste filet à prendre les poissons[48] ! Non seulement le Jardinier avait péri, mais le filet des pêcheurs d'hommes ne servait plus désormais qu'à contenir les signes de la puissance romaine ! Popularisée surtout par les soldats, la figure du triomphe des Juifs devient ici celle de leur soumission et de leur esclavage. C'est sous sa forme détestée que Lucius expie sa fatale imprudence et qu'il parcourt les étapes par où il revient insensiblement à la philosophie ; et cette forme seule a suffi pour armer contre Apulée la calomnie et la délation dans le procès qui va suivre. VII. — DÉNONCIATION CONTRE APULÉE POUR JEHOUDDOLÂTRIE. C'est dans Æa que l'accusation prend naissance, dans cette Tripolitaine qui n'est qu'une Cyrénaïque prolongée, où il y a des christiens juifs depuis Simon le Cyrénéen, crucifié à Jérusalem avec Bar-Jehoudda. La kabbale christienne s'était admirablement conservée ici, grâce aux deux fils de Simon, Alexandre et Rufus, et à son frère Lucius sous le nom de qui on a mis un des Évangiles[49]. Elle avait résisté au temps, traversé tous les Flaviens et les premiers Antonins. Il n'y avait pas plus de cent dix ans que Simon, parti pour la Grande pâque, n'était pas revenu. Les petits-enfants Alexandre et de Rufus, ceux de Lucius, s'ils n'ont pas péri dans la révolte des Juifs de Cyrène sous Trajan ou dans celle de Judée sous Hadrien, habitent encore la Cyrénaïque. Enfin, rapprochement qui a peut-être sa valeur, c'est sous le nom de Lucius de Patras que l'âne d'Apulée court la Thessalie, la Macédoine et Achaïe. Or l'Église veut que Lucius de Cyrène ait été martyr à Patras[50]. Voici non pas les faits du procès, car l'Église ne les a pas laissés en place, mais leur ombre. Allant à Alexandrie, après son voyage en Grèce, dans les îles, en Asie, en Phrygie, à Hiérapolis peut-être, où le délicieux Papias explique dans le quartier juif les Paroles du Rabbi, Apulée s'est arrêté à Æa, l'une des trois capitales de la Tripolitaine. Ses talents, sa figure ont plu ; une veuve riche à quatre millions de sesterces, Pudentilla, s'est éprise de ce philosophe à la rhétorique élégante. Cette veuve d'un âge incertain que les pessimistes évaluent à soixante ans et Apulée à quarante, possède en outre deux fils, Pontianus et Pudens. Apulée l'épouse et se fixe dans Æa. Trois ans se passent pendant lesquels Pontianus, l'aîné des beaux-fils d'Apulée, se marie contre le gré de sa mère et de celui-ci avec la fille de Rufinus, un mime usé par la débauche et qui, ne pouvant plus vivre de sa femme, espérait pouvoir vivre de sa fille. Car par lui consultés, des Chaldéens, je ne sais quels, dit Apulée, avaient prédit que Pontianus mourrait au bout de quelques mois, ce qui est arrivé, et qu'il ferait sa femme héritière, en quoi ils se sont trompés. Mais en épousant Pudens, frère du défunt, la petite veuve rattraperait la part quelle avait escomptée. On retourna voir les Chaldéens qui, élargissant le cadre de l'opération, suggérèrent à Rufinus et à sa fille l'idée de se débarrasser d'Apulée, afin de précipiter le nouveau mariage auquel il s'opposait comme au premier. Le moyen fut qu'on accuserait cet intrus d'une ou de plusieurs de ces choses qui, savamment enflées par la calomnie, peuvent mener un homme à la mort : accusatio capitis, dit Apulée. Les Chaldéens qu'avait consultés Rufinus n'étaient nullement de Chaldée : c'étaient des mathématiciens, des astrologues qui tiraient les horoscopes et lisaient dans les destinées d'après les principes égyptiens ; ils n'étaient pas Juifs, sans quoi la dénonciation se fût retournée contre eux, mais ils connaissaient et les Paroles du Rabbi et la légitime crucifixion de leur auteur sous Tibère, et toutes les affaires de la famille depuis Jehoudda l'ancien jusqu'à Ménahem, et tous les crimes dont les christiens étaient chaque jour accusés. Enfin, selon eux, la fable hermétique de l'Âne d'or qu'Apulée avait apporté avec lui et dont il ne se cachait en rien, pouvait, par une dernière métamorphose, être changée en une pièce à conviction. Et d'abord d'où vient cet Apulée qui au bout de quelques mois épouse une veuve pesant quatre millions de sesterces ? Il se dit philosophe, poète, naturaliste, mais c'est un aventurier qui s'est fait initier dans Hiérapolis de Phrygie à la secte honteuse que l'Église n'ose plus nommer dans l'Apologie revue par elle. Il a chez lui, enveloppés dans un suaire, des objets consacrés, talismans et amulettes, qu'il ne montre à personne et qu'il vénère en secret. On sait qu'il a des croix, le van mystique de Bacchus[51], si semblable à celui que le Fils de l'homme aura dans la main quand il viendra[52], d'autres objets encore qui servent aux enchantements. Le fait est qu'il a capté Pudentilla, on a des lettres où elle laisse échapper qu'elle a été charmée. S'il l'a captée, n'est-ce point par cette magie spoliatrice dont use nt les christiens envers les femmes que tourmente l'approche du Premier jugement ? Quelle a été la cause du mariage ? Du côté d'Apulée, poissonnade. Quel en a été le premier acte ? Du côté de Pudentilla, donation. Nul doute, Apulée s'enrichit avec l'Apocalypse du Joannès, c'est un jehouddolâtre. Si l'on peut établir cela contre lui, dans cette province encore toute chaude de la répression de cette secte infâme chez quelques-uns, nuisible chez tous, il est perdu ! On n'avait pas osé dénoncer Apulée au proconsul Lollianus Avitus qui le tenait en haute estime, mais un proconsul nouveau, Claudius Maximus, est arrivé de Carthage à Sabrata, ville voisine d'Æa. Au cours d'un procès qu'Apulée plaide devant lui pour sa femme, les avocats de la partie adverse et les parents évincés se fissent pour le harceler de propos injurieux : ils en viennent à dire qu'il a assassiné son beau-fils Pontianus dont l'héritage lui est revenu. Sommés de signer cette accusation, ils se rejettent sur le grief de jehouddolâtrie ; entraîné par la fille de Rufinus, Pudens se joint à eux avec sou oncle Æmilianus. Claudius Maximus ne laisse aucun délai aux parties, il instruit l'affaire en six jours, et si rapidement que les ennemis d'Apulée, les parents qui s'estiment lésés par la donation[53], n'ont pas le temps d'altérer la pièce unique sur laquelle ils étayent l'accusation de poissonnade, et où Pudentilla s'écrie dans un élan de franchise amoureuse : Eh ! bien oui, Apulée est un magicien, il m'a ensorcelée ![54] Magicien, le mot y est. On n'est pas magicien sans magie. Qu'a fait Apulée depuis les trois ans qu'il est à Æa ? Il dit qu'il étudie les principes de Zamolxis et la liturgie de Zoroastre ? Mais pourquoi recherche-t-il certaines espèces de poissons que vendent les pécheurs de Phrygie ? Pourquoi inspecte-t-il leurs entrailles ? Pourquoi en les dépièçant prononce-t-il certains mots du grimoire chaldéen[55] ou égyptien ? Pourquoi mange-t-il religieusement ces poissons ? Pourquoi les paie-t-il si cher ? Ils rendent donc au centuple ? Les dénonciateurs citaient le fait comme étant l'argument le plus décisif, et cela se comprend quand on sait la confusion qu'ils créaient entre Apulée et le Lucius de l'Âne d'or. Une fois dans Æa, il a continué à s'occuper de ces poissons magiques. On en nommait trois : le prêter, un crustacé, dans lequel on voyait un lièvre-marin, les deux autres dont les noms combinés contenaient ceux des parties sexuelles chez l'homme et chez femme. Ce qui faisait la valeur exceptionnelle du philtre composé avec ces trois poissons, c'est que dans le ventre du crustacé, Apulée — et même il s'en flattait — avait le premier découvert douze pièces osseuses, unies et enchaînées. Seul entre tous, ce poisson offre cette particularité, comme s'il était le symbole concret des douze Æons ou Apôtres qui doivent accompagner le Fils de l'homme ! VIII. — LES CHARPENTIERS PÊCHEURS DE LA POISSONNADE. Les poissons, qui rendent du douze mille pour un et même davantage, d'où Apulée les tient-il ? De pêcheurs qui, chose bien plus extraordinaire encore, sont en même temps charpentiers et viennent de Phrygie, à moins qu'en passant à Hiérapolis il n'eût fait la connaissance de ces charpentiers pêcheurs. Une telle vertu attache à ces poissons que, dans Hypate, il n'a pas hésité à les payer un prix hors de proportion avec leur valeur réelle. C'est par un philtre préparé avec ces poissons, quand il était encore à Carthage, qu'il s'est fait aimer de Pudentilla[56]. Il en avait la recette quand il est venu en Tripolitaine. Apulée feint de ne pas comprendre, il demande aux dénonciateurs de s'expliquer sur ce qu'il y a de grave, d'invincible, comme ils disent, dans ces poissons. Ils ne répondent pas, ils ont signé la dénonciation, mais ils se soucient peu d'être convaincus de savoir eux-mêmes que pour les Juifs hellènes l'ichthus est le signe de l'Æon-Zib et du baptême inventé par le remetteur de péchés. Pour ce qui est des poissons Apulée ne les considère qu'au point de vue de l'histoire naturelle, il a écrit un livre en grec Sur les Poissons, et ce livre est connu dans Ain. Il le fait même apporter au tribunal, et le passage[57] relatif à l'espèce incriminée est lu devant tout l'auditoire. Mais nous allons avoir la preuve que déjà, dans ses Explications des Paroles du Rabbi, Papias, évêque d'Hiérapolis, présentait Jehoudda et Bar-Jehoudda sous l'allégorie des Charpentiers. Un des faits qu'on cite dès le
début comme l'argument le plus probant, dit Apulée, c'est d'avoir acheté
certaine espèce de poissons de certains charpentiers phrygisants
: (on lit aujourd'hui pêcheurs, mais nous voyons par la phrase suivante
qu'il y avait charpentiers). Laquelle donc de ces deux circonstances me vaut le
soupçon de magie ? Est-ce le fait que des charpentiers de Phrygie[58] ont cherché pour moi les poissons ? Cela veut donc
dire que je devais en charger des charpentiers phrygisants
?[59]
En ce cas, pour éviter vos calomnies, je n'avais
qu'à intervertir le rôle de chaque métier : c'eût été au charpentier de me
pêcher le poisson, et par contre, au pêcheur de façonner le bois avec sa
doloire ![60] Prétendez-vous dire que le maléfice consiste dans le fait
d'avoir payé les poissons ? Pour échapper à ce reproche[61], je n'avais qu'à le demander Pour rien. Qui vous empêche
de me faire grief d'une foule d'autres choses ? Car combien de fois ne
m'est-il Pas arrivé d'acheter du vin, des légumes, des fruits et du pain ? A
ce compte vous réduisez à la famine tous les marchands de poissons ! Car qui
osera se fournir chez eux, s'il est jugé que tous ceux qu'on leur commande s
ont destinés non à la table mais à la magie ? Que si rien ne reste du soupçon
d'avoir engagé des charpentiers[62] à prendre du poisson (encore
n'a-t-on pu en citer aucun en témoignage, attendu qu'ils n'existent pas)[63], rien non plus du fait de les avoir payés à prix d'argent
(encore n'a-t-on pas précisé de
chiffre, parce que, trop bas, c'eût été une misère, trop élevé, une
invraisemblance), si, dis-je, il n'y a pas de
mal à cela, qu'Æmilianus me dise sur quel signe il
fondera sa prochaine accusation de magie ? Tu te procures des poissons,
dit-il. Je ne le nie pas, mais je te le demande, pour se procurer des
poissons, est-ce à dire qu'on fasse de la magie ? Pas plus, selon moi, que si
l'on se procurait des lièvres, des sangliers ou de la volaille. Est-ce que
seuls les poissons ont quelque chose d'inconnu à d'autres et de révélé aux
magiciens ? Si tu le sais, le magicien, c'est toi ! Si tu n'en sais rien,
avoue que tu m'accuses de ce que tu ne sais pas ! Le grief de christianisme se précise encore dans le nom
des poissons qu'on l'accuse de demander aux charpentiers pêcheurs. Un des mensonges les plus subtils qu'on ait lancés contre
moi, pour me nuire, c'est d'avoir, au milieu de ces poissons si nécessaires à
posséder, si rares à rencontrer qu'on me les a fait un prix considérable[64], demandé deux corps marins sous des termes obscènes. Tannonius (l'avocat
des accusateurs) a voulu faire entendre que c'étaient
les parties génitales des deux sexes, mais incapable de s'exprimer scientifiquement,
il est arrivé, après beaucoup d'hésitations, à nommer la partie génitale du
poisson mâle par je ne sais quelle périphrase aussi impropre que malpropre.
Pour la partie génitale du poisson femelle, incapable qu'il était d'employer
le mot convenable, il a eu recours à certain de mes livres... — Apulée
renvoie à l'Âne d'Or où[65], dans une allusion
à la statue de Vénus Anadyomène, on trouve le mot interfeminium qui ne convient en aucune
façon aux parties sexuelles du poisson femelle —. Allons au fait : on
accusait Apulée de composer, non plus par le mariage de la semence et de la menstrue adamiques, mais par le mélange des parties
sexuelles du mâle et de la femelle poisson, l'hostie christienne que les
Juifs offraient au Créateur, et d'en avoir fait usage comme philtre de vie
millénaire. Et le doute est d'autant moins permis qu'Apulée s'écrie : Ce que tu veux dire, c'est que pour mes charmes magiques
je me suis procuré une veretilla et un
virginal. Apprends en latin le nom de ces choses ! je ne les ai appelées
autrement que pour te donner encore une fois l'occasion de m'accuser !
Car c'est par la ressemblance entre le radical du nom des poissons incriminés
et celui des parties sexuelles de l'homme et de la femme que les accusateurs
avaient été amenés à dire qu'Apulée choisissait de préférence les poissons
dont le nom évoquait les organes de la copulation[66]. Donnons la preuve qu'Apulée ne s'était pas contenté de citer l'Apocalypse à propos du Grand jour annoncé par les christiens, mais qu'il savait comment s'appelait s on auteur en circoncision comme en magie. Montrons lue le nom de Joannès était encore, dans la seconde partie du règne d'Antonin, le seul sous lequel Bar-Jehoudda fût connu dans le monde païen. L'usage qu'Apulée avait fait de ce nom servit de guide à l'accusation : Quand on poursuit un homme pour quelque forfait, il suffit à sa défense, y eût-il contre lui des probabilités, que sa vie tout entière s'insurge contre un crime de ce genre... J'aurais pu invoquer cet argument, mais voyez combien je suis fort de mon innocence e t quel mépris je professe pour vos attaques. Si vous trouvez un seul motif, même le plus futile, qui ait pu me faire désirer la main de Pudentilla dans un intérêt quelconque, je consens à être (ceci au milieu d'une nomenclature de magiciens)[67] ce Moïse Joannès ! Jusque-là l'audience avait été calme, mais au moment où il prononça le nom de ce Mage aux Poissons[68], Apulée fut interrompu par la clameur qui s'éleva du banc de ses accusateurs. Le père de celui qu'on l'accusait d'adorer en secret av ait été surnommé Moïse dans l'Assomption que ses disciples lui avaient consacrée, Panthora dans d'autres écrits, Joannès Ier dans ceux qui sont devenus les Évangiles ; enfin c'est sous le nom de Joannès que l'Apocalypse et le baptême qui en était la conséquence se présentaient hors du monde juif, dans toutes les poissonneries de Macédoine et de Thessalie. Apulée venait donc de prononcer lui-même le nom qui pouvait mettre les juges sur la voie où l'accusation voulait les conduire. Habebant confitentem reum : Voyez, Maximus, s'écrie Apulée, quel vacarme ils ont fait parce que j'ai énuméré quelques magiciens ! Comment procéder avec des gens aussi grossiers, aussi barbares ? Faut-il répéter encore que ces noms et bien d'autres ont été tirés par moi des plus fameux auteurs dont les bibliothèques publiques conservent les ouvrages ? Faut-il leur prouver qu'il y a bien loin entre connaître leurs noms et se livrer à leurs pratiques, et que des citations[69] dues à un peu de mémoire et d'érudition ne sauraient être considérées comme l'aveu d'un crime ? Ne vaut-il pas mieux, Maximus, m'en remettre à vos lumières, à votre science, et dédaigner de répondre à ces clameurs de gens balourds et ignorants ? C'est ce que je fais. Qu'ils pensent ce qu'ils voudront, je ne m'en soucie ! Une pareille désinvolture, au moment où le débat se circonscrivait autour du nom christien, a paru tellement hors de situation que la critique moderne la relève chez Apulée comme un véritable escamotage de la question. Après avoir ensorcelé sa femme, Apulée aurait ensorcelé ses juges ! Cette apparence tient aux mutilations et aux changements dont son Âne et son Apologie ont été l'objet, car l'intérêt d'Apulée coupable ou simplement suspect était de ne pas prononcer le nom qui devait soulever le tumulte, s'il n'avait pas lui-même donné barre à l'accusation dans son Âne d'or ; l'intérêt d'Apulée innocent était d'embarrasser ses adversaires en leur demandant pourquoi ils connaissaient si bien le nom du christ, ainsi que toutes les particularités de sa poissonnade. Monté sur l'Âne d'or, Apulée avait fait le tour de la superstition joannique bien avant que Jésus de Nazareth, monté sur l'Âne de Juda, ne lit son entrée dans Jérusalem pour y manger l'agneau. Le silence de l'Apocalypse sur les poissons d'Hypate est la cause de l'impression que fait aujourd'hui ce plaidoyer, celle d'une fantaisie oratoire plutôt que d'une défense en règle. Car c'est une chose remarquable qu'aujourd'hui, dans un procès où Apulée est accusé de judéolâtrie, le mot Juif ne soit pas plus prononcé que dans le livre où nous visions à sa suite la poissonnerie christienne de Thessalie ! Au surplus, nulle part le Poisson de Jonas, que Bar-Jehoudda avait fait sien, ne s'est mieux conservé qu'en Afrique. De là l'interprétation d'Augustin sur ce signe y e la vie millénaire : Le monde mange le mystérieux poisson tiré du fond de la mer et servi sur la table que Dieu a préparée sous les regards des croyants, car il a été tiré de l'eau pour nourrir la terre aride. Que les ministres du christ agissent à l'instar de ceux qui ont Prêché la parole par des miracles et des mystères, afin que l'ignorance, mère de l'admiration (à la bonne heure, Augustin est franc !), soit maintenue par la peur de ces signes occultes ![70] En son temps encore, et nous sommes au cinquième siècle, dans la cérémonie qui succédait au baptême, on montrait aux néophytes le poisson sacré qu'une terre fidèle mangeait, et qui était comme sa nourriture spirituelle[71]. IX. — L'ACCUSATION DE SACRIFICE HUMAIN. Un autre grief plus grave encore que celui de la poissonnade fut invoqué par les ennemis d'Apulée pour renforcer l'accusation de christianisme portée contre lui : Apulée sacrifie des enfants au Joannès ! Est-il besoin de dire que, là encore, là surtout, l'Église a tantôt brouillé tantôt supprimé les explications d'Apulée, non point sur son cas, mais sur les nombreux précédents relevés contre la secte ? Essayons de les restituer. Maintenant que nous avons tiré au clair leur histoire de poissons, dit Apulée, voici qui est d'une invention tout aussi sotte, mais beaucoup plus méchamment ourdie. Ils savaient eux-mêmes que le chef des poissons ne reposait sur rien, n'aboutirait à rien. Il s'agissait donc d'inventer une chose qui se rattachât à des faits plus répandus et plus acceptés... Eh bien ! produisez les crimes monstrueux dont vous m'avez accusé, mes maléfices infâmes, mes pratiques abominables ![72] Les choses sont aujourd'hui présentées de telle sorte, et si illogiquement, qu'accusé d'avoir sacrifié plusieurs enfants à Bar-Jehoudda, comme le fait prévoir la sommation qu'il adresse à ses ennemis de les produire, Apulée se défend simplement d'en avoir endormi un, la nuit, à l'heure où les enfants dorment ! En conformité des opinions déjà reçues dans le public, Apulée était accusé d'avoir sacrifié ces enfants, la nuit, loin de toute surveillance, devant quatorze témoins, en un lieu secret où il y avait un petit autel éclairé d'une seule lampe[73]. Aujourd'hui il n'est plus coupable que d'avoir fasciné Thallus par certains charmes, de l'avoir fait tomber par terre sans connaissance, et rappelé ensuite à la vie. On n'a pas osé pousser les choses plus loin, dit le texte actuel. Alors où sont les crimes monstrueux qui mettent en péril les jours d'Apulée ? Où est le fait qui peut entraîner une condamnation capitale ? Or c'est d'une accusatio capitis qu'Apulée avait à répondre, et il vient de nous avertir que le chef auquel il passe est le seul qui puisse entraîner un verdict de ce genre. Il s'agit si bien d'enfants antérieurs au fait Thallus que, les dénonciateurs ayant aussi parlé d'une femme épileptique qu'Apulée aurait fait tomber, Maximus interrompit, disant : Et après ? Elle est donc morte ? — Non, dirent-ils. — Alors, répliqua Maximus, quel intérêt aurait eu Apulée à ce qu'elle tombât ? Et par trois fois il insiste sur cette question. Pas de mort consécutive à l'enchantement ? Non, alors pas d'intérêt pour l'accusation. Et Apulée ne peut s'empêcher de féliciter Maximus d'avoir agi en bon magistrat. L'Église est revenue sur les enfants sacrifiés quand elle est revenue sur la poissonnade d'Hypate et sur le mythe des charpentiers de Phrygie. Fronton est africain de Cirta, Minucius Félix est africain (de Carthage, semble-t-il), Apulée est africain de Madaura. C'est doue en Afrique, dans la colonie juive, parmi les christiens de Carthage et d'ailleurs, que les sacrifices d'enfants s'étaient produits et avaient été constatés en plus grand nombre. Ces malheureux étaient pris dans les filets sanglants des pécheurs d'hommes ! Sur le chef des enfants sacrifiés, les ennemis d'Apulée ont procédé comme sur celui des poissons. Ce n'est pas en Tripolitaine qu'Apulée a fabriqué sa poissonnade, c'est dans la Proconsulaire. De même, ce n'est ni dans Æa, ni dans Leptis, ni dans Sabrata qu'Apulée a sacrifié des enfants, c'est dans la Proconsulaire, à Carthage. Cela nous donne la date des premières exécutions de jehouddolâtres cillitains[74] qui furent faites en châtiment de ces horreurs, car nous aimons à croire que ces fidèles du juif consubstantiel au Père ont été martyrs de leur foi. Elles remontent à trois ou quatre ans, Apulée était encore en Proconsulaire. Il a la croix tatouée sur le bras droit comme les presbytres christiens, ce signe et celui des poissons lui ouvrent l'accès des églises nocturnes ; nul doute, il était de celles où les agneaux humains ont été immolés au nouveau Moloch ! .N'a-t-il pas recommencé depuis qu'il est à Æa ? Car enfin il a le même pouvoir que les presbytres, il chasse les démons ou les appelle à volonté. Il avait chez lui un petit esclave nommé Thallus qu'il jetait par terre du regard et faisait écumer dans des convulsions, ce Thallus a disparu depuis quelque temps, où est-il ? Apulée n'eut pas de peine à prouver qu'il n'avait point sacrifié Thallus, un malheureux enfant qui était épileptique bien avant l'arrivée de son maître en Tripolitaine, et qui depuis longtemps vivait relégué à la campagne, à cent milles d'Æa, Pour ne pas infecter de son mal les autres serviteurs. Il y était encore à l'heure où le procès s'engagea. Or il fallait que, tel l'agneau sans tache, l'enfant
sacrifie réunît la virginité, la beauté du corps, l'intégrité e tous ses
membres, la santé, et qu'à tous ces avantages il joignit encore l'esprit de
prophétie, conformément à la citation de Joël dans les Actes des Apôtres[75]. On ne lui
demandait pas de réciter les Paroles du Rabbi comme à trente ans, mais
on exigeait de son innocence qu'elle eût la divination de l'avenir,
invariable avenir dont l'échéance reculait à chaque année sabbatique, mais
était escomptée à chaque pâque. Or, Thallus
était-il dans les conditions nécessaires pour être un agneau de cette espèce
? Est-ce à cause de Thallus endormi ou des enfants
sacrifiés au christ qu'Apulée est devant le proconsul ? Voici qui répond à la
question : En vérité, vous avez choisi là un bel
enfant, pour supposer qu'il figure dans un sacrifice, que quelqu'un lui
touche la tête (on lui imposait les
mains), le couvre d'un manteau blanc (on lui passait la robe du martyr)[76], attende de sa bouche une réponse ! Par Hercule, je
voudrais le voir ici ! Je l'aurais remis entre tes mains, Æmilianus
! Je t'aurais chargé de le tenir, de l'interroger ! Au milieu même de ta
question, ici, devant le tribunal, il aurait tourné contre toi des yeux
hagards, il aurait couvert ta figure d'écume et de crachats, il aurait
contracté ses mains, agité sa tète, après quoi il serait tombé sur toi. Les
quatorze esclaves que tu as demandés, je les produis ; pourquoi ne les
interroges-tu pas ? Tu n'en veux qu'un, celui qui tombe du mal caduc, celui
qu'aussi bien que moi tu sais être loin d'ici ! Jamais calomnie fut-elle plus
évidente ? Quatorze esclaves se présentent à ta requête, tu fais semblant de
ne pas les voir ; un seul n'est pas là, l'enfant ; tu accuses son absence !...
Tu m'as fait citer pour rien les esclaves ; moi, je
te cite pour quelque chose. Nomme-moi les témoins qui assistaient à ce
sacrifice expiatoire[77]. On a ajouté où j'ai fait tomber Thallus
pour donner le change sur l'accusation de meurtre rituel. Mais la réfutation
démontre qu'elle était telle et non autre. Ce n'est pas Thallus
qui est en cause, c'est l'un des enfants qui ont été sacrifiés par les cillitains,
enfants qu'on ne peut produire, bien entendu, puisqu'ils ont été égorgés.
Mais ne peut-on au moins les nommer ? Allons,
nomme-les, Tannonius !... Pourquoi ce silence ? Pourquoi ces hésitations ? Pourquoi
ces coups d'œil jetés derrière toi ? Est-ce qu'il ne sait plus ce qu'il a dit
ou a-t-il oublié les noms ? A ton tour, Æmilianus !
Approche ici, dis ce dont tu avais chargé ton avocat, montre les enfants ! Tu
palis ? Pourquoi ne les nommes-tu pas ? Est-ce là porter une accusation ?
Est-ce là dénoncer un aussi horrible forfait ? N'est-ce pas plutôt se moquer
de Claudius Maximus, un si haut personnage, et me
poursuivre par la calomnie ? La magie est un art non moins
occulte que terrible, mais que penser de celle dont on accuse Apulée ?
N'exige-t-elle pas plus de secret encore ? Et tu
veux que quinze esclaves y aient figuré ! C'était donc des noces ? quelque autre
cérémonie ? un banquet prolongé ? Quinze esclaves participent à un sacrifice
magique[78]
comme des quindécemvirs créés pour le culte public !
Pourquoi aurais-je admis tant de témoins ? Pour être livré par l'un d'eux
plus accessible au remords que les autres ? Ou bien est-ce pour qu'ils m'aidassent
à tenir longtemps les victimes expiatoires que j'ai eu besoin de cette
foule d'hommes ? Mais en fait de victimes, vous n'avez nommé que des poulets
! Était-ce pour qu'ils comptassent les grains d'encens[79] ? On avait également fait signer une plainte par Junius Crassus, un habitant d'Æa qui revenait d'Alexandrie où nous avons vu les Valentiniens pratiquer le baptême de fumée, tout au moins l'indiquer comme étant celui dont usaient les disciples des apôtres pour se remettre mutuellement les crimes qu'ils avaient commis depuis le baptême d'eau. Ainsi avait fait Apulée avant son mariage ! Oui, la nuit, dans la maison d'un ami, très souvent, il avait sacrifié des oiseaux. Dans quel but si ce n'était de chasser loin de lui le remords ? Crassus a reconnu le fait aux plumes des oiseaux et aux murailles toutes noires de fumée. Mais où était-il, réplique Apulée, quand les faits se seraient passés ? A Alexandrie ! Pourquoi suppose-t-il une fumée assez abondante pour noircir toutes les murailles ? Comment sait-il qu'elles n'ont été noircies que la nuit ? S'il y a des plumes d'oiseaux, pourquoi n'accuse-t-il pas son esclave de ne pas les avoir enlevées, de n'avoir pas nettoyé les murailles ? Parce que c'est lui-même qui a inventé cette suie, ces plumes, et les sacrifices nocturnes dont elles proviennent. Les ennemis d'Apulée lui avaient payé sa plainte trois mille sesterces ! X. — LE SUAIRE, LE BOIS DE CROIX ET LA STATUETTE DU SCÉLÉRAT. Enfin voici le morceau essentiel. Entre tous les talismans qu'Apulée avait dans ses bagages à Æa, quand il habitait encore chez Pontianus, avant son mariage d'argent, il en est un dont il faisait plus grand mystère que des autres et qui suffisait à démontrer son étroite affiliation au christianisme. Cet objet qu'il cachait à tous, même à son hôte, c'est un suaire de fin lin ou plutôt un bout de suaire[80]. Qu'on lui demande d'où lui vient ce funèbre linceul ? quel corps il a jadis enveloppé ? quels objets Apulée y conserve précieusement ? Sur le prétendu suaire Apulée n'a pas de peine à se disculper. C'est une pièce de lin comme on eu donne aux initiés dans Kenkhrées lors de la fête équinoxiale au printemps, la pâque d'Achaïe, à laquelle il s'est trouvé quelques années auparavant. A ce compte, dit-il, il n'y a pas moyen d'être innocent, si les accusateurs sont dispensés de la preuve et qu'au contraire ils aient tout pouvoir de questionner quelqu'un sur le nom de ce qu'il détient !... Vous voyez, Maximus, de quoi il retourne ici, quel champ Æmilianus ouvre à la calomnie par cette méthode, et quelles sueurs on peut donner à des innocents avec un seul bout de suaire ! Je pourrais opposer beaucoup de choses, mais je ferai comme j'ai résolu, j'en dirai même plus qu'il ne faut et je répondrai à la question d'Æmilianus. Tu demandes, Æmilianus, ce que j'avais dans un suaire ? Quoique je n'aie déposé aucun suaire dans la bibliothèque de Pontianus où il n'y en a jamais eu, concédons-le. Ce qu'il y avait dedans ? Je pourrais dire qu'il n'y avait rien. Et si je disais cela, il n'y aurait ni témoignage ni argument pour me démentir, car personne ne l'a touché, il n'y a d'après toi qu'un seul affranchi qui l'ait vu ! Cependant mettons que je l'aie bondé d'objets... Veux-tu que je te dise de quelle nature étaient ceux que j'avais enveloppés dans ce suaire ? Sois heureux ! Au cours de ses voyages Apulée s'est fait initier à beaucoup de sectes ; il a rapporté des objets consacrés, sphères, pommes, rouets, miroirs, vans comme en ont les initiés à Bacchus. Il en a de consacrés à Esculape, dieu protecteur d'Æa, d'autres à Sérapis, toute une collection que sur le conseil de quelque prêtre égyptien il a renfermée dans du lin. Il s'en est si peu caché que dans son discours d'installation à Æa il a énuméré tous les cultes dont il a conservé les emblèmes : ce discours est public, beaucoup d'habitants en savent l'exorde par cœur[81]. De toutes les croix qu'il a, celle qu'il honore avec le plus d'insistance, c'est la croix de Sérapis, la croix ansée[82] : Vous savez, dit-il en s'adressant à ceux de l'assemblée qui sont initiés, quel objet vous gardez caché à la maison et vénérez en silence loin de tous les profanes. S'il est dans l'auditoire une personne initiée à ce mystère, qu'elle fasse ou montre le signe en question ! Apulée lui dira ce qu'il cache dans le morceau de lin. Il n'y a pas besoin de perquisition chez lui pour cela. Il montrera lui aussi la croix tatouée sur son bras, comme l'avait à son retour d'Egypte le Juif consubstantiel et coéternel au Père. Sur le suaire et le signe il semble que les ennemis
d'Apulée s'attendissent à cette victorieuse réplique, et voici ce qu'ils
tenaient en réserve : Oui, disaient-ils, dans ce bout de lin qu'Apulée nie provenir d'un suaire, et
quel suaire ! Apulée avait un morceau de bois qu'il s'était procuré à
grand'peine et avec lequel il a fait faire une image qu'il oppose secrètement
à celle de tous les dieux. Sans insinuer que ce bois provint de la croix de Bar-Jehoudda,
plutôt que de celle de Shehimon, de Jacob senior ou de Ménahem, les
accusateurs entendent dire que c'était du bois sur lequel il y avait eu un
martyr célèbre dans la secte. Suaires, bois de croix, clous de croix,
les Juifs faisaient déjà commerce de tous ces accessoires au milieu du second
siècle. On les appliquait sur les malades[83], et quand
ceux-ci ne guérissaient pas, c'est qu'ils n'avaient pas de cœur. Le bois, le
fer que les Syriens de Palestine ou les Arabes[84] vendaient dans
Athènes comme provenant des croix, c'était la corde de pendu de ces temps-là.
Déjà Lucien, au milieu des philosophes, riait des prétentions qu'affichaient
les vendeurs de porter longue vie avec ce lugubre talisman. C'était l'idée
juive[85] qui passait
article de colportage. Apulée donc s'était procuré du bois de croix authentique ! C'est ce qu'il avait dans le suaire, avec les clous et le reste ! Il en avait fait faire une statuette, et quoique cette statuette fût la honteuse image du scélérat [condamné par le sanhédrin des Juifs, et crucifié sous Tibère], cependant il ne laissait pas de lui rendre un culte fervent, et l'appelait en grec Basileia, le Royaume du monde[86]. Bar-Jehoudda, Roi des rois, peste ! Si Apulée savait l'araméen ou l'hébreu il l'appellerait Marân ou Malik, titre que l'âne du Jardinier refuse à l'Empereur dans l'Âne d'or ! Voilà où l'ont conduit peu à peu les poissons des charpentiers de Phrygie ! Dans sa correspondance avec Pudentilla, on a relevé la commande qu'il a faite de cette statuette sur laquelle il ne s'explique pas bien. Des poissons qu'il malaxait à Carthage on conclut qu'elle doit représenter le scélérat à qui les christiens de la Cyrénaïque et de la Proconsulaire offrent leurs enfants en sacrifice et dans lequel ils voient non pas seulement le Roi de l'univers, mais le Royaume lui-même[87] ! Pour votre troisième calomnie, dit Apulée, vous dites que j'ai fait fabriquer cette image émaciée, décomposée par le temps, ce cadavre hideux, ce spectre horrible, infernal ! Voici l'histoire[88]. Chez Cornélius Saturninus, sculpteur et tourneur des plus habiles, d'ailleurs homme d'une moralité reconnue, Apulée a vu toutes sortes de petites figures géométriques en buis, exécutées avec beaucoup de talent et de délicatesse (on devine qu'il y a des sphères et des croix solaires) ; il lui en a commandé pour son usage, et charmé par l'art de l'ouvrier : Puisque vous êtes si adroit, faites-moi, je vous prie, la statuette d'un dieu quelconque, à votre choix, que je prierai selon mes habitudes, mais qu'il soit de bois ! Ses ennemis l'ont su, l'exception qu'il a faite de toute autre matière que le bois a frappé. Pourquoi cette spécification, de la part d'un homme qui a la croix tatouée sur le bras droit, à un homme qui fait déjà des croix géométriques ? Ce n'est pas naturel. Dans les poissonneries de Cyrène, de Carthage, d'Alexandrie, d'Hiérapolis, en Macédoine, en Thessalie d'où arrive Apulée, n'y a-t-il pas des Juifs lui invoquent la croix héliaque, image de leur Royaume étendu aux quatre points cardinaux ? Apulée a déjà le signe, il veut avoir le crucifié lui-même, celui qu'ils sont en train de faire égal à Dieu ! Cependant Maximus a fait appeler le sculpteur : celui-ci confirme ce que dit Apulée. Il a commencé pour lui un dieu avec du buis ; dans l'intervalle, Pontianus, de la part d'Apulée, est venu, qui lui a apporté de l'ébène ; cet ébène provient d'une dame romaine de vertu exemplaire et de nom jovien, — elle s'appelle Capitolina, — il n'a rien que d'orthodoxe, et d'ailleurs le dieu que Saturninus en a fait pour Apulée, c'est un joli petit Hermès. Tout le monde a pu le voir pendant qu'il y travaillait, à la devanture de son atelier ; ce n'est pas Apulée qui a fourni le bois ; Apulée n'a pas couru la ville en tous sens pour avoir du bois [de Judée, par exemple], puisque pendant tout ce temps il était à la campagne et qu'au surplus il avait laissé à l'artiste le choix du bois. Voilà pour la matière employée ; voici maintenant pour l'image du Juif consubstantiel et coéternel au Père. Tout Æa est à l'audience avec toutes les notabilités de Leptis et de Sabrata, accusateurs, témoins, l'artiste lui-même : Si j'ai par devers moi un signe
de [joannolâtrie][89] si évident, dit Apulée, pourquoi
ne m'avoir pas sommé de le produire ? Est-ce pour mentir tout à votre aise en
son absence ? Mais grâce à une de mes habitudes, je puis vous enlever cette
facilité, car j'ai coutume d'apporter partout où je vais, au milieu de mes
papiers, le simulacre de quelque dieu, et de lui faire mes dévotions aux jours
de fête avec de l'encens, du vin pur et quelquefois des victimes. Sitôt que
j'ai su qu'on m'imputait le culte de ce scélérat, j'ai dépêché quelqu'un en
hâte jusqu'à mon hôtellerie avec ordre de m'en apporter le petit Mercure que Saturninus a sculpté pour moi. Donnez, que le tribunal le
voie, qu'il le tienne, qu'il l'examine ! (Aux
juges, en se tournant vers Æmilianus.) Voilà celui que ce scelestus
vous désignait comme étant un scelestus, ce
scélérat un scélérat ! (Toute l'assemblée
se récrie.) Entendez-vous la réprobation
générale ? N'est-ce pas la condamnation de votre mensonge et n'avez-vous pas
honte enfin de toutes vos calomnies ?... Eh bien
! est-ce là un scélérat ? Est-ce là un mort ? Est-ce ace que vous affectiez d'appeler
un démon ?[90] Est-ce là le symbole [du
Royaume des Juifs][91] ou bien une image solennelle et reçue ? (Au proconsul).
Prenez, je vous en prie, Maximus, à vos mains si
pures et si pieuses on peut confier un objet consacré. Voyez, comme sa figure
est noble, comme elle respire la vigueur de la Palestre ! Comme les traits du
dieu sont avenants ! Quelle grâce dans la barbe laineuse qui encadre ses
Joues, dans ces cheveux frisés qui s'échappent de sa tête par les coins de
son bonnet ! Quelle élégance dans les deux ailes qui, d'un vol pareil,
s'enlèvent de ses tempes ! Quelle aisance dans ce manteau rattaché aux
épaules ! Oser dire de celui-là que c'est un scélérat, c'est n'avoir jamais
vu l'image d'un dieu ou tes mépriser toutes ! Prendre celui-là pour un mort,
c'est en être un soi-même ! Oui, Æmilianus, puisse
ton mensonge attirer sur toi la colère de ce divin
médiateur entre les cieux et les enfers ! Que, suscitant contre toi leurs
divinités des deux ordres, il t'offre sans cesse te spectacle des morts et
tout ce qu'il y a d'ombres, de lémures, de mânes, de larves, tous les
fantômes de la nuit, et tout ce qui fait le redoutable appareil [de la crucifixion] et
du cimetière [des suppliciés], dont te rapprochent d'ailleurs et ton âge et tes mérites
![92] Quelle sortie ! Non seulement Apulée n'adore point ce qu'adorent les Juifs eu Bar-Jehoudda, un mort, et qui plus est un criminel avéré, mais il pense que tout culte privé est défendu par les lois de Platon, passées dans l'enseignement de Cicéron. 11 sait que toute religion doit être acceptée par le Sénat, afin d'avoir au moins un fondement honorable. XI. — LA MORALITÉ DE L'AFFAIRE D'APULÉE. Voilà ce qu'Apulée, organe du monde entier à la réserve d'une poignée de Juifs, pensait de leur basileus ! Voici maintenant ce qu'il pense de leur basileia, de leur Royaume, ou plutôt voici ce qu'on a laissé de son jugement, après ablation de tout ce qui rappelait l'Évangile du Joannès. Apulée s'étendait sur cette prétendue Révélation dont le Dieu de vérité avait si opportunément châtié l'auteur au Guol-golta. Car le but de l'audience n'était pas de juger Apulée, mais Joannès et son Apocalypse, de rassurer ces malheureuses populations sur leur lendemain, de les arrêter sur la pente d'une infâme superstition en leur montrant que le Renouvellement de la terre par le feu n'aurait pas plus lieu en Afrique qu'il n'avait eu lieu dans Hypate de Thessalie, surtout au bénéfice des Juifs ! C'était la moralité de l'Apologie, car abandonnant les
armes de la rhétorique pour celles de la philosophie, s'élevant au dessus
d'une accusation qui ne l'atteignait pas, Apulée opposait le Verbe grec, si
noble et si harmonieux dans Platon, au Verbe joannique,
si bas, si atroce, si cupide, dans l'Évangile du Royaume. C'est au fond ce
parallèle qui a fourni le titre d'Apologie à sa défense personnelle
d'Apulée. Après avoir exécuté le dogme christien et la théorie des trois
ciels au milieu desquels siège le Fils de l'homme, celui que l'Apocalypse
appelle le Verbe : Quant à nous, platonicienne famille,
dit Apulée s'adressant à la foule par-dessus la tête d'Æmilianus,
notre doctrine est toute de joie et de bonheur ;
elle n'a rien que de commun à tous[93], de céleste et de divin. Dans ses études sublimes elle
recule les limites des cieux mêmes pour atteindre celles du monde extérieur[94]. Maximus sait que je dis vrai,
lui qui dans le Phèdre a remarqué cette expression : es espaces qui
s'étendent au delà du ciel et sur sa convexité. Et pour répondre également
sur le nom de Roi[95], le même Maximus entend très
bien quel Être a été appelé ainsi, non par moi le premier, mais par Platon !
C'est la cause de toute la Nature des choses, la Raison et le Principe
essentiel ; c'est le Père de l'âme, le Sauveur éternel des êtres[96], l'infatigable Ouvrier du monde qu'il a fait[97]. Mais, créateur sans effort, sauveur sans partialité,
générateur sans descendance[98], être indépendant du lieu, du temps et de toute période[99], c'est pourquoi il est concevable pour peu de mortels, et
pour tous ineffable. Et afin d'augmenter les soupçons de [jehouddolâtrie][100], je ne dirai pas quel est le Royaume de mon choix. Bien
plus, si le proconsul lui-même me demande quel est mon dieu, je ne répondrai
pas. Mais pour l'instant, j'en ai assez dit sur le nom. Le tribunal ici n'est pas moins remarquable que l'accusé. Claudius Maximus qui vient d'arriver au proconsulat d'Afrique, et ses assesseurs, sont tous des hommes éclairés, nourris de Platon, ayant lu toutes sortes de livres, comparé toutes sortes de doctrines, capables de concevoir toutes les opinions religieuses, et de leur rendre justice. Ils ont sur la nature et sur le monde métaphysique des connaissances égales à celles d'Apulée. L'inculpé peut donner à sa défense l'élévation d'un discours philosophique, il parle devant le tribunal comme s'il était dans une académie, et même avec une liberté, une désinvolture qui suppose des magistrats sans roideur et sans gourme. Il sort de l'audience acquitté, sans que son domicile ait été violé, sans que ses papiers ou ses meubles aient été bouleversés, sans même, c'est le trait saillant de l'affaire, qu'il ait été obligé de dévoiler ses véritables sentiments religieux. Il eût adoré in petto Bar-Jehoudda qu'il eût pu continuer sans danger pour Sa personne. Si les juges d'Antonin l'avaient condamné, au moins eût-ce été pour avoir fait dieu un criminel juif ! Ceux de saint Louis l'auraient condamné pour ne l'avoir point fait ! Personne n'eût ressenti plus vivement que Maximus outrage fait à la loi romaine par Pilatus, si
celui-ci eût crucifié Bar-Jehoudda, comme il l'est aujourd'hui sous le nom de
Jésus, c'est-à-dire sans raison, sans jugement, et sur l'injonction de
prêtres étrangers ! Personne moins qu'Apulée n'eût applaudi à l'exécution
d'un ami de l'humanité, lui qui venait d'écrire à propos du jugement rendu
contre Socrate : Comment qualifier ce jugement que
rendirent les Athéniens, ces législateurs éclairés, ces maîtres de toute
science ? Le vieillard dont la sagesse et la prudence divines furent par
l'oracle de Delphes proclamées supérieures à celles de tous les hommes, ne succomba-t-il
pas aux ruses et à la jalousie à une faction détestable ? Accusé de corrompre
la Jeunesse, quand au contraire il la contenait et la refrénait, ne fut-il
pas condamné à périr en buvant le suc mortel d'une herbe vénéneuse ? Mais il
a laissé une tache éternelle d'ignominie sur ses concitoyens, puisque aujourd'hui
encore les plus excellents philosophes suivent de préférence sa secte comme
sainte entre toutes, et que dans leur désir d'atteindre au vrai bonheur ils
jurent par son nom ![101] Mais s'élève-t-il
une seule voix contre la condamnation de Bar-Jehoudda ? Sur le crucifié de
Pilatus Apulée est du même sentiment que le sanhédrin, Philon, Josèphe,
Suétone, Tacite, Fronton, Lucien, Philopatris et
Minucius Félix au commencement du troisième siècle, Valentin lui-même ! Ceux
qui ont documenté les accusateurs, ceux qui ont instruit l'affaire, dénonciateurs,
avocats, accusé, tribunal, assistance, tous connaissent le Joannès, sa
poissonnade et les pâques hideuses auxquelles il a donné naissance, aucun n'a
entendu parler de Jésus et de son Eucharistie. Les proconsuls, que l'Église représente partout comme des oppresseurs de la conscience publique et des bourreaux, ont au contraire reculé les limites de la tolérance et de la magnanimité. Jamais la liberté des croyances n'a été plus grande, ni plus respectée ; la jehouddolâtrie elle-même, malgré la perversité constitutionnelle de ses dogmes et l'atrocité de ses défenseurs, la jehouddolâtrie n'a été poursuivie que dans l'espèce où elle s'est dressée contre le droit criminel, qui prime tout dogme, et contre le statut civil, le seul que des citoyens puissent concevoir et accepter ! Toutes les fois qu'il a été possible de traiter les christiens en fous, on l'a fait[102]. Dans ce débat entre la civilisation d'Occident et la maladie judaïque, car c'est tout le drame, science, vérité, justice, humanité, voilà ce que défend Rome ! Ignorance, mensonge, fanatisme, chantage, insurrection contre toutes les lois de nature, voilà ce qu'apportent les barbares du dedans, avant-garde des barbares du dehors ! A-t-il fallu attendre Julien et le quatrième siècle pour percer la fourberie purement humaine[103] du juif-dieu ? Non, dès le second siècle, elle est évidente à tous. Judée, Syrie, Pont, Phrygie, Macédoine, Thessalie, Achaïe, Egypte, Cyrénaïque, Tripolitaine, Proconsulaire d'Afrique, tout ce qui pense est d'accord : le christ est un fieffé scélérat. Qui prend Bar-Jehoudda pour un dieu ? Personne, sinon des
Juifs perdus d'orgueil et d'insolence, d'envie et de méchanceté. Mais pour
tous les honnêtes gens, surtout ceux qui vénèrent la croix solaire, la croix
patibulaire n'a pas cessé d'être le signe de l'infamie et de la malédiction.
La lettre faite à son image dans l'alphabet grec, le Tau, garde un reflet du déshonneur qui s'attache
à son modèle. A l'égard de ce Tau, je ne puis,
dit Lucien au nom du Sigma[104] qui se plaint
des entreprises et des usurpations de cette lettre néfaste, je ne puis lui donner un nom plus funeste que celui même
qu'il porte... C'est du Tau, c'est de sa
forme sinistre qu'on tire le nom[105] qu'on a donné au Tauros (la croix). Je ne
sais qu'un supplice qui puisse égaler ses crimes : qu'il subisse la peine
d'être attaché à sa propre figure, puisque c'est sur son modèle que les
hommes ont fabriqué la croix et que c'est de lui qu'ils l'ont nommée ! XII. — MANŒUVRES ET FAUX DE L'ÉGLISE CONTRE LE TÉMOIGNAGE D'APULÉE. Chose inouïe ! Apulée, qui se défend ici de pratiquer la magie et qui la déclare contraire aux lois de Rome, Apulée qui est mort Grand-pontife d'Afrique, Apulée qui, après l'épreuve d'Æa, n'a pas dû prêter le flanc à des accusations nouvelles, Apulée a laissé, et uniquement auprès des écrivains jehouddolâtres, comme Lactance, Jérôme, Augustin et Marcellin, la renommée d'un faiseur de miracles que quelques-uns opposent au christ lui-même, lequel d'ailleurs n'a réussi que de vulgaires exorcismes. Très habile homme, peut-être a-t-il démontré dans des expériences amusantes certains problèmes de physique ou certaines lois d'histoire naturelle ; peut-être a-t-il reproduit, pour les ramener à leur véritable origine, les tours dont les imposteurs christiens attribuaient le mérite à leur inspiration, mais il n'a jamais franchi les limites qu'il s'est lui-même assignées devant Maximus. D'où vient donc la renommée de magicien que l'Église lui a faite ? De ce que, revenant de Phrygie quand il est passé en Macédoine et étant déjà l'auteur de l'Âne d'Or quand il a été accusé de christianisme, il a fallu effacer la preuve que le titre même de son livre, les Poissons d'Hypate, et plus encore les charpentiers de Papias, avaient été la cause de cette accusation. Voici comment on a procédé. On a d'abord commencé par supprimer de l'Apologie tout renvoi formel à l'Âne d'or. Ensuite on a insinué que, loin d'être une œuvre de début, ce mythe appartenait à la vieillesse d'Apulée, et c'est encore l'opinion qui prévaut dans le monde de l'érudition. Par ce moyen on a obtenu que tous les faits de magie relevés dans l'Âne d'or fussent imputables à Apulée, fort d'un premier acquittement devant des juges païens. Ensuite on a mis dans Lactance, si toutefois Lactance n'est pas entièrement apocryphe, qu'à la fin du troisième siècle la coutume était de citer une foule de miracles à l'actif d'Apulée[106] : Apulée était une manière d'Apollonius de Tyane. On chargea l'ineffable Jérôme de répéter cette double assertion à la fin du quatrième siècle[107]. Au commencement du cinquième, Marcellin dans une Épître à Augustin, fausse, et par cela même accusatrice de la manœuvre, déclara que les miracles d'Apulée furent extraordinaires, sans toutefois pouvoir être regardés comme plus significatifs que ceux de Notre-Seigneur ! Mais il est déjà saugrenu que cette comparaison ait été faite. Augustin, de son côté, dans des écrits non moins faux que la lettre de Marcellin, affirma que les païens opposaient Apulée à Jésus-Christ. Toujours ce rapprochement, si monstrueux pour nous autres modernes, s'écrie un honnête catholique ![108] Le même Augustin va plus loin. Selon ce grand docteur quelques-uns, dans un effort impie, placent Apulée au-dessus
du christ ! Diable ! le bon Apulée serait fort étonné d'avoir atteint
une telle gloire sans l'avoir jamais ni cherchée ni méritée. Jamais il n'a
rien fait qui lui permit de surpasser ni même d'égaler le scélérat juif qu'il
a si bien arrangé dans son Apologie. Mais en plaçant l'Âne d'or
après l'Apologie, l'Église obtient que l'accusation de magie portée
contre lui devant Maximus se trouve aujourd'hui
justifiée par les prodigieuses métamorphoses dont il aurait été le héros dans
le personnage de Lucius. C'est depuis cette interversion qu'on rencontre,
sinon dans la réalité, du moins dans les Augustin, les Marcellin, les Jérôme
et les Lactance, des païens à la fois pleins d'ignominie et vides
d'Esprit-Saint, qui l'égalent ou le préfèrent à Notre-Seigneur
Jésus-Christ dont les miracles sont du même coup authentiqués et connus
de tous les contemporains. Vous le voyez,
dit-on, le Juif que sous le nom de Jésus nous avons
fait consubstantiel et coéternel au Père était bien l'auteur de tous les
miracles de l'Évangile, puisque les Africains du second siècle avaient
l'audace ou plutôt le mauvais goût de lui comparer Apulée ! C'est pour magie
païenne qu'Apulée a comparu devant Maximus, et
quoiqu'il ait été acquitté, il n'était pas innocent, puisqu'il a laissé ensuite
dans l'Âne d'or la preuve d'enchantements et de maléfices incroyables
! Augustin, compatriote d'Apulée, et, comme lui, rhéteur à Carthage au temps où il niait l'existence en chair de Jésus, Augustin devait nécessairement jouer le prêter rôle dans l'établissement de ce mensonge. Selon cet imposteur Apulée était passé maître en fait de magie ; on considérait ses aventures sous le nom de Lucius et sous la forme de l'âne comme le témoignage du pouvoir surnaturel qu'il s'était acquis. Voici comment Augustin ou celui qui a pris son nom[109] amène la chose
: Sur ces jeux perfides des démons, mes lecteurs
attendent peut-être mon sentiment[110]. Dirai-je qu'il faut refuser toute croyance à ces
prodiges ? Mais, aujourd'hui encore, les témoins ne manqueront pas pour affirmer
que de semblables faits ont frappé leurs yeux ou leurs oreilles[111] ! Nous-mêmes, Pendant notre séjour en Italie, nous avons
entendu raconter qu'en certaines parties de cette contrée[112], des femmes, des hôtelières initiées à l'art des
maléfices, recélaient dans un fromage offert à tels voyageurs qu'il
leur était loisible ou possible, le secret de les transformer soudain en
bêtes de somme qu'elles chargeaient ne fardeaux, jusqu'à ce qu'ils revinssent
à eux la tâche accomplie[113]. Toutefois cette métamorphose ne s'étendait pas à leur
esprit, et ils conservaient la raison de l'homme, ainsi qu'Apulée le raconte
dans le livre qu'il à intitulé l'Âne d'or, comme lui étant arrivé à
lui-même. Dans ce récit ou conte, après avoir pris le poison, il devient
âne sans toutefois perdre la raison. Mensonges que tout cela ou raretés
telles qu'il est raisonnable de n'y pas croire. Et après avoir dit
qu'à son sens les fardeaux en question[114] ne sont eux
aussi qu'une image, Augustin, pour donner le change, invente cette analogie
dans laquelle un certain Prœstantius remplace
Lucius, et un philosophe platonicien Apulée : Un
certain Prœstantius racontait qu'ayant emporté chez
lui de ce fromage vénéfique, son père avait dû se
coucher sur son lit, plongé dans un tel sommeil qu'il n'avait pas été
possible de le réveiller. Revenu à lui-même quelques jours après, il raconta
ce qui lui était arrivé réellement comme s'il l'avait rêvé, à savoir qu'étant
devenu cheval, il avait, en compagnie d'autres bêtes de somme, porté de ces
vivres qu'on appelle retica parce qu'ils
sont contenus dans des filets, retia[115]. On découvrit que le fait s'était passé comme il le
disait, et pourtant ce n'était qu'un songe à ses yeux. Un autre rapporta que
la nuit, avant de s'endormir, il avait vu venir à lui un philosophe de sa
connaissance qui lui avait exposé de Platon certaines doctrines jusqu'alors
refusées à ses instances[116]. Et comme on demandait à ce même philosophe pourquoi il
avait accordé chez l'autre ce qu'il avait refusé chez lui, il répondit : Je
ne l'ai pas fait, mais j'ai rêvé l'avoir fait, de sorte que l'un eut,
tout éveillé, à la faveur d'une image fantastique, ce que l'autre vit dans
son sommeil. Ces faits nous sont parvenus[117], non sur l'attestation de gens quelconques à qui il nous
semblerait indigne d'ajouter foi, mais d'hommes que nous jugeons incapables
de nous tromper. La foi judaïque aux mains de la foi punique, voilà
tout Augustin ! Pour bien faire, il aurait fallu que tous les faux de l'Église émanassent de la même plume. On ne verrait Pas Tertullien, qui est le chaînon carthaginois entre Apulée et Augustin, passer sous silence Apulée et sa magie au point de ne pas même nommer l'homme, alors qu'il l'imite toujours et que parfois, dans l'Apologétique christienne précisément, il le copie dans des périodes manifestement tirées de son plaidoyer contre le christ ! Certes, lorsqu'Apulée comparut devant Maximus, il avait passé par Kenkhrées comme le Lucius de l'Âne d'or. S'il n'avait pas été initié par le prêtre Mithras à des mystères dont la révélation jehouddique n'est qu'un plagiat, s'il n'avait pas revêtu les douze robes qui symbolisent la vie à travers les douze signes millénaires[118], ses ennemis ne l'auraient pas accusé de rechercher le corps marin aux douze osselets. Mais il apparaît bien qu'en dehors des remaniements et surtout des suppressions de l'Église, il est revenu lui-même sur le dernier livre de l'Âne d'or, si différent des premiers[119]. Il semble même qu'il soit retourné en Achaïe pour y faire en quelque sorte son stage de Grand-pontife d'Afrique, fonction qui l'obligeait à connaître tous les rites en usage dans sa province. Devenu veuf de Pudentilla, observant une chasteté que l'âge lui rendait facile, s'abstenant de toute nourriture profane et défendue, il attend la mort dans le recueillement d'une vie consacrée tout entière au bien. Va, dit Isis à Lucius dans un passage manifestement écrit après le procès, désormais personne par une interprétation maligne ne t'accusera pour la figure de ta métamorphose, quand tu auras repris ta place parmi les hommes ! Souviens-toi, et que désormais ta vie me soit consacrée jusqu'à ton dernier soupir ! Tu vivras heureux et plein de gloire sous ma protection, et, si tu t'en rends digne par un culte pieux et par une inviolable chasteté, sache que seule[120] j'ai le pouvoir de prolonger tes jours au delà du terme fixé par les destins ! Car la mère des astres et des siècles, la domina de l'univers entier[121], c'est Isis, et Bar-Jehoudda n'en est point encore le basileus. Le chiffre sept a son sens religieux, mais ce n'est point de Joannès qu'Apulée le tient, c'est de Pythagore. Le baptême est un acte de purification où l'eau de mer vaut l'eau douce, et où nul n'a l'audace d'introduire la rémission de choses irrémissibles. La Cité Sainte, c'est Rome et non Jérusalem. La prière qui vient après celle qu'où doit à la mère de toutes choses, c'est celle qu'on 'ait pour l'Empire, le Sénat, les chevaliers, tout l'appareil de la civilisation romaine. Le dieu à la croix, c'est Sérapis auquel Apulée a été initié à Rome et dont les prêtres ont, dit Apulée, certains attributs que je tairai[122]. Sérapis lui réserve la gloire des sciences et la fortune du barreau. Il l'assistera lorsque des envieux répandront contre lui leurs calomnies en spéculant sur le caractère scientifique de ses études[123]. Parmi les griefs qu'on lui avait fait dans Æa se trouve celui de porter les cheveux séparés par une raie et flottants sur les épaules, comme s'il était enchaîné par un vœu semblable à celui de Bar-Jehoudda ; lorsqu'il parait devant Maximus, il a encore les cheveux démesurément longs et embrouillés. Son initiation à Osiris les a fait tomber. Depuis ce moment, dit-il, je me fais complètement raser les cheveux. Je remplis avec joie les fonctions d'un collège dont l'antiquité remonte aux temps de Sylla. Loin de cacher ou de couvrir ma tête dégarnie, je laisse voir mon crâne à tout venant. Mais, en dépit de ses trois initiations officielles, Isis, Osiris et Sérapis, Apulée a vécu et est mort chrestien ; son Dieu intime était celui de Socrate. |
[1] Cité de Dieu, liv. VIII, 19.
[2] Il est dit aujourd'hui marchand de miel de l'Etna et de fromages. Vous verrez pourquoi on a remplacé poissons par fromages et miel ethnique (national, de l'Hymette) par miel de l'Etna.
[3] Au quatrième appel de Bar-Jehoudda et plus tard d'Apollos, les murailles de Jérusalem devaient tomber sous le signe de l'Âne et faire place à la Ville d'or. Cf. Le Saint-Esprit.
[4] Ainsi l'Euphrate dans l'Apocalypse, pour laisser passer les rois parthes ennemis de Rome, cf. Le Roi des Juifs ; et le Jourdain pour laisser passer les troupes de l'apôtre Theudas. Cf. Le Saint-Esprit.
[5] Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle... et la mer n'est déjà plus. Apocalypse, XXI, 1.
[6] Quatre anges... retenaient les quatre Vents de la terre pour qu'ils ne soufflassent point. Apocalypse, XII, 1.
[7] La ville n'a pas besoin de soleil pour l'éclairer, la gloire de Dieu l'éclaire. Apocalypse, XXI, 23.
[8] La ville n'a pas besoin de la lune pour l'éclairer. Apocalypse, XXI, 23.
[9] Les étoiles tombèrent du ciel sur la terre, Apocalypse, VI, 12.
[10] Le soleil devint noir comme un sac de poils. Apocalypse, VI, 12.
[11] On lit aujourd'hui : polenta caseata. On traduit généralement par contenant du fromage, mais nous savons, que cette composition n'en comporte pas et qu'à la place de polenta il y avait piscala.
[12] Apulée en cite des exemples comiques.
[13] Il succomba en 889.
[14] Ce mouvement était connu des historiens, il a inspiré à l'Église diverses apologies du christianisme dont l'une fut signée : Quadratus, et une autre Aristide.
[15] Le grand port d'embarquement de l'Achaïe, où il y avait une colonie importante de Juifs. Cf. Le Saint-Esprit.
[16] Piscatum opiparem.
[17] Cf. L'Évangile de Nessus.
[18] Annona, le mot est remarquable, car il fait opposition à l'Année de mille ans, à l'An d'Icou dont Ioannès (le surnom de Jehoudda), est la traduction en grec.
[19] A quo hæc nugamenta comparasti ?
[20] Le triomphe de l'oracle juif sur Apollon est célébré sans vergogne en Macédoine par le pseudo-Paul. Cf. les Actes des Apôtres dans Le Saint-Esprit.
[21] Il en est question plus haut. Ce sont les mots que Bar-Jehoudda devait prononcer pour transfigurer Jérusalem au milieu du baptême de feu. Vous les connaîtrez, le moment venu.
[22] In aliam effigiem translata.
[23] Joannès dans Mathieu, III, 9, et dans Luc, III, 8 : Je vous déclare que de ces pierres mêmes Dieu peut faire naître des enfants à Abraham.
[24] Comme la colombe de Bar-Jehoudda : Il vit l'Esprit de Dieu qui descendait en forme de colombe et qui demeurait sur lui ; au même instant une voix se fit entendre du ciel, disant : Celui-ci est mon fils bien-aimé. Mathieu, III, 16, 17 ; Marc, I, 10, 11 ; Luc, III, 22.
[25] Je vois marcher des hommes qui sont comme des arbres. Marc, VIII, 21. Et à propos des hommes-arbres issus de l'Arbre génésique : La cognée est déjà mise à la racine des arbres. Mathieu, III, 10, et Luc, III, 9.
[26] Évangile de Cérinthe, aujourd'hui Quatrième Évangile, VII, 38 : Si quelqu'un croit en moi, des fleuves d'eau vive jailliront de son corps, comme dit l'Écriture. Cf. L'Évangile de Nessus.
[27] Ah ! non, ceci est contraire au dogme.
[28] Cérinthe sur la bergerie de David, IV, 2-10 : Celui qui entre par la porte est le pasteur des brebis... Les brebis entendent sa voix, il appelle ses propres brebis parleur nom, et il les fait sortir... Si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé. Je suis venu pour que les brebis aient la vie, et qu'elles l'aient abondamment.
[29] Les Douze bœufs qui supportaient la mer d'airain de Salomon. Nous verrons cela dans les Synoptisés.
[30] Dans les Synoptisés, en vingt endroits : Je te dis que dès aujourd'hui tu verras le Fils de l'homme venir dans sa gloire. C'est la matière même de l'Évangile du Royaume.
[31] Le texte est plein de mots douteux qui rendent la traduction presque impossible. On croit comprendre que, privé de ses poissons par l'édile, Lucius en cherche d'autres pour confectionner sa poissonnade pascale, s'il en est encore temps.
[32] Ici Apulée se substitue à Lucius et se met imprudemment en scène. C'est ce qui a donné ouverture à l'accusation de jehouddolâtrie portée contre lui.
[33] L'éducation d'Apulée avait été toute grecque.
[34] Grec d'origine, latin d'opinion. Apulée se propose à lui-même cet exemple illustre.
[35] Minerve, la Science.
[36] Le nom est signalétique. Elle est d'un blond qui tire sur la pourpre romaine. Quoique l'aînée, Byrrhène a fait un mariage moins brillant que la cadette. Salvia a épousé le peuple romain.
[37] Fin du troisième, dernier paragraphe. L'épisode est dans Lucien aussi, mais on y vise le nom de Jupiter simplement. L'intention d'Apulée n'en ressort que mieux.
[38] Le scandale des colporteurs de la déesse de Syrie au livre VIII.
[39] Elle est dans Lucien, mais sans les allusions historiques qu'elle a dans Apulée.
[40] Sur le rôle de Bar-Jehoudda considéré comme introducteur des Juifs dans l'Éden, nous vous avons donné tous les éclaircissements nécessaires. C'est à propos de cette prétention, et de sa lamentable issue, que Salomé, en Évangile Maria Magdaléenne, dit à Jésus venu pour assumer son fils au Guol-golta : Seigneur, je vous prenais pour le Jardinier. Cf. l'Évangile de Nessus.
[41] Livre neuvième.
[42] Voyez Dion Cassius, liv. LXIX, ch. XIV.
[43] En l'espèce, Césarée de la Mer.
[44] Cette maison, c'est la forteresse de Béthar.
[45] Nullement, le proverbe est bien plus ancien, on le trouve dans l'Âne grec. Apulée s'amuse.
[46] Il joue sur le mot bestia et sur le mot Bethar (Béthos, dans Dion Cassius), nom de la dernière forteresse de Bar-Kocheba.
[47] C'est ce que Jésus appelle dans les Synoptisés l'abomination de la désolation, c'est-à-dire la consécration idolâtrique de la Bête dans la Ville sainte. Il ne faut point douter que ce Jupiter ne reproduisit les traits d'Hadrien.
[48] On l'a fait disparaître, mais il y était et nous en donnons la preuve plus loin.
[49] Sur Alexandre et Rufus voir Marc, XV, 21, les Marchands de Christ, et le Gogotha. Sur Lucius dont on a fait Luc, cf. Le Saint-Esprit.
[50] Jérôme, Des écrivains ecclésiastiques.
[51] Virgile en parle (Géorgiques, liv. I, vers 166). En ce van équinoxial Bacchus tenait à la main ses propos membres. — d'autres disaient : ceux d'Osiris, héliaquement synonyme de Bacchus, — et ne laissant à Typhon que la paille de l'hiver, il passait au travers du van, apportant aux mortels le bon grain de l'été.
[52] Mathieu, III, 12 ; Luc, III, 17.
[53] C'était une supposition, comme tout le reste. Le désintéressement d'Apulée fut mis en pleine lumière.
[54] Ils ne purent fabriquer qu'une lettre qu'ils attribuèrent à Apulée et dont la fausseté fut établie, En revanche, les faux témoignages furent nombreux, les dénonciateurs employant contre lui les procédés usités dans la secte dont ils l'accusaient d'être.
[55] Entre lesquels auraient été les mots Zakhù (Verseau) et Zib (Poisson) dont on a fait Zakhùri et Zibdéos, deux des noms que Jehoudda, père du Joannès, porte dans les Paroles du Rabbi, car c'est là ce que les dénonciateurs sous-entendent.
[56] Il invoque un alibi. Ils disent que je me suis préparé à séduire ma femme par des artifices magiques empruntés à ces poissons, et cela justement à une époque où je puis prouver que j'étais dans les montagnes du centre de la Gétulie, où il n'y a de poissons que ceux qu'a laissés le déluge de Deucalion !
[57] On l'a supprimé de l'Apologie, bien entendu.
[58] Il y a pêcheurs, bien entendu.
[59] Il y a phrygionibus aut fabris et tous les traducteurs rendent faber par charpentier, comme la phrase suivante le spécifie ; mais soit qu'Apulée ait désigné sous le nom de phrygiones les Juifs de Phrygie qu'on appelle Cataphrygiens dans l'histoire de l'Église, soit que phrygiones ait été substitué intentionnellement à phrygiaci, par exemple, qui décelait l'origine héliopolitaine des deux charpentiers de l'Évangile, les traducteurs rendent phrygio par brodeur, de sorte qu'il se trouve aujourd'hui qu'Apulée aurait fait chercher des poisons non seulement par des charpentiers, mais par des brodeurs ! Nous voyons par la phrase suivante qu'il n'était question que de charpentiers dans l'original, car l'instrument de travail de ces pêcheurs vraiment uniques en leur genre, ce n'est pas le métier et l'aiguille, c'est la barque et la doloire.
[60] Ita opera cujusque artis permutanda, si vellem vestris calumniis vitare, ut faber mihi piscem everreret, ut piscator mutuo lignum dedolaret. Il n'y a que deux métiers en opposition, le charpentier et le pêcheur, pas le moindre brodeur.
[61] Si convitio (et non convivio, comme on le lit aujourd'hui) velem. Dans le remaniement du passage on a enlevé un verbe essentiel. Il y avait sans doute : Si convitium vellem levare, amovere, propulsare. On traduit généralement par : si j'eusse destiné ces Poissons à ma table, ce à quoi s'opposent absolument la conclusion : je les eusse demandés pour rien, et la suite de tout le discours.
[62] Il y a maintenant pêcheurs, mais la suite démontre irréfutablement qu'il y avait charpentiers et même charpentiers phrygisants.
[63] Si à cet endroit Apulée avait parlé de pêcheurs il n'aurait pu énoncer une pareille affirmation, car il en avait chargé une quantité de lui apporter les poissons nécessaires à ses travaux ichthyologiques : Je donne commission, dit-il, non seulement à des pêcheurs, mais à mes amis. Par conséquent ces pécheurs existaient et nombreux, et si la question eût été là, rien n'était plus facile que de l'appeler en témoignage contre Apulée. Ce qui n'existait pas, ce sont les charpentiers Zibdéens (et pécheurs d'hommes, hélas !) qui d'après l'accusation l'avaient fourni de poissons magiques.
[64] Cent pièces d'une monnaie de valeur. Je suis convaincu qu'Apulée employait nummi dans le sens de statères d'or, comme le fait Plaute, et même qu'il désignait cette monnaie comme le fait Pierre dans Mathieu, XVII, 27.
[65] C'est, en dehors de celles qui ressortant du procès, la preuve Matérielle de l'antériorité de l'Âne d'or. A la recherche d'une expression qui désigne les parties sexuelles de la femme, les ennemis d'Apulée se servent de celle qu'il emploie dans un de mes livres, dit-il, où une femme cache son interfeminium en ramenant une cuisse et en la voilant de la main. Interfeminium tegit, et femoris objectu et palmæ velamento. Afin de dissimuler que l'Âne d'or était déjà écrit lors de l'Apologie, et que par conséquent il y avait un lien étroit entre les Poissons de l'un et ceux de l'autre, les arrangeurs ont supprimé le titre du livre cité, mais ils ont laissé que le geste en question appartenait à une statue de Vénus. Et cela est, en effet. Dans l'œuvre Apulée il n'existe aucune description qui soit proprement celle d'une Vénus sculptée. Mais on en trouve une, peinte par Apulée lui-même d'après une Vénus sortant de la mer, et précisément elle suit immédiatement la parabole de l'édile et des poissons. Elle vient à propos de la servante Fotis : In speciem Veneris quæ marinos fluctus subit, paulisper etiam glabellum feminal rosea palmula potius obumbrans de industria, quam tegens verecundia. Par coquetterie, de sa petite main rose, elle voile son feminal poli, plutôt qu'elle ne le protège par pudeur. Nous apprenons par là que la Vénus à l'image de laquelle Apulée peint Fotis était un morceau célèbre de la statuaire grecque, une Vénus Anadyomène. Apulée, en rappelant cette image dans son Apologie, a bien en vue la Fotis de l'Âne d'or, et songeant à la à nus dont il s'est inspiré pour peindre la servante, il ajoute qu'elle ramène pudiquement une cuisse, ce que Fotis n'a point à faire dans les dispositions combatives où elle est. A part cela, l'emprunt est tellement évident, encore qu'il soit fait de mémoire, qu'Apulée y emploie interfeminium, qui est le feminal lui-même, palmula, qui est le diminutif de palma, et tegens, qui est le participe présent de tegere. On peut même dire qu'Apulée possède une mémoire remarquable et que citer avec tant de précision, c'est citer littéralement. Le doute est d'autant moins permis que dans la phrase qui prépare cette citation de l'Âne d'or, c'est le mot feminal, le mot même employé pour Fotis, que les accusateurs ont emprunté, n'en ayant eux-mêmes point trouvé de meilleur. Et, dit Apulée en désignant l'avocat de ses ennemis, ce grave moraliste m'a fait un reproche de n'avoir pas balance à désigner honnêtement des images assez impudiques. Eh bien ! moi, je lui reprocherai bien plus justement, à lui qui se dit maître en éloquence, d'employer de sales mots au lieu du mot propre dont je me suis servi... Car enfin, je vous le demande, si je n'avais rien dit de la statue de Vénus, et que je n'eusse pas désigné l'interfeminium (par feminal), en quels termes aurais-tu donc formulé cette accusation (de poissonnade bi-sexuelle), accusation qui va aussi bien à ta sottise qu'à ta langue ? Est-il rien de plus absurde que de prêter aux mots, par un rapprochement, la même valeur qu'aux choses ? Mais peut-être vous figuriez-vous avoir fait là une trouvaille ?
[66] Mais en quel dialecte grec ? Voilà ce qu'on ne sait plus.
[67] Apulée ne niait point avoir fréquenté par la lecture avec les magiciens connus depuis Zoroastre et Hostanès. Outre ceux-là et le Moïse Joannès, il cite Phrynondas, Damigéron, Apollonius, Dardanus.
[68] Mosché-ar-Zib. Sur ce nom, voir Le Gogotha.
[69] Voir celles de l'Apocalypse, au début de l'Âne d'or.
[70] Confessions, XIII, 21.
[71] Et le signe de sa conservation. C'est en ce sens que Jésus dit des Juifs jehouddolâtres qu'ils sont le sel de la terre.
[72] Scelera immania, inconcessa maleficia, artes nefandas.
[73] La lampe de David dont il est si souvent question dans les Écritures christiennes, les Évangiles synoptisés notamment. Dans les Agapes nicolaïtes nous n'avons vu également qu'une seule lumière, le Chien annonciateur de l'Âne.
[74] Le mot veut dire adorateurs de l'âne, ainsi que nous l'avons démontré dans Le Gogotha.
[75] Cf. Les Marchands de Christ. Cette citation de Joël est mise dans la bouche de Pierre.
[76] Martyr, dans le sens de témoin.
[77] Quinam testes huic piaculari sacro affuerint.
[78] De plus il semble bien que les sacrifices auxquels on accusait Apulée d'avoir prêté les mains avaient eu lieu dans un milieu d'esclaves qui étaient à la chaîne lors de la cérémonie ou qui y furent mis à la suite de leur arrestation. Ils étaient vincli.
[79] Les presbytres comptaient, à raison d'un grain d'encens l'une, les sept années de la Genèse du monde dans l'espoir que Bar-Jehoudda, influencé par le sacrifice d'un innocent, intercéderait auprès du Père des Juifs pour tenir sa promesse en ramenant l'Agneau.
[80] Sudarium, le mot revient cinq ou six fois, toujours mal rendu par les traducteurs. Le mot sudaroilum, employé par Apulée pour vider la question, indique que dans l'esprit des accusateurs il s'agissait d'un morceau de suaire.
[81] C'est pourquoi l'Église a supprimé cet exorde qui fut lu devant le tribunal à la demande d'Apulée et qui était reproduit dans son Apologie.
[82] Sur la croix ansée, cf. Le Gogotha.
[83] C'est par analogie avec ces pratiques malpropres que le pseudo-Paul dans les Actes des Apôtres guérit une foule d'habitants d'Ephèse. Cf. Le Saint-Esprit.
[84] Cf. Lucien, Le Menteur d'inclination ou l'Incrédule.
[85] Que ceux qui meurent pour la Loi ne sont pas morts. Cette idée est l'origine de toutes les résurrections que nous avons vues jusqu'ici, Jehoudda et son frère (ou celui de Salomé ?) dans l'Apocalypse, et Éléazar dans Cérinthe. Je ne parle pas de celle de Bar-Jehoudda, il ne ressuscite que dans les Évangiles synoptisés par l'Église, et nous n'en sommes pas encore à ce tournant de la mystification.
[86] Et quum sit scelesti forma turpe et horribile, tamen impendio colere et grœco vocabulo nuncupare Basileia. Cette phrase et tout le passage sont mal rendus par tous les traducteurs D'abord ce n'est pas un cachet qu'Apulée avait commandé, c'est une image sculptée, un sigillum, il est vrai, mais que l'artiste devait exsculpere et non insculpere. Apulée est formel. Ensuite ce n'est pas d'un sceletus, traduit par squelette, qu'il s'agit, c'est d'un scelestus, un scélérat. L'Église a remplacé scelestus par sceletus, c'était son devoir, puisqu'elle se proposait de tromper. Il s'en suit que la phrase a toujours été mal rendue en français, les traducteurs ne faisant pas sentir l'opposition entre le quum et le tamen, amenée par le mot scelestus. Le mot sceletus ne se trouve que dans ce texte sophistiqué, jebouddolâtrisé. On le chercherait vainement dans toute l'antiquité latine et même chez les écrivains de la décadence. Apulée adorant un squelette à qui il prodigue le titre de Roi du monde ! Comment un tel sens a-t-il pu s'imposer à des hommes instruits ?
[87] Le mot Basileia employé par Apulée est le mot propre. Il revient cent fois dans les Évangiles synoptisés !
[88] Tertium mendacium vestrum fuit... macilentam, vel omnino evisceratam formant diri cadaveris fabricatam, prorsus horribilem et larvatam. Cette phrase est inintelligible, tous les critiques le reconnaissent. Il n'en reste plus aujourd'hui qu'un complément rejeté loin d'une proposition principale caractérisée par un sujet et des verbes qui ont totalement disparu, avec l'indication de la race du scélérat et celle du supplice dans lequel il avait péri. Macilentus est un mot de basse latinité, quoiqu'on le trouve dans Plante, mais très expressif, surtout si on l'oppose à evisceralus. Le cadavre était macilentus sous Tibère, il est evisceratus sous Antonin.
[89] Le mot vague de magie a été partout substitué à celui de christianisme, et de christianisme professé sous le nom de Joannès, ce qui impliquait l'identité de Joannès et du christ.
[90] Le premier des sept démons que le Verbe sauveur, en Évangile Jésus, avait extrait des flancs de Salomé, en Évangile Maria-Magdaléenne. Sur cette appellation cf. Le Charpentier.
[91] Il y a magie, bien entendu.
[92] Il est clair qu'en remaniant l'Apologie on a enlevé tout ce qui rappelait ici le cas spécial du scélérat visé dans l'accusation portée par Æmilianus. Le texte parle aujourd'hui de bûchers, bustorum formidamina, ce qui est tout le contraire d'une menace, le bûcher étant réservé aux héros.
[93] Devant le Verbe de justice et de vérité, point de peuple élu, prédestiné, point de catégories ni de privilèges, point de trucs baptismaux comme dans les poissonneries de Bar-Jehoudda.
[94] Extérieur à l'enveloppe céleste de la terre. Nous allons droit à la pluralité des mondes.
[95] Qu'on l'accuse de donner à un scélérat juif.
[96] Le Sospitator, le Ieoschoua décrit par l'Hermès juif dans l'Apocalypse et que les Evangélistes mettront en scène sous ce même nom dont ils ont fait Iesous et nous (saluons !) Jésus.
[97] C'est la définition même du Verbe dans Hermès Trismégiste et nous l'avons citée à propos de celle du Verbe dans Cérinthe. Cf. L'Évangile de Nessus. Le Verbe incorporel est par excellence celui des platoniciens : Dieu sans doute, dit le même Apulée dans son traité Du monde. Dieu a créé et conserve tous les êtres qui sont nés et formés pour remplir le monde, mais ce n'est pas à dire pourtant que, comme un artisan qui travaille de son corps, il ait de ses mains façonné cet univers. Son infatigable providence, placée loin de nous, s'étend sur le monde entier, et embrasse les détails dont des espaces immenses le séparent. Nous sommes loin du Fils de l'homme qui porte écrit sur sa cuisse : Verbe et Roi des rois !
[98] Tous les mots portent. Les Juifs eux-mêmes ne sont pas ses fils. A vous, Jehoudda, Bar-Jehoudda, Shehimon, Jacob senior, Jacob junior, Philippe, Toâmin, Ménahem !
[99] Sabbatique, jubilaire, millénaire ou autre.
[100] Il y a magie. On lit : En, ultro augeo magiæ suspicionem, où il y avait certainement : Ut ultro augeam suspicionem.
[101] L'Âne d'or, liv. X.
[102] Le proconsul de Syrie qui juge Pérégrinus le relâche, quoique Pérégrinus fût affilié aux christiens et que ce coquin osât déblatérer publiquement contre un Marc-Aurèle !
[103] C'est le mot même de Julien.
[104] Lucien, les Voyelles.
[105] Tauros vient donc bien de thav, dernière lettre de l'alphabet hébreu et phénicien, mais les grecs et les latins ne peuvent admettre que le Tau puisse avoir le sens favorable qu'il a dans l'esprit des Juifs où il occupe le degré de perfection qui appartient à la lettre suprême.
[106] Institutions divines, liv. V, ch. III.
[107] Commentaire sur le psaume LXXXI.
[108] D'ailleurs distingué et bon latiniste, M. Bétolaud, un des traducteurs d'Apulée. Nous avons suivi sa traduction toutes les fois qu'elle nous a paru bonne.
[109] Cité de Dieu, liv. XVIII, ch. XVIII.
[110] Comment donc ? Avec impatience !
[111] Plutôt leurs oreilles.
[112] De manière qu'on ne puisse plus interpréter comme s'appliquant au jubilé de 889 sous Hadrien les paraboles de l'Âne d'or sur les poissons et la poissonnade des christiens de Thessalie.
[113] A la condition de remplacer fromage par poissonnade, c'est toute l'histoire de Lucius à partir du moment où il sort de la poissonnerie d'Hypate.
[114] Le bouclier, le casque et la lance du Jupiter Capitolin de Jérusalem arrangés en trophée sur le dos de l'âne christien.
[115] Vous pouvez parcourir toute la littérature latine, y compris les historiens et les écrivains qui ont traité spécialement des guerres ou de l'art militaire. Lorsque vous y aurez trouvé que les soldats romains transportaient dans des filets à poissons certains vivres destinés à leur commandant et qui tiraient de cette enveloppe le nom de retica, vous aurez l'obligeance de me le dire. Ce jour-là je m'engage à déclarer que Bar-Jehoudda est consubstantiel et coéternel au Père.
[116] C'est la doctrine d'Apulée sur le Verbe-Roi et le Royaume spirituel de Platon, voir plus haut, § XI.
[117] Le faussaire oublie complètement qu'en tout cela c'est Augustin qui parle.
[118] L'Âne d'or, XI, 27-29.
[119] C'est le onzième.
[120] A l'exclusion de Bar-Jehoudda, c'est affreux !
[121] Orbis totius domina.
[122] Il est certain qu'Apulée, loin d'observer cette discrétion, nommait la croix ansée, la vraie croix.
[123] L'allusion au procès d'Æa est évidente.