I. — LA TRADITION DITE D'ASIE. L'Évangile de Cérinthe démontrait que Joannès le baptiseur était dit par Jésus le plus grand de tous les prophètes, parce qu'il était l'auteur de l'Apocalypse ; il démontrait que Joannès était le prince des apôtres dans les premières fables, parce qu'il était le christ, ce dont tous les Évangiles conviennent encore aujourd'hui, soit en propres termes soit sous couleur allégorique. Ainsi disaient tous les millénaristes d'Asie, notamment Papias, évêque d'Hiérapolis. Ainsi disait l'Apocalypse de Pathmos qui rend impossible toute hypothèse d'un baptiseur qui n'aurait pas été le christ ou d'un christ qui n'aurait pas été le baptiseur. Ainsi disaient les Gnostiques, soit juifs, soit égyptiens, soit pontiques. Aucun écrit de l'Église, aucune tradition de l'histoire qui permit de croire à l'existence de Jésus, de la supposer même. Aussi, quelle que fût la vanité de leurs systèmes, les théologiens honnêtes furent-ils unanimes dans leur opposition à l'abominable fourberie qui se tramait. Tous déclarèrent que ni le Verbe Sauveur ni le Christ solaire, — ils connaissaient ces deux hypostases du même être divin, — ne s'étaient incarnés. Ni le Verbe ni le Christ ne sont venus en ce monde et n'ont souffert, nulle doctrine hérétique n'admet que le Verbe de Dieu se soit fait chair ; Irénée est formel, absolu[1]. Par Cérinthe on savait que l'allégorie dans laquelle le
disciple préféré repose sur le sein de Jésus, s'appliquait à Bar-Jehoudda
pris dans son acception joannique. Et par son
Épilogue on savait que cet apôtre, grâce à sa mère, passait auprès des
disciples de son père pour n'être pas mort au Guol-golta, et pour continuer à
vivre d'une vie plus ou moins clandestine en Asie où ses frères s'étaient
réfugiés après les exécutions de Pilatus. Après avoir dépouillé Cérinthe de
son Évangile pour le donner au pape Clément, il fallait l'enlever à Clément
pour le donner à un apôtre qui, étant donné son identité avec le Joannès, ne
pouvait guère s'appeler autrement que le disciple préféré. Cependant, pour
l'en distinguer légèrement, pour qu'on ne put le confondre avec le baptiseur,
on déclara qu'il s'appelait Jochanan, de son nom de circoncision, lequel
donne en grec Joannès, de telle manière qu'à ceux qui disaient : Le disciple préféré, c'est Joannès le baptiseur, on
pût répondre avec le sourire gracieux que la candeur peut seule imprimer aux
lèvres des hommes : Non, c'est Joannès
l'Évangéliste, disciple très chéri, lui aussi, de ce Jésus qui a inventé l'Eucharistie
le lendemain du jour où il est en croix dans Cérinthe. Sitôt que le Quatrième Évangile avait cessé d'être de Cérinthe pour être de Clément, on avait lu dans le prologue : Le Verbe s'est fait chair, il a habité parmi nous, nous l'avons vu, nous avons vu sa gloire. Lorsqu'on eut inventé Jochanan, on devint insolent. Jochanan convainc tous les hérétiques de folie et d'erreur. Avant lui personne, et personne après lui. Je me trompe, on inventera Polycarpe, unique disciple de ce témoin unique. Quant à ce Polycarpe, réel ou non, mort ou vivant, on lui fera dire ce qu'on voudra sans risquer d'être démenti. Et cela s'appellera la tradition d'Asie. Encore n'a-t-on pu la fabriquer qu'en falsifiant d'abord le témoignage d'Irénée, qui, disait-on, serait venu à Lyon sous Marc-Aurèle pour y importer Jésus. Or cet Irénée fut un Juif absurde, nommé Schaloum ou Salomon, jehouddolâtre peut-être, à coup sûr millénariste, et disciple de ce Papias qui de son côté mourut en Asie vers la même époque, sans avoir jamais ouï parler de Jésus. La tradition d'Asie n'a été fabriquée que pour se débarrasser de Papias. Comme il y avait quantité de fables sur la survie de Bar-Jehoudda sous le nom de Joannès, toutes nées en Asie, colportées en Asie parmi les Juifs dispersés, ces fables n'avaient pu dissimuler que ce Joannès, survivant à toute sa génération, à tous ses frères, voire Ménahem, fût l'auteur de la grande Révélation millénariste dont était morte la Judée. On n'a donc pas pu éviter que le disciple chéri (Jochanan devant la circoncision, mais Joannès devant les hellènes), n'en fût également l'auteur dans l'adaptation grecque dite Apocalypse de Pathmos. Jochanan l'Évangéliste s'est donc trouvé héritier et de l'Apocalypse du Joannès et de la légende de sa survie, jusqu'au jour où l'Église jugea qu'il se survivait trop longtemps, beaucoup trop longtemps pour un homme dont, d'autre part, on célébrait la résurrection et l'Ascension comme avant eu lieu quelques jours après sa crucifixion. Il y avait incompatibilité entre la légende du rescapement et l'aveu de cette mort immédiatement suivie de résurrection. Le Joannès est présenté dans la Lettre aux Galates comme vivant encore en 802, c'est-à-dire sous Claude, et on n'avait aucune preuve qu'il fût mort depuis. Ce faux était un embarras terrible pour l'Église, car enfin qui était ce Joannès ? Quand et où était-il mort ? Et même y avait-il apparence qu'il fût jamais mort ? En conséquence on décida que Jochanan qui le remplaçait devant la postérité, vivrait jusque sous le règne de Trajan, mourrait plus que centenaire et disparaîtrait dans des conditions aussi mystérieuses que Joannès, laissant trois ouvrages ; l'Apocalypse de Pathmos, l'Évangile que Clément avait jadis enlevé à Cérinthe et qui était devenu res nullius, enfin des Epîtres dans lesquelles il déclarerait avoir vu et touché Jésus pendant la tourte vie de cet homme-dieu. Il y a une autre raison à l'invention de Jochanan. On voulait décharger le Joannès d'une Apocalypse qui le rendait antipathique aux goym d'Occident, et mettre cette Révélation sur le dos de quelqu'un dont le nom traduit en grec fût Joannès, sans pouvoir être le Joannès du Jourdain. Dans ce dispositif le pseudo-Jochanan se trouve hériter d'une partie des prérogatives de Joannès. Il disparait après sa crucifixion, il émigré en Asie, à Ephèse où est morte la mère du crucifié, il vit encore aux yeux d'un petit monde d'initiés, puisque dans la Lettre aux Galates il assiste à un Concile où le terrible prince Saul, converti à la jehouddolâtrie sous le nom de Paul, déclare l'avoir vu en 802 avec ses frères Shehimon et Jacob senior. De cette date à sa mort, car il faudra qu'il meure en dépit de la promesse de Jésus dans Cérinthe, il s'écoulera autant d'années qu'il y en eut entre la crucifixion du roi-christ et l'aveu qu'on en fit. Il mourra donc plus que centenaire ; 10 pour 100 seulement de la vie qu'il s'était promise ! Cela se passera sous Trajan, époque à laquelle l'imposture initiale de la survie fut remplacée par celle de la résurrection. Sur Jochanan évangéliste il v a deux versions distinctes, l'une grecque, inventée par l'Église d'Asie, l'autre latine, inventée par Eusèbe ès-noms, toutes deux se rejoignant à Pathmos où elles exilent Jochanan sous Domitien. La première est d'un jehouddolâtre du cinquième siècle qui, jaloux de l'Église romaine, a fait pour le prétendu Jochanan ce que Clément le romain a fait pour Shehimon. Cet imposteur a pris le nom de Prochorus, qu'il a trouvé dans les Actes des Apôtres, pour composer les Voyages de Joannès théologien[2] qui sont une des plus réjouissantes piperies de l'antiquité ecclésiastique, et aussi des plus répugnantes, — car le mensonge, même grotesque, est toujours une chose honteuse. Donc, ayant lu dans les Actes que la nomination de Mathieu en remplacement de Judas avait été faite au sort, le pseudo-Prochorus en a conclu que les autres apôtres avaient également tiré au sort, pour savoir dans quelle partie du monde chacun d'eux devait opérer, et que l'Asie était échue à Jochanan. Ayant lu de même que les diacres s'étaient dispersés les premiers, le pseudo-Prochorus, disciple de Jochanan, précède son maître dans Ephèse. Pourquoi Ephèse ? Parce qu'Ephèse a vu mourir la mère du christ, et qu'en tête de l'Apocalypse de Pathmos le pseudo-Jochanan est donné comme ayant eu cette vision dans Pathmos. Vous connaissez par le menu le faux témoignage de Prochorus[3] ; je n'y reviens que pour l'opposer à celui de l'Église latine. Après une longue et fâcheuse tempête, empruntée aux Actes (traversée du Gogotha)[4], Jochanan arrivé dans Ephèse étourdit la population de ses miracles. Le plus remarquable est la destruction du Temple de Diane qui s'écroule a sa demande, alors qu'en réalité il était encore debout en 268 de l'Erreur chrétienne, époque à laquelle il fut pillé et incendié par les Goths. Mais l'exil interrompt cette belle carrière, et — le moine a lu Irénée, Eusèbe ou Jérôme, — le farouche Domitien relègue Jochanan à Pathmos où Prochorus le suit. Après avoir chassé une masse de démons, baptisé une foule de gens, nové par la seule puissance de la prière un magicien hostile à la jehouddolâtrie, — le Simon de l'affaire, — ressuscité trois petits enfants morts depuis trois jours, frappé de cécité un second magicien que le sort du premier n'avait pas refroidi, guéri plusieurs paralytiques, restitué la vue à divers aveugles et l'ouïe à plus d'un sourd, rendu sourd-muet un Juif qui se permet de lui proposer des énigmes sur l'Ecriture sainte, écrasé de nombreux prêtres païens sous les ruines de leurs temples, en un mot surpassé Jésus de tout l'avantage que peuvent donner au narrateur quatre siècles de progrès, Jochanan reçoit de Nerva la permission de rentrer dans Ephèse, car l'Église veut qu'il meure dans cette ville où est morte la femme que Jésus remet à son fils au pied de la croix. Cette femme n'a pas cessé d'être la mère du christ, mais celui qui l'a recueillie est devenu Jochanan Evangéliste. Jehouddolâtres jusqu'aux moelles, les bonnes gens de Pathmos ne veulent pas le laisser partir qu'il ne leur ait donné par écrit la Vie du Rédempteur. A quoi il consent bénévolement, car ce qui importe au moine, c'est que le Quatrième Évangile ait été composé à Pathmos, e t presque dans son couvent. Selon la version pathmoïque, Jochanan habitait l'île depuis dix ans lorsque mourut Domitien, ce qui reporte son arrivée à 80 de l'Erreur chrétienne ; il ne regagne guère Ephèse qu'en 98, car il lui faut subir de la part du gouverneur Achillas un assez long emprisonnement, sans lequel il lui serait difficile de prétendre à la gloire de la persécution. Cependant le moine est un caloyer d'humeur pacifique à qui répugnent les dénouements tragiques. Jochanan, de retour à Ephèse, ne souffre pas le martyre ; il meurt parce qu'il le veut bien, fait creuser son tombeau sous ses yeux, s'y couche lui-même et rend son âme a Dieu dans une prière que ne troublent ni les tenailles ni les chevalets. La terre n'est pas faite pour garder le corps de ce juif ; le lendemain, il avait déjà disparu, il avait été transporté au ciel. Chose curieuse ; dans cette histoire Jochanan ne revendique pas l'Apocalypse ; c'est d'elle seule pourtant que le moine tient la preuve du séjour de l'Evangéliste a Pathmos, mais il pense sans doute qu'il y a antinomie irréductible entre le Quatrième Évangile et l'Apocalypse. Le fait est que Jochanan dicte l'Évangile de Cérinthe à Prochorus dans l'île, et meurt à Ephèse sans avoir composé la Révélation joannique. Mais le moine la connaît par cœur, il l'a sous les yeux quand il écrit, son Jochanan a des visions du christ, et dans l'une d'elles c'est le christ lui-même qui lui donne l'ordre de retourner à Ephèse. II. — LA TRADITION LATINE. Quoique ce Prochorus soit, à ce qu'il semble, un moine du cinquième siècle, il ne connaît pas encore l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe et la triste aventure de Jochanan à la Porte latine. Il revendique Jochanan pour la seule Ephèse et la seule Pathmos, et il est bien clair que ni son maître ni lui n'arrivent de Rome lorsqu'ils vont s'établir à Ephèse et à Pathmos, ils arrivent tout droit de Jérusalem. S'il connaît la version d'Eusèbe, il la tient pour une franche imposture. Mais ce qui me touche encore plus, c'est ce qu'on reconnaît ici sans ambages ; l'Évangile qu'on attribue a Jochanan n'a point été écrit par lui ; le manuscrit qu'on représente comme original depuis qu'il n'est plus ni de Cérinthe ni de Clément, est du diacre Prochorus. Examinons la structure de ce faux, par lequel on fait passer l'Évangile de Cérinthe à Jochanan. On a le manuscrit de Cérinthe ou des copies. Mais le manuscrit de Jochanan, où est-il ? Nulle part, bien entendu, et c'est pourquoi Jochanan dicte à Prochorus. Il n'a pas écrit lui-même ; l'original, c'est le manuscrit de Prochorus. On disait : Voici une copie qui équivaut à l'original, elle est de Prochorus, diacre élu à Jérusalem, sacré par les douze, et secrétaire intime de Jochanan pendant les dix ans qu'il a passés à Pathmos avec lui. Il en résulte indiscutablement que les Églises d'Asie avaient substitué à Cérinthe l'inexistant Prochorus. Or qui a jamais associé le nom de Prochorus à la composition du Quatrième Évangile ? Que dit le pape Clément, successeur de Pierre en 64 de l'Erreur chrétienne ? Cet Évangile est de moi, je suis le disciple préféré. Eh ! bien, et Prochorus qui l'écrit de nouveau en 98 sous la dictée de Jochanan ? Est-ce donc un vil imposteur ? L'Église latine ne pouvait sans déchoir accepter la version de l'Église grecque. Heureusement pour elle, Jochanan était très jeune au moment où, à la suite de Clément, il reposait sur le sein de Jésus dans l'écrit de Cérinthe, d'autant plus jeune que de jour en jour on rognait sur la vie de Bar-Jehoudda au point de lui enlever dix-sept ans par la base ou par le sommet. C'est pourquoi le disciple chéri, qui était le plus vieux des Sept, passe maintenant pour avoir été le plus jeune des Douze. Il avait du temps devant lui pour faire quelques voyages après la Passion. Dans le dispositif de l'Église latine il accompagne Pierre à Rome lors de la persécution de l'infâme Néron, en 64 de l'E. C. Il y est éprouvé par l'huile bouillante, mais plus heureux que Pierre le crucifié et que Paul le décapité, il échappe à la mort et passe dans l'Asie-Mineure qu'il catéchise pendant de longues années. Exilé par Domitien dans l'île de Pathmos, il en sort à la mort de ce prince, en 96, puis retourne dans les églises d'Asie. A l'âge d'au moins quatre-vingt-dix ans, rompant avec ses habitudes, car il n'avait jamais enseigné que de vice voix (ceci d'après Eusèbe et Epiphane), et ayant eu connaissance des trois autres Évangiles, il se met à écrire le sien tant pour compléter les premiers que pour combattre le gnosticisme qui commençait ses ravages en Asie. Peu de temps après il meurt à Ephèse, ce qui nous reporte à 101 ou 102. Dans cette version faite en concordance avec la Lettre aux Galates, Jochanan cède à Paul l'honneur d'avoir le premier évangélisé l'Asie et Éphèse. Sa prédication en Asie est postérieure de plusieurs années à celle de Paul qu'on termine en 58. Il n'écrit l'Apocalypse de Pathmos que vers 93, sous Domitien. Le choix de l'huile bouillante est une preuve que les faussaires connaissaient l'identité charnelle de Joannès et de Jésus. Le Joannès devait être baptisé dans le feu par le Verbe le 15 nisan 789, comme tous ceux de sa génération, et on se rappelle qu'entrant en Samarie, ii reparle de ce baptême comme imminent, et en effet, dans sa pensée, il n'en était séparé que par quelques jours. Lorsque les trois grands fils du Faiseur de Poissons comparaissent devant lui, au moment de monter à Jérusalem où la croix les attend à des dates diverses, Jésus leur dit, faisant allusion à sa constitution ignée : Pouvez-vous être baptisés du baptême dont j'ai été baptisé ? Et ils répondent, escomptant leur Assomption dans la lumière céleste : Nous le pouvons. Il n'en est pas moins vrai qu'au point de vue où il se plaçait en 788, Joannès avait été crucifié sans recevoir le baptême de feu qu'il annonçait. Le faussaire comble cette lacune en le plongeant dans l'huile bouillante à Rome et en le retirant indemne de la cuve. De cette manière, Jochanan l'Évangéliste ne sera pas mort sans connaître, au moins sous la forme oléagineuse, le baptême de feu que Joannès espérait recevoir un jour. Gela ne fait rien ! Le décapiter en Judée sous le nom de Joannès, puis le plonger dans l'huile bouillante à Rome sous celui de Jochanan, l'Église a une drôle de façon de traiter le Juif que d'autre part elle a déclaré consubstantiel au Père et Créateur du monde ! Lorsque tous les rôles de la comédie furent distribués, qu'on eut fait naître Jésus, décapité Joannès le baptiseur, attribué Pierre à Rome, tiré de Saül l'apôtre Paul, compagnon de Pierre à Rome, on mit sous le nom de Tertullien le traité De prœscriptione, dans lequel on voit l'apôtre Jochanan relégué dans Pathmos après avoir échappé à l'huile bouillante[5]. On fit donner Eusèbe[6] et Hiéronymus[7] dans le même sens. Enfin Augustin adopta une combinaison qui, tout en s'écartant de celle de Prochorus sur le fait de la résurrection et de l'assomption à Éphèse, attribue à Jochanan une sorte de survie souterraine ; Jochanan est porté au tombeau où il conjugue à la fois le verbe gésir et le verbe respirer, corrigeant toutefois le premier par le second en soulevant la terre d'un rythme sussultoire et régulier. Cet état, dit Augustin, ressemble plutôt à un sommeil, et quand Jochanan respire, la terre qui le recouvre suit le mouvement de sa poitrine[8]. Ce fait n'a jamais été sérieusement contesté, disent les exégètes catholiques. En effet, et c'est pour détourner leur attention de Machéron, qu'Augustin les invite à attacher les yeux sur Ephèse. Le roc de Machéron se garde bien d'imiter la terre d'Ephèse, il est insensible au rythme de cette respiration posthume. Jornandès propose une autre combinaison. C'est Donatien qui fait jeter Jochanan dans l'huile bouillante, ce qui nous reporte à 94 environ, mais il faut croire que cette huile ne bouillait guère, ou que la cuve était bien mal gardée, car Jochanan échappe. Alors on le relègue dans l'iie de Pathmos où il compose l'Apocalypse. J'ai cité Jornandès pour montrer avec quel souci de l'exactitude écrit cet historien qui fut, dit-on, évêque. Cette citation a l'avantage, c'est le seul, de prouver qu'au temps de Jornandès il était encore permis de soutenir n'importe quoi sur le compte de Jochanan. C'est une faculté dont les historiens ecclésiastiques ont largement usé après lui. III. — LE TÉMOIGNAGE D'IRÉNÉE. Quelques-uns ont senti que, soit dans le dispositif grec soit dans le dispositif latin, Jochanan l'Evangéliste quittait le monde de la même façon que Joannès le baptiseur, c'est-à-dire par résurrection suivie d'Assomption ; concurrence redoutable au héros des Évangiles. La chronique de George Hamortholos, qui est du neuvième siècle, résout un peu tardivement cette difficulté. Hamortholos y combine ce qu'il sait par Jornandès avec ce qu'il invente. Après Domitien, dit-il, Nerva régna pendant un an, lequel ayant rappelé Jochanan de l'île (de Pathmos) lui permit de demeurer à Ephèse. Resté seul survivant entre les douze disciples, après avoir composé son Évangile, il fut jugé digne du martyre ; car Papias, évoque d'Hiérapolis, qui fut témoin du fait, raconte dans le second livre des Discours du Seigneur[9] qu'il fut tué par les Juifs, accomplissant, aussi bien que son frère, la parole que le christ avait prononcée sur eux. Voilà Papias transformé en témoin oculaire du martyre de Jochanan ! C'est trop d'honneur assurément, mais il n'en subsiste pas moins qu'au second livre des Paroles du Rabbi, Papias coûtait la passion du Joannès devenue celle de Jésus dans les Évangiles, car la prophétie dont parle Hamortholos comme annonçant la fin de Shehimon est celle, non du christ à Shehimon et à Jochanan, mais du Verbe à Shehimon et au christ. Et à ce propos considérez la maladresse d'Hamortholos ; il avoue, — c'est peut-être le seul de tous les historiens ecclésiastiques depuis l'invention de Jochanan Évangéliste, — que Shehimon-Pierre était bien frère du Joannès prophète, baptiseur et christ. Or depuis qu'elle a fait deux personnes du christ et du baptiseur, l'Église ne reconnaît plus qu'un frère au pseudo-Jochanan : Jacques. Nous apprenons par Hamortholos que Papias en reconnaissait au moins un autre à Shehimon ; le christ lui-même. On s'explique maintenant la disparition de ses Explications des Paroles du Rabbi ; s'il y contait la mort de Joannès II au second livre, c'est qu'au premier il avait conté celle de Joannès Ier d'après l'Apocalypse elle-même[10]. Papias était mort en 166 de l'Erreur chrétienne sans avoir entendu parler de Jochanan, à la fois auteur de l'Apocalypse de Pathmos, Evangéliste et épistolier. En revanche, il connaissait d'autant mieux le Joannès, auteur de l'Apocalypse de Gamala, qu'il avait celle-ci dans les Paroles du Rabbi dont il avait écrit les Commentaires. Aussi fallait-il adultérer son témoignage comme on avait falsifié celui de Cérinthe. On lit donc aujourd'hui dans Irénée que Papias rapportait comme les tenant de la bouche même de Jochanan certaines Prophéties du christ sur son règne de mille ans, et à part la première partie de cette proposition, il est parfaitement vrai qu'il rapportait les Prophéties du christ d'après la version de Philippe, de Toâmin, de Jehoudda Bar-Shehimon, alias Marc, et de Mathias bar-Toâmin, alias Mathieu-Barthélemy. On décida donc que, très jeune, il aurait connu Jochanan à Ephèse, celui-ci dans son extrême vieillesse, c'est-à-dire après la confection de son Apocalypse de Pathmos et de son Évangile. On voit que tout tourne autour de Papas, détenteur en Asie des Paroles du Rabbi, c'est-à-dire des manuscrits du christ et de ses frères. On n'a rien pu sans Papias, au second siècle ; et plus tard on n'a pu marcher qu'en l'éliminant, puis en falsifiant son disciple Irénée. A la condition de supprimer tout ce qu'il y avait de gênant dans le témoignage du patriarche Papias, notamment d'oublier qu'il avait été millénariste, c'est-à-dire ignoré Jésus, on ne pouvait faire un meilleur choix, on ne pouvait même pas en faire d'autre, à moins de citer les deux frères et les deux neveux du Rabbi. Néanmoins on a si mal fait le travail qu'il est impossible d'échapper à cette alternative ; ou Jésus n'est pas le type d'homme qui a laissé les Prophéties du christ dont parle Papias, ou, loin de s'attendre à mourir et à ressusciter, comme il le dit aujourd'hui dans les Synoptisés, il comptait au contraire régner mille ans pour s'a bienvenue ! Avec le temps Papias a cessé d'être à lui tout seul ce qu'on appelle aujourd'hui la tradition d'Asie. On lui a adjoint Irénée. Pour la fabrication de Jochanan on a particulièrement soigné Irénée, parce qu'il tient au millénarisme et à l'Asie, au domaine apostolique du pseudo-Jochanan. En un temps où le texte des Évangiles est à peine commencé, où la jehouddolâtrie est en quelque sorte personnelle et facultative, où il n'y a ni dogme assis, ni Église dirigeante, ni symbole apostolique, où le christianisme n'est qu'un faisceau d'opinions monstrueuses, on voit Irénée, millénariste, donc hérétique par rapport à la jehouddolâtrie romaine, se lever, tonner contre les hérésies, déclarer que la foi a pris possession de tout le globe terrestre, que la tradition des Apôtres s'est manifestée dans le monde entier, et enfin que l'Église de Rome, en vertu de son principat prééminent, doit gouverner toute l'Église, c'est-à-dire la communauté des fidèles répandus dans tout l'univers ! Cela juge ce qu'on appelle pompeusement le témoignage d'Irénée sur Jochanan. Que disait le juif Salomon ? On ne le saura plus jamais. Le texte grec des Œuvres qu'on lui attribue, d'ailleurs faussement, est en grande partie perdu, et il ne reste qu'un texte latin dans lequel l'Église a introduit au fur et à mesure tout ce qui lui a semblé utile à ses intérêts. On y lit que Jochanan composa son Évangile à Ephèse, — et non à Pathmos, comme le veut le faux Prochorus, — pour l'opposer aux erreurs de Cérinthe qui professait l'inexistence de Jésus, et à celles des Nicolaïtes qui avaient tiré de l'Apocalypse les conclusions les plus inattendues en faveur du communisme féminin et de l'inceste. Irénée connaît les trois Synoptisés sous le nom de
leurs auteurs actuels. Ensuite, dit-il, Jochanan, le disciple du Seigneur, qui a reposé sur son
sein, publia, lui aussi, l'Évangile pendant son séjour à Ephèse d'Asie[11]. L'auteur de cette
phrase, quel qu'il soit, a lu le Quatrième Évangile, en un temps où on ne le
donnait déjà plus à Clément[12]. Après avoir fait dire à Irénée qu'il a connu cet Évangile comme étant de Jochanan, on lui a fait dire qu'il a connu sinon Papias lui-même, du moins son témoignage, et que sur Jochanan et son Évangile le bienheureux Polycarpe était merveilleusement renseigné, surtout depuis qu'il était mort. Irénée, lui aussi, avait des connaissances et des relations fort étendues. Il savait que la jehouddolâtrie florissait dans les Gaules, en Germanie, en Ibérie, en Afrique, partout. Il avait bien des ennuis, mais sa consolation était dans les hommes qui respectaient la vérité. .Non seulement il avait connu Polycarpe et presque Jochanan, mais il recherchait surtout la société des morts qui, ressuscites par les vrais disciples du christ, — c'est à quoi on reconnaissait les uns et les autres, — avaient persévéré à vivre avec lui pendant de longues années[13]. Peut-être avait-il amené à Lyon quelques témoins de cette espèce si précieuse. On a inséré dans Irénée un épisode de bain qui montre Jochanan à Ephèse en lutte avec Cérinthe. Si ce passage était contemporain d'Irénée, on ne se serait pas donné tant de peine pour essayer d'établir la tradition d'Asie ; on aurait tenu dans cet épisode la preuve qu'un Jochanan apôtre avait habité Ephèse à une date où Cérinthe y était lui-même. Ce qu'on a voulu faire croire par cette invention, c'est que Cérinthe avait vécu au premier siècle, date extrême qu'on adoptait pour la composition de l'écrit qu'on lui avait enlevé pour en enrichir Jochanan. Dés le moment qu'on le montrait à Ephèse en même temps que Jochanan, ce ne pouvait être que pour le déshonorer. Qu'est-ce que Cérinthe pouvait bien aller faire dans une maison de bains ? Recruter des femmes pour les Nicolaïtes sans doute ! Voilà ce dont était capable un homme qui niait l'existence charnelle de Jésus ! Aussi est-ce pour confondre Cérinthe et le nicolaïsme que Jochanan avait saisi sa bonne plume d'Éphèse. L'imposteur qui a lancé cette fourberie a vu le nom de Nicolas mêlé à l'Apocalypse de Pathmos, il a vu ailleurs celui de Cérinthe donné par les Aloges comme étant l'auteur de l'Évangile qui est devenu le Quatrième ; il en conclut que les Cérinthiens doivent occuper, dans l'ordre des hérésies, la même place que les Nicolaïtes, il feint d'ignorer ce qu'est un Cérinthien, et pour ruinera jamais le nom et l'autorité de Cérinthe, il confond calomnieusement ses disciples avec les Nicolaïtes dont il sait l'ignominie par ce qu'il a lu dans l'Envoi de l'Apocalypse de Pathmos ; à savoir qu'ils se livrent à la paillardise (et quelle !) et mangent des viandes immolées aux idoles. Ce n'est donc pas Irénée qui parle ; car Irénée est certainement mort partageant les opinions de Cérinthe sur Bar-Jehoudda et celles des Aloges sur la confection du Quatrième Évangile. Cérinthe était millénariste comme Papias, et Irénée millénariste comme Cérinthe. Si les Cérinthiens avaient eu les mêmes mœurs que les Nicolaïtes et que le Quatrième Évangile eût été refait contre eux, on y verrait Jésus tonnant contre leurs excès dans la paillardise et dans la manducation des viandes consacrées aux idoles ; or il n'y est fait aucune allusion, et c'est une des preuves que leur conduite ne donnait pas cette prise énorme à la critique. Le témoignage des Aloges sur l'Évangile de Cérinthe n'en faisant pas moins grief à l'Église, elle l'a infirmé en prétendant que si Cérinthe avait écrit quelque Évangile, ce n'avait pu être qu'en plagiant, en copiant ou en adultérant celui de l'illustre Jochanan, rendant par ces honteuses pratiques un hommage involontaire à son authenticité. Il fallut associer les alexandrins à cette imposture. Comme toujours, c'est Clément d'Alexandrie qui fut mis en avant. D'après Eusèbe, Clément, dans un livre que nous n'avons plus, écrit quelques années après Irénée : Jochanan le dernier, voyant que les choses corporelles étaient racontées dans les Évangiles, composa sur la demande de ses amis et avec l'assistance de l'Esprit, un Évangile spirituel. On ne dit pas que Jochanan ait composé ou publié cet Évangile à Éphèse, niais on avoue l'avoir annexé tant bien que mal aux Évangiles corporels, entendez ceux dans lesquels on donne à Jésus un corps autre que celui de Joannès. On ne dit pas que Jochanan ait reposé sur le sein de Jésus, on ne cherche pas à le rattacher à l'apostolat, ce sont des faits acquis ; on a attendu simplement que Cérinthe fût dépouillé par Clément le Romain, et ensuite que Mathieu, Marc et Luc fussent convenablement synoptisés, ce qui nous conduit à la moitié, sinon plus, du quatrième siècle. On a fortifié cette imposture, qu'on appela tradition égyptienne, en mettant sous le nom de Clément d'Alexandrie le traité Quis dives dans lequel on trouve quelques traits de la vie du prétendu Jochanan. Eusèbe toutefois déclare que Clément tenait le fait d'anciens presbytres, comme qui dirait du presbytre Pantène, lequel aurait été lui-même disciple de presbytres qui auraient vu les apôtres[14]. La tradition alexandrine est mort-née, l'éphésienne a survécu à toutes par Irénée. IV. — LES TEMOIGNAGES DE POLYCARPE ET DE POLYCRATE. On voit clairement qu'Irénée est fort embarrassé pour plaider auprès des lyonnais l'existence de Jésus. Irénée, millénariste intégral, nourri à l'école de Papias dans le culte des Paroles du Rabbi, Irénée a pu connaître Papias très vieux, mais en fait d'apôtres il n'a pu en connaître davantage que Papias, c'est-à-dire sept. Il n'a plus qu'une ressource, c'est d'avoir connu des presbytres, des anciens, disciples des apôtres, auditeurs des apôtres. Mais le dernier des sept, Ménahem, est mort en 819. Il faudra donc un apôtre-terminus qui aura survécu à tous les autres, ce sera Jochanan l'Évangéliste, créé tout exprès par le Saint-Esprit, et que les anciens d'Asie n'ont pu connaître, à raison de son âge plus que centenaire. Irénée pourra dire : Vous doutez que Jésus ait existé ? Vous croyez ce que dit Cerdon, ce que dit Cérinthe, ce que dit Valentin, ce que dit Marcion ? Eh ! bien, moi qui vous parle, j'ai connu des hommes qui ont vu celui qui a écrit le petit livre que voici, dont le titre est Apocalypse de Pathmos, et ce petit livre est d'un homme qui a reposé sur le sein de Jésus, ce dont il témoigne dans son Évangile. J'ai connu Polycarpe, et Polycarpe certifiait que Jochanan l'Evangéliste était le même homme que l'apôtre chéri, Marcion demande à tous les échos des témoins de Jésus ? En voici un, le bien-aimé, celui qui a reposé sur son sein. Si après cela vous doutez, devant l'intérêt que vous avez à croire, c'est que vous n'êtes pas nés pour la vie éternelle ! C'est l'invention de Jochanan Evangéliste qui a sauvé la situation par l'identité qu'on a supposée, puis établie entre l'Evangéliste et le disciple chéri. Au troisième siècle, quand il a fallu plaider l'existence charnelle de Jésus, Jochanan en est devenu par la force des choses l'unique témoin, l'unique garant. Personne ne songe à s'appuyer sur Philippe apôtre, sur Jehoudda Toâmin apôtre, sur Mathias bar-Shehimon, connu sous le nom de Marcos et fils d'apôtre, sur Lucius de Cyrène, apôtre cyrénéen et frère de ce Simon qui fut crucifié avec le christ. Shehimon lui-même ne pourra être témoin de Jésus qu'après Clément et les deux Lettres de Pierre. Des nombreux disciples que Jochanan aurait fait en Asie on ne peut exhiber que l'éphésien Polycarpe. Quoi donc ! le brillant auditoire de Jochanan dans Ephèse se réduit au seul Polycarpe ? De cette pépinière de presbytres et d'évêques Irénée ne peut citer que Polycarpe ? De cette troupe de gens qui ont été enseignés, instruits par les compagnons de Jésus, qui ont vu, touché, entendu ces témoins de l'Eucharistie, de la Résurrection, de l'Ascension, il n'y a, pour représenter l'Asie et invectiver contre Marcion, que le seul Polycarpe, martyr en 155 ! Polycarpe, c'est tout, et il est mort. On comprend les difficultés qu'éprouvait Irénée pour implanter la foi dans les milieux judaïques de Lyon qui n'avaient point vu Polycarpe. Ils n'avaient pas vu Polycarpe, mais songez qu'en son jeune âge Irénée l'avait vu, et qu'en son jeune âge aussi Polycarpe avait vu Jochanan ! Polycarpe devenait presque aussi important que Jochanan, car, Jochanan enlevé, on se trouvait en face de Clément, et, Clément enlevé, on se trouvait en face de Cérinthe. Mais voici l'enclouure. Si on accepte le témoignage d'Irénée sur Polycarpe, il faut nécessairement accepter la date qu'il donne à la mort du Rabbi, d'après tous les presbytres d'Asie qu'il présente comme auditeurs et disciples de Jochanan Évangéliste. Or cette date renverse toutes les données ecclésiastiques, et, ce qu'il y a de plus grave, c'est qu'il la déclare générale dans toute l'Asie et résultant de l'Évangile (l'Évangile éternel, l'Apocalypse). Tous les presbytres d'Asie qu'Irénée dit avoir connus tenaient que le Rabbi avait près de cinquante ans lorsqu'il enseignait, et nous avons montré que la dernière année de son enseignement était une année proto-jubilaire. Et cet âge, qui détermine la date de sa crucifixion, ils le tenaient de Joannès (celui de l'Apocalypse cette fois) et des autres apôtres. Et n'allez pas dire qu'Irénée lâche ce chiffre à la légère ! Il insiste au contraire ; le christ avait dépassé la quarantaine, il approchait de la cinquantaine et touchait à la vieillesse. Il n'est pas admissible qu'Irénée se mette en contradiction avec l'Évangile de son temps (l'Apocalypse), c'est sur lui qu'il s'appuie au contraire ; cet Évangile d'abord, puis l'écrit qu'on a transporté de Cérinthe à Jochanan. Si la mention de Luc eût existé, — que le christ avait trente ans lors de ses débuts, — et c'est sur elle que reposent tous les calculs de l'Église catholique, Irénée n'eût pas manqué d'en être frappé comme d'une contradiction absolue avec la tradition d'Asie. Elle a donc été placée dans Luc postérieurement à Cérinthe, et pour infirmer, annuler cette tradition incontestée d'un christ quinquagénaire et sénescent, dont l'image pouvait suffire aux Juifs d'Asie mais serait inesthétique en Grèce et en Occident. Irénée s'appuyait également sur la réplique des Juifs à Jésus lorsqu'il se dit plus ancien qu'Abraham (cette réplique n'appartient qu'à Cérinthe) : Tu n'as pas encore cinquante ans, et tu as vu Abraham ! Irénée observe qu'elle n'a aucun sens si à ce moment le christ n'approchait pas réellement de la cinquantaine. Ce christ cinquantenaire que vénéraient les Juifs d'Asie et ceux de Lyon ne pouvait pus être Jésus de Nazareth. C'était le prophète-christ dont parle Lucien, c'était l'imposteur habile et retors qu'avait commenté Papias dans l'intérêt de la cause juive, et que Pérégrinus avait imité pour s'enrichir[15]. C'est pourquoi le nom de ce scélérat, les renseignements sur la légende qui s'était créée autour de sa survie, ont disparu de Lucien qui a connu son œuvre écrite sans connaître un seul mot des Évangiles. A peine est-il besoin de dire que cet âge modifie complètement la chronologie ecclésiastique, car s'il est vrai, comme le veut l'Évangile de Luc, que Bar-Jehoudda ait commencé sa vie publique à trente ans, et comme le veut Irénée, qu'il la continuât encore à près de cinquante, elle a donc duré vingt ans, soit huit ans de plus qu'il n'y en a dans Cérinthe. Qu'a-t-il fait pendant ces vingt ans ? Le mal, comme à son ordinaire. De toute façon, il est certain que les jehouddolâtres élevés à l'école apostolique, au lieu d'adorer un dieu de trente et quelques années, dans la force de la beauté physique, vénéraient un horrible juif qui avait atteint la cinquantaine et à qui il manquait des dents dans le fond. J'ose affirmer que l'Église a fait de la haute psychologie en donnant à Jésus l'âge où l'on peut être aimé pour soi-même, et que jamais les femmes n'auraient versé le moindre pleur sur un christ dont les tempes commençaient à se dégarnir. Le culte de Jésus est hystériforme. Cinquante ans, voilà l'âge que tous les Juifs dispersés après Hadrien donnaient au prophète de leur Royaume universel. Qui faut-il croire plutôt, dit Irénée ? Eux, ou bien Ptolémée, qui ne vit jamais d'apôtres ni de traces d'apôtres, sinon en rêve ? Car ce Ptolémée, un des scribes qui ont fabriqué l'Évangile mis sous le nom de Loucas ou Lucius de Cyrène, a insinué une date qui ne convient point à Irénée, parce qu'elle est contraire à la tradition apostolique. Et comme, en dehors de Cérinthe, Luc est le seul qui produise une date, et donne un âge à l'homme crucifié dans l'Évangile, il faut absolument que Ptolémée soit Luc, Lucius de Cyrène n'ayant laissé à ses enfants d'autre Évangile que l'Apocalypse. Nous apprenons ainsi que Ptolémée est pour beaucoup dans la confection de l'écrit aujourd'hui connu sous le nom de Luc. Il fallait se débarrasser de ce Ptolémée qu'Irénée dénonçait comme contraire en fait à la chronologie de l'Évangile attribué à Jochanan. En un tour de main, Ptolémée devint, dans Irénée même, garant de Jochanan, le disciple du Seigneur, l'apôtre. Quel changement subit ! Tout à l'heure Irénée disqualifiait Ptolémée comme un impudent qui de sa vie n'avait connu d'apôtres ni d'ombre d'apôtres, sinon en rêve ! Et il lui opposait cette innombrable légion de témoins commandée par Polycarpe de Smyrne, lesquels avaient vu et les apôtres et les disciples des apôtres, au point de pouvoir répondre pour eux devant la postérité. Irénée, mon ami, à quel endroit mens-tu le plus ? Et si nous ne te croyons pas, pourquoi croirions-nous Héracléon, gnostique, qui dépose dans Origène[16] que l'auteur du Quatrième Évangile est Jochanan le disciple (Héracléon, ajoutez donc chéri au moins !), par opposition au Joannès baptiseur ? Irénée dit que le christ de Polycarpe était le même que celui de Papias, Polycarpe et Papias étant tous deux disciples de Jochanan et compagnons d'armes. Or le christ de Papias, c'est celui de l'Apocalypse, à ce point que Papias, écrivain plus fertile que Polycarpe, avait écrit cinq livres d'Explications sur l'original. On aurait beaucoup mieux fait de supprimer Irénée que de le refaire, car si Jochanan est le maitre commun de Papias et de Polycarpe, Papias et Polycarpe étant millénaristes, Jochanan ne devait pas l'être moins que le christ. Dans ces conditions, ni Papias ni Polycarpe n'ont pu croire aux Évangiles dans lesquels Bar-Jehoudda annonce qu'il sera crucifié à l'âge de cinquante ans réduits par Ptolémée à trente-trois. Ils déposent donc avec une touchante unanimité contre l'existence charnelle de Jésus de Nazareth. Quoique nous ne sachions sur Polycarpe rien qui ne provienne de l'Église, nous pensons qu'il a existé sous ce nom, ou mieux sous un nom de circoncision, un Juif qui, pour quelque excès de fanatisme jehouddolâtre, a été condamné par les magistrats de Smyrne. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il professait les abominables doctrines contenues dans les Paroles du Rabbi et qu'il fut puni de mort pour les avoir mises en action. L'Église a très bien senti qu'Irénée, malgré tout son maquillage, déposait au fond pour Bar-Jehoudda contre Jésus, pour le millénarisme originel contre la combinaison Jésus-Christ. Aussi l'a-t-elle fortement travaillé. Voici comment elle arrange les choses : Irénée, mort évêque de Lyon en 202, était né eu Asie-Mineure, où il avait été disciple de Polycarpe, évêque de Smyrne. Polycarpe avait été disciple de Jochanan, et Irénée dans sa vieillesse se rappelait avec respect l'ineffaçable impression que lui avait laissée Polycarpe, lui transmettant l'enseignement de Jochanan. Il était dans le premier âge, enfant, dit-il, lorsqu'il vit Polycarpe qui atteignait le terme de la vie. Mais donnons à Polycarpe quatre-vingt-dix ans lorsqu'il mourut et à Irénée treize ans lorsqu'il quitta Polycarpe. Les souvenirs d'Irénée remontent à 161, qui est environ le temps où mourut Papias ; Polycarpe avait alors quatre-vingts ans, il était donc né vers 80. Il a donc pu connaître le Joannès-Marcos et Mathias bar-Toâmin, s'ils sont morts très-vieux, mais eût-il commencé son éducation de millénariste à dix ans, il n'a pas pu connaître les apôtres, le dernier d'entre eux, Ménahem, ayant été exécuté trois ans avant la chute de Jérusalem. Donnât-on cent ans à Polycarpe lorsqu'il mourut, le fit-on par conséquent naître en 70, il est impossible qu'il ait été disciple des apôtres, qu'il ait fréquenté beaucoup de ceux qui avaient vu le christ, et qu'il ait été institué par les apôtres évoque de Smyrne. Irénée est lui-même obligé de faire un effort pour se persuader qu'il a pu connaître suffisamment Polycarpe. Combien il était plus difficile à Polycarpe de se persuader qu'il avait lui-même connu les apôtres ! Cependant, dit Irénée je puis dire encore ce qu'il racontait de son intimité avec Jochanan et avec les autres qui avaient vu le Seigneur. Je puis dire aussi comme il se rappelait leurs discours, ce qu'il leur avait entendu dire sur le christ, sur ses puissances et sur son enseignement. Ce n'est pas mal, mais il y a mieux dans certaine lettre d'Irénée à Florinus que nous trouvons dans Eusèbe, et pour cause. Autant Irénée est peu sûr de sa mémoire quand il parle de Polycarpe dans Irénée, autant il est affirmatif quand il en écrit dans Eusèbe. Florinus est l'image d'un jehouddolâtre qui s'est laissé séduire et est retourné au vomissement apocalyptique. Irénée se fâche : Ces doctrines, Florinus, pour parler avec modération, ne sont point saines ; elles ne concordent pas avec celles de l'Église. (Quelle Église ? celle de Lyon sous Irénée ou celle de Rome après Théodose ?) Elles conduisent leurs adeptes aux pires excès de l'impiété. Ces doctrines, mais les hérétiques séparés de l'Église n'oseraient les professer ! Ces doctrines ne sont fias celles que transmirent les presbytres qui nous ont précédés et qui avaient connu les apôtres. Je me souviens que, quand fêtais enfant dans l'Asie inférieure (c'est bien vague comme topographie), où tu brillais par ton emploi à la Cour, je t'ai vu près de Polycarpe, cherchant à acquérir son estime. Je me souviens mieux des choses d'alors que de ce qui est arrivé depuis (heureuse mémoire !), car ce que nous avons appris dans l'enfance croit avec l'âme et s'identifie avec elle ; si bien que je pourrais dite (voilà le but du document) l'endroit où le bienheureux Polycarpe (nous avons donc lu les Actes de son martyre ?) s'asseyait pour converser, sa démarche, ses habitudes, sa façon de vivre, les traits de son corps (de l'anthropométrie !), sa manière d'entretenir l'assistance, comment il racontait la familiarité qu'il avait eue avec Jochanan et avec les autres qui avaient vu le Seigneur (Jochanan n'est plus seul !). Et ce qu'il leur avait entendu dire sur le Seigneur, sur ses miracles et sur sa doctrine, Polycarpe le rapportait comme l'ayant revu des témoins oculaires de la vie du Verbe (Et verbum caro factum est, nous savons le reste), le tout conforme aux Ecritures (ces témoins ne déposent que conformément aux Ecritures, c'est-à-dire à l'Évangile de Cérinthe refait sous le nom de Jochanan et aux trois Synoptisés dans lesquels rentre Ptolémée). Ces choses, grâce à la bonté de Dieu, je les écoutais alors avec application (de manière à pouvoir les répéter ici), les consignant non sur le papier (avant cette lettre Irénée n'était donc pas témoin de la vie du Verbe ?) mais dans mon cœur, et toujours grâce à Dieu, je me les remémore fidèlement. Et je peux attester en présence de Dieu (malheureux ! tu n'as pas honte ?) que, si ce bienheureux et apostolique vieillard eût entendu quelque chose de semblable à tes doctrines, il aurait bouché ses oreilles (grands dieux ! que professait donc Florinus de si contraire à Polycarpe ?) et se serais écrié selon sa coutume : Bon Dieu, à quel temps m'avez-vous réservé pour que je doive supporter de pareils discours ? et il se serait enfui de l'endroit où il les aurait ouïs. (Sensible Polycarpe !) Cela ressort également des lettres qu'il a écrites (ah ! ah !), soit à des Églises voisines (les sept églises nommées dans l'Apocalypse de Pathmos) pour les confirmer dans la foi (ablation faite du millénarisme), soit à quelques-uns de nos frères pour les éclairer et les encourager[17]. — Il n'y a que ce vilain Florinus qui persiste à en faire fi ! L'Église a bien compris l'importance de Polycarpe ; elle en a fait un évêque de Smyrne, mort martyr en 155, et jehouddolâtre depuis quatre-vingt-six ans, ainsi qu'il le déclare lui-même dans les Actes de son martyre. Si nous ôtons 86 de 155 (et
le premier chiffre est là pour que nous le soustrayions du second),
nous obtenons 69. Ô miracle ! Polycarpe est jehouddolâtre depuis l'année qui
a précédé la chute de Jérusalem ! Jeune garçon lorsque ce malheur
international est arrivé, il n'a point entendu
parler d'un certain Ménahem, roi-christ à Jérusalem deux ans auparavant, ni
d'un certain Eléazar, roi-christ à Massada l'an d'après la chute de Jérusalem[18], il n'avait pas
encore la mémoire assez forte pour inscrire que l'un était le frère du christ
mort cinquantenaire, et l'autre son beau-frère. En revanche son jugement
était assez développé pour souscrire sans réserve à la divinité du noble
Bar-Jehoudda et à sa consubstantialité avec le Père. Certes il avait ses idées, et qui n'étaient pas toujours d'accord avec celles de Rome. C'était un peu un homme de l'ancien temps. C'est ainsi qu'ayant fait le voyage de Rome pour voir Anicet, pape, et conférer avec lui sur diverses matières de religion, il tint sur certains points contre Anicet[19]. Anicet et Polycarpe eurent beau se donner le baiser de la paix, Anicet ne put amener Polycarpe à célébrer la Pâque le dimanche, et Polycarpe à dissuader Anicet de la fêter ce jour-là. Ce diable de Polycarpe soutint, avec tous les jehouddolâtres d'Asie que la Pâque doit être célébrée le quatorzième jour de la lune au soir (soit le 15 nisan, comme le christ aurait aimé le faire en 789), et non le jour que l'Évangile assigne à la résurrection. Ayant vécu familièrement avec Jochanan et les autres apôtres (voilà le but du faux), il avait reçu d'eux cette coutume et n'en voulait démordre pour être agréable à Anicet. De son côté, Anicet y regimbe, disant que tous ses prédécesseurs, y compris Clément, ont célébré la pâque le dimanche. En fin de compte il ne convainc pas Polycarpe ; et dans Eusèbe Polycrate d'Ephèse, écrivant au pape Victor, déclare persister dans la tradition d'Asie, celle de l'Évangile qui, après avoir été celui de Cérinthe et celui de Clément, prédécesseur d'Anicet, est devenu celui de Jochanan. Mais ce sont là de petits travers qui ne nuisent point au témoignage de ces saints hommes sur Jochanan. Le misérable Eusèbe fabriqua tous les faux qu'on voulut ; et lorsqu'il fut mort, on lui attribua tous ceux auxquels il n'avait pas pensé. Comme Irénée, Eusèbe est un Corpus de faux. Grâce à lui nous possédons le témoignage, combien respectable ! de Polycrate, évêque de Smyrne, qui fait de Jochanan non seulement le quatrième Evangéliste du canon, mais encore le patriarche de toute l'Asie. Il cite à deux reprises une lettre écrite au pape Victor par ce Polycrate, né un peu avant Irénée et par conséquent plus rapproché de l'ère apostolique. Polycrate, parlant des grands Juifs qu'a vus mourir l'Asie, cite l'apôtre Philippe, l'un des douze, et dit de Jochanan : celui qui a reposé sur la poitrine du christ, qui a été grand-prêtre, portant le pétalon (la coiffure du grand-prêtre de Jérusalem), qui a été martyr (il ne l'est pas dans Prochorus), et qui a enseigné. Polycrate donne un détail visiblement emprunté à Cérinthe et qui suffit à dénoncer la supercherie ; c'est dans le Quatrième Évangile seul que le christ repose sur le sein allégorique de Jésus, Voilà bien le disciple dont Clément s'est le premier attribué le rôle avant l'invention de Jochanan. Jochanan aurait non seulement reposé sur le sein de Jésus, mais après avoir porté le pétalon qui distinguait le Grand-prêtre juif des sacrificateurs ordinaires, il reposait maintenant dans la ville d'Ephèse. Polycrate fait trop bonne mesure à Jochanan en le coiffant du pétalon. Ce pétalon toutefois va nous servir à dater la lettre de Polycrate ; elle est postérieure à Irénée, à Eusèbe, et elle a pour but d'éliminer Papias qui porta dans Hiérapolis le pétalon patriarcal, tranchons le mot : papal. Le pétalon était l'attribut exclusif du grand-prêtre de Jérusalem à qui les évêques l'empruntèrent dans le cours du troisième siècle. Polycrate, en donnant cet attribut à Jochanan, dépossédait Papias du patriarcat. Coiffée du pétalon et tenant à la main l'Évangile du bien-aimé, Ephèse biffait Hiérapolis. Victor, qui avait des archives bien tenues, possédait le témoignage de son prédécesseur Clément. Il accepta la lettre sans broncher. C'est lui qui l'avait commandée. Il s'agissait de démolir du même coup Clément en tant qu'apôtre et Papias eu tant que pape, le tout au bénéfice de Victor[20]. Rien de plus précieux qu'un faux de cette nature, il en fait tomber cent. Victor ne reconnaît ni à Paul, ni à Aquila, ni par conséquent à Apollos, la gloire d'avoir les premiers prêché la résurrection dans Ephèse. C'est la preuve qu'au point de vue historique ou ne pouvait encore citer Saül en faveur de Bar-Jehoudda ni dans les Lettres de Paul, ni dans les Actes des Apôtres. Paul n'avait pas encore prêché Bar-Jehoudda en Asie (trois ans rien que pour Éphèse). La vérité serait donc chez Ignace, évêque d'Antioche ? On ne s'attendait pas à la rencontrer riiez ce faussaire. Ecrivant aux Éphésiens, l'évêque d'Antioche salue en Paul le père de leur Église, et ne souffle mot de Jochanan qu'il convient de laisser dans une ombre discrète. Qu'Ignace mente en général ou plutôt qu'on mente au nom d'Ignace, c'est un fait certain, mais ici on ment contre Victor, qui de son côté ment contre Ignace. Victor ne veut connaître que Jochanan, pourquoi ? Parce que Rome est pourvue. Ignace ne veut connaître que Paul, pourquoi ? Parce qu'Ephèse ne l'est pas. Qui a commandé la lettre de Polycrate ? L'évêque de Rome. Celle d'Ignace ? L'évêque d'Ephèse. Irénée, lui aussi, écrit à Victor dans Eusèbe. Qui lui a commandé la lettre ? Celui qui la reçoit. Car comment se fait-il qu'Irénée, dont toute la gloire est de suivre Polycarpe, déclare à Victor que la célébration de la Pâque doit se faire le dimanche et non le 15 nisan ? Que, contrairement à la doctrine des apôtres, notamment de Jochanan, de Polycarpe et de Polycrate, il se range à l'opinion d'un évêque plus ou moins compétent en la matière ? Qu'il invoque contre eux l'exemple d'Anicet, de Pie, d'Hygin, de Telesphore, de Xyste, et de tous ceux qui ont régi l'Église de Rome avant Soter, prédécesseur de Victor ?[21] En un mot, comment se fait-il que, disciple des disciples de Jochanan, il soit contre eux pour l'obscure individualité de Victor ? C'est fort simple. Synode où se débat la question, lettre où Irénée la discute, tout est inventé par Eusèbe pour convertir à la date romaine les derniers tenants de la Pâque juive et influencer les Églises d'Asie par l'exemple d'Irénée, qui engage toute la série des évêques romains d'Anicet à Soter dans une liste que pas un homme de son temps n'eût été capable de dresser. Mais puisqu'Irénée est si fort en chronologie papale, il doit connaître l'ami Clément, le prestigieux successeur de Pierre et le mirifique auteur du livre dans lequel il prétend, étant l'un des douze, avoir reposé sur le sein de Jésus ? Comment se fait-il qu'il attribue à Jochanan un honneur que Clément avait exclusivement revendiqué pour lui-même ? Irénée, puisque tu connais si bien Polycarpe et ses moindres Lettres, tu ne peux manquer de connaître Clément, un autre homme, entre nous, que l'évêque de Smyrne ? D'où vient que, sachant à fond les Constitutions Clémentines, comme doit les savoir un docteur armé contre l'hérésie, tu ne saches pas également qu'un seul homme ici-bas a reposé sur le sein de Jésus, et que cet homme, c'est Clément le Romain, placé sur le trône pontifical par Pierre lui-même ? Et quelle confiance veux-tu que nous mettions en toi, puisque, par une attribution purement arbitraire a Jochanan, tu dépouilles l'infaillible Clément d'un honneur qui lui revient par droit d'élection ? Irénée, tu m'affliges. Oh ! je sais que tu peux répondre : Je n'ai pas plus connu le glorieux Clément que le bienheureux Polycarpe. Ce n'est pas moi qui ai fourré dans mon livre Hygin et autres évêques de Rome jusqu'à Soter. On a profité de ce que nous étions morts pour nous faire parler, selon le principe des Évangiles et l'habitude de l'Église. Tout ce que tu voudras, Irénée, ce n'est pas bien, tu m'as fait perdre la foi ! D'ailleurs Clément est infaillible, et toi, simple évêque, tu le démens, et même tu le destitues, ce qui cesse d'être hérétique pour tomber dans l'anarchie, et de l'anarchie dans la damnation éternelle ! FIN DU SIXIÈME TOME |
[1] Dans le traité Contra hæreses mis sous son nom.
[2] Les écrivains ecclésiastiques, Bellarmin, Tillemont et d'autres ont cru que le témoignage du pseudo-Prochorus n'avait été composé qu'au quatorzième siècle. Mais le manuscrit que M. V. Guérin (Description de Pathmos et de Samos, 1856, in-8°) a consulté au monastère de Pathmos est beaucoup plus ancien, et l'imposteur qui a écrit sous le nom d'Athanase cite dans sa Synopsis certains Voyages de Jochanan qui ne peuvent être que ceux de Prochorus. Or la Synopsis d'Athanase passe pour avoir été composée au commencement du cinquième siècle.
[3] Cf. Les Marchands de Christ.
[4] Cf. Le Gogotha.
[5] De prœscriptione, ch. XXXVI.
[6] Demonstratio evangelica, III, 5.
[7] Commentarii in Matthæum, XX, 22, et Contra Jovinianum, I, 26.
[8] Augustini, Tractatus, CXXIV, II, 2, in Joannem.
[9] Les Paroles du Rabbi.
[10] Ne jamais oublier que Jehoudda fut surnommé Joannès avant son fils aîné.
[11] Contra hæreses, l. III, I, 1.
[12] Grâce à son continuateur latin, Irénée cite le Quatrième Évangile. Toutes les fois qu'il en est besoin : Non ex voluntate carnis neque ex voluntate viri, sed ex voluntate Dei natus est filius hominis... Verbum caro furtum est, etc. (Contra hœreses, l. III). En un mot, Bar-Jehoudda est déjà consubstantiel au Père.
[13] Ceci en plusieurs endroits du Contra hæreses.
[14] Ceci d'après Pamphile, Apologie d'Origène (Photius, Bibliotheca, cod. 118). Le P. Calmes (édit. du Quatrième Évangile) voit dans cette affirmation un désaccord évident avec la chronologie. Avec la chronologie seulement ?
[15] Cf. le Peregrinus de Lucien.
[16] Origène, In Joannem.
[17] C'est Irénée qui de Lyon apprend à Florinus l'existence des Lettres de Polycarpe dont il y a deux espèces. Etonnamment renseigné, cet Irénée ! Car qui ? ne serait-ce point par Eusèbe ? Ou mieux encore par Rufin d'Aquilée ?
[18] Cf. Le Gogotha.
[19] Irénée, Contra hæreses.
[20] Une fois Polycrate lancé, on tira beaucoup de son penchant épistolaire. Dans la lettre qu'il écrit au pape Victor au sujet de la Pâque il se vante d'avoir succédé à Jochanan sur le siège d'Éphèse et d'être en communion d'idées avec Thraséas, évêque d'Eumenia, lequel fut martyr.
[21] D'Eleuthère, dit-on aujourd'hui. Va pour Eleuthère !