CHAPITRE XIII. — LE BANQUET DE RÉMISSION.
Les revenants de la Préparation viennent de nous dire que Bar-Jehoudda
n'est point venu à la pâque de 789, nous le savions déjà par l'histoire ; ils
ajoutent même qu'au moment où Jésus prononce tous ces beaux discours à
Jérusalem, les prêtres ont donne ordre d'arrêter Bar-Jehoudda là où il serait
trouvé. Cérinthe va nous le dire une seconde fois, une troisième, une
quatrième, une cinquième enfin, confessant que l'arrestation est opérée au
moment où Jésus préside le Banquet du 14 nisan, veille de la pâque. Et comme
si ces cinq indications ne suffisaient pas, il en ajoutera une sixième dans
son Epilogue qui est une allégorie sur la pâque non célébrée et le Cycle du Zib manqué. A ce banquet, point d'agneau,
comme dans les Synoptisés. Du pain seulement et un seul, celui qui a déjà
servi dans la
Prorogation du monde. Douze fractions, trois cent
cinquante-neuf bouchées, car nous ne sommes encore que le 14 nisan, veille du
jour où il y eu a trois cent soixante, Jésus a en main la trois cent
soixantième.
La première chose dont il s'inquiète en ce jour, est de
savoir si Jehoudda Is-Kérioth est arrivé. Le 14 nisan 788, à pareille heure,
arrêté à Lydda par Is-Kérioth, Bar-Jehoudda s'acheminait vers Jérusalem, les
mains liées derrière le dos, en costume royal. Un peu plus tard il était
déposé dans la cour de Kaïaphas, et le matin on trouvait Is-Kérioth étendu à la Poterie, le ventre
ouvert par Shehimon. Mais ce sont de vieilles choses sur lesquelles Jésus
veut passer l'éponge de la rémission.
1. Avant
la fête de la Pâque,
Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père,
comme il avait aimé les siens, qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'à
la fin.
2. Et le souper fini, lorsque
déjà le Diable avait mis dans le cœur de Judas, fils de Simon Iscariote, de
le livrer ;
3. Sachant que son Père lui
avait remis toutes choses entre les mains, et qu'il était sorti de Dieu et
retournait à Dieu,
4. Il se leva de table, et posa
ses vêtements[1] ; et ayant pris
une serviette de lin, il s'en ceignit.
5. Ensuite il versa de l'eau
dans un bassin, et commença à laver les pieds de ses disciples, et à les essuyer
avec le lin dont il était ceint.
L'ingénieux Cérinthe lui fait déposer ses vêtements avant
de commencer. Certes ! Toutefois le Verbe n'est jamais nu, c'est ce qui le
distingue des Juifs avant qu'il ne leur ait donné les vêtements blancs de
l'assumé. Ce que Jésus dépose surtout, c'est le manteau décrit dans l'Apocalypse.
Si le christ le voyait dans ce manteau, il reprendrait la fuite avec la même
célérité qu'au Sôrtaba ! Quant au fin lin dont s'entoure Jésus, il est
également apocalyptique, mais taillé dans la robe d'un simple martyr, de
telle sorte qu'au moment de commencer il ne lui reste plus rien de ses
vêtements lumineux. Cela se conçoit. S'il en gardait un seul, l'eau du bassin
s'évaporerait en un instant.
Quant à la cérémonie elle-même, c'est la purification
avant la pâque, avec cette différence que cette fois elle est administrée par
le Verbe lui-même à tous les disciples de l'Agneau.
Il ne peut les assumer avant de leur avoir lavé au moins les pieds, le reste
est censé avoir été lavé dans l'eau selon la formule du Joannès. On ne dit
pas par qui il a commencé, mais nous le savons, c'est par cet imposteur.
Jésus donne une leçon cruelle au malheureux Ben-Sôtada qui, dans son égarement, a commis la faute de
séparer les deux hypostases divines au point de croire que le Fils pourrait
régner sans le Père pendant mille ans. Il a invité au banquet Jehoudda
Is-Kérioth qui a combattu ce blasphème et arrêté le blasphémateur !
Ce qui étonne le plus dans ces fables, c'est le cas extraordinaire
que Jésus fait de Jehoudda Is-Kérioth, le rôle éminent qu'il lui assigne de
sa pleine science et volonté, jusqu'à le faire asseoir à côté de lui, à tremper dans le même plat,
comme dit Marc. Revenu sur la terre en la personne de Jésus, Bar-Jehoudda est
forcé de reconnaître qu'il s'est trompé en détachant le Fils du Père pendant
le Règne de Mille ans, et qu'Is-Kérioth avait raison contre toute la maison
de David. Le Verbe vient dire : Politiquement
Is-Kérioth a eu tort de t'arrêter, car tu aurais peut-être échappé ; mais
théologiquement il était dans la vérité, je ne fais qu'un avec mon Père, je
ne régnerai pas sans lui. Is-Kérioth est le seul théologien un peu
sérieux qu'il y ait eu dans l'apostolat de l'Agneau.
Jésus le couvre de son autorité.
RÉHABILITATION D'IS-KÉRIOTH ET EXÉCUTION DE SHEHIMON.
Shehimon qui conjuguait le verbe gésir depuis tantôt cent
ans, avec tout son bloc de crimes comme pierre tombale, avait grand besoin
que le Verbe nouveau style — non juge, mais sauveur. — le lavât
extérieurement et le purifiât en similitude
dans un Évangile honnête et doux. A sa grande stupéfaction, le Verbe, ôtant
son manteau de pourpre et jetant son épée, se ceignant la taille d'un linge
blanc, très blanc, après avoir versé de l'eau, beaucoup d'eau, dans un
bassin, un très grand bassin, large au moins comme le lac de Génézareth, se
met en devoir de laver les pieds de ses disciples, afin qu'ils puissent se
présenter convenablement devant le monde païen où les aigrefins juifs
désiraient les introduire. Et déjà il leur a lavé les pieds à tous, lorsqu'il
arrive devant Shehimon. A sa vue, le vieux sicaire ne peut réprimer un mouvement
non de honte et de remords (il en est
incapable), mais de frayeur ; il vient d'apercevoir au fond de leur
trou les cadavres d'Ananias et de Zaphira, et dans la Poterie celui
d'Is-Kérioth crevé par le milieu. Il prévoit qu'il n'y aura pas assez d'eau
pour lui dans le bassin du Verbe, et que le linge qui a pu suffire aux autres
ne sera pas assez grand.
6. Il vint à Simon Pierre. Et
Pierre lut dit : Vous, Seigneur, vous me lavez les
pieds ?
7. Jésus répondit, et lui dit : Tu ne sais pas maintenant ce que je fais ; mais tu le
sauras plus tard.
8. Pierre lui dit : Jamais vous ne me laverez les pieds ! Jésus lui
répondit : Si je ne te lave, tu n'auras point de
part avec moi !
9. Simon Pierre lui dit : Seigneur, non seulement les pieds, mais encore les mains
et la tête.
10. Jésus lui dit : Celui qui a été lavé n'a besoin que de laver ses pieds, et
il est entièrement pur. Vous aussi ; vous êtes purs, mais non pas tous.
11. Car il savait celui qui le
livrerait ; c'est pourquoi il dit : Vous n'être pas
tous purs.
Il est évident qu'à l'heure où Ce ri nt lie a placé son
allégorie, Shehimon, porte-parole de ses six frères, ne peut absolument rien
comprendre à une mesure de purification qui vise en partie des péchés et des
crimes à commettre dans l'avenir. Cependant il en a déjà assez commis à la
date du 14 nisan 788 pour juger préférable de ne pas demander d'explications.
Il les a lui-même prévenues en désignant les parties de son individu, les mains,
les pieds et la tête, qui lui semblent les plus digues d'exercer la patience d'un
purificateur, il juge égalaient inutile de dire que cette purification,
obtenue ici par le moyen tout terrestre de l'eau baptismale, devait se faire par
le moyen du feu céleste. S'il relève cette substitution anticipée d'un élément
à un autre, il va livrer aux goym le sens intime de l'allégorie cérinthienne. Il se tait donc. Mais dans le fond, il se
rend justice avec une franchise qui l'honore ; toute l'eau du bassin ne
suffira pas à le laver des pieds à la tête, si Jésus n'y ajoute la grâce !
Le lavement des pieds n'est, cela saute aux yeux les moins
clairs, qu'une formule de rémission empruntée au baptême. Jésus utilise le
moyen légué par le Joannès, il remet aux disciples de l'Agneau les crimes
qu'ils ont commis, mortels chez tous, car ils avaient tué, et la Loi était : Tu ne tueras pas. Cérinthe ne pouvait placer cette
scène qu'avant l'arrestation du christ baptiseur. L'Église en a conclu que le
triple reniement de Shehimon dans la
Cour de Kaïaphas lui était remis par anticipation. Pour
cela il lui a fallu toucher au texte de Cérinthe et corriger l'aveu trop
spontané de Pierre par cette subtilité qui couvre tous les apôtres : Celui qui est baigné a seulement besoin qu'on lui lave les
pieds ; pour tout le reste il est propre. (Pierre
a reconnu le contraire en ce qui le touche).
Vous êtes purs, vous, mais non pas tous. Il
savait, en effet, qui le livrerait, c'est pourquoi il dit : Vous n'êtes
pas tous purs. Cette réponse et cette explication n'ont pas le
sens commun, car Is-Kérioth est présent ; Jésus lui a lavé les pieds comme
aux autres, et les pieds seulement ; c'est donc qu'il considère le reste — et
quel reste ! les mains et la tête ! — comme plus propres que ceux de Pierre.
Ainsi le corps d'Is-Kérioth avait moins besoin d'eau que
celui de Pierre ! La tête qui aurait conçu la trahison, les mains qui
auraient palpé les trente deniers seraient encore plus pures que celles de
Pierre ! Seul son ventre a besoin d'être lave, mais c'est par le fait de
Pierre ! Ah ! Jésus est terrible pour toi, Shehimon, lorsque veut te tirer
d'infamie ! Il ne peut le faire qu'en mettant Is-Kérioth sur de meilleurs
pieds que toi !
C'est la réhabilitation d'Is-Kérioth et la condamnation de
Shehimon.
EXHORTATIONS AU SILENCE.
12. Après donc qu'il leur eut
lavé les pieds, et qu'il eut repris ses vêtements[2], s'étant remis à
table, il leur dit : Savez-vous ce que je viens de
vous faire ?
13. Vous
m'appelez vous-mêmes Maître et Seigneur ; et vous dites bien, car je le suis.
Et s'il n'ajoute pas : N'appelez
personne sur la terre votre maître et votre père, c'est pour que,
Josèphe en main, les goym ne puissent pas voir qu'ils sont en face de la
secte fondée par Jehoudda de Gamala. Autant vaudrait prendre une étiquette
sur laquelle il y aurait : Kannaïtes et Sicaires,
et la coller sur le front des sept démons de Maria. C'est peut-être ce qu il ferait s'il exerçait ses fonctions de juge, mais il
les a résignées pour ne pas être obligé d'abord de prendre celles de greffier
du Sanhédrin. Quand on gracie, c'est qu'on oublie.
14. Si
donc je vous ai lavé les pieds, moi votre Maître et votre Seigneur, vous
devez, vous aussi, vous laver les pieds 'es uns aux autres.
15. Car
je vous ai donné l'exemple, afin que, comme je vous ai fait, vous fassiez
aussi vous-mêmes.
16. En
vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n'est pas plus grand que son
maître, ni l'apôtre plus grand que celui qui l'a envoyé.
17. Si
vous savez ces choses, vous serez heureux, pourvu que vous les pratiquiez.
18. Je ne dis pas ceci de vous
tous ; je sais bien ceux que j'ai choisis[3] ; mais c'est pour que s'accomplisse l'Ecriture : Celui
qui mange le pain avec moi, lèvera contre moi son pied.
19. Je
vous le dis à présent, avant que cela arrive, afin que lorsque ce sera
arrivé, vous me croyiez ce que je suis.
20. En
vérité, en vérité, je vous le dis : Qui reçoit celui que j'aurai envoyé,
me reçoit ; et qui me reçoit, reçoit celui qui m'a envoyé.
En effet, lui seul, en sa qualité Je revenant et de prédestinateur, sait qui le livrera. Le plus inquiet de
tous, ce n'est pas du tout Is-Kérioth, comme on pourrait le croire d'après la
fable, c'est le franc-tireur du Sôrtaba et de Lydda, c'est le Joannès
lui-même, l'auteur de cette belle Apocalypse qu'il a si bien prêchée
et si mal défendue. Vient ensuite Shehimon à qui ses pieds ont été si utiles
dans la Cour
de Kaïaphas et ailleurs. Il n'est pas rassuré. Le seul qui soit à peu près
tranquille, c'est Ménahem, le roi-christ de 819 ; lui au moins a montré les Ânes aux habitants de Jérusalem. En tout cas,
qu'ils pratiquent tous une savante humilité ! Ils ne valent pas mieux les uns
que les autres, Juda ne vaut pas plus que Dan, le christ qu'Is-Kérioth !
LA
RÉMISSION DANS LES ÉVANGILES VALENTINIENS.
Jésus !es traite beaucoup plus durement encore dans les
Évangiles valentiniens ou Sagesses[4]. Et pourtant
Valentin est un juif patriote, un christien davidiste.
Mais l'ombre de Jehoudda ayant présidé ù toutes les révoltes, a tous les
refus de serment et de tribut, conseillé la malédiction, la calomnie, le
meurtre et le reste, inspiré les soulèvements de Cyrène sous Vespasien, de
Chypre et de Cyrénaïque sous Trajan, et de Judée sous Hadrien, Valentin n'a
pas voulu que Jésus menât rétrospectivement l'instruction de ces affaires où
on s'emberlificotait dans les cadavres d'Ananias, de Zaphira, de Jehoudda Is-Kérioth,
et des principaux membres de 'a famille de Hanan et de Kaïaphas. Il dit donc
toutes choses à mots couverts. Aussi l'obscurité des Sagesses les a-t-elle
protégées contre la destruction totale, mais toutes les fois qu'il y est
question des crimes et des péchés apostoliques, la dissimulation de l'Église
se réveille ; ses ciseaux fonctionnent avec la même rigueur dans le texte de
Valentin que dans celui de Cérinthe.
Dans Valentin, c'est la mère du christ, alternativement
désignée sous son nom de Salomé et sous celui de Maria Magdaléenne[5], qui questionne
le Verbe sur le châtiment réservé à ceux qui ont maudit,
calomnié et tué[6], ce qui était le
cas de toute la famille.
Après elle, son fils aîné, le plus souvent désigné sous le
nom de Joannès le Vierge, est commis, avec Pierre, Jacob, Toâmin, Andréas,
Philippe, Mathias, Thamar et Salomé junior, à l'explication des thèmes que le
premier Mystère (le Baptême, personnifié sans
doute par Jehoudda), assis sur la Montagne des Oliviers, propose à la sagacité
des initiés.
Maria peut répondre à chaque question, éclaircir chaque
allégorie. Mon esprit, dit-elle, est intelligent en tout temps, mais je crains Pierre parce
qu'il m'a menacée et qu'il hait notre sexe. Ses deux filles
n'expriment pas la même crainte ; toutefois elles ne parlent qu'autorisées
par son exemple. En principe, sauf la grande Magdaléenne, les femmes n'ont
pas la parole, car c'est par elles que la mort est entrée dans le monde.
En menaçant sa mère, dont il déteste le sexe, Pierre est
conséquent avec la doctrine paternelle dans les Paroles du Rabbi. Au
Grand jour du Seigneur, la femme ne peut être sauvée qu'en revenant à l'homme
bisexuel dont elle est sortie. De cette manière, ne pouvant plus pécher,
c'est-à-dire produire, elle ne sera plus une cause de mort pour personne[7].
Mais la grande curiosité des Sagesses, c'est la
purification des disciples, l'absolution que Jésus leur donne, car, ayant commis
tous les péchés au sujet desquels ils l'interrogent, ils tremblent à la
pensée des châtiments qui les attendent. Aie pitié
de nous ! Aie pitié de nous ! s'écrient-ils en pleurant... Sois miséricordieux pour nous, afin que nous soyons sauvés
de ces châtiments et de ces jugements, car nous aussi nous avons Péché !...
Pressé de donner à ces pécheurs un signe de purification,
Jésus n'en trouve qu'un qui leur convienne ; il consent à leur donner le baptême qui confère la rémission des péchés[8]. Sur quoi l'Église
arrive avec ses grands ciseaux et lui coupe carrément sou effet. Qu'y
avait-il en cet endroit ? La seule scène qui put calmer les remords de ces
criminels, étouffer les lamentions de ces damnés. C'est la réduction de cette
scène qu'on retrouve aujourd'hui, effacée, dissimulée presque, dans la
pénombre du Quatrième Évangile. Pour tout dire, Jésus consentait à
leur laver les pieds.
Tous ont poussé le zèle de David jusqu'au crime et jusqu'à
la folie. Il leur doit remise de peine à proportion de leur passion
dynastique. Il te sera beaucoup pardonné,
dit-il à Maria, parce que tu as beaucoup aimé.
Qui ? Israël, l'unique objet de tout ce kanaïsme
jaloux[9]. Ces forfaits
anciens, qui se les rappelle positivement ?
L'histoire. Mais qu'est-ce que l'histoire ? Une vieille aveugle qui tâte le
temps avec son bâton.
Il en faut user d'autre sorte si on veut que la Judée revive.
L'heure est à la prudence, à la patience, au calcul, et la Revanche viendra. Voici justement Sophia, la Sagesse, l'héroïne de
Valentin. Elle commencera l'éducation des christiens de l'ancienne
génération, elle leur inspirera des sentiments modelés sur une situation qui
a changé, elle les guidera à travers les Psaumes de David, qu'ils ont
négligés pour des Révélations plus orgueilleuses. Ils s'en étaient si peu
occupés qu'il faudra les faire épeler !
LES DOUZE REPENTANCES DU CHRIST, DE SA MÈRE, DE SES SIX FRÈRES, ET DE SES
DEUX SŒURS.
Le plan de Valentin ne se dessine qu'à la longue. Corriger
le fanatisme de l'Homme de lumière[10], de sa femme et
de leurs fils, ouvrir leur intelligence par la
lecture des Psaumes, comme dit Luc, réformer leurs disciples
par des révélations nouvelles, tel est le but de Jésus dans les Sagesses.
Il ne faut plus que les violents s'emparent du Royaume, — ils ont échoué, — mais
les habiles. Pour cela, qu'ils deviennent pneumatiques
adroits[11],
spirituels par opposition à leur grossier millénarisme.
Après qu'il aura refait leur éducation, Jésus lés remplira de toute la
lumière et de toute la vertu de l'Esprit-Saint qui leur a manqué pendant leur
vie.
Sophia, l'héroïne de Valentin, c'est la Judée repentante,
implorant son pardon, redemandant la liberté à Dieu contre Jupiter Capitolin.
C'est Jérusalem après Hadrien, peut-être même après Commode. C'est la Loi humiliée, vaincue, mais
pleine d'espoir dans le Verbe d'Israël. Elle supplie Jésus de venger la chute
du sanctuaire.
Sa repentance comprend douze Lamentations ; autant que de
tribus. Maria parle la première. Elle dit son affliction dans les termes où
la dit David[12] :
Ô Dieu d'Israël, c'est à cause de
toi que j'ai supporté l'opprobre, que la honte a couvert mon visage, que je
suis devenu étranger à mes frères, étranger aux fils de ma mère, car le
zèle de ta maison m'a dévoré ![13]... Sauve-moi de mes ennemis !... Ils m'ont donné l'amertume pour nourriture (le fiel de la Passion), ils
m'ont fait boire du vinaigre (le
vinaigre de la Passion)...
Courbe leur dos en tout temps, foule-les aux pieds
en ta colère ! Que leur habitation devienne déserte, que personne n'habite en
leur domaine ![14] Ne permets pas qu'ils soient comptés parmi les justes ! Le
Seigneur a entendu les pauvres et il ne méprise pas ceux qui sont dans les
liens d'airain... Dieu conservera Sion et l'on rebâtira les villes de la Judée afin que les
christiens dispersés y rentrent et qu'ils v trouvent leur héritage. La race de ses serviteurs en sera maîtresse, et ceux qui
aiment son nom y vivront.
Jésus félicite Maria de s'être initiée
si vite ; elle a parfaitement compris ce qu'est Sophia, ce qu'il est
lui-même. Le plus ardent judaïsme l'anime ; tous tes malheurs de Sophia sont
les siens ; il pleure avec elle, il répand autour de lui les mêmes
malédictions contre l'arrogant Jupiter à qui Hadrien a bâti un temple dans
Sion, contre la Bête
à face de lion qui déchire la Judée. Perdue au milieu des Dieux étrangers,
après sa première épreuve[15], c'est vainement
qu'elle a cherché des yeux son Époux pour voir s'il ne viendrait pas et ne
combattrait pas pour elle, il n'est point venu ! La voilà pour la seconde
fois retombée au pouvoir de ces démons. Dieu fasse qu'elle soit délivrée !
Jaloux des compliments que Jésus fait à Maria, Pierre
s'élance : Mon Seigneur, nous ne pouvons
souffrir que cette femme (il ne
l'appelle pas sa mère, ce serait dénoncer son père !) nous enlève la place et ne nous laisse point parler !
Et Pierre, au nom de tous, explique la seconde lamentation de Sophia[16]. Jésus l'en
félicite sincèrement : Je vous donnerai tous mes
mystères, dit-il, afin que celui que vous
introduirez sur terre (par le baptême), on l'introduise dans la lumière d'en haut, et que celui
que vous rejetterez sur terre, on le rejette du royaume de mon Père qui est
dans les cieux. — On voit que Pierre, dans les anciens thèmes, n'avait
nullement la primauté plus tard usurpée en son nom par l'Église de Rome.
C'est Thamar[17] qui explique la
troisième lamentation, après avoir demandé pardon de ses fautes. Joannès
explique la quatrième[18], après avoir
adoré la poitrine de Jésus. C'est Philippe qui explique la cinquième
lamentation. Pour la seconde fois, nombreux comme l'eau, les Romains ont pris
Sophia. En vain elle a appelé Jésus : Les Sauveurs
qui doivent venir par ton ordre (les douze
Apôtres, les trente-six Décans et les cent quarante-quatre mille Anges), est-ce qu'ils ne se lèveront pas ? et ils ne se
sont pas levés. C'est André lui explique la sixième lamentation.
Toâmin explique la septième[19]. Il laisse ses
frères parler avant lui, bien qu'il ait tout compris comme eux. Tous sont
dans la même situation que Sophia, tous ont souffert, tous ont péché, mais
tous trouvent espoir et réconfort dans les Psaumes de David, tous
demandent pardon. Le cri de Toâmin résume tous les autres cris : Que Dieu sauve Israël de ses tribulations !
Pendant un assez long intervalle, de Vespasien à Trajan,
soit quarante-cinq années, Sophia respira un peu plus à l'aise. Elle vécut en
un lieu où elle ne fut pas pressurée (l'Asie,
je crois)[20] et elle put
croire qu'elle sortirait du chaos païen pour revenir à la lumière juive. Il
semble même qu'elle se fût enhardie jusqu'à reprendre les sacrifices[21] dans un
sanctuaire rebâti avec les restes de l'édifice hérodien[22]. Mais la voyant
s'agiter pour sa liberté (révoltes sous
Trajan), l'arrogant Capitolin l'enserra plus étroitement. C'est, avec
la propagande en faveur de la circoncision[23], ce qui porta
l'Empereur Hadrien à renouveler contre la croisade juive les mesures que
Trajan avait édictées.
Et ce fut alors que la Galilée se leva sous l'effort de Bar-Kocheba,
le dernier des christs davidiques.
Elle ne savait pas,
dit Jésus, que c'est moi qui la secourais et elle
ne me connaissait pas du tout[24] ; elle continuait de chanter un hymne à la Lumière du Trésor
(le Verbe qui avait promis la Jérusalem d'or
et de pierreries) qu'elle avait vue
autrefois et en laquelle elle avait cru, et elle pensait que c'était la Lumière elle-même
qui la secourait.
Mais cette fois encore l'Epoux ne vint pas.
Telle est la huitième Repentance, et Mathias l'explique si
congrûment que, sur une intervention de Maria, Jésus lui promet une place
dans le Royaume. Vis-à-vis de tous, Jésus tiendra, mais dans le Royaume
céleste, la parole qu'il leur a donnée dans l'Apocalypse ; il leur
promet qu'ils mangeront, qu'ils boiront à sa table et qu'assis sur douze
trônes, ils jugeront les douze tribus d'Israël, Cela viendra, mais seulement
quand sera atteint le nombre que Dieu s'est fixé lui-même pour la consommation
de la matière dont est fait le monde.
Jacob senior explique la neuvième lamentation, relative au
changement du nom de Jérusalem en Hélia Capitolina, et par cela même une des plus curieuses. Non
content de ravir sa puissance à Sophia, fille du Soleil, Hadrien lui a pris
la sainte lumière de son nom pour lui substituer les rayons tout païens d'Hélia (Ælius
prénom d'Hadrien) Capitolina (surnom du Jupiter romain), parodie cruelle,
vengeance d'une ironie féroce ! Ils ont ouvert leur
bouche contre moi, me parlant avec ruse, et furieux parce que j'ai cru à la Lumière qui est
dans les hauteurs. Ils ont dit : Oui, nous enlèverons sa lumière !
Jacob, après avoir baisé la poitrine de Jésus[25], — il est le
seul avec Joannès — implore de lui l'épée que David demande à Dieu dans les
Psaumes pour délivrer Jérusalem.
Comme il a bien compris la Repentance ! Et comme
Maria est fière ! Lequel
préférer des sept fils que Jésus lui a donnés ? Avec sa permission, elle
déclare que par la parole : Les premiers seront les
derniers, et les derniers seront les premiers, il faut entendre qu'ils
primeront là-haut[26] tous les dieux
et les anges de la Première Création. Simplement !
Cette perspective les console un peu des malheurs de
Sophia, lesquels ne sont point finis avec le siècle d'épreuves que couronne
la grande dispersion après Hadrien. Sophia retombe dans le chaos où quatre
émanations de Jupiter la tourmentent principalement ; l'émanation à la face
de Lion (le procurateur d'Hadrien), le
grand Serpent (le général Severus),
un Serpent-Basilic (celui de l'Apocalypse),
ayant sept têtes (Rome et ses sept collines)
et un dragon (Titus Aunius
Rufus). Adamas le Tyran qui a renversé Sophia par terre dans une grande ruine
c'est certainement Adrien, et les beaux jours où elle a foulé aux pieds le
serpent et le basilic à sept têtes, le lion et le dragon, sont bien les jours
de victoire qu'a connus Bar-Kocheba, La ruine qui s'en est suivie n'est
qu'une purification de plus pour le lieu saint.
A Pierre appartient l'explication de la dixième
lamentation où Sophia raconte que, pendant ses épreuves, elle a été secourue
en secret par Jésus, car elle n'a pas été dupe de la ressemblance de l'Hélia romaine avec la juive ; elle n'est pas tombée dans
le piège que cache le jeu de mots d'Hadrien, elle est restée fidèle an Verbe
d'Israël. A Salomé[27], la onzième
lamentation où Sophia dit que la nouvelle victoire de Jupiter et de la langue
perfide (la langue latine) ne l'a point ébranlée, A André, la douzième où elle appelle
le châtiment sur tous les apostats (Saül est
certainement de ceux-là !) et la miséricorde sur tous les dispersés. A
Thamar une treizième et dernière lamentation où Sophia demande le baptême à
Jésus, soit la rémission de ses péchés avant de pénétrer dans la lumière du
troisième ciel.
Ayant accompli la Repentance dont les douze voix correspondent
aux douze Æons, patriarches des tribus, voilà Sophia revenue à son point de
départ, après des épreuves dans lesquelles, malgré ses erreurs, elle n'a
cessé de chanter l'hymne christienne[28]. Que Jésus la reçoive ! Que par d'épaisses ténèbres, il
arrête Jupiter dans sa poursuite !
A Salomé[29], l'explication,
prise à Salomon, des Paroles de Sophia revenue dans la lumière natale. Que ceux qui poursuivent Sophia tombent et ne la voient
point ! Qu'un nuage de fumée couvre leurs yeux et qu
une tempête de vent les aveugle ! Que ce qu'ils ont comploté contre moi tombe
sur eux ! Des puissants (les Parthes) les ont vaincus et ce qu'ils avaient préparé Méchamment
est tombé sur eux ! Nous voilà sous Marc-Aurèle, et peut-être plus
avant dans l'histoire, à quelque tournant difficile des expéditions parthiques.
Valentin termine par une description de la Terre de lumière et des
hiérarchies auxquelles préside l'Ineffable ; Jésus fait l'éducation des
disciples là-dessus. Il les pneumatise, les rend
sensibles aux choses de l'Esprit. Mais ils tombent dans le plus profond
abattement et désespèrent de comprendre. D'ailleurs ce n'était pas
nécessaire, l'Église les en a dispensés, comme elle en a dispensé ses
ouailles.
LE PRINCE DES APÔTRES AU TEMPS DE CÉRINTHE, ET LE PSEUDO-PAPE CLÉMENT,
SUCCESSEUR DE PIERRE.
Nous avons quitté le Jésus de Cérinthe au moment où il
exhorte les disciples de l'Agneau à se taire dans l'intérêt de la spéculation
fondée sur le baptême.
21. Lorsqu'il eut dit ces
choses, Jésus fui troublé en son esprit, puis il parla ouvertement et dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, un de vous me
livrera.
22. Les disciples donc se
regardaient l'un l'autre, incertains de qui il parlait.
23. Or un des disciples de
Jésus, que Jésus aimait, reposait sur son sein.
Dans le texte primitif il y avait : Celui que Jésus aimait plus que les autres[30], en un mot, le
prince des apôtres, plus haut nommé le Prince du monde
Ce disciple, vous
le savez déjà, c'est Bar-Jehoudda lui-même, le christ baptiseur.
En tant que martyr, il est dans le sein de Jésus avec son
père, son oncle, son frère Jacob junior, et Eléazar, Son beau-frère, qui l'y
ont précédé avant sa crucifixion, Mais en tant que roi, à la date du 14
nisan, il est enfermé dans la cour de Kaïaphas. Tant que le Quatrième
Évangile a été connu pour être de Cérinthe, c'est-à-dire tant que Jésus a
été pour tout le monde un être sans consistance physique, on a convenu que ce
disciple, en apparence privilégié, n'était en somme que le cinquième des
assumés, voire le sixième, si l'on compte sa belle-sœur, la fille de Jaïr. Il
vous souvient qu'Hyménée et Philète sont vivement repris
dans la Lettre à Timothée pour avoir rendu hommage à cette vérité[31]. Vérité si éclatante
que l'Église elle-même s'est trouvé obligée d'y opposer le faux témoignage de
dément, pseudo-pape et pseudo-successeur du pseudo-Pierre à Rome. Dans les Constitutions
apostoliques, cet imposteur, sur lequel repose toute la papauté de Pierre
et par conséquent toute l'Église romaine, se donne carrément comme avant
assisté à la fois à la Cène selon Cérinthe et à la pâque selon les trois
Synoptisés, c'est-à-dire aux Banquets fictifs des 14 et 15 nisan. Son récit
prouve irréfragablement qu'au troisième ou au quatrième siècle (il ne peut être antérieur) le Quatrième
Évangile n'était déjà plus de Cérinthe, et qu'un imposteur audacieux
pouvait s'attribuer le mérite d'avoir appuyé sa tête sur le sein de Jésus
pendant le banquet de rémission sans risquer d'être immédiatement confondu.
Clément s'attribue complètement le rôle du disciple que
Jésus aimait par dessus tous. De plus il a sous les yeux les trois
Synoptisés.
Vous avez vu que de tous les Evangélistes Cérinthe est te
seul qui place franchement sa Cène avant la pâque et qui, à plusieurs
reprises, découvre le fond de son allégorie en identifiant le Joannès-avec
Jésus, sauf dans les parties où celui-ci sort du christ pour reprendre son
rôle de Verbe immortel. Le Repas de rémission et l'épisode dans lequel Jésus,
parlant à sa mère selon le monde, lui rend ait pied de la croix son fds selon
le sang, voilà les deux épisodes dans lesquels Cérinthe dénonce le plus
clairement le procédé de composition non seulement de son Évangile, mais des
trois autres. C'était, en quelque sorte, une clef qu'il tendait. Clément la
prit, la fourra dans sa poche épiscopale et vint dire : Le disciple bien-aimé, c'est moi ! Ceux-là sont des
méchants qui osent identifier le christ avec le Joannès baptiseur, et dire
que Jésus, c'est l'image du Verbe dans le corps du Joannès, fils aîné de
Maria Magdaléenne, et pseudonyme apocalyptique de Bar-Jehoudda, fils aine de
Jehoudda le Gaulonite.
J'étais l'un des Douze,
dit Clément, et il m'aimait plus que les autres ![32]
Donc plus que Pierre lui-même ! Plus que Jacob senior,
plus que Jacob junior, plus que Jehoudda Toâmin, plus que Philippe et plus
que Ménahem ! Le prince des apôtres, c'est celui qui, dans Cérinthe, repose
sur le sein de Jésus. Voilà l'aveu et signé de qui ? De Clément, successeur
de Pierre !
LE VRAI TRAÎTRE.
Pierre connaît trop la Loi et l'histoire pour ne pas donner la parole
à son aîné. C'est à lui qu'il demande quel est celui dont parle Jésus comme
ayant trahi le Verbe.
24. Simon Pierre lui fil donc signe
et lui dit : Qui est celui dont il parle ?
25. C'est pourquoi ce disciple
s'étant penché sur le sein de Jésus, lui dit : Seigneur,
qui est-ce ?
Pourvu que ce ne soit pas lui ! Il en a la langue toute sèche.
Si Jésus lui-même ne vient à son secours par un change,
il est perdu, c'est lui que l'histoire va nommer, et par son nom de
circoncision ! Ainsi, le 14 nisan 788, veille de la grande Pâque manquée, le
christ ignorait encore et qu'il serait arrêté et par qui il le serait. Aucun
Is-Kérioth n'avait assisté à son sacre, aucun ne tenait la bourse pour le
rétablissement de la dynastie davidique, aucun n'avait critiqué l'emploi des
parfums contenus dans le vase, aucun n'en avait estimé le prix, aucun n'était
voleur. Celui qui avait trahi le Verbe, après avoir trahi Hérode Antipas[33], c'est Bar-Jehoudda
lui-même !
Si Jésus, avec sa connaissance de l'histoire et son pouvoir
de prescience, n'élit pas un autre traître, le Joannès est dans le lac de
Génézareth, où d'ailleurs il serait aussi bien qu'à Machéron. Mais comme les
cadavres ont promis de ne pas réclamer, il est parfaitement tranquille.
Is-Kérioth n'est traître que dans le sens de tradere, livrer.
C'est lui qui a livré Bar-Jehoudda. Mais qui a trahi
réellement le Verbe ? Qui a fui le champ de bataille de toute la vitesse de
ses jambes ? Qui a abandonné au fer de Pilatus les disciples de l'Agneau ?
Qui, après de si grandes prophéties, a été si petit devant le danger ? Qui
Is-Kérioth a-t-il trouvé aux environs de Lydda, se dirigeant vers Juppé dans
ses vêtements de pourpre ? Le Verbe pourrait le dire ; mais son silence est
d'or, comme devait être Jérusalem après les Anes de 789. Il préfère donner le
change aux goym par le moyen que voici.
IS-KÉRIOTH DANS LE RÔLE DU SERPENT-CHRONOS[34].
26. Jésus répondit : C'est celui à qui je présenterai du pain trempé. Et
ayant trempé du pain, il le donna à Judas Iscariote, fils de Simon.
27. Or après une bouchée, Satan
entra en lui et Jésus lui dit : Ce que tu fais,
fais-le vite.
28. Mais aucun de ceux qui
étaient à table ne sut pourquoi il lui dit cela.
29. Car quelques-uns pensaient
que comme Judas avait la bourse, Jésus lui avait dit : Achète ce dont nous avons besoin pour la fête[35], ou donne quelque chose aux pauvres.
30. Judas, ayant donc pris cette
bouchée, sortit aussitôt. Or il était nuit.
Où Jésus a-t-il trempé le pain ? Ce n'est certainement Pas
dans le bassin où il a lavé les pieds à ses invités. C'est dans une cruche
que nous ne voyons pas ici ; mais que les Synoptisés nous montreront sur la
tête du Zibdéos dans leur allégorie pascale[36].
Aucun des convives n'y comprend rien, excepté Cérinthe qui
a dressé la table et disposé la fatale bouchée, la trois cent soixantième et
dernière bouchée de l'année 788, la bouchée que Jésus — il nous a assez dit
qu'il était le Pain du ciel ! — réservait à Is-Kérioth. Aussi n'a-t-elle
guère profité à celui-ci. Shehimon lui a fait passer le goût du pain avant
que l'Étoile du matin n'annonçât l'aurore du 14 nisan. Lorsque le soleil
s'est levé sur cette lugubre journée, il a vu Is-Kérioth, à la Poterie, crevé par le
milieu.
L'Évangéliste a encore une fois donné le change aux goym.
Cependant ceux-là ne sont pas dupes qui timent Judæos et dona ferentes. Jésus a trempé la bouchée dans la
cruche du Zibdéos ou Verseau, laquelle cruche est sous une autre
forme le cinquième des pains que l'enfant-christ tient dans sa main sur le
Tabor. Dans ces conditions on peut être certain que celle bouchée ne réussira
pas à celui qui l'a prise. Jésus le guette depuis le 25 février, date à
laquelle il y a encore cinquante bouchées à tremper dans la cruche qui a fini
avec le 14 nisan 788[37]. En effet il
vous souvient qu'Is-Kérioth lui-même a estimé trois cents deniers celles que
le Serpent-Chronos avait déjà consommées à la date du sacre. Jésus est dans
Bar-Jehoudda depuis 777, date de sa descente ; mais Satan n'est entré dans
Is-Kérioth qu'au dernier jour de 788, qui a été le premier de sa trahison et le dernier de sa vie.
LE PAPE CLÉMENT DANS LE RÔLE DU CHRIST.
Il fallait que quelqu'un se dévouât pour remplacer le christ
sur le sein de Jésus. Il fallait que, confondant le Banquet du 14 avec celui
des Synoptisés qui se passe le 15, quelqu'un témoignât que c'était une seule
et même chose, une pâque, à laquelle il avait assisté et où il avait constaté
la présence en chair de Jésus.
Penché sur sa poitrine,
dit Clément[38], je le priais de dire qui le livrerait[39]. Le bon Maître[40] ne nous dit pas le nom de celui-là, mais il le désigna de
deux manières : celui qui met la main au plat avec moi[41] et celui à qui je tiendrai le morceau trempé[42]. Judas ayant demandé : Est-ce moi, Seigneur ? le
Maître ne répondit pas : Vraiment, mais Tu l'as dit[43], et dans le désir de le frapper de crainte à ce sujet, il
ajouta : Malheur à celui qui livrera le fils de l'homme ; mieux vaudrait
pour lui qu'il ne fût point né[44]. A ces paroles Judas se leva et s'en alla vers les
prêtres dont il reçut trente pièces d'argent[45]. Et le cinquième jour de la fête[46], comme nous mangions la Pâque[47] avec le Seigneur, Judas s'en étant allé dans la nuit,
après avoir et mis la main au plat et accepté la bouchée[48], le Seigneur nous dit : Voici l'heure où vous vous
disperserez, me laissant seul. Chacun affirma qu'il ne l'abandonnerait
point. Pour moi, je déclarai à Pierre que j'étais prêt à mourir avec lui. A
quoi le Seigneur répondit : En vérité, je te le dis, avant que le coq
chante, tu nieras trois fois que je sois connu de toi. Après avoir
transmis l'ébauche du mystère de l'Eucharistie, — Judas n'était pas avec nous[49], — il se transporta au Mont des oliviers, près du torrent des
Cèdres, où était le jardin ; nus étions avec lui et nous chantâmes l'hymne
selon notre habitude[50]. Et Clément
continue ainsi sur le mode oculaire jusqu'à la résurrection, pillant à son
profit les Évangiles.
C'est donc l'Église de Rome qui a introduit dans Cérinthe
la fameuse phrase dont l'auteur déclare avoir été témoin de tout ce qu'il
raconte.
Clément s'est dévoué, il a menti avec l'approbation de
toute l'Église, il a été le premier bénéficiaire de son imposture. Si on la
lui a commandée, il a dit la vendre cher, et pour tout dire il n'y a qu'un
pape, le premier, pour avoir osé cela. Un homme qui fait une pareille piperie
n'en partage les fruits avec personne au-dessus de lui.
Celui qui a fait le faux, c'est celui qui a inventé Pierre
pape. Celui qui a inventé Pierre pape, c'est le prince anonyme des évêques de
Rome, et on peut juger de sa piété, de son honnêteté, de sa bonne foi, quand
on réfléchit que pour réussir il n'a pas hésité à s'attribuer dans l'Église
le rôle du Juif consubstantiel au Père !
INVENTION DE JOCHANAN ÉVANGELISTE
Quand on eut mis la main sur le texte de Cérinthe, on put
se passer du faux témoignage de Clément. Clément s'était illustré, il avait
menti dans l'intérêt de la recette, mais maintenant il tenait trop de place,
il jouait le rôle du premier-né de Maria, du prince des Sept. Comme personne
ne niait que le bien-aimé de Jésus ne fût le christ lui-même dans sa fonction
de Joannès, il n'y avait qu'un moyen, c'était de faire que ce Joannès ne fût
plus le Baptiseur. Rien de plus facile, il n'y avait qu'à le dédoubler. On
déclara donc que celui qui reposait sur le sein de Jésus était un second
Joannès, non baptiseur, et fils d'un nommé Zébédée sur lequel on ne savait
rien de certain, quoique les dédoubleurs sussent Pertinemment que ce Zébédée,
c'était le Zibdéos, le père des sept pécheurs d'hommes dont le Baptiseur
était l'aîné. Jochanan Evangéliste n'existe donc que depuis la destitution de
Clément comme apôtre. Mais qu'importe à Clément, puisque d'autre part on le
conserve comme pape et successeur de Pierre ? C'est encore un beau poste !
Que les gogoym soient mystifiés d'une façon ou de
l'autre, qu'importe, s'ils le sont irrémédiablement ? Clément y gagne,
puisque, si on identifie l'individu qui repose allégoriquement sur le sein de
Jésus, il n'y a plus d'Église, partant plus de papes !
Cette invention devait coûter du à l'honneur Verbe le même
prix que celle des sept démons de Maria à l'honneur de la Vierge-Marie ; Jésus,
qui n'existe pas, est soupçonné de mauvaises mœurs, la mère du christ réel a été
accusée d'adultère par les Juifs ignorants et par les libres-penseurs, et
aujourd'hui encore elle l'est de Sept sortes de vices par l'Église ! Pour
fortifier l'invention de Jochanan Evangéliste, substituée au faux témoignage
de Clément, l'Église a été forcée de dire — nous empruntons la phrase à l'édition
du Saint-Siège — que les Juifs alors se mettaient à
table couchés sur des lits, et placés les uns au-dessous des autres, en sorte
que saint Jean, le disciple que Jésus aimait, placé au-dessous de
Jésus-Christ, devait avoir la tête sur le sein du Sauveur.
Ayant le respect de votre pudeur, je n'ose rapporter les
exégèses dont cet incubitus
a été l'objet. Cependant, comme il faut montrer à quel point l'imposture
ecclésiastique a été dommageable à celui dont elle fait un dieu, je transcris
l'interprétation de Proudhon, un des esprits les plus graves qui se soient
exercés sur cette matière. L'auteur, dit
Proudhon[51],
revient sur cet amour de prédilection de Jésus pour
le jeune saint Jean-Quelques critiques ont à ce sujet, et fort mal à propos,
élevé des doutes sur l'honnêteté de est amour de Jésus pour son jeune
disciple. Pour moi, ce passage et celui du chapitre xxi me donnent une
nouvelle preuve que l'Évangile attribué à Jean est l'œuvre d'un Juif converti
qui hellénisait, et qui trouva d'autant plus beau de prêter à Jésus un de ces
amours, d'ailleurs très chastes, comme en eurent presque tous les grands
hommes de la Grèce,
Socrate pour Alcibiade, Epaminondas pour Micythus,
Alexandre pour Ephestion. Dans les idées grecques,
ces sortes d'amours, en tant du moins qu'ils n'allaient pas jusqu'à l'union
contre nature, étaient la forme sous laquelle ils concevaient l'amour pur, et
ceux qui le cultivaient s'en honoraient. Mais ne me paraît pas que de telles
mœurs aient été comprises ni reçues chez les Juifs ; les Juifs étaient lascifs,
mais non pédérastes[52]. On comprend, d'après cette histoire de l'amour de Jésus
pour Jean, comment celui-ci est devenu l'apôtre de la charité ; Jean est
l'Antinoüs du christ et le Cupidon de la religion nouvelle, dont la Vierge est la Vénus.
Lorsqu'on lit de telles choses (et signées Proudhon), on ne peut s'empêcher de reconnaître
que les Juifs ont gagné leur pari de donner aux goym des yeux pour ne pas
voir et des oreilles pour ne pas entendre !
COMMANDEMENTS ANTI-JEHOUDDIQUES.
31. Lorsqu'il fut sorti, Jésus
dit : Maintenant le fils de l'homme a été glorifié,
et Dieu a été glorifié en lui[53].
32. Si Dieu a été glorifié en
lui, Dieu aussi le glorifiera en lui-même, et c'est bientôt qu'il le
glorifiera.
33. Mes
petits enfants, je ne suis que pour peu de temps encore avec vous. Vous me chercherez,
et comme j'ai dit aux Juifs : Où je vais, vous ne pouvez venir ; je vous
le dis aussi à vous maintenant.
34. Je
vous donne un commandement nouveau ; c'est que vous vous aimiez les uns les
autres ; mais que vous vous aimiez les
uns les autres comme je vous ai aimés.
35. C'est en cela que tous connaîtront que vous êtes mes
disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres.
Aimez-vous les uns les autres.
Voilà un commandement fort ancien, mais tout nouveau, en ce sens que Jehoudda
et ses fils n'y avaient point songé, quoiqu'il fût dans la Loi avec les autres
articles, Jésus ne peut se flatter qu'il aurait été compris. Si c'est le
chemin du ciel, aucune de ses ouailles ne connaît ce chemin-là. Comme celles
de 788, elles attendent encore le Royaume de la haine. Après tout ce qui
s'est passé depuis, s'il va falloir s'aimer, ce sera dur !
Ceci nous vaut un discours de Jésus que Cérinthe ne reproduit
pas :
Dans les desseins que je vous ai
révélés lorsque nous étions tous millénaristes, je vous ai dit que je
baptiserais de feu Bar-Jehoudda pour !e rendre semblable à moi-même, et je
n'en ai rien fait. Je vous ai dit que je vous montrerais mon Père après mille
ans, et je ne vous l'ai pas plus montré que moi-même. J'ai été vaincu,
persécuté, crucifié, dispersé en vos personnes, et celui qui est venu, ce
n'est pas moi, c'est l'Antéchrist sous le nom de Tibère et de Caligula, de
Claude et de Néron, de Vespasien et de Titus, de Domitien et de Nerva, de
Trajan, d'Hadrien et du divus Antoninus
sous lequel nous sommes en ce moment. Je prends la parole pour vous dire
qu'après mûre réflexion je ne viendrai pas autrement que sur le papier.
Jehoudda Is-Kérioth s'en est bien douté qui jadis a suivi le parti le plus
raisonnable. Vous lui avez attribué l'échec de vos prophéties et de vos
espérances. Vous l'avez assassiné, et dans le fond je suis loin de vous en
faire un reproche, puisque je vous ai lavé et la tête qui a conçu le projet
et les mains qui l'ont exécuté. Mais l'état du christianisme n'est pas si
florissant que vous puissiez vous entredéchirer de secte à secte, et donner
tout l'avantage à nos détracteurs par vos sanglantes querelles. Aucun de vous
n'est exempt de fautes graves, je dirais de crimes abominables, si, en ma
qualité de Jésus, je n'étais pas encore plus juif que vous.
Je vous avertis donc que je ne
viendrai pas régner sur vous comme je vous en avais d'abord exprimé la résolution
consignée dans toutes vos Apocalypses. Vous ne le semblez pas suffisamment
préparés à mon Royaume par votre éducation et par vos mœurs. Je retourne au
ciel d'où jadis vous m'avez tous vu prêt à descendre. Vous accusez Is-Kérioth
d'avoir trahi, mais le vrai traître, après Bar-Jehoudda toutefois, c'est moi,
qui ai si catégoriquement refusé de descendre dans la chair triomphante du
Fils de l'homme. Le Baptiseur à qui vos scribes ont donné mon nom, —
ce qui, soit dit en passant, ressemble fort à une usurpation, — le Baptiseur a été puni de son outrecuidance et de ses
crimes par mon Père aidé de Pilatus. Toi, Jacob, toi, Shehimon, toi, Ménahem,
et tant d'autres que je vois rassemblés en ce champ de supplice, vous avez
été punis de même. Maintenant que je vous ai lavés tous en commençant par les
pieds, — ablution qui m'a sali sans vous
blanchir, — je retourne vers mon Père, il
m'attend avec une impatience qui n'est peut-être pas sans inquiétude, quand
il considère vos mains tachées de sang et vos yeux pleins d'atroces désirs !
DOMINE, QUO VADIS ?
Shehimon envisage ce départ avec inquiétude. Ce Verbe qui
devait régner raille ans, incarné dans son christ, et qui parle maintenant de
s'en aller comme il est venu ! Shehimon a beau avoir les pieds propres, il a
toujours la tête pleine de l'Apocalypse de son frère, il est désorienté.
Ce n'est pas à Rome, dans l'imposture ecclésiastique du
cinquième siècle, que Pierre dit son fameux : Domine, quo vadis ?, c'est à
Jérusalem, dans l'allégorie valentinienne par où on essaie de le convertir au
Royaume spirituel : Seigneur, où vas-tu ?
demande Pierre. — Là où je vais, tu ne peux
maintenant me suivre, répond Jésus, mais tu
m'y accompagneras plus tard, c'est-à-dire au dernier jour seulement.
Perspective sans charme et pour laquelle il faut sacrifier tout le programme
du Royaume des Juifs, du Premier Jugement et de la Première
Résurrection, en un mot tout ce qui faisait le
christianisme de Bar-Jehoudda. Au surplus Shehimon demande une chose
impossible. A la date du 14 nisan 788 il n'est pas encore mort. Jésus,
quoiqu'il soit en tournée de résurrection, ne peut encore faire avec lui
comme avec Eléazar. Pour la même raison il est obligé d'attendre encore
quatre jours pour pouvoir ressusciter Bar-Jehoudda. Eléazar a de la chance,
il est mort, lui !
Du reste, si le dialogue est valentinien, comme il y a
apparence, Jésus ne prendra livraison de Shehimon qu'après trente Æons,
trente Cycles de mille ans à compter du commencement des choses, et il n'y en
a encore qu'onze d'accomplis. Le douzième va commencer le lendemain, à six
heures du soir, et Bar-Jehoudda le passera tout entier dans la mort, après
l'avoir inauguré sur la croix. C'est là un dispositif dont Shehimon n'a
aucune connaissance le 14 nisan.
36. Simon Pierre lui dit : Seigneur, où allez-vous ? Jésus répondit : Où je vais, tu ne peux me suivre à présent ; mais tu me
suivras plus tard.
37. Pierre lui dit : Pourquoi ne puis-je vous suivre à présent ? Je donnerai ma
vie[54]
pour vous.
38. Jésus lui répondit : Tu donneras ta vie pour moi ? En vérité, en vérité, je te
le dis, un coq ne chantera pas que tu ne m'aies renié trois fois.
Un coq, un certain coq dont le cri fut lugubre !
Il faut en effet que Shehimon passe par l'épreuve d un
triple reniement avant de pouvoir suivre Jésus là où il va, où il retourne
plutôt. Et puis, malgré toute sa Puissance, Jésus ne peut guère assumer le 14
nisan 788 un homme qui n'a été crucifié qu'en 802. C'est pourquoi il ne
répond pas, car ce n'est pas répondre. D'ailleurs il n'a pas très bien
entendu, car Shehimon parle la bouche pleine. Shehimon, lui aussi, a sa
bougée, et elle est amère !
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