CHAPITRE XII. — (XI DES ÉDITIONS ECCLÉSIASTIQUES). MORT D'ÉLÉAZAR ET
DÉMANGEAISON DE LA CROIX
CHEZ TOÂMIN.
1. Or il y avait un certain
malade, Lazare, de Bathanée, du bourg où demeuraient Maria, et Marthe, sa sœur.
2. (Maria était celle qui oignit
le Seigneur de parfum, et lui essuya les pieds avec ses die veux ; et Lazare,
alors malade, était son frère.)
Les personnages en présence sont Salomé, mère de Bar-Jehoudda,
Thamar, sa fille, et Eléazar, son gendre. Le passage a été remanié lorsque
l'Église a décidé d'enlever le surnom de Maria Magdaléenne à Salomé, et de
faire qu'Eléazar ne fût plus que le frère de Thamar. Au surplus, dans le
système de Jehoudda, un mari doit être dit frère de sa femme, puisque c'est
Dieu qui est leur père à tous deux[1]. Dans les Lettres
de Paul aux Corinthiens les femmes des frères du christ sont dites leurs
sœurs, et après la conversion de Saül en jehouddolâtre sous le nom de Paul sa
femme fut dite sa sœur en vertu du même principe. Si la Maria nommée ici était
Maria Cléopas, sœur de Thamar, Cérinthe ne dirait pas sa sœur en parlant d'elle et de son frère, il dirait ses sœurs.
Ses sœurs, les voici à leur tour.
3. Ses sœurs donc envoyèrent
dire à Jésus : Seigneur, voilà que celui que vous
aimez est malade.
4. Ce qu'entendant, Jésus leur
dit : Celle maladie ne v a pas à la mort, mais elle
est pour la gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu en soit glorifié.
5. Or Jésus aimait Marthe, et sa
sœur Maria, et Lazare.
6. Ayant donc entendu dire qu'il
était malade, il demeura toutefois deux jours encore au lieu où il était[2] ;
7. Et après cela, il dit à ses disciples :
Retournons en Judée.
8. Les disciples lui dirent : Maître, tout à l'heure les Juifs cherchaient à vous
lapider[3], et vous retournez lu ?
8 bis. Sur quoi Toâmin,
qui est appelé Didumos, dit aux autres
disciples : Allons, nous aussi, afin que nous
mourions avec lui.
Jésus entend la demande des disciples et la proposition de
Jehoudda Toâmin, jumeau de nom du christ, mais il ne trouve point opportun de
s'engager dans la voie des aveux, il détourne la conversation. Et puis il y a
une question de salaire apocalyptique[4] à trancher en
faveur d'Eléazar qui est mort avant Bar-Jehoudda.
9. Jésus répondit : N'y a-t-il pas douze heures dans le jour ? Si quelqu'un
marche pendant le jour, il ne se heurte point, parce qu'il voit la lumière de
ce monde.
10. Mais
s'il marche pendant la nuit, il se heurte, parce qu'il n'a point la lumière.
Puisqu'il a pria le corps d'un homme qui a vécu, il parle
en homme. Mais il agit en Dieu. C'est pour Bar-Jehoudda et pour ses pareils
qu'il y avait douze heures au jour et douze heures à la nuit, on le leur a
fait bien voir, notamment le jour du Sôrtaba et la nuit de la préparation à
la pâque ; Jésus dans sa barque et sur les montagnes, que ce soit le Tabor ou
Sion, le leur fait bien sentir. Mais pour lui, qui est la Lumière du monde,
le Jour de vingt-quatre heures et le Jour de mille ans, il n'y a pas de nuit.
Jehoudda Toâmin le sait mieux que personne, lui qui avec son frère Philippe a
copié et recopié les Paroles du Rabbi. Tout le chapitre a subi des
modifications profondes lorsque l'Église a dépouillé Cérinthe, et tiré
Jochanan Evangéliste de la côte du Joannès baptiseur.
Sans aucun respect pour le caractère intangible des Ecritures,
nous n'avons pas hésité à remettre à sa vraie place la phrase dans laquelle
Jehoudda Toâmin, avec une jactance qui étonne, déclare vouloir monter à
Jérusalem pour mourir avec son frère aîné, Toâmin, nous l'avons dit, était didumos de Bar-Jehoudda, il était son jumeau de
nom, son homonyme. Loin de mourir avec Bar-Jehoudda, Jehoudda Toâmin fut de
ceux qui rebroussèrent chemin au Sôrtaba et remontèrent jusqu'à Damas,
pendant que son didumos allait se
faire arrêter dans Lydda, Mais cette circonstance n'était pas exploitable
contre Toâmin, taudis que, la crucifixion d'un Jehoudda étant dans Josèphe et
sous ce nom, il y avait intérêt à jouer de l'harmonie des deux frères. A qui
viendrait dire : Le crucifié de Pilatus était fils
de Jehoudda le Gaulonite, on répondrait : Il
est possible qu'un des fils de Jehoudda ait été mis en croix à la suite du
massacre des Galiléens dans le Temple, les exécutions furent nombreuses, mais
c'était Jehoudda Toâmin, frère jumeau d'on ne sait lequel. Et comme,
sous le nom de Jésus, l'aîné avait fini par devenir fils unique d'un nommé
Joseph de Nazireth qui lui-même avait rétrocédé sa paternité a Dieu, les goym
n'avaient plus qu'à rentrer sous terre avec leurs calomnies. Rapproché de ce
nom de Jehoudda, celui de Lydda où il avait été arrêté pouvait encore servira
ces méchants ; on déclara que c'était celui de la sœur dont Toâmin était le
jumeau, une certaine Lydda ou Lydia ![5]
11. Il leur parla ainsi, et ensuite
il leur dit : Lazare, notre ami, dort ; mais je vais
le tirer de son sommeil.
12. Or ses disciples lui dirent :
Seigneur, s'il dort, il guérira.
13. Jésus avait parlé de sa
mort, mais eux crurent qu'il parlait de l'assoupissement du sommeil.
14. Alors Jésus leur dit
clairement : Lazare est mort ;
15. Et
je me réjouis à cause de vous, de ce que je n'étais pas là, afin que vous
croyiez ; mais allons à lui.
10. Sur quoi Toâmin, qui est
appelé Didyme, dit aux autres disciples : Allons,
nous aussi, afin que nous mourions avec lui.
La phrase n'a plus aucun sens, placée ici. Elle couvre
tout ce monde du ridicule le plus épais, Toâmin surtout qui parle d'aller
mourir avec un homme dont Jésus annonce la résurrection pour le lendemain. On
ne comprend rien à cet imbécile qui prend au tragique une chose qui est un
sujet de joie pour Jésus et d'édification pour toute la secte. La
résurrection d'Eléazar est statutaire, comme celle de Bar-Jehoudda dans les
Synoptisés ; Toâmin a fait ses exercices de scribe là-dessus, ce n'est pas à
lui qu'on peut en remontrer. C'est pour lui faire plaisir que Jésus ne se met
en route que dans la nuit du troisième au quatrième jour, son jour de Genèse[6]. Aucun des fils
de Jehoudda n'est avec lui, il est seul quand il part et seul quand il
arrive. Mais quoi ! comme pendant la nuit de la traversée en barque, n'a-t-il
pas vu clair la nuit ? Comment Toâmin pourrait-il douter de cela, lui qui a
copié l'Apocalypse dans laquelle son père et son oncle sont
ressuscites au matin du quatrième jour ? Il sait d'avance que son beau-frère
sera debout dès l'aurore.
LA
RÉSURRECTION D'ÉLÉAZAR BAR-JAÏR.
17. Jésus vint donc, et il le
trouva mis dans le sépulcre depuis quatre jours.
18. [Or Béthanie était près de
Jérusalem, à environ quinze stades[7]].
19. Cependant beaucoup de Juifs
étaient venus près de Marthe et de Maria, pour les consoler de la mort de
leur frère.
20. Marthe donc, dès qu'elle eut
appris que Jésus venait, alla au-devant de lui ; mais Maria se tenait dans sa
maison.
21. Et Marthe dit donc à Jésus :
Seigneur, si vous eussiez été ici, mon frère ne
serait pas mort ;
22. Cependant,
maintenant même, je sais que tout ce que vous demanderez à Dieu, Dieu vous le
donnera.
23. Jésus lui répondit : Votre frère ressuscitera.
24. Marthe lui dit : Je sais qu'il ressuscitera à la résurrection, au dernier
jour.
Devant le monde Thamar ose une restriction que l'avenir
justifiera ou non, mais c'est pour rire. Car le christ est là, revenant dans
le Verbe lui-même, et Jehoudda Toâmin parle bien de mourir avec lui, mais a
la condition, lui aussi, de ressusciter à la pâque prochaine. Jésus se montrera
tel qu'il est dans l'Apocalypse, il rétablira le dogme tel qu'il l'a
révélé aux frères de Thamar, femme d'Éléazar.
25. Jésus lui dit : C'est moi qui suis la résurrection et la vie ; celui qui
croit en moi, quand même il serait mort, vivra ;
26. Et
quiconque vit et croit en moi, ne mourra jamais. Croyez-vous cela ?
27. Elle lui répondit : Oui, Seigneur, je crois que vous êtes [le christ,][8] le Fils du Dieu vivant, qui êtes venu en ce monde.
Voilà enfin la question bien posée. Thamar a compris. Son
mari ne ressuscitera pas à la résurrection au dernier jour, il sera delà
première résurrection, celle qui aura lieu sous le quatrième signe, les
.-lnes, et qui n'est que retardée.
28. Après qu'elle eut dit cela,
elle s'en alla, et appela Maria, sa sœur, en secret, disant : Le Maître est là, et il t'appelle.
29. Ce que celle-ci, ayant
entendu, elle se leva promptement, et vint à lui ;
30. Car Jésus n'était point
encore entré dans le bourg, mais il était dans le lieu où Marthe l'avait
rencontré[9].
31. Cependant les Juifs qui
étaient dans la maison avec Marie, et la consolaient lorsqu'ils la virent se
lever si prompte ment et sortir, la suivirent, disant : Elle va au sépulcre pour y pleurer.
Je vous ai dit pourquoi Jésus, qui peut entrer dans le
bourg et même dans la maison, n'entre ni dans l'un ni dans l'autre. C'est
qu'il joue le rôle du Nazir. Les Juifs qui sont dans la maison avec Thamar et
Maria Cléopas sont des Kannaïtes. Ils n'admettraient pas que, même
allégorisé, transfiguré, le Nazir eût manqué à la Loi d'une manière si
invraisemblable ; il aurait perdu tous ses droits à la résurrection dont il
sera l'objet lorsque son tour de martyre sera venu, et ce tour approche.
32. Et quand Maria fut venue où
était Jésus, le voyant, elle tomba à ses pieds, et lui dit : Seigneur, si vous eussiez été ici, mon frère ne serait pas
mort[10].
33. Mais lorsque Jésus la vit
pleurant, et les Juifs qui étaient venus avec elle pleurant aussi, il frémit
en son esprit, et se troubla lui-même.
34. Et il dit : Où l'avez-vous mis ? Ils lui répondirent : Seigneur, venez et voyez.
35. Et Jésus pleura[11],
36. Et les Juifs dirent : Voyez comme il l'aimait !
37. Mais quelques-uns d'eux
dirent : Ne pouvait-il pas, lui qui a ouvert
les yeux d'un aveugle-né, faire que celui-ci ne mourut point ?
38. Jésus donc, frémissant de
nouveau en lui-même, vint au sépulcre ; c'était une grotte, et une pierre
était posée dessus.
39. Jésus dit : Ôtez la pierre. Marthe, la sœur de celui qui était
mort, lui dit : Seigneur, il sent déjà mauvais, car
il est de quatre jours.
Tant mieux, morbleu ! tant mieux,
c'est ce que je demande ! Eléazar est mûr pour la résurrection. La veille,
c'eût été trop tôt, Jésus n'aurait pas pu ! Il n'aurait même pas pu le guérir
d'une fièvre quartaine ! Aussi personne parmi les fils de Jehoudda ne l'a
pressé de partir avant la nuit du troisième au quatrième jour ; lui-même,
lorsqu'il a été créé solairement, n'est arrivé à destination de la terre que
le quatrième jour.
40. Jésus lui répondit : Ne vous ai-je pas dit que, si vous croyiez, vous verriez
ta gloire de Dieu ?
41. Ils ôtèrent donc la pierre ;
alors Jésus, levant les yeux en haut, dit : Mon
Père, je vous rends grâces de ce que vous m'avez écouté.
42. Pour
moi, je savais que vous m'écoutiez toujours ; mais c'est à cause de ce peuple
qui m'environne que j'ai parti[12], afin qu'ils croient que c'est vous qui m'avez envoyé.
43. Ayant dit cela, il cria
d'une voix forte : Lazare, sors !
44. El aussitôt sortit celui qui
avait été mort, lié aux pieds et aux mains de bandelettes, et le visage
enveloppé d'un suaire. Jésus leur dit : Déliez-le,
et laissez-le aller.
Cérinthe ne dit pas où Eléazar est allé, mais nous le
savons. Il a suivi Jésus, comme l'a déjà
suivi dans Luc Jacob junior, devenu fils unique de
la veuve de Kapharnahum[13], comme le
suivront tour à tour dans l'ordre de leur martyre, Shehimon, Jacob senior et
Ménahem, et Bar-Jehoudda lui-même, le cinquième dans l'ordre des martyrs
antérieurs à 789, le dernier dans l'ordre des Assomptions. Si Jacob junior et
Eléazar étaient restés sur la terre après leur résurrection, ils seraient
avec le Nazir au Sôrtaba. Mais la leçon de signes que donne Jésus n'est que
pour la famille de son Joannès ; seule elle croyait cela, seule elle verra
cela, avec les quelques Juifs de Bathanée qu'elle avait ensorcelés.
De même qu'on montre à Betléhem la grotte où naquit Jésus,
— cette grotte a d'abord été une maison (Mathieu),
puis une hôtellerie (Luc), — à Nazareth
la maison de Joseph, à Kana les cruches des Noces, à Ramlé la maison de
Joseph d'Arimathie, à Machœrous la prison du Joannès baptiseur, de même on
montre... à Béthanie-lez-Jérusalem le tombeau où Éléazar avait été mis ! C'était une grotte, dit le Saint-Siège. Le tombeau de Saint-Lazare fut vénéré dès les premiers
temps du christianisme. La petite porte du tombeau regarde le nord. L'entrée
est obscure et difficile. On y descend par vingt-trois marches toutes usées.
Le tombeau est une grotte souterraine pratiquée dans le rocher, mais ce
rocher est dissous depuis longtemps, de sorte qu'on le prendrait facilement
pour de la terre argileuse, excepté la partie avoisinant l'entrée où il a
conservé toute sa dureté primitive. Ce changement est cause que nous trouvons
aujourd'hui ce monument revêtu d'une Maçonnerie dont la voûte est en ogive.
Il se compose de deux chambres carrées, presque de même grandeur, d'à peu
près trois mètres de long sur autant de large, et revêtues d'une maçonnerie
assez grossière. La première est la chambre où se trouvait Notre-Seigneur
quand il ressuscita Lazare. Du coté de l'est, on remarque une porte cintrée
qui est murée depuis des siècles. Cette porte est précisément à l'entrée
primitive du tombeau. Par une ouverture qui se trouve dans la Porte nord, on peut regarder
dans le sépulcre proprement dit. De cette chambre on descend par un escalier
bas et étroit de trois marches dans la chambre sépulcrale. La voûte en est
légèrement ogivale. Quant à la couche funèbre de saint Lazare, nous ne savons
plus si elle avait la forme de four à cercueil, d'auge ou de banc ; mais si
l'on considère la forme carrée de la chambre, il parait probable que cette
couche était un banc surmonté d'un arceau. Cette chambre était disposée pour
en contenir encore deux autres, ainsi qu'on en voit ailleurs en grand nombre,
chacune des trois parois ayant son banc, tandis que celle où se trouve la
porte d'entrée reste libre.
Selon l'usage, une pierre fermait
l'entrée de la grotte ; mais le corps de Lazare était au fond de la grotte,
dans une chambre sépulcrale. Une pierre recouvrait la tombe proprement dite
creusée dans le roc, où était le corps de Lazare. Il y avait donc deux
pierres à ôter ; l'une qui permettait d'entrer dans la grotte, dans le
monument ; l'autre, la véritable pierre tombale, dont l'encastrement dans le
roc vif se voit encore. Ce fut celle-ci que Jésus ordonna de lever et qui
laissa voir Lazare les pieds et les mains enveloppés de ses suaires.
L'évangéliste n'a mentionné naturellement que la pierre tombale qui
recouvrait Lazare. Jésus avait dû descendre d'abord dans le monument par un
escalier profond taillé dans le roc, puis de là descendre dans la chambre
sépulcrale, où Lazare avait été mis.
Telles sont, mon cher Cérinthe, les combinaisons
éminemment ogivales que tes similitudes
ont inspirées aux jehouddolâtres.
CONDAMNATION DE IUR-JEHOUDDA ET D'ÉLÉAZAR BAR-JAÏR.
Jusqu'ici, Cérinthe n'a guère attribué qu'aux sèmeia fournis par Jésus pendant les sabbats la
haine dont les pharisiens de Jérusalem poursuivent Bar-Jehoudda. Ces sèmeia étant anti-légaux, les Juifs de
Jérusalem ont tous l'air de défendre la Loi contre l'homme qui a été crucifié, alors
qu'au contraire les Kannaïtes, les Zélateurs de la Loi, ce furent les fils de
Jehoudda, patron de la secte contre laquelle le Temple eut à lutter. Fidèle à
son plan, Cérinthe va nous dire : Ce n'est pas
pour avoir suscité Eléazar que son beau-frère a été condamné a mort en
même temps que lui, c'est pour l'avoir ressuscité. Voilà le but de
l'intervention de Jésus dans la fable. Il interpose l'Esprit entre le fils de
David et ses adversaires. De cette façon, non seulement on cesse d'avoir
condamné un criminel, mais on a privé le pays d'un bienfaiteur. Cependant,
quand on y regarde d'un peu près, on voit que ce bienfaiteur n opère que dans
une seule famille et dans une seule secte, celles de feu Jehoudda, l'homme du
Recensement de Quirinius. C'est un résurrecteur à rayon limité.
45. Beaucoup d'entre les Juifs
qui étaient venus près de Maria et de Marthe, el qui avaient vu ce que fit
Jésus, crurent en lui.
46. Mais quelques-uns d'entre
eux allèrent vers les pharisiens, et leur dirent ce qu'avait fait Jésus.
47. Les pontifes donc et les
pharisiens assemblèrent le conseil, et ils disaient : Que faisons-nous, car cet homme fournit beaucoup de signes ?
48. Si
nous le laissons ainsi, tous croiront en lui, et les Romains viendront et
ruineront notre pays et notre nation.
Il est clair que si, au lieu de se borner à la famille de
Jehoudda, Jésus eût ressuscité tous les Juifs morts depuis l'entrée d'Abraham
dans la terre de Chanaan, il eût pu devenir un danger pour les Romains
eux-mêmes.
49. Mais l'un d'eux, nommé Caïphe,
qui était le Pontife de cette année-là, leur dit : Vous
n'y entendez rien,
50. Et
vous ne pensez pas qu'il vous est avantageux qu'un seul homme meure pour le
peuple, et non pas que toute la nation périsse.
51. Or
il ne dit pas cela de lui-même ; mais étant le pontife de cette année-là, il prophétisa
que Jésus devait mourir pour la nation ;
52. Et
non pas pour la nation seulement, mais encore pour rassembler en un les
enfants de Dieu qui étaient dispersés.
53. Dès ce jour donc ils
pensèrent à le faire mourir.
54. C'est pourquoi Jésus ne
se montrait plus en public parmi les Juifs[14].
55. Mais il s'en alla dans une
contrée près du désert, en une ville qui est appelée Éphrem, et il y
demeurait avec ses disciples.
Le désert de Judée commence à Gaza. Lorsqu'on eut
transporté Bathanéa trans Jordanem a trois kilomètres de Jérusalem par une
des opérations du Saint-Esprit les plus connues, — le transfert des montagnes
par la foi, — il fallut expliquer pourquoi, malgré leur dessein de faire
mourir Jésus à cause de ses signes, les Juifs du Temple n'avaient pas profité
de son séjour à Béthanie pour l'arrêter. Il est clair en effet que, si au
lieu d'avoir été prononcée contre Bar-Jehoudda et son beau-frère quand ils
s'agitaient au delà du Jourdain, leur condamnation l'eût été contre des
gaillards qui auraient habité à trois kilomètres de Jérusalem, il n'aurait
fallu qu'une demi-heure à Saül pour s'emparer d'eux et exécuter la sentence.
C'est pour remédier à cette objection que l'Église a inventé cette retraite
au sud de Jérusalem[15], au delà de
l'hérodienne Idumée.
Il n'est pas difficile de voir que dans le plan de
Cérinthe Jésus est innocent de tout crime. Et de quoi pourrait-il être
coupable ? Dès l'origine il n'a d'humain que la forme de Bar-Jehoudda dont il
veut ignorer toute la carrière politique, car si le Verbe sait tout et peut
tout, il a par cela même le droit d'oublier ce qu'il sait. Il ne lui convient
pas de laisser passer le plus petit bout de l'oreille jehouddique, comme dans
Luc. Le corps de Bar-Jehoudda n'est pas le sien, c'est un corps emprunté, il
le rendra tout à l'heure à la femme qui l'a ait, ils se débrouilleront avec
le sanhédrin et avec l'histoire. Pour lui, il est évident qu'il n'a jamais
empêché de porter les vases à la piscine de Siloé[16], qu'il ne s'est
jamais sacré roi-christ et qu'il n'a jamais débauché les soldats d'Antipas.
De tout cela il résulte qu'on ne comprend absolument rien à la réunion du
sanhédrin, à la sentence de condamnation, et au discours où Kaïaphas se
montre prophète beaucoup plus perspicace que le Joannès, car il annonce en
788 ce qui est advenu en 823, la chute de Jérusalem pour cause d'Apocalypse
rentrée.
D'abord, pourquoi le sanhédrin se réunit-il ? Parce
qu'Éléazar a été ressuscité par Jésus. Jésus est donc une menace pour la
tranquillité publique ? Il semble qu'au contraire les membres du Conseil
devraient se réjouir de voir rappelé à la vie un homme qui, avant de mourir,
n'avait commis d'autre mauvaise action que d'être malade. Mais puisque la
prophétie de Kaïaphas les condamne au déicide, ils s'assembleront quand même.
Où cela ? Dans la salle du Hanoth où ils délibéraient d'ordinaire ? Non, mais
dans le lieu prédestiné à la confection des déicides. Suivant une ancienne tradition, le Conseil fut assemblé à la maison de
campagne de Caïphe, située sur le mont du Mauvais Conseil, qui a tiré de là
son nom. Ce mont est à l'ouest de Jérusalem, et forme la limite méridionale
de la vallée de Ben-Hinnom. Ainsi parle le Saint-Siège.
Est-ce à des hommes comme vous et moi qu'il appartient de
dire quelle misérable politique le sanhédrin a faite ce jour-là ? Certes nous
le pourrions, usant de nos droits de citoyen, mais quand le génie s'est
prononcé, notre devoir est de lui laisser la parole, surtout quand il s'appelle
Bossuet.
Oyons cet aigle : Les Romains
viendront, avaient dit les magistrats, et ils
détruiront notre ville, notre temple et toute notre nation !
C'est le prétexte dont ils
couvraient leur intérêt caché et leur ambition. Le bien public impose aux
hommes, et peut-être que les pontifes et les pharisiens en étaient
véritablement touchés, car la politique mal entendue est le moyen le plus sûr
pour jeter les hommes dans l'aveuglement et les faire résister à Dieu, On
voit ici tous les caractères de la fausse politique et une imitation de la
bonne, mais à contresens. La véritable politique est prévoyante et par là se
montre sage. Ceux-ci font aussi les sages et les prévoyants : Les Romains
viendront. Ils viendront, il est vrai, non pas comme vous le pensez, parce
qu'on aura reconnu le Sauveur ; mais au contraire, parce qu'on aura manqué de
le reconnaître. La nation périra ; vous l'avez bien prévu ; elle
périra en effet, mais ce sera par les moyens dont vous prétendiez vous servir
pour la sauver, tant est aveugle votre politique et votre prévoyance. La
politique est habile et capable ; ceux-ci font les capables. Voyez avec quel
air de capacité Caïphe disait : Vous n'y entendez rien ; il n'y
entendait rien lui-même. Il faut qu'un homme meure pour le peuple ; il
disait vrai, mais c'était d'une autre façon qu'il ne l'entendait. La
politique sacrifie le bien particulier au bien public, et cela est juste
jusqu'à un certain point. Il faut qu'un nomme meure pour le peuple ; il
entendait qu'on pouvait condamner un innocent au dernier supplice, sous
prétexte du bien public, ce qui n'est jamais permis, car au contraire le sang
innocent crie vengeance contre eux qui le répandent. La grande habileté des
politiques, c est de donner de beaux prétextes à leurs mauvais desseins. Il
n'y a point de prétexte plus spécieux que le bien public, que les pontifes et
leurs adhérents font ambiant de se proposer. Mais Dieu les confondit, et leur
politique ruina le temple, la ville, la nation, qu'ils faisaient semblant de
vouloir sauver.
Aurions-nous trouvé cela ? Je ne le crois pas. De même,
aurions-nous trouvé ceci, à propos de la prophétie au passé par laquelle Kaïaphas
prédit la chute de Jérusalem ? Jamais, le Saint-Esprit n'étant pas avec nous
! Au moins ne nous reprochera-t-on pas de ne point l'aller chercher là où il
est, c'est-à-dire dans l'édition du Saint-Siège :
Que signifient ces mots de saint
Jean[17]
sur Caïphe : Il était le pontife de cette
année-là ? Les interprètes se divisent dans l'explication de ce passage.
Suivant un certain nombre, par ces mots, répétés encore plus loin, saint Jean
voudrait indiquer que c'était la première année du pontificat de Caïphe, le
saducéen[18]. Suivant d'autres, son intention serait de faire sentir
l'avilissement du pontificat juif, sujet à passer presque chaque année d'une
personne à une autre, au gré des gouverneurs romains, et perdant à la fois
l'inamovibilité, la considération et la sainteté. Plusieurs croient qu'il
signale cette année entre les autres, parce qu'elle a été marquée par des
événements d'une suprême importance, surtout par la substitution du sacerdoce
de Jésus-Christ à celui d'Aaron. Toutes ces interprétations sont plausibles à
quelque degré. Mais il ne parait pas qu'on puisse supposer qu'Anne et Caïphe
exerçaient alternativement le pontifical d'année en année. On n'a aucun
exemple d'un pareil fait. S'il est dit dans les Actes qu'Anne était prince
des prêtres, cela signifie seulement qu'il était à la tète d'une famille
sacerdotale ; car saint Luc distingue parfaitement eu cet endroit le
grand-prêtre des princes des prêtres. Quant à la liaison qu'établit saint
Jean entre la prophétie de Caïphe et sou titre de grand-prêtre : étant
pontife de cette année-là il prophétisa, il ne pouvait en être assuré que
par révélation. C'était bien l'usage de recourir aux grands -prêtres dans les
cas difficiles pour connaître la volonté de Dieu, et l'Écriture en certains
endroits semble leur attribuer des lumières surnaturelles. Mais rien
n'autorise â dire que le don de prophétie fût une de leurs attributions.
D'ailleurs ce mot de saint Jean, il prophétisa, ne doit pas se prendre
à la lettre, dit saint Thomas. Ce qui résulte des paroles de l'évangéliste,
c'est que l'immolation du Sauveur a été décidée par celui qui avait charge
d'offrir chaque année le sacrifice d'expiation pour te peuple. Le
grand-prêtre désigne bien ici et immole en quelque façon la victime divine
qui va satisfaire pour les péchés du monde entier. En cela, il est, sans le
savoir, l'instrument du ciel et l'organe de l'esprit de Dieu.
Si Kaïaphas avait prophétisé
cela, c'eût été le seul homme inspiré qu'il y eût au temps du Joannès ! Car
il aurait prédit plus d'un siècle à l'avance le parti que les Synoptisés
devaient tirer de leur propre fable en faisant passer la crucifixion de
Bar-Jehoudda pour un sacrifice volontaire. Il serait le fondateur de l'Église,
le précurseur de toute la jehouddolâtrie. Mais le propos que Cérinthe met
dans sa bouche pontificale a un tout autre sens ; c'est une allusion au
sacrifice qu'avaient Pratiqué les Juifs quand ils immolaient leurs premiers
nés, les nazirs, à Moloch. Cérinthe accuse Kaïaphas d'avoir renouvelé sur le
premier-né de Jehoudda et de Salomé, sur le Nazir par excellence, un sacrifice
tombé en désuétude depuis plusieurs siècles. Cette accusation étant fort
voilée et, d'autre part, portée contre une famille sacerdotale éteinte,
personne ne s'est rencontré pour faire observer à Cérinthe qu'elle tombait avant
tout sur les ancêtres de Bar-Jehoudda, ces rois de la maison de David qui,
pour frapper leurs enfants, n'attendaient pas qu'ils fussent, comme celui-ci,
en âge de trahir leur patrie. Moloch était le dieu du grand-prêtre qui a fait
condamner le Nazir ; Amalécites sont ceux qui, comme le prince Saut, stratège
du Temple, furent commis à l'exécution de la sentence, voilà ce que
pense Cérinthe.
Loin de donner à entendre que le christ s'est immolé
volontairement, Cérinthe dit que, par politique hérodienne, le Sanhédrin a
rétabli le sacrifice molochiste contre l'homme oint de Dieu pour l'établissement
du Royaume d'Israël sur toute la terre. Crime inexpiable, qui exclut
précisément l'assentiment du sacrifié. On lui a fait violence, ainsi qu'à
Dieu dont il était le porte-parole dans son Apocalypse. Tous les Juifs
appelés au Royaume, tous les enfants de Dieu en un mot — il n'en est d'autres
— ont été sacrifiés avec lui. Il n'a pas plus été consentant que l'agneau de
la pâque, quand on l'égorgé et qu'on le met en croix pour le rôtir. En fuyant
il n'avait d'autre but que de se conserver pour le troupeau dont il avait la
garde. Si les Juifs du Temple ne l'eussent livré à Pilatus, il eût,
nonobstant sa condamnation, rassemblé les croyants, massacré les étrangers et
régné sur la terre pendant mille ans, car telle était la promesse que le
Verbe lui avait faite, et le Verbe est véridique !
LA
PURIFICATION AVANT LA PÂQUE DE 789.
Pour être digne de manger l'agneau et le pain azyme on
suivait un régime de purification, de manière que le jour de la Préparation,
autrement appelé la veille, on fût en état de célébrer la pique. Jérusalem
est donc pleine de revenants qui comptaient assister à l'entrée de
Bar-Jehoudda dans la
Ville Sainte libérée. Les voici à la veille de la
cérémonie, et Bar-Jehoudda n'est pas venu ! En effet, Dieu ne l'a pas jugé
digne d'être admis à la Grande-Pâque, et toute sa génération en a Pâti.
56. Or la Pâque des Juifs
était proche, et beaucoup d entre eus montèrent de cette contrée[19] à Jérusalem,
avant la Pâque,
pour se purifier.
57. Ils cherchaient donc Jésus,
et se disaient les uns aux autres, étant dans le Temple : Que pensez-vous de ce qu'il n'est point venu pour la
fête ? Or les pontifes et les pharisiens avaient donné ordre que
si quelqu'un savait où il était, il le déclarât afin de le prendre.
Les Juifs de Bathanée, voire ceux de Galilée que Pilatus a
massacrés dans le Temple sur leurs agneaux le 14 nisan 788, constatent que
Bar-Jehoudda n'est point venu pour la fête, et tout à l'heure ceux de
Jérusalem, chargés de le mener au prétoire, confirment qu'il était prisonnier
depuis le jour de la préparation. Le coup a été manqué, non pas seulement
celui-là, mais tous les autres, sauf celui de Ménahem.
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