CHAPITRE IX. — SÉMÉIOLOGIE DE L'AVEUGLE-NÉ.
En passant sous le Portique de Salomon, — nous en sommes
sûr, bien qu'il ne soit pas nommé, — Jésus rencontre un aveugle-né qui mendie
de la lumière.
L'aveugle-né est de la même famille que le paralytique-né.
Tous deux souffrent du péché originel pour lequel leurs parents ont été
chassés de l'Éden. L'un est privé du jour de vingt-quatre heures, image de la
lumière continue ; l'autre est privé de la chaleur d'où naît le mouvement
éternel. Ni l'aveugle-né ni ses parents immédiats n'ont péché par eux-mêmes ;
mais par Adam ils sont sous le péché. Jésus fera tout ce qu'il pourra pour
Cet infirme, il lui donnera le change.
1. Et comme il passait, Jésus
vit un homme aveugle de naissance.
2. Et ses disciples
l'interrogèrent ; Maître, qui a péché, celui-ci ou
ses parents, pour qu'il soit né aveugle ?
3. Jésus répondit : Ni celui-ci n'a péché, ni ses parents, mais c'est pour que
les œuvres de Dieu soient manifestées en lui.
4. Il
faut que j'opère les œuvres de celui qui m'a envoyé, tandis qu'il est jour ; la
nuit vient, pendant laquelle personne ne peut agir[1].
5. Tant
que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde.
6. Lorsqu'il eut dit cela, il
cracha à terre, fit de la boue avec sa salive, et frotta de cette boue les
yeux de l'aveugle.
Nous l'en aurons entendu parler de cette lumière du jour
pendant laquelle il opère avec ou sans les douze, et de ces ténèbres de la
nuit pendant lesquelles il marche sans pouvoir agir ! Mais jusqu'à présent
nous ne l'avions pas vu employer la boue. Cependant, si vous voulez bien vous
reporter à la Genèse,
vous y retrouverez cette boue sous le nom de limon dans la formation de
l'homme. Jésus refait pour un instant la boue dont il s'est servi jadis pour faire
le premier père de Bar-Jehoudda, La salive du Verbe ! Pourtant elle contient
un élément mortel, la terre dont elle est mêlée. Comment faire disparaître
cet élément ? Par l'eau. L'aveugle-né ne l'ignore pas, c'est un compère.
7. Et il lui dit : Va, lave-toi dans la piscine de Siloé (ce qu'on interprète par Envoyé). Il s'en
alla donc, se lava, et revint voyant clair.
8. De sorte que ses voisins et
ceux qui l'avaient vu auparavant mendier, disaient : N'est-ce
pas celui-là qui était assis et mendiait ? D'autres disaient : C'est lui.
9. Et d'autres : Point du tout, seulement il lui ressemble. Mais lui
disait : C'est moi.
10. Ils lui demandaient donc : Comment tes yeux ont-ils été ouverts ?
11. Il répondit : Cet homme qu'on appelle Jésus a fait de la boue, il a
frotté mes yeux, et m'a dit : Va à la piscine de Siloé, et lave-toi.
J'y suis allé, je me suis lavé, et je vois.
12. Ils lui demandèrent : Où est-il ? Il répondit : Je
ne sais.
13. Alors ils amenèrent aux
pharisiens celui qui avait été aveugle.
14. Or c'était un jour de sabbat
que Jésus fit de la boue et ouvrit ses yeux.
CHANGE DONNÉ SUR LES MOTIFS DE LA CONDAMNATION DU
RABBI.
Le fils aîné de Jehoudda et de Salomé, le prisonnier de la Loi et du système exploité
dans l'Apocalypse, n'eût pas manqué au sabbat pour tout l'or de sa
capitale millénaire. Sa mère a failli le laisser éternellement au Guol-golta
plutôt que de violer le sabbat qui interdisait de faire plus de deux mille
pas ce jour-là, de porter un fardeau, et par conséquent d'opérer l'enlèvement
d'un cadavre. Mais pour Jésus qui est le maître du temps et le créateur de
l'homme, pour Jésus qui écrit ce qu'il veut sur la terre où vécut Bethsabée,
et qui est la lumière du monde, qu'est-ce qu'un sabbat ? Un jour comme un
autre, un lendemain de celui où il a créé Adam avec un peu de boue et d'eau.
Comment celui qui a fait le sabbat serait-il lié par la religion des Juifs ?
N'est-ce pas lui qui liait et déliait avant que le Joannès s'attribuât ce
pouvoir en administrant le baptême ? Mais les pharisiens de 788 ne peuvent
rien comprendre à ce que dit l'aveugle guéri. Jésus a disparu pour éviter le
juste châtiment qu'un homme eût mérité pour avoir violé le sabbat et que les
sicaires du christ lui eussent appliqué sur l'heure. Auparavant il indique à
tous la bonne adresse pour être sauvé ; cette adresse, c'est la piscine
baptismale où doit se laver le troupeau dont David est le berger. L'eau de
David, le baptême juif, voilà ce qui enlève le limon dont Jésus a dû se
servir pour créer l'homme, et ici pour respecter le texte de la Genèse.
15. Les pharisiens lui
demandèrent donc aussi comment il avait vu. Et il leur dit : Il m'a mis de la boue sur les yeux ; je me suis lavé[2] et je vois.
16. Alors quelques-uns d'entre
les pharisiens disaient : Cet homme n'est point de
Dieu, puisqu'il ne garde point le sabbat. Mais d'autres
disaient : Comment un pécheur[3] peut-il faire de tels sèmeia ? Et il y avait
division entre eux.
17. Ils dirent donc encore à
l'aveugle : Et toi, que dis-tu de celui qui t'a ouvert
les yeux ? Il répondit : C'est un prophète[4].
18. Mais les Juifs ne crurent
point de lut qu'il eût clé aveugle et qu'il eût recouvré la vue, jusqu'à ce
qu'ils eussent appelé les parents de celui qui avait recouvré la vue.
19. Et ils les interrogèrent,
disant : Est-ce là voire fils, que vous dites être
né aveugle ? Comment donc voit-il maintenant ?
20. Ses parents leur répondirent
et dirent : Nous savons que c'est notre fils et
qu'il est né aveugle.
21. Mais
comment il voit maintenant, nous ne le savons pas ; ou qui lui a ouvert les
yeux, nous ne le savons pas ; interrogez-le ; il a de l'âge, qu'il parle pour
lui-même !
22. Ses parents dirent cela,
parce qu'ils craignaient les Juifs ; car déjà les
Juifs étaient convenus ensemble que si quelqu'un confessait que Jésus était
le christ, il serait chassé de la synagogue.
23. C'est pourquoi ses
parents dirent : Il a de l'âge, interrogez-le
lui-même.
Et surtout interrogez-le de manière qu'il ne dise
rien ! Mais il ne dira rien, on peut être tranquille, car il a de l'âge,
un âge qu'on ne peut guère évaluer à moins de cent cinquante ans. Il se
gardera donc bien de dire que l'homme qu'il déclare prophète est celui dont
parlent les Juifs comme étant le christ sous le nom de Jésus et qui baptisait
sous le nom de Joannès. Tous les Synoptisés n'avouent-ils pas que le christ,
c'était le baptiseur lui-même ? Est-ce que l'Église n'a pas été obligée de
forger les ouvrages de Clément pour effacer cette vérité, tout en y laissant
qu'au troisième siècle il y avait encore des Juifs, les Naziréens, qui
tenaient le christ comme plus grand sous le nom de Joannès que sous celui de
Jésus, c'est-à-dire étaient demeurés dans le millénarisme étroit de leur
prophète et ne croyaient qu'en son baptême ?[5]
24. Ils appelèrent donc de
nouveau l'homme qui avait été aveugle, et lui dirent : Rends gloire à Dieu ; pour nous, nous savons que cet homme
est un pécheur.
25. Mais il leur dit : S'il est pécheur, je ne sais ; je sais une seule chose, c'est
que j'étais aveugle, et qu'à présent je vois.
26. Ils lui répliquèrent
donc : Que t'a-t-il fait ? Comment t'a-t-il
ouvert les yeux ?
27. Il leur répondit : Je vous l'ai déjà dit, et vous l'avez entendu, pourquoi
voulez-vous l'entendre encore ? Est-ce que, vous aussi, vous voulez devenir
ses disciples ?
Il n'y a pas de danger ! Ils connaissent trop bien son
dossier pour cela, quoique Ménahem ait brûlé tous les registres du sanhédrin
en 819[6]. Ils savent bien
qu'ils ont payé sa prophétie de leur ruine. Pécheur, s'ils y tiennent
absolument, en tout cas prophète de la divinité des Juifs, voilà sur le
christ l'opinion d'un de ses disciples au second siècle.
L'Evangéliste équivoque sur le mot sabbat comme il a
équivoque sur les deux noms de Bar-Jehoudda : Joannès et Jésus. Le
christ ayant été condamné eu une année sabbatique et pour avoir prêché
l'Année de grâce par les moyens que l'on sait, on veut faire croire que c'est
pour avoir violé à plusieurs reprises le sabbat qu'il fut traité en pécheur
par les Juifs. Mais comme il est qualifié de scélérat par des païens à qui la
violation de la loi juive n'importe guère, c'est qu'il y eut des motifs de
condamnation étrangers à ceux qu'on invoque dans ce sèmeion apologétique.
Toutes ces niaiseries, c'est un roulement de toph[7] pour l'invention
du baptiseur. Qu'importe maintenant que l'inventeur ait été condamné pour
crimes publics ? Il faut sauver le baptême ! Et voilà pourquoi Cérinthe
raconte aux dupes que c'est pour avoir péché contre le sabbat (encore était-ce pour le bien d'un particulier)
que le Baptiseur a été puni de mort par ses contemporains. On n'avoue pas une
seule des causes pour lesquelles il a été condamné et que les Synoptisés,
notamment Luc, laissent transpirer dans leur version. Voyez quels monstres
étaient ceux qui ont fait mourir un homme si bienfaisant qu'il manquait à la Loi écrite pour donner ses
soins au paralytique et à l'aveugle !
MALÉDICTION DU RABBI ET DE SON DISCIPLE PAR LES JUIFS.
Tel est l'entêtement des Juifs qu'ils se laissent aller à
maudire le disciple de leur christ, de leur roi, de leur Jésus ! Mais dans le
disciple, c'est le maître qu'ils visent. Après plus d'un siècle de malheur et
de dispersion, ils ne voient pas que leur salut est dans le rétablissement de
la bergerie dont David est le pasteur et ils maudissent le Naziréen qui avoue
le Rabbi pour son sauveur !
28. Ils le maudirent donc, et
dirent : Sois son disciple, toi ; mais nous, nous
sommes disciples de Moïse.
29. Nous
savons que Dieu a parlé à Moïse ; mais celui-ci, nous ne savons d'où il est[8].
30. Cet homme reprit et leur dit
: Mais il y a en cela une chose étonnante, c'est que
vous ne sachiez d'où il est ! Et il a ouvert mes yeux !
31. Cependant
nous savons que Dieu n'écoule point les pécheurs ; mais si quelqu'un honore
Dieu et fait sa volonté, c'est celui-là qu'il exauce.
32. Jamais
on n'a ouï dire que quelqu'un ait ouvert les yeux d'un aveugle-né.
33. Si
celui-ci n'était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire.
34. Ils répliquèrent et lui
dirent : Tu es né tout entier dans le péché, et tu
nous enseignes ? Et ils le jetèrent dehors.
En effet, il enseigne au nom d'un homme né lui-même tout
entier dans le péché originel, à quoi Bethsabée apporte encore le complément
de l'adultère, ce dont au moins la pauvre Eve fut innocente !
Mais vous voyez combien, sous couleur de malédiction, les
Juifs sont gentils dans le fond. Quoiqu'ils aient cent raisons pour traiter de
pécheur le prophète dont le Naziréen exploite le baptême, et aussi pour
repousser ce prophète né tout entier dans le péché, ils feignent de ne savoir
ni comment s'appelle cet imposteur dans le monde de la circoncision ni d'où
il est. L'aveugle-né ne peut s'empêcher de relever cette contradiction. Quant
à Jésus, insensible à tout ce qui n'est pas la cause juive, il persiste à
penser qu'après lui, c'est un pécheur qui est le plus consubstantiel au Père.
35. Jésus apprit qu'ils
l'avaient jeté dehors ; et l'ayant rencontré, il lui demanda : Crois-tu au Fils de Dieu ?
36. Celui-ci répondit et dit : Qui est-il, Seigneur, afin que je croie en lui ?
37. Et Jésus lui dit : Mais tu l'as vu, et c'est lui-même qui te parle.
38. Et celui-ci reprit : Je crois, Seigneur ; et se prosternant, il l'adora.
39. Alors Jésus dit : C'est en jugement que je suis venu dans ce monde, afin que
ceux qui ne voient pas, voient, et que ceux qui voient, deviennent aveugles[9].
40. Or quelques-uns d'entre les
pharisiens, qui étaient avec lui, l'entendirent et lui demandèrent : Est ce que nous sommes aveugles, nous aussi ?
41. Jésus leur répondit : Si vous étiez aveugles, vous n'auriez point dépêché. Mais
vous dites au contraire ; Nous voyons. Ainsi, votre péché subsiste.
Si c'est en jugement, c'est-à-dire pour faire l'épreuve de
la justice de son pays, que Bar-Jehoudda est venu dans le monde, évidemment
il n'a pas été heureux, car il a été condamné. Ses compatriotes ne l'ont pas
entendu, pas compris, et ils ont été à leur tour punis pour s'être tournés en
toute occasion contre la famille de leurs monarques légitimes, depuis le
Recensement de Quirinius jusqu'au supplice de Ménahem. Ils continuent à être
aveugles, qu'ils le restent !
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