CHAPITRE VII. — L'ÉQUIPÉE DES TABERNACLES DE 787.L'allégorie qui suit est de celles qui ont un fondement
historique, et nous l'avons déjà étudiée à ce point de vue[1]. Les Synoptisés
ont supprimé l'équipée du christ à 1. Après cela, Jésus parcourait 2. Or approchait la fête des Juifs, la Scénopégie[2]. 3. Ses frères donc lui dirent : Pars d'ici et va en Judée, afin que tes disciples voient, eux aussi, les œuvres que tu fais. 4. Car personne n'agit en secret, lorsqu'il cherche lui-même à paraître en public ; puisque tu fais de telles choses, manifeste-toi au monde. 5. (Car ses frères mêmes ne croyaient pas en lui)[3]. 6. Mais Jésus leur dit : Mon temps n'est pas encore venu, mais votre temps est toujours prêt. 7. Le monde ne peut pas vous haïr : pour moi, il me hait, parce que je rends de lui ce témoignage que ses œuvres sont mauvaises. 8. Allez, vous, à cette fête ; pour moi je n'y vais point, parce que mon temps n'est pas encore accompli. 9. Ce qu'ayant dit, il demeura en Galilée. 10. Mais lorsque ses frères furent partis, il alla aussi lui-même à la fête, non publiquement, mais comme en cachette. 11. Les Juifs donc le cherchaient pendant la fête et disaient : Où est-il ? 12. Et il y avait une grande rumeur dans le peuple à son sujet. Les uns disaient : En effet, c'est un homme de bien ; mais d'autres disaient : Non, car il trompe le Peuple[4]. 13. Cependant personne ne parlait de lui ouvertement par crainte des Juifs. Dédoublé par l'allégorie, Jésus est homme de bien comme Verbe, mais imposteur comme christ. Il y eut une grande rumeur dans le peuple en 787 au sujet de Bar-Jehoudda ; mais personne n'ayant connu Jésus, personne n'en a parlé, cela fait compensation. Jésus enveloppe son Joannès d'un silence prudent, c'est le seul moyen qu'il ait de prendre un peu sa défense devant la postérité. Cependant, vers le milieu de la fête, c'est-à-dire après le troisième jour, il se ravise, monte au Temple et y enseigne, sans aucune crainte des Juifs qui voulaient faire mourir Bar-Jehoudda au verset 1. 14. Or, vers le milieu de la fête, Jésus monta au Temple, et il enseignait. 15. Et les Juifs s'étonnaient, disant : Comment celui-ci sait-il les Ecritures, puisqu'il ne les a point apprises ? Elles sont de lui, il n'a pas eu besoin de les apprendre, comme les sept démons qu'il a extraits de Salomé. Le Temple étant le lieu de ses pieds, il y enseigne librement devant ceux qui, se croyant encore en 787, s'étaient promis de l'arrêter pour le tuer. Mais personne ne l'arrête, et personne ne le tue. Nous sommes bien certain, étant donné sa constitution, qu'il ne lui arrivera rien de ce qui est arrivé à Bar-Jehoudda. 16. Jésus leur répondit et dit : Ma doctrine n'est pas de moi, mais de celui qui m'a envoyé. 17. Si quelqu'un veut faire sa volonté, il connaîtra, touchant ma doctrine, si elle est de lui ou si je parle moi-même. 18. Celui qui parle de lui-même cherche sa propre gloire[5] ; mais qui cherche la gloire de celui qui l'a envoyé, celui-là est vrai, et il n'y a point d'injustice en lui. 19. Moïse
ne vous a-t-il pas donné 20. Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir ? Le peuple répondit et dit : u es possédé du démon ; qui cherche à te faire mourir ? 21. Jésus répliqua et leur dit : J'ai fait une seule œuvre, et vous êtes tous étonnés. Il veut parler de la guérison du paralytique un jour de
sabbat. Les Noces de Kana, De leur côté, les Juifs lui rendent l'éminent service d'oublier qu'à l'une des pâques précédentes il a dispersé les vendeurs d'animaux et les changeurs, sans lesquels la célébration de cette fête est impossible. C'est une preuve que cette similitude ne se plaçait point au début de l'écrit de Cérinthe mais à la fin, comme dans les Synoptisés. 22. Cependant Moïse vous a donné la circoncision (bien qu'elle ne soit pas de Moïse, mais des patriarches) ; et vous circoncisez le jour du sabbat. 23 Or, si un homme reçoit la circoncision le jour du sabbat, afin que la loi de Moïse ne soit point violée, comment vous indignez-vous contre moi, parce que j'ai rendu un homme sain tout entier un jour de sabbat ? 24. Ne jugez point sur l'apparence, mais rendez un juste jugement. 25. Quelques-uns de Jérusalem disaient donc : N'est-ce pas là celui qu'ils cherchent à faire mourir ? 26. Et
voilà qu'il parle publiquement, et ils ne lui disent rien ! Les chefs du
peuple auraient-ils réellement reconnu que c'est lui qui est le christ ? 27. Cependant, pour celui-ci, nous savons d'où il est ; mais quand le christ viendra, personne ne saura d'où il est. Oh ! oh ! mais voici de l'abominable hérésie ! Le Juif qui fut christ en son vivant n'aurait-il pas été considéré par l'unanimité de ses contemporains comme étant consubstantiel au Père ? Les gens de Kapharnahum vous ont dit qu'ils connaissaient son père, sa mère et toute sa famille, laquelle vient de la terre, c'est-à-dire d'une chose qui est sous l'empire de Satan. En voici d'autres, ceux de Jérusalem, qui savent aussi d'où il est, c'est-à-dire de Gamala. Tous, selon Mathieu, reconnaissent (même Hérode !) que le christ doit naître dans la maison de David, et c'était l'opinion de celui qui a été crucifié ainsi que celle de toute sa famille. Mais quoi ! voilà un scribe qui fait dire à certains Juifs cette énormité que, lorsque viendra le christ, personne ne saura d'où il est ! Le crucifié n'est donc qu'un vulgaire imposteur dont le corps gît à Machéron ? Mais c'est épouvantable ! Voyons, exégètes, vous qui croyez à l'existence en chair de Jésus, libérez vos concitoyens de cette affreuse supposition ! Ou bien expliquez-leur pourquoi des Juifs qu l sont en même temps christiens refusent de s'incliner devant les titres dynastiques que Bar-Jehoudda invoquait dans son Apocalypse ! Car enfin ces Juifs tiennent qu'Ananias était christ sans
avoir de sang royal dans les veines, et qu'il avait le droit de remettre
leurs péchés à ses coreligionnaires de Damas sans que les frères de
Bar-Jehoudda eussent celui de lui couper la gorge ; ils tiennent qu'Apollos l'alexandrin
était christ sans que personne eût à lui demander d'où il venait, et qu'il
avait le droit de baptiser du même baptême que Bar-Jehoudda parmi les Juifs
hellènes. Avec Jehoudda Is-Kérioth ils professent que le christ est encore à
venir et qu'il peut tout aussi bien naître, s'il plaît à Dieu, parmi les
tribus dont ils sont, lue dans celle de Juda exclusivement ; ils jugent que
la prétention des fils de Jehoudda fut intolérable aux autres tribus et
attentatoire à la liberté de Dieu. Avec tous les membres du Sanhédrin ils
estiment que le christ de 28. Ainsi Jésus parlait à haute
voix dans le Temple, enseignant et disant : Et
vous savez qui je suis, et vous savez d'où je suis, et je ne suis point venu
de moi-même ; mais il est Vrai, celui qui m'a envoyé, et que vous ne
connaissez point. 29. Moi je le connais, parce que je suis de lui, et que c'est lui qui m'a envoyé. 30. Ils cherchaient donc à le prendre ; mais personne ne mit la main sur lui, parce que son heure n'était pas encore venue[8]. 31. Mais beaucoup d'entre le peuple crurent en lui, et ils disaient : Le christ, quand il viendra, fera-t-il plus de signes que celui-ci n'en fait ? Quand il viendra ? Il n'est donc pas venu ? L'Église se rappelle au bon moment que Jésus fait des sèmeia tels qu'en effet le Fils de l'homme, quand il viendra, n'en fera guère de plus grands, quoique avec un peu d'imagination il ne soit pas difficile de remporter sur Cérinthe. En tout cas, ils n'ont pas beaucoup frappé Jésus, qui disait il n'y a qu'un instant : J'ai fait une seule œuvre et vous voilà tous étonnés ! 32. Les pharisiens entendirent le peuple murmurant ainsi à son sujet ; et les princes des prêtres et les pharisiens envoyèrent des agents pour le prendre. 33. Jésus leur dit : Je suis encore un pou de temps avec vous ; et je m'en vais a celui qui m'a envoyé. 34. Vous me chercherez et ne me trouverez pas ; et où je suis, vous ne pouvez venir. 35. Les Juifs dirent entre eux : Où doit donc aller celui-ci, que nous ne le trouverons point ? Doit-il aller dans la dispersion des gentils[9] et enseigner les gentils ? 36. Quelle est cette parole qu'il a dite : Vous me chercherez et ne me trouverez, point ; et où je suis vous ne pouvez venir ? Evidemment il n'entend point ici parler de Machéron où les Juifs du quatrième siècle ont bien su le trouver. Les Juifs qui se font cette demande sont des Naziréens, des Ebionites, des Jesséens, gardiens implacables delà doctrine de Jehoudda si nettement formulée par Jésus dans les Synoptisés : N'allez pas chez les Gentils ! L'Evangéliste les met en scène en un temps où leur dispersion à travers les goym est un fait accompli depuis Hadrien, mais il exprime parfaitement les sentiments qu'ils avaient au temps du Rabbi. S'il est un endroit où ils sont sûrs de ne pas le trouver, c'est l'endroit où il y a des goym. Aussi feignent-ils de ne pas comprendre, et ils cherchent autre chose. 37. Le dernier jour de la fête, qui est le plus solennel, Jésus se tenait debout et s'écriait, en disant : Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive ![10] 38. Celui qui croit en moi, comme dit l'Écriture, des fleuves d'eau vive couleront de son sein. 39. Il disait cela de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croyaient en lui ; car l'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié. Vous comprenez ? C'est un tout autre Esprit qu'attendaient les contemporains du Rabbi, c'est l'Esprit de feu qui anime son Apocalypse, et dont il devait être baptisé le 15 nisan 789. Mais depuis que ce Juif a été glorifié, c'est-à-dire depuis qu'il a été assumé au ciel d'où il revient ici sous les espèces de Jésus, l'Esprit n'est plus le même. Ce n'est plus dans le feu qu'est l'Esprit, c'est dans l'eau du baptême. Millénariste à Kana, sur le Tabor, dans son Arche, Jésus est de plus en plus contre l'Apocalypse. Il ne détruira pas le monde païen pour être agréable à Jehoudda et à sa famille, voilà l'Esprit nouveau. Le Rabbi n'ayant guère été glorifié que sous Trajan ou sous Hadrien, cet Esprit n'a pu être donné qu'après cette formalité et la dispersion des Juifs à travers les nations. Les grandes épreuves instruisent. Jésus a fait la similitude
de Kana pour contenter les millénaristes, mais à cette fête il les condamne.
Kana, c'est l'expédient ; 40. Parmi donc cette multitude qui avait entendu ces paroles, les uns disaient : Celui-ci est vraiment le prophète[11]. 41. D'autres disaient : Celui-ci est le christ[12]. Mais quelques-uns
disaient : Est-ce de 43. Il s'éleva donc une dissension dans le peuple à cause de lui. Cette dissension est une invention de l'Évangéliste. Quoique né à Gamala, Bar-Jehoudda était dans les conditions requises ; il était de David et par son père et par sa mère. Mais l'Évangéliste a bien compris que s'il mettait les Juifs d'accord sur ce point-là, c'était l'identité prouvée du christ et de l'imposteur condamné par le Sanhédrin et par l'histoire. Comme, sous le nom de Joannès, le héros de Cérinthe n'est plus de la maison de David et que, sous celui de Jésus, il n'est plus rien de ce qu'il a été en son vivant, ni ennemi des Hérodes, ni réfractaire au tribut, ni prétendant, les Juifs lui contaient tous les titres dont il faisait état dans son Apocalypse. C'est par prudence qu'on ne tient aucun compte de ses généalogies paternelle et maternelle, qui pourtant étaient dans les Paroles du Rabbi où les autres évangélistes les ont prises. Mais Joannès a eu beau dire, en démissionnant : Je ne suis pas Élie, je ne suis pas le christ, je ne suis pas le prophète, voici des gens qui lui restituent ses origines. Tous connaissent son père et sa mère, tous savent qui il est, d'où il est ; tous savent que, s'il est de Gamala par son père immédiat, il est de Betléhem par son ancêtre David. Jésus lui-même nous dit dans Mathieu : Il n'y eut jamais prophète plus grand que Joannès, et on lit dans le prologue de Luc que Joannès était de David[13] et oint, donc christ, pour la libération d'Israël. 45. Quelques-uns d'eux voulaient le prendre, mais aucun d'eux ne mil la main sur lui. 45. Ainsi les agents revinrent vers les pontifes et les pharisiens qui leur demandèrent : Pourquoi ne l'avez-vous pas amené ? 46. Les agents répondirent : Jamais homme n'a parlé comme cet homme. 47. Mais les pharisiens leur répliquèrent : Avez-vous été égarés, vous aussi ? 48. Est-il quelqu'un d'entre les chefs du peuple ou d'entre les pharisiens, qui ait cru en lui ?[14] 49. Mais cette foule, qui ne connaît pas la loi, ce sont des maudits ! On feint que Bar-Jehoudda était lui-même ignorant de Pourtant son père était des pharisiens, et son oncle
Cléopas, qui habitait Jérusalem, était resté avec eux, à ce qu'il semble, car
Cérinthe le donnera comme n'ayant participé ni aux desseins ni aux actes de
ses neveux, ce qui a sauvé Bar-Jehoudda de la fosse commune au Guol-golta. Il
parait avoir été brave homme et s'être interposé, quand il l'a pu sans péril
pour sa sécurité, entre ses parents de 50. Nicodème leur dit (c'était celui qui était venu de nuit à Jésus, et qui était l'un d'entre eux) : 51. Est-ce que notre loi condamne un homme sans qu'auparavant on l'ait entendu, et sans qu'on sache ce qu'il a fait ? 52. Ils répondirent, et lui
dirent : Est-ce que tu es aussi Galiléen ? Lis
avec soin les Écriture ?[16] et vois : De 53. Et ils s'en retournaient chacun en sa maison. Toutefois ils ne rentrent pas chez eux sans avoir appuyé le système de Cérinthe ; étant donné par lui comme n'ayant opéré qu'en Bathanée et Judée, le Joannès n'a plus aucune attache avec Gamala, qui est de Gaulanitide, et c'est pourquoi Kapharnahum, qui en est aussi, a été transporté sur la rive opposée. Les interlocuteurs de Nicodème achèvent de lui enlever tous ses très dynastiques et prophétiques. Bien fin celui qui trouvera le fils de David par Jehoudda et Salomé, le Ben-Sotada du Talmud, dans le Jésus de Cérinthe ! Et Pourtant la vérité est plus forte que ces ruses, car Puisque Jésus est le Verbe, et qu'à l'eu croire dans son acte d'abdication, Joannès n'est pas le prophète, comment s'appelle donc le prophète de Galilée dont il est question ici ? Et comment est intitulée sa Révélation ? Tandis qu'il nous égare sur ces pistes, Cérinthe escamote l'emprisonnement du Joannès dont il a parlé plus haut et la condamnation au fouet qui s'en est suivie, et il se prépare à nous cacher sinon la sentence de mort rendue contre lui et contre Éléazar, — il est, au contraire, le seul évangéliste qui l'avoue, — du moins les motifs qu l la justifient. |
[1] Cf. Le Roi des Juifs.
[2] C'est le nom grec.
[3] On veut dire qu'ils ne croyaient pas que le christ dût mourir et ressusciter. Et plus loin, au chapitre XX, on confesse que les christiens n'avaient pas encore trouvé dans les Ecritures, des Psaumes, le passage qu'on lui a appliqué un siècle après la chute de Jérusalem.
[4] Plana ton ochlon, il l'égare par des tromperies, c'est un imposteur.
[5] Ainsi avait fait l'auteur de l'Apocalypse.
[6] En effet, ils paient tribut et font serment à l'Empereur, plus étroitement encore que du temps de Bar-Jehoudda.
[7] En y comprenant la guérison de l'officier de Kana.
[8] Certes Jésus n'a jamais été arrêté ni crucifié ; mais le Joannés a été l'un et l'autre, et tout à l'heure Cérinthe nous a dit qu'il avait été mis en prison. Ce fut dans cette circonstance.
[9]
Nous trouvons, — c'est la jalousie qui nous fait parler, nous l'avouons sans
détour, — nous trouvons que l'Église possède un peu trop d'Esprit-Saint
lorsqu'elle traduit : dispersion des Gentils,
par nations dispersées. Car ce que
l'Évangéliste veut dire, c'est proprement la dispersion
des Juifs parmi les goym. Ainsi l'entendent l'auteur de
[10]
Nous connaissons cette antienne depuis l'allégorie du puits de Jacob et
l'homélie qui suit
[11] Le prophète né pour annoncer le Renouvellement du monde. C'est en effet le cas du Joannès.
[12] Oint non seulement pour prophétiser le Renouvellement, mais pour y présider. Joannès est le christ, disaient tous les disciples de son père.
On confie aux Juifs de Jérusalem le soin de reporter sur Jésus tous les titres que le baptiseur a déclinés au prologue où il a dit : Je ne suis point le prophète, je ne suis point le christ. Ces titres, on les restitue à son revenant.
[13] Luc, I, 76.
[14] Pas un ; il a été condamné pour trahison, à l'unanimité. Cf. Le Roi des Juifs.
[15] Cf. Le Charpentier.
[16] Écritures imaginaires, du moins dans le sens qu'on leur donne ici.