I. — CALQUÉE SUR CELLE DE L'APOCALYPSE. Remaniée et contée à la troisième personne, Inspirée, si l'on veut, mais pour des besoins hermétiquement juifs, mystification pure jusque sur la croix, la fable évangélique n'est qu'une mythologie pour chef-lieu de canton. Rien de grand dans la cause : un intérêt de secte, moins
encore, un intérêt de famille. Maria accouchant d'une marionnette dont l'Eglise
tire les fils depuis seize cents ans. Car c'est l'Eglise seule qui a fait de
Bar-Jehoudda Jésus, et de ce juif le Fils de Dieu. Jamais il n'a émis
pareille prétention, ni pour lui les premiers évangélistes. C'était un de ces
fils de Dieu comme Iahvé en faisait tous les jours parmi les Juifs. Il se
disait fils de Dieu, et non le Fils de Dieu, fils d'homme et non le Fils de
l'homme, christ selon David et non le Christ[2], sauveur par le
baptême et non le Sauveur. Si tu dis que tout homme
qui naît selon l'ordre de La présence de Dieu dans cette région n'a point été signalée : grave lacune dans la fable évangélique, car il s'agit évidemment du Dieu des Juifs et on avouera bien que les Juifs étaient seuls compétents pour voir Dieu, puisque depuis la création il ne s'était montré qu'à eux. Si Dieu s'était de nouveau montré et dans la tribu de Zabulon, cet événement n'eût point passé inaperçu, étant donné les rivalités qu'il y avait entre les douze tribus d'Israël. Si Dieu s'était tout à coup prononcé pour Zabulon, il y aurait eu mouvement au moins dans Juda, Benjamin et Ephraïm. Le seul Dieu qui apparut vraiment en Judée, c'est Jupiter Capitolin, raflant de sa dextre puissante les deniers du tribut, tandis que le Iahvé du Temple, de sa senestre vigoureuse, empoignait les didrachmes ! II. — ENCORE LE SONGE DE JOSEPH. Tout en proclamant dans On ne pouvait rendre un hommage plus direct au grand-père de Mathias, au grand Jehoudda qui avait dit : Ne vous faites point appeler maîtres, car vous n'avez qu'un seul Maître, et vous êtes tous frères. Aussi n'appelez personne sur la terre votre père, parce que vous n'avez qu'un Père qui est dans les deux[4]. Jehoudda ne se singularisait pas. Il répétait ce que disaient toutes les Écritures. Iahvé ne disait-il pas dans Isaïe : Je suis dans le ventre des mères d'Israël lorsqu'elles conçoivent ? Et Jésus ne dit-il pas des Juifs, après avoir défendu aux apôtres d'aller chez les goym : Il est écrit : Vous êtes dieux ? Or la génération du christ était celle-ci : Maria, sa mère, après avoir été fiancée à Joseph, se trouva grosse avant qu'ils eussent été ensemble, ayant conçu de l'Esprit-Saint. Elle était grosse parce que, comme dit plus explicitement Luc, le Verbe Jésus l'avait regardée et qu'un regard du Verbe, c'est la fécondité immédiate. Désignée par les prophéties comme devant être la servante du Seigneur, il lui a suffi d'être fiancée à un homme du même sang qu'elle pour être par avance grosse des œuvres du Verbe. Joseph n'a fait que le geste. Or, Joseph, son mari, étant juste, [c'est-à-dire
fidèle observateur de Joseph connaît son Deutéronome sur le bout du
doigt, et plus il est juste, plus le scandale est grand, car il est écrit : Si un homme ayant épousé une femme... et cherchant un prétexte pour la répudier, lui impute un
crime honteux en disant : J'ai épousé cette femme, mais m'étant approché
d'elle j'ai reconnu qu'elle n'était point vierge... son père et sa mère la prendront, et ils représenteront
aux anciens de la ville qui seront au siège de la justice les preuves de la
virginité de leur fille... et les anciens de
la ville prenant cet homme lui feront subir la peine du fouet... parce qu'il a déshonoré par une accusation infâme une
vierge d'Israël... Et si ce qu'il objecte est
véritable, s'il se trouve que la fille quand elle l'épousa n'était pas
vierge, on la chassera hors de la partie de la maison de son père, et les
habitants de cette ville la lapideront et elle mourra, parce qu'elle a commis
un crime détestable dans Israël, étant tombée en fornication dans la maison
de son père, et vous ôterez le mal du milieu de vous[5]. Voilà donc à
quoi s'expose Joseph : ou recevoir le fouet et payer l'amende, s'il diffame
Maria ; ou la livrer à la mort s'il dit vrai. Mathieu le place entre la thèse
de Jehoudda sur la filiation divine des juifs et la terrible disposition de Comment comprendre que,le Lévitique lui ayant imposé l'obligation de n'épouser qu'une vierge, Joseph ait eu l'impudence de faire nazir dès le ventre, de consacrer à Dieu le fruit avéré du déshonneur de sa femme ! Il y a là un faisceau d'illégalités sacrilèges comme il ne s en est jamais rencontré dans la vie d'un juste. Joseph prend le parti le plus modeste qu'on puisse prendre quand on se moque des goym avec cette désinvolture, il se tait. Mais comme il réfléchissait à ces choses, voilà qu'un ange du Seigneur lui apparut en songe, [le songe de Joseph] et lui dit : Joseph, fils de David, ne craignez point de prendre Maria votre épouse, car ce qui est né dans elle est du Saint-Esprit. Elle enfantera un fils, et vous appellerez son nom jésus, car il sauvera son peuple de ses péchés. Et, en effet, le nom de Bar-Jehoudda fut appelé jésus, en d'autres termes il fut surnommé jésus, parce qu'à partir de 782, il remit les péchés dans l'eau du baptême. Observons que l'Annonciation est à Joseph et non à Maria, comme dans Luc, parce que dans Mathieu la généalogie de Bar-Jehoudda est par Joseph. L'ange (Gabriel) fait à Joseph l'application de son propre système génésique. C'est une flatterie qui n'a pas été comprise. Le seul tort de Mathieu, c'est d'avoir présenté son allégorie sous des dehors si grossiers que le bon renom de Maria, épouse irréprochable, s'en est trouvé terni. Mais si l'on réfléchit que Mathias, sous le nom de qui on a mis cette Nativité, était le petit-fils de Salomé, tout soupçon d'irrespect s'évanouit. Tout soupçon d'imposture aussi, car, fils de Jehoudda dit Thomas, jamais Mathias n'aurait prétendu dire que son oncle, le Nazir, se fût appelé Jésus de son nom de circoncision, ni que son grand-père se fût appelé Joseph. Jésus est une simple épithète, Mathieu l'indique bien. Chez un juste comme Jehoudda, le premier-né, le békôr, s'appelait toujours comme son père, et si celui-ci se fût appelé Joseph son premier-né se fût appelé Joseph. L'ancienne Loi était formelle, à ce point que, si quelqu'un venait à épouser la veuve de son frère, il était obligé de donner le nom du mort au premier fils qu'il avait d'elle. Or, tout cela s'est fait pour accomplir ce que le Seigneur avait dit par le prophète, en ces termes : Une Vierge concevra, et elle enfantera un fils, à qui on donnera le nom d'Emmanouël, c'est-à-dire Dieu avec nous. Les scribes, avec leurs feintes habituelles, nous disent
qu'ils tiennent d'Isaïe l'idée de la Vierge-Mère[6]. Ils se moquent
agréablement de nous. Ils la tiennent de l'Apocalypse qui la tient du Thême de Jehoudda. Mais comme l'Apocalypse a
avorté misérablement, il faut donner à Au moment où Isaïe fit cette prophétie, Achaz, roi de Juda, pour qui il la faisait, était assailli par de puissants ennemis et sur le point de perdre la couronne. Isaïe, pour consoler le roi, annonce la naissance d'un Enfant miraculeux qui naîtra d'une vierge et qui donnera la victoire aux Juifs. Ce signe ne se réalisant ni chez Achaz ni ailleurs, Isaïe se décide, pour conserver son crédit, à s'approcher de sa propre femme, dont la virginité n'était sans doute pas contestée, et à lui faire un enfant : J'ai pris, dit-il, de fidèles témoins (Isaïe ne recule devant aucune preuve) et me suis approché de la prophétesse (comme qui dirait de la bourgeoise), laquelle a conçu et enfanté un fils. A peine est-il besoin de dire qu'Achaz, une des pires canailles qui aient jamais régné, fut en fin de compte abominablement rossé. Bar-Jehoudda ayant fini comme Achaz et plus mal encore, Mathieu lui applique la prédiction que Jehoudda et Salomé, en cela semblables à Isaïe et à sa femme, n'avaient pu réaliser que dans la même mesure. III. — COMMENT ON DISSIMULE À Pendant qu'ils chercheront dans Isaïe, les goym ne seront pas tentés d'identifier l'individu qu'on surnomme ici Jésus avec l'auteur de l'Apocalypse. C'est une identité qu'on laisse à deviner, mais qu'on n'avoue plus au moment où on écrit, elle mène trop loin. Mais que celui qui a des oreilles entende ! Joseph s'étant donc éveillé fit ce que l'ange du Seigneur lui avait ordonné, et prit sa femme. Et il ne l'avait point connue, quand elle enfanta son fils premier-né, à qui il donna le nom de Jésus[7]. Ce dernier membre de phrase est un faux caractérisé, dont aucun disciple de Jehoudda et de ses fils n'a pu être dupe. Pour le reste le scribe s'est rigoureusement conformé à la loi formulée par le Rabbi. Il ne pouvait pas appeler père du jésus un homme qui avait dit : N'appelez personne sur la terre votre père. Et voilà pourquoi le scribe passe sous silence la circoncision qui fut pratiquée sur le nouveau-né au huitième jour, car c'est dans cette cérémonie qu'on choisissait le nom de l'enfant ; en l'espèce Jehoudda et nul autre. Pour la même raison on cache aux goym cette chose
essentielle que, dans cette famille où Cela se comprend, il existe des écrits, notamment celui que Luc a arrangé, où le Nazir (dont on a fait Naziréen) est nommément Joannès : Il (Joannès) sera grand devant le Seigneur ; il ne boira point de vin ni de ce qui peut enivrer ; et il sera rempli du saint-esprit dès le ventre de sa mère[8]. Et alors c'est l'identité avouée ! Car il n'y a pas deux
enfants Nazirs dans l'Evangile, mais un seul alternativement appelé le
Joannès ou le jésus. Or on se réserve d'inventer le bourg de Nazareth pour
expliquer autrement que par la vocation religieuse un des surnoms ordinaires
du Joannès-jésus. De plus l'état de Naziréen n'entraîne pas qu'un régime
alimentaire particulier, il engage étroitement dans les liens et dans les cérémonies
de Aux termes de IV. — L'ÉTOILE DES MAGES. La date de la naissance est fixée mathématiquement par les Mages : Jésus étant donc né à Betléhem de Juda[10], aux jours du roi Hérode, voici que des mages vinrent d'Orient à Jérusalem. Et ils demandèrent : Où est celui qui vient de naître Roi des Juifs ? Car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus l'adorer. Ce que le roi Hérode ayant appris, il en fut troublé, et toute la ville de Jérusalem avec lui. Hérode étant mort en mars 750, c'est en deçà que se place
la naissance du roi-né que le Dieu des Juifs oppose à Antipas l'héritier
présomptif. Mais le règne d'Hérode ayant été long de trente-sept années, comment
trouver celle de Et ayant assemblé tous les princes des prêtres et les scribes du peuple, il s'enquit d'eux où devait naître le christ ? Ils lui dirent : Dans Betléhem de Juda, selon ce qui avait été écrit par le prophète (Michée) : Et toi, Betléhem, terre de Juda, tu n'es pas la moindre d'entre les principales villes de Juda, car de toi sortira celui qui doit conduire mon peuple d'Israël. Sur la maison d'où le messie doit sortir, aucun désaccord entre les Juifs, voire talmudiques, c'est la maison de David. On a cité Michée, on aurait pu citer tous les prophètes. Hérode n'avait à consulter personne. Alors, ayant fait venir les mages en secret (c'est assez dire que personne ne les a vus), Hérode s'enquit donc avec grand soin du temps auquel l'étoile leur était apparue. Et les envoyant à Betléhem, il
leur dit : Allez, informez-vous exactement de cet
enfant et lorsque vous l'aurez trouvé, faites-le moi savoir, afin que moi
aussi, j'aille l'adorer. Hérode ne conteste pas les prophéties, ce n'est pour lui ni une question de principe, ni une question de lieu : c'est une question de période, et ce que les Chaldéens lui ont dit du temps auquel l'étoile leur est apparue l'a fortifié dans le sentiment général. Le signe est apparu dans un temps marqué sur leurs tables, ils ont marché à l'étoile, parce que la pénultième année jubilaire est venue. Ils ne se sont pas trompés dans leurs calculs, et quand ils arrivent le christ est né. Ayant entendu ces paroles du roi, ils partirent. Et en même temps l'étoile qu'ils avaient vue en Orient allait devant eux, jusqu'à ce qu'étant arrivée sur le lieu où était l'enfant, elle s'y arrêta. Lorsqu'ils virent l'étoile, ils furent transportés d'une joie extrême. Et entrant dans la maison, ils trouvèrent l'enfant avec Maria, sa mère, et se prosternant, ils l'adorèrent ; puis, ayant ouvert leurs trésors, ils lui offrirent des présents : de l'or, de l'encens et de la myrrhe. Et ayant reçu, pendant qu'ils dormaient, un avertissement de ne point aller retrouver Hérode, ils s'en retournèrent dans leur pays par un autre chemin. Ceci pour la bonne marche de l'allégorie, et afin qu'Hérode, apprenant d'eux en quelle maison de Betléhem était l'enfant, ne pût le faire périr au lieu d'aller l'adorer comme il l'avait dit tout d'abord. Cette étoile, qui marque Comment l'Eglise s'est-elle tirée de là ? En soutenant qu'il ne s'agit pas d'une étoile classée qui s'est levée normalement et mathématiquement : Ce fut, dit l'Eglise, un phénomène lumineux du genre des comètes et des météores, comme ceux qui précèdent les événements dont la face du monde est bouleversée. Ce ne fut donc pas, guidés par une constellation déjà existante, mais émus par un prodige inconnu d'eux-mêmes que les Chaldéens ou les Mages, il n'importe, sont venus à Betléhem adorer le Sauveur du monde ![11] En un mot, il n'est pas question d'un de ces vulgaires signes dont se servent les astrologues dans leurs thèmes de géniture, mais d'un phénomène exceptionnel et pressant qui a fait capituler toute l'astrologie devant le Jésus ! Mais pensez-vous vraiment qu'au mois de septembre, date
astrologique de leur départ pour Betléhem, les Mages aient pu voir au ciel
une autre étoile que celle qui y était de par l'Apocalypse ? Si vous
le croyez, c'est que vous n'avez pas le sens de l'allégorie. Le signe céleste
qui monte sur l'horizon ces nuits-là n'était et ne pouvait être que Pour les christiens, tout au moins pour ceux qui ont
composé l'Evangile, le monde postadamique ayant commencé en automne, le
Christ Jésus avait remis entre les mains de Mathieu, très rudement, dit que Maria porta dans le ventre : lourde expression mais
juste, si Ton songe que dans un canon astrologique fort répandu, Il ne faut pas faire porter à Joseph la peine de notre ignorance. Ce n'est pas sa faute si on n'a pas reconnu immédiatement en lui le Bouvier, dans le Bouvier Janus, l'antique et vénérable constellation qui, se levant à minuit — l'heure de l'arrivée des Mages à Betléhem — lors du solstice d'hiver, lève son bâton pour fermer Tannée qui finit et pour ouvrir Tannée qui commence.. Peut-être aurions-nous compris tout de suite si les experts en Dieu ne s'en étaient mêlés. Bon portier de lumière, tous les hommes te vénèrent, et sans l'Eglise jamais tu ne leur aurais semblé ridicule ! Il ne connaît que la consigne. Pour épouser Le Bouvier a fait lit à part dès le premier jour. Levé à
minuit, tout à ses portes, pendant que Grâce à de patientes recherches dans les archives de l'état civil du firmament, je pourrais vous dire très exactement quel jour et à quelle heure il s'est astrologiquement marié, quels furent ses témoins et ses invités. La cérémonie fut célébrée un 24 décembre, à 23 heures 59 secondes — heure de l'Europe centrale — si le Bouvier a été exact, et à minuit tout était terminé. Les étoiles ne furent nullement étonnées devoir accoucher la fiancée au bout d'une seconde de présentation, elles clignèrent de l'œil d'un petit air qui ne cachait aucun sous-entendu. Il en était venu de plusieurs milliers de lieues à la ronde, parées de leurs plus beaux diamants, avec des robes dont la queue filait en comète. L'échoppe de Joseph brillait de plus de feux qu'un parterre de rois. Telles furent, si la nuit du 25 décembre était claire, les noces de Joseph et de Maria. Pour éviter les disputes et les coups on n'avait pas invité de théologiens. Mathieu n'a donc fait que son devoir de reporter sidéral
et un peu sèchement, lorsqu'il a dit dans la note envoyée à A propos, ne vous faites pas trop d'illusions sur la
jeunesse des conjoints. Certes ils sont beaux, même à présent qu'ils ont deux
mille ans de plus, ils le seront longtemps et d'une beauté qui ne passera
point, mais ils ne sont plus de la première fraîcheur : C'est tout naturellement que l'âne et le bœuf sont venus dans la suite des temps se grouper autour de la crèche et réchauffer le petit enfant de leur haleine. Ce bœuf était en puissance dans le Bouvier, et l'âne — nous le verrons bientôt — avait des titres non moins célestes à la vénération des Juifs[12]. Bar-Jehoudda n'est pas né à Betléhem. Est-ce qu'il y naît dans l'Apocalypse ? Il n'avait point à y naître ; par son père et par sa mère il en est depuis bientôt mille ans. C'est si peu une condition qu'avant de conférer avec les scribes et les docteurs, les Chaldéens accourus au signe ignorent complètement en quel endroit le roi des Juifs doit prendre naissance. S'il était né à Betléhem, dans une maison qui devait être
classée parmi les monuments historiques, un enfant descendant de David par
son père et par sa mère, circoncis le huitième jour devant témoins, présenté
au Temple le quarantième et désigné à l'attention publique par une ambassade
venue du fond de Bar-Jehoudda ne naît à Betléhem que juridiquement. A chaque jubilé le bien patrimonial fait retour à son premier maître[13]. Dépossédé par la force, le fils de David rentre dans sa maison par la loi de réintégrande. La postérité d'Hérode doit céder la place, Dieu le veut. Ce n'est pas à ce jubilé-ci, parce que le pouvoir est encore aux hommes, ce sera pour l'autre, le jubilé du Rétablissement de toutes choses, la dernière des réintégrandes, celle d'Eve dans Adam. Ce jour-là, ce n'est pas seulement la ville d'où David est sorti que Dieu restituera, c'est tout son royaume. Si les scribes n'étaient pas libres de changer la date à
laquelle Bar-Jehoudda était né — l'Apocalypse les liait à 739 — au
moins dépendait-il d'eux de le faire naître ailleurs qu'à Gamala. Etant donné
ce parti, Betléhem était tout indiqué, et même ils ne pouvaient élire un
autre lieu, les prophéties le leur défendaient. Betléhem, berceau de David et
en même temps de Bar-Jehoudda, c'est une figure comme tout le reste, mais une
figure qui en dit long sur l'esprit qui préside à ce choix. Le Jésus naît
dans la maison d'Israël la plus heureuse en conquêtes, la plus glorieuse que
le peuple juif ait connue. La première chose qu'il dût faire, c est de sauter
sur l'épée de David, arme faible en comparaison de celles du Christ de l'Apocalypse,
mais la terre d'Israël ne lui en fournissait pas d'autres. Si quelque
Français, prophétisant sur Pour le reste, l'évangéliste n'a jamais prétendu dire que des Mages Perses fussent venus à Betléhem adorer le Roi des Juifs. C'est comme s'il eût représenté M. Edouard Drumont répandant Tor, l'encens et la myrrhe aux pieds d'un petit Rothschild nouvellement né. Ce serait d'une exécution difficile, même si, contre toute attente, M. Drumont se laissait tenter par l'appât d'une récompense. V. — DISSIMULATION DES VRAIES CAUSES DU SÉJOUR EN ÉGYPTE. La mystification continue après le départ des Mages. Après qu'ils furent partis, un ange du Seigneur apparut à Joseph, pendant qu'il dormait, et lui dit : Levez-vous, prenez l'enfant et sa mère, fuyez on Egypte, et n'en partez point jusqu'à ce que je vous le dise, car il arrivera qu'Hérode cherchera l'enfant pour le mettre à mort. Joseph, s'étant levé, prit l'enfant et sa mère durant la nuit, et se retira en Egypte où il demeura jusqu'à la mort d'Hérode, afin que fût accompli ce que le Seigneur avait annoncé par le prophète (Osée), disant : J'ai rappelé mon Fils d'Egypte. Le prophète Osée n'a rien dit qui se rattache à cette situation. Mais il importe extrêmement que les goym ne puissent savoir à quelles études Bar-Jehoudda s'est adonné en Egypte, quel genre de Fils de Dieu il en a ramené, quel signe il en a rapporté qui explique son surnom de jésus, quelles Apocalypses il a répandues à son retour qui justifient son pseudonyme de Joannès. Si l'on avoue qu'il est tout à la fois le Joannès et le jésus, si surtout on avoue qu'il a été marqué au bras du signe de la vie éternelle, cette croix dont l'Occident par Pontius Pilatus a fait l'instrument de sa mort, inutile d'aller plus loin, il n'y a pas d'Évangile possible. Il faut toujours entendre le contraire des prophéties utilisées par les scribes évangéliques. Mathieu allonge ou raccourcit les citations à sa fantaisie, selon le parti qu'il en tire. Osée faisait allusion au retour d'Egypte sous Moïse : Dans sa jeunesse, j'aimai Israël et d'Egypte je ramenai mon fils, disait Osée. Mais combiné avec Osée, Isaïe donne son vrai sens à la citation, car Isaïe avait affirmé les droits d'Israël sur l'Egypte et il avait voulu que le dieu des Juifs y eût un temple. En ses rêves de gloire, Isaïe embrassait trois terres pour
le compte de Iahvé, terres promises à Abraham et qui, toutes les trois, par
le malheur des temps, avaient échappé à ses fils. Mais Jésus refera dans
l'unité ce que les hommes ont séparé. Les trois temples sont tombés. Tombé le
premier, celui du Garizim, abandonné par les Juifs purs ; tombé le second,
celui de Sion, ruiné par Titus ; tombé le troisième, celui d'Héliopolis
d'Egypte, fermé par ordre de Rome. Que reste-t-il aux Juifs ? Rien que Jésus.
Jésus, voilà le temple de l'avenir pour tous les Juifs qui ont foi dans la
promesse. Trois temples en un, l'inaltérable Corpus
Judæorum ; trois terres sous la même Loi, l'impérissable Lex Judæorum. Les Chaldéens, c'est Abraham
parti du Harran : première étape du peuple de Dieu ; Betléhem, c'est la
postérité d'Abraham établie en Judée : seconde étape du peuple juif ;
l'Egypte, c'est Joseph régnant sur Pharaon, puis, après la servitude, Moïse
ramenant les Juifs en Judée : troisième étape du peuple de Dieu, la dernière
avant la promulgation de Tel est et non autre le sens religieux de ce voyage qui a valu tant de médailles aux peintres académiques. En allant en Egypte, Bar-Jehoudda retourne à la source d'où Moïse a jadis ramené Jésus. C'est une indication pour tous les Juifs d'avoir à le suivre dans la voie où son père a retrouvé l'Etre méchant et jaloux qu'il a proposé à la nation juive pour son Créateur. Jérusalem n'est plus, mais Alexandrie reste. Sérapis se serrera un peu pour faire place à Jésus, comme Pharaon s'est serré pour faire place à Joseph. Les Juifs d'Alexandrie ont deux quartiers sur cinq, que diable ! VI. — Alors Hérode, voyant que les Mages s'étaient moqués de lui (beaucoup moins que l'évangéliste ne se moque de nous) entra dans une grande colère, et il envoya tuer dans Betléhem et dans tout le pays d'alentour tous les enfants de deux ans et au-dessous, selon le temps dont il s'était soigneusement enquis des Mages. C'est donc bien sur une période de temps mathématiquement déterminée qu'aurait porté la consultation des Mages ; cette période, c'est un jubilé, une année de deux ans. En faisant tuer tous les enfants qui sont nés au-dessous, c'est-à-dire en dedans de ces deux années, Hérode se croit assuré de ne pas manquer son coup, car il ne sait pas encore que Joseph, après un songe de nuit, a emmené l'enfant et sa mère en Egypte. On vit alors s'accomplir ce qui avait été dit par le prophète Jérémie : Une voix a été entendue dans Rama, des plaintes et de grands gémissements : Rachel pleurant ses enfants, et ne voulant pas recevoir de consolations parce qu'ils ne sont plus. Le Massacre des Innocents
au-dessous de deux ans, on le sait, est inconnu de l'histoire et il ne
saurait en aucune façon s'entendre de la punition des fils d'Hérode en
révolte plus ou moins ouverte contre leur père. Cette exécution fut vue d'un
fort bon œil par Jehoudda et par tous les davidistes, elle ne fut même pas
trop antipathique à ceux des fils d'Hérode qui furent épargnés et qu'elle
débarrassa de concurrents redoutables. La citation de Jérémie n'est pas moins
déplacée que celle d'Osée. C'est la suite de la mystification qui a pour but
de nous cacher les vrais motifs et les véritables dates du départ de
Bar-Jehoudda pour l'Egypte et surtout l'emploi qu'il a fait de son séjour en
ce pays de divination et de thaumaturgie. Au surplus n'y a-t-il mystification
qu'à l'endroit des goym, car Rachel étant femme de Jacob dans Lorsque Mathieu fait tuer par Hérode tous les enfants de la double année, il ne veut pas dire que Bar-Jehoudda avait deux ans à son départ pour l'Egypte, mais que tous les enfants nés à Iahvé dans les deux années jubilaires (739-740), selon le temps (le calcul) dont Hérode s'était enquis auprès des Mages, ont été, à un moment donné, massacrés par les Hérodes. Si ces deux ans eussent été l'âge des Innocents qu'Hérode fait massacrer, l'enfant cause de cette hécatombe aurait eu lui-même deux ans lors de l'arrivée des Chaldéens. Avec le naturel sanguinaire que lui prête Mathieu, Hérode n'eût jamais laissé vivre le petit christ jusqu'à cet âge. Or il combine tout pour assurer la précieuse existence de ce roi-né, et même il attend qu'il soit en fuite pour faire tuer tous les Innocents de Betléhem et dépendances. C'est une des choses qui nous indisposeraient le plus contre Hérode, s'il n'était constant, d'autre part, que ces poupards de la double année étaient six mille et avaient des barbes comme on n'en a qu'au-dessus de trente ans[15]. Jamais Hérode ne s'inquiéta des petits enfants qui
naquirent dans Quelle qu'ait été la confiance de l'Évangéliste dans l'imbécillité de ses compatriotes, il n'a jamais eu la prétention de leur faire croire qu'Hérode avait mis à mort, en son temps, tous les petits Juifs de deux ans et au-dessous. Plus l'Eglise rapproche du temps de Tibère la composition de l'Evangile, plus elle expose l'auteur à rencontrer des coreligionnaires qui lui disent : Pardon, je n'avais pas trois ans quand Bar-Jehoudda est né et pourtant me voici ! Peut-être l'auteur lui-même eût-il été du nombre. Toute sa génération se trouve dans le même cas. L'Evangéliste trahit ici, et de façon irréfutable, le parti pris arithmétique qui préside à son œuvre. En effet, du décret qu'on attribue à Hérode il résulte qu'en dehors du jésus il n'y aurait pas eu un seul Juif de trente-trois ans en l'an 30 de l'Erreur christienne, et ainsi de suite, de décade en décade, jusqu'à la prise de Jérusalem par Titus. Il n'y aurait eu en Judée qu'un seul homme de cet âge-là, le jésus. Etant le seul enfant qui eût échappé au décret sanguinaire d'Hérode, les mères de famille lui auraient fait une renommée bien dangereuse pour sa sécurité ! Le seul fait d'exister était sa condamnation à mort ! VII. — RETOUR D'ÉGYPTE. Le lecteur sagace — trop longtemps on l'appela candide — a
pu tirer de Mathieu cette conclusion que, sans la double année, les Mages
n'auraient rien su de la naissance du jésus. C'est la preuve qu'en dehors du
fait et de la date Vous vous rappelez cet affreux Satan qui guette l'Enfant
pour le dévorer au sortir de Dans sa peau de pourpre le Serpent joue tour à tour le
rôle de Ici une indication fort précieuse dans l'Apocalypse. Bar-Jehoudda occupe ce lieu pendant une période, deux périodes et une demi-période, et on ne peut guère douter qu'il ne s'agisse de périodes sabbatiques qui semblent avoir été séparées par des intervalles. Son séjour ou ses séjours successifs en Egypte ont donc duré en tout vingt-quatre ans et demi. Après la mort d'Hérode, survenue en mars 750, Joseph et Maria reviennent avec l'enfant : Lève-toi, dit l'ange du Seigneur à Joseph, prends l'enfant et sa mère (l'ange connaît la doctrine de Jehoudda, il ne dit pas : ton fils) et t'en va au pays d'Israël, car ceux qui voulaient la vie de l'Enfant sont morts. Observons que Dieu envoie à Joseph un ange fort mal renseigné sur les affaires de son peuple, et qu'il lui tend un piège abominable. Car non seulement ceux qui voulaient la vie de l'enfant ne sont pas morts, mais ils sont plus altérés que jamais de son précieux sang. Au lieu du vieux roi, qui a facilité si benoîtement sa fuite en Egypte, Bar-Jehoudda va trouvera son retour trois fils d'Hérode tellement acharnés contre tout prétendant qu'ils ne peuvent se supporter eux-mêmes. Il va trouver notamment cet affreux Antipas qui naguère voulait se ceinturonner de ses entrailles. A l'arrivée, on s'aperçut qu'on avait été trompé par l'ange : le perfide Archélaüs, fils d'Hérode, et de la même humeur massacrante, régnait en Judée à la place de son père. Il s'est écoulé plus d'une année avant qu'Auguste ne
décidât en faveur d'Archélaüs, et Mathieu emploie un mot assez impropre en
disant que ce prince régnait en Judée. Archélaüs
ne fut qu'ethnarque à portion congrue pour Entre la mort de son père et l'acceptation d'Auguste, Archélaüs
eut le temps de massacrer trois mille insurgés dans le Temple, comme don de
joyeux avènement, et d'aller à Rome pour y plaider sa cause ; ses frères
eurent le temps de l'y suivre et d'intriguer abondamment ; un parti eut le
temps de se former et d'envoyer une ambassade à Auguste, demandant que Varus, proconsul de Syrie, eut le temps de réprimer une
première révolte après Archélaüs ne fut pas plus roi de Judée que son frère Antipas ne fut roi de Galilée, comme le veut l'Église dans un autre chapitre de Mathieu[16]. Pour des gens qui refusent le titre de roi à tout ce qui n'est pas le Verbe, c'est le prodiguer avec une légèreté fâcheuse. Et ces erreurs qu'aucun christien du premier âge n'eût commises sont de nature à affaiblir l'autorité des scribes évangéliques. Jehoudda et Salomé attendirent certainement que Varus eût
évacué VIII. — NAZARETH EN ÉVANGILE ET COMMENT UN VOEU DEVIENT UNE VILLE. Gomme vous l'avez vu dans Mathieu et dans la citation de Luc, c'est bien avant 750 que le Joannès-jésus a été fait nazir, puisqu'il Ta été dès le ventre de sa mère et que celle-ci a accouché en 739. Or, voici ce que nous lisons dans Mathieu : Hérode étant mort, un ange du Seigneur apparut à Joseph en Egypte, pendant qu'il dormait (c'est-à-dire en songe) Et lui dit : Levez-vous, prenez l'enfant et sa mère, et retournez dans le pays d'Israël ; car ceux qui cherchaient l'enfant pour lui ôter la vie sont morts. Joseph s'étant levé, prit l'enfant et sa mère, et il se mit en chemin pour revenir dans le pays d'Israël. Mais ayant appris qu'Archélaüs
régnait en Judée, en la place d'Hérode, son père, il appréhenda d'y aller ;
et ayant reçu, pendant qu'il dormait, un avertissement du ciel, il se retira
dans les parties de En y venant, il habita dans une ville appelée Nazareth, afin que fût accompli ce qui avait été dit par les prophètes : Il sera appelé Nazaréen. L'intention de tromper est ici manifeste. Ouvrez les
prophètes, vous n'y trouverez pas trace d'une telle prédiction applicable au
Joannès. Eludant le motif légal pour lequel le jésus avait été naziréé, on
feint qu'il tenait ce nom de la topographie galiléenne. Ce qu'on veut cacher, c'est ce qu'avoue Luc, dans Rappelons encore une fois le verset de Luc sur le Joannès : Il sera grand devant le Seigneur ; il ne boira pas de vin, ni rien de ce qui peut enivrer, et il sera rempli du Saint-Esprit dès le ventre de sa mère[17]. Vous voyez où l'Eglise veut en venir (Mathieu et Luc n'y sont pour rien). Ses scribes essaient de nous faire croire qu'à côté du Joannès-jésus, qui ne sera plus appelé Naziréen ni dans Mathieu ni dans Luc ni dans le Quatrième Evangile, il a existé un certain Jésus, lequel était de Nazareth, à cause de quoi il a été dit Nazaréen. Encore faudrait-il dans ce système que Nazareth existât. Mais le nom seul de Naziréen dépose contre cette hypothèse. Si Nazireth eût existé quelque part, ses habitants n'auraient point été dits Naziréens, mais Naziréthains, et personne n'eût toléré qu'à la faveur d'un calembour offensant pour la religion les Naziréthains pussent se présenter partout comme en état de naziréat perpétuel. Naziréen est très régulièrement formé, au contraire, comme dérivé de nazir. Aussi est-ce le nom qu'ont pris après la chute de Jérusalem les disciples de Bar-Jehoudda. Et c'est celui qu'ils ont gardé dans l'histoire des hérésies, car leur bouche s'étant licenciée à traiter Jésus de fantoche[18], les disciples du Nazir ont été mis au rang des hérétiques ! Il est bon que vous sachiez cela, et si vous ne l'admirez point sincèrement, c'est que vous n'avez aucun sens de l'esthétique. Nous vous avons déjà montré que le surnom de Nazir ne tenait point à la topographie mais à la vocation tout individuelle du premier-né que ses parents consacraient à Iahvé. Né à Betléhem, c'est à Betléhem même que l'enfant aurait été voué à Iahvé, dès sa naissance ou tout au moins dès sa circoncision le huitième jour. Puisqu'il était békôr, Joseph et Maria n'eussent point attendu sa douzième année pour le naziréer. Mais comme dans la mystification que patronne Jésus, le Joannès était dit à bon droit le Nazir, les scribes lui ont pris ce nom qu'il méritait par son régime pour le transporter à Jésus qui ne le mérite en rien. Les scribes, gens d'Egypte ou de Syrie, qui ont fabriqué ce verset, montrent une ignorance extraordinaire des rites juifs ou plutôt un furieux mépris du public. Impossible d'être moins naziréen que Jésus, C'est un de
ces naziréens qui passent leur vie à ne point distinguer entre les viandes
pures et impures — si bien que le porc se trouve autorisé — à boire du vin
avec les publicains, les douaniers et les gens de mauvaise vie, comme il le
fait dans Kapharnahum, et même à en mettre là où il en manque, comme il le
fait dans Cana : contradiction énorme, violation perpétuelle de Le Joannès n'ayant été dit de Nazareth qu'à cause de son naziréat
et Nazareth n'existant pas plus que Jésus, on ne voit pas bien comment il
aurait pu y habiter. En revanche, on ne voit pas comment, étant le Verbe de
Dieu dans la fable, Jésus aurait pu descendre ailleurs que dans On a dit du Nazir qu'il était de Nazareth pour lui créer un alibi hors de son état religieux. Pour le même motif on a dit de son frère Shehimon le kannaïte[20], qu'il était de Cana, avec cette différence que Cana existe. Même jeu de mots dans le fond et dans la forme. Si on eût fait Shehimon kannaïte, on aurait avoué que son frère aîné l'était plus que lui et qu'à ce point de vue ils étaient bien fils de leur père. Ce n'est donc point par ignorance que pèchent les scribes. Il y a chez eux parti pris de dérouter, de désorienter le lecteur, ce qui est bien différent. Il n'a pas plus été possible, malgré le zèle des intéressés, de retrouver, sur la rive gauche du lac de Génézareth, remplacement d'un Kapharnahum où l'Evangile montre une synagogue, un poste commandé par un centurion, un péage et un bureau de publicains, qu'il ne l'a été de retrouver le nom de Nazareth dans aucun Talmud, Autant Bar-Jehoudda est à l'aise dans les parties de Galilée situées à l'orient du Jourdain, autant il est à l'étroit dans la partie occidentale du lac de Génézareth. Le Kapharnahum de la rive gauche est comme Nazareth un village du pays de féerie, où Jésus prêche insaisissablement. Kapharnahum était sur la rive droite, près de Bethsaïda, et il n'a été transporté sur la gauche qui par une décision des cartographes ecclésiastiques consécutive à la construction de Nazareth. De même que Jehoudda, Salomé, Bar-Jehoudda et ses frères, Gamala, ville natale de Jehoudda et peut-être du Nazir, tout ce pays est baptisé d'un nom qui le rend méconnaissable. La terre que baigne la rive orientale du Jourdain et du lac a pour capitale Nazareth, cela dispense de nommer le berceau de la famille. C'est un pays d'Attendeurs, de Désireurs, de Souhaiteurs, de Cuideurs de Christ, et aussi de jésus au petit-pied, qui s'étend de Gamala aux sources du Jourdain, en passant par Bethsaïda et Kapharnahum. Tous les noms géographiques sont ou supposés ou changés.
Une province, Quant à la ville que les scribes sanctifient en y faisant
habiter Jésus, des gens qui, à aucun prix, ne veulent prononcer le nom de
Gamala, berceau des apôtres, ne peuvent l'appeler autrement que Nazareth. Ils
ont créé ainsi dans l'esprit des dupes une Ville Sainte, une Ville immaculée,
dont les Marchands de Christ[22] du huitième
siècle ont donné le nom au village qu'ils ont construit à l'opposite de Ce n'est donc pas à l'occident du Jourdain qu'il fallait construire Nazareth, mais à l'orient où sont Gamala, bourg natal de Jehoudda, et Bathanea, bourg-capitale de Bar-Jehoudda. C'est une autre folie de chercher Kapharnahum sur la rive occidentale du lac, où d'ailleurs on n'a jamais pu le trouver. Kapharnahum était aux confins de Zabulon et de Nephtali. L'historien Josèphe qui y est allé, qui y a séjourné, place Kapharnahum au même endroit que Mathieu appliquant Isaïe, et non selon le bon plaisir de l'Eglise interprétant à rebours l'Evangile. Nazareth n'en était pas moins très bien trouvé pour y loger la christophanie de Jésus. Nom céleste et qui n'avait point servi ; excellent nom pour le Verbe en visite chez les disciples du Nazir. Le Temple détruit, Sion aux Romains, où vouliez-vous qu'il descendît sur cette terre envahie ? Il a Douze logis là-haut, mais en Judée, hélas ! où reposera-t-il sa tête ? Dans la maison du Seigneur, sa maison ? Demandez à Titus et à Hadrien ce qu'ils en ont fait ! IX. — LE SOLDAT PANTHER. Je ne veux point passer à C'est la récompense des héros juifs de se survivre dans un surnom qui évoque l'œuvre ou caractérise ridée maîtresse de leur vie. Le nom de famille s'efface devant celui que les scribes décident. Auprès des christiens de TransJordanie, dans cette région où le grec se mêle à l'araméen pour composer une sorte de sabir, Jehoudda s'appelle Panthora[24], Toute-la-Loi, et le plus grand honneur qu'on puisse faire à son fils aîné, c'est de l'appeler Bar-Panthora. De même le plus grand éloge qu'on puisse faire de la mère, — éloge inusité, presque une apothéose civique. — c'est de désigner son grand fils sous le nom de Bar-Salomé. Permis aux évangélistes pour dépister l'histoire, cette ennemie, de masquer Jehoudda sous Joseph, Salomé sous Maria, Bar-Jehoudda sous Joannès et ensuite sous Jésus, c'est de bonne guerre. Mais le nom patriotique de Jehoudda, c'est Panthora. Alors que, saluant en lui Sous le nom de Maria, mère du jésus, l'innocente Salomé, mère de Bar-Jehoudda, porte dans quelques récits juifs et païens la peine d'avoir trompé Joseph avec un individu qu'ils appellent par corruption, les uns Panthera, les autres Pandira, les autres Pandera. Voici l'étymologie de cette énormité. Le livre de Que se passe-t-il alors ? Une chose dont l'Église avec ses fourberies superposées est absolument responsable. Les païens, ennemis de l'imposture qui monte à l'Orient, voient que dans la fable Joseph avait pris sa fiancée si pompeusement enceinte des œuvres d'autrui qu'il avait eu l'intention de la chasser (il ne la garde que pour ne pas faire esclandre) ; ils voient que Maria est une gaillarde dont le corps était rempli de sept démons qui sont pour le moins les sept péchés capitaux, le plus fort chez elle devant être la luxure, puisqu'elle n'a même pas pu se retenir étant fiancée. Le doute est d'autant moins permis que les Juifs du Talmud désignent l'enfant sous le nom de Ben-Sotada, fils de l'adultère. On a cherché l'homme avec qui Maria avait si scandaleusement trompé Joseph, et alors on a trouvé qu'elle avait eu des relations fort étroites (neuf enfants) avec un certain Panthora. Jésus, premier enfant de Maria, est né d'un adultère ; sa mère était sota, et Joseph sotada, le Talmud le constate officiellement, puisque le jésus y est dit Ben-Sotada. Dans ces conditions, de qui est-il donc fils ? Il ne peut être que de Panthora, puisque les Ecritures christiennes elles-mêmes confessent qu'il était fils de Maria, d'une part, et de Panthora, de l'autre. Reste à savoir qui était ce séducteur de si haute envergure, dans lequel personne n'est allé chercher ce qui y était en puissance, c'est-à-dire Joseph lui-même. On découvre qu'il a vaillamment porté les armes dans des circonstances obscures. On fait de ce Panthora un soldat romain, une manière de pandour dont le vrai nom est plutôt Pantéros, Tout amour : Je suis Michel dit Puits d'amour Au troisième major-tambour[31]. Ce miles gloriosus,
à qui la guerre laisse des loisirs, a porté les feux de Suburre jusque dans
la maison de Joseph, il a fait la facile conquête de la facile Galiléenne. Et
comme, une fois l'enfant né, on ne voit plus Joseph auprès de sa femme ;
comme, au contraire, on la montre errant de village en village, à la
poursuite de son fils qui la repousse avec insolence, on suppose qu'elle a
été définitivement expulsée par son mari à la suite de nombreux adultères, et
on la transforme en une dévergondée qui fait publiquement commerce de ses
vices. La légende de l'irrésistible Pantéros et de la galante Maria s'élargit,
s'étend, flatte le goût de scandale qui est au fond de toutes les polémiques,
et voici que la tragique figure de Jehoudda. Toute Mais laissons cette atellane entrée dans la tradition païenne par la porte que lui ouvre un thème de géniture trop risqué. Le soldat Panther a ceci de commun avec Jésus qu'il n,a jamais existé. Nous sommes d'accord avec les calomniateurs de Maria, à la condition de rendre aux personnages leur nom et leur identité : Maria n'a trompé Joseph qu'avec son mari. C'est ce que je ne cesse de vous dire sous cette forme qui vous semble beaucoup trop simple pour être vraie : Salomé a eu neuf enfants dont le premier fut Bar-Jehoudda, avec le même homme, Jehoudda le Gaulonite. Je n'ai pas encore pu déterminer avec certitude l'époque à laquelle l'absurde légende du soldat Panther est entrée en circulation et à quelle catégorie d'imbéciles elle doit être attribuée. Je trouve, il est vrai, ce Panther dans Celse le platonicien, auteur du Discours véritable, contemporain et ami de Julien, et on l'y met sur le compte du rabbin dont Celse invoque l'autorité. Mais je flaire là une des mille supercheries de l'Église pour sophistiquer le témoignage de ce rabbin. Il est trop bien renseigné sur les faits et gestes de Jehoudda, de sa femme et de leurs fils, il a contre eux trop de bons arguments tirés de l'histoire pour descendre à de pareils procédés de discussion. Salomé n'a jamais été soupçonnée. Son incorruptibilité conjugale
et son opiniâtre fécondité sont la cause même de sa glorification. Les Juifs
et les païens, qui sont tombés d'accord pour dénoncer l'imposture
évangélique, n'avaient pas l'ombre d'un prétexte pour mettre en doute la
vertu de Maria. Au surplus, les anciens apologistes de l'Eglise n'ont jamais
eu à la défendre[32]. La stupide
histoire du soldat Panther semble bien n'avoir été lancée qu'au Moyen Age par
quelque Juif exaspéré des mauvais traitements que les juridictions
ecclésiastiques faisaient subir à toute sa race. Elle a été introduite dans
Celse par l'Anticelse lui-même, par le gagiste qui a composé cette
prétendue réfutation de l'irréfutable écrit rabbinique dans lequel le
philosophe païen s'était documenté. Sa présence dans Celse et dans l'écrit juif
ne peut s'expliquer que par une fraude ecclésiastique. On a commencé par
vider Celse de toute sa documentation sur Bar-Jehoudda, ses origines, sa
famille, son usurpation et sa fin. Et puisque Celse s'était appuyé sur le
rabbin, il fallait ruiner son témoignage. On raconta que ce qui en faisait la
matière, c'était l'histoire scandaleuse de Panther : la
mère du Jésus chassée par le charpentier, son mari, pour avoir commis
adultère avec le soldat Panther[33]. Calomnie idiote
à laquelle aucun rabbin des premiers siècles n'a pu songer, surtout le garant
de Celse à qui la vérité toute nue suffisait pour disculper les Juifs d'avoir
condamné un dieu. Ceux qui ont fabriqué ces fables
ont été bien aveuglés, dit ici le gagiste qui en fait état[34]. Certes ! Aussi
n'y en a-t-il aucune trace dans tout le reste du Discours véritable.
Celse n'a pas pu les connaître, ni son rabbin, parce qu'elles dérivent d'une
expression juridique mal interprétée et que le Talmud de Tibériade, où se
trouve cette expression, est un travail du quatrième siècle. L'interprétation
seule du mot Sotada montre que cette calomnie ne peut être d'un Juif
instruit. Si Bar-Jehoudda eût été considéré par le Talmud comme le fruit de
l'adultère maternel, on l'eût appelé Mamzèr, et non Sotada, qui veut dire simplement
produit de la déviation que l'adultère de
David avec Bethsabée apporte dans son arbre généalogique[35]. Vous ne voulez pas me croire parce que je suis Français et que je ne viens pas d'assez loin pour vous mentir impunément. Vous ne voulez croire ni les Juifs, parce qu'ils sont Juifs, ni les païens, parce qu'ils sont païens. Vous ne voulez croire ni les évangélistes, lorsque par hasard ils ne vous trompent pas, ni Jésus lorsqu'il vous dit la vérité, ni l'histoire, lorsque ses témoignages sont concordants, ni la chronologie, lorsque ses dates sont arithmétiques, ni la raison, lorsqu'elle ne se double d'aucun intérêt. Ah ! vous êtes bien fils de l'Église ! |
[1] On sait que les trois Synoptisés seuls ont suivi ce plan dont Cérinthe s'est écarté dans le Quatrième Evangile.
[2] Je ne suis pas le Christ, dit-il aux pharisiens (Quatrième Évangile, I, 20). Cela se voyait bien ! Cela se vit encore mieux lorsqu'on le descendit de la croix.
[3] Anticelse, I, 57.
[4] Mathieu, XXIII, 8 et 9.
[5] Deutéronome, XXII, 13-22.
[6] Isaïe, VII, 14. Je ne reproduis pas les interprétations que les docteurs ont ajoutées de leur propre mouvement au texte des Évangiles. Elles ne sont point de mon sujet, et plusieurs confinent à la folie.
[7] Contradiction flagrante avec le verset où il est dit : Vous le surnommerez jésus.
[8] Luc, I, 15.
[9] Cet épisode a été conservé par Luc. L'Église s'est bornée à le transporter après la fausse Nativité de Jésus qu'on place au Recensement de 760, pour des raisons de haute diplomatie ecclésiastique sur lesquelles nous nous expliquerons en temps voulu.
[10] Observons que le scribe connaît parfaitement la géographie, car il ne confond pas Betléhem de Juda avec Betléhem de Galilée citée dans Josué (XX, 15) comme étant l'une des douze villes attribuées à la tribu de Zabulon. C'est auprès de cette Betléhem qu'a été bâti le village de Nazareth au huitième siècle.
[11] C'est la défaite qu'a trouvée l'Anticelse. D'où l'on peut conclure hardiment que le vrai sens de l'allégorie évangélique n'avait point échappé à Celse et à Julien.
[12] Dès le cinquième siècle l'Eglise a commencé son travail contre tous ceux qui, ayant percé à jour les fourberies évangéliques, niaient que Jésus fût venu en chair et que la prophétie de Michée suffit à démontrer qu'il était né à Bethléem. Que celui-là songe, s'écrie l'Anticelse, qu'on montre à Betléhem la grotte où il est né (plus d'hôtellerie) et dans cette grotte la crèche où il fut enveloppé de langes (les langes eux-mêmes peut-être ?) Tous les récits de la naissance qui sont dans l'Evangile sont d'accord là-dessus. (Anticelse, I, 51.) Mais celui qui est dans l'Apocalypse ?
Quant à la grotte de Betléhem, elle existait bien. C'est celle où, à la fin du quatrième siècle, les femmes du pays continuaient à adorer Tammouz, lequel était le nom syriaque d'Adonis.
[13] Lévitique, XXV, 10, 13, 28. Les Evangiles ont été faits par des Juifs qui connaissaient à fond le droit mosaïque, ils sont le plus souvent examinés par des gens qui l'ignorent absolument.
[14] Luc, Prologue.
[15] Au septième ou huitième siècle on a recompté les Innocents mis à mort par Hérode : ils étaient devenus quatorze mille !
Macrobe avait conté un mot d'Auguste qui peut fort bien avoir été dit. Auguste, apprenant qu'Hérode avait fait tuer son fils Antipater comme conspirateur, s'était écrié : Mieux vaut être le porc d'Hérode que son fils ! On pensa que c'était l'occasion ou jamais de donner un air de vérité au Massacre des Innocents et on fit dire à Macrobe qu'Auguste avait eu ce bon mot, en apprenant que parmi les enfants au-dessous de deux ans dont Hérode, roi des Juifs, avait ordonné la mort en' Syrie (en Syrie !), son fils s'était également trouvé. Antipater ayant environ quatorze ans à sa mort, treize mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf enfants au-dessous de deux ans avaient été tués par une erreur regrettable évidemment, mais irréparable. Auguste, insensible à cette perte, n'a de larmes que pour Antipater. Auguste est un païen.
[16] La pseudo-décollation du Joannès.
[17] Luc, II, 15.
[18] Epiphane, Contra heræses, et mieux les Philosophumena. Nous en parlerons au chapitre Les Paroles du Rabbi.
[19] A un degré moindre que le Nazir, tous étaient voués.
[20] Le Zélote.
[21]
Nommée avec Gadara et Abila par Polybe de Mégalopolis, et par Josèphe (Antiquités
judaïques, livre XII, ch. III). C'est Bathanea, vieille capitale de
[22] Christemporoi. Le mot est du philosophe Justin.
[23] D'après Isaïe, VIII et IX.
[24] Du grec pan, tout, et de l'hébreu, thora, loi.
[25] J.-G. Wagenseil, Sota, hic est liber Mischnaicus de uxore adultera suspecta, etc. (Altdorfi Noricorum, 1674, in-4°.) Vous pouvez vous offrir la lecture de cet ouvrage, il a 1.234 pages sans compter les corrections et additions, mais peut-être êtes-vous assez puni par la lecture de celui-ci ; il vaut mieux pour vous que les peines se confondent.
Sur le mot Sota, voyez les Nombres, V, 25, et toute l'ancienne Loi.
[26] Dans le traité Nazir il n'est pas nommé autrement : le fils de l'Adultère. Tout le monde sait de qui il s'agit.
[27]
Voir dans l'Anticelse ce que l'Église nous a laissé de
[28] Contra hæreses, 78.
[29] Livre IV, ch. XV. De fide.
[30] Traité du Sanhédrin.
[31] Le Caïd, paroles de Sauvage, musique d'Ambroise Thomas, acte II.
[32] C'est même la seule façon d'expliquer qu'au huitième siècle Jean Damascène, plus tard canonisé, n'ait pas craint d'introduire Panthora dans sa Généalogie de Jésus.
[33] Anticelse, I, 28.
[34] Anticelse, I, 28.
[35]
L. Germain Lévy,