CHRONIQUE PERSANE D’HERAT DE MOUYIN ED-DIN EL-ESFIZARI

 

TRADUCTION ET NOTES PAR M. BARBIER DE MEYNARD.

 

Texte mis en page par Marc Szwajcer

 

 

Introduction

Première partie

Deuxième partie

Troisième partie

 

 

INTRODUCTION.

§ I.

S’il est peu de villes en Asie qui aient eu, plus qu’Herat, le privilège d’attirer l’attention de l’Europe dans ces dernières années, il est juste d’ajouter qu’il y en a peu dont l’histoire particulière nous soit moins connue. Théâtre de la lutte de deux grandes puissances rivales, lutte à peine commencée, et dont l’issue doit décider du sort de l’Orient, Herat, ou pour mieux dire le Khorasan oriental, a vivement préoccupé la diplomatie et l’art militaire. En dehors de ces travaux d’une nature toute spéciale. On a dû se contenter, jusqu’à ce jour, des relations récentes de quelques voyageurs anglais, ou des renseignements peu précis qui se trouvent dans les estimables ouvrages de De Guignes et de Mouradjea d’Ohsson. Il est vrai que, considérée superficiellement, l’histoire d’Herat est à peu près celle de toutes les villes célèbres du monde musulman, d’incessantes révolutions, de nombreuses alternatives de despotisme et d’anarchie, des scènes de carnage, et, de loin en loin, une résurrection éphémère, une splendeur momentanée: ainsi pourrait se résumer à grands traits l’historique de cette contrée, depuis sa conversion à l’islamisme jusqu’à la chute de la famille Dourâni. J’aurais donc renoncé à reproduire ce sombre tableau, si l’étude attentive des documents originaux ne m’avait laissé la conviction que la publication, même partielle, de ces documents pourrait jeter quelques clartés sur les ténèbres qui enveloppent les annales du Khorasan au xve et au xvie siècle. Sans parler des petites principautés, comme celles des Ghourides et des rois Kurt, la brillante dynastie des Timourides, dont Herat fut la capitale, attend encore un historien. J’ose espérer que les fragments que je présente aux lecteurs de ce recueil pourront sinon combler cette lacune, au moins préparer d’utiles matériaux pour l’avenir. Dans ce but, j’ai cru pouvoir user d’une certaine indépendance dans la mise en œuvre et la traduction de ces extraits.

L’auteur de la chronique d’Herat ne paraît pas avoir adopté un plan méthodique; l’enchaînement rigoureux et la logique des faits le préoccupent médiocrement. Mouyin ed-din est avant tout un écrivain élégant, un poète qui travaille sous les auspices d’une cour raffinée, et dont Ali Schir avait fait presque une académie. Comme prosateur, on peut lui reprocher l’affectation et la recherche de Mirkhond ou de Vassaf, mais il rachète ces défauts, si communs à son siècle, par la nouveauté des détails et le caractère véridique de ses assertions.

J’ai peu de choses à dire sur cet auteur, dont les tezkereh persans et le Habib es-sier ne font aucune mention; sa préface seule nous fait connaître son nom. Mouyin ed-din Mohammed, surnommé ez-Zemdji, était originaire d’Esfizâr, petite ville aujourd’hui détruite, à peu de distance d’Herat. Disciple et ami du célèbre auteur et dévot Abd er-Rahman Djâmi, dont il partageait les goûts austères et les travaux, depuis longtemps il se proposait de rédiger l’histoire d’Herat, en profitant des documents plus anciens dus à l’imam Abou Ishak Ahmed, fils de Yasin; à Thiqet ed-din Abd er-Rahman Fâmi, auteur de la plus ancienne chronique d’Herat; au poète Rébi’, de Fouschendj, auteur du Kurt-Nameh, et enfin à Seïfi Héravi, qui a laissé d’utiles documents sur les rois Kurt. Cette résolution ayant reçu les encouragements de Kawam ed-din Nizam el-Mulk, qui était alors le ministre favori de Sultan Hussein Mirza, notre auteur, voulant laisser un souvenir de plus de ce règne glorieux, termina, en 897 (1491-1492), son ouvrage, qu’il intitula: « Les Jardins célestes ou description de la ville d’Herat. »

On sait que Khondémir, dans son abrégé d’histoire intitulé Khoulaçat el-Akhbar, décrit avec complaisance toutes les splendeurs d’Herat, nomme tous les personnages marquants de son temps, sans oublier même les calligraphes et les artisans les plus renommés; cependant il ne cite Mouyin ed-din qu’une seule fois, et en passant, lorsque l’émir Ali Schir, après avoir réparé la grande mosquée, mit au concours parmi ses poètes favoris le chronogramme qui devait consacrer cette date. « Par un heureux hasard, dit l’historien, le mot proposé par le ministre s’était offert à l’esprit du mollah plein de mérite Mouyin ed-din oul millet, el-Esfîzâri, qui composa un quatrain de circonstance. » (Ms. persan, fonds St Germain, 104.) Plus loin, il est vrai, le même Khondémir parle en ces termes, d’un Mouyin ed-din, le prédicateur: « Ce personnage d’une piété et d’une modestie rares prêche ordinairement dans la grande mosquée, après l’office du vendredi. Il s’est toujours tenu éloigné du commerce des grands, et refuse les présents que sa réputation lui attire. Il ne fait d’exception à cet égard que pour notre illustre maître l’émir (Ali Schir), dont il se montre un des partisans les plus dévoués. Après la mort de son frère Nizam ed-din, en 900 de l’hégire, il le remplaça, mais pendant peu de temps, en qualité de juge, et resta sourd aux sollicitations de ses amis, qui le pressaient de ne pas abandonner ces importantes fonctions. » (Ibid. fol. 344 verso.) Ce portrait peut être celui de notre auteur, dont la préface nous révèle à la fois la vie retirée et le vif empressement à plaire aux ministres en faveur. On peut, d’ailleurs, donner une explication assez naturelle du silence gardé par les contemporains sur la chronique d’Herat. Nous savons, de l’aveu de l’auteur, qu’elle fut rédigée à la demande de Nizam el-Mulk, et dédiée à ce ministre, qu’un caprice du souverain fit périr six ans plus tard (1497). Il est naturel de croire que Mouyin ed-din ne voulut, ni commettre une bassesse, en déchirant les pages de sa pompeuse dédicace, ni s’attirer une disgrâce en multipliant les copies de son livre, et qu’il chercha dès lors, dans les contemplations béates du soufisme, un dédommagement à la réputation littéraire qu’il sacrifiait. Nous avons cependant la preuve que son œuvre fut mise à contribution par plusieurs de ses compatriotes. La description d’Herat, qu’on trouvera plus loin, a été insérée par Mirkhond dans le complément (Khatimeh) de son histoire universelle. Un écrivain qui jouit d’une certaine réputation comme homme de lettres et comme astronome, Nizam ed-din Abd el Ali, originaire de Berdjend, bourgade entre Thabès et Ferrah, a reproduit intégralement le même morceau dans une fade compilation qui porte le titre de Merveilles des Pays. (Bibl. Bodléienne. fonds Ouseley, n° 38, fol. 163 et suiv.). Enfin Khondémir, s’autorisant de l’exemple de son père, s’est rendu coupable du même plagiat; mais il a su du moins, dans le Khoulaçat, ajouter à la notice de Mouyin ed-din concernant Herat un certain nombre de détails omis par son prédécesseur.

La chronique d’Herat est divisée en vingt-cinq chapitres ou jardins, subdivisés en plusieurs sections (parterres). Les six premiers chapitres, qui forment l’introduction du livre, renferment, outre les éloges officiels et la description d’Herat, une notice détaillée sur le Khorasan, ses localités les plus remarquables, les hommes éminents qui y sont nés, etc. Quoique cette introduction présente des détails intéressants pour la géographie et l’histoire littéraire, j’ai dû me borner à en extraire ce qui appartenait strictement à mon sujet; mais plusieurs de ces détails trouveront place à l’occasion dans les notes qui accompagnent ma traduction.

On remarquera quelques inexactitudes dans le rapide résumé, tracé par l’auteur, des événements antérieurs à la dynastie ghouride. Elles ont été rectifiées, autant que possible, à l’aide des précieux documents arabes et persans qui nous sont parvenus. Ce contrôle ne fera d’ailleurs jamais défaut à la suite de ce récit, car j’estime que c’est par là, surtout, que la tâche modeste et peu pénible de traducteur peut acquérir quelque titre à l’attention du public savant.

La Bibliothèque impériale possède trois copies de cet ouvrage. Le numéro 32, fonds Gentil, copié en 1634, est d’une belle écriture neskhi, et il offre en général les leçons les plus correctes; les cinquante premiers feuillets sont piqués et présentent de nombreuses lacunes. J’ai pu les combler à l’aide du manuscrit n°10, même fonds, d’une date plus ancienne, mais beaucoup moins correct. Je ne mentionne ici que pour mémoire le numéro 105 de l’ancien fonds, que Pétis de la Croix attribue à Mohiedin al-Ramahi. Cette copie, par suite d’un long séjour dans un lieu humide, est presque complètement illisible.

§ II. — OBSERVATIONS SUR L'ORIGINE D'HERAT.

La topographie d'Herat est précédée, dans le texte persan, d'une série de traditions tirées, pour la plupart, de l'ancienne chronique de Cheikh Fâmi. On sait combien il est difficile de prendre au sérieux les assertions archéologiques des écrivains persans. Les plus graves, parmi eux, ont quelques formules toutes faites, qui leur permettent de résoudre les problèmes les plus délicats. S'agit-il d'une ville dont l'antiquité est incontestable, c'est à Thahomers ou à Djemschid qu'ils s'empressent d'en faire honneur; de même, Schapour est, à leurs yeux, le fondateur de toutes celles que la dynastie sassanide avait relevées de leurs cendres. Mouyin ed-din aurait cru manquer à tous ses devoirs d'historien s'il avait dérogé à cet usage, en recherchant l'origine de sa ville de prédilection. Je craindrais d'abuser de la patience du lecteur en donnant une traduction ou un simple résumé de ces rêveries, qui n'ont même pas l'attrait de la fiction. Mais, au milieu de cet amas de contes puérils, j'ai cru discerner quelques indices précieux, qui peuvent s'ajouter aux données classiques sur la limite orientale du Khorasan. C'est le résultat de cet examen que je demande la permission de présenter ici, aussi brièvement que possible.

Il y a tout lieu de croire que l’Aria fut peuplée par une colonie d'origine indienne, qui sortit de l'Himalaya. « Pour éviter la tyrannie de Thahomers, raconte la première de ces traditions, cinq mille familles, parmi celles qui habitaient le Kandahar et le Kaboul, émigrèrent dans le Ghour, et finirent par s'établir sur le territoire où se trouve aujourd'hui Obeh. » L'ancien nom Aria ou Ariana ne peut que confirmer cette hypothèse; mais il importe de remarquer que ce nom, désignant aussi chez les anciens le pays des Parthes, la Médie, le Fars, etc. introduit une perpétuelle confusion dans les renseignements que nous devons à l'antiquité sur les limites de l'Arie proprement dite. Ainsi, lorsque Hérodote (VII, 65) parle des Ariens de l'armée de Xerxès, ce nom doit être sans doute pris dans le sens le plus étendu. Au contraire, dans le second chapitre du même livre, où les Ariens sont, avec les Sogdiens, les Chorasmiens, etc. classés dans la seizième satrapie, il ne peut être question que des habitants de la province d'Hari (Herat). Strabon donne à l'Aria deux mille stades de long sur trois cents stades de large, c'est-à-dire à peu près la distance d'Herat au lac Zareh. Cette évaluation, qui ne parait nullement au-dessous de la vérité, doit comprendre les deux divisions principales dont parle Isidore de Charax, l'Aria et l'Anabon. Le même auteur cite dans l'Anabon, ou région comprise entre la rivière Arius et le lac Zareh, quatre villes, à savoir: Phra, dans laquelle je serais porté à voir la moderne Ferrah, Bis ou Bitaxa (?), Gari (Gouriân) et Nisi. Sainte-Croix veut sans preuves identifier Nisi avec Nisibis. Ne serait-il pas plus simple, pour rester dans les limites décrites par Strabon, de chercher cette ville dans le petit canton de Nisek ou Nischek, situé, selon Yaqout, sur les frontières du Sedjestân?

Grâce à sa position géographique, Herat devint de bonne heure le point de transit le plus important du commerce entre l'Inde et la Perse. On lit dans la chronique de Fâmi: « Dans les temps les plus reculés, lorsque le bourg d'Obeh existait seul au milieu de ces solitudes, les caravanes campaient au bord du fleuve qui passait sur remplacement d'Herat. » Les rois achéménides durent sentir bientôt la nécessité de développer ces relations de commerce par rétablissement d'une ville ou tout au moins d'un entrepôt, et telle est, je n'en doute pas, la cause première de la fondation d'Herat. Les vers suivants, qui sont encore populaires dans le pays, me semblent offrir une hypothèse assez vraisemblable, et je les cite d'autant plus volontiers, qu'ils ont été insérés avec inexactitude dans ce même recueil. (Cf. Journal asiatique, t. IV, année 1837.)

Lohrasp jeta les fondements d'Herat. Guschtasp y ajouta d'autres édifices. Après lui, Behmen bâtit une ville nouvelle, dont la ruine totale fut l'œuvre d'Alexandre le Grec.

Si ce dicton populaire parait digne de foi, il faut faire remonter l'origine de la primitive Herat vers l'an 530 ou 520 avant J. C. On pourrait, de la sorte, expliquer le passage si vague d'Hellanicus, où il est dit que Persée et Andromède bâtirent un certain nombre de villes dans l'Artœa. (Fragmenta, édition Sturz, p. 97.) On sait que la capitale de l'Aria est diversement nommée par les anciens. Dans Arrien (Anab. m, a5), on lit Artacoana ou bien encore Articabene, dans Pline (vi, a3). Il y a lieu de penser que ces différentes dénominations s'appliquaient à une seule et même ville, située sur les bords de l'Anus (Hari-roud), c'est-à-dire à la cité des Héros, des Arta. (Cf. Rawlinson, Asiat. journ. xi, p. 35.) Je dois cependant mentionner une conjecture ingénieuse de M. Ferrier (Caravan Journeys, p. 165), qui, pour éviter de confondre Aria la métropole avec Artacoana, pense que cette dernière était une ville ou un domaine de plaisance où les Satrapes passaient l'été. A l'appui de cette opinion, ce voyageur cite l'exemple des rois de Perse, qui avaient une résidence d'été à Mourghâb, près de Persépolis. Arrien (loc. laud.) affirme, en outre, que, lors de l'invasion grecque, Artacoana avait un château royal. M. Ferrier est moins heureux lorsqu'il essaye de prouver que la Sousia d'Arrien est l'ancienne ville persane de Thous, près de la moderne Mesched; en effet, il faudrait, pour adopter cette opinion, reculer avec exagération les limites de l'Aria vers le nord-ouest, et nier le témoignage si positif de Strabon. L'opinion, plus répandue, qui reconnaît Sousia dans Zouzen (Zevzen) a pour elle, outre la conformité des noms, l'appui des géographes orientaux, qui font remonter l'origine de cette ville à l'époque où les mages passèrent de la Médie dans le Seistân. La ville de Candace, placée par Isidore de Charax dans l'Aria, et non loin d'Artacoana, a dérouté jusqu'ici toutes les tentatives de la critique. Aussi n'est-ce qu'avec hésitation que je propose de mettre cette ville à quelques kilomètres au nord d'Herat, à l'endroit même où, selon les chroniques locales, fut bâtie, dès une époque reculée, la citadelle de Kohendiz. Ce dernier nom pourrait bien n'être qu'une corruption de la forme primitive mentionnée par Isidore. En outre, le cheikh Fâmi assure que la forteresse de Schemirân, qui fut plus tard désignée sons le nom de Kohendiz, servait d'asile aux tribus groupées autour d'Obeh, toutes les fois que le pays était menacé d'une invasion des Huns (Heiatileh). « Plus tard, ajoute-t-il, lorsque l'enceinte de cette place forte devint insuffisante pour une population qui s'accroissait de jour en jour, le gouverneur obtint de Behmen, fils d'Isfendiar, la permission de construire Hari. »

On interrogerait vainement les souvenirs indigènes sur l'histoire intérieure de la province d'Herat durant la domination des Achéménides. Tout ce qu'il est permis d'affirmer, c'est que ce pays dut accepter, sans contestation, l'autorité du grand roi et obéir à des délégués de son choix. Les mêmes traditions disent, à plusieurs reprises, que tel gouverneur (satrape), avant de diminuer les impôts ou de fortifier une ville, devait obtenir l'agrément du roi de Perse. Le même silence règne sur l'invasion d'Alexandre et sur les colonies laissées par le vainqueur.

Une légende, inventée sans doute pour ménager l'amour-propre national, rapporte que le conquérant macédonien ne trouva, quand il envahit le pays, que la citadelle de Kohendiz, et que, la jugeant insuffisante, il jeta les fondations d'une ville nouvelle, entourée de fortifications formidables. Berdjendi raconte avec étonnement que les habitants firent la plus vive opposition aux projets d'Alexandre, et Khondémir (loc. laud.) cherche à expliquer cette résistance, en disant qu'elle était motivée par la crainte de subir une domination plus lourde et de payer des impôts plus onéreux. La position exacte de l'Aria d'Alexandre ou Alexandria Ariana a soulevé quelques doutes. Barbié du Bocage (Historiens d'Alexandre, append. p. 193) croit la retrouver dans Fouschendj, ancienne bourgade à une journée d'Herat. Le général Court adopte l'emplacement d'Obeh, contrairement à l'opinion de Pline, qui dit positivement qu'Alexandrie fut bâtie sur les bords de l'Arius. M. Court, habitué à trancher militairement les difficultés, achève de porter la confusion dans cette question, en supposant qu'Artacoana peut être retrouvée dans Ardekoun, bourgade entre Ispahan et Yezd. (Journal asiatique, 1837, t. IV.) Enfin d'Anville, égaré par une méprise de Ptolémée, qui recule l'Aria d’Alexandre jusqu'aux rives du lac Zareh, cherche cette ville sur l'emplacement de Ferrah, dans le Seistân. Au milieu de ce conflit d'opinions, je suis, pour ma part, disposé à me ranger du côté d'Heeren, qui considère Alexandria Ariana et Artacoana comme ne formant qu'une seule ville. Sans vouloir invoquer les souvenirs locaux cités plus haut, ni le témoignage des habitants, qui montrent encore avec orgueil les ruines des tours bâties par Alexandre, n'est il pas légitime de croire que l'admirable position d'Herat, son importance à la fois commerciale et stratégique, la fertilité qu'elle doit à ses nombreuses rivières, que tous ces avantages, en un mot, durent déterminer le conquérant en faveur de cet emplacement déjà si apprécié parla monarchie dépossédée? Quant aux prétendus descendants d'Alexandre ou Kafirs, que certains voyageurs ont cru reconnaître dans les tribus nomades disséminées au nord de, Kaboul et de Kandahar, il me semble difficile de prendre une telle origine au sérieux. Cette opinion a commencé à circuler sous le patronage de deux écrivains, dont l'autorité en matière d'ethnologie est plus que contestable, je veux parler de Sultan Baber et d'Aboul Fazl. Burnes, sans nier cette origine, ne l'admet qu'avec réserve et seulement pour quelques nomades de l'Hindokousch. Les observations si précises de Molla Nedjib, l'élément persan qui domine dans leur dialecte, la physionomie farsi de plusieurs de leurs noms, tels que Caumodji, Kistodji, Pérou ni, etc. leur conformation physique, tout permet de croire que ces Kafirs sont sans doute des aborigènes, mais d'une souche ariane, que les invasions musulmanes ont refoulés au milieu de ces montagnes. (Cf. Description du Kaboul, par Elphinstone, t. II, p. 375 et suiv.)

Le culte du feu, introduit dans le Khorasan vers le ive siècle avant notre ère, dut être longtemps la religion dominante de l'Aria. Khondémir et Hamd Allah Mustôfi parlent d'un célèbre pyrée nommé Sirischk, construit sur une colline près d'Herat. (Taleh Bengui, d'après Ferrier.) Ce temple résista à toutes les commotions politiques et religieuses qui bouleversèrent le Khorasan, et ce ne fut que sous le règne d'Abd Allah, prince Thahéride, qu'il fut démoli, à l'instigation d'un prédicateur fanatique. (Voyez d'Herbelot au mot Herat.) On est d'ailleurs autorisé à penser que, dans cette ville, comme dans tous les grands centres commerciaux, la tolérance dut régner longtemps, et aujourd'hui encore les ombrages politiques, plus que la différence de religion, rendent ce séjour dangereux pour les Européens. Mentionnons, en unissant, la bizarre assertion d'un des historiens d'Herat qui prétend que, peu de temps après la venue du Messie, le prince qui régnait alors dans cette ville était chrétien, et que quatre croix s'élevaient sur les principaux bastions de l’enceinte fortifiée.

Tels sont, en résumé, les renseignements dignes de quelque attention épars dans le début emphatique de l'ouvrage de Mouyin ed-din. En les rapprochant des données assez vagues de l'antiquité, mon but a été, non d’arriver à des résultats positifs, mais de fournir à une autorité plus compétente de nouveaux éléments de certitude. Ces réserves faites, je laisse la parole à mon auteur.