CHAPITRE IV. — LE TRAITÉ DE PLUTARQUE SUR Plusieurs savants considèrent encore comme pendante la question de savoir si ce traité est réellement l'œuvre de Plutarque ; parmi eux se rencontrent quelques-uns de ceux qui ont fait des guerres médiques une étude particulière, et qui ont emprunté à cet écrit plusieurs de leurs arguments les plus forts[1]. Il semble donc que l'on puisse sans inconvénient négliger ce problème, si l'on vise moins à apprécier le mérite littéraire ou moral de Plutarque qu'à déterminer la valeur des accusations portées contre Hérodote. Peu importe, dira-t-on, de savoir si Plutarque lui-même a attaqué Hérodote, ou bien si ces attaques proviennent d'un rhéteur béotien, inspiré par le désir de défendre devant ses compatriotes la renommée de leurs ancêtres[2]. Peu importe même que cet écrit soit, comme on l'a supposé aussi, un simple exercice d'école[3]. De toutes manières, il contient des raisonnements et des faits qui ont par eux-mêmes une certaine valeur, et qu'il faut examiner avec attention, quelle qu'en soit l'origine. Cette réserve nous parait aujourd'hui excessive : les
partisans de l'authenticité ont mis en avant des preuves qui l'emportent
décidément, selon nous, sur celles de leurs adversaires. Après plusieurs
études techniques sur la langue de cet écrit, et sur la conformité de cette
langue avec celle des traités de Plutarque[4], nous avons eu,
dans un travail de M. L. Holzapfel[5], une
démonstration plus probante encore : comment Plutarque a-t-il pu être amené à
composer un pareil ouvrage ? que valent toutes les objections faites à
l'authenticité du livre ? enfin, n'y a-t-il pas des raisons décisives pour
reconnaître dans ce critique sévère d'Hérodote le même historien qui a
raconté les guerres médiques dans ses biographies de Thémistocle et
d'Aristide ? Répondant à ces trois questions, M. L. Holzapfel a donné, ce
semble, toute la force de l'évidence à sa conclusion, qui est la suivante :
le traité sur Mais, en nous rangeant à cette opinion, nous voudrions
nous dégager d'un préjugé qui semble avoir dominé jusqu'ici les partisans de
l'une et de l'autre théorie : les premiers doutes exprimés par Creuzer, à la
fin du siècle dernier, sur l'authenticité de l'ouvrage en question
s'appuyaient sur la faiblesse des critiques adressées à Hérodote ; c'est au
même point de vue que se plaçait Bähr, lorsqu'il se refusait à attribuer à
Plutarque un écrit qu'il qualifiait de futile et de plat[6]. Ainsi les mêmes
hommes qui défendaient le plus vivement l'autorité d'Hérodote répugnaient à
voir dans Plutarque le censeur passionné et injuste de cet historien. Par un
respect analogue pour l'auteur des Œuvres morales et des Vies
parallèles, les savants qui attribuaient à Plutarque l'écrit sur Pour n'être pas injuste nous-mêmes envers Plutarque, nous devons reconnaître que, de son propre aveu, il n'a pas prétendu épuiser dans son livre tous les arguments qu'on peut faire valoir, selon lui, contre Hérodote. Si sa critique est étroite, en comparaison de celle que les modernes appliquent au même auteur, c'est qu'elle s'enferme à dessein dans un domaine restreint. Il faudrait beaucoup de livres, dit il, pour passer en revue tous les mensonges et toutes les inventions de cet historien[7]. Aussi se propose-t-il avant tout de venger les ancêtres en même temps que la vérité, c'est-à-dire de relever les accusations formulées par Hérodote contre des villes grecques, Thèbes, Corinthe et autres, à l'occasion des guerres médiques. Il laisse donc de côté plusieurs des questions qui intéressent le plus la véracité d'Hérodote : il exclut, par exemple, tout ce qui touche l'armée perse, sa formation, sa marche à travers l'Asie et l'Europe, son effectif surtout, c'est-à-dire ces chiffres formidables qui ont paru excessifs à tous les historiens ; et, dans l'histoire même des Grecs, il n'examine ni les faits militaires ni les relations politiques des cités entre elles. Ne lui reprochons pas, puisqu'il l'a voulu ainsi, d'avoir laissé tant de besogne aux historiens modernes ; mais demandons-nous si, dans l'appréciation de la conduite particulière des cités grecques en face de l'invasion médique, il a été un juge impartial ; et pour se faire ainsi l'adversaire d'Hérodote, voyons sur quoi se fonde sa critique. Le seul principe qu'il suive, sans d'ailleurs l'exprimer formellement, est celui-ci : Tout est beau dans l'histoire de la lutte victorieuse des Grecs contre les Perses ; les ancêtres n'ont laissé que de grands exemples ; ce qui tend à faire tache dans le tableau lumineux de cette brillante époque est contestable, et doit être effacé. Que telle ait été la pensée intime de Plutarque, c'est ce qui résulte d'une observation générale sur l'ensemble de son argumentation, et de plusieurs aveux qui lui ont échappé. Toutes ses remarques, sans exception, visent à contester les faits qui ne font pas le plus grand honneur à quelqu'un des personnages illustres de l'ancien temps ; aucune n'a pour but de ramener à des proportions plus modestes soit le mérite d'un de ces personnages, soit l'importance et l'éclat d'une des victoires remportées par les Grecs. En d'autres termes, Plutarque exerce une critique parfois fort subtile quand il s'agit de rétablir la vérité au profit de la gloire des ancêtres ; mais nulle part il ne songe à appliquer la lame méthode à l'examen des faits glorieux ; de sorte que l'historien des guerres médiques a raison, suivant lui, toutes les fois qu'il exalte le courage, l'habileté, le désintéressement des chefs et des États grecs ; il a tort quand il soupçonne ces villes ou ces hommes de quelque faiblesse ou de quelque égoïsme. L'exemple le plus curieux de cet optimisme invincible nous parait être le suivant : on sait comment Hérodote, dans son récit de la bataille de Salamine, rapporte une tradition athénienne au sujet des Corinthiens : leur général, Adeimantos, aurait pris la fuite dès le commencement du combat. Hérodote déclare, en termes exprès, que cette tradition, contestée par les Corinthiens, a soulevé la protestation de toutes les autres villes grecques[8]. Plutarque cependant voit dans cette manière de répandre un méchant bruit sur le compte d'une ville grecque une intention malveillante d'Hérodote : calomnier d'abord, et se défendre ensuite d'ajouter foi aux calomnies, tel est en effet l'un des signes qui dénotent, selon Plutarque, un esprit malin. Mais le subtil moraliste ne se borne pas à relever ce premier tort de l'historien à l'égard de Corinthe : il y a dans cette affaire une autre ville qui est compromise ; c'est Athènes ; car une telle calomnie révèle de sa part des sentiments perfides. Faut-il donc accuser les Athéniens d'une faute aussi grave ? Non ; c'est Hérodote encore qui est coupable, et qui, du même coup, a trouvé bon, pour satisfaire sa κακοήθεια, d'atteindre à la fois deux des plus grandes cités de la Grèce[9]. Ainsi Athènes n'a pas calomnié ; le général corinthien n'a pas fui : voilà, pour Plutarque, la vérité ! Cc parti pris est assez différent, on le voit, du préjugé
qu'on attribue quelquefois à Plutarque en faveur de sa patrie, Ainsi le principe de Plutarque est bien, comme nous l'avons dit, de voir seulement le beau dans les événements glorieux du passé, et c'est au nom de ce singulier principe qu'il attaque Hérodote. Il ne comprend pas que tout autre a été l'intention de l'historien : dire la vérité comme il la voyait, d'après les traditions qui avaient cours de son temps, tel a été le but d'Hérodote ; et si à ces traditions qui lui semblaient probables Hérodote en a ajouté d'autres moins sûres, c'est que celles-ci mêmes se recommandaient à son attention de quelque manière, par l'attrait d'un récit fabuleux ou d'un mot spirituel. Hérodote n'a pas cru, comme Plutarque, qu'il ne fût permis d'ajouter à l'exposé historique des faits d'autres digressions que des louanges ; il n'a pas pensé qu'il fût scandaleux de reconnaître des causes futiles même aux plus grands événements, comme la guerre de Troie[23] ! Entre ces deux conceptions de l'histoire il n'y a pas à hésiter : Plutarque est victime d'une illusion généreuse ; mais il est dans l'erreur la plus grossière, et sa critique manque d'une base solide. On doit se demander pourtant si dans le détail, et malgré la fausseté de son principe, Plutarque n'a pas relevé chez Hérodote des faits contestables ; s'il n'a pas rencontré sur sa route, à force de vouloir trouver des armes contre son adversaire, des arguments qui ont par eux-mêmes quelque valeur. C'est ce que nous allons maintenant examiner. Pour éviter de suivre pas à pas, dans une discussion qui deviendrait bientôt fastidieuse, la polémique de Plutarque, nous distinguerons chez lui deux sortes de raisons : tantôt il conteste les données d'Hérodote en leur opposant des faits qu'il considère comme certains, parce qu'il les trouve rapportés dans des auteurs ; tantôt il relève chez son adversaire des contradictions, qu'il retourne contre lui. Les arguments que Plutarque tire de sa vaste érudition et de son commerce avec les historiens grecs ne témoignent pas d'une méthode sûre. Il cite treize noms d'historiens, et en outre un recueil anonyme d'horographes[24]. Or dans chaque circonstance où il invoque ces témoins, il leur accorde sa confiance, sauf une fois. Mais précisément lorsque, par une exception louable, il est tenté de faire la critique d'un texte, il nous paraît lui-même tomber dans l'erreur. Il s'agit du fameux passage de l'historien athénien Diyllos, relatif à la lecture d'Hérodote à Athènes. Nous avons dit plus haut quelles garanties offrait ce témoignage. Contre cette assertion, Plutarque n'a d'autre argument à invoquer qu'un raisonnement dont la base est fausse : comment, dit-il, si Hérodote avait lu son ouvrage devant un public athénien — Plutarque ne met pas en doute que cette lecture n' ait dû comprendre, entre autres, le récit de la bataille de Marathon —, comment aurait-il pu soutenir que la demande de secours, portée par le courrier Philippidès[25], eût été présentée à Sparte le neuvième jour du mois ? Hérodote assure que le courrier avait mis deux jours pour faire le voyage ; il était donc parti le 7, c'est-à-dire (ce qui est absurde) le lendemain de la bataille, car celle-ci avait eu lieu, comme chacun sait, le 6 du mois de Boédromion[26]. Voilà le fait, soi-disant incontestable, qui confond Hérodote et, du même coup, Diyllos. Mais ce fait n'est rien moins que sûr. Si Plutarque affirme que la bataille fut livrée le 6 Boédromion, c'est qu'à cette date les Athéniens célébraient la fête commémorative de Marathon[27] ; mais cette fête ne coïncidait pas nécessairement avec la date de la bataille. Au contraire, d'après le témoignage de Plutarque[28] et d'après le récit concordant de Xénophon[29], nous voyons que les Athéniens vainqueurs avaient accompli pour la première fois le 6 Boédromion, à la fête d'Artémis Agrotéra, le vœu qu'ils avaient fait, avant la bataille, d'immoler autant de chèvres qu'ils tueraient d'ennemis : le carnage ayant été trop considérable, ifs avaient dû se résoudre à n'immoler d'abord que cinq cents victimes, à condition de renouveler chaque année ce sacrifice. Si telle est l'origine de la fête commémorative de Marathon, au faubourg d'Agræ, il est évident que les Athéniens n'attendirent pas un an pour s'acquitter de leur vœu, et il s'ensuit que la date du 6 Boédromion était non pas celle de la bataille, mais celle de la première fête d'Artémis qui avait suivi. Plutarque a confondu les deux choses, et il est parti de là, bien à tort, pour tourner en ridicule Hérodote, et pour rejeter, par la même occasion, le témoignage de Diyllos. Les autres textes historiques que cite Plutarque nous
semblent n'avoir pas toute la force qu'il leur attribue : Charon de Lampsaque
ne parlait ni du sacrilège commis par les habitants de Chios en livrant à
Cyrus le Lydien Pactyès[30], ni de la
défaite des Athéniens et des Érétriens à Éphèse après la prise de Sardes[31] ; mais les citations
mêmes de Plutarque prouvent que ce logographe avait donné de ces événements
un résumé très sommaire, qui ne comportait aucun des détails recueillis par
Hérodote. — Hellanicus soutenait que Naxos avait fourni à la flotte fédérale,
en 480, six vaisseaux ; Éphore parlait de cinq, tandis qu'Hérodote réduit ce
nombre à trois[32].
Voilà sans doute de légères variantes dans la tradition ; mais est-ce que les
témoignages d'Hellanicus et d'Éphore prouvent ce que veut leur faire prouver
Plutarque ? Est-ce à dire qu'Hérodote ait eu tort de prétendre que ce
contingent de Naxos, d'abord envoyé à Xerxès, avait été détourné de sa
destination première, grâce au patriotisme d'un des triérarques, Démocrite ?
Vrai ou faux, ce fait est indépendant de la question du nombre des vaisseaux
naxiens qui figurèrent à la bataille de Salamine. — Il est vrai que Plutarque
accorde toute confiance aux horographes naxiens, suivant lesquels, lors de
l'expédition de Datis, en 490, les habitants de l'ile avaient repoussé victorieusement
le général perse[33]. Dans ce cas, il
semble probable, en effet, que les mêmes hommes durent être d'avance gagnés à
la cause grecque en 480. Mais que vaut cette tradition locale ? Et comment
cette première victoire grecque sur Datis aurait-elle passé inaperçue ?
L'autorité des horographes naxiens est aussi faible que celle d'Aristophane
le Béotien, à qui nous devons cette belle invention : Hérodote repoussé de
Thèbes, où il demandait à instruire la jeunesse, et se vengeant de ce refus
par des calomnies[34]. C'est au même
historien sans doute que Plutarque emprunte une preuve, évidemment fausse,
des dispositions favorables de Léonidas pour les Thébains et des Thébains à
l'égard de Léonidas : le roi de Sparte, avant de se rendre aux Thermopyles,
avait obtenu ce que jamais les Thébains n'accordaient à personne, la faveur
de s'endormir dans le temple d'Héraclès ; là il avait aperçu dans une vision toutes les plus grandes et principales villes de D'autres textes, que Plutarque fait servir aux besoins de
sa cause, sont empruntés à des poètes. Dans le dithyrambe célèbre où Pindare
adressait à Athènes cette apostrophe : Ô puissante
cité, au front couronné de violettes, glorieuse Athènes, rempart de Parmi les neuf autres épigrammes que mentionne Plutarque,
six se rapportent à la seule ville de Corinthe. Certes, s'il fallait prendre
ces témoignages à la lettre, Hérodote serait bien injuste pour cette rivale
d'Athènes ; car les Corinthiens auraient sauvé Cette question nous amène à examiner certaines remarques
intéressantes que la lecture d'Hérodote a suggérées à Plutarque. La valeur de
ces critiques ne doit pas être méconnue parce qu'elles se trouvent comme
perdues au milieu des reproches les plus injustes. Voici, par exemple, le
chap. 27 du traité : Plutarque y accumule, à propos de la bataille de
Marathon, des observations puériles et de véritables erreurs. Il prétend
notamment que c'est médire des Érétriens, et rabaisser leur mérite, que de
les appeler les esclaves des Perses ! Il voit aussi une intention perverse
dans le fait qu'Hérodote mentionne d'abord en passant une accusation dirigée
contre les Alcméonides, et qu'il la réfute ensuite ! Enfin il interprète
comme une flatterie à l'adresse de la famille de Callias d'Athènes cette
phrase, qui, pour tout lecteur impartial, a bien plutôt la signification
contraire : Les Alcméonides détestaient les tyrans
autant et plus que Callias fils de Phænippos. Mais, à côté de cela,
Plutarque signale une difficulté réelle dans le récit d'Hérodote : comment
les Perses vaincus et poursuivis jusque sur leurs vaisseaux ont-ils pu avoir
encore l'idée de tenter une nouvelle attaque contre Athènes, en contournant
le cap Sunium et en venant menacer Phalère ? C'est là une objection capitale
que soulève la tradition rapportée par Hérodote, et, pour y répondre, les
historiens modernes ont proposé diverses explications. Quant à Plutarque, il
ne dit pas expressément ce qu'il pense de la marche réelle des choses ; mais
nous le devinons aisément, d'après ce qu'il raconte dans Les chapitres 31-33 contiennent également, à propos des Thermopyles, de mauvaises chicanes et de justes observations. Comment reprocher, par exemple, à Hérodote de n'avoir pas cité un plus grand nombre de ces mots célèbres que la tradition prêtait à Léonidas et à ses compagnons[49] ? C'est là de la part d'un historien une preuve de sens et de critique. De même, la conduite des Spartiates est assez belle déjà dans Hérodote, sans qu'il soit nécessaire d'y ajouter encore, comme fait Plutarque[50], une vigoureuse sortie hors du défilé et une attaque qui va jusqu'à menacer la tente du Grand Roi ! Mais dans le même récit Hérodote prête à Léonidas des procédés singuliers à l'égard des Thébains : Léonidas les entraîne malgré eux aux Thermopyles, et quand, avant de combattre, il renvoie tous ses alliés, il retient les Thébains seuls, en qualité d'otages, c'est-à-dire qu'il garde auprès de lui les plus suspects de tous les Grecs[51] ! Ce n'est pas tout : au moment de se mettre à la merci de Xerxès, les Thébains implorent humblement leur grâce, et ils n'obtiennent en retour que le châtiment le plus sévère, la marque au fer rouge, comme si, par cet acharnement même, les Perses ne leur avaient pas fait le plus grand honneur, en les poursuivant de la même haine qu'ils nourrissaient pour les Spartiates et pour Léonidas[52] ! On ne peut nier que cette observation n'ait de la force ; presque tous les modernes l'ont reprise, pour corriger plus ou moins le récit d'Hérodote. D'autres remarques du même genre, pour être plus contestables, méritent cependant quelque attention : ce n'est pas sans raison peut-être que Plutarque fait ressortir la part excessive de Mnésiphile dans les sages résolutions de Thémistocle avant Salamine[53], ou celle du Tégéate Chiléos dans les délibérations des Spartiates avant le départ de Pausanias pour Platées[54]. Durant la bataille même, l'absence de plusieurs villes grecques, qui avaient jusque-là fait leur devoir, inspire à Plutarque des doutes qu'ont partagés plusieurs historiens modernes[55]. En soulevant ces questions, l'auteur du traité sur Si, malgré la fausseté de sa méthode, Plutarque a signalé chez Hérodote certaines contradictions, certaines traces de préjugés et de passions, il n'a réussi à prouver nulle part que ces préjugés ou ces passions appartinssent en propre à l'homme, à l'historien. La véracité d'Hérodote sort intacte de ce débat, et les attaques de Plutarque ont servi même à faire mieux apprécier encore ce qu'il y a chez son adversaire de finesse et de franchise, d'indépendance et de sincérité. Quant aux erreurs, elles sont dues aux influences qui se sont exercées avec force sur l'esprit d'Hérodote, et auxquelles il n'a pas pu toujours se soustraire. A cela se borne cette grande perfidie que dénonçait Plutarque, quand il mettait le lecteur en garde contre cette grâce trompeuse du style, contre ces roses dangereuses où se cache l'insecte venimeux qui pique et empoisonne[60]. Longtemps encore après Plutarque, Hérodote continua d'être l'objet des plus violentes attaques. Nous avons déjà cité quelques mots mordants de Lucien ; d'autres rhéteurs, comme Ælius Aristide, suspectèrent sa véracité, et composèrent même, comme Harpocration, des livres entiers pour réfuter ses mensonges[61]. Mais ces livres n'ont laissé pour nous aucune trace. Il est probable qu'ils ne nous apprendraient pas grand'chose sur un sujet que Plutarque avait épuisé, et qui n'a pu être renouvelé que chez les modernes. |
[1] Telle est l'opinion de MM. Nitzsch et Wecklein, dont nous étudierons dans la suite les deux importants mémoires.
[2] Cette opinion est celle de l'éditeur d'Hérodote BÄHR, t. IV, 2e éd., p. 481.
[3] Cf. BÄHR, ibid.
[4] Sur l'emploi des particules τε καί dans Plutarque, cf. FUHR, Excurse zu den altischen Rednern, dans le Rheinisches Museum, t. XXXIII (1878), p. 588 et suiv. — STEGMANN, Ueber die Negation bei Plutarch, Gestemünde, 1882, p. 33.
[5] Philologus, t. XLII (1884), p. 23 et suiv.
[6] BÄHR, op. cit., t. IV, p. 480.
[7] PLUTARQUE, Malignité d'Hérodote, I, § 3.
[8] HÉRODOTE, VIII, 94.
[9] PLUTARQUE, Malignité d'Hérodote, 39, § 2-5.
[10] ID., ibid., 29, § 1-2.
[11] ID., ibid., 25, § 1.
[12] ID., ibid., 21.
[13] ID., ibid., 28.
[14] ID., ibid., 34.
[15] PLUTARQUE, Malignité d'Hérodote, 23, § 1.
[16] ID., ibid., 24, § 1.
[17] ID., ibid., 35.
[18] ID., ibid., 36.
[19] ID., ibid., 27, § 2-8.
[20] ID., ibid., 37.
[21] ID., ibid., 23, § 2-4.
[22] ID., ibid., 18.
[23] ID., ibid., 11, § 2.
[24] Cf. HOLZAPPEL, op. cit., p. 29.
[25] C'est le même qui se nomme chez Hérodote Φειδιππίδης, VI, 105.
[26] PLUTARQUE, Malignité d'Hérodote, 26.
[27] PLUTARQUE, Sur la gloire des Athéniens, 7.
[28] PLUTARQUE, Malignité d'Hérodote, 25, § 7.
[29] XÉNOPHON, Anabase, III, 2, § 11.
[30] PLUTARQUE, Malignité d'Hérodote, 20, § 2.
[31] ID., ibid., 34, § 3-4.
[32] ID., ibid., 36, § 3. — Plutarque se trompe sur le chiffre indiqué par Hérodote : c'est quatre, au lieu de trois (VIII, 46).
[33] PLUTARQUE, Malignité d'Hérodote, 36, § 4.
[34] ID., ibid., 31, § 1.
[35] ID., ibid., 31, § 42-43.
[36] PINDARE, éd. Christ, Dithyr., fr. 4.
[37] ID., ibid., fr. 5.
[38] PLUTARQUE, Malignité d'Hérodote, 34.
[39] ID., ibid., 34, § 8.
[40] Bergk a publié cette épigramme dans le recueil des poésies de SIMONIDE, Poetæ lyrici græci, éd., t. III, p. 480. Mais on sait que dans le nombre il en admet plusieurs qu'il ne tient pas lui-même pour authentiques, et beaucoup d'autres que condamne la critique plus radicale de M. Kaibel.
[41] PLUTARQUE, Thémistocle, 8.
[42] PLUTARQUE, Malignité d'Hérodote, 33, § 8 et 9.
[43] ID., ibid., 39, § 11.
[44] ID., ibid., 42, § 4.
[45] ID., ibid., 39, § 10.
[46] ID., ibid., § 15.
[47] ID., ibid., 42, § 11.
[48] PLUTARQUE, Aristide, 5.
[49] PLUTARQUE, Malignité d'Hérodote, 32, § 3-7.
[50] ID., ibid., 32, § 1-2.
[51] ID., ibid., 33.
[52] ID., ibid.
[53] ID., ibid., 37.
[54] ID., ibid., 41, § 3-4.
[55] ID., ibid., 42.
[56] PLUTARQUE, Malignité d'Hérodote, 40, § 3.
[57] ID., ibid., 43, § 2.
[58] HÉRODOTE, VIII, 30.
[59] ID., VII, 139.
[60] PLUTARQUE, Malignité d'Hérodote, 43, § 6.
[61] SUIDAS, au mot Άρποκρατίων.