L'énorme empire d'Alexandre était plus disparate encore que celui des rois achéménides. Et les efforts de celui qui venait de mourir pour en fondre les éléments divers n'avaient pas encore pu avoir de résultats solides. Seul le prestige du maître avait assuré jusqu'ici la cohésion de ce grand corps ; encore n'avait-il pu empêcher, on le sait, ni les révoltes militaires ni les conjurations ; et, en revenant de l'Inde, Alexandre avait eu le chagrin de constater et de réprimer nombre d'actes de négligence et d'indiscipline chez les fonctionnaires — surtout les fonctionnaires indigènes — qu'il avait lui-même établis. On pouvait s'imaginer ce qui se passerait lorsqu'il ne serait plus là. De plus, dans son entourage immédiat, un petit groupe d'hommes, ouvriers de son triomphe, la plupart dans la force de l'âge, presque tous de cette jeune race macédonienne à qui semblait réservée la domination du monde, avait participé de trop près à son activité pour accepter désormais des rôles subalternes ; outre leurs talents de militaires et d'administrateurs, ils disposaient de ressources matérielles formidables ; d'abord l'armée d'Alexandre, animée — au moins dans ses éléments macédoniens et helléniques — d'un vif esprit de corps qu'un chef adroit pouvait exploiter à son profit ; ensuite l'énorme réserve en numéraire — plusieurs centaines de millions de francs-or — qui, des trésors des palais royaux, avait passé dans la caisse du nouvel empire. Alexandre n'avait pas pu désigner son successeur, si bien qu'une question dynastique allait, dès le début, souligner la gravité de la situation. Sa famille se composait, outre sa mère Olympias, restée en Macédoine, d'un frère imbécile, Philippe Arrhidée, né de Philippe et d'une danseuse. C'est lui cependant que l'infanterie macédonienne, recrutée parmi les ruraux attachés à la dynastie, désigna comme l'héritier du trône. Mais les hauts dignitaires surent faire accepter aux hobereaux de la cavalerie une solution qui n'engageait pas l'avenir : la reine Roxane était enceinte ; en attendant la naissance de son enfant, un conseil de régence devait administrer l'empire. De là un premier conflit entre fantassins et cavaliers, qui fut résolu par un compromis : Philippe Arrhidée était reconnu provisoirement roi sous la tutelle de Cratère ; Perdiccas était nommé chiliarque — fonction empruntée par Alexandre à la hiérarchie persane, et qui conférait à son possesseur le pouvoir absolu d'un grand-vizir ; Antipatros était préposé à la Macédoine et à la Grèce ; une nouvelle distribution des provinces complétait cette réorganisation de l'empire. Les premières difficultés auxquelles les nouveaux maîtres eurent à faire face vinrent de l'élément hellénique. Si une insurrection des vétérans grecs installés par Alexandre dans les marches orientales fut facilement réprimée, il n'en alla pas de même à l'Ouest. Pendant le règne d'Alexandre, Athènes, provisoirement résignée, avait tout au moins pu faire, une fois encore, un effort de restauration sous l'administration financière de Lycurgue ; le service militaire des éphèbes avait été réorganisé, les fortifications reconstruites, trois cents trières étaient prêtes dans les nouveaux arsenaux du Pirée. Mais le grand animateur, Démosthène, n'était pas là. En 324 Harpale, le trésorier d'Alexandre, s'était enfui de Babylone, porteur de 5.000 talents et suivi de 6.000 mercenaires avec lesquels il espérait soulever la Grèce. Il n'avait été reçu à Athènes qu'à condition d'y entrer sans soldats et de mettre en consignation la somme dont il était détenteur. La disparition d'une partie de ce dépôt, puis la fuite mystérieuse d'Harpale, donnèrent lieu à un procès encore obscur, où plusieurs personnages du parti anti-macédonien, et Démosthène lui-même — qui pourtant avait été l'instigateur des mesures de précaution vis-à-vis d'Harpale — furent accusés de s'être laissés corrompre, et condamnés à l'exil. Mais à la mort d'Alexandre le grand orateur fut triomphalement rappelé. Autour d'Athènes se groupa une vaste coalition : Étoliens, Illyriens, Thessaliens même, États de la Grèce centrale, et plus tard du Péloponnèse. Dès l'hiver 323/2 le général athénien Léosthénès occupait les Thermopyles, et Antipatros se dégageait avec peine de Lamia, où l'armée des Alliés l'avait bloqué. Mais au printemps de 322 leur flotte fut battue près d'Amorgos — la dernière bataille où l'on voit figurer une grande escadre athénienne. Depuis Aigos-Potamos, les Athéniens savaient qu'ils ne pouvaient soutenir une guerre sans avoir la maîtrise de la mer. Aussi, après un engagement malheureux, mais non décisif, à Crannon, où la cavalerie thessalienne, qui pourtant combattait dans son propre pays, fut inférieure à sa réputation, les Athéniens demandèrent la paix. Les conditions furent rudes : un régime ploutocratique, privant de tout droit politique plus de la moitié des citoyens, une garnison à Munychie, les chefs de la résistance livrés. Démosthène s'empoisonna avant de tomber entre les mains des soldats d'Antipatros. Il avait lutté jusqu'à la fin pour l'idéal restreint de la cité — avec passion, avec courage, et avec clairvoyance ; et, somme toute, le plus grave reproche qu'on ait jamais pu lui faire est de n'avoir pas réussi. La soumission d'Athènes mit fin à la guerre. Toute la Grèce retombait sous la domination macédonienne sans les formes que Philippe avait instituées et qu'Alexandre avait respectées. Il n'était plus question de la ligue de Corinthe ; Antipatros n'avait aucun intérêt A grouper les cités grecques, mais au contraire à les désunir et à soutenir dans cette poussière d'États les coteries favorables à la Macédoine. Seuls les Étoliens faisaient encore résistance ; Antipatros était occupé à les soumettre quand d'inquiétantes nouvelles arrivèrent d'Asie. Perdiccas, à la tête de la Grande Armée, manifestait des intentions précises : il projetait d'épouser Cléopâtre, la sœur d'Alexandre, et parlait en maître de l'Empire ; n'avait-il pas déjà donné ordre à Antigone, gouverneur de Phrygie, de mettre ses troupes à la disposition d'Eumène, qui devait prendre possession de sa province de Cappadoce — région restée en dehors de l'itinéraire d'Alexandre, et mal pacifiée ? Eumène de Cardia, l'ancien chancelier, n'avait pas été aimé dans l'entourage d'Alexandre, où on lui reprochait, avec ses origines non-macédoniennes, sa souple réserve et sa scandaleuse fortune. Antigone refusa, quitta la Phrygie, et vint se réfugier en Macédoine. Perdiccas et Eumène virent se grouper contre eux Antipatros, Cratère, Antigone — les meilleurs militaires de l'époque —, Lysimaque, gouverneur de Thrace, Ptolémée, gouverneur d'Égypte. Ce dernier, à qui était échue la province la plus riche et la plus homogène de l'empire, rêvait de s'y constituer une principauté indépendante. Déjà il avait pu annexer Cyrène, et, par un coup d'audace, il avait réussi à faire arriver en Égypte la dépouille d'Alexandre, que Perdiccas aurait voulu diriger sur la Macédoine, où elle devait être ensevelie. Ptolémée apportait à la coalition un appoint financier, militaire, et moral considérable, et l'on comprend que Perdiccas ait d'abord voulu en finir avec lui. Pendant qu'Eumène, en Cappadoce, défaisait une des armées coalisées dans une bataille où Cratère fut tué, Perdiccas se dirigeait vers l'Égypte par la Syrie ; mais il ne put pénétrer dans le Delta, et, après une série d'échecs qui éprouva le moral de son armée, il fut assassiné dans sa tente par un groupe d'officiers mécontents. Quelques semaines après, à Triparadeisos (Haute-Syrie), Ptolémée, Antigone, Antipatros débarrassé tant bien que mal de la guerre d'Étolie, organisèrent à nouveau l'empire. A ses fonctions de tuteur du roi Philippe, Antipatros joignit celles de régent ; mais le commandement de l'armée d'Asie échut à Antigone, auquel était adjoint Cassandre, le fils d'Antipatros. Malgré ce système où les pouvoirs semblaient se balancer, les ambitions de ces trois personnages, celles aussi des autres gouverneurs, Ptolémée, Lysimaque, Séleucos, satrape de Babylonie, faisaient prévoir de nouveaux conflits. ***Antigone avait la meilleure part. Il possédait l'armée, avec laquelle il comptait bien, non seulement soumettre Eumène, mais s'assurer la domination de l'Asie où, dès 320, on le voit parler en maître, donnant des ordres et distribuant des commandements. Aussi lorsqu'en 319 Antipatros mourut, son successeur Polyperchon, un des plus vieux généraux d'Alexandre, chercha par tous les moyens à consolider sa situation vis-à-vis d'un si dangereux adversaire. Il fallait d'abord éviter, en Europe, le retour des événements de 322 ; dès 319, une proclamation faite au nom du roi Philippe Arrhidée, rétablissait dans toutes les villes grecques les constitutions et les libertés existantes du temps de Philippe et d'Alexandre, et y rappelait les bannis. L'application de l'édit n'alla pas sans quelques troubles ; à Athènes, la démocratie restaurée poursuivit les chefs du gouvernement établi par Antipatros, en particulier Phocion, qui depuis un quart de siècle prêchait la résignation à tout prix à l'hégémonie macédonienne, et qui paya de sa vie sa politique étriquée (318). Mais en gros les sympathies des cités grecques étaient acquises au régent et à la famille royale. De plus Polyperchon se mit en rapport avec Eumène, dont la situation en Asie était singulière : le partage de Triparadeisos l'avait dépossédé de sa province ; mais il prétendait, au nom d'Alexandre mort et divinisé, et au profit de son successeur légitime, défendre, vis-à-vis de généraux et de gouverneurs uniquement préoccupés de leurs intérêts, l'unité de l'empire. Cette attitude, commandée sans doute par ses origines non-macédoniennes, lui valut en Asie, vis-à-vis des anciens soldats d'Alexandre, un grand prestige, renforcé par ses qualités personnelles et les grosses ressources pécuniaires dont il disposait. Aussi son appui n'était-il pas à dédaigner : Antigone, qui, en 320/19, l'avait battu en Cappadoce, puis tenu assiégé dans la forteresse de Nora, lui avait offert son alliance, qu'Eumène avait refusée. Mais il accepta tout naturellement celle que Polyperchon lui proposa au nom de la famille royale. Pour dissocier cette coalition entre le régent, maître de la Macédoine et de la Grèce, et l'armée d'Eumène en Asie, le meilleur moyen était de s'assurer la maîtrise de la mer. C'est ce que sut faire Antigone en battant près de Byzance la flotte de Polyperchon. Désormais la communication était coupée entre les deux alliés. C'est contre le plus redoutable que se retourna Antigone. De Syrie, Eumène dut reculer dans les provinces de l'Asie centrale, plus fidèlement attachées au souvenir d'Alexandre ; il y trouva des renforts en hommes, en chevaux, en éléphants. Une série d'opérations de grande envergure commença en 318 pour se terminer, après des vicissitudes diverses, par la défaite d'Eumène qu'Antigone fit exécuter (317). En Europe la situation de Polyperchon ne s'était pas améliorée. Cassandre, que son père Antipatros avait, en mourant, placé près du régent, n'avait pas voulu mettre son ambition au service d'un général usé et d'un roi imbécile, et il avait lié partie avec Antigone, qui, dès l'été de 318, l'avait envoyé en Grèce. Avec trente-cinq vaisseaux il parut dans le golfe Saronique et vint soutenir la garnison établie en 322 par Antipatros et qui tenait encore à Munychie malgré l'édit de Polyperchon. Dans l'hiver 318/7 Athènes fit soumission, et accepta le rétablissement d'une constitution ploutocratique moins exclusive que celle de 322 ; mais — fait unique dans son histoire depuis les Pisistratides —, la direction des affaires y fut confiée à un personnage unique, qui portait le titre de président (épistate), et qui, en réalité, avec la garnison macédonienne de Munychie, avait l'autorité d'un tyran. C'était un Athénien, Démétrios de Phalère, homme cultivé, littérateur et philosophe. On lui prête des vues d'ensemble empruntées aux théories d'Aristote. C'est peut-être faire beaucoup d'honneur à ce dilettante opportuniste. Pendant son gouvernement de dix ans, dont le plus grand mérite fut de rétablir, à la faveur de la paix, les finances d'Athènes, son principal souci semble avoir été de protéger, par des lois somptuaires et la suppression de cet impôt sur le capital qu'étaient les liturgies, les grosses et les moyennes fortunes — celles des citoyens de plein droit. A l'extérieur, il est bien évident qu'Athènes, dépossédée de son empire, dépendait maintenant des grandes puissances qui pouvaient lui assurer son ravitaillement. Démétrios ne fit rien pour améliorer cette situation ; au contraire, en détournant ses compatriotes de toute activité militaire et navale, il hâta la fin du prestige politique d'Athènes, qui subira maintenant le contre-coup de grands événements dont elle ne sera plus le centre. Mais ce n'était pas seulement Athènes, c'était toute la Grèce où Polyperchon perdait du terrain. A la fin de 315, son fils Alexandre ne possédait plus que quelques places dans le Péloponnèse et la Grèce centrale. En Macédoine même, la situation du vieux régent fut singulièrement ébranlée le jour où il commit la sottise de faire assassiner Philippe Arrhidée et sa femme Eurydice, à l'instigation d'Olympias. A cette nouvelle, Cassandre pénétra en Macédoine, où Polyperchon n'osa l'attendre, et s'empara de Pydna, où s'était réfugiée la vieille reine, qui fut exécutée. Il était bien évident que personne, depuis la mort d'Eumène, ne songeait plus aux intérêts de la famille royale, réduite à Roxane et à son fils Alexandre, que Cassandre tenait sous bonne garde à Amphipolis. II entendait bien gouverner la Macédoine pour son propre compte, avec, comme annexe, la Grèce, où la reconstruction de Thèbes (316) lui valut une sympathie qu'il comptait bien exploiter. Mais pour Cassandre comme pour Lysimaque en Thrace et Ptolémée en Égypte, la toute-puissance d'Antigone en Asie était désormais une menace. Jusqu'où s'arrêterait l'ambition du vieux général, chef de la meilleure armée du monde hellénique, maitre des trésors et revenus de l'Asie, assisté et poussé par son fils, l'audacieux Démétrios ? Les mêmes motifs qui, quatre ans auparavant, avaient groupé les généraux contre Perdiccas, coalisèrent, contre Antigone, Ptolémée, Lysimaque, Cassandre, auxquels se joignit Séleucos, qui, ne se sentant point en sécurité à Babylone, avait déjà cherché refuge auprès de Ptolémée. Contre cette coalition, Antigone, avec les larges vues d'un grand chef, organisa la lutte depuis la mer Ionienne jusqu'à l'Indus. En Europe, il s'allia avec tous les ennemis de Cassandre : Étoliens, cités du Péloponnèse et de la Grèce centrale, Polyperchon, qu'il fit stratège du Péloponnèse, en même temps qu'il se donnait dans toute la Grèce et dans l'Archipel, où, sous son patronage, se constituait une Confédération des Insulaires — comme le restaurateur des libertés opprimées par Cassandre et par Lysimaque ; en Syrie, il enlevait à Ptolémée les ports phéniciens, future base pour la flotte qui lui manquait encore ; il plaçait des hommes à lui à la tête des principales satrapies de l'Asie. Durant les années 314 et 313, la guerre fut générale en Grèce et en Asie. Nous sommes mal renseignés sur cette période lamentable. Il semble en tous cas qu'à la fin de 313, quoique Antigone n'eût envoyé en Grèce que des troupes mercenaires commandées par des généraux d'une fidélité parfois douteuse, Cassandre avait perdu une partie de la Grèce centrale, du Péloponnèse, et tenait difficilement tête, dans le Nord-Ouest, aux Étoliens et aux Illyriens. Antigone projetait une grande expédition en Europe ; il avait déjà amené son armée près de l'Hellespont ; mais l'attitude résolue de Lysimaque, la volonté bien déclarée de Byzance de rester neutre, l'empêcha de passer les détroits. Et au printemps de 312 il apprit qu'une armée égyptienne sous les ordres de Ptolémée et de Séleucos avait pénétré en Syrie. Il envoya contre elle son fils Démétrios, qui rencontra l'ennemi près de Gaza. Démétrios pensait avoir hérité des qualités militaires d'Alexandre ; mais les vieux routiers qui commandaient contre lui avaient l'avantage du nombre et de l'expérience ; Démétrios, complètement battu, rejoignit, avec les débris de son armée, son père qui ne pouvait désormais plus songer à passer en Europe ; Séleucos, de son côté, profita immédiatement de la victoire pour rentrer à Babylone. Sa présence dans cette province, sur les derrières d'Antigone, changeait tout à fait la situation, et, quoique Démétrios eût, en 311, remis la main sur la Syrie, il ne pouvait plus être question d'écraser la coalition. Antigone entama avec Lysimaque d'abord, puis avec Ptolémée, des négociations qui aboutirent à un accord. Cassandre était déclaré stratège de la Macédoine jusqu'à la majorité du jeune Alexandre ; Lysimaque restait maître de la Thrace ; Ptolémée, de l'Égypte avec la Lybie et l'Arabie ; Antigone, de l'Asie ; toutes les cités grecques obtenaient la liberté et l'autonomie. ***Aucun des signataires du traité de 311 n'était sans doute décidé à le respecter. Cassandre ne voulait pas d'un pouvoir provisoire ; de plus, la liberté accordée aux cités grecques limitait d'une manière insupportable son autorité aussi bien que celle de Lysimaque. Ptolémée, de son côté, ne se résignait pas à abandonner la Syrie, qu'il considérait, ainsi que tous ceux qui ont possédé l'Égypte avant et après lui, comme la couverture indispensable de l'isthme de Péluse. La domination d'Antigone en Asie, les sympathies qu'il avait su se maintenir en Grèce, étaient un danger pour tous. De nouveau Cassandre, Ptolémée, Antigone, se disputèrent la Grèce, où aucun d'eux ne voulait laisser les autres prendre pied d'une manière définitive. Ptolémée avait réussi en 309 à débaucher un des généraux d'Antigone, qui tenait la place importante de Chalcis, et il faisait mine de vouloir reconstituer à son profit la ligue de Corinthe. C'est alors qu'Antigone frappa un grand coup. Dans l'été de 307 Démétrios parut subitement devant le Pirée avec une flotte de deux cents navires ; la garnison de Cassandre, et Démétrios de Phalère, furent expulsés, Athènes accueillit avec un enthousiasme inouï le jeune général qui rétablissait la démocratie, lui restituait Lemnos et Imbros, lambeaux de l'ancien empire, et annonçait l'intention de réunir une assemblée panhellénique où les intérêts des cités grecques seraient discutés. Dans la pensée de Démétrios, la ville, dont il voulait faire réparer les murailles, et ses arsenaux, qui reçurent des bois de construction, devait servit de base navale. C'est du Pirée qu'il partit en 306, avec 163 vaisseaux de guerre, pour s'attaquer directement au maître de l'Égypte. Ptolémée avait toujours considéré Chypre comme le complément de sa province, d'autant plus nécessaire qu'il surveillait de là cette Syrie à laquelle il ne voulait pas renoncer. En 310, il était parvenu, non sans peine, à supprimer les derniers tyranneaux de l'île. C'est là que Démétrios, sur l'ordre d'Antigone, vint l'attaquer. Il mit le siège devant la ville de Salamine, que Ptolémée, à la tête d'une escadre de 140 navires, essaya de dégager. Excellent diplomate et administrateur, Ptolémée n'était pas un brillant militaire ; il fut complètement battu ; presque toute sa flotte fut prise ou coulée. Ce désastre assurait à Antigone la maîtrise de la Mer Égée. C'est très peu de temps après qu'il prit, ainsi que Démétrios, le titre de roi, symbole de l'autorité absolue et du pouvoir personnel qu'il entendait exercer et léguer à ses descendants. Ptolémée, Lysimaque, Séleucos, imitèrent son exemple, ainsi que Cassandre, qui, dès 311, en faisant exécuter Roxane et son fils, en laissant assassiner par Polyperchon un autre fils d'Alexandre, avait écarté le dernier obstacle qui le séparait du trône de Macédoine. Mais, en fait, c'était Antigone, avec son énorme empire asiatique, la maîtrise de la mer, et le prestige dont il jouissait en Grèce, qui pouvait se considérer comme le véritable successeur d'Alexandre. Seulement le grand guerrier devenait vieux. On comptait beaucoup, pour l'assister, sur son fils Démétrios. Mais ce brouillon, qui n'a rien fondé, rien organisé, n'était même pas un très bon militaire. L'histoire, qui a des sympathies tenaces pour les mauvais sujets, lui a conservé son nom de Poliorcète (preneur de villes) ; en réalité il n'a jamais pris que les villes mal défendues, battu que les généraux médiocres. En 305, Antigone et lui échouèrent dans une expédition combinée par terre et par mer contre l'Égypte, comme Perdiccas avait échoué seize ans auparavant. En 304, Démétrios vint mettre le siège devant Rhodes. Cette grande ville commerçante n'avait pas voulu participer à la guerre contre l'Égypte elle entendait bien profiter de sa situation insulaire polir rester en dehors des conflits qui troublaient le monde hellénique ; elle inaugurait ainsi cette politique de neutralité qu'elle devait poursuivre avec profit pendant cent cinquante ans. Les opérations, menées de part et d'autre avec énergie, en utilisent d'extraordinaires moyens techniques, se terminèrent par une convention toute à l'avantage des Rhodiens, qui assurait le maintien de leur liberté et les autorisait à entretenir de bons rapports avec Ptolémée. En Grèce par centre, où Cassandre reprenait du terrain, Démétrios arriva à temps pour l'empêcher de reprendre Athènes. Il s'installa avec plaisir dans cette ville, où il pouvait mener joyeuse vie. En 303, une campagne heureuse rétablit son autorité dans le Péloponnèse, où Polyperchon ne conservait plus que quelques places fortes. En 302, la diète de Corinthe, ressuscitée le nommait généralissime des armées grecques, confédérées. C'était surtout pour Cassandre que les succès de Démétrios en Grèce étaient une menace. Il n'en mit que plus d'insistance à reconstituer la coalition contre Antigone, et à pousser ses alliés à l'action. En 302, Lysimaque pénétra en Asie, et, avant que la nouvelle en parvînt à Antigone, alors installé dans sa nouvelle capitale syrienne d'Antigoneia, il avait conquis la plus grande partit du plateau anatolien, et, ce qui était plus grave, les villes grecques de la côte ionienne. Le vieux roi se porta à sa rencontre. En même temps il donnait à son fils-Démétrios, qui se trouvait alors en Thessalie, en présence de Cassandre, l'ordre de venir le rejoindre. Mais Lysimaque évita une bataille rangée. Il attendait de l'Orient un renfort qui devait être décisif. Les misérables renseignements que, nous possédons sur ces années troublées, ne nous permettent pas de savoir ce qu'avait fait Séleucos depuis qu'en 311 il était rentré à Babylone, ni de comprendre pourquoi Antigone, qui l'avait fait exclure de la convention de 311, ne s'était pas déjà retourné de toute sa force contre un voisin aussi dangereux. Nous devinons seulement, pendant ces dix années, une grande campagne dans l'Inde, jusqu'au Gange, puis un traité avec le roi Çandra-Cupta — que les Grecs appellent Sandrakottos — par lequel Séleucos renonçait au Pendjab et à la région de l'Indus — sacrifice peut-être nécessaire pour pouvoir porter toute son énergie du côté de l'Ouest. En tous cas, en 301, il pouvait amener à Lysimaque d'importants renforts, et tout l'attirail des guerres asiatiques, éléphants et chars à faux. Dans la plaine d'Ipsos en Phrygie s'affrontèrent 150.000 hommes environ. -Les confédérés furent vainqueurs ; à la fin de la journée, Démétrios était en fuite avec les débris de son armée, et Antigone tué. Ainsi disparaissait, à 81 ans, le meilleur militaire de l'époque et le dernier représentant d'une politique fondée sur l'unité de l'empire d'Alexandre. Cette politique, on pouvait s'en rendre compte maintenant, était irréalisable. Depuis dix ans on voyait se dessiner autour de la Mer Égée les linéaments de grandes divisions territoriales ; le partage que décidèrent les vainqueurs de 301 précisa leurs frontières. Cassandre gardait la Macédoine et la Grèce ; Lysimaque, la Thrace et l'Asie Mineure jusqu'au Taurus ; Séleucos, toutes les provinces orientales augmentées de la Syrie : Ptolémée, qui, par prudence, n'avait pas pris part aux opérations de 301, se voyait dépossédé de cette province, ainsi que de Chypre, et réduit à la seule Égypte. Ainsi se constituaient, sur les ruines de l'empire d'Alexandre, les quatre royaumes de Macédoine, d'Asie Mineure, de Syrie, et d'Égypte, dont les conflits vont remplir le siècle suivant. Bibliographie. — KAERST. Geschichte des
Hellenistischen Zeitalters. — BOUCHÉ-LECLERCQ. Histoire des Lagides, I. Paris, 1903-1907.
— BOUCHÉ-LECLERCQ. Histoire des
Séleucides. Paris, 1913. — FERGUSON. Hellenistic
Athens. Londres, 1911. |