HISTOIRE DE LA GRÈCE ANCIENNE

 

CHAPITRE XXIII. — LA NOUVELLE CONFÉDÉRATION ATHÉNIENNE ET LA SUPRÉMATIE THÉBAINE.

 

 

La paix de 386, la paix du Roi, comme l'appelaient déjà les contemporains, imposée par un souverain étranger et mal informé de l'état actuel de la Grèce, consacrait, par une absurdité qui ne pouvait être durable, la suprématie d'une ville en déclin. Sparte voyait sa population de citoyens décroître sans arrêt : Xénophon, admirateur partial de ses institutions, constate qu'elle est pauvre en hommes ; à Leuctres, où combattirent 35 classes, elle ne put aligner que 700 citoyens de plein droit. Seule la force de la tradition maintenait encore l'autorité de cette poignée de privilégiés sur les Périœques et la foule menaçante des Hilotes, et sur la ligue péloponnésienne prête à se dissocier. De bons militaires avaient jusque-là masqué cette décadence, mais, en 380, Brasidas, Gylippe, Lysandre étaient morts ; Agésilas avait vieilli ; son esprit aventureux, qui le rendait suspect à son gouvernement de terriens, ne lui avait cependant fait imaginer aucune nouvelle méthode de guerre. Il restait attaché au vieux principe des attaques frontales opérées par une infanterie massive, dont la seule manœuvre était un essai de débordement sur la droite, tout naturel à des troupes qui portent le bouclier du bras gauche. Ailleurs cependant, à Athènes en particulier, on a vu comment des généraux avisés, héritiers de Démosthène, inauguraient avec succès des méthodes de tactique plus alertes et plus souples.

Ainsi la puissance matérielle de Sparte était illusoire ; on sait que son prestige moral avait décru. Et il ne paraissait pas qu'elle voulût rien changer à sa politique. Au lendemain de la paix de 386, pour prévenir une défection de Mantinée, une armée lacédémonienne pénétrait en Laconie, s'emparait de la ville, et imposait aux habitants de se disperser dans les cinq bourgades dont la population s'était autrefois concentrée pour constituer la cité. Sur la frontière de l'Argolide, une garnison lacédémonienne était établie à Phlionte. Au Nord de la Grèce, Sparte soutenait le roi de Macédoine Amyntas contre les villes grecques de Chalcidique, et, après s'être emparée d'Olynthe, dissolvait leur ligue. Le principe de l'autonomie servait de prétexte à cette politique de désagrégation. En 382, Thèbes, qui regrettait le temps de la ligue béotienne et n'avait pas caché ses sympathies pour Olynthe, vit brusquement sa citadelle de la Cadmée occupée, grâce à la trahison du premier magistrat de la ville, par un détachement spartiate. Le chef du parti hostile à Sparte, Ismenias, fut égorgé ; trois cents autres Thébains s'enfuirent à Athènes, où le souvenir des événements de 403 leur valut un bon accueil. Trois ans après, sept d'entre eux, par un coup de main hardi, pénétrèrent dans Thèbes un soir de fête, égorgèrent les membres du gouvernement, et expulsèrent la garnison lacédémonienne. Une armée spartiate envoyée en Béotie n'y fit qu'une démonstration inutile et se retira après avoir laissé un fort détachement à Thespies sous le commandement de Sphodrias.

Jusque-là, Athènes était restée neutre. Il n'est pas assuré qu'elle ait appuyé le coup de main qui venait de réussir. Mais, après une tentative de Sphodrias, qui, s'il n'alla pas plus loin qu'Éleusis, semble avoir eu pour objectif le Pirée, elle se décida à conclure avec Thèbes une alliance défensive. Deux expéditions d'Agésilas, en 378 et 377, se heurtèrent aux retranchements improvisés élevés autour de Thèbes, et défendus par l'infanterie thébaine qu'appuyait un détachement athénien sous le commandement de Chabrias ; en 376, le roi Cléombrote, qui remplaçait Agésilas malade, ne put même pas pénétrer en Béotie. La rupture avec Sparte rendait d'autre part à Athènes toute liberté pour reprendre la politique maritime entravée par le traité de 386. La flotte fut augmentée ; dès le printemps de 378 se reconstituait une ligue, ouvertement dirigée contre Sparte, et dont Athènes était le centre. Mais, instruits par l'expérience, les stratèges d'alors revinrent, non point à l'impérialisme de Périclès, mais aux principes fédératifs établis par Aristide. Les cités alliées gardaient leur autonomie, Athènes s'engageait à n'y pas envoyer de clérouquie, le Conseil des alliés, où les Athéniens n'avaient plus de représentants, était reconstitué et réglait, de pair à égal avec le Conseil athénien réorganisé, les questions qui intéressaient la Confédération ; aucun tribut n'était prévu. A Athènes même, d'importantes réformes financières accompagnaient cette renaissance ; la perception de l'impôt direct, toujours exceptionnel en théorie, en fait de plus en plus nécessaire maintenant que les tributs des alliés avaient disparu, fut réglementée par une organisation nouvelle, grâce à une évaluation totale des fortunes privées de l'Attique. La plupart des cités de l'ancienne confédération — sauf celles que la paix de 386 avait livrées au Roi —, entrèrent dans la nouvelle ligue. Dès 376 Chabrias la consolidait en battant près de Naxos la flotte spartiate ; en 375, une croisière de l'actif stratège dans la Mer Égée, une autre de Timothée, le fils de Conon, dans la Mer Ionienne, rendaient à Athènes l'alliance des villes de Chalcidique et de Thrace, sauf Amphipolis, et celle de Corcyre. On pouvait se croire revenu un siècle en arrière.

Sparte était débordée. Elle demanda une paix qu'Athènes était toute disposée à lui accorder, car la nouvelle organisation de la ligue faisait retomber sur ses finances tout le poids de la guerre. Mais la convention que les deux villes signèrent en 375, et qui reconnaissait l'existence de la confédération athénienne, ne fut pas de longue durée. Sparte, qui avait abandonné ses prétentions sur la Mer Égée, se résignait moins facilement à n'avoir plus la maîtrise de la Mer Ionienne, qui assurait ses communications avec son alliée Syracuse ; lorsqu'elle vit les Athéniens établis à Corcyre, pis encore à Zacynthe, en face des côtes d'Élide, elle envoya sur place une flotte, et un corps expéditionnaire ; l'infanterie se fit battre par les Corcyréens, la flotte dut se retirer devant la menace d'une escadre athénienne, commandée par Iphicrate, qui avait remplacé Timothée, trop négligent dans la conduite des opérations. La faiblesse de Sparte devenait manifeste ; ce n'est plus elle qui pouvait gêner Athènes, où l'en se rendait compte que le danger était ailleurs.

Thèbes en effet, depuis qu'elle était affranchie de la garnison lacédémonienne, restaurait à petit bruit son autorité sur les villes voisines. De l'ancienne ligue béotienne elle faisait un état fédératif qui avait son centre à Thèbes, où Siégeait le pouvoir exécutif composé de sept béotarques, et où se réunissait l'assemblée de tous les citoyens de Béotie ; état vigoureux, dont la population de citoyens, presque aussi importante que celle de l'Attique (environ 150.000 habitants), se composait surtout de paysans où se recrutait une solide infanterie. La nouvelle politique thébaine n'allait pas sans brutalités ; la malheureuse ville de Platées, restaurée par les soins de Sparte depuis cinq .ans seulement, fut de nouveau détruite, et sa population dut pour la seconde fois se réfugier en Attique. Il était visible que la lutte entre Athènes .et Sparte ne pouvait que profiter à Thèbes. Aussi lorsqu'en 371 un congrès panhellénique se réunit à Sparte, Athènes se montra-t-elle désireuse d'y participer ; ses députés et le gouvernement spartiate se mirent vite d'accord : Sparte restait à la tête de le ligue péloponnésienne, Athènes, de la confédération qu'elle avait reconstituez. Mais lorsqu'il fallut prêter serment, le, béotarque Épaminondas, délégué de Thèbes, prétendit s'engager au nom de tous les Béotiens ; c'eût été reconnaître officiellement l'existence de la ligue béotienne ; Athènes et Sparte s'y refusèrent et Thèbes fut exclue du traité.

L'homme qui venait de prendre, au nom de sa ville, une si grave responsabilité, n'y avait encore pas joué un grand rôle, malgré son âge mûr (quarante ans) et sa forte culture morale et philosophique ; mais il semble dès cet instant avoir eu le sentiment net des ressources matérielles de la confédération qu'il prétendait représenter. Avec son ami Pélopidas, l'un des conjurés de 379, bon militaire et qui s'était déjà mesuré plusieurs fois avec les armées péloponnésiennes, il prévoyait le parti qu'on pouvait tirer de l'infanterie béotienne. Dès la fin du congrès, le roi de Sparte, Cléombrote, avait reçu l'ordre d'entrer en Béotie. En juillet 371, 10.000 Péloponnésiens se trouvèrent en présence de 7.000 Béotiens devant la petite ville de Leuctres, à l'entrée de la plaine de Thèbes. La tactique d'Épaminondas, masquée d'abord par un engagement de cavalerie, consista à placer à gauche, et non plus à droite, ses meilleurs éléments, c'est-à-dire l'infanterie thébaine, en formation profonde, tandis qu'il refusait l'aile droite. Les Thébains enfoncèrent les Spartiates, qui leur faisaient face : 1.000 Péloponnésiens, dont 400 Spartiates, et parmi eux Cléombrote, restèrent sur le champ de bataille.

Pour la première fois une armée spartiate était battue en rase campagne. La catastrophe de Leuctres portait au prestige de Sparte un coup plus rude que la défaite de Sphactérie. A peine le roi Archidamos avait-il ramené de Béotie l'armée vaincue qu'Athènes pouvait faire entrer dans son alliance la plupart des cités du Péloponnèse. C'était la fin de la ligue que Sparte dirigeait depuis deux siècles. Mantinée se reconstitua, l'Arcadie entière se groupa en une confédération indépendante qui devait bientôt trouver son expression dans la création d'une ville neuve, Mégalépolis, hâtivement construite en quatre ans. Une armée spartiate, envoyée à Mantinée sous le commandement du vieil Agésilas, dut se retirer devant les troupes arcadiennes, avant même que ne fût arrivé le renfort thébain dont la confédération avait demandé l'envoi. Épaminondas, qui commandait l'armée de secours, trouva l'occasion bonne pour pénétrer en Laconie (370). Pour la première fois les femmes de Sparte voyaient la fumée d'un camp ennemi. Pour des raisons mal expliquées, Épaminondas ne voulut pas risquer d'entrer de force dans la petite ville sans murailles à laquelle toute la Grèce obéissait trente ans auparavant ; il ne passa pas l'Eurotas, descendit jusqu'à la mer en pillant, et revint en Arcadie, de là en Messénie ; là vivaient encore les souvenirs de l'ancienne indépendance ; toute la population se souleva contre Sparte, sauf les petites villes de la côte ; comme en Arcadie, une capitale, Messène, fut créée de toutes pièces, et pourvue d'une magnifique enceinte. Au printemps de 369, Épaminondas franchit une seconde fois l'Isthme, malgré la résistance des armées spartiate et athénienne, s'empara de Sicyone, mais échoua devant Corinthe, et dut se retirer devant la menace de renforts envoyés par le tyran de Syracuse. L'insuccès de cette expédition indisposa les Béotiens, qui, aux élections de cette année, ne désignèrent comme béotarques ni Épaminondas ni Pélopidas.

 

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Outre qu'ils étaient las de la guerre, les Béotiens ne pouvaient pas ignorer les inquiétudes que provoquait en Grèce la politique de leurs chefs. Déjà Athènes avait signé avec Sparte une alliance à laquelle s'était jointe Syracuse. Les Arcadiens, auxquels un de leurs concitoyens les plus considérables, Lycomède, rendait le sens de leur nationalité, entendaient maintenir leur indépendance vis-à-vis des Béotiens comme de Sparte, à laquelle ils surent enlever le Nord de la Laconie. Dans la Grèce septentrionale, par contre, les Béotiens trouvaient des États mieux disposés à respecter leurs ambitions. En Macédoine, après la mort d'Amyntas, et l'assassinat de son fils aîné Alexandre, la reine-mère, Eurydice, pour réprimer la révolte d'un prétendant, Pausanias, et pour assurer la succession de son second fils, Perdiccas, s'était adressée à Iphicrate, qui commandait en 368 une escadre sur les côtes de Thrace ; pour ne pas laisser ce pays plein d'avenir tomber sous l'influence athénienne, Thèbes lui imposa son alliance, garantie par la présence, à Thèbes, du troisième fils d'Amyntas, le jeune Philippe. En Thessalie d'autre part s'était constitué, dès la fin du Ve siècle, sous l'influence d'un notable citoyen de Phères, Lycophron, un régime de monarchie élective qui remplaçait l'ancienne fédération aristocratique, en dépit des hobereaux, et surtout de la famille des Aleuades de Larissa. Soutenu par Sparte, Lycophron avait étendu son pouvoir sur plusieurs villes de Thessalie ; en 372, son fils Jason était maître de toute la contrée, qui, avec sa forte population, ses richesses agricoles, sa cavalerie, pouvait devenir un des États les plus puissants de la Grèce. Précurseur des rois de Macédoine, Jason semble avoir songé sérieusement à réunir toute la Grèce sous son autorité. Allié de Thèbes, il avait envoyé en Béotie des renforts arrivés trop tard pour participer à la bataille de Leuctres. Mais en 370 il fut assassiné : son neveu et successeur Alexandre de Phères se rendit odieux ; la noblesse se souleva, et, contre le tyran ainsi que contre le roi Alexandre de Macédoine qui était intervenu pour s'emparer de Larissa, elle demanda le secours de Thèbes. Venu en négociateur au camp d'Alexandre de Phères, Pélopidas fut gardé à vue comme otage ; il fallut envoyer en Thessalie une expédition à la suite de laquelle Épaminondas qui s'y était distingué quoiqu'il n'y eût servi qu'en sous-ordre, fut réélu béotarque.

L'année suivante (367), une nouvelle campagne délivrait Pélopidas, réduisait l'autorité d'Alexandre à Phères et à la Thessalie méridionale, rendait à la Thessalie un régime fédératif, et Épaminondas pouvait intervenir de nouveau dans les affaires de Grèce. Sparte avait repris l'avantage dans le Péloponnèse et battu en 368 les troupes arcadiennes. En 366, Épaminondas pénétrait en Achaïe, soumettait le pays, et remplaçait partout les oligarchies par des démocraties dévouées à Thèbes : changements éphémères d'ailleurs, car, dès le départ des Béotiens, les aristocrates revenus replaçaient la contrée sous l'influence lacédémonienne. Sparte crut le moment venu de recourir à la politique qui lui avait réussi pendant un demi-siècle, et d'en appeler au Roi ; un ambassadeur fut envoyé à Suse, mais il s'y rencontra, non seulement avec des députés athéniens, mais avec Pélopidas, qui sut rappeler les souvenirs de la guerre médique et de la bataille de Platées. Sur son initiative, le Roi fit proposer aux Grecs des conditions favorables aux Thébains : indépendance de la Messénie, réduction du territoire de la ligue arcadienne, Amphipolis ville libre, désarmement de la flotte athénienne (366).

Mais le temps n'était plus où la vue du sceau du Roi en imposait aux Grecs assemblés. Les événements des vingt dernières années avaient montré la faiblesse de son empire. A Chypre, Évagoras, livré à lui-même depuis la paix de 386, et qui ne recevait même plus à la fin de subsides d'Égypte, avait pu se défendre pendant un an contre les efforts combinés de l'armée de terre et de la flotte phénicienne, et n'avait capitulé qu'à des conditions honorables, en conservant son titre de roi de Salamine (380 ?). En Égypte le mouvement de 404 avait abouti à la création d'une dynastie nationale. Sous le règne du Pharaon Nectanébo, qui avait confié le commandement de ses troupes à l'Athénien Chabrias, le Delta devint un véritable camp retranché. Lorsqu'en 373 Chabrias fut rappelé à Athènes, qui ne voulait plus, depuis 386, de rupture ouverte avec le Roi, et qu'une grosse expédition s'avança de Syrie en Égypte sous le commandement du satrape Pharnabaze, elle ne put, malgré la présence de 12.000 mercenaires grecs commandés par Iphicrate, aller plus loin que Péluse. Pendant ce temps l'Asie Mineure était en révolution. Les satrapes de Cappadoce et d'Hellespont, Datames et Ariobarzane, s'étaient soulevés ; ceux de Lydie et de Carie, demeurés fidèles, essayaient en vain de réprimer la révolte (366). Les députés grecs, qui avaient traversé la moitié de l'empire pour arriver à Suse, n'ignoraient pas ces événements ; ils pouvaient aussi, sur place, ramener à leur juste mesure les évaluations fabuleuses qu'on faisait, en Grèce, des richesses royales. Dès la conférence, les députés athéniens annoncèrent qu'ils ne pouvaient accepter les propositions du Roi avant d'en avoir référé à leur gouvernement. Quelques semaines après, un congrès réuni à Thèbes n'arriva à aucun résultat, grâce à la résistance des Arcadiens qui n'acceptaient pas la réduction de leur territoire, et demandaient que le congrès eût lieu dans le Péloponnèse ; plus tard encore, plusieurs villes, sommées, par les envoyés béotiens d'accepter les conventions proposées par le Roi, refusèrent, Corinthe en tête ; la tentative de Thèbes d'imposer elle aussi à la Grèce une paix du Roi n'avait pas réussi.

Néanmoins Thèbes voulait conserver en Grèce le prestige conquis sur le champ de bataille de Leuctres. Une seule ville pouvait le disputer : ce n'était plus Sparte, mais Athènes. Dès 366 Thèbes installait une garnison à Oropos, coupant Athènes du grenier de l'Eubée. Aucun allié d'Athènes, pas même Sparte, ne fit mine d'intervenir ; ce coup brutal, et ces défections, eurent pour résultat de rapprocher Athènes de la ligue arcadienne. Mais Thèbes sut couper la communication par l'isthme entre les nouveaux alliés ; Corinthe dut se débarrasser des postes athéniens qu'Iphicrate avait établis dans la région dès 390, et conclure une alliance avec Thèbes ; Sicyone, où un notable citoyen, Euphron, avait restauré à son profit la tyrannie, imita cet exemple. Mais Épaminondas se rendait compte que ce n'était que sur mer qu'il pouvait battre Athènes, qui avait repris avec énergie sa politique maritime et ne dissimulait plus son ambition de reconstituer dans son intégrité l'ancienne confédération. En 365, Timothée, s'emparait de Samos, que la paix de 386 avait abandonnée au Roi. De concert avec Agésilas, il soutenait Ariobarzane en Asie ; pour prix de son aide, le satrape révolté cédait à Athènes Sestos, à l'entrée de l'Hellespont. Mais Athènes n'avait pas encore recouvré l'accès des forêts de la Chalcidique et des mines du Pangée, Une série de campagnes d'Iphicrate, puis de Timothée, échouèrent, à vrai dire, devant Amphipolis, clef de la région, mais soumirent plusieurs villes de Chalcidique ; une clérouquie fut établie à Potidée (361). En voyant ces progrès, Épaminondas se résolut à doter Thèbes d'une flotte. Mais si les forêts de l'Eubée, récemment détachée de la confédération athénienne, pouvaient fournir les bois, il n'était pas aisé de recruter des équipages dans la population agricole de la Béotie. Cependant en 364 il put envoyer une escadre dans l'Hellespont ; elle réussit à détacher Byzance, coup sensible pour Athènes, mais elle ne tenta aucune opération directe contre la flotte athénienne ; cette tentative devait d'ailleurs être la dernière, et l'on n'entendra plus désormais parler d'une marine béotienne.

Au moins Thèbes entendait-elle maintenir son autorité sur terre. Et il se trouvait précisément que plusieurs de ses alliés montraient de la lassitude.- En Béotie même, Orchomène menaçait de se séparer de la confédération ; la ville fut assiégée, et, après une prompte capitulation, détruite, la population mâle, exécutée, les femmes et les enfants, vendus (363). L'année précédente Pélopidas avait été prendre le commandement des troupes de la ligue thessalienne, pour en finir avec Alexandre de Phères ; mais la bataille de Cynocéphales, malgré la supériorité de la cavalerie des confédérés, resta indécise, et Pélopidas y fut tué, perte déplorable pour Thèbes et que compensa mal, en 363, la soumission complète d'Alexandre. Dans le Péloponnèse enfin la situation était assez confuse. Soutenue par des renforts syracusains, Sparte avait remis la main sur le Nord de la Laconie, qui constituait pour les Arcadiens une base d'opérations si dangereuse. Les Éléens, sans garder rancune des événements de 401, s'allièrent à elle ; les Arcadiens étaient ainsi, de trois côtés, entourés d'ennemis. Aussi en 365 les Éléens se crurent-ils en mesure d'envahir leur territoire ; ils en furent vite chassés ; l'armée de la ligue arcadienne pénétra jusqu'au cœur de l'Élide, faillit s'emparer d'Élis même, et put laisser un poste permanent sur la colline qui domine le sanctuaire d'Olympie, dont l'administration tomba entre les mains de la ligue arcadienne. Une diversion faite par les Spartiates dans la région de Mégalépolis n'aboutit qu'à un coûteux échec. L'année suivante, pendant qu'on célébrait, sous la présidence des Arcadiens, les Jeux Olympiques, les Éléens pénétrèrent par surprise dans le sanctuaire, mais furent repoussés après un rude engagement.

Olympie était un des plus opulents sanctuaires de Grèce. Les chefs de l'armée arcadienne ne résistèrent pas à la tentation de payer avec ses richesses l'armée fédérale, ce qui souleva en Arcadie même une vive indignation ; Mantinée, puis le conseil fédéral, refusèrent de s'associer à cette abomination ; pour en pallier l'effet, ils offrirent aux Éléens la paix, et la restitution d'Olympie. Pendant ce temps les magistrats qui avaient pris la responsabilité du pillage, dans leur désarroi, implorèrent le secours de Thèbes. Épaminondas s'empara aussitôt de ce prétexte d'intervention. Dès 362, il fit saisir à Tégée les négociateurs venus d'Élide et d'Arcadie pour signer la paix. Cet acte de brutalité groupa contre Thèbes tous ceux que sa politique indisposait : une partie des villes de la ligue arcadienne désagrégée, l'Élide, l'Achaïe, conclurent une alliance défensive, à laquelle se joignit Sparte. C'était l'ancienne confédération péloponnésienne reconstituée, avec cette différence que Sparte n'y exerçait plus l'hégémonie. Athènes se joignit à cette ligue, dont la création n'empêcha pas Épaminondas de franchir l'isthme au début de l'été de 362 ; il pénétra dans le Péloponnèse, faillit d'un coup de main s'emparer de Sparte, où Agésilas, déjà en route pour l'Arcadie avec son armée, put revenir à temps ; après ce coup manqué, Épaminondas remonta vers le Nord, et envoya sur Mantinée sa cavalerie, qui se heurta à la cavalerie athénienne, ce qui permit à l'infanterie alliée d'accourir. Devant Mantinée se trouvèrent en présence deux armées de plus de 20.000 combattants chacune. La tactique de Leuctres réussit une seconde fois ; après un engagement de cavalerie, l'infanterie béotienne, en masses profondes, enfonça les troupes spartiates ; mais Épaminondas tomba mortellement blessé pendant la charge ; l'effet moral de sa disparition changea le cours de la bataille qui se termina sans décision. Privée de son chef, cruellement éprouvée en hommes, la ligue béotienne dut accepter une paix blanche.

C'était la fin des espérances de Thèbes. En face d'Athènes maîtresse de la Mer Égée, des Péloponnésiens réunis pour chasser ses armées de la presqu'île, la ligue béotienne redevenait une petite confédération terrienne. L'homme qui lui avait assuré l'hégémonie pendant dix ans était incontestablement un grand militaire ; ses procédés d'attaque sur le point fort de l'ennemi, l'emploi intelligent de la cavalerie, annoncent déjà les méthodes du temps d'Alexandre. Nous ne sommes pas en mesure de modifier l'image, plus édifiante que vivante, transmise par les historiens postérieurs — en particulier son compatriote Plutarque — qui ont fait d'Épaminondas un homme d'État philosophe. Mais il est difficile en tous cas de voir en lui, comme on l'a fait parfois, le plus grand politicien de toute l'histoire grecque. Sans doute il a abattu le fantôme de la puissance spartiate, et affranchi du joug de la ville déchue les populations du Péloponnèse. Mais les. États constitués ou reconstitués sous son initiative ne devaient servir qu'aux fins égoïstes poursuivies par Thèbes, qui voulait s'assurer l'hégémonie sur la Grèce par les méthodes d'oppression qui avaient coûté leur prestige à Sparte et à Athènes ; la seconde destruction de Platées, celle d'Orchomène, le coup de force de Tegée, le pillage de la campagne laconienne en donnaient la preuve. L'idée d'une fédération hellénique semble n'avoir pas effleuré l'esprit d'Épaminondas. Aussi son œuvre ne devait-elle pas lui survivre, et les contemporains constataient déjà que la domination béotienne n'avait fait qu'augmenter le désordre de la Grèce. Là où Athènes, Sparte, Thèbes, avaient échoué, une autre puissance saurait-elle mieux réussir ?

 

Bibliographie. — XÉNOPHON. Helléniques, V-VII.