Dans ce domaine agrandi par les entreprises coloniales, les conditions de l'existence se modifiaient peu à peu. Une lente adaptation à une vie plus stable et à un climat nouveau se manifeste dans cette société dont l'agriculture est la base. Les grands domaines familiaux entre lesquels le sol avait été divisé au début de l'occupation se morcèlent ; une évolution d'un caractère à la fois économique et juridique enlève à la famille, pour l'attribuer à l'individu, la propriété mobilière d'abord, puis la terre elle-même : à la mort du père, les enfants se partagent son domaine. Ainsi divisé, le sol gagne en valeur, et l'homme essaye d'obtenir de lui un meilleur rendement ; les grands espaces abandonnés autrefois à l'élevage, à la glandée, à l'exploitation forestière, cèdent la place aux champs de blé ou d'orge, aux olivettes, aux vignobles. L'expérience crée des habitudes agricoles : les poèmes homériques connaissent déjà l'assolement biennal, les engrais et l'irrigation. A coup sûr les procédés restent encore primitifs ; la charrue que décrivent Homère et même Hésiode et que représentent les terres cuites archaïques, est sans doute aussi barbare que l'araire qu'on rencontre aujourd'hui encore dans certains cantons de Grèce ou de Macédoine ; son coutre en bois égratigne péniblement un sol maigre. Aussi le laboureur supplée-t-il par un rude travail à l'ingratitude de la terre et à l'insuffisance du matériel ; les Travaux et les Jours d'Hésiode dépeignent la dure existence du cultivateur grec. Mais, si l'agriculture se développe, elle n'est plus cependant l'unique moyen de subsistance. La création des cités a modifié le régime primitif où chaque famille, habitant sur un vaste domaine, se suffisait à elle-même, où les aliments et les vêtements destinés à ses membres se confectionnaient à la maison, où l'homme était maçon, menuisier, cordonnier, où la femme, cuisinière, boulangère, blanchisseuse, cardait, filait, tissait et brodait la laine. Déjà dans l'Iliade le berger et le laboureur vont au bourg voisin pour troquer contre le lait et le blé les outils qui leur sont nécessaires. A ce petit commerce se superpose, à mesure que le monde hellénique s'étend et que des régions plus diverses sont soumises à son influence, un commerce à grande distance. Les colonies siciliennes exportent leur surplus de blé ou de bois ; Cyrène, ses épices et sa laine ; les pays égéens envoient aux établissements du Pont-Euxin l'huile, les figues, le vin — dont un Grec, même éloigné de sa mère-patrie, se passe difficilement, — et en reçoivent des salaisons. Peu à peu se crée une classe de commerçants ; elle n'apparaît pas encore dans les poèmes homériques, où le mot d'εμπορος, qui servira plus tard à désigner les trafiquants, conserve encore son sens primitif de passager, et où le grand commerce semble être l'apanage de hauts personnages, comme Mentès, roi des Taphiens, qui exporte à Chypre du fer pour en rapporter du cuivre ; mais dès le VIIe siècle Hésiode connaît en Béotie de riches commerçants d'Égine, et sait les saisons où la régularité des vents permet un trafic maritime régulier. Ces échanges nécessitent la création et la diffusion d'un système de poids et de mesures. Il parait très vraisemblable que les peuples égéens en aient possédé un ou même plusieurs : ceux qui se constituent dans le monde hellénique ont, comme ceux des Chaldéens et des Égyptiens, pour base une unité de longueur, calculée d'après une partie du corps humain (pied ou coudée), et qui sert à former des unités réelles ou théoriques de volume, de capacité, et de poids. L'accord ne se fit jamais complètement en Grèce, ni sur la partie du corps prise comme base, ni sur sa longueur exacte, ni sur l'établissement des multiples et sous-multiples, les Grecs hésitant entre le système décimal, le système duodécimal et la multiplication par 2, 4, 8, 16, etc. ; de là, dans les pays helléniques, comme en France avant 1792, des systèmes métriques compliqués qu'on s'efforça, au cours des temps, d'unifier et de simplifier, sans jamais y réussir complètement. Mais il ne suffisait pas de pouvoir mesurer et peser : il fallait aussi imaginer, pour les besoins du commerce, des valeurs de convention supprimant les inconvénients du troc. La langue de l'Iliade et de l'Odyssée a conservé le souvenir d'un temps très ancien — antérieur peut-être à l'établissement des Grecs dans les Balkans —, où la valeur marchande d'un objet et même d'un être humain est calculée en fonction de celle de l'animal utile et précieux entre tous, le bœuf : les jeunes filles crétoises qu'Héphaistos avait représentées sur le bouclier d'Achille sont dites άλφεσιβοίαι parce que leur mariage devait rapporter beaucoup de bœufs à leurs parents ; mais à l'époque de la rédaction définitive de ces poèmes l'habitude s'est établie d'utiliser, dans les échanges, des métaux précieux — cuivre, fer, or — soit en forme de lingots (τάλαντος), soit en forme d'armes (πέλεκυς) ; la tradition et les découvertes archéologiques nous font également connaître des broches (όβελός, όβολός, obole), soit en unités, soit en poignées (δραχμή, drachme) de six. Tel est le système qui paraît avoir été en usage au VIIIe et au VIIe siècles. Mais un progrès énorme fut accompli, peut-être dès la fin du vile siècle, lorsque les lingots, réduits à de faibles dimensions, grâce à l'emploi généralisé de l'or et de l'argent, et devenus par là même d'un maniement et d'un transport plus faciles, portèrent une marque — lettre ou effigie — apposée par l'atelier d'où ils sortaient, et qui indiquait leur poids et leur valeur, supprimant ainsi les pesées de contrôle et les contestations. La monnaie était créée. Cette invention, attribuée par les anciens aux souverains demi-hellénisés de Lydie, qui possédaient dans leurs mines et dans les alluvions de leurs fleuves les plus riches gisements d'or du monde égéen, se répandit en tous cas très rapidement dans les ports de l'Ionie. Un nouveau progrès fut accompli le jour où le roi lydien Crésus fit du monnayage une chose d'État, renonça par là même à utiliser tel quel l'alliage variable d'or et d'argent (electron) que lui fournissaient les sables du Pactole, et mit en circulation des pièces d'or et d'argent à titre fixe. Les municipalités grecques suivirent son exemple, enlevèrent aux particuliers le droit de battre monnaie, et gardèrent définitivement pour elles le précieux privilège. Divers systèmes monétaires se constituèrent : celui d'Égine fut adopté par la plupart des cités de la Grèce continentale : celui des villes d'Eubée par Corinthe, dont les marchands le répandirent au loin, en Chalcidique, en Cyrénaïque, en Sicile, en Grande-Grèce. Seules des villes très conservatrices, comme Sparte, gardèrent jusqu'au ive siècle une encombrante monnaie de fer. A la différence de ce qui se passait en Lydie, la monnaie grecque fut surtout monométallique, sauf dans les villes d'Asie Mineure : les pays helléniques étaient pauvres en or, riches en mines d'argent ; c'est d'Orient qu'arrivèrent plus tard statères et dariques, qui ne furent pas d'usage courant avant la fin du ve siècle. Les échanges ne se faisaient pas en général par terre. Sans doute l'existence de chemins dans la Grèce archaïque n'est pas contestable : les poèmes homériques mentionnent, sans préciser, des routes ; des traces de chaussées, qu'on fait remonter un peu arbitrairement à l'époque mycénienne, ont été découvertes en Argolide. Mais il s'agit, semble-t-il, de voies d'importance médiocre, menant de la ville aux champs ou aux bourgs voisins, ou conduisant à un sanctuaire fréquenté. La Grèce n'a connu, ni à ce moment ni plus tard, un réseau routier comparable à celui que l'Italie posséda à partir du me siècle. C'est par la mer que passent la plupart des marchandises. A ces besoins nouveaux correspond une évolution de la marine. A côté du vaisseau de course, dont on cherche à augmenter la rapidité et la force offensive par le grand nombre de ses rameurs, les peintures de vases nous font connaître des bateaux plus lourds, mus à la voile, ancêtres du caïque moderne, que manœuvre un équipage restreint, et qui transportent à peu de frais, mais en beaucoup de temps, des marchandises encombrantes. La navigation n'est encore qu'un lent cabotage : chaque soir on tire le navire au sec sur une plage de sable ; mais le temps n'a jamais compté en Orient. Avec la marine marchande se développe la pêche ; le poisson de mer ne figurait pas à la table des seigneurs de Mycènes et de Tyrinthe ; mais les poèmes homériques, qui ont conservé le souvenir de cette époque où il est considéré comme un aliment inférieur, connaissent et le harponnage et la pêche au filet ; le poisson tiendra une place toujours croissante dans l'alimentation des Grecs, et nombre de villes, les 'colonies de la Mer Noire entre autres, s'enrichiront du commerce des salaisons. Ce ne sont pas seulement des produits agricoles et forestiers, ou des matières brutes, que transportent les navires marchands. L'activité manufacturière des Grecs s'éveille en même temps que leur activité commerciale. Avec la fin du régime économique familial on voit apparaître les gens de métiers, les ouvriers spécialistes, souvent assez chargés de commandes pour s'adjoindre des aides et former des ateliers produisant en série. Dans les villes d'Asie Mineure se développent, peut être sous l'influence des civilisations orientales, lydienne et assyrienne, .des tissages dont les produits fins et richement décorés se répandent dans tout le monde hellénique. Les industries du métal progressent. Les Grecs apprennent à utiliser le minerai de fer, assez abondant dans certaines régions d'Asie Mineure et en Laconie. Il en résulte d'importantes modifications dans l'armement. L'ancien bouclier d'osier n'est plus suffisant pour repousser les pointes des lances et des flèches en fer ; un petit bouclier rond, facile à manier pour parer les coups, un casque, une cuirasse de cuir et de bronze, complétée par un jupon plaqué de métal, et des jambières en bronze, composent désormais l'armement défensif du guerrier ; des armes offensives et des outils en fer sont mentionnés dans les parties les moins anciennes de l'Iliade et de l'Odyssée. — De nombreux gisements d'argile favorisent le développement de l'industrie céramique, où la décoration des pièces fabriquées révèle de bonne heure un réel souci d'art : en Ionie, et dans certains grands ports, comme Corinthe, des souvenirs de la peinture crétoise et l'imitation des tapisseries orientales déterminent la naissance d'un style composite où le décor floral, gracieusement interprété, les animaux fantastiques, les tableaux mythologiques, composent de riches ensembles ; en Béotie, et surtout en Attique, des vases, dont la forme et les dimensions, souvent considérables, témoignent d'un grand effort technique, portent une décoration plus maladroite, mais plus originale, où des ornements géométriques encadrent des scènes à nombreux personnages d'un rendu gauche et appliqué. L'architecture et la sculpture progressent comme la céramique. S'il est assez imprudent de vouloir reconstituer, d'après les indications peu précises de l'Iliade et de l'Odyssée, le palais de Priam et la maison d'Ulysse, les fouilles montrent que, dès le VIIIe siècle, les architectes savent couvrir de grandes surfaces sous le toit à double versant : la cela du vieux temple de l'Héraion, près d'Argos (VIIIe siècle), mesure plus de trente-six mètres de long, huit mètres et demi de large. La colonnade, autrefois limitée à la façade, se développe en péristyles qui font le tour des édifices, ajoutent à leur importance sans les alourdir. Si les architectes n'utilisent encore que le bois, le tuf et le calcaire, souvent complétés, pour des raisons d'économie, par la terre cuite et même la brique crue, les sculpteurs, qui ont abandonné le bois pour la pierre, essayent de travailler le marbre, où ils ne taillent au début que de raides idoles gainées, les bras collés au corps ; mais déjà les bas-reliefs en tuf, bariolés de vives couleurs, qu'on a trouvés sur l'Acropole d'Athènes, témoignent d'un remarquable effort pour rendre, tant chez l'homme que chez les animaux, les mouvements les plus violents. ***Tous ces progrès dans le commerce et la technique ont d'importantes conséquences sociales. La puissance n'est plus fondée exclusivement sur la possession d'un grand domaine ; les propriétés héréditaires se morcellent, et la loi commence à en autoriser la vente ; le trafic crée la fortune mobilière, dont l'usage de la monnaie facilite le maniement. Des familles tirent du commerce des revenus considérables, qui leur permettent de jouer dans leurs cités un rôle important : à Corinthe, les Bacchiades, grands armateurs, grands marchands, et premiers magistrats de leur cité, en sont un exemple frappant. Il est difficile de dire s'il s'agit de parvenus qui se sont créé une généalogie avantageuse, ou d'aristocrates qui ont su s'adapter à des conditions d'existence nouvelles. En tous cas c'est la fortune qui sert maintenant de base à l'organisation politique. C'est sur les signes extérieurs de la richesse qu'est fondé le classement des citoyens. A coup sûr, ces signes sont encore souvent d'un caractère nettement agricole : à Athènes, la première catégorie de citoyens, d'après une constitution qui remonte peut-être au VIIIe siècle, comprend ceux qui peuvent récolter dans leurs champs cinq cents boisseaux de blé (πεντακοσιομέδιμοι) ; la seconde, ceux qui peuvent s'offrir le luxe d'un cheval (ίππεΐς) ; la troisième, les paysans aisés qui possèdent un couple de bœufs (ζευγΐται). Mais, à côté de ce mode archaïque d'évaluation, en apparaît un autre, mieux adapté aux nouvelles conditions économiques, et à l'existence de la monnaie : c'est en numéraire que la constitution attribuée à Dracon, et qui remonte sans doute au vile siècle, exprime le capital dont la possession permet l'accès aux premières magistratures de la cité (cent mines euboïques, c'est-à-dire environ 14.000 francs-or). Ainsi le régime aristocratique qui avait remplacé la royauté se transforme en une véritable ploutocratie. L'argent fait l'homme (χρήματ' άνήρ), dit un proverbe d'alors. Dans une société ainsi constituée, la situation des petites gens est fort pénible. Les riches peuvent tirer des revenus énormes à la fois du commerce et de leurs domaines, dont aucune loi, semble-t-il, ne limite encore l'accroissement : à en juger par l'organisation censitaire, dans l'Attique, dont les dimensions sont celles d'un petit département français (à peu près 25.000 hectares), de nombreux propriétaires possédaient plus de 40 hectares de terres arables. Pendant ce temps, le paysan pauvre vit sur un patrimoine juste suffisant à l'entretien de sa famille, et dont d'âpres procès de succession et de bornage rendent la possession précaire. La diffusion de la monnaie n'améliore pas sa situation. L'argent, encore rare au VIe siècle, a une puissance d'achat énorme ; on paye, au temps de Solon, un bœuf cinq drachmes (environ cinq francs). Il en résulte une grande dépréciation des denrées agricoles. Aussi, à la suite d'une maladie ou d'une mauvaise récolte, il arrive au paysan d'être obligé d'emprunter pour vivre : il ne peut emprunter qu'à des taux usuraires et finit par engager la seule chose qu'il possède, c'est-à-dire sa terre. L'hypothèque, fléau des campagnes, existe en Grèce dès cette époque ; probablement sous la forme de la vente à réméré : les premières bornes hypothécaires qu'on ait trouvées en Grèce datent du VIe siècle, mais l'usage qu'elles attestent est certainement plus ancien. Expulsé de sa terre, le paysan n'a plus qu'à se mettre en gage lui-même avec sa famille : il perd sa qualité d'homme libre et n'est plus qu'un serf. Si les conditions économiques qui règnent en Grèce à partir du VIIIe siècle ne sont pas la cause unique du servage, du moins ont-elles favorisé son extension et accentué son caractère oppressif. Cette institution, qui semble avoir été ignorée des tribus helléniques à l'époque de leur arrivée en Grèce, et qu'Homère et Hésiode ne mentionnent pas encore, y était fort développée avant le VIe siècle. Avec des différences de détail, les Hilotes de Sparte, les Πενέσται (serviteurs) de Thessalie, les Μνωίται et les Κληρώται (serfs attachés à la glèbe) de Crète, peut-être aussi les Πελάται (clients) et les Έκτήμοροι (qui doivent au propriétaire les ⁵/₆e de la récolte) de l'Attique, ont pour caractère commun d'être attachés au sol qu'ils cultivent et de payer une redevance proportionnelle à la récolte annuelle. On a déjà vu (ch. IV) qu'il ne faut pas voir en eux les représentants d'une race primitive asservie par les Grecs : il est probable qu'une série de contrats personnels, — comme en Europe occidentale à partir du VIe siècle de notre ère, — lièrent les familles de petites gens aux nobles qui, en échange des redevances, leur assuraient sans doute à l'origine aide et protection. Ce régime, patriarcal à son début, devint avec le temps oppressif. La ploutocratie fit du métayer un esclave, et créa une classe misérable, mécontente et volontiers révoltée, dont l'existence finit par devenir un danger véritable pour les États de constitution obstinément oligarchique, comme Sparte et la Thessalie, qui n'ont pas su, par des mesures radicales, lui rendre la liberté. A côté des serfs, l'esclave, proprement dit, — ramené d'une expédition guerrière ou acheté à des pirates sur un de ces marchés d'hommes qui se créent dans le monde hellénique, en particulier dans les villes ioniennes, commence à jouer un rôle dans l'exploitation agricole. Dans l'Iliade, les moissonneurs représentés sur le bouclier d'Achille sont encore, semble-t-il, des travailleurs libres, έριθοι, et, à côté de ces journaliers, il ne manque pas en Grèce de gagistes, θήτες, qu'un contrat permanent lie à leur employeur ; mais l'Odyssée nous montre des esclaves véritables, δμώες, qui gardent les troupeaux d'Ulysse ; d'autres, dans sa maison, vaquent aux soins domestiques. A la ville, les progrès de l'industrie déterminent la création de petits ateliers : la main-d'œuvre libre et la main-d'œuvre servile y sont, semble-t-il, employées concurremment. Le droit et les mœurs font en général à l'esclave une situation assez douce dans la famille ; s'il n'a pas encore à cette époque l'espoir de s'affranchir, du moins est-il en général traité sans rudesse, parfois avec affection, il jouit d'une indépendance relative, surtout dans les exploitations rurales, et peut amasser un petit pécule. La situation de l'esclave semble avoir été plus douce dans la Grèce archaïque qu'à Rome au temps de Caton l'ancien. ***Les nouvelles conditions économiques favorisent le développement des villes. Sur les rives de la Mer Égée on voit grandir les ports. : en Ionie Milet, sur les bords du golfe Latmiaque, débouché de la vallée du Méandre, et Phocée, qui commande la vallée de l'Hernies et dessert l'industrielle Lydie ; dans la Grèce centrale Chalcis, maîtresse du détroit de l'Euripe, si important à une époque où les navires évitent encore le tour de l'Eubée ; Égine, dont les corsaires et les armateurs jouent un grand rôle dans la Grèce archaïque, comme au XVIIIe siècle de notre ère ceux de sa voisine Hydra ; des deux côtés de l'isthme les deux ports de Corinthe, qu'enrichissent le transit et les droits d'entrepôt. Mégare, fondatrice, au vue siècle, de nombreuses colonies en Sicile et sur le Bosphore, est également une cité prospère. Sa future rivale Athènes, dont le port du Pirée n'est pas encore aménagé, ne joue qu'un rôle modeste ; cependant il semble que la ville, avant le VIe siècle, déborde l'enceinte de l'Acropole, et que des quartiers nouveaux se construisent, tant au Sud, du côté de l'Ilissos, qu'au Nord-Ouest, où se concentre une population de potiers et de forgerons. Dans le Péloponnèse, à Tyrinthe et à Mycènes succède Argos, qui, au centre d'une plaine fertile, joue, après s'être annexé le port de Nauplie, un grand rôle commercial qu'atteste la création, sous le roi Pheidon, au vue siècle, d'un système métrique adopté par un grand nombre de villes grecques. Sparte, malgré son éloignement de la mer, doit à sa constitution une puissance qui, dès le début, semble avoir eu un caractère nettement militaire. — L'absence de données sérieuses ne permet pas de se faire une idée de la population des grandes villes d'alors ; les calculs sur lesquels se fondent certains historiens pour attribuer 25 ou 30.000 habitants aux cités les plus importantes de la Grèce du vue siècle ont des bases très fragiles. Malgré la tristesse de cet âge de fer, comme disent les poètes d'alors, où dans toute la Grèce, une majorité misérable, serfs ou journaliers, vit opprimée par une minorité opulente, enrichie à la fois par ses vastes domaines et par le commerce, le jeu naturel des événements détermine des progrès dans l'ordre moral et juridique. L'accroissement de la population urbaine renforce, au détriment de l'organisation familiale, le pouvoir de la cité. Tout un travail de législation s'élabore à partir du VIIIe siècle dans le monde hellénique. La tradition a conservé les noms de plusieurs de ces législateurs, dont on ne savait plus, à l'époque classique, s'ils étaient, comme dit un oracle delphique en parlant de Lycurgue, des dieux ou des hommes, et dont les noms transparents — à Sparte Lycurgue, le Faiseur de Lumière ; à Locres Zaleucos, le Brillant ; à Athènes Dracon, le Dieu à forme de serpent qui veille sur l'Acropole — indiquent peut-être le caractère mythique. Qu'ils aient été vraiment les auteurs des réformes qu'on leur attribue, ou que ces réformes soient le résultat d'un travail lent et anonyme, il reste en tous cas certain qu'un esprit nouveau se manifeste dans la législation. Le droit antique, fondé sur la famille solidaire dans la répression comme dans la responsabilité, fait place à des conceptions plus modernes où l'individu est mis en présence de l'État. Une plaque de bronze, trouvée à Olympie, et qui peut dater de la fin du VIIe siècle, est, comme on l'a dit avec raison, une première édition du bill de l'habeas corpus ; elle précise les droits de l'accusé, le défend contre toute violence illégale, règle l'action des tribunaux dont il est justiciable, et limite celle de l'accusateur, qui ne peut en aucun cas s'étendre à la famille et aux biens de l'accusé. A Athènes, le code de Dracon, loin d'être, comme le voulait une tradition tardive et mal fondée, écrit avec des lettres de sang, réalise un grand progrès dans le sens de la raison et de l'humanité ; et, parmi les lois plus ou moins authentiques qui lui sont attribuées, la plus remarquable sans doute est celle qui, en créant, à côté de l'Aréopage, le tribunal des Éphètes, distingua, au point de vue de la pénalité comme de la juridiction, le meurtre prémédité de l'homicide involontaire, proclamant ainsi, peut-être pour la première fois dans le monde grec, l'importance, dans la législation, du principe de la responsabilité morale. Bibliographie. — GLOTZ. Le travail dans la
Grèce ancienne. — PERROT et CHIPIEZ. Histoire de l'art. T. VI et VII. — CH. DUGAS. La céramique grecque,
Paris (Payot), 1924. — GLOTZ. La
solidarité de la famille dans le droit criminel en Grèce. Paris, 1904. |