L'histoire grecque est l'histoire du peuple qui, au début du deuxième millénaire avant notre ère, est venu s'établir dans le sud de la presqu'île des Balkans et sur la côté orientale de l'Asie Mineure. Il n'y a donc pas lieu d'établir une distinction tout à fait artificielle entre la Grèce continentale, la Grèce insulaire, et la Grèce asiatique. Pendant toute la durée de l'hellénisme ces régions ont vécu de la même existence ; et le rôle de l'Ionie, de Rhodes, ou des îles de l'Archipel a été plus important que celui de l'Acarnanie ou même de l'Arcadie. Aujourd'hui encore les mêmes populations habitent les deux rives de la Mer Égée et ses îles, et l'on sait comment le gouvernement grec justifie par ce fait incontestable des prétentions qui, au point de vue linguistique et religieux tout au moins, sont parfaitement légitimes. La géographie est sur ce point d'accord avec l'histoire. L'effondrement qui, à l'époque quaternaire, a créé la fosse de la Mer Égée dans un continent qui avait déjà pris, dans l'ensemble, son aspect actuel, n'en a pas altéré l'unité. C'est uniquement pour des commodités d'exposition que la côte occidentale de l'Anatolie est, dans les traités de géographie, rattachée à l'Asie. Homère n'a pas l'idée de désigner d'un nom différent les deux rives de la Mer Égée ; Hérodote s'étonne des limites arbitraires que la science établissait déjà de son temps entre l'Europe et l'Asie. Le voyageur qui s'embarque le soir au Pirée pour se réveiller le lendemain matin à Smyrne ne croit pas avoir changé de continent : il retrouve la même lumière, les mêmes pentes rousses et dénudées qu'il avait quittées la veille. Cette impression n'est pas trompeuse. Les chaînes de montagnes, les formations géologiques se continuent d'un bord à l'autre ; et si le coucher du soleil colore des mêmes teintes mauves l'Hymette et le mont Mycale, c'est que ces deux montagnes appartiennent au même massif cristallin. C'est aussi le même climat, la même végétation, et, dans une certaine mesure, le même régime des eaux. Le paysage change d'ailleurs lorsqu'on quitte la côte asiatique pour s'enfoncer dans l'intérieur des terres : à deux cents kilomètres de la mer, on aborde la région de plateaux et de steppes qui font de la presqu'île anatolienne un morceau d'Asie entouré d'une ceinture côtière d'aspect méditerranéen. Mais la Phrygie, la Galatie, la Lycaonie, n'ont joué dans l'histoire grecque qu'un rôle court et effacé ; on peut donc les négliger dans cette étude préliminaire limitée à la région où pendant vingt siècles s'est développée la civilisation hellénique. La Mer Égée doit son existence, on vient de le voir, à un effondrement qui a morcelé un continent de formation relativement récente et de structure très compliquée. Aussi cette catastrophe y a-t-elle déterminé un dessin côtier d'une étonnante diversité. Les eaux ont envahi les vallées en les transformant en golfes qui pénètrent profondément dans l'intérieur des terres, et en baies innombrables ; les chaînes s'avancent dans la mer en presqu'îles qui s'effilent en caps prolongés eux-mêmes par des chapelets d'îles. Nulle part en Europe on ne trouve des rivages aussi capricieusement découpés ; ceux de la Dalmatie et de la Norvège eux-mêmes, avec leurs fjords de direction uniforme, ne présentent pas une pareille variété. Aussi la longueur de ces côtes y est-elle considérable par rapport à la superficie des régions qu'elles limitent ; pour la Grèce continentale (sans la Macédoine) et les Cyclades (sans la Crète) elle est de 3.100 kilomètres pour 81.593 kilomètres carrés. C'est le triple du développement minimum que comporterait une pareille superficie, tandis que dans d'autres presqu'îles, cependant favorisées elles-mêmes, l'Italie par exemple, le développement côtier en atteint à peine le double. Dans un pays d'un pareil dessin, la mer n'est jamais loin. On la perd rarement de vue dans les voyages qu'on entreprend à l'intérieur des terres. Aucun point du Péloponnèse n'en est éloigné de plus de 52 kilomètres (60 kilomètres dans la Grèce centrale). Elle sert de fond aux paysages les plus beaux, les plus caractéristiques de la Grèce ; c'est une véritable privation que de la voir disparaître ; et l'on sait de quels cris de joie la saluèrent, en descendant des hauts plateaux d'Asie Mineure, les mercenaires de l'Anabase. Aussi les Grecs se sont-ils bientôt familiarisés avec elle. Venus de l'Europe centrale, et n'ayant même pas un mot pour désigner la mer, dont ils ont, semble-t-il, emprunté le nom aux peuples établis avant eux dans le bassin de la Mer Égée, ils sont rapidement devenus les meilleurs marins de la Méditerranée. Les habitants de certains cantons montagneux, les Arcadiens entre autres, qui jusqu'à l'époque romaine manifestent naïvement leur crainte des longues traversées, paraissaient ridicules à leurs voisins. Comment ne pas céder aux sollicitations d'une mer qu'on voyait si calme dans ses grands golfes abrités, et que jalonnent au large des chapelets d'îles rendues plus proches encore, semble-t-il, par l'extrême transparence de l'air ? Par temps favorable, un voilier peut aller du Pirée à Smyrne ou à Rhodes en faisant, suivant les habitudes du cabotage primitif, escale tous les soirs, et sans jamais perdre la terre de vue. Et dans ces côtes découpées s'ouvrent des abris nombreux, en général protégés contre le vent du Nord qui souffle d'une manière à peu près constante, on va le voir, dans la bonne saison. La variété de leur disposition a répondu aux besoins successifs de la navigation hellénique. On en trouve un exemple frappant dans la presqu'île d'Acté, près d'Athènes, avec ses quatre ports, depuis la rade foraine du Phalère, où les marins grecs, jusqu'au Ve siècle, tiraient au coucher du soleil leurs bateaux sur la grève de sable, jusqu'au Pirée, où des navires d'un fort tirant d'eau peuvent aujourd'hui décharger leurs marchandises à quai. La mer qui baigne ces côtes est soumise à un régime météorologique qui présente des caractéristiques remarquables. Pendant l'été, la chaleur qui règne en Lybie et sur les hauts plateaux d'Asie Mineure détermine vers ces régions un appel d'air qui se traduit par des vents constants du Nord et du Nord-Est, bien connus des Anciens sous le nom de vents étésiens, et des marins grecs actuels qui leur ont conservé le nom turc de meltem. En hiver, par contre, règne un régime compliqué, qui comporte des changements fréquents et brusques. Il en résulte qu'un transit régulier, pour la marine à voiles, n'est pas possible en hiver, saison où, de fait, la navigation dans la Mer Égée a toujours chômé jusqu'au 'axe siècle ; en été au contraire le régime constant des vents facilite singulièrement les transactions commerciales et a permis l'existence d'une marine marchande considérable où, dès le IVe siècle avant notre ère, les financiers n'hésitent pas à engager de gros capitaux. De plus, l'existence de côtes découpées et montagneuses, et les inégalités du climat, multiplient les vents locaux, vents de terre et de mer, dont, en chaque point de la Méditerranée, les indigènes savent en général tirer parti, mais qui réservent de désagréables surprises à ceux qui les ignorent. Ces vents locaux ont joué un certain rôle dans les fastes de la marine grecque ; le vent du matin, qu'avait prévu l'Athénien Thémistocle, mais qu'ignoraient les marins phéniciens et cariens du Grand Roi, contribua, à Salamine, au triomphe de la flotte grecque. Les pays qui bordent la Mer Égée sont, comme la plupart des régions méditerranéennes, de formation relativement récente, et leur relief n'a pas encore été adouci par l'érosion. Leur tectonique est très compliquée, et seule la géologie y révèle l'existence d'une chaîne continue, prolongement des Alpes Dinariques, dont la direction générale est du Nord-Ouest au Sud-Est, mais qui subit une déviation considérable vers l'Est au voisinage de la Mer Égée, où certaines îles, la Crète en particulier, indiquent son orientation nouvelle, et qui, en Mie Mineure, remonte franchement vers le Nord-Est. Si la direction Ouest-Est est secondaire au point de vue orographique, elle a joué un grand rôle historique en constituant une série de barrières qui ont souvent protégé la Grèce contre un envahisseur venu du Nord et ont facilité le maintien de son indépendance les monts Géraniens de l'isthme de Corinthe, dernier espoir des états péloponnésiens au moment des guerres médiques ; la ligne du Cithéron et du Parnès, rempart de l'Attique ; l'Oeta avec les Thermopyles ; l'Othrys ; l'Olympe et les monts Cambuniens, où les Grecs songèrent un instant à arrêter Xerxès en 479 ; enfin le Velès, où l'armée du général Sarrail a maintenu en décembre 1915 les Germano-Bulgares qui menaçaient la Macédoine. Par contre, la complication du relief de la Grèce continentale, qui n'a son égale dans aucune région d'Europe, a eu sur son histoire l'influence la plus fâcheuse. Sur un sol ainsi divisé, la nation hellénique s'est morcelée en une poussière de petits peuples, tous jaloux de leur indépendance, en général facile à défendre, et de leur autonomie, incapables d'accepter, non seulement une domination commune, mais l'idée d'un fédéralisme étendu. Toutes les tentatives d'union, provoquées par un danger pressant, ont été précaires, et souvent trop tardives. Le sol tourmenté de la Grèce l'a même toujours empêchée de posséder ce qui fait l'armature d'une nation unifiée, c'est-à-dire un réseau routier : c'est par mer que se faisait l'essentiel des communications ; et seuls de mauvais chemins reliaient les villes de l'intérieur. Les Romains eux-mêmes n'ont pas modifié cet état de choses ; la seule route qu'ils aient construite dans la péninsule balkanique, la Via Egnatia, route militaire et administrative, ne traverse pas la Grèce propre. Aujourd'hui encore, on peut à peine dire que la situation ait changé ; là où ne pénètre pas le chemin de fer, des sentiers muletiers relient les villages et souvent les villes. A ce point de vue la différence est grande avec l'Asie Mineure, où de larges vallées, suivies par les routes royales au temps des Achéménides, plus tard par les voies romaines, assurent des communications faciles entre la côte et les villes de l'intérieur. Les rares plaines qu'on rencontre dans ce pays montagneux, et que la direction des chaînes fait en général ouvrir sur la mer vers le Sud ou vers l'Est, ont pris rapidement une grande importance politique : dans les plus petites s'est rapidement constituée une forte unité autour d'une ville centrale, Argos, Sparte, Athènes, Thèbes, — cités qui ont toutes joué un rôle considérable dans les destinées de la Grèce ; dans les plus grandes s'est élaborée l'idée plus vaste de l'unité hellénique : elle a failli être réalisée au début du Ive siècle en Thessalie par les Aleuades ; elle l'a été pour quelques années par Philippe de Macédoine et son fils Alexandre. Le sol de la Grèce est en général assez pauvre. L'étranger qui vient d'Occident est frappé de l'aspect dénudé de ces montagnes calcaires, travaillées par les agents atmosphériques, et sur lesquelles ne poussent souvent que des touffes de buissons épineux. Même dans les vallées, la couche de terre végétale reste mince. Un labeur patient a seul pu fixer sur les pentes, par des murs en terrasses qui donnent encore aujourd'hui aux Cyclades une physionomie si particulière, de maigres champs étagés, — et assurer par une irrigation minutieuse la prospérité agricole des régions de plaines. La propriété est morcelée, à l'époque classique. et soigneusement délimitée, comme il convient sur un sol aussi ingrat et qui réclame de si gros efforts ; dans les pays où le servage n'est pas venu fausser la situation, un élément rural, attaché aux traditions, ennemi des guerres qui dévastent le sol ou qui tout au moins éloignent le travailleur de son champ, constitue le fonds solide de la population, et s'oppose aux commerçants et aux ouvriers de la ville ; au Ve siècle, à Athènes, le théâtre d'Aristophane met en scène cette classe de petits propriétaires fonciers, hostiles aux nouveautés, et amis de la paix. Seule la Thessalie plus fertile a vu se développer un régime de grands domaines, qui a reparu sous la domination turque et subsiste de nos jours en provoquant des troubles agraires qui inquiètent maintenant encore le gouvernement grec. Pays de propriétés étendues, la Thessalie est aussi une des rares régions de la Grèce où l'élevage en grand se soit développé. Ses chevaux étaient célèbres, et sa cavalerie a joué un rôle militaire important. Dans le reste de la Grèce — sauf en Épire — le sol est surtout consacré à l'agriculture. A force de soins, l'olivier y prospère, protégé souvent par une législation sévère, ainsi que la vigne, que les Grecs ont sans doute fait connaître sur les côtes de la Méditerranée occidentale, et le figuier. Certaines plaines produisent du blé, mais, lorsqu'elles sont voisines d'import.4nts centres urbains, la récolte en a été, à l'époque classique tout au moins, insuffisante pour nourrir toute la population. Aussi les grandes villes ont-elles dû avoir de bonne heure une politique frumentaire qui a parfois déterminé leur expansion et leur histoire. C'est pour avoir du blé que de nombreuses villes firent tant de sacrifices pour leurs colonies du Pont-Euxin, qu'Athènes entretint avec tant de soin ses alliances dans la Chersonèse taurique (Crimée), et attacha tant de prix à la possession des Détroits, où sa destinée s'est plusieurs fois jouée ; C'est aussi pour avoir du bois. On s'est demandé si les côtes de la Mer Égée s'étaient appauvries en forêts depuis l'antiquité. Il est certain que l'incurie turque a eu à ce point de vue des effets déplorables. Les forêts ne représentent encore maintenant, après les efforts accomplis sous le règne de Georges Ier, que 9,3 % de la surface du pays (Italie 15,7 %). Mais dès l'époque classique les troupeaux de chèvres et les charbonniers exerçaient leurs ravages ; le maquis envahissait les pentes ; le nombre de noms de lieux exprimant l'idée de buisson qu'on rencontre dans la seule Attique est caractéristique à cet égard. Aussi les villes qui avaient besoin de bois pour leurs édifices privés et publics et pour leur flotte étaient-elles obligées de le faire venir des régions septentrionales de la Mer Égée, Chalcidique, Thrace, Troade, Mysie, ou du Pont-Euxin. Pauvres en champs, en prés, en forêts, les pays qui bordent la Mer Égée possèdent en abondance des minéraux utiles ou précieux. L'argile excellente qu'on trouve en tant de points de la Grèce continentale, des îles, et de la côte asiatique, a permis dès le temps de la civilisation crétoise un grand développement de la poterie, remarquable aussi bien par l'importance des pièces fabriquées que par la beauté de la décoration ; à l'époque grecque s'est créée dans certains centres une industrie florissante, essentielle dans un pays exportateur de vin et d'huile, et un art véritable se manifeste dans les produits céramiques que des maîtres ouvriers ne dédaignent pas de signer. Les plus belles variétés de marbre se rencontrent dans le massif cristallin qui va de l'Attique à la côte ionienne ; cette matière magnifique, plus dure que le calcaire ordinaire, plus facile à travailler que le granit, a d'assez bonne heure tenté les architectes qui l'ont, à l'époque classique, préférée aux plus beaux calcaires et aux tufs les plus compacts ; elle a permis aux sculpteurs grecs, comme le marbre de Carrare aux sculpteurs florentins, un souci de la vérité et une recherche de la perfection qui n'ont pas été dépassés. L'extraction de l'argile, du marbre, dans des carrières à ciel ouvert, n'a jamais présenté de grandes difficultés. Par contre, les nombreux gisements métallifères des côtes de la Méditerranée orientale n'ont pu, pour la plupart, être exploités d'une manière intensive ni dans l'antiquité ni de nos jours, à cause de la rareté des forêts et de la difficulté de se procurer eh quantité suffisante des bois pour les galeries de mines. Seuls un certain nombre de métaux précieux, dont la valeur justifie une exploitation très coûteuse, ont donné lieu à une industrie active, le cuivre à Chypre, surtout l'argent en Thrace et en Attique. Dans ces régions de formation récente, le sol est encore instable. Les tremblements de terre y sont fréquents. L'état actuel des ruines de Delphes atteste leur violence, et il n'est pas certain que le miracle qui, en 278, a protégé contre les Gaulois le sanctuaire d'Apollon n'ait pas été un mouvement sismique opportun. En Asie Mineure, de grandes catastrophes ont, à l'époque romaine, attiré sur certaines villes détruites la sollicitude du gouvernement impérial. Ces phénomènes ont eu leur influence sur les conceptions scientifiques et mythologiques des Grecs. Un sol aussi peu sûr devait, croyait-on, sa mobilité à la mer qui l'entourait et sur laquelle il flottait ; Poseidon, dieu des flots agités, était aussi celui qui portait (γαιήοχος) et qui faisait trembler (έννοσίγαιος) la terre, et qui, d'un coup de son trident, fendait les montagnes. Par contre, les volcans, auxquels certaines îles des Cyclades doivent leur configuration actuelle, sont tous éteints à l'époque historique, sauf ceux de Methana et de Santorin ; celui de Lemnos, dont les poètes latins de la décadence décrivent gravement les éruptions, n'est qu'une tourbière ; Héphaistos est le dieu du feu longtemps avant de devenir celui des phénomènes volcaniques, que les Grecs ont surtout appris à connaître dans la Méditerranée occidentale. ***Le climat de la région égéenne est remarquable par sa sécheresse. Non que la quantité de pluie précipitée y soit insignifiante ; elle est aussi forte à Smyrne qu'à Paris, à Patras qu'à Brest. Mais les précipitations y sont à la fois violentes, rares, et groupées dans les mois d'hiver. Avec un pareil régime, la plus grande partie des eaux de pluie disparaît par l'effet du ruissellement, sans être absorbée par la terre. De là ces torrents au débit furieux pendant quelques heures par an, le reste du temps à sec ; de là le petit nombre de fleuves de la Grèce propre et même de l'Asie Mineure, et la faiblesse de leur débit ordinaire, qui les a toujours rendus impropres à la navigation ; de là l'importance des sources, bienfaisantes au laboureur comme au voyageur altéré, indispensables à l'existence d'un centre urbain, sévèrement protégées contre toute souillure : une ville sans fontaines, disaient les Grecs, ne mérite pas le nom de cité ; et l'interdiction de couper l'eau d'une ville assiégée était, pour les Grecs, un principe élémentaire du droit des gens. L'art de l'irrigation est connu du temps d'Homère ; et dans la banlieue d'Athènes, à laquelle un siècle de gouvernement civilisé a rendu aujourd'hui un aspect sans doute assez peu différent de celui qu'elle avait au Ve siècle, les moindres filets d'eau sont recueillis avec autant de soin que dans une huerta espagnole. Ce climat set est aussi un climat chaud. En été, presque toute la Grèce continentale, une partie des Cyclades, et la Bâte asiatique, ont à supporter, comme la Sicile et le centre de l'Espagne, des températures africaines, et la moyenne de juillet y dépasse 26°. Un dur soleil suspend pendant quelques heures par jour toute vie économique et sociale. Heureusement la mer est presque toujours proche, et grâce aux vents étésiens ou à des brises locales et quotidiennes, la chaleur devient rarement accablante : aujourd'hui encore les Grecs d'Égypte viennent chercher au Phalère ou dans les Cyclades les heures fraîches que leur refusent les lourds étés du Delta. En hiver, par contre, si la température moyenne est assez élevée, les journées rudes ne manquent pas. Il est rare qu'un hiver athénien s'écoule sans gelées ou même sans quelques courtes tombées de neige. Les médecins anciens avaient déjà reconnu qu'un climat où alternent ainsi le froid et Le chaud favorisait le développement d'une race active et vigoureuse. Les effets bienfaisants du soleil, de la lumière, des vents de mer enrayent, d'autre part, l'extension des maladies endémiques. La Grèce antique n'a pas connu d'épidémies comparables celles qui, depuis l'époque romaine jusqu'au XVIIIe siècle, ont ravagé l'Europe occidentale. Les effets meurtriers de la peste de 430, elle-même localisée, et dont des territoires importants, le Péloponnèse entre autres, surent se préserver, sont dus au surpeuplement momentané et anormal que les invasions de l'Attique par les troupes péloponnésiennes créaient pendant la saison chaude à Athènes. Même le paludisme, fléau des côtes méditerranéennes, ne sévit en Grèce et sur les bords de la Mer Égée qu'aux embouchures des fleuves — Acheloüs, Aides (Vardar), Méandre —, et au voisinage de quelques marais. Dans ce pays où les heures de froid et de pluie sont rares et n'interrompent que pour un temps très court la série des journées radieuses, tempérées souvent en été par le vent ou la brise de mer, l'habitant est attiré et retenu hors de son logis par la douceur de la vie en plein air. Aussi voit-on dans la Grèce antique la modestie des demeures privées contraster avec la splendeur des constructions publiques où se concentre l'effort des architectes et des sculpteurs, et qui sont elles-mêmes adaptées à ce climat sans pluie : portiques qui bordent les places ou qui entourent la salle obscure où l'on enferme les dieux et leurs trésors, théâtres à ciel découvert auxquels les plus beaux paysages servent de fond de décor. D'autre part cette vie dans la rue ou sur l'agora développe en Grèce, comme dans toute l'Europe méditerranéenne, un sens profond de l'égalité qui, s'il ne se traduit pas partout dans la loi écrite, se reflète presque toujours dans les mœurs. La hiérarchie sociale résiste mal à ce coudoiement incessant des classes diverses : aujourd'hui encore le paysan de Grèce tutoie son interlocuteur, quel qu'il soit. Et cette notion de l'égalité a servi de support, dans certaines cités grecques, aux constitutions les plus radicalement démocratiques que l'humanité ait connues jusqu'à nos jours. ***La géographie n'explique pas toute l'histoire. Dans un même pays des peuples différents peuvent manifester des qualités diverses. Les Turcs, campés depuis cinq siècles sur les bords de la Méditerranée orientale, n'ont jamais su profiter des facilités qu'elle offre au commerce maritime ; les barrières que la presqu'île balkanique oppose à une invasion venue du Nord n'ont pas sauvé la Grèce du plus accablant despotisme ; aujourd'hui, malgré son marbre et son argile, on ne voit pas s'y développer un art original. Mais les deux races qui, dans l'antiquité, se sont succédé sur les bords de la Mer Égée, ont été assez bien douées pour savoir réaliser les incitations du climat, de la mer, et du sol. Les Minoens ont été, dès le deuxième millénaire, les grands marins de la Méditerranée orientale, et sont parvenus à un haut degré d'organisation économique, où s'est développé un art charmant. Après eux, les Grecs ont été, pendant cinq siècles, les maîtres du commerce maritime du monde ancien ; leur pays a vu naître des villes libres et rivales où la loi respectait les droits du moindre citoyen ; les conceptions religieuses et l'organisation politique y ont déterminé, dans des fêtes en plein air, la plus merveilleuse floraison artistique et littéraire que l'antiquité ait connue. Bibliographie. — NEUMANN-PARTSCH. Physikalische Geographie von Griechenland.
Breslau, 1885. — PHILIPPSON. Das
Mittelmeergebiet (2e édition). Leipzig, 1907. —
FOUGÈRES. Guide de Grèce (Collection Joanne, 2e
édition). Paris, 1911. — A. JARDÉ. La formation du peuple grec. (Bibliothèque de Synthèse
historique). Paris, 1923. |