LES ÉCOLES D’ANTIOCHE

 

CHAPITRE TROISIÈME. — ÉTUDES SPÉCIALES.

 

 

Les études du premier âge, la Grammaire, la Rhétorique constituent la culture suffisante et générale de l’esprit au IVe siècle. Apulée, cependant a bu à d’autres coupes : il a goûté la Géométrie et son eau claire, la Musique et ses douceurs, la Philosophie générale et son délicieux nectar[1]. Bien qu’elles appartiennent à un cercle restreint d’initiés, ces études spéciales, auxquelles nous joignons la Médecine et le Droit, s’imposent à notre attention. Un lien étroit les unit entre elles et avec la Rhétorique ; leur action est puissante dans le monde des idées ; ceux qui les cultivent sont d’ordinaire de vigoureux esprits, directeurs impérieux ou novateurs audacieux. Les négliger c’est se résoudre à ne lire qu’un fragment de la page du savoir, à ignorer les tendances de l’esprit humain à cette époque, à en apprécier imparfaitement les efforts vers le progrès.

Ici la rareté des documents nous oblige à élargir le cercle où nous voulions renfermer notre curiosité : c’est un essai sur l’enseignement musical, scientifique, médical, juridique et philosophique dans le monde gréco-oriental au IVe siècle, et par là dans tout le monde romain, puisque l’Orient seul nous offre les noms illustres : Aristide Quintilien, Gaudence, Bacchius en musique, Diophante et Pappus dans le domaine des mathématiques. Les écoles de droit célèbres sont Béryte, Césarée, Constantinople, Athènes ; la médecine ne nous offre que le nom d’Oribase de Pergame ; la philosophie est toute en l’école mystique de Jamblique. L’attrait de ce sujet nous sera une excuse d’avoir eu la témérité de l’aborder, et sa nouveauté nous fera pardonner l’imperfection de cette étude.

§ I. — Musique et métrique, danse et gymnastique

Voici en quels termes Ammien Marcellin caractérise cette époque : Le peu de maisons où le culte de l’intelligence était naguère en honneur, sont envahies par le goût des plaisirs, enfants de la paresse. On n’y entend que des chants et, dans tous les coins, le tintement des cordes ; au lieu des philosophes, on n’y rencontre que des chanteurs et les professeurs d’éloquence ont cédé la place aux arts d’amusement. On mure les bibliothèques comme des tombeaux. L’art ne s’ingénie qu’à fabriquer des instruments gigantesques : orgues hydrauliques, lyres, grandes comme des chars, chalumeaux et autres instruments de théâtre de dimension inusitée. On expulse de Rome des étrangers, crainte de disette, mais on y garde trois mille danseurs et autant de choristes[2]. Claudien nous fait assister à la réunion de graves personnages appelés à délibérer sur les dangers de l’État : Ils s’emportent, ils s’échauffent en de vains débats..., il s’agit de savoir qui sait le mieux accommoder ses gestes aux sons, ses yeux aux rythmes[3].

Il est facile de comprendre que ceci est encore plus vrai d’Antioche, moins brutale que Rome, moins pondérée qu’Athènes, moins laborieuse qu’Alexandrie. Là, plus que partout ailleurs, Musique et Danse exercèrent irrésistiblement leur séduction ; elles étaient la naturelle satisfaction de cet instinct humain, de cette prédisposition, sinon à comprendre, du moins à nous laisser envahir par l’harmonie des sons et des gestes ; elles étaient merveilleusement conformes au tempérament oriental ; elles étaient fortes de la longue tradition qui faisait des danseurs de presque tous les Dieux de la Grèce antique, et attribuait à Hermès l’invention de la lyre, à Apollon celle de la cithare, à Pan et Athénée celle des pipeaux et de la flûte[4].

Aussi Julien raille-t-il le goût des habitants d’Antioche, se plaint des tendances efféminées de la musique d’alors, et constate que dans la cité opulente et florissante, nombreux sont les danseurs, nombreux les musiciens et les histrions, plus nombreux que les citoyens, alors que lui se soucie du théâtre et des acteurs moins que des grenouilles de ses étangs[5].

Chrysostome, en maints endroits, signale ce goût de la musique, de la danse, du théâtre, et s’élève en termes amers contre les décadences morales qu’il cause[6].

Libanius nous raconte l’histoire du magistrat qui abandonne la poursuite d’un procès parce qu’il a entendu dans la rue des chanteurs étrangers chanter quelque cantilène... De même que le prédicateur chrétien s’était plaint de voir ses fidèles retenir les chants lascifs et oublier l’Evangile, le rhéteur païen reproche à ses étudiants de savoir toutes les chansons et d’oublier Démosthène...

La musique est partout ; dans le culte mythologique, dans les fêtes publiques, dans les principales circonstances de la vie de famille, thrènes et chants d’hyménée. On chante au théâtre, dans les forums, dans les repas solennels ; au foyer, la nourrice répand le sommeil sur les paupières de son enfant par des chansons enfantines douces à l’oreille ; on chante à l’atelier, sur le banc des rameurs, au labour.

La religion nouvelle cède au courant et utilise cette passion populaire. Arius compose ses chants anti-trinitaires ; Nestorius adapte des mélodies populaires à ses doctrines. Dans l’Eglise catholique, Ephrem et Chrysostome en Orient, Ambroise et Augustin en Occident, composeront des hymnes ou substitueront les accents pieux de David aux chants d’amour des poètes et des rhéteurs.

L’engouement est universel et ce goût suppose une culture.

Nous pouvons déjà signaler les traits caractéristiques de la musique à cette époque. D’institution morale qu’elle était, elle devient art d’agrément ; elle se vulgarise, sa philosophie s’amoindrit, sa technique s’éclaire et se précise ; le principe Apollinien qui avait toujours dominé la musique grecque cède le pas au principe Dionysien, au culte austère du beau se substituent les libations du plaisir.

Les instruments prennent une place assez importante au théâtre et dans les festins ; on ne se contente plus de la lyre et de la cithare, mais il faut que l’on entende les tambours, les cordes, la symphonie, le chalumeau, le buis, les cymbales, le flageolet, la flûte, le sistre, et que l’instrument dont le gosier d’airain produit des chants, l’orgue humide, émette bruyamment des sons qu’engendre un soufflet[7]. Par cette nouvelle forme musicale tend à s’introduire un principe non moins nouveau, élément essentiel de la musique de l’avenir : la polyphonie.

L’école garde les traditions ; aussi, les écrits des musicographes ne nous signaleraient pas ces transformations, si les écrivains, témoins des mœurs, n’attiraient notre attention sur ce point[8].

Il est vrai qu’à partir du IIIe siècle, la musique ne fait plus de progrès. On recueille, on classe, on commente. Il semble qu’avant de disparaître — car elle disparaîtra en ses éléments caractéristiques — la musique gréco-orientale veuille, en un bref et clair tableau, montrer quels immenses progrès elle a réalisés. Telle est aux IIIe et IVe siècles l’œuvre de Ptolémée, Alypius, Gaudence, Bacchius et de l’auteur du Traité anonyme.

Aristote, Pythagore, Aristoxène, restent les maîtres et leur autorité subsiste incontestée. Auprès d’eux, les musicographes du IVe siècle citent encore Euclide, Nicomaque, Cléonide.

Aristote représente l’éthique de la musique. Pour lui comme pour Platon, le musicien est un maître de tempérance et de vertu[9]. Aristide Quintilien s’en inspire lorsqu’il rappelle que la récréation n’est qu’une conséquence accidentelle, tandis que le but réellement poursuivi est de conduire à la vertu[10]. L’âme devait être emportée dans une sphère de contemplation idéale, dans les sereines régions où réside Apollon, le dieu pythique, pour y trouver le calme, la paix, la force, la majesté[11], pour jouir de ce que Schelling appelle la noble sénérité du beau.

Pythagore était le philosophe de l’harmonique. Ses nombres, dit Wagner[12], ne sont intelligibles d’une façon vivante que dans la musique. Or, sa théorie des nombres avait, sous les influences philosophiques et mystiques, trouvé un regain de vitalité et contribué à l’introduction de la partie physique mathématique dans le système musical nouveau.

Auprès de ces hautes spéculations, il y avait l’immense labeur de la formation pratique : intelligence du texte poétique, connaissance des instruments et du chant, théorie de l’harmonique et de la rythmique, science de l’accompagnement. Aristoxène était le guide.

Voici d’ailleurs le système complet de la musique, tel que nous le trouvons dans Aristide Quintilien :

1re partie spéculative ou théorique

Section Physique

Arithmétique.

Physique.

Section Technique

Harmonique.

Rythmique.

Métrique.

2e partie pratique ou éducative

Section de la composition

Composition mélodique.

Composition rythmique.

Poésie.

Section de l’exécution

Jeu des instruments.

Chant.

Action dramatique.

En résumé : La musique ne devient parfaite que par la réunion en un seul tout des trois parties qui la constituent : l’harmonique, la rythmique, la métrique[13].

L’harmonique renferme la doctrine des sons, des intervalles successifs ou simultanés, des échelles modales et tonales, des genres. Choisir et combiner ces éléments, c’est le rôle de la mélopée ou composition mélodique. Je chante pour les savants, fermez la porte, profanes, tel pourrait être à bon droit le début de quiconque se dispose à discourir sur l’harmonique[14].

Là s’étudie le système de notation qui, d’après Alypius, renferme 1.620 signes, obtenus avec les lettres de l’alphabet diversement tournées, barrées, renversées[15].

On avait alors sur ce sujet, l’Harmonique de Ptolémée, les Commentaires que Porphyre en avait faits en trois livres ; le Traité acoustico-musical de Théon de Smyrne, les ouvrages récents d’Alypius, Gaudence et Bacchius. Ces derniers sont les seuls à nous donner des détails précis et systématiques sur la notation grecque, nom, forme et valeur des signes[16], ce qui témoigne que cette partie malgré ses difficultés est alors soigneusement étudiée.

Cependant dans Bacchius les noms des sons mélodiques ne sont pas exprimés littéralement comme dans les autres auteurs, mais ils sont figurés par des signes correspondants de la double notation (vocale et instrumentale) propre au trope lydien, seul vestige de la notation pythagoricienne restée dès lors en usage.

 

La mélodie cette forme prédominante de toute musique[17] partie essentielle de la musique grecque n’y a pas cependant le premier rang. C’est en effet le rythme qui prédomine car on saura que le rythme par un acte générateur donne aux sons la forme qui les soutient[18].

La rythmique était elle même originairement partie de la métrique. Des travaux remarquables ont été faits sur ce point, sans qu’une solution ait été donnée lumineuse et définitive[19].

L’élément prosodique est bien connu, bien que le mode de récitation des vers grecs demeure discuté ; quant à l’élément rythmique, dont l’existence est indéniable et qui se trouvait inséparablement uni à la musique, il ne nous a pas révélé son secret.

Les mètres avaient comme les mélodies leur caractère moral fixe. Dans la démarche, des pas suffisamment grands et égaux, suivant le spondée, auront un ethos modéré et viril ; grands mais inégaux, suivant le trochée et le péon, ils indiquent un ethos trop animé ; égaux et petits avec le pyrrhique, ils désignent platitude et vulgarité ; confinant aux rythmes irrationnels, ils marquent le défaut de consistance ; si les rythmes sont mêlés, ce sont les pas d’un imbécile ou d’un fou[20].

Dans la poésie proprement dite, nous trouvons l’action de la quantité et de l’accent tonique ; dans la poésie ou composition musicale, il faut y joindre l’ictus rythmique le retour à intervalles égaux d’un son (note de musique ou syllabe), plus fort que les autres[21].

Lorsqu’on songe que la combinaison harmonieuse de ce triple élément, devait se rencontrer non seulement dans le vers ou la phrase mais encore dans la période, devait donner l’unité aux strophes dont les systèmes et commata sont si nombreux, former enfin le lien de la composition toute entière, du canticum auquel l’unité harmonique ne s’impose pas moins que l’unité d’idée, il est facile de comprendre la difficulté de ce labeur. Ainsi, me semble-t-il, se légitiment les enthousiastes admirations des auditeurs et s’explique notre impuissance à pénétrer l’harmonie merveilleuse de la poésie grecque, qui est déjà de la musique, et l’harmonie divine de la poésie musicale.

Pollux nous signale alors les ώδαι morceaux de chant, les άσθματα, cantilènes, les μέτρα, vers récités, les λόγοι έμμετροί discours en prose semi-rythmique. A cette dernière classe appartiennent souvent les exordes des rhéteurs faciles dès lors à mettre en musique. Ainsi s’explique le passage où Libanius nous parle d’artisans qui chantaient ses exordes en se rendant au travail.

En poésie le rythme mouvementait la pensée ; en musique il rendait le mouvement intelligible. Il était à la musique ce que le dessin est à la peinture. Il constituait cette modalité musicale, si précise et si large à la fois dont l’esthétique et l’éthique étaient si clairement fixées.

Ptolémée comptait 7 modes. Alypius en compte 15, mais qui rentrent facilement dans la classification plus généralement admise de Ptolémée.

Voici brièvement quelques-uns des caractères de ces modes[22].

L’hypodorien a le trait fier, superbe, franc, sincère, simple, grandiose, ferme ; sa sonorité est grave, légèrement enflée.

L’hypophrygien, passionné, enthousiaste, inspiré, religieux, extatique, fournit les chants destinés aux festins.

L’hypolydien est voluptueux, dissolu, bachique, enivrant.

Le Dorien est le mode grec par excellence. Il possède, dit Héraclide, un caractère viril, grandiose, étranger à la joie, répudiant la mollesse, sombre et énergique ; il ne connaît ni la richesse du coloris, ni la souplesse de la forme Platon y voyait les accents d’un héros et d’un stoïque Cassiodore y verra bientôt l’expression des vertus chrétiennes les plus élevées.

Le Phrygien est passionné, enthousiaste, véhément.

Le Lydien est doux, changeant, juvénile.

Le Mixolydien est passionné, attendrissant.

Au IVe siècle il nous faut signaler la prédominance que prend la prose rythmique sur la poésie, la tendance marquée à réunir et à confondre l’accent tonique et l’ictus rythmique, la prépondérance des modes passionnés et langoureux, sous l’influence orientale. De là cette musique voluptueuse semblable à l’ivresse et plus redoutable qui émousse l’esprit, énerve le cœur et entraîne de plus en plus dans la mollesse[23].

 

L’étude de la Musique, on le voit, présentait de grandes difficultés. Les cinq tétrachordes conjoints ou disjoints accordés par quartes, avec leurs notes extrêmes invariables, et leurs notes internes variables ; les sept types d’octaves ; les quinze modes, les 1620 notes indiquent une délicatesse peu ordinaire dans la perception des nuances du son. La nécessité de combiner le rythme de la pensée avec celui du mot, de respecter l’éthique du mètre poétique, du mode musical, réclamait un sentiment exact et naturel de l’harmonie, non moins qu’un savoir précis, fruit de laborieuses et longues études.

C’est pour cela que les maîtres composent ces manuels dont nous avons déjà parlé. — Nous empruntons à celui de Bacchius, qui est le plus précis et le plu s pratique quelques lignes pour les faire connaître. Il est intitulé Introduction à l’art musical.

Qu’est-ce que la musique ?

La connaissance du chant et des faits relatifs au chant...

Combien y a-t-il de métaboles ?

Sept.

Quelles sont-elles ?

Les métaboles de système, de genre, de trope, de caractère moral, de rythme, de position de la rythmopée.

Qu’est-ce que la métabole ?

C’est une altération des éléments établis ou encore une translation de quelque partie semblable dans un lieu dissemblable.

Qu’est-ce qu’un diagramme ?

C’est le tableau d’un systèmeou encore une figure plane sur laquelle est chanté un genre quelconque. Nous en faisons usage pour rendre visibles aux étudiants les parties difficiles à saisir à l’audition.

Combien y a-t-il de rythmes.

Dix, dont six simples et quatre composés[24]... etc.

On voit que c’est le livre d’école dans sa claire simplicité.

Quant à la méthode d’enseignement, elle comprend l’exercice de la solmisation qui existe depuis le Ier siècle ainsi que le prouve le traité d’Aristide Quintilien ; l’emploi de tableaux qui consistaient surtout en échelles notées ou diagrammes, signalées dans Bacchius. Le maître chantait, jouait de la flûte ou de la cithare devant ses élèves qui devaient imiter ce qu’il venait de faire, soutenus eux-mêmes et guidés par la lyre. Le professeur à l’école, comme le coryphée dans le chœur marquait la mesure avec la main, avec le pied surtout ; souvent même il armait son pied d’un sabot, pour mieux indiquer le rythme ce véhicule au moyen duquel la musique pénètre dans l’intelligence, cet artère de la vie musicale.

Par là la musique se rattachait à la culture générale. Cette délicate expression de l’harmonie et de la mesure, dont la Grèce et l’Orient ont gardé le secret, et à laquelle ils ont tout soumis, la parole, le son, le mouvement ; ce grand instinct et cette grande science du rythme ne se développent-ils pas merveilleusement dans les écoles de musique ? Mais ce rythme était d’un emploi plus universel encore. Il dominait l’architecture, la statuaire, pénétrait les règles de la mélique et du drame. Par lui l’orateur scandait ses mots et disposait harmonieusement ses gestes. Il donnait la cadence uniforme aux rameurs qui sur les galères manœuvraient au son de la flûte du triéraulète, aux ouvriers de l’arsenal qui travaillaient au son des fifres... La puissance du rythme est si universellement acceptée que la Grèce faisait parler ses oracles en vers et réalisa plusieurs fois la légende de la lyre d’Amphion. Le Grec devait être eurythmique dans sa démarche, dans son costume, dans son langage, dans les pénibles exercices gymniques, dans les mouvements moins violents de la danse. Aussi à vrai dire, l’eurythmie, la recherche et le culte de l’idéal dans le rythme et par le rythme constitue le lien et l’unité de toute la vie intellectuelle, artistique, morale même, en l’Orient déjà oublieux de la grave beauté grecque des grands siècles.

Cet élément éducateur si précieux n’est pas le seul. Le Dr Pécaux a si brillamment exprimé la pensée, née en mon esprit de ces brèves études, que je me contente de le transcrire. Je ne serais pas loin de rêver une éducation, mieux encore un état de l’humanité où la musique s’associerait à toute la vie, en serait l’accompagnement discret, profond et puissant... La musique est un langage que nul autre ne remplace, dont le domaine commence où finit celui de la parole. Analytique, précise, par là même bornée, la parole laisse à la musique le rôle d’exprimer Tin exprimable. Dans le monde invisible la musique est l’interprète du divin, de ce fonds dernier des choses et des êtres que l’âme de l’homme pressent être poésie et harmonie. Rien ne la supplée, parce que elle seule ébranle notre être à cette profondeur mystérieuse où la vie physique et la vie morale mêlent leurs sources et d’où elles jaillissent ensemble[25].

Ainsi s’explique la foi de l’antiquité au rôle éducateur de là musique. Notre temps l’a méconnu non moins complètement que celui de la danse qui lui est connexe : car les anciens eurent une merveilleuse habileté à tout utiliser et à tout unifier pour la formation complète de l’homme.

 

La danse, au reste, n’a pas le sens restreint que nous lui donnons. Le même mot désigne aussi bien le joueur de balle qui rythme ses mouvements que le pyrrichiste dont les évolutions retracent les phases d’un combat en armes. Il s’applique égaler ment au digne citoyen qui célèbre Komos et au mime de profession qui parle avec ses mains et muet sait tout exprimer. La danse pour les Grecs est un art plus élevé, plus vaste que le nôtre. Les philosophes lui attribuent une influence morale. Elle est un de ces trois arts musicaux qui sont comme les modérateurs de l’âme antique. Etroitement liée à la poésie, à la musique, elle participe à leur nature divine et comme ses sœurs a été léguée aux hommes par les Immortels. Elle n’est pas seulement un plaisir, elle est un culte et sert à honorer les Dieux[26]. Elle est plus qu’un jeu, elle est un exercice du corps embelli par l’art.

Le jeune animal ne peut rester en repos et s’agite avec un visible plaisir. L’homme obéit à un semblable besoin ; mais tandis que l’animal n’a pas conscience de Tordre ou du désordre dans le mouvement, l’homme à reçu des Dieux avec le sentiment du plaisir celui du rythme et de l’harmonie. Les Dieux eux-mêmes se font conducteurs de ses danses et le nom du chœur (χορός) dérive naturellement du mot qui signifie joie (χαρά)[27].

Aussi Platon enseigne que c’est par l’intermédiaire du corps que l’eurythmie s’insinue dans l’âme et que c’est la danse gymnastique qui enseigne l’eurythmie.

A Charmide qui s’étonne d’entendre Socrate faire l’éloge du maître de danse, le philosophe répond : Dans la danse tout le corps est en mouvement ; bras, jambes, cou ; vous riez parce que je veux me bien porter, avoir bon appétit et bien dormir ; la danse empêche l’obésité et à mon âge, je ne puis aller me montrer nu au gymnase public[28].

Longtemps la partie gymnique et la partie orchestique étaient restées confondues. Puis le lien intime qui les unissait s’était assez relâché pour former dans renseignement deux parties bien distinctes, alors que cependant dans la pratique la distinction entre les mouvements purement gymnastiques et les gestes ou mouvements orchestriques, demeure difficile. Par l’une et l’autre c’est l’assouplissement du corps et de l’esprit qui se continue.

La gymnastique est toujours en honneur : C’est dans la palestre avec le pédotribe que la jeunesse s’exerce. Multiples sont les travaux : course, saut, lutte, jet du disque, jet du trait, pugilat et pancrace, lutte d’armes, équitation, premiers mouvements de la danse, de la pyrrhique surtout.

Le tibicen dirige et donne la mesure ; car tout, lutte ou course, se fait avec méthode.

Tous ces grands exercices se décomposent en mouvements variés des jambes et des pieds, des bras et des mains, des hanches, de la tête ; mouvements pour s’élever, pour tourner[29].

Ainsi peu à peu toutes les parties du corps s’assouplissent et deviennent susceptibles d’activité, les articulations se font flexibles, l’homme acquiert agilité, bonne tenue, élégance.

Libanius nous dit que le gymnasiarque assouplit les membres des enfants avant qu’ils soient confiés au maître de danse afin qu’ils soient prêts à mouvoir leur corps, à devenir de véritable Protées... Il signale aussi la difficulté d’aller en mesure et de finir avec le chant les mouvements du corps... Il parle des merveilleuses flexions[30], du cercle, du corps roulé en boule les coudes aux talons, de la pirouette finie en attitude on croirait qu’ils ont des ailes aux pieds et ils tournent si rapidement qu’ils semblent fixés à terre.

Les plaintes de Galien et les longues recommandations d’Oribase témoignent de la violence parfois excessive et anti-hygiénique de ces exercices.

Ainsi préparés, les jeunes gens et les hommes faits viennent dans les gymnases où les maîtres de danse donnent leurs leçons privées et payantes[31], et les initient à cet art si complexe de tout dire au moyen du geste car la danse grecque est cela[32].

Achever et perfectionner la culture rythmique en ajoutant aux éléments du rythme poétique et musical ceux du rythme orchestique, celui qui règle les mouvements et les positions qui, dans une cohésion harmonieuse, doivent donner à la danse son caractère d’unité.

L’élégance, la souplesse, la cadence des mouvements qui composent presque toute notre danse ne sont pas toute la danse grecque orientale. Outre qu’elle use de beaucoup plus de liberté que la notre, elle a pour élément caractéristique, l’expression. Que la danse suive un orchestre, s’accompagne d’un chant, ou constitue à elle seule tout le spectacle et tout le plaisir, elle est toujours l’imitation, la réalisation d’un poème, avec lequel elle séduit à la fois les yeux et l’esprit. Elle incarne et interprète la pensée musicale ou poétique.

Tout le corps y prend part : les yeux surtout, les doigts, mettant à contribution la mimique naturelle, la mimique traditionnelle et celle, non moins précieuse, que créent les artistes de talent. Cette mimique est pour ainsi dire le langage du corps qui en signes muets manifeste mœurs, passions et actions. C’est surtout dans les positions que s’exprime plus complète la pensée : c’est alors comme un tableau peint, dans lequel le danseur imite tout. De là les gestes et positions sont multiples et variés comme les circonstances de la vie et les mouvements de l’âme humaine.

D’ordinaire le maître emprunte à la statuaire et à la peinture les modèles consacrés et classiques de positions. Les gestes eux aussi étaient en grande partie fixés : gestes usuels connus de tous, gestes expressifs, gestes rituels et symboliques.

A l’époque qui nous occupe les danses lascives tendent à prédominer : l’expression y ajoute un grand attrait mais aussi en accentue l’élément corrupteur. De même les mimes et pantomimes remplacent les danses accompagnées de chant ou de déclamation, si longtemps en honneur chez les Grecs.

Dans la vie ordinaire la danse tenait une large place : les danseurs et les danseuses de profession étaient nombreux qui charmaient les festins ; les citoyens eux-mêmes, d’un monde douteux, se livraient à ce plaisir comme les esclaves. Dans certaines fêtes, la cordax, danse obscène, faisait le plaisir des débauchés. Libanius parle de paysans dansant des rondes échevelées autour des arbres. La Komos est bien connue ; vraie folie bachique qui terminait les grands festins : de la salle les convives s’échappaient à travers les rues, troublaient de sérénades irrespectueuses les paisibles citoyens et envahissaient en dansant leur demeure. Chrysostome s’élève avec véhémence contre les chrétiens qui pour se préparer à la fête d’un martyr venaient passer la nuit auprès de son tombeau, et singulière préparation, il faut l’avouer, occupaient leur veille à danser. Les danses des noces aussi étaient mal famées à ses yeux. Quant aux danses des funérailles, elles réunissaient tous les caractères de la danse antique : geste, mouvement, chant, déclamation... La vie du trépassé en était le sujet, traitée avec gravité, agrémentée parfois de quelque pointe malicieuse.

Ce n’est pas sans émerveillement que nous avons signalé la grande place que tiennent dans l’enseignement et dans la vie, la musique et la danse ; le lien intime qui les rend inséparables des autres éléments de formation de l’homme ; le grand souffle d’idéalisme qu’on y respire ; la précieuse leçon d’élégance et de délicatesse, de goût intellectuel et de belles manières, d’ordre et de mesure qu’on y reçoit sans que s’amoindrisse le charme et la joie qui sont les fruits naturels de ces arts.

Nous avons diminué tout cela : la danse n’a gardé que sa beauté plastique, la musique est devenue la propriété d’une élite ; ni l’une ni l’autre n’ont leur place en notre éducation, non plus qu’en notre vie nationale ; leur influence est nulle hors le cercle étroit des initiés.

Reverrons-nous ces arts, si facilement réputés corrupteurs, reprendre dans notre culture intellectuelle et morale le rôle que nul autre art, nulle autre science ne peut tenir ? Nous apprendront-ils encore à mettre l’élégance et l’harmonie en notre vie, l’idéal même en nos plaisirs ?

§ II. — Sciences.

Refuser aux Grecs l’esprit scientifique pour en faire hommage aux Indous, aux Arabes, aux savants de le Renaissance, fut longtemps une thèse consacrée. Cette théorie satisfaisait l’histoire à courte vue, et souriait trop aux partisans de l’idée de l’évolution pour ne pas demeurer incontestée jusqu’à nos jours. Une vive réaction se fait contre cette erreur et cette injustice[33]. La restitution faite aux Grecs de ce qui leur appartient dans les sciences mathématiques témoigne des merveilleux résultats qu’ils avaient obtenus et montre sur ce terrain l’évolution presque insensible[34].

Le IVe siècle serait à ce point de vue l’objet d’intéressantes observations. La vitalité intellectuelle déjà signalée se manifeste aussi vivement en ce domaine que dans les autres. On n’ignore pas la filiation qui existe entre ces sciences et la philosophie. C’est sous l’influence successive des diverses écoles, dont les apports se reconnaissent facilement : écoles d’Ionie, de Pythagore, des Sophistes et de Platon, qu’elles se sont développées. C’est à Alexandrie, la ville des philosophes, qu’ont brillé les noms d’Archimède, d’Euclide, d’Eratosthène. C’est d’Alexandrie qu’aux IIIe et IVe siècles, avec la renaissance du mysticisme de Pythagore et du Platonisme se manifeste le renouveau scientifique, que favorise l’action des Juifs, amateurs de calcul, disséminés partout[35].

Sans doute le domaine scientifique n’a pas alors l’extension que lui réserve l’avenir. Les classifications rigoureuses d’aujourd’hui sont encore inconnues : trois noms surtout dominent : Arithmétique, Géométrie, Astronomie, qui selon les auteurs empruntent souvent des matières l’une à l’autre. La sphérique par exemple fait tantôt partie de la Géométrie, tantôt de l’Astronomie. La mécanique qui avait produit de magnifiques résultats n’a pas alors de technique. La chimie se perd dans les notions de l’alchimie, comme l’Algèbre se confond dans l’Arithmétique.

A cette imprécision, il faut joindre l’immense transformation que nos méthodes scientifiques modernes ont fait subir à toutes ces branches du savoir, pour comprendre la difficulté d’une étude même succincte sur ce point.

I. Arithmétique et Algèbre.

L’Arithmétique, que Martianus Capella[36], décrit la tête entourée de rayons symboliques, comptant sur ses doigts toujours en mouvement n’offre plus rien de nouveau, d’original depuis Nicomaque et Théon de Smyrne. C’est la décadence, que l’essai malheureux de Diophante sur les nombres polygonaux ne semble pas enrayer. D’ailleurs l’arithmétique théorique n’a pas encore abandonné le vieil appareil géométrique euclidien, en vertu duquel l’Arithmétique et la géométrie vivent isolées, sans les mutuels rapports si féconds que nous leur connaissons.

Hors ce que nous avons dit, l’Arithmétique n’offre guère d’intérêt. Cependant un nom longtemps méconnu et que l’érudition contemporaine a remis en honneur vaut d’être signalé : celui de Diophante[37], le plus célèbre, avec Pappus, des mathématiciens du IVe siècle.

Son œuvre Άριθμητικα comprenait vingt livres : les sept derniers sont perdus. Compilation complète qui indique une somme considérable de recherches et représente renseignement de l’époque. Il l’avait dédiée à un certain Dionysios, qui pourrait être le savant Saint Denys d’Alexandrie[38].

Ce n’est pas cependant ce labeur intelligent qui a attiré sur cette œuvre l’attention et passionné la discussion. Dans la partie logistique, ou des exercices de calcul, partie très développée, on a trouvé l’application de l’algèbre au calcul[39], non pas l’application accidentelle et hésitante qu’on peut signaler chez ses prédécesseurs mais un véritable faisceau méthodique, une doctrine en fait, sinon en intention[40]. C’est à proprement parler sinon l’invention, du moins la première manifestation développée de l’algèbre, innovation scientifique dont aujourd’hui nous pouvons apprécier l’immense portée.

Le premier, Diophante, réalise l’idée de l’expression algébrique exprimée en signes algébriques ; le premier il abandonne la méthode géométrique pour la méthode analytique ; le premier, il établit que - x - = +. Presque partout ce sont, dit Cajori, de nouvelles idées sur un sujet nouveau[41].

Est-il vraiment le créateur de l’Algèbre ? Les Grecs n’ont-ils commencé à la connaître qu’avec lui ? Il est certain qu’ils ne l’ont pas connue de tout temps ; il est probable qu’avant Diophante quelques éléments algébriques avaient été produits. Thymaris, par exemple, distingue les nombres ώρισμένοι (connus), et les άόριστοι (inconnus) ; il indique le procédé de solution d’équations simultanées du premier degré. Mais ces traits sont si rares que Diophante doit bénéficier du doute et ne peut sans injustice être rangé parmi les compilateurs : il est créateur. Et quand même il ne serait pas l’inventeur d’une partie importante de son œuvre, et l’aurait reçue de ses prédécesseurs, le mérite de l’avoir fait connaître, de l’avoir scientifiquement exprimée est de peu inférieur à l’invention[42]. Mettre l’ordre dans le chaos, c’est créer.

Le fait acquis d’ailleurs de manifestations de l’algèbre avant Diophante a son importance. Il dispense ceux qui veulent tout expliquer d’aller chez les Indous chercher les ancêtres et les maîtres du grand algébriste grec et restitue à la Grèce cette science née de sa dernière poussée de sève.

Sans doute les défauts et les lacunes ne manquent pas dans l’œuvre de Diophante : les tâtonnements et les incertitudes des débuts s’y rencontrent. La clarté, la rigueur de méthode, la généralisation des solutions ne sont pas encore nées. Un moderne qui a étudié cent solutions de Diophante ne peut trouver la cent unième dit Hankel[43]. Chaque problème a sa méthode et sa solution concrète. L’algèbre ignore encore la possibilité de plusieurs solutions et ne sait rien de la mesure des grandeurs quelconques et des nombres incommensurables.

Relevons en terminant un trait curieux. Les problèmes étaient toujours proposés sous forme d’historiettes, surtout d’historiettes mythologiques.... Voici par exemple celle de la mule et de l’âne. La mule et l’âne voyagent de concert, chargés de froment. La mule dit à l’âne : si vous me donnez une mesure je porterai deux fois autant que vous, si je vous en donne une nous porterons des fardeaux égaux. Très savant maître quels sont leurs fardeaux ? Voici sous forme de problème l’épitaphe de Diophante. Diophante passa 1/6 du temps qu’il vécut, dans l’enfance ; 1/12 dans l’adolescence ; ensuite il se maria et demeura dans cette union 1/7 de sa vie avant d’avoir un fils auquel il survécut de quatre ans et qui n’atteignit que la moitié de l’âge auquel son père est parvenu[44]. Or, particularité curieuse, Diophante cesse d’envelopper ainsi d’histoires ses problèmes.

Il exerce son influence non seulement sur ses contemporains : la célèbre Hypathie le commente, mais encore sur les Arabes et les savants de la Renaissance. Viète lui-même reproduit un certain nombre de ses propositions. L’œuvre de Diophante fut une œuvre féconde.

II. Géométrie.

L’arithmétique et le calcul ne passionnèrent jamais les Grecs, comme ils firent les Romains et plus tard les Arabes ; la géométrie fut leur science de prédilection. C’est elle que Capella introduit la première dans l’assemblée des Dieux ; Minerve l’accompagne ; un cercle dans la main droite, une sphère dans la gauche, revêtue du péplum, la Géométrie se tient debout sur le Zodiaque. Elle explique la forme et les dimensions de la terre et aux Dieux ennuyés offre l’ouvrage d’Euclide[45].

Il fallait être géomètre parfait pour entrer dans l’académie de Platon et Xénocrate déclarait à un disciple ignorant la géométrie qu’il n’avait pas les instruments de la philosophie.

Ceci explique la puissante tendance à la spéculation qui la différencie de la géométrie égyptienne, d’un caractère pratique, de l’arpentage romain, de la géométrie hindoue et arabe plus portée vers le calcul. Les Grecs trouvent leur plaisir dans la contemplation des relations idéales, abstraites, ils aiment la science pour la science[46].

Elle est inférieure à la philosophie : Damascius déclare Isidore supérieur à Hypathie non seulement en tant qu’homme par rapport à une femme, mais encore en tant que philosophe véritable par rapport à une personne adonnée à la géométrie.

Elle vient, dans la catégorie des sciences, la première après la philosophie et souvent les mathématiciens sont fiers de porter le nom de philosophe. L’arithmétique et l’astronomie sont sorties d’elle et c’est de son caractère philosophique et abstrait qu’est résulté le médiocre développement du calcul et le développement relativement plus complet de l’astronomie[47] : on sait les progrès déjà réalisés parla sphérique avec Pythagore.

Pauvre de calcul, surtout eu égard à nos tendances, la géométrie grecque fit cependant d’admirables découvertes. Les noms d’Euclide, Archimède, Apollonius, Hipparque sont universellement célèbres... Au début du IVe siècle, Ptolémée les résumait tous. Alors auprès de Diophante parurent Théon d’Alexandrie, sa fille Hypathie et surtout un des plus grands géomètres grecs, Pappus, qui domine ses contemporains comme le pic de Ténériffe domine l’Atlantique[48].

Descartes ne dissimule pas son admiration. Je me persuade que certains germes primitifs des vérités que la nature a déposées dans l’intelligence humaine, avaient dans cette simple et naïve antiquité tant de vigueur et de force que les hommes éclairés par cette lumière de raison, s’étaient fait des idées vraies de la Philosophie et des Mathématiques, quoiqu’ils ne sussent pas encore pousser les sciences jusqu’à la perfection. Or, je crois rencontrer quelques traces de ces mathématiques dans Pappus[49]. Il ne faudrait pas croire cependant à une génération spontanée des théories géométriques dans cet auteur. Il suffit de rappeler les titres de ses travaux perdus : Commentaires sur l’Almageste, sur les Eléments d’Euclide, sur l’Analemme de Diodore, et de parcourir ce monument de la géométrie grecque qui nous reste incomplet sous le nom de Collections Mathématiques[50], pour comprendre au prix de quels labeurs Pappus acquit sa vaste science et sa légitime renommée.

Pappus est moins original que Diophante, mais combien plus vaste est son savoir. Il collige et il commente : offrir aux géomètres de son temps une analyse succincte des œuvres des anciens, surtout des plus difficiles, donner les commentaires nécessaires pour qu’on les puisse comprendre, tel est son but.

Un des premiers il associe l’histoire à l’exposé scientifique ; malheureusement ce sont les parties historiques qui ont le plus souffert dans son œuvre.

Lui-même découvre de nouvelles applications et en particulier le principe du théorème de Guldin[51].

Sans doute il reste fidèle aux méthodes anciennes, ne soupçonne pas la fécondité d’une alliance entre la géométrie et l’arithmétique ; l’esprit de généralisation lui manque.

Quoi qu’il en soit il représente le dernier et puissant effort, la suprême convulsion de cette géométrie grecque qui va disparaître devant les méthodes nouvelles[52] ; mais grâce à son œuvre ceux qui viendront seront émerveillés des progrès réalisés par cette science malgré la pauvreté du calcul et le défaut des méthodes.

Auprès du nom de Pappus nous avons placé celui de Théon d’Alexandrie. Nous en dirons peu de chose bien que nombre de ses œuvres soient venues jusqu’à nous : simple commentateur et compilateur, il épuisa en ce labeur méconnu tous ses efforts. C’est de lui que vient la règle encore aujourd’hui suivie de l’extraction de la racine carrée, avec cette différence qu’à ses fractions sexagésimales nous avons substitué les décimales. Jusqu’à lui on procédait par tâtonnement ; en commentant le théorème d’Euclide relatif au carré construit sur une ligne A C composée de deux parties AB et BC, il conclut par la règle générale. Le carré de la somme de deux nombres se compose du carré du premier, de deux fois le produit du premier par le second, du carré du second.

Père heureux, Théon vit Hypathie sa fille partager ses goûts, continuer ses travaux et sa gloire. Longtemps elle enseigna les mathématiques au Muséum d’Alexandrie : nous n’avons plus que les titres de ses commentaires sur l’Arithmétique de Diophante, les Coniques d’Apollonius, la Syntaxe de Ptolémée. Le souvenir de son savoir, de l’admiration qu’elle inspira au savant philosophe Synésius et de leur amitié, de sa glorieuse mort pour la liberté de sa pensée et de sa religion n’est pas oublié.

III. Astronomie.

L’Astronomie à la chevelure étincelante, aux membres constellés, aux épaules ailées[53] ne se sépare guère alors de l’astrologie naturelle ou surnaturelle. Dans une confusion complète se mêlent les observations et calculs scientifiques et précis sur le mouvement et le cours du soleil, de la lune et des astres, l’étude des rapports entre ces astres, les douze signes du Zodiaque et les éléments de l’âme et du monde, les questions de calendrier et les pronostics sur le temps.

La raison de cette confusion n’est pas seulement dans l’imperfection de ces spéculations de nature si diverse et le lien étroit scientifique qui les unit ; elle est surtout dans la tendance mystique du siècle et la persécution des Empereurs chrétiens. Terrifiés par les procédés de la magie et les présages de l’astrologie ils les poursuivirent avec une rigueur absurde et une cruauté aveugle. La persécution n’admet guère les distinctions et dans la crainte de laisser un ennemi n’hésite pas à frapper un innocent. Dès lors la confusion devient légale et l’astronomie comme l’astrologie est forcée de se réfugier dans le mystère, de se faire comme la magie et l’alchimie science occulte. D’une telle confusion naît une période de décadence. Isidore de Séville sera un des premiers à distinguer à nouveau l’astronomie de l’astrologie, mais la science du Moyen Age vivra de quelques restes de Ptolémée et du résumé succinct de Martianus Capella : Le chapitre de cet auteur Que la terre n’est pas le centre de toutes les planètes[54] suggérera à Copernic l’idée que Vénus et Mercure tournent autour du soleil et non de la terre. Les Tables manuelles de Ptolémée sont encore en usage au XIVe siècle.

En effet, après Ptolémée les progrès de l’astronomie grecque sont insensibles. Nulle nouveauté dans cette partie spéculative consacrée dès l’origine à l’étude des causes des phénomènes et de la nature des choses célestes : ce que nous nommons aujourd’hui cosmologie. Nulle nouveauté dans la partie géométrique, si développée cependant dans les ouvrages d’astronomie grecque, où tout est géométrique, où les Tables des mouvements célestes ne sont elles-mêmes que l’expression de constructions géométriques.

Aussi à cette époque les fidèles de cette science prennent le nom de philosophes, sauf Pappus qui reprend le titre d’astronome.

Tout ce qu’on sait d’astronomie est donc au IVe siècle fixé et précisé dans Ptolémée, développé dans quelques auteurs qui composent la bibliothèque de l’astronome.

Le seul énoncé des chapitres de la Syntaxe Mathématique de Ptolémée témoigne que l’antiquité ne fut pas aussi ignorante, ni la Grèce orientale aussi peu scientifique qu’on s’est plu à l’imaginer[55].

Dans le premier de ces 13 livres où il résume toute la science astronomique ancienne, il expose son système. Dans les livres suivants il étudie (II) la détermination des angles formés par les intersections de l’écliptique avec le méridien, l’horizon, le cercle vertical ; (III) la longueur de l’année, l’hypothèse de l’excentrique et de l’épicycle ; (IV et V) les mouvements de la lune, la fameuse découverte de l’évection ; (VI) les parallaxes et le calcul des éclipses ; (VII et VIII) les étoiles, la voie lactée, la construction du globe céleste ; (IX à la fin) les planètes.

A ce manuel[56] s’ajoutaient dans la collection du petit astronome, les études spéciales d’Autolycus, de la sphère mobile ; levers et couchers ; d’Euclide, Les phénomènes ; d’Aristarque, Grandeurs et distances du soleil et de la lune ; d’Hipsiclès, Les ascensions ; de Théodose, La sphérique, Les nuits et les jours, Les climats.

On voit que les Grecs dans leur astronomie théorique et mathématique étaient allés aussi loin que le permettaient la philosophie et les instruments et procédés d’observation.

Ce dut être à perfectionner ces instruments que s’appliqua le IVe siècle, en même temps que les tables trigonométriques plus complètes et plus approchées augmentaient la précision des calculs. Peut-être alors fut inventé ce fameux astrolabe planisphère dont on fit longtemps honneur aux Arabes et qu’on a trouvé décrit dans Jean le Grammairien[57]. On connaît encore leur météoroscope, leur dioptre, qui suppose le principe du théodolite ; instruments compliqués que la lunette et le pendule transformeront plus tard comme les logarithmes révolutionneront les procédés de calcul : d’où résultera l’astronomie nouvelle.

M. Berthelot voit dans le IVe siècle une période nouvelle demi-rationaliste, demi-mystique qui précède la naissance de la science pure. L’astrologie serait une science intermédiaire entre une science mystique et une science positive : elle causerait un retard dans l’émancipation de l’astronomie[58]. Historiquement il est difficile d’établir la ligne de démarcation et l’existence distincte de semblables périodes. Il y a en toute science et à toutes les étapes de ses progrès l’élément inconnu qui sollicite certains esprits et fait naître, auprès de la science, des hypothèses et des théories plus ou moins scientifiques, branches gourmandes de la vraie vigne, mais souvent utiles.

L’astrologie n’aurait-elle pas, au lieu de les retarder, singulièrement favorisé les progrès de l’astronomie ? Pénétrer dans le domaine mystérieux où s’écrit la destinée de l’homme fut toujours d’un suprême intérêt pour l’humanité.

Heureux les mortels qui, les premiers, atteignirent ces connaissances sublimes et parvinrent jusqu’au séjour des Dieux !... Ils ont rapproché de nos yeux les astres lancés loin de la terre et leur génie a régné dans les airs soumis[59].

L’espoir de soulever un coin du voile sous lequel se dissimule l’avenir dût être un singulier stimulant à mieux connaître les astres. Le but mystique de cet art chaldéen, généthliaque, astromantique ajoutait un élément utilitaire et religieux dont la science pure bénéficiait la première. La curiosité de l’inconnu et de l’inconnaissable est insatiable : elle pose des questions toujours nouvelles et pour que l’astrologie put interpréter les réponses, il fallait que l’astrologie s’efforçât de résoudre le problème soulevé.

IV. Alchimie.

Faut-il ajouter un mot sur l’alchimie ? Ici l’appréciation de M. Berthelot est incontestable.

En face des phénomènes de la nature, l’esprit imaginatif et industrieux des Grecs orientaux s’était ému, comme en face des transformations de la matière obtenues par le génie humain... Il en avait créé ses fables et une partie de sa mythologie et y avait trouvé prétexte à spéculations philosophiques[60].

A ces spéculations s’étaient mêlées la science des procédés industriels des Egyptiens, les rêveries mystiques des Alexandrins et des Gnostiques.

Puis lorsque avec les premiers siècles de l’ère chrétienne les fables cessent de s’imposer, les mystères de la théogonie sont discutés, l’alchimie à proprement parler apparaît subitement demi-rationaliste, demi-mystique mélange confus, étrange de recettes purement empiriques, de procédés industriels, de philosophie, le tout agrémenté d’occultisme.

L’art sacré ! c’est la chimie enveloppée de symboles et dogmes religieux ; c’est le premier essai de la philosophie de la nature ; c’est une tentative de réaction contre les métaphysiciens ; c’est l’émancipation d’une nouvelle science.

Cependant subsistent des formules magiques, des imaginations mystiques d’origine orientale et gnostique, des volontés de mystère. Voici le mystère mithriaque, le mystère incommunicable. Cette pierre qui n’est pas une pierre ; cette chose précieuse qui n’a pas de valeur ; cet objet polymorphe qui n’a pas de forme ; cet inconnu, connu de tous.

Il est très beau de connaître la transmutation des quatre métaux ; du plomb, du cuivre, de l’étain, de l’argent et de savoir comment ils se changent en or parfait.

La science positive apparaît chez ceux qui se nomment les nouveaux commentateurs de Platon et d’Aristote et font large place à Démocrite.

Nombreux en sont les adeptes : Synésius, un évêque ; Olympiodore, un ambassadeur ; Stephanus, un médecin. Lés poètes Héliodore, Théophraste chantent sa puissance mystérieuse. Les charlatans et les scélérats en abusent.

Là se retrouve le caractère scientifique, philosophique et mystique du siècle ; là se résument les connaissances physiques et chimiques des Grecs Orientaux, qui par l’intermédiaire des Arabes viendront jusqu’à nous.

§ III. Médecine.

La médecine semble assez facilement aux esprits superficiels constituer un domaine absolument à part. Nous lui faisons cependant place en nos études non seulement parce que comme toute science elle s’étudie et s’enseigne, mais encore parce qu’elle est, elle aussi, fortement pénétrée des souffles de l’époque et nous aide à une connaissance plus complète du mouvement de l’esprit humain au IVe siècle. Science de la vie elle enregistre les grandes oscillations de la pensée, s’imprègne des idées et superstitions ambiantes.

Le lien intime de la médecine et de la philosophie subsiste à travers l’histoire. L’autorité si grande et si incontestée d’Hippocrate ne suffit pas malgré ses efforts à séparer la médecine de l’étude de la sagesse. Il dut se contenter de l’arracher au sanctuaire, émancipation plus nécessaire et plus féconde pour l’avenir scientifique. Quant à la philosophie, elle est sœur de la médecine et toutes deux doivent vivre dans une étroite intimité. La sagesse calme les passions de Pâme. La médecine guérit les maladies du corps... Le médecin philosophe est l’égal des dieux[61].

Cette corrélation est au IVe siècle plus avouée et plus sensible que jamais. Galien d’ailleurs à qui il nous faut remonter, puisqu’il est jusqu’à la fin du XVIe siècle, le seul auteur consulté, l’arbitre de la science médicale, avait créé ce mouvement.

Singulièrement doué pour un tel rôle et par la nature et par le travail, esprit souple, délié, apte à l’assimilation, facilement dogmatique, supérieur dans la controverse, clair et disert comme un rhéteur oriental, Galien avait parcouru aussi curieusement les divers systèmes philosophiques que les systèmes médicaux et gardé le culte d’Aristote, de Platon et d’Hippocrate. Aussi s’exercera-t-il à concilier les théories de Platon avec les doctrines d’Hippocrate : il y consacre 9 livres. Il composera un opuscule : Que l’excellent médecin doit être philosophe. Il mettra la philosophie dans les parties de la médecine qui lui sont connexes, et ne se contentera pas d’être un droguiste comme sont les empiriques, selon sa propre expression.

C’est ainsi qu’il montre comment la pathologie, la thérapeutique, l’hygiène dépendent de la physiologie et par elle de la physique générale ou cosmogonie. De là un des premiers essais de philosophie physiologique sortira de sa plume : Que les mœurs et le caractère suivent les tempéraments.

Dans la partie essentiellement médicale, il fera revivre l’œuvre et la méthode d’Hippocrate, la modifiant selon les acquisitions récentes de la science. Lui-même s’appliquera avec un soin spécial et un succès incontesté aux recherches anatomiques, car il considère l’anatomie comme la base de la médecine. On sait que s’il ne découvrit pas la circulation du sang, il en approcha de fort près. Pendant longtemps on n’ajoutera rien à ses études des systèmes osseux, musculaires et nerveux.

Hygiène, pathologie, thérapeutique ne sont pas traitées avec moins de soin.

Aussi sa grande voix avait-elle imposé silence à toutes les sectes médicales et le grand médecin de Marc-Aurèle avait résumé, en son œuvre, la science médicale de tout le passé, l’avait fait progresser, en avait ébauché la philosophie.

Après lui, ni progrès, ni découvertes. Compiler, vulgariser, réunir les formules et les recettes, commenter servilement le Maître, c’est là tout le labeur du IVe siècle. C’est du nom de Galien, c’est de ses doctrines que retentissent les écoles, même les plus célèbres comme celles de Rome, d’Alexandrie, d’Athènes, alors qu’y enseignent Zenon le protégé de Julien, Ionicus le fameux anatomiste, Magnus aussi habile sophiste que savant médecin, il réduisait au silence les plus doctes[62], Oribase le plus illustre de tous.

Par l’étendue de son savoir et l’importance de ses travaux ce savant médecin de Julien l’Apostat mérite sa renommée. La haine que Valens et Valentinien avaient vouée aux amis de cet empereur cède cependant devant son autorité incontestée et il demeure archiatre du palais même sous leur règne.

Il avait dans ses Collections médicales dont les deux tiers sont perdus, réuni en 72 livres toutes les connaissances médicales de l’époque. Les Euporistes, traité de médecine domestique dédié à Eunape et l’Abrégé à son fils Eustathe, ne sont que des extraits pratiques de son grand ouvrage.

En tout cela il n’est que compilateur et vulgarisateur, intelligent, précis, plus exact et plus complet que les autres. Il n’exprime sa propre pensée que dans les préfaces ou préambules ; mais rien de nouveau dans cette pensée, rien de nouveau dans sa science. Néo-platonicien et mystique il partage les tendances philosophiques de Galien son modèle.

Il peut être curieux de signaler le rôle important qu’il donne à la musique, au chant, à la déclamation dans son système pathologique, les précautions qu’il prend dans la description des poisons, l’emploi de l’opium comme narcotique, l’utilité des bains de mer, la grande préoccupation des soins à donner à l’enfance.

Auprès de ces éléments scientifiques, la médecine connaît aussi les questions oiseuses : pourquoi par exemple, les chauves ont le sommet de la tête dégarni et les tempes fournies de cheveux ; pourquoi ceux qui ont peur pâlissent, de même que la droguerie connaît la thériaque le diascordium, etc.

Un point non moins important à signaler parce qu’il est caractéristique de cette époque et va dominer tout le Moyen Age, c’est le rôle de la superstition en médecine[63]. Oribase n’y échappe pas complètement ; Galien lui-même déclare les amulettes bonnes pour le mal de tête, l’ivresse et la fièvre. Mais ces puissants esprits ne contribuent pas au développement prodigieux de ces superstitions antiscientifiques. Quoi qu’il en soit, à en juger par les documents littéraires, législatifs, en qui lés mœurs se manifestent le mieux, nous ne sommes pas loin du jour où Paracelse écrira que la philosophie, l’astronomie, l’alchimie et les vertus du médecin sont les quatre colonnes de la médecine et où l’iatrosophiste Alexandre de Tralles fera l’admiration de la cour impériale. Cette médecine d’à-côté est certainement, dès le IVe siècle, la plus importante dans la pratique, en attendant qu’elle ait ses théoriciens.

C’est sous l’influence du christianisme et du néoplatonisme que s’introduisirent ces éléments hétérogènes mystiques, qui, accueillis avec un engouement extraordinaire, persistèrent avec une ténacité incroyable et maintinrent, jusqu’au XIVe siècle émancipateur, les sciences médicales dans la stérilité et la décadence.

Ce renouveau mystique si universel est le résultat d’une des phases les plus curieuses de la lutte entre le paganisme et le christianisme.

Le paganisme, le premier, avait à la fin du IIe siècle et au IIIe, tenté de réveiller la foi religieuse endormie, ramené les théories préternaturelles, remis en ligne le monde des esprits, réaffirmé sa puissance, ranimé par là la crédulité populaire et même lettrée aux multiples pratiques superstitieuses nées à travers les siècles. Alors avaient reparu prêtres guérisseurs, magiciens, sorciers, thaumaturges, magnétiseurs, pèlerinages et ex-voto aux lieux sacrés, amulettes, somnambules, évocateurs d’esprits : le miracle, en un mot, sans lequel les religions ne peuvent ni naître, ni vivre.

Le christianisme avait bien eu aussi ses éléments miraculeux, mais sous ce suprême effort de l’adversaire, il comprit qu’il lui fallait offrir au peuple hésitant mêmes prétendus avantages et aux miracles du paganisme répondre aussi par des miracles. Dès lors, il développe la théorie de la puissance des esprits, en germe dans l’Evangile ; sur le monde surnaturel païen, calque un monde surnaturel chrétien, établit dogmatiquement que ses miracles sont l’œuvre des anges, esprits de lumière et de bonté, que les vrais saints, les thaumaturges vertueux, les bons génies sont les siens, que les miracles païens sont l’œuvre malfaisante des démons, esprits mauvais qui nuisent à la santé et causent la maladie[64]. Alors, le christianisme a, lui aussi, ses thaumaturges, ses amulettes, ses lieux sacrés, souvent ce sont les laures des moines ou les tombeaux des martyrs. Nul siècle dans l’histoire de l’Eglise, n’offre le miracle avec une abondance telle que les IVe et Ve siècles ; c’est la forme sinon la plus raisonnable, du moins la plus influente de la polémique à cette époque.

On comprend que dans l’un ou l’autre camp, l’homme de la science est en singulière posture, orgueilleux qui de son savoir naturel, veut corriger les influences surnaturelles. N’est-ce pas une intrusion dans les mystères sacrés de la Divinité que l’exercice de la médecine ? N’est-ce pas une profanation que d’offrir un médicament rationnel à ce qu’ils nomment maladies nerveuses mais en lesquels la foi voit des possessions diaboliques ? Le christianisme accentue encore la note antiscientifique en s’opposant à la dissection, en transformant les progrès d’anatomie et de physiologie en simples sujets de sainte curiosité et de pieuse admiration. On s’extasie devant l’œuvre du Créateur, mais on ne travaille plus. Comme Oribase en un semblable milieu grandit à nos yeux !

Car, chose étrange, le mysticisme superstitieux a tout incliné sous sa loi[65]. Constantin croit à tous les prodiges ; Constance condamne les Chaldéens, magiciens, et autres individus que le vulgaire appelle auteurs de maléfices[66] ; Julien possède une foule de recettes[67] ; Valentinien attribue sa maladie aux maléfices des amis de Julien et affirme sa crédulité dans deux édits[68] ; sous Jovien cependant Libanius dénoncé pour magie n’est pas inquiété. Valens est cruel pour tout ce qui touche à la magie. Théodose confirme les mesures de ces prédécesseurs. C’est toujours contre la magie païenne qu’ils dirigent leurs coups et qu’ils veulent extirper comme pernicieuse et inventée par le diable[69].

Les évêques croient au pouvoir magique païen, tout en le discréditant. Synésius est convaincu que l’art de faire des amulettes et des talismans, l’invocation des esprits et leur pouvoir sont choses réelles et utiles. L’évêque de Trimithonte, Spiridon, évoque sa fille Irène pour savoir où se trouve un bijou. Chrysostome n’est pas crédule à ce point, mais il n’en combat pas moins vigoureusement la magie païenne : il déclare digne de la couronne du martyre celui qui, pour guérir, refuse de recourir à ces pratiques, indigne de pardon celui qui est convaincu d’avoir fait usage d’amulettes, d’incantations ou de toute autre pratique de magie. Il remplace tout cela par la résignation et pour ceux à qui cette vertu est inaccessible, par le signe de la croix, les prières aux tombeaux des martyrs, le pèlerinage à quelque cellule du solitaire, l’imposition des mains des évêques.

Les esprits les plus distingués du paganisme n’échappent pas à cette universelle crédulité. Libanius affirme sa foi aux maléfices. Lors de la ruine du temple d’Esculape à Egée, en Cilicie, il écrit au rhéteur Acace : Après avoir prouvé dans cette harangue admirable la puissance du dieu par les nombreuses inscriptions de ceux qui ont été guéris dans son sanctuaire, tu décris d’une manière tragique les attaques des athées (chrétiens), la ruine du temple, la profanation des autels, les outrages faits aux suppliants. Les deux rhéteurs étaient convaincus qu’ils avaient recouvré là la santé. Aussi, Libanius conseille-t il à ses amis Modeste et Rufin d’y aller[70].

Après cela, qu’on s’étonne de voir le peuple croire au mauvais œil, aux incantations, aux ligatures, aux conjurations cabalistiques ; incliner la tête sous la bénédiction de l’évêque ou du moine et déclarer par elle les maladies guéries. Tandis que le païen inscrit sur le parchemin le nom de ses dieux, ou des fleuves, ou quelque formule de prière, le chrétien inscrit le nom de Jésus-Christ, le nom d’un ange ou d’un saint, un texte extrait de l’Evangile et tous deux les portent sur eux afin de se préserver ou de se guérir de tous les maux corporels.

On grave sur des pierres précieuses un portrait ou un nom : l’abrax est alors la pierre puissante par excellence (d’elle est venue la fameuse formule magique du Moyen Age, Abracadabra). A Antioche, presque tous les chrétiens portent ainsi le portrait de Méléce, l’évêque protecteur de Chrysostome et le nom de Raphaël, l’ange-médecin, est le plus fréquemment employé.

Dans ce courant irrésistible de merveilleux, la pauvre science va à la dérive et l’esprit humain, impuissant à réagir, livré d’ailleurs à la haute direction de la religion pendant quelques siècles, oubliera les méthodes et le savoir des maîtres, et dupe de charlatans ou d’imposteurs ignorera la foi en l’intelligence et en la science sans laquelle il n’est pas de progrès. Dix siècles seront remplis de revenants, d’invocations d’esprits, de mots sacramentels pour conjurer les mauvais sorts, de philtres pour faire naître ou troubler l’amour, de remèdes pour guérir les maladies ; l’affreuse Saga pâle, vêtue d’une robe noire retroussée, pieds nus, cheveux épars, fera bouillir au fond des sépulcres les ossements des morts, mêlant à ses préparations magiques le sang des nouveaux-nés ou le suc des plantes vénéneuses, avant que la liberté revenue avec le paganisme de la Renaissance n’émancipe l’esprit et ne le lance ardent dans la voie des modernes progrès.

§ IV. — Droit.

Entre les deux époques brillantes du droit de l’Empire, celle des Jurisconsultes au début du IIIe siècle et la période Justinienne (début du VIe), il faut avouer que l’histoire générale du droit manque de documents. L’Orient est seul à nous en présenter quelques traits.

L’absolutisme des Empereurs, les difficultés de gouvernement auxquelles ils se heurtent, les privilèges qu’ils multiplient, l’attitude nouvelle qu’ils prennent à l’égard du christianisme, les exigences de celui-ci, les oppositions de la religion païenne, amènent une lente transformation du droit. La multiplicité des édits, leurs contradictions rendent la jurisprudence compliquée. Pour remédier à l’insuffisance des praticiens, les empereurs essaient de tout prévoir, multiplient les décisions et créent une inextricable confusion. Dès lors, il est difficile de développer les théories générales ébauchées par les grands juristes ; tout le travail est réduit à compiler et à faire des répertoires de jurisprudence.

De là aussi le développement de l’enseignement du droit : il conduit à toutes les fonctions publiques, à la fortune, aux honneurs. Nous verrons vers la fin du siècle les rhéteurs se plaindre amèrement de ce que la nouvelle organisation de l’Empire et le pouvoir soient si favorables aux gens de loi, que le greffier au tribunal ait aujourd’hui plus de crédit que le rhéteur et que pour ces études on délaisse la science du bien dire.

Les écoles célèbres de droit, Béryte, que Justinien nommera la nourrice des lois, Alexandrie, Césarée, Athènes, sont très fréquentées D’autres écoles sont établies dans les villes principales ; Constantinople, à peine fondée, est une ville essentiellement juridique. Les rhéteurs, souvent, s’adjoignent un professeur de droit : un des anciens élèves de Libanius, Olympius, enseigne à Rome ; le rhéteur le rappelle auprès de lui, admire Rome, mais aime ta ville natale. Tu as une école, un auditoire, l’honneur d’une nomination officielle, mais mon école a besoin de ta parole pour que nos élèves se fortifient dans l’éloquence du barreau[71].

Jusqu’à cette époque, le pouvoir impérial a laissé agir la libre initiative dans l’enseignement.

Dès l’école du grammairien, l’enfant acquérait les notions juridiques élémentaires nécessaires pour comprendre les orateurs... Il les développait ensuite à l’école du rhéteur où les discussions sur la valeur et l’interprétation des lois, avaient leur place parmi les exercices. Sans doute, ce n’est souvent « qu’un jeu oratoire sur une lettre stérile, une dialectique toute à la surface, toute de subtilité et de sophistique[72], avec quelques notions sommaires, imparfaites, stéréotypées. C’est de la casuistique pure.

Puis venait l’étude proprement dite du droit soit dans une école célèbre, soit auprès du professeur que le rhéteur a associé à son enseignement.

D’après Aulu-Gelle les leçons étaient données publiquement en des écoles ouvertes à tout le monde, appelées d’ordinaire stationes, parfois auditoria : salles spéciales disposées comme celles des rhéteurs, souvent à proximité des bibliothèques publiques.

L’enseignement s’y distribuait sous une double forme : il y avait les stationes docentium et les stationes respondentium.

Les premières constituent le cours à proprement parler. Le professeur expose méthodiquement le droit théorique et abstrait devant son auditoire d’étudiants et le public studieux que cette science intéresse.

Le maître est libre dans le choix de ses sujets. Cependant l’usage partageait en quatre années l’exposé de l’ensemble et des principes du droit. Justinien, dans la constitution qu’il adresse aux professeurs lors de la publication du Digeste et des Constitutions Impériales, nous a conservé ces détails.

La matière se compose de six ouvrages confus renfermant beaucoup de choses inutiles hors d’usage ou inaccessibles.

La première année est consacrée aux Institutes de Gaius et aux Libri Singulares : alors se faisait la comparaison des diverses idées des jurisconsultes... La deuxième année aux Commentaires d’Ulpien sur l’Edit... La troisième aux Responsa Papiniani : on se contentait d’y prendre de brèves notions sur d’amples détails. La quatrième aux Responsa Pauli ouvrage incomplet et sans ordre.

Evidemment on n’étudie ainsi qu’une partie du droit.

A cette époque paraissent de nombreux ouvrages à l’usage des étudiants : Institutiones, qui renferment un aperçu sur tout le droit civil, Regulæ, Definitiones, Sententiæ. Ces ouvrages méthodiques, de forme très soignée sont souvent la reproduction des cours. Tels les Institutes de Gaius : traité précis et clair, type de l’ouvrage didactique l’ouvrage élémentaire de droit romain par excellence de forme en générale parfaite, de langue digne des grands jurisconsultes, est sans doute comme l’a soutenu Dernburg[73] le résumé du cours professé par le célèbre maître et rédigé par lui.

Les stationes respondentium sont destinées à la discussion et à la solution des questions soulevées par la pratique. L’intérêt y est plus vif et par là l’auditoire plus nombreux ; auprès des étudiants et des amateurs de droit se rencontrent ceux qui aiment s’initier à la pratique des affaires, les citoyens étrangers eux-mêmes.

Le programme n’avait rien de fixe. Une question de droit était posée et donnait lieu à des débats souvent animés auxquels prenaient part élèves et public, de véritables disputationes comme chez les rhéteurs. Le maître dirigeait les discussions et les terminait par une ou plusieurs réponses précises et utiles.

L’Angleterre toujours pratique a conservé ce système dont les avantages sont précieux. Là l’étudiant apprend à parler correctement et à manier la langue juridique ; l’esprit s’habitue à voir le point faible, le point fort d’une discussion, à saisir rapidement la difficulté ou la délicatesse d’une question, à exprimer une opinion personnelle. Exercice merveilleux pour l’avocat et pour quiconque doit prendre la parole dans les assemblées.

D’ordinaire c’était les mêmes maîtres qui se livraient ainsi selon les heures à l’enseignement didactique et à la pratique des affaires.

Ces maîtres pouvaient être en même temps jurisconsultes et avocats. Leurs élèves payaient un rétribution annuelle et le pouvoir leur accordait de plus en plus immunités et honneurs.

Il est vrai que dans la même mesure se restreint la liberté. A la liberté absolue d’enseigner, succède la nécessité de faire une déclaration à l’autorité compétente. Vers la fin du siècle, Libanius se plaint de la nécessité de produire pour enseigner un certificat du professeur sous lequel on a étudié, ce qui constitue un privilège pour les professeurs de droit au détriment des rhéteurs.

L’autorité s’occupe aussi des étudiants pour les soustraire aux charges incompatibles avec leurs études, mais Valentinien ordonne leur renvoi à leur famille, si à 25 ans leurs études ne sont pas terminées. Ils doivent pour jouir de leurs privilèges se déclarer, prendre leurs inscriptions auprès du magistrat, se conduire dignement. Une surveillance est établie et les verges ou le renvoi sont leur châtiment.

Il ne leur est pas permis de fréquenter les réunions tumultueuses, d’assister trop souvent au spectacle, de rechercher des liaisons dangereuses.

D’après Ulpien, un étudiant qui s’attachait trop vivement à suivre les pas d’une personne même en silence, qui appelait, invitait, provoquait des jeunes filles par paroles, flatteries et caresses était coupable de délit d’injures ; de même s’il séparait les jeunes filles des personnes chargées de les accompagner.

Plus tard Justinien interdira les jeux indignes, serviles ; les tracasseries à l’égard des maîtres, des condisciples, surtout des nouveaux... Élevons d’abord l’âme, ensuite le langage.

Déjà les étudiants de chaque année avaient leur nom spécial. En première année on les nomme Dipondii (deux as) étudiants de deux sous ; — en deuxième, Edictales, étudiants de l’Edit ; — en troisième, Papinianistes, à cause de l’étude de Papinien ; étude qu’ils commençaient en célébrant une fête joyeuse ; — en quatrième, Lytæ, licenciés ou initiés à la solution des difficultés.

L’année scolaire ne durait que de janvier à juillet. Avec le mois de juillet s’ouvrait la période des fêtes : fêtes des moissons, fêtes des vendanges ; puis les tribunaux sont fermés, enfin les fêtes de la Victoire et les Saturnales.

Au sortir des écoles l’étudiant s’inscrivait comme avocat et s’initiait auprès d’un jurisconsulte à la pratique des affaires, ou encore devenait assesseur ou conseiller de quelque magistrat. Ensuite il devenait avocat libre, avocat du fisc, jurisconsulte, ou entrait dans les rangs des fonctionnaires.

Quant à la valeur de la magistrature et des gens de loi, Libanius nous la révèle en ses discours politiques et confirme la page amère et sarcastique d’Ammien Marcellin.

Plus d’obstacles à l’odieuse collusion des avocats et des juges qui se frayent concurremment un chemin aux honneurs et à la fortune en vendant les intérêts des petits à l’avide oppression des grands de l’Etat et des chefs de l’armée... Aujourd’hui les tribunaux d’Orient sont infestés d’une espèce rapace et pernicieuse, peste des maisons opulentes et qu’on dirait douée du nez des chiens de Sparte ou de Crète pour dépister un procès et découvrir où gît un litige... Voici les fureteurs de chicane, qui usent le seuil des maisons de veuves et d’orphelins, leur franchise est impudeur, leur constance obstination, leur talent vaine et creuse faconde... Puis ces professeurs d’une science étouffée dès longtemps sous un chaos de lois discordantes ; gens dont la bouche semble cadenassée, qui sont tantôt silencieux comme une ombre, tantôt d’un sérieux étudié dans leurs réponses, débitées du ton d’un horoscope ou d’un oracle de la Sibylle. Tout en eux se paye, jusqu’au bâillement. Jurisconsultes profonds ils citent à tous moments Trébatius, Cascellius, Alphénuset invoqueront même les lois des Aurunces et des Sicaniens, enterrées avec la more d’Évandre... Viennent les avocats fronts d’airain, aboyeurs éhontés, qui profitent des préoccupations du juge pour compliquer les questions, éterniser les procès, troubler la paix des familles... de leurs mains on ne se tire que bien tard sucé jusqu’à la moelle. Enfin ceux de l’espèce ignare, insolente, effrontée, échappée trop tôt de l’école et qui bat le pavé des rues... capables de prendre le nom d’un auteur ancien pour celui d’un poisson, d’un mets exotique... Il est vrai aussi que les avocats ont affaire à des juges qui ont plus souvent pris leurs degrés à l’école de Philistion ou d’Esope qu’à celle de Caton et d’Aristide...[74].

§ V. — Philosophie.

Nous avons déjà dit quel lien étroit l’unit à notre sujet. Forme supérieure de l’éducation, couronnement des travaux intellectuels, inséparablement mêlée à la rhétorique, à la religion, aux traditions, elle constitue une partie, non la moindre, de cet ensemble séducteur, conscience de ce siècle et son rayonnement, l’hellénisme.

On n’attend de nous ni l’exposé complet ni la solution des multiples problèmes, posés autour de cette philosophie du IVe siècle ; il nous suffira — heureux si nous y réussissons — d’en établir brièvement les caractères.

Certains esprits poseraient volontiers ici la question préjudicielle et déclareraient qu’il n’y a plus de philosophie à cette époque. C’est un point de vue. Il n’est pas le nôtre : nous ne pensons pas que le mysticisme soit exclusif de philosophie, pas plus que le matérialisme ne l’est de poésie.

Toute la vitalité philosophique du IVe siècle est orientale. De l’Orient viennent hommes et idées, luxuriante végétation intellectuelle grandie sur un même sol, mûrie sous un même soleil, unique en son essence, multiple en ses manifestations et où apparaît l’intellectualisme puissant de ces hommes qui ont nom Proclus, Jamblique, Edésius, Maxime, Chrysanthe, Julien, Olympiodore, Hypathie, Themistius, Libanius, Eusebius, Sopater.

Un même mot les nomme : mystiques. Un même concept anime leurs travaux : la prédominance des idées préternaturelles. Un même dessein les unit : infuser un sang nouveau au paganisme vieilli.

Aussi devant cette marée montante du mysticisme qui va du mysticisme idéaliste ou purement philosophique au mysticisme religieux, ritualiste, théurgique, les divisions ordinaires en périodes et en écoles ne constituent qu’un cadre étroit et une classification arbitraire

Depuis longtemps déjà les multiples formes de l’esprit philosophique païen grec et gréco-romain avaient disparu dans des systèmes imprécis tout pénétrés de l’influence du mouvement des idées surnaturelles : tels le stoïcisme, le pessimisme gnostique, le pythagorisme qui hésite entre les mystères Orphiques et Dionysiaques et le syncrétisme poétique d’Empédocle. La dialectique s’est évanouie en subtilités, la métaphysique en chimères et la science est réduite à la morale et au bon sens.

C’est sur ce terrain ainsi préparé qu’Ammonius Saccas était venu purifiant les opinions des anciens philosophes et supprimant les rêveries écloses de part et d’autre faisant ressortir l’harmonie des doctrines de Platon et d’Aristote en ce qu’elles ont d’essentiel et de fondamental[75].

Ainsi se fonde la première grande école éclectique, largement ouverte à tous les systèmes et où se réunissent et se fondent ensemble tous les éléments essentiels de la pensée grecque : la dialectique de Platon, la métaphysique d’Aristote, la physique des Stoïciens, les éléments mystiques de la pensée orientale[76].

Parmi les emprunts faits par Plotin, qui fut le penseur le plus logique et le plus complet de l’époque, Chaignet signale[77] : la doctrine de l’Etre enfermé en soi, parfait, immuable, des Eléates ; l’unité pythagoricienne, principe des nombres et par suite des choses en leur essence idéale ; la conception de Platon de l’âme et du bien ; de la raison d’Anaxagore ; de l’acte d’Aristote, opposé à la puissance, moteur immobile de l’universalité des choses ; de la vie, de l’unité, de la divinité de la nature des Stoïciens avec leur austère morale.

Il est clair qu’il s’y mêle des conceptions transcendantes qui appartiennent bien à l’Orient : la théorie des deux fois nés, celle de l’extase, celle de la simplification comme moyen de s’unir au divin, celle de l’absorption de l’individu dans l’unité absolue, celle d’un principe premier dans lequel il n’y a ni pensée, ni volonté, ni activité.

La poursuite de l’unité philosophique sous l’égide de Platon caractérise toute cette période jusqu’à Jamblique. Le nom séducteur de Platon domine alors tous les autres : le sentiment religieux de sa philosophie, les expressions mystiques qui s’y rencontrent, ses mythes sur la préexistence de l’âme et sa chute dans un corps mortel, tout cela s’harmonise admirablement avec le mouvement et les besoins de la pensée à cette époque.

De là vient que la philosophie positive et rationaliste nie le caractère scientifique et la valeur philosophique de tout ce siècle : Plotin comme Platon est tellement épris de l’idéal du bien, qu’il conclut sans preuve de sa beauté à sa bonté et à son existence... Ce n’est plus de la science ou des hypothèses raisonnées et scientifiques, ce sont des rêveries mystiques, un poème de théologie orientale[78].

Plotin n’eut d’autre but que le rétablissement d’un culte plus idéal de la divinité[79].

Il nous semble que ce n’est voir qu’un aspect du travail philosophique, aspect dont la nouveauté, l’étrangeté même peuvent tromper sur l’importance... Cet envahissement des contemplations et des procédés de l’esprit oriental attire l’attention plus vivement que l’immense labeur philosophique qui se dissimule sous ce vernis d’un brillant fascinateur.

C’est avec Jamblique surtout que le divin rentre avec violence et la religion devient le souci principal de la pensée. Le mouvement de la période précédente s’accentue et s’exagère ; ce n’est pas seulement l’unité philosophique, c’est aussi l’unité religieuse dans un éclectisme non moins compréhensif que le premier que l’on poursuit. Le philosophe n’est pas le prêtre d’une religion, mais de toutes.

L’idée dominante est d’établir les rapports de la philosophie et des mythes et théogonies grecs et orientaux, généraliser ces relations et les systématiser toujours plus — donner à tout cela une apparente rigueur scientifique — appuyer l’une sur l’autre la philosophie et la religion et ainsi étendre leur sphère d’action.

Cette religion philosophique restera la part de la foule ignorante ; les esprits élevés recevront, comme une communication d’Hermès, cette philosophie religieuse.

Pour agir sur l’élite intellectuelle, il fallut créer le symbolisme ; pour agir sur le peuple, les pratiques rituelles, théurgiques devinrent nécessaires. Les esprits qui conçurent et réalisèrent cette grandiose évolution sont loin d’être des impuissants ou des dégénérés. Il peut nous être facile, après expérience faite, de leur reprocher de n’avoir pas prévu l’incompatibilité de leur double mouvement : le symbolisme n’est pas fait pour le peuple qui ne le comprend pas, et préférera toujours son Dieu absurde mais réel à un Dieu-idée ; les pratiques religieuses font inévitablement sourire le philosophe ; ainsi de cette séparation trop absolue devait naître l’infécondité, l’insuccès.

Ce n’en était pas moins une merveilleuse entreprise : remettre un souffle de vie dans les ombres de ces Déités défuntes, et restaurer la belle croyance païenne en donnant un nouveau sens à ses symboles[80]. C’était l’heure d’écrire comment les Dieux reviennent. Qu’on revoie toute la série des Dieux de Jamblique, ses Dieux pasteurs et ses Dieux chasseurs ; Dieux aux occupations souvent puériles, grotesques, scandaleuses, pour ceux qui n’en veulent pas voir le Symbolisme et préfèrent en faire une critique plaisante et intéressée, comme fit saint Augustin pour les Dieux du mariage[81], on verra quel puissant effort intellectuel fut réalisé alors au profit du symbolisme et du mysticisme, au détriment souvent du mystérieux, de la poésie et du merveilleux.

Les ouvriers de cette création eurent-ils une foi sincère et véritablement dévote à toutes les croyances et à toutes les pratiques des anciennes religions comme Vacherot l’affirme de Jamblique ? Oui, pourvu qu’on se souvienne que pour eux croyances et pratiques sont symboliques, et que ces mystiques sont ainsi, sous ces formes multiples, les fidèles de la grande religion universelle.

Il ne faut pas oublier que ce mouvement religieux était général alors, fruit de la reviviscence de l’esprit oriental et du platonisme et de l’action énergique imprimée par le christianisme et les hérésies.

Est-ce d’un plan arrêté de combat contre la religion chrétienne qu’est sortie cette transformation philosophique ? Je ne le pense pas, bien qu’elle constitue le plus puissant effort de l’idée païenne contre l’idée chrétienne.

On ne trouve pas assez de tendances polémistes ou apologétiques dans-les œuvres de ces philosophes pour conclure à une volonté de lutte... Mais il me parait certain que ce fut par réaction naturelle contre le christianisme triomphant que se fit ce travail instinctif de défense.

Les progrès de la religion nouvelle, l’abus qu’elle fait du pouvoir dès qu’elle y parvient, l’intolérance qu’elle professe, les ruines qu’elle amoncelle et les persécutions qu’elle suscite, les railleries et les injures dont elle couvre philosophes et philosophie, prêtres et Dieux, tout cela manifeste que non seulement la grande tradition des ancêtres et les croyances consolatrices sont en danger, mais encore avec elles le fondement de la civilisation humaine, la liberté de penser que les religions et les philosophies de l’antiquité avaient respectée.

De tels périls aident aux évolutions naturelles d’ailleurs et nécessaires. Aussi l’antagonisme de la religion chrétienne contribua évidemment à imprimer à la philosophie d’alors son caractère religieux.

De là aussi les exagérations. Le philosophe se fait prêtre, il a des rapports avec la divinité, il dogmatise, il fait des miracles. Jamblique, aux bains de Gadara, touche l’eau, murmure quelques mots et deux enfants en sortent qui l’entourent de leurs bras. Proclus reçoit en songe des communications divines... On en vient à opposer révélations à révélations, miracles à miracles.

La contemplation idéale des premiers néo-platoniciens s’est transformée : un quiétisme plus accentué lui a succédé. Pour trouver le Bien, il faut suspendre toutes les puissances intellectuelles par le repos et le néant de l’intelligence. Nous devons attendre en silence que la lumière divine nous apparaisse comme l’œil attend tourné vers l’horizon le soleil qui va se lever... La pensée est comme le flot qui nous porte et qui en se gonflant nous soulève en sorte que de sa cime tout à coup nous voyons.

Auprès de ce quiétisme, la théurgie. Par des pratiques extérieures, des prières et des rites que la divinité avait révélés aux hommes, on s’unissait à elle. Souvent il fallait se borner à des rapports avec les dieux intermédiaires... L’âme trop faible pour monter leur demandait de descendre. Le ravissement en Dieu n’est pas une œuvre humaine, Dieu en est l’unique auteur sans que l’âme et le corps y soient pour rien.

L’extase qu’avaient connue les grands philosophes l’acte le plus élevé de la raison revenant à son origine, de l’intelligence première ; la divine musique, l’ivresse philosophique, le délire scientifique où l’esprit s’élève au-dessus de lui-même dans une soudaine et vive illumination devient pour l’ordinaire une pratique superstitieuse et mensongère dont le résultat est la stupeur et la folie.

Tous ne tombent pas en ces aberrations. Ainsi Eusebius de Myndes (Carie) dans sa conférence devant Julien, si curieux cependant de pratiques théurgiques, estime que les prestiges qui trompent et séduisent la sensation, sont l’œuvre de faiseurs de prodiges qui nous induisent en erreur et sont fous eux-mêmes. Sans nier, ni affirmer que Maxime ait fait rire la statue d’Hécate et s’allumer toutes seules les lampes du sanctuaire, il conseille à Julien de ne pas trop admirer ce magicien théâtral et de considérer comme la seule grande chose delà vie, la purification de l’âme par la raison[82].

Est-ce à dire que tout cède à la préoccupation religieuse et qu’il n’y a plus ni philosophes, ni philosophie, mais des crédules, des exaltés livrés à toutes les aberrations du sens religieux exacerbé ? Pour être entrée hardiment dans le temple et s’y être complue, la philosophie n’a pas complètement abdiqué son rôle. Elle subtilise, raffine, divise à, l’infini et dans ses abus mêmes conserve et cultive la forte logique de Platon. Elle explore tous les mystères interrogeant ça et là ces muets symboles, qui comme autant de sphinx lui jettent leurs inexplicables énigmes[83] elle se plonge dans le divin, s’égare dans le système des hypostases essaie de concilier l’unité divine et la multiplicité idéale en Dieu, mais auprès des aberrations nous garde la haute métaphysique et la forte psychologie. Elle préconise une morale qui n’est pas sans grandeur et si au suicide si facilement accepté par l’ancienne philosophie elle ne trouve à substituer que l’ascétisme qui est presque un suicide moral, elle n’en marque pas moins une étape vers le progrès. On ne s’élève pas encore à l’humanité, mais on s’y prépare[84] ; on sait quelle grande préoccupation de haute morale humaine, dont la tolérance est la plus belle fleur, se rencontre chez tous les philosophes d’alors : il suffit pour s’en convaincre de feuilleter Jamblique, Julien, Libanius et Themistius.

Leur œuvre ne fut pas non plus tant de créer que de vulgariser. Ils laissent les grands problèmes tels qu’ils les ont trouvés. Ils reproduisent sous une forme plus explicite, plus méthodique les conceptions de Plotin. C’est à l’œuvre de diffusion,de pénétration extérieure, d’organisation interne que, après Plotin, se dévoue l’école néo-platonicienne avec un désintéressement absolu, une abnégation parfaite, une énergie, une continuité d’efforts, de travail et d’ardeur vraiment admirables[85].

Tel fut le côté philosophique de leur œuvre ; il est assez grand pour mériter l’admiration de la postérité et sa reconnaissance pour l’action puissante qu’il exerça dans le monde des idées.

Le mépris trop irrité du christianisme, le grand adversaire de la philosophie, témoigne assez qu’il redoute son influence. Oui, dans les carrefours, ils passent pour de grands hommes, ils entretiennent avec soin leurs boucles de cheveux, ils se drapent dans leur manteau : C’est toute la philosophie... Regardez au dedans, vous n’y verrez que cendre et poussière, impureté, corruption, pourriture... Leurs quelques connaissances viennent de nos ancêtres en Egypte... L’âme devient un arbuste, un chien, un poisson... Dieu c’est l’eau, le feu, l’air... Si j’exposais leur doctrine, vous l’accueilleriez d’un immense éclat de rire[86]. Il faut lire dans Chrysostôme la IIe Homélie sur S. Jean pour voir avec quelle âpre partialité les chrétiens parlent de la philosophie.

Ils ne laissent pas moins Platon et le néo-platonisme pénétrer chez eux ; y exercer une influence considérable tout ce qu’il y a de philosophie dans les Pères de l’Eglise, tout ce qui servira de fondement rationnel à la scolastique du Moyen âge est précisément le néo platonisme[87] Jérôme lit assez Empédocle et Platon pour en retenir beaucoup de pures maximes qu’il croyait plus tard avoir apprises dans les Épîtres des Apôtres[88]. Apulée le crédule railleur, le religieux critique des superstitions, n’est-il pas avant tout le sage qui boit à la source des grands philosophes et si l’on veut connaître son Dieu, il faut le demander à Platon[89]. Augustin ne fut-il pas néo-platonicien pendant la plus brillante période de sa vie et ne fait-il pas tomber les préventions que manifestaient certains auteurs effrayés par l’adage de Tertullien : Platon est le père des hérésies.

Au fond n’est-ce pas dans le christianisme et le néo-platonisme la même métaphysique, la même morale, la même foi dans la conception de la vie religieuse : l’union mystique avec Dieu opérée par le renoncement... Les idées et les termes mêmes : conversion, retour à Dieu, édification, appartiennent au néo-platonisme. La doctrine de la chute des âmes, la croyance à des êtres intermédiaires entre l’homme et Dieu, la doctrine du Logos, des trois principes divins leur sont communes. L’abîme creusé entre la réalité et le rêve, la nature et la conscience, la terre et le ciel, se comble par la foi, disent les chrétiens, par l’extase, disent les néoplatoniciens.

L’influence de ces philosophes se continuera en Perse, puis sur les Arabes et les Juifs, pénétrera le Moyen Age, et aujourd’hui leur psychologie vit encore tout entière dans notre philosophie moderne à peine dissimulée sous les formes d’exposition ; nous n’avons rien ajouté d’essentiel à leur esthétique. Qui a mieux parlé qu’eux du beau, du bien, des visibles harmonies et de leurs fondements dans les invisibles harmonies du monde idéal ?[90]

La philosophie du IVe siècle n’est donc pas un fruit pourri qui tombe ; c’est un fruit qui, au siècle suivant, garde toute sa saveur à l’école d’Athènes, c’est un fruit vivace que va tenter de détruire l’arbitraire décret de Justinien (329).

Nous n’exagérions point en parlant de renouveau intellectuel au IVe siècle. Si la tentative de restauration religieuse fut stérile, elle n’en fut pas moins une conception géniale : unifier en un électisme puissant et libéral, religion et philosophie, théogonie grecque et mythologie orientale ; édifier un Panthéon intellectuel et religieux d’où sortait une perpétuelle leçon de tolérance pour les œuvres, d’anti-dogmatisme pour les idées. C’est la suprême floraison et la synthèse dernière de cet hellénisme séducteur dont Julien saluait Jamblique comme le sauveur. C’est la plus compréhensive et la plus universelle des philosophies. L’un regarde comme une prière de se livrer à la méditation de ses enseignements tandis qu’un autre y trouve l’expression de tous les arts et de toutes les sciences. Elle a tant de charmes que Synésius veut bien accepter l’épiscopat mais à condition de continuer à philosopher chez lui comme il l’entend ; et Hypathie au sortir de l’étude de la musique, de la géométrie, de l’astronomie, vient y chercher la possession de la félicité suprême et de la vérité. Elle satisfait chez Maxime le goût du mystérieux, chez Libanius ses goûte artistiques, chez Thémistius qui commence son sacrifice à Aristote et le termine par un hommage à la sainte doctrine de Platon son amour de la tolérance et son espoir de religion universelle. Elle a pour fidèles et ceux qui enivrent leurs pensées des doctrines de Platon, et ceux que satisfait la gravité d’Aristote et ceux qui ne peuvent se résoudre à abandonner les charmes religieux et poétiques de l’Orient grec les intelligibles formes des vieux poètes, les belles humanités de la vieille religion ; le pouvoir, la beauté, la majesté qui avaient leurs retraites dans les vallons, sur les monts solitaires, au fond des forêts, auprès des tranquilles ruisseaux, des sources caillouteuses ou dans les abîmes et les profondeurs des eaux... évanouies un instant, mortes en la foi des intelligences... mais toujours le cœur a besoin d’un langage, toujours le vieil instinct doit ramener les vieux noms et du haut du monde étoile sont maintenant revenus les esprits ou les Dieux qui aiment partager cette terre avec l’homme comme avec un ami[91]. Une telle philosophie est elle faite pour le triomphe ? L’histoire nous permet l’espoir sans nous le conseiller. Mais le laborieux effort, les hautes idées, les belles émotions de conscience et de goût qu’elle décèle, malgré ses imperfections, légitiment nos tentatives à reprendre contact avec ces prétendues fleurs de décadence !

 

 

 



[1] Florid. XX.

[2] XIV, 6.

[3] In Eutrop., II, 354.

[4] Veckenstedt, La musique et la danse dans les traditions.

[5] Misopogon.

[6] J. Chrysost., Comment. sur le Prophète Isaïe, ch. V.

[7] Epithal. Laurentii, cité par Friedlænder.

[8] Gévaert, Histoire et théorie de la musique dans l’antiquité.

[9] Protag., p. 326.

[10] Ch. II, 69.

[11] Westphal., Metrik, I.

[12] Musiciens, philosophes et poètes, p. 74.

[13] Anonym., II, Ed. Bell., §30.

[14] Gaudence, Introduct. harmonique, début.

[15] Alyp., Introduct. musicale.

[16] Cf. Edit. Teubner et Ruelle.

[17] Wagner, Musiciens, Poètes et Philosophes (trad. G. Benoît).

[18] Martian. Capella.

[19] Dufour, Etudes sur la constitution rythmique et métrique de drame grec.

[20] Aristide Quintilien, 99.

[21] Riemann et Dufour, Traité de rythmique et métrique.

[22] Bourgault Ducoudray, Conférence sur la modalité dans la musique grecque.

[23] Jn. Chrysost., Comm. sur le Proph. Isaïe, Ch. V.

[24] Bacchius l’Ancien, trad. Ruelle 1895.

[25] Rev. Pédagog., nov 1888. — Dr Reissmann, Die Musik als hülffsmittel der erziehung.

[26] Emmanuel, Orchestique.

[27] Platon, Lois, II, 653, 654.

[28] Xénophon, Conviv., II.

[29] Άέριαι-έλικώδης.

[30] θαυμάσιαι καμπαι.

[31] Athénée.

[32] Emmanuel, Orchestique.

[33] Tannery, La géométrie grecque. Introduction.

[34] Cantor., Vorlesungen.

[35] Gow, History of greek mathematics.

[36] Martian. Capell., De nuptiis Philologiac et Mercurii, Ch. VII.

[37] Heath, Diophantos of Alexandria (325-409).

[38] Tannery, Sur la religion des derniers mathématiciens de l’antiquité.

[39] Heath, Diophantos of Alexandria (325-409).

[40] Marie, Histoire des mathématiques.

[41] History of mathem.

[42] Heath, Diophantos of Alexandria (325-409).

[43] Zur Geschichte der Mathematik.

[44] Anthologie palatine, VII, 2. Ed. Didot.

[45] De nupt. Philolog. Et Mercur., Ch. VI.

[46] Cejori, History of mathematics, p. 16.

[47] Chasles, Discours d’ouverture du cours de géométrie.

[48] Gow, l. c.

[49] Descartes, Règles pour la direction de l’esprit.

[50] Συναγωγαι Μαθεματικαι.

[51] Application du centre de gravité à la mesure des figures produites par circonvolution.

[52] Gow : the last convulsive effort of Greek geometry which was now nearly dead and was never effectually revived.

[53] Martian. Capella, l. c., Ch. VIII.

[54] De nupt. Philol. et Mercur., c. VIII ; Copernic, De revolut. orb. cœl., I, 10.

[55] Chasles, Caractères géométriques de l’astronomie grecque.

[56] Proctor, Old and new astronomy.

[57] Tannery, La Géométrie grecque.

[58] Berthelot, Origines de l’alchimie.

[59] Ovide, Fastes, I, 297-299 ; 305-307.

Felices animos quibus hæc cognoscere primis

Inque domos superas scandere cura fuit...

Admovere oculis distantia sidera nostris

Ætheriaque ingenio supposuere suo.

[60] La mythologie des Grecs et des Romains renferme (suivant un écrivain moderne) tous les secrets de la chimie sous forme mystique et allégorique. Ainsi Jupiter se changeant en pluie d’or représente la distillation de l’or par l’alchimie ; les yeux d’Argus convertis en queue de paon symbolisent les différentes couleurs du soufre sous l’action du feu : la fable d’Orphée représente la recherche de la quintessence de l’or potable ; Deucalion et Pyrrha, le mystère de l’alchimie.... Le la meilleure chose est l’eau (Ire Olymp. de Pindare) signifierait le mercure, l’eau-argent. Suidas prétend que la fable de la Toison d’Or est l’affirmation allégorique de l’art de faire de l’or. Plutarque voyait déjà la science de la nature sous une forme symbolique dans la théogonie des Grecs. Cf. Hœfer, Hist. de la Chimie.

[61] Plutarque, Lettre de Démocrite à Hippocrate. Symp. VIII.

[62] Eunape.

[63] Fort, Medical economy during the Middle eges.

[64] Valetudinem vitiant, morbos citant, dit Lactance, II, 15.

[65] Il y a des magiciens de tous les degrés et pour toutes les classes, depuis le mathématicien qui lisait la destinée dans les astres et dressait le thème natal de tout enfant nouveau-né jusqu’au sortilège qui interrogeait le sort par de petits dés chargés de figures symboliques, et jusqu’au conjecteur qui faisait métier d’interpréter savamment les songes. Un archéologue a relevé dans les écrivains classiques plus de 80 moyens de connaître l’avenir. Marquardt, Handbuch der Römischen Alterthümer, t. IV, 99.

— On disait d’Athanase qu’il était versé dans l’art de consulter le sort et de tirer des augures du vol des oiseaux. Il avait souvent prédit l’avenir. Il pouvait se rendre invisible. Ammien Marc., XV, 7.

[66] Si quelque magicien ou quelque homme mêlé aux pratiques magiques (que le vulgaire appelle faiseur de maléfices) ou quelque aruspice, ou diseur de bonne aventure, augure ou mathématicien, ou divinateur de songes est saisi dans notre cour, aucune dignité ne le préservera des tourments et de la mort.

Il suffisait que quelqu’un eut consulté un savant sur le cri d’un rat ou la rencontre d’une belette ou quelque autre signe, ou eut employé pour se soulager de ses maux quelque chanson de vieille femme (remède dont la médecine ne conteste pas l’autorité) pour que saisi, dénoncé sans savoir pourquoi, il fut traîné au jugement et bientôt au supplice. Ammien Marc., XVI, 8.

[67] Ammien Marc, XXI, 1, 6.

[68] Cod. Théod., IX, 16, 7, 8.

[69] Episcopi ut perniciosam a diobolo inventant, sortilegam et magicam artem penitus eradicent.

[70] Lib., édit. Wolf, Ep. 319, 507, 1074, 1434.

[71] Ep. 453.

[72] Flach, De renseignement du Droit ; Étude critique sur l’histoire du Droit romain au Moyen Age. Ouvrages remarquables qui nous ont été de grande utilité.

[73] Die Instituten des Gaïus. Glasson ne partage pas cette opinion.

[74] Ammien Marc., XXX, IV.

[75] Hiéroclès, cit. par Vacherot.

[76] Benn, Greek philosophers.

[77] Chaignet, Histoire de la psychologie grecque.

[78] Fouillée.

[79] Amélineau.

[80] Benn, l. c.

[81] De civ. Dei, VI, 9.

[82] Porph., Ep. ad Anebonem, contre ces gens qui arrivent à un transport divin par le son des cymbales, un chant consacré, une certaine eau, une certaine vapeur, des caractères sacrés. Il est à craindre que ce ne soit que des imposteurs.

Jamblique réfute la protestation de son maître Porphyre son De mysteriis liber, est le pacte d’alliance conclu en un jour de détresse entre la science et la fable, pour appuyer l’école au temple.

La Vie des savants, par Eunape ne diffère pas essentiellement de nos contes de sorciers.

Les prédictions, les évocations, les opérations miraculeuses deviennent les signes ordinaires de la vocation philosophique.

[83] Vacherot.

[84] Lewes, The history of philosophy.

[85] Chaignet, Histoire de la psychologie grecque.

[86] J. Chrysost., Hom. LXVI sur St Jean.

[87] Chaignet, l. c.

[88] Villemain.

[89] Guimet, Le Dieu d’Apulée.

[90] Chaignet, Hist. de la psychologie grecque.

[91] Coleridge Trad. de Piccolomini.