Le duc d'Enghien. L'année 1641 commença, pour le cardinal, par lin triomphe
familial : il fit épouser, à sa nièce Claire-Clémence de Maillé, fille du
maréchal de Brézé, le duc d'Enghien, fils aîné de Monsieur le Prince. C'était, nous dit le duc d'Aumale, une tradition des princes de la maison de Bourbon de
chercher souvent femme parmi les belles et nobles héritières. La mère
du duc d'Enghien était Charlotte de
Montmorency, sa grand-mère Charlotte de La Trémoïlle, son arrière-grand-mère
Éléonore de Roye. Mais en cette petite Claire-Clémence au visage enfantin,
Monsieur le Prince voyait moins la fille du maréchal de Brézé, que la nièce
du cardinal. Il désirait si ardemment de ne point perdre les bonnes grâces du
ministre, qu'il était prêt à marier sa fille Anne (future duchesse de
Longueville) au jeune marquis de Brézé. Empressement qui n'avait nulle
chance d'être agréé, le cardinal voulant bien donner
des demoiselles à des princes, Riais non pas des gentilshommes à des
princesses. Pour bien montrer que ce n'était point l'intérêt
pécuniaire qui poussait le père du duc d'Enghien et que seule l'alliance du
cardinal était désirée, Richelieu avait stipulé que sa nièce, qui recevait de
lui six cent mille livres en se mariant, n'aurait rien à attendre de sa
succession. Et comme l'avarice proverbiale de Condé se trouvait quelque peu
blessée d'une telle stipulation, Son Éminence avait écrit à Bouthillier le 30
janvier 1641 : Si cela grève ion esprit, je ne
m'éloigne pas de le dégrever. S'il ne trouve rien à redire aux articles que
vous lui avez donnés, vous ne direz rien[1]. Monsieur le
Prince s'était contenté d'une protestation secrète, mais notariée. Le fiancé n'était pas plus charmé de Mlle sa maîtresse, comme on disait alors, que le père ne l'était du contrat, mais il s'efforçait de dissimuler ses sentiments. Monsieur le Duc avait écrit à Monsieur le Prince le 10 décembre 1640 : M. de Chavigny vint hier me voir et me dit qu'il me vouloit dire quelque chose d'importance, qui est qu'un gentilhomme lui avoit mandé que le bruit couroit que je n'avois point d'inclination pour Mue de Brézé et que j'avois de l'aversion à ce mariage et qu'on remarquoit beaucoup de mélancolie sur mon visage et partant qu'il me prioit d'y prendre garde. Je lui répondis que c'étoit un méchant homme celui qui lui mandoit dela et tous ceux qui faisoient courre ces faux bruits, et que je tenois à grand honneur et faveur ce mariage, que c'est la chose du monde que vous et moi souhaitions le plus, au reste que tous ceux qui faisoient courre ces bruits-là étoient vos ennemis et les miens, et que, bien loin d'être mélancolique, je n'avois jamais été si gai[2]. Bien que déçu par le contrat, Monsieur le Prince continuait de montrer le plus vif enthousiasme pour le mariage qui l'alliait au ministre. Il l'afficha plus que jamais le 14 janvier 1641, au théâtre du Palais-Cardinal, où la tragédie de Mirame, que Richelieu avait fait écrire par Desmarets et qui procède à la fois du Cid et de Roméo et Juliette, venait de se dérouler sans grand succès, au milieu de décors miraculeux. Lorsqu'un pont doré eut réuni à la scène la loge royale, lorsque, sur cette scène transformée en salle de danse, Anne d'Autriche eut ouvert le bal et que la nièce de Son Éminence y eut été conduite, toute resplendissante des joyaux que lui avait prêtés la Reine, le prince de Condé ne cessait de répéter : Ah ! qu'elle est jolie ! Ah ! qu'elle est jolie ![3] Mais soudain, raconte dans ses Mémoires, Mlle de Montpensier, Mlle de Brézé tomba, comme elle dansoit une courante, à cause, que, pour rehausser sa taille, on lui avoit donné des souliers si hauts qu'elle ne pouvoit marcher. Il n'y eut point de considération qui empêchât de rire toute la compagnie, sans en excepter le duc d'Enghien. Le cardinal eut le plaisir de faire représenter, le 7 février, sur le même théâtre le Ballet de la prospérité des armes de la France, où l'on vit paraître tantôt les campagnes d'Arras et la plaine de Casal et tantôt les Alpes couvertes de neige, puis la mer agitée[4]. Décors que purent admirer les généraux prisonniers à Vincennes, invités par le cardinal à cette fête, les Jean de Werth, les Enkendorf, les don Pedro de Léon. Louis XIII s'était si fort intéressé à ce ballet, que, de Royaumont, il avait mandé à Richelieu la veille de la représentation : Je trouve très bon que Charost (Louis de Béthune, comte de Charost, l'un des quatre capitaines des gardes), fasse l'ordre à votre ballet. Vous lui montrerez ce mot, qui lui servira de commandement. Et tout occupé de fournir de gibier la table du cardinal à l'occasion du mariage, il avait ajouté : Nous ferons tout ce que nous pourrons pour tuer des marcassins, ce qui est assez difficile en cette saison ; je ferai toujours tuer un chevreuil et une bête fauve[5]. Le 9, il s'excusait de n'avoir pas été heureux à cette chasse : Je crois que Monseigneur (surnom de l'un de ses serviteurs de confiance) vous aura porté ma chasse d'aujourd'hui. Pour des marcassins, je vous puis assurer qu'il, n'y en a pas encore en un lieu[6]. Louis XIII prit la peine de venir, le 9, au Louvre pour assister à la lecture du contrat. Le 11, après la bénédiction nuptiale, la messe dite dans la chapelle du Palais-Cardinal par l'archevêque de Paris, qui était venu s'offrir, un repas de dix-huit couverts fut donné chez Bouthillier. Puis le théâtre et les appartements du Palais-Cardinal s'ouvrirent pour la comédie, que suivit le souper. Et l'abbé Arnauld put écrire au président Barillon : Jamais on n'avoit vu Son Éminence de meilleure humeur[7]. Le duc de Vendôme. L'avant-veille de ces fêtes, Louis XIII avait recommandé à
Richelieu : Je vous prie de ne vous point mettre
demain dans la presse, comme vous fîtes l'autre fois[8]. La
recommandation n'était pas superflue. Le Roi connaissait les aveux arrachés,
le 16 décembre 1640, à un ermite des faubourgs de Vendôme, accusé de
plusieurs crimes. Cet ermite, nommé Guillaume Poirier, avait été arrêté à
Paris ainsi qu'un certain Louis Allaiz soupçonné d'être son complice.
Guillaume Poirier avait déclaré que, dix-huit mois plus tôt, étant dans les prisons de Vendôme, il en avoit été tiré et
conduit dans la maison d'un chanoine qui n'en étoit pas éloignée, qu'il y
avoit trouvé M. le Duc de. Vendôme, qui, après l'avoir entretenu quelque
temps, lui avoit proposé d'attenter à la personne de M. le Cardinal de
Richelieu, et qu'ensuite il avoit fait part de ce dessein à deux autres
ermites, dont l'un était Frère Allaiz et l'autre un ermite qui demeurait près
de Gisors[9]. A la suite de cette déclaration, les ermites furent transférés du Grand Châtelet à la Bastille, interrogés par le chancelier. Cependant le duc de Vendôme, fort inquiet, envoya la duchesse sa femme et ses deux fils avec mission de le justifier et de faire observer que les témoignages de trois criminels ne méritaient pas d'être pris en considérations Il offrait, d'ailleurs, de venir lui-même à la Cour, afin de prouver son innocence. Le Roi et le cardinal acceptèrent son offre et rédigèrent, avec un soin minutieux, la lettre qu'ils lui adressèrent à son château d'Anet près de Dreux : Je vous envoie, écrivait Louis XIII à Richelieu le 19 janvier, la lettre pour mon frère de Vendôme tout ouverte, de peur de faillir, parce que, dans celle que vous m'avez envoyée, j'ai trouvé le commencement un peu brouillé, afin que vous voyiez si je l'ai écrite dans votre sens. J'ai choisi Monnincourt, qui vous rendra ce paquet, pour porter la lettre à mondit frère de Vendôme, parce qu'il est sûr et a de l'esprit ; vous lui direz ce qu'il aura à faire ; s'il eût été ici (à Versailles), je vous l'eusse envoyé dès hier au soir, mais il étoit à Saint-Germain, où, je l'ai envoyé quérir. Je vous prie de prendre plus de soin de vous que jamais[10]. Cependant le duc de Vendôme avait quitté son château d'Anet pour se rendre à Paris. A mesure qu'approchait le moment où il allait se remettre entre les mains du Roi, son inquiétude le tourmentait davantage. Il se trouvait aux portes de la capitale, quand soudain, tournant bride, il prit la route d'Angleterre : Le procédé de mon frère de Vendôme ne m'a point surpris, mandait Louis XIII au cardinal le fer février 1641, car je n'ai jamais cru qu'il se présentât à la confrontation. Soit qu'il soit venu à Paris ou non, son absence fera voir à tout le monde que l'accusation qu'on lui a mise sus est véritable. S'il est nécessaire pour cette affaire ou pour quelque autre qui vous touche le moins du monde, que j'aille à Paris promptement, mandez-le-moi : je m'y rendrai à point nommé[11]. Le 2 février, Louis XIII ajoutait : J'enverrai demain un gentilhomme à ma sœur de Vendôme, qui vous verra auparavant[12]. La duchesse de Vendôme, née Mercœur, vit aussitôt arriver une lettre de cachet, qui fui enjoignait der se retirer, avec ses deux fils, dans son château de Chenonceau. Le Roi constitua un tribunal de vingt-quatre juges, qu'il voulut présider lui-même, ce qui porta le nombre des juges à vingt-cinq. Les membres du tribunal que Louis XIII avait désignés étaient le prince de Condé, les ducs d'Uzès, de Ventadour, de Luynes ; les ducs de Chaulnes et de La Force, maréchaux de France ; le maréchal de Châtillon, M. de Cinq-Mars, grand écuyer de France, le chancelier Séguier, les présidents de Bellièvre et de Nesmond ; Bouthillier, d'Ormesson, Bignon, de Marca, conseillers au Parlement ; Talon et Moricq, commissaires rapporteurs. Assemblé le 22 mars dans le cabinet du Roi, le tribunal entendit le rapport du procès, dont M. Talon donna lecture. Le duc de Vendôme, qui avait gagné Cherbourg, puis l'île de Jersey, puis l'Angleterre, était alors à Londres. Trois de ses lettres furent produites. L'une avait été écrite au château d'Anet le 2 janvier 1641, les deux autres à Londres le 25 février. Le chancelier fit observer que le duc de Vendôme, se présentant à Londres devant la Reine mère, avait dit : Madame, vous voyez un pauvre exilé, accusé d'une entreprise qu'il voudroit avoir exécutée plus en pensée qu'en effet. — Cela est vrai, confirma Louis XIII, j'en ai la lettre. Il fut décidé que le contumace serait pris au corps et ses biens saisis[13]. Environ deux mois plus tard, le 15 mai, M. de Noyers écrivit de Rueil à Chavigny : Je vous prie de faire souvenir le Roi qu'il a trouvé bon de donner demain une heure de son temps pour quelque formalité de l'affaire de M. de Vendôme. Cela étant, il plaira à Sa Majesté de commander aux officiers de tenir le dîner prêt pour MM. du Parlement, qui seront, comme je crois, huit ou dix en nombre[14]. Le tribunal se réunit le 17 mai, un peu moins nombreux que le 22 mars, le prince de Condé notamment ne put venir. Tous les juges présents se conformèrent aux conclusions du procureur général, qui étaient que, les témoins seroient récolés en leur déposition et que le récolement vaudroit confrontation contre le duc de Vendôme. Récolés, c'est-à-dire entendus, — toujours en secret, — pour la deuxième fois. Mais un valet de chambre du Roi est venu dire à Sa Majesté que M. Cherré, secrétaire de M. le Cardinal, est à la porte du cabinet et demande à parler à M. le Chancelier. Sur l'ordre du Roi, le secrétaire est introduit, il s'approche du chancelier, à qui il remet une lettre de Son Éminence. Le chancelier ouvre la lettre, la lit et dit quelques mots au Roi, qui se lève et dit à son tour : Messieurs, demeurez en vos places, je reprendrai incontinent la mienne. Il s'entretient un bon quart d'heure, en un coin du cabinet, avec le chancelier, avec Bouthillier, surintendant des finances, et M. de Noyers. Les autres juges, qui ne peuvent rien saisir de cette conversation, observent qu'il parle avec action, puis ils le voient retourner à sa place. A présent Louis XIII s'adresse à toute l'assemblée : Messieurs, commence-t-il, c'est
M. le Cardinal qui me prie de pardonner à M. de Vendôme, ce n'est pas mon
avis. Je dois la protection à ceux qui me servent avec affection et fidélité,
comme fait M. le Cardinal et si je n'ai soin de faire punir les entreprises
qui se font contre sa personne, il sera difficile que je trouve des ministres
pour prendre soin de mes affaires avec le courage et fidélité qu'il fait. Je
me suis donc résolu à prendre un expédient que j'ai proposé à M. le
Chancelier, de retenir le procès criminel de M. de Vendôme à ma personne et
d'en suspendre le jugement définitif, et selon, qu'il se conduira envers moi,
j'userai de bonté envers lui et lui pardonnerai, si ses actions le méritent.
Mais le chancelier insiste : Sire, je suis obligé de
répéter à Votre Majesté que M. le Cardinal m'a donné ordre par sa lettre de
demander avec instance le pardon de M. de Vendôme ; je crois que Votre
Majesté le peut accorder sans blesser son autorité. Louis XIII, qui en cela ressemblait à sa mère, se laissait
aller à son opiniâtreté, il repartit qu'il ne
vouloit point pardonner présentement, mais qu'il étoit résolu de suspendre le
jugement du procès et se réservoit de faire grâce à M. de Vendôme, si sa
conduite à l'avenir étoit telle qu'elle le méritât[15]. Il dit ensuite
au chancelier : Lisez la lettre que M. le Cardinal
vous a écrite. — Monsieur, lut
aussitôt le chancelier devant l'assemblée attentive, les
intérêts de l'État ayant toujours été les seuls que j'ai eus devant les yeux,
j'estime maintenant que le public doit être aucunement satisfait par la
connaissance du mauvais dessein que M. de Vendôme s'étoit mis dans l'esprit,
et que je puis, sans préjudicier au service du Roi, supplier Sa Majesté de
pardonner à M. de Vendôme et d'approuver la résolution que j'ai prise en mon
particulier de ne me jamais souvenir du mal qui a été projeté contre moi. La
clémence dont il plaira au Roi d'user en cette occasion n'étant accordée qu'à
ma très humble supplication, on ne sauroit penser, à mon avis, qu'elle puisse
donner lieu à une pareille entreprise, qui est, selon la connaissance que j'ai
de la bonté de Sa Majesté, la seule considération qui la peut arrêter. Je
vous conjure, sur tous les plaisirs que vous me saliriez faire, d'obtenir
d'elle l'entérinement de ma supplication et de croire que je suis, Monsieur,
votre très affectionné serviteur. M. de Nesmond alors fut d'avis d'enregistrer dans le Parlement la lettre de M. le
Cardinal pour demeurer à la postérité[16]. La clémence de
Richelieu ressemblait à la clémence d'Auguste, célébrée par Corneille dans
Cinna. En réalité, il était impossible de condamner le duc de Vendôme sans preuve et fort politique de montrer la magnanimité du cardinal. C'est avec raison que la Livie du poète suggérait à Auguste : Son pardon peut servir à votre renommée. Le duc de Lorraine. Je suis extrêmement aise de ce que me mande Le Hallier, je confesse que je ne croyois pas que cette affaire pût réussir, ayant été tant de fois trompé par le duc Charles. Nous en serons encore plus assurés, quand nous le verrons ici. Je parle en ces termes, étant toujours en confiance de ce côté-là[17]. C'est de Saint-Germain, le 17 février 1641, que Louis XIII envoyait à Richelieu ce bref billet. Quelques semaines auparavant, M. du Hallier, gouverneur de Lorraine, avait reçu à Nancy M. de Saint-Martin, envoyé de Charles IV, et, le 16 janvier, un passeport avait été préparé à Saint-Germain pour le prince lorrain, qui voulait se rendre à Paris et négocier lui-même sa paix avec le Roi et le cardinal. Cette paix, Richelieu la désirait fort. Il y avait
longtemps qu'il avait répondu à certaines propositions de M. de Salins, agent
secret de l'Altesse dépossédée : Les domaines de la
Lorraine étant réduits à rien, les Lorrains morts pour la plupart, les
villages brûlés, les villes désertes, de telle sorte qu'il n'y a pas moyen de
rétablir la Lorraine d'un siècle entier, Sa Majesté, pour donner au Duc le
moyen de vivre en homme de sa naissance et de sa condition, lui donnera
l'Auvergne en retour de la Lorraine, ayant égard à la ruine entière d'icelle,
laquelle Auvergne est une fois plus grande que la Lorraine, plus fertile et
abondante en toutes choses. Quantité de noblesse, grandes villes opulentes,
évêchés et grands bénéfices et lesdits pays conservés de toutes parts et
protégés par les États du Roi... ce qui est
le plus grand avantage que le Duc pût jamais désirer[18]. Charles IV
estimait sans doute que l'avantage était, — si on peut dire, — à double
tranchant, car il refusa l'offre du cardinal et déclara fièrement qu'il entendoit rentrer dans ses États de Lorraine et pays
de Barrois, ainsi qu'ils étaient à la mort de son père. Rien n'avait
pu le décider, pas même l'offre d'avoir la conduite d'une armée du Roi. Mais
Richelieu n'avait pas renoncé à négocier avec lui. Le 23 novembre 1639, il
avait rédigé cette instruction pour le lieutenant au gouvernement de Brisach,
Paul Le Prévost, baron d'Oysonville, à qui le duc de Bavière venait d'écrire
une lettre où il se montrait désireux de se remettre
bien avec Sa Majesté : Si le député dudit
Sieur Duc désire savoir comme quoi on pourroit, dans une paix, traiter le duc
Charles, ledit sieur d'Oysonville lui dira qu'il n'en sait pas le
particulier, mais qu'il croit que le Roi a assez de bonté pour se relâcher
grandement au revenu des États que possédoit le duc Charles en lui ôtant tout
moyen de mal faire, selon sa coutume, en se réservant les places fortes
desdits États[19]. Le cardinal était bien résolu de les réserver toutes au
Rei, sans en excepter une seule. Il avait écrit à Louis XIII le 17 janvier
1641 : Le duc Charles changeant tous les jours de
pensées et de paroles, il n'y a point d'apparence de lui mettre une place
entre les mains, dont il pourra abuser ou sur quelque explication imaginaire
ou par le manquement ordinaire de sa foi, qu'il n'a point gardée en aucun
traité qu'il ait fait avec le Roi. Au reste ledit Duc avoit jusques ici
demandé au Roi toutes conditions déraisonnables pour se remettre en son
devoir ; il est hors de doute qu'étant fortifié d'une place, il en demanderoit
encore de moins recevables. De dire que le dépôt de ses colonels (en qualité
d'otages) soit une sûreté, c'est chose
ridicule, tant parce qu'ils sont de nulle considération au respect de la
place que parce que le Roi veut éviter la rigueur qu'il seroit contraint
d'exercer, si ledit Duc venoit à manquer de foi, en leur faisant couper la
tête... Ainsi que ces considérations ne
permettent pas d'adhérer aux propositions faites par le sieur de Saint-Martin
de la part du duc Charles, aussi la raison d'État ne veut-elle pas qu'on
perde l'occasion de lui donner tout ce qui est nécessaire pour venir trouver
le Roi, si bon lui semble, avec sûreté et conchire un traité, s'il a bonne
intention... Faire moins que cela seroit
perdre une occasion qui semble devoir, réussir, faire plus seroit une
témérité qui, en matière d'État, feroit commettre une faite irréparable[20]. En cette fin de février 1641, le duc de Lorraine était à la veille de se mettre en route et le Roi, qui se trouvait à la Maison-Rouge, château situé sur la rive gauche de la Seine, en aval de Melun, écrivait à Richelieu : Mandez-moi quand il sera temps que je retourne pour recevoir M. de Lorraine, et le lieu où j'irai, soit à Paris ou à Saint-Germain[21]. Le duc de Lorraine, qui ne croyait plus à la victoire de l'Empereur et que la morgue espagnole avait lassé, était d'autant plus désireux de se réconcilier ave4 le Roi, que sa seconde femme avait grande hâte de jouir des prérogatives de la souveraineté. Cette seconde femme était Béatrice de Cusance, princesse de Cantecroix, qu'il avait épousée, au scandale de ses peuples, bien que la première fût toujours vivante. A deux lieues de Paris, le 7 mars, il rencontra son cousin Henri de Lorraine, comte d'Harcourt, que Louis XIII avait envoyé au-devant de lui. Le cortège entra bientôt dans la capitale et le duc de Lorraine fut conduit à l'hôtel d'Épernon, rue Plâtrière, non loin de Saint-Eustache, car il ne voulait point descendre à l'hôtel de Lorraine, qu'habitait la duchesse Nicole. Charles IV dut bientôt donner audience à Chavigny, que le
cardinal avait muni d'instructions fort précises. Le secrétaire d'État avait
ordre de dire au prince : Je veux savoir de vous ce
que vous estimez raisonnable après tout ce qui s'est passé. M. le Cardinal
vous tient si équitable, qu'il s'assure que vous vous condamnerez à plus que
le Roi peut-être ne désirera[22]. Tout était
prévu, même le silence du Duc : Si M. de Lorraine ne
veut pas parler, M. de Chavigny lui dira : Le Roi ne veut que ce qui est
capable de vous empêcher, vous et cos successeurs, de faire de nouveaux maux
à la France. Outre que cette considération l'oblige à retirer les places, le
Barrois et le comté de Clermont, la prudence ne lui permet pas de se
gouverner en sorte qu'on pût penser qu'il fût libre à un chacun de
l'offenser, impunément. Au contraire, elle le contraint de resserrer sa bonté
dans des bornes si raisonnables, qu'on ne puisse douter qu'il n'y ait à
perdre à l'offenser[23]. Le 9 mars, le Roi, revenu à Saint-Germain, écrivit au cardinal, .qui avait reçu le prince la veille : Je ne pourrai pas voir M. de Lorraine aujourd'hui, Brulon (conducteur des ambassadeurs) n'étant arrivé ici qu'à onze heures, et ne m'a point dit que ce dût être aujourd'hui et ne m'a parlé que de demain. Je parlerai, selon ce que vous me mandez, à M. de Lorraine[24]. Dès le lendemain 10 mars, à Saint-Germain, où les gardes avaient pris les armes comme naguère pour le duc de Parme, Charles IV fut accueilli par ces paroles royales, qui semblaient permettre les plus belles espérances : Mon Cousin, tout le passé est entièrement oublié ; je ne pense plus qu'à vous donner à l'avenir des marques de mon amitié[25]. Ces espérances étaient quelque' peu trompeuses. Dans les entretiens qu'il eut avec Richelieu, le duc de Lorraine vit bien que les précisions de Chavigny avaient beaucoup mieux exprimé la véritable pensée du cardinal que ne l'avaient fait les vagues courtoisies du Roi. Il tardait à se rendre et le Roi était fâché de ses longueurs[26]. Le 14 mars, au Palais Cardinal, Richelieu crut devoir donner, en l'honneur de Charles IV, une seconde représentation du ballet de la Prospérité. Il recevait son hôte avec magnificence, mais il ne se relâchait point de sa rigueur en ce qui regardait le traité. Le traité n'en fut pas moins signé à la fin du mois. Le Duc recouvrait ses duchés de Lorraine et de Bar. Pour le second, il faisait hommage tant en son nom qu'en celui de la duchesse Nicole. Louis XIII s'engageait à évacuer la Lorraine le plus tôt possible, mais il gardait les places de Clermont, Stenay, Jametz et Dun. Les fortifications de Marsal seraient rasées, Nancy continuerait d'être occupée par les troupes du Roi et ses murailles seraient démolies[27]. La clause concernant les droits de la duchesse Nicole ne fit aucun plaisir à Charles IV ; le traité n'en fit pas davantage à la duchesse elle-même, qui eût été heureuse de voir le Roi se déclarer pour elle contre sa rivale. Mais le cardinal avait mandé à Chavigny : Il est à propos que vous voyiez Mme de Lorraine (la duchesse Nicole) pour lui dire ce qui s'est passé, particulièrement en ce qui touche ses intérêts. Vous lui ferez connaître comme il lui est avantageux que son procès soit remis au jugement du Pape purement et simplement[28]. Et Richelieu ajoutait le 6 avril : Je m'étois bien douté que Mme de Lorraine avaleroit avec amertume la pilule du traité[29]. Le 20, Charles IV entendit la messe dans la chapelle du château de Saint-Germain. Au dîner qui suivit, on le fit asseoir, en signe de vassalité, sur un pliant que recouvrait un carreau de velours et que deux places vides séparaient de la chaise du Roi. Puis en présence de tous les princes de la maison de Lorraine que l'on avait pu rassembler, la cérémonie du serment se déroula. Les vêpres furent chantées dans la chapelle et ce fut M. de Péréfixe, chapelain du Roi, qui officia. Le Roi et le Duc allèrent s'agenouiller au pied de l'autel, côte à côte, l'un sur son accoudoir, l'autre sur un carreau de velours. Ils baisèrent le livre des Évangiles, que leur présenta M. Séguier, évêque de Meaux, aumônier de Sa Majesté, et ils jurèrent d'observer inviolablement le traité. On pouvait prévoir que le Duc ne l'observerait pas plus que la foi qu'il avait jurée à la duchesse Nicole. Après la cérémonie, il alla voir à Paris l'épouse délaissée, qui, traitée par lui de Madame, lui dit en pleurant : Ne suis-je donc pas votre femme ? et ne put tirer de son volage époux qu'un Ma Cousine des plus froids[30]. Lorsque, huit jours plus tard, il eut regagné ses États, ses peuples, qui se portaient sur son passage avec des transports de joie, criaient : Dieu conserve et bénisse Monseigneur le Duc, ses deux femmes et sa fille ![31] Cependant le cardinal lui écrivait le 17 juin 1641. : Monsieur, j'envoie ce gentilhomme, l'un de mes domestiques, pour voir si je suis bonne caution à moi-même de ce que je me promets de Votre Altesse depuis le voyage qu'elle a fait -cet hiver à la Cour. Elle m'a tant assuré que j'aurois à l'avenir toute part à sa conduite et que deux lignes du cardinal de Richelieu lui feroient faire tout ce qu'il lui témoigneroit désirer d'elle. Je ne doute point que vous ferez de bonne grâce, et pour l'amour de moi, ce que demande de vous Sa Majesté... Votre parole, votre seing et votre honneur vous y obligent... j'espère que vous le ferez pour l'amour de moi, puisque je vous en prie[32]. Le cardinal n'ignorait pas alors que le duc de Lorraine devait se rencontrer à Luxembourg avec le duc de Guise. C'était cet Henry de Lorraine qui, jouissant des revenus de l'archevêché de Reims, sans avoir reçu les ordres sacrés et proposant au cardinal de résigner tous ses bénéfices à condition d'épouser Anne de Gonzague, avait essuyé cette ironique réponse : Quoi ! vous jouissez de quatre cent mille livres de rente en bénéfices et vous renoncez pour une femme à un morceau si friand. Je vous admire. D'autres sacrifieraient quatre cent mille femmes, s'ils les avoient, pour ce que vous prétendez quitter. Le duc de Guise avait gagné Sedan et il avait partie liée avec le comte de Soissons. Or le comte de Soissons était à là veille de se révolter. Le comte de Soissons. Quelques mois auparavant, M. de Noyers se trouvait à Richelieu pour compter avec les ouvriers qui y avoient travaillé et faire de nouveaux marchés. Le château de Richelieu n'était pas fort loin du grand chemin de Gascogne. Ayant appris qu'un gentilhomme de M. de Soubise, venant d'Angleterre, suivait cette route, le secrétaire d'État le fit arrêter. Le gentilhomme, qui se nommait M. de La Vigerie fut trouvé porteur de lettres de MM. de Soubise et de La Valette adressées au duc d'Épernon et au marquis de La Force, fils du maréchal. Ces lettres assuraient que, l'occasion étant favorable, l'on pouvoit faire prendre les armes aux huguenots en Guyenne et tirer de grands avantages de l'embarras où étoit la Cour ; enfin qu'il n'y auroit pas faute de gens et des plus grands qui entreroient dans le parti, dès qu'on auroit l'épée à la main. L'on pensa que la main de la Reine mère était dans cette intrigue et peut-être celle de Monsieur le Comte : celui-ci était, en effet, des plus liés avec le duc de Bouillon. Richelieu n'oubliait pas que Frédéric-Henri, prince d'Orange, oncle de M. de Bouillon, était nouvellement obligé à la Reine mère[33], qui avait fait travailler ardemment au mariage de son fils Guillaume de Nassau avec la princesse d'Angleterre, fille d'Henriette-Marie de France. Louis XIII en avait même pris quelque ombrage : Pour le mariage du fils du prince d'Orange, écrivit-il à Richelieu, je le trouve fait un peu brusquement, et me semble que le prince d'Orange pouvoit m'en faire dire un mot avant que de conclure[34]. Conduit à la Bastille et interrogé, M. de La Vigerie
déclara que Monsieur le Comte entreroit en
Champagne, dès que les autres armeroient en Guyenne et que M. de Soubise en
même temp descendroit sur quelqu'une des côtes de France. Louis XIII
ayant dit que le comte de Soissons étoit de cette
conspiration contre son État, cette parole vola jusqu'à Sedan et
Monsieur le Comte lui écrivit aussitôt : J'envoie Campion
à Votre Majesté, auquel je la supplie d'avoir créance, pour l'assurer que
c'est une pure calomnie, où il ne se trouvera jamais rien de vrai. Je crois
que Votre Majesté aura assez de bonté pour ne me pas refuser la justice que
je lui demande, de pousser à bout l'accusation... qui lui a été faite contre moi, afin que, devant elle et
devant le monde, la vérité s'en connaisse[35]. Le même jour,
il avait mandé au cardinal : Étant entièrement
innocent de l'accusation qu'on a faite contre moi, j'ose espérer que vous ne
me refuserez pas vos bons offices[36]. Ce fut dans la matinée du 16 décembre que M. de Campion, qui avait vu Louis XIII à Saint-Germain, se présenta à Rueil, où Richelieu lui avait donné audience. Le ministre lui fit cent caresses. Il lui dit qu'il voulait croire à l'innocence du prince en dépit des propos fort compromettants de M. de La Vigerie : Sur quoi, manda le soir même M. de Campion à son maître, ayant fort assuré M. le Cardinal que vous n'aviez eu aucun commerce en Angleterre ni en Flandre, il m'a dit que M. l'Abbé de Mercy étoit à Sedan, qui venoit ,de Bruxelles, et a fait appeler M. de Noyers ; mais en attendant qu'il entrât, il m'a dit que si M. l'Abbé de Mercy n'étoit pas venu pour vous, c'étoit pour M. de Guise et pour M. de Bouillon et que don Miguel de Salamanca étoit venu à Montmédy pour conférer avec eux... Je lui ai reparti que je croyois M. de Guise et M. de Bouillon aussi innocents de tous les crimes qu'on leur imputoit, mais que, comme ils n'avoient pas été accusés, je n'avois aucune charge de parler pour eux[37]. M. de Noyers avait alors paru dans la chambre et confirmé les propos attribués à l'hôte de la Bastille : Il n'y a rien de si facile que de faire parler un prisonnier, avait répliqué M. de Campion. Et le cardinal de conclure avec un sourire : Vous êtes en colère, Monsieur, je témoignerai au Roi ce que vous m'avez dit et je crois sur votre parole que Monsieur le Comte est innocent de ce dont on l'accuse[38]. Richelieu se rendit ensuite à Saint-Germain et, le soir, Campion reçut à Paris les réponses que le Roi et le cardinal venaient de faire aux lettres du comte de Soissons. Mais le prince ne voulut point se contenter de cette eau bénite de cour. Il répliqua le 21 décembre : Sire, par la lettre qu'il a plu à Votre Majesté de m'écrire du 13 de ce mois, elle me mande avoir volontiers entendu Campion, .qui lui a parlé fort différemment des avis qu'elle a d'ailleurs ; que jusques ici elle a cru que mon esprit se contiendroit dans les termes qu'elle pouvoit désirer pour l'amour de moi-même, maintenant qu'elle en prioit Dieu de tout son cœur, comme aussi que je lui donnasse lieu de me témoigner son affection. Ce sont les mêmes termes de la lettre de Votre Majesté. A quoi, avec le respect que je lui dois, je lui répondrai que, puisqu'elle a des avis si différents de ce dont je l'assure de mon entière innocence, il lui importe d'en connaître la vérité, et c'est ce dont je l'ai déjà suppliée sans en avoir réponse, et dont je la supplie très humblement encore, et de plus que mes accusateurs et mes accusations paraissent dans son Parlement. Si je me trouve coupable, il n'y a rigueur que je ne désire souffrir. Si mon innocence paraît, comme j'en suis très assuré, je supplie Votre Majesté que ceux qui m'accusent soient punis devant tout le monde[39]. Monsieur le Comte écrivit une lettre semblable à Richelieu[40] et Campion fut chargé de porter les deux lettres aux deux destinataires. Au Palais-Cardinal, qu'avait regagné le ministre, Campion, au lieu de la douceur habituelle de Son Éminence, ne trouva qu'emportements et menaces. Comme le ministre observait que c'était au Roi à choisir des juges et non' au prince, Campion osa répliquer : Monsieur le Comte n'en a point d'autres que le Parlement, et le Roi est trop juste pour ne le lui point accorder. Puis il partit pour Saint-Germain à toute bride, de peur que Richelieu n'eût le temps de mander à Louis XIII de ne pas recevoir la lettre dont il était porteur. A Saint-Germain un peu plus tard, rentré au logis où il était descendu, Campion écrivait au comte de Soissons que le Roi venait de lui donner audience : Je l'ai trouvé soupant, expliquait-il, et, sans me montrer, je me suis tenu sous la-porte de son cabinet, où je lui ai présenté votre lettre et je l'ai suivi. Il l'a lue avec attention et a bien voulu que j'aie raisonné avec lui sur vos intérêts, et il m'a écouté favorablement jusqu'à ce que M. de Chamarande (premier valet de chambre de Son Éminence) lui est venu apporter une lettre de M. le Cardinal. Car sitôt qu'il a eu achevé de la lire, il a donné le bonsoir et m'a dit qu'il vous feroit demain réponse[41]. Il semble qu'un autre gentilhomme de Richelieu avait devancé et Campion et M. de Chamarande, si l'on en croit ce billet de Louis XIII au cardinal, daté du 28 décembre 1640 : Une heure après que j'ai reçu votre lettre, Campion est arrivé, qui m'a donné la lettre de Monsieur le Comte, que je vous envoie. Je lui ai demandé ensuite s'il n'avoit rien à me dire, parce que la lettre se remettoit en quelque chose sur lui : il m'a parlé, avec toutes les soumissions et respects qu'il se peut, de la part de Monsieur le Comte., Je lui ai dit ensuite que Monsieur le Comte demandait dans sa lettre le Parlement pour juge ; et, lui ayant dit là-dessus ce que vous m'aviez mandé de lui dire, il m'a répondu que Monsieur le Comte ne vouloit autre juge que moi-même et que ce qu'il avoit demandé le Parlement n'étoit que croyant que je m'en voudrois pas prendre la peine, et qu'il ne'vouloit autres juges que ceux que j'aurois agréables ; mais qu'il me supplioit encore, de la part de son maître, de vouloir permettre qu'il se pût justifier, se sentant innocent. Tout cela avec de belles paroles... ce qui m'a trompé, car je croyois qu'il me (lût parler avec hauteur, vous ayant écrit comme il a fait. Je lui ai répondu que je ferois réponse à Monsieur le Comte ; il s'en est allé là-dessus[42]. Cette réponse, ce fut
Richelieu qui la rédigea : Depuis la lettre que je
vous ai écrite par mon gentilhomme, lui mandait Louis XIII le 3
janvier 1641, j'ai reçu la vôtre et la lettre que je
dois écrire à Monsieur le Comte. J'ai vu aussi les deux extraits que vous
m'avez envoyés, que je vous renvoie dans ce paquet : dans l'un l'on voit le
mauvais dessein de Monsieur le Comte ; dans l'autre, la recherche qu'ils
veulent faire des Hollandais pour la trêve[43]. Ils, c'étaient le duc de Bouillon et le comte
de Soissons, qui s'efforçaient de détacher de l'alliance française MM. les
États. Les réponses du Roi et du cardinal n'en furent pas moins ce que
pouvait désirer l'hôte de Sedan, car, le 11 janvier, ce billet partit à
l'adresse de Son Éminence : Monsieur, Sa Majesté
m'ayant témoigné, par la lettre qu'il lui a plu m'écrire, qu'elle croyoit mon
innocence, j'ai cru vous avoir obligation de lui avoir fait connaître cette
vérité. C'est ce qui m'oblige à vous en remercier et vous assurer que je
suis, avec beaucoup d'affection, votre très humble serviteur[44]. Richelieu
estimait qu'il était habile de paraître dupe et il avait soin de ne pas
mettre à la Bastille M. de Campion, que Monsieur le Comte s'inquiétait de
voir demeurer si longtemps à Paris : Je fais ici ce
que je veux pour vos affaires, expliquait M. de Campion à son maître le 21
janvier, M. le Cardinal n'ayant garde de s'assurer de moi, tant qu'il
espérera vous pouvoir avoir vous-même ; et j'ai si peu d'appréhension, que
j'ai même été à la comédie de Mirame
dans le carrosse de Madame le Princesse, où étoient Mlle de Bourbon (Anne de Bourbon Condé, future duchesse de
Longueville) et Mlle votre nièce (Marie d'Orléans Longueville, future duchesse de
Nemours), que j'avais l'honneur de mener. La
première étoit si belle et si triomphante, que, si vous l'aviez vue en cet
état, je ne doute pas que vous ne lui donnassiez l'avantage sur toutes les
beautés que vous avez jamais connues. Je me suis trouvé assis près de M. le
Cardinal, qui avait tant d'attention au récit de sa comédie qu'il ne pensoit
qu'à s'admirer soi-même en son propre ouvrage[45]. Campion connaissait bien mal Richelieu. Le ministre ne
prétendait nullement avoir écrit la pièce de Desmarets et, d'autre part, sa
vigilance était loin d'être endormie. Le ministre savait résister à
l'impatience du Roi. C'est en vain que Louis XIII avait mandé le 8 janvier : Pour l'affaire de Monsieur le Comte, j'y persiste et crois
que le plus tôt qu'on la pourra faire éclater, ce sera le meilleur[46]. Mais le
cardinal voulait auparavant avoir pénétré les moindres secrets des
conspirateurs de Sedan. Ce fut en ce mois de janvier 1641 qu'il écrivit au colonel Gassion, qui se trouvait alors du côté d'Arras, dans ses quartiers d'hiver : Toutes les heures de paix, vous serez souhaité ici, et le Roi, qui vous désire présent à ses armées quand elles doivent agir, n'entend pas que tous ne goûtiez pas une partie du repos commun. Je vous ai mandé là-dessus ce qui étoit de son dessein, venez[47]. Gassion, qui, au siège d'Arras, avait eu querelle avec le maréchal de La Meilleraye, crut que le Roi et son ministre le mandaient pour le faire arrêter. Il fit exposer ses inquiétudes à M. de Noyers par son frère, et reçut bientôt du secrétaire d'État une lettre des plus encourageantes : Croyez-moi, quittez toutes vos alarmes frivoles et mal fondées et ne manquez pas de vous rendre à Rueil : je vous réponds de tout événement et que l'on ne vous souhaite que pour votre bien... A votre arrivée à Rueil, abandonnez-vous aux désirs de Son Éminence et, sur ma parole, attendez-vous à des choses qui vous surprendront et qui porteront votre fortune au delà de vos espérances. Gassion partit avec son frère. Le voici à Saint-Germain, qui salue le Roi, puis à Rueil devant le cardinal. Avant d'entrer dans le cabinet de Son Éminence, Gassion vient d'avoir un bref entretien avec M. de Noyers, qui lui a fait cette suprême recommandation : Approuvez sans examiner et sans approfondir tout ce qu'il vous proposera, et comme Gassion, qui est protestant, a demandé : Quoi ! la messe aussi ! M. de Noyers a répondu : Non, non, il ne s'agit ici que d'une action et d'une foi humaines, où vous trouverez votre compte. A présent le cardinal prie Gassion de lui jurer le secret,
et, aussitôt le serment obtenu, il commence : J'ai
des ennemis, M. de Gassion, que vous connaissez et qui vous connaissent, ils
ne manqueront pas de vous révolter contre moi et, sous de faux prétextes, de
vous envelopper dans les desseins qu'ils ont formés contre moi et contre l'État.
Je serois au désespoir de vous voir dans un si mauvais parti et j'ai bien
voulu vous avertir de vous précautionner contre leurs pièges. Ouvrez-moi
votre âme pleinement, nettement, et entièrement. Gassion ayant répondu
qu'il n'y avoit aucun péril capable de l'arrêter,
quand il s'agissait de M. le Cardinal, Son Éminence tira de son doigt
un diamant magnifique : Ce ne sont là que des arrhes,
dit-il ; vous verrez comme j'aime mes amis, quand
ils sont gens de mérite. Une autre fois, il aborda le sujet du comte de Soissons réfugié à Sedan et près de s'avancer à travers le Royaume, à la tète d'une armée : J'avois craint, expliqua le ministre, que ces rebelles, connoissant votre bravoure et de quoi vous êtes capable, ne vous eussent proposé de vous joindre- à eux, pour priver le Roi lies grands services que vous pouvez lui rendre, quand il s'agira de battre cette faction. Gassion ne cacha point qu'il saurait bien, avec des troupes et du canon, réduire les factieux. Le cardinal lui promit de le présenter lui-même au Roi. Il l'emmena bientôt à Saint-Germain avec M. de Noyers et entra seul dans le cabinet du Roi, qui, au bout d'une demi-heure, fit introduire Gassion et le secrétaire d'État. Louis XIII était étendu sur un lit de repos, non loin de Richelieu assis sur un siège ; il dit au colonel qu'il étoit fort content de lui et qu'il acceptoit volontiers les offres de service qu'il avoit faites à M. le Cardinal. Mais voici M. de Noyers qui s'approche du Roi. Il vient l'entretenir des affaires de l'État et Gassion ne peut que lui céder la place. Il n'était pas plus avancé que devant. A peine de retour à
Rueil, le cardinal lui dit tout à coup : Le Roi
entend se servir de vous en l'affaire de Monsieur le Comte et moi, je suis
garant de votre secret, de votre zèle, de votre fidélité. Gassion
apprit alors que les princes avaient résolu de le gagner à leur cause : Je tuerai, s'écria-t-il, le
premier qui osera, m'en parler. — Non, pas
cela, dit Richelieu, il vous faut tout
écouter, il vous faut faire vos conditions, il vous faut leur promettre vos
troupes et les empêcher ainsi d'en faire d'autres, et, dans l'occasion, s'il
s'en présente une pour le combat, déclarer que vous êtes bon serviteur du Roi.
Gassion paraissait atterré. Le cardinal crut devoir lui remontrer qu'il n'y avoit parmi les vrais braves aucun qui, refusât
le parti qui lui étoit offert, il invoqua la raison d'État : Monseigneur, repartit Gassion, comptez sur ma vie et sur ma mort, quand il faudra vous
servir, mais donnez m'en l'occasion sans intrigue et sans trahison. Je vous
rendrai bon compte de vos ennemis, mais je veux qu'ils soient les miens.
— Monsieur, répliqua le cardinal, le Roi veut être servi à sa manière et il a de quoi
reconnaître ses serviteurs et leurs services. Là-dessus, le ministre
et le colonel se séparèrent. Richelieu ne se tint pas pour battu. Après avoir dépêché auprès de Gassion, le persuasif M. de Noyers, il revint à la charge le lendemain. Gassion, mandé par Son Éminence, reçut un accueil fort gracieux : Mon pauvre colonel, mon ami, disait le cardinal, je vous donne bien de la peine, mais je vous en suis aussi bien obligé. Vous êtes plus à moi que vous ne pensez et vous êtes peut-être plus mal satisfait que moi de ce que vous me dîtes hier. — Monseigneur, répondit Gassion, je ne puis vous rien donner de plus que ma vie et ma foi ; je perdrai celle-là avec plaisir pour Votre Éminence, mais je ne hasarde point celle-ci. — C'est assez, conclut Richelieu, votre fortune en peut pâtir, mais non pas mon estime. Estime si profonde que, dans une lettre qu'il adressa quelque temps après à Gassion, il mit ce post-scriptum : Autant que vous avez été secret pour l'affaire de Champagne, autant j'ai su parler de votre honneur, de votre cœur et de votre zèle ; vous en verrez l’effet[48]. Vers la fin d'avril 1641, grâce aux aveux de M. de La Vigerie et à la fidélité du maréchal de La Force, le cardinal se trouvait bien éclairci des desseins que Monsieur le Comte, MM. de Reims et de Bouillon avoient de s'unir avec l'Espagne pour exciter quelque révolte en France. Richelieu songeait à user de moyens nouveaux. L'on pouvait encore, par nécessité, dissimuler et leur laisser faire toutes leurs négociations, qui seroient peut-être suivies d'effets dans la Champagne, aux villes de laquelle il falloit prendre garde et avoir des gens partout. Mieux valait désormais prévenir le mal par la voie suivante : d'abord envoyer Bouthillier avertir Madame la Comtesse qui se trouvait à Paris, que la mauvaise conduite de Monsieur le Comte obligeait Sa Majesté à prendre des mesures et que le Roi n'avait pas voulu le faire sans lui en donner avis à elle-même. Cela fait, le Roi donneroit tel ordre qu'il lui plairoit dans sa maison, sans avoir égard à Monsieur le Comte, qui en était le grand maître et que, jusqu'alors, on envoyait consulter à Sedan. Il fallait mettre un homme de qualité clans le gouvernement de Champagne, faire défense à toutes les villes de reconnaître pour gouverneur Monsieur le Comte, que l'on priveroit en outre, de ses pensions et de la jouissance de ses bénéfices. Il fallait envoyer à Turenne un homme de confiance (Fabert par exemple), qui lui feroit connaître que le Roi ne vouloit point la ruine de sa maison, mais bien de l'infidélité de son frère aîné. II fallait saisir les revenus de tout le bien que M. de Bouillon avoit en France et défendre tout commerce avec Sedan. D'autres précautions paraissaient à Richelieu fort nécessaires : signaler au prince d'Orange et à MM. les États les criminelles manœuvres de M. de Bouillon, à Mme de Guise douairière celles de M. de Reims, à M. d'Épernon celles du duc de La Valette. M. d'Épernon serait invité à rompre toute communication avec son fils rebelle : il ne lui enverroit aucun argent, ce dont ledit fils n'avoit pas besoin pour sa subsistance, à cause qu'il en tiroit du roi d'Espagne[49]. Monsieur le Comte hésitait encore entre l'accommodement et
la révolte. Pressé par M. de Bouillon, qui lui disait que, quelque parti
qu'il voulût prendre, l'hésitation ne pouvait que nuire à ses intérêts, il
finit par se résoudre à s'entendre avec les Impériaux et les Espagnols. M. de
Bouillon assura qu'il tiendrait toutes les promesses qu'il lui avait faites,
mais il lui objecta le danger de soutenir un siège dans Sedan, si l'on
n'avait une armée aussi forte que celle du Roi. Il ne manqua point de
rappeler l'habitude qu'avaient et l'Empereur et le roi d'Espagne de violer
les engagements qu'ils avaient pris à l'égard des princes rebelles, qui ne tardoient pas à leur devenir à charge, s'ils
n'étoient pas secondés au-dedans du Royaume : Leurs intérêts et les nôtres, disait le duc, seront toujours opposés dans le fond. Nous voulons entrer
en France pour y exciter des mouvements capables de renverser la fortune du
cardinal. Nous devons chercher notre sûreté dans une paix avantageuse et dans
l'établissement d'un nouveau ministre. La maison d'Autriche doit souhaiter au
contraire que nos divisions se perpétuent et par conséquent que le ministre
qui les cause subsiste toujours[50]. Ces sages remarques ne convainquirent point Monsieur le Comte. Cédant à la haine que lui inspirait le cardinal, il signa, — conjointement avec le duc de Bouillon, — un acte qui fut porté à Bruxelles par un agent chargé de traiter avec l'Empereur et le cardinal infant. Les deux princes, dans cet écrit, s'engageaient à repousser tout accommodement séparé. Le duc de Guise voulut suivre les signataires dans leur rébellion et il pria le baron de Beauvau de négocier pour lui à Bruxelles. Bientôt le duc d'Orléans reçut des lettres du comte de Soissons qui cherchaient à le détacher, lui aussi, du service du Roi. Il se contenta de les envoyer à Louis XIII. Monsieur le Comte essaya de gagner à sa cause le duc d'Épernon, mais l'ancien gouverneur de Guyenne ne pouvait plus rien dans sa province, depuis que Monsieur le Prince l'y avait remplacé. Il n'est pas jusqu'à Cinq-Mars qui ne pensât être en butte aux tentatives des agents de Monsieur le Comte. L'un de ceux-ci, le comte de Fiesque, voulut le faire solliciter par M. de Fontrailles, mais ce seigneur, qui jugeait, l'occasion peu favorable pour M. le Grand, s'excusa sur ce qu'il était obligé de se rendre dans ses terres. L'on était alors à la fin du mois de mai 1641. M. de Beauvau reparut à Sedan. Il apportait un traité aux termes duquel sept mille hommes devaient être fournis par l'Empereur, sept mille hommes et deux cent mille écus par le roi d'Espagne. Les hommes du roi d'Espagne n'arrivèrent pas, ses écus arrivèrent en assez petit nombre. L'on ne vit guère à Sedan que les sept mille Impériaux, conduits par le baron de Lamboy[51]. Le 24 de ce même mois de mai, Louis XIII, qui se trouvait au château de Danguy près de Gisors, écrivit au cardinal : Je vois, par ce que vous me mandez, que le siège d'Aire (sur la Lys) commence très bien, j'espère que nous en aurons bonne issue avec l'aide du bon Dieu. Je partirai lundi d'ici pour aller coucher à Gournay, mardi à Aumale et mercredi à Abbeville[52]. Le duc de Bouillon. Deux mois ne s'étaient pas éculés que Richelieu, depuis quelques jours à Reims, envoyait ces nouvelles à Condé, toujours sur la frontière d'Espagne : M. de Châtillon a perdu une bataille, Monsieur le Comte est mort, nous en avons gagné une autre en Allemagne, beaucoup plus importante. Le siège d'Aire va bien. Quand il sera fini, nous délogerons, avec l'aide de Dieu, les mauvais Français et les Espagnols du bord de la Meuse, où ils sont[53]. La bataille perdue par M. de Châtillon, c'était la bataille de La Marrée, gagnée par le comte de Soissons, le 6 juillet 1641, près de Sedan, victoire inutile, le vainqueur ayant eu l'imprudence de soulever la visière de son casque avec le bout d'un pistolet chargé, dont le coup partit et lui cassa la tête[54]. Le cardinal ne pleura point cet ennemi de l'État. Il écrivit à M. d'Avaux : Si M. de Châtillon a perdu une bataille par sa pure faute, la France a beaucoup gagné en la perte de Monsieur le Comte[55]. Le 26 juillet, tandis que Richelieu faisait ainsi l'oraison funèbre du prince rebelle, la ville d'Aire ouvrait ses portes au maréchal de La Meilleraye. Cependant le duc de Bouillon ne cherchait guère à profiter de la victoire de La Marfée. Puységur s'étant rendu à Sedan pour négocier un échange de prisonniers, le duc se montra disposé à se réconcilier avec le Roi. Le paiement de trois années d'arrérages, dus pour l'entretien de la garnison de sa principauté, un emploi dans l'armée du Roi, des bénéfices pour ses enfants, la reconnaissance de sa souveraineté, l'autorisation de faire inhumer en France le corps de Monsieur le Comte, telles étaient les conditions auxquelles il consentirait de mettre bas les armes. Les Espagnols, qui craignant cet accommodement, envoyèrent au duc un mémoire pour lui rappeler que le cardinal ne pardonnait jamais, témoin les ducs de Puylaurens et de La Valette, qui n'avaient pu être sauvés par leur qualité de parents de Son Éminence. Mais deux faits balancèrent leur éloquence : l'inexécution de leurs promesses et le départ du baron de Lamboy, qui après avoir contribué à la prise de Donchery, petite place située à deux lieues de Sedan, avait repassé la Meuse pour rejoindre le cardinal infant. Louis XIII marcha de Rethel sur Donchery le 29 juillet et s'installa dans une maison de Mézières. Ce même jour, Richelieu vit arriver à son quartier Puységur, qui s'étonna que Donchery tînt si longtemps : C'est, répondit le cardinal, l'opiniâtreté de votre maître et du mien qui en est cause. Vous savez bien que M. de Bouillon ne veut pas qu'on fasse le procès du cadavre de Monsieur le Comte, et le Roi le veut. — Si votre Éminence lui en parloit comme il faut, je crois qu'il y consentiroit. — Il m'a défendu de lui en parler et s'est même emporté cret7r–e moi ; je ne le veux pas fâcher, j'ai à combattre son humeur, celle du petit coucher et celle du cabinet : cela me fait plus de peine que tout ce que pourroient faire l'Empereur et le roi d'Espagne contre les desseins que nous avons, je suis assuré que j'en viendrois plus tôt à bout. Sous prétexte d'aller prendre le mot d'ordre pour le porter à l'armée, Puységur, sur le conseil de Richelieu, courut aussitôt chez Louis XIII. Il y avait déjà quelque temps qu'il s'entretenait -avec le Roi, qui était couché sur son lit. Il venait de lui dire : Monsieur le Comte étoit votre filleul et portoit votre nom. Quand on le condamnera à être traîné sur la claie, on le nommera Louis de Bourbon dans toute l'instruction du procès et dans les sentences de condamnation. Soudain Richelieu entra suivi de M. de Noyers : J'ai ici, lui dit Louis XIII, un entretien avec Puységur, qui me demande pourquoi je me veux venger contre le corps de Monsieur le Comte, puisque Dieu prend ce soin lui-même. Le cardinal convint que Puységur avait raison, puis, avec M. de Noyers, il accompagna le Roi, qui passa dans son cabinet. Puységur ne tarda pas à y être appelé : Allez à Sedan, lui commanda Louis XIII, dites à M. de Bouillon que je consens qu'on sorte de la ville le corps de Monsieur le Comte, qu'on le mette dans un chariot couvert de noir, accompagné de cinq ou six gentilshommes à cheval, qui le conduiront jusqu'à Pont-Audemer ; là, l'on le mettra dans un bateau[56] pour le conduire à Gaillon[57], où il sera inhumé. J'enverrai demain de grand matin les passeports et l'ordre pour Pont-Audemer, après quoi, M. de Bouillon me pourra venir voir[58]. Le lendemain, parti de Sedan à huit heures du matin, le duc vint trouver le Roi, il se mit à genoux devant lui et dîna ensuite avec le cardinal. Il fut aussi bien reçu de Richelieu qu'il l'avait été de Louis XIII, mais ayant été voir M. de Cinq-Mars dans sa chambre, les paroles qu'il y entendit le jetèrent dans la plus profonde surprise. Cinq-Mars se vantait alors d'être bientôt connétable et premier ministre. Il était fort irrité contre le cardinal, qui ne voulait ni le laisser créer duc et pair ni lui permettre d'épouser la princesse Marie de Gonzague, que Monsieur avait jadis recherchée : Je ne crois pas, disait Son Éminence, que la princesse Marie ait tellement oublié sa naissance, qu'elle veuille s'abaisser jusqu'à un si petit compagnon. Au dire de M. Le Grand, le Roi était ravi de
l'accommodement de M. de Bouillon ; à présent, il avait
un brave homme à soi. Fort persécuté de M. le Cardinal, le Roi ne
savait comment s'en défaire, n'ayant pas une seule place pour sa retraite : Il espère, conclut Cinq-Mars, que vous l'aiderez tant de votre personne que de la ville
de Sedan. — Monsieur, répondit M. de
Bouillon, je suis bien étonné de ce que vous me
dites et j'ai bien de la peine à le croire. Je connais M. le Cardinal pour un
des plus habiles hommes et des plus grands ministres qui soient au monde et
le plus fidèle à son maitre. Si le roi d'Espagne en avait un pareil, ses
affaires seroient bien en meilleur état qu'elles ne sont. Et comme
Cinq-Mars insistait : Si le Roi a dessein de se
défaire de M. le Cardinal, repartit M. de Bouillon, vous devez l'en détourner vous-même, si vous le pouvez :
le Roi ne sauroit trouver un meilleur homme que lui pour le gouvernement des
affaires[59]. Un si beau loyalisme montre combien le duc de Bouillon craignait de compromettre les avantages d'un accommodement qui n'était pas encore signé. Cet accommodement comportait deux actes, dont l'un fut signé du Roi le 3 août et l'autre du cardinal le 5. Dans le premier, était contenu le pardon accordé ; les conditions étaient énumérées dans le second. Il y était notamment spécifié que le Roi ferait cesser les poursuites commencées au Parlement contre Monsieur le Comte et qu'il donnait la permission d'inhumer en France les restes du défunt. Tous les complices du duc de Bouillon et du comte de Soissons recevraient leur pardon et seraient rétablis dans leurs biens à l'exception du duc de Guise et du baron du Bec. La protection accordée à M. de Bouillon en 1616 serait renouvelée, le rang de ce prince maintenu, les privilèges de Sedan et de la vicomté de Turenne en Limousin conservés. Le souverain de Sedan signa les deux actes le 6 août 1641. Depuis le 2, les lettres d'abolition étaient enregistrées au Parlement. Celles qui renouvelaient la protection de Sedan le furent le 26 : elles octroyaient une pension de dix mille livres à M. de Bouillon, une de deux mille à son fils, une de douze cents au gouverneur de Sedan, trente-six mille livres annuelles pour l'entretien d'une troupe d'infanterie et d'un corps de cent hommes d'armes. En retour, les troupes prêteraient serment de fidélité au Roi ; les enfants du duc aussi, faute de quoi leur père leur refuserait l'entrée de la ville[60]. Cependant Louis XIII n'avait pardonné que des lèvres à la
mémoire du comte de Soissons et Richelieu écrivait à Bouthillier, non sans
ironie : Sa Majesté a trouvé mauvaise la promptitude
avec laquelle Madame la Princesse et toute sa famille s'est couverte de deuil
en la mort de Monsieur le Comte. Cela passera connue le monde, qui finira un
jour[61]. Le 6 septembre, le duc de Guise fut condamné à être décapité, sentence qui fut exécutée en effigie. L'inaction de son cousin le duc de Lorraine était l'une des causes de la défaite de La Marfée. Au lendemain de cette trahison le cardinal essayait encore de retenir Charles IV dans l'alliance française. Il lui écrivit le 7 juillet 1641 : Je ne doute point que l'accident arrivé à M. de Châtillon ne hâte Notre Altesse de venir trouver le Roi avec vos troupes, ou votre commandement sera d'autant plus honorable qu'il sera sous le propre commandement du Roi. Vous donnerez lieu, par ce moyen, à Sa Majesté de vous témoigner de plus en plus son affection et à moi de reconnaître que la parole d'un prince comme vous est inviolable[62]. Cette parole était déjà plus qu'à demi violée. Le prince refusa les offres du cardinal et tenta vainement d'obtenir que la Lorraine fût neutralisée- pendant la guerre et complètement évacuée après la paix générale. Le 28 juillet, il fit part de sa défection à Richelieu qui dépêcha vers lui M. de Saint-Aoust avec de nouvelles offres, mais il ne put être rejoint, car il avait déjà rallié en Flandre le camp des Espagnols. La guerre fut déclarée à Charles IV le 15 août 1641, et,
le 31, la princesse de Phalsbourg mandait à Chifflet, son médecin : Les Français ont tout pris en Lorraine, excepté La Mothe,
Épinai, Remiremont, Mirecourt et ce qui est sur la frontière du Luxembourg[63]. Mais
Bar-le-Duc, Pont-à-Mousson, Saint-Mihiel, Ligny, Gondrecourt ne tardèrent pas
à ouvrir leurs portes à l'armée du Roi, commandée par le comte de Grancey.
Puis Neufchâteau, Épinal, Châtel sur la Moselle, tombèrent. Charles IV, à la
fin d'octobre, contraignit Grancey à lever le siège de Dieuze puis il s'en
fut au delà de la Sarre. Il n'avait point cessé jusqu'alors de négocier avec
Richelieu, qui lui avait écrit le 7 octobre : Monsieur,
Votre Altesse reconnaissant sa faute comme elle fait, je ne manque point de
bonne volonté de procurer sa réconciliation auprès du Roi pourvu qu'elle
trouve moyens qui puissent, pour l'avenir, donner assurance contre les changements
inopinés qui arrivent quelquefois à sa conduite[64]. Charles IV
n'accepta point l'unique condition que Louis VIII mettait à son pardon : le
licenciement immédiat de l'armée lorraine, qui entrerait au service du Roi.
Il ne se laissa point tenter par les promesses que lui fit le cardinal :
Remiremont et Épinal lui seraient rendus, il aurait la permission de résider
à La Mothe et recevrait cent mille écus par an, qui lui
seraient payés de mois en mois[65]. A la fin de
l'année 1641, il se retira aven ses troupes dans la direction de la Sarre et
se trouva de nouveau, — selon la formule plaisante que Henri IV appliquait au
duc de Savoie, — duc sans Lorraine, rentré dans ses quartiers avec un visage
qui témoignait du mécontentement. Saint-Preuil. Au lendemain de la mort de Monsieur le Comte, le cardinal-infant avait repris la ville de Lillers, conquise par Gassion durant le siège d'Aire, puis il avait obligé le maréchal de La Meilleraye à s'éloigner de cette dernière place et l'avait aussitôt investie. Pour obliger lui aussi le cardinal infant à s'éloigner des murailles d'Aire, le maréchal de La Meilleraye, à qui s'était joint le maréchal de Brézé avec des troupes nombreuses, résolut d'assiéger les villes espagnoles : On était persuadé, rapporte le Père Griffet, que ces deux hommes ne pourraient jamais s'accorder ensemble, mais ils trompèrent l'attente publique et l'on vit avec étonnement le maréchal de Brézé avoir toute sorte de complaisance pour le maréchal de La Meilleraye. Le désir de plaire au cardinal de Richelieu était le lien qui les unissait et la crainte de s'attirer quelque reproche de Sa Majesté suffisait pour dompter leur humeur altière[66]. Cette bonne correspondance, pour parler comme le maréchal de La Force, qui n'avait pu l'obtenir entièrement, quand il commandait avec Brézé, comblait d'aise le ministre qui, de Corbie, en constatait les résultats : Le siège d'Aire continue, annonçait-il à Monsieur le Prince le 10 septembre, les ennemis en ont pour plus de trois mois. Lens et La Bassée sont pris et la dernière de ces places n'est guère de moins d'importance qu'Aire. Bapaume est assiégée, vous en connaissez l'importance pour la Picardie... Tous les environs de Lille sont ruinés. Après cela je vous prie de considérer, quand même nous ne sauverions pas Aire, quelle a été la campagne[67]. Seize jours plus tard, Bapaume venait d'ouvrir ses portes
au maréchal de La Meilleraye, le cardinal était à Nesles et il rédigeait ces
instructions pour M. de Bellejamhe, maitre des requêtes : Il faut recevoir les diverses plaintes des habitants et,
pour leur ôter la crainte qui pourroit les empêcher d'en faire, il les faut
assurer que le sieur de Saint-Preuil ne rentrera jamais dans le gouvernement
d'Arras. Il faut informer des violences qu'il a commises, depuis qu'il est
gouverneur, tant envers les habitants qu'officiers du Roi et autres
particuliers...[68] Ce début ne
présageait rien de bon pour Saint-Preuil, arrêté depuis le 24 septembre,
parce qu'il avait taillé en pièces la garnison espagnole de Bapaume, qui,
marchant sous la sauvegarde du Roi, se retirait à Douai. Il est aisé de voir,
par le soin minutieux avec lequel Richelieu étayait l'accusation, que
Saint-Preuil était condamné d'avance. Le 9 novembre, il comparut, à Amiens,
devant vingt-cinq juges. Il était convaincu notamment d'avoir fait mourir un
meunier dont il avait enlevé la femme. C'est en vain que le rapporteur se
contenta de requérir la prison, alléguant que l'accusé ne méritait point la
mort, le moindre de ses services suffisant pour
effacer le plus grand de ses crimes[69]. François de
Jussac d'Ambleville, seigneur de Saint-Preuil, fut condamné à mort et monta
sur l'échafaud le jour même. La veille, il avait écrit à Richelieu : Monseigneur, ce m'est un déplaisir très sensible de
n'avoir pu parler à Votre Éminence premier que de mourir, pour lui dire de
bouche que ma passion à son service a été sans tache. J'emporte avec moi
cette satisfaction que j'ai été, comme je suis à la mort, sans condition et,
sans fin, Monseigneur, votre humble, très obéissant et très obligé serviteur
et créature Saint-Preuil. Ce 8 novembre 1641[70]. Le cardinal lui rendit sa politesse par cette petite oraison funèbre qu'il inséra dans la Gazette et dont il était sans doute l'auteur : Samedi dernier, 9 de ce mois, le sieur de Saint-Preuil, ci-devant gouverneur d'Arras, eut la tête tranchée dans Amiens, après avoir vécu jusqu'à l'âge de quarante ans, sans faire grande réflexion sur soi-même et sans rendre à Dieu ce qu'il lui devoit. Il est mort avec grande constance et autant de repentir de ses fautes et de zèle et d'ardeur envers Dieu, qu'il avoit eu par le passé d'attachement au monde. Comme sa vie a été d'un vrai et courageux soldat, on peut dire avec vérité que sa mort a été d'un parfait chrétien. Ce gentilhomme a cet avantage qu'il a été regretté du Roi et de Son Éminence, qui eût fait grandes instances pour sa grâce, si les considérations de l'État ne prévaloient toujours en lui sur ses affections particulières. Bien que son procès contienne divers faits, son malheur est venu de la dernière faute qu'il commit en attaquant la garnison qui sortoit de Bapaume, accompagnée d'un trompette du Roi, et de la rigueur avec laquelle il se conduisait en la ville d'Arras contre les ordres très précis qu'il avoit reçus de faire le contraire. Mais si Richelieu déplorait la mort du condamné d'Amiens, il ne regrettait pas d'avoir montré à de nouveaux sujets du Roi qu'il savait défendre leurs intérêts. L'année suivante, il devait écrire à M. de Noyers, à propos de Perpignan, devenu français lui aussi : Je supplie le Roi de considérer Perpignan comme la place du Royaume laquelle il doit plus assurer et contre le roi d'Espagne et contre toutes sortes de pensées semblables à celles qui avoient passé dans l'esprit du pauvre Saint-Preuil[71]. Le prince Thomas de Savoie. Celui-ci ne donna pas plus de satisfaction au cardinal que le duc de Lorraine et le comte de Soissons. N'étant ni vassal de la Couronne, ni prince du sang de France, il n'hésita pas à refaire un traité avec l'Espagne, et cela dès le 27 février 1641 : Il n'a rien exécuté de ce qu'il avoit promis, mandait Mazarin à Richelieu, le 1er mars, que de recevoir l'argent du Roi[72]. Le 10 heureusement, le cardinal pouvait féliciter ainsi Mazarin : Ces trois mots, vous témoignant la joie que j'ai que votre expédition militaire ait réussi à votre contentement, ne vous diront rien de la perfidie dont a usé le prince Thomas, parce qu'en ce sujet on ne sauroit assez dire : Dieu fera voir ses jugements. La petite ville de Moncaglieri, proche de Turin, venait d'être prise et Mazarin avoit contribué à ce bon succès par ses soins et bons avis[73]. Bientôt le comte d'Harcourt arrive de France. A peine à la tète de ses troupes, il reçoit une lettre du cardinal qui l'invite à marcher vers le nord-est et non- vers le sud-est, ainsi que le lui avait conseillé Mazarin : Pour moi, explique Richelieu, je ne vous cèle pas que j'aimerois beaucoup mieux que l'on attaquât des places qui sont ès mains des Espagnols et qui couvrent le chemin de Casal et du Milanais. De ce genre, Verrue est celle qui me semble le plus considérable... Je préfère tant l'attaque des places qui vont vers le Milanais aux autres, que j'estimerois quasi meilleur, si vous ne jugez pas pouvoir prendre Verrue, la prise d'Yvrée et de Santia pour fruit de toute cette campagne que celle de Coni. Comme ceux qui sont éloignés ne voient pas toujours les objets aussi bien que ceux qui sont près, je vous prie de ne considérer ce que je vous mande que comme de simples ouvertures dont la résolution vous est remise[74]. Le comte d'Harcourt prend à la lettre cette prudente recommandation. Il abandonne le siège d'Yvrée, auquel s'acharnait Turenne, miné par la maladie ; il se hâte d'aller secourir Chi-vas, que le prince Thomas assiège. Mais ces mouvements harassent les belligérants et une sorte de trêve, due à la fatigue des troupes, interrompt les opérations[75]. Le comte d'Harcourt les reprend bientôt avec succès. Il s'avance non pas vers le Milanais, mais vers le comté de Nice, il veut couper les communications entre le prince Thomas et le cardinal de Savoie, atteindre la mer, être en liaison avec la Provence. Cette fois, le cardinal approuve. Le 5 septembre, il écrit au comte d'Harcourt : Je suis extrêmement aise de la prise de Cève (dix-neuf lieues au sud-est de Turin) qui, vous ayant donné lieu de réduire à l'obéissance de M. de Savoie une des meilleures parties du Piémont, vous donne encore plus de facilité de faire l'entreprise de Coni[76]. C'est aussi à M. de Savoie que devra être remise cette dernière place, lorsqu'elle sera réduite à son devoir. Richelieu y tient beaucoup, mais il tient encore plus à la faire garder sous le nom de M. le Duc de Savoie... à des conditions que Son Altesse n'en puisse abuser par mauvais conseil. La Duchesse Régente voudra bien se conformer au désir du Roi, qui choisit M. de Senantes pour gouverneur éventuel de Coni ; elle recevra le serment de Senantes, qui lui jurera de garder fidèlement la place. Mais, explique le cardinal au comte d'Harcourt, le même Senantes en fera un autre à part entre vos mains, qu'il vous donnera par écrit, signé de lui, par lequel il promettra de ne remettre jamais ladite place de Coni, sans le consentement de Sa Majesté et par son exprès commandement. Et Richelieu ajoute sans rire : Il sera de votre adresse de faire valoir en temps et lieu à Madame le procédé du Roi en ce sujet et la pureté de ses intentions[77]. Mais la duchesse de Savoie goûte peu le procédé du cardinal. En une lettre du 5 octobre, elle supplie Richelieu de considérer : combien l'arrêt du comte Philippe a touché son autorité : Si jamais, ajoute-t-elle, mes humbles prières ont eu quelque pouvoir sur vous, je vous supplie de me le faire paraître en donnant la liberté au comte Philippe. Je ne veux point recourre au Roi mon frère, je la veux de vos prières et je vous en conjure pour mon bien et pour votre gloire. J'ai dit au comte de Cumiane de vous la demander en mon nom. Comment Richelieu pourrait-il se laisser fléchir ? Il ne tarde pas à apprendre que le Père Monod a tenté de s'évader du château de Miolans et qu'un Capucin a formé le dessein de s'emparer de Montmélian et d'enlever le jeune duc de Savoie. Il n'ignore pas non plus, la mauvaise volonté de Madame, à qui il répond le 5 novembre : Je prendrai toujours part à ce qui vous arrivera de bien ou de mal. Je suis extrêmement aise qu'en l'état présent de vos affaires, j'aie à me réjouir des bons succès au lieu de plaindre les mauvais. La reddition de Demonte et de Revel ensuite de la prise de Coni accommode grandement vos affaires... J'ai su ce qui se passe entre Votre Altesse et le comte d'Harcourt... Il importe qu'on ne croie pas en Italie et en toute la chrétienté que vous ayez méfiance ou jalousie des armées du Roi... Je vous avoue, Madame, que je ne saurois croire que vous ayez contribué aux conditions qu'on dit que le gouverneur de Revel a voulu mettre en sa capitulation, vu que ce serait chose aussi honteuse pour le Roi que préjudiciable à vos affaires qu'une telle pensée vînt de Votre Altesse... Je ne réponds point à Votre Altesse sur le sujet du comte Philippe, parce que j'en ai entretenu au long M. le Comte de Cumiane... J'ose l'assurer qu'il est de son service qu'il soit au lieu où il est pour les considérations particulières dont je me suis ouvert audit sieur de Cumiane... Je crois que les mêmes raisons obligent Votre Altesse à faire bien garder le Père Monod[78]. Cependant les victoires du Roi avaient amené le prince
Thomas et le cardinal de Savoie à faire de nouvelles propositions de paix.
Dès le 3 octobre 1641, Richelieu avait écrit : Le
traité avec M. le Prince Thomas est signé. Celui de M. le Prince Cardinal, si
avancé, que, se voulant contenter de la raison, on ne peut rencontrer aucune
difficulté dans la conclusion. Et en celui de MM. les Princes avec Madame, il
semble qu'il n'y aura pas grand peine à y mettre la dernière main, puisque
Madame a consenti presque à tous les points que les sieurs Comte de Meulan et
Auditeur Moneti firent connaître être désirés de MM. les Princes. Le Roi ne
prétend point se prévaloir des avantages de ses armes, des pertes que lesdits
princes ont faites en Piémont et du mauvais état dans lequel sont les
intérêts des Espagnols, desquels ils sont protégés, pour diminuer les grâces
et le bon traitement qu'il leur avoit dernièrement accordés ; mais Sa Majesté
a bien sujet de trouver étrange, après ce qui s'est passé, les prétentions
qu'a à présent M. le Prince Thomas, qui ne pourroit les avoir plus grandes,
s'il se fût rendu maître de Querasque, si M. le Comte d'Harcourt n'eût pas
heureusement achevé l'entreprise de Coni et si les armes de Sa Majesté n'eussent
pas eu des avantages si nobles de tous côtés... et il semble qu'il les devoit d'autant plus modérer qu'on
sait bien de quelle façon il est traité des Espagnols et qu'en se remettant
aux bonnes grâces de Sa Majesté, outre les avantages qu'il en reçoit, celui
que lui donne la mort de Monsieur le Comte (son beau-frère, dont il était l'héritier) ; n'est pas peu considérable, duquel Sa Majesté sera
contraint de le priver, s'il continue à demeurer uni avec les ennemis[79]. Le prestige du Roi poussa, dans le même temps, un autre prince à quitter le service de l'Espagne, qui l'opprimait dans sa principauté. Honoré, prince de Monaco, s'entendit avec le comte d'Alais, gouverneur de Provence, surprit la garnison espagnole de sa petite capitale et la remplaça bien vite par des troupes françaises accourues d'Antibes. Il reçut la promesse de vingt-cinq mille écus de rente, car la pension des Espagnols ne pouvait pas manquer de lui faire défaut désormais et Richelieu écrivit au prince de Condé le 29 novembre : L'affaire de Monaco doit donner courage à tous ceux qui servent au quartier où vous êtes, de faire quelque chose de bon, afin de n'être pas seuls à n'augmenter pas les progrès des armes du Roi[80]. La bataille gagnée en Allemagne à la fin de juin et que le cardinal déclarait beaucoup plus importante que la défaite de La Marfée, c'était la victoire de Wolfenbutel, avantage que le comte de Guébriant remporta devant la place de ce nom, qui était assiégée par le duc de Lunebourg. Quelques mois auparavant, les armées confédérées, s'étant avancées, n'étaient plus qu'à une portée de canon de Ratisbonne. Un parti que les généraux (Banner et Guébriant) avaient envoyé en campagne, dit le Père Bougeant, passa le Danube sur la glace, porta le lieu bien au delà du fleuve et prit aux ennemis plus de quinze cents chevaux. L'Empereur lui-même pensa être surprit. Ce prince devait aller ce jour-là à la chasse. Sa litière, ses oiseaux et tous ses équipages étaient déjà sortis de la ville et furent pris par un parti. L'Empereur eût été pris lui-même, s'il fût sorti une heure plus tôt. Le hasard pensa ainsi amener le moment fatal qui aurait terminé la guerre et épargné bien du sang à l’Europe[81]. Le dégel sauva Ratisbonne, qui n'en reçut pas moins cinq cents coups de canon. Puis Banner, qui voulait' marcher sur la Bohême, s'était séparé de Guébriant. Poursuivi par les Impériaux, il avait dû, au mois de mars, appeler Guébriant à son secours. Sauvé d'une défaite à Zwicaw, il était mort à Halbertstadt le 20 mai 1641. Le général français parvint à maintenir les troupes suédoises jusqu'à l'arrivée du comte Torstenson, qui venait remplacer Banner. Guébriant, le 3 décembre 1641 emmena l'armée du Roi en Westphalie, pour entrer dans le duché de Juliers, où il pourrait donner la main eu prince d'Orange. Celui-ci avait réussi à prendre la petite ville de Genep, dans le pays de Gueldre, le 27 juillet, trois semaines après la défaite de La Marfée, que la mort du comte de Soissons empêchait de tourner au désastre. Rien n'était perdu. Dieu a voulu, songeait le cardinal, châtier Monsieur le Comte et nous donner un coup de fouet. |
[1] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VI, page 751.
[2] Duc d'Aumale, Histoire des
Princes de Condé, tome III, page 636.
[3] Voir Octave Homberg et Fernand
Jousselin, La Femme du Grand Condé, page 34.
[4] Voir Henry Prunières, Le
Ballet de la cour de France, page 161.
[5] Comte de Beauchamp, Louis
XIII d'après sa correspondance avec le Cardinal de Richelieu, page 402.
[6] Comte de Beauchamp, Louis
XIII d'après sa correspondance avec le Cardinal de Richelieu, page 403.
[7] Octave Homberg et Fernand
Jousselin, La Femme du Grand Condé, page 37.
[8] Comte de Beauchamp, Louis
XIII d'après sa correspondance avec le Cardinal de Richelieu, page 403.
[9] Père Griffet, Histoire du
Règne de Louis XIII, tome III, page 314.
[10] Comte de Beauchamp, Louis
XIII d'après sa correspondance avec le Cardinal de Richelieu, pages
398-399.
[11] Comte de Beauchamp, Louis
XIII d'après sa correspondance avec le Cardinal de Richelieu, page 399.
[12] Comte de Beauchamp, Louis
XIII d'après sa correspondance avec le Cardinal de Richelieu, page 402.
[13] Père Griffet, Histoire du
Règne de Louis XIII, tome III, page 316.
[14] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VI, page 392, note.
[15] Père Griffet, Histoire du
Règne de Louis XIII, tome III, page 317.
[16] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VI, page 791.
[17] Comte d'Haussonville, Histoire
de la Réunion de la Lorraine à la France, tome III, page 138.
[18] Comte d'Haussonville, Histoire
de la Réunion de la Lorraine à la France, tome III, pages 82-83.
[19] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VI, page 626.
[20] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VI, pages 747-748.
[21] Affaires étrangères, Lettres
de Louis XIII au cardinal de Richelieu.
[22] Voir F. des Roberts, Campagnes
de Charles IV, tome II, page 216.
[23] Voir F. des Roberts, Campagnes
de Charles IV, tome II, page 216.
[24] Comte de Beauchamp, Louis
XIII d'après sa correspondance avec le Cardinal de Richelieu, pages
408-409.
[25] Voir F. des Roberts, Campagnes
de Charles IV, tome II, page 217.
[26] Comte de Beauchamp, Louis
XIII d'après sa correspondance avec le Cardinal de Richelieu, page 409.
[27] Voir Pfister, Histoire de
Nancy, page 110.
[28] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VI, pages 765-766.
[29] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VI, page 770.
[30] Voir F. des Roberts, Campagnes
de Charles IV duc de Lorraine et de Bar, tome II, pages 321-322.
[31] Père Griffet, Histoire du
Règne de Louis XIII, tome III, page 319.
[32] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VIII, page 370.
[33] Mémoires de Nicolas Goulas,
pages 351-352.
[34] Affaires étrangères, Lettres
de Louis XIII au Cardinal de Richelieu.
[35] Aubery, Mémoires pour
servir à l'histoire du Cardinal Duc de Richelieu, tome V, pages 358-359.
[36] Aubery, Mémoires pour
servir à l'histoire du Cardinal Duc de Richelieu, tome V, pages 358-359.
[37] Lettres d'Alexandre de
Campion, pages 348-349.
[38] Lettres d'Alexandre de
Campion, page 349.
[39] Aubery, Mémoires pour l'histoire
du Cardinal Duc de Richelieu, tome V, pages 359-360.
[40] Aubery, Mémoires pour
l'histoire du Cardinal Duc de Richelieu, tome V, page 359. Voir aussi
Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, tome VI, pages 736-737.
[41] Lettres d'Alexandre de
Campion, pages 351-352.
[42] Affaires étrangères, Lettres
de Louis XIII au Cardinal de Richelieu.
[43] Comte de Beauchamp, Louis
XIII d'après sa correspondance avec le Cardinal de Richelieu, page 396.
[44] Aubery, Mémoires pour
servir à l'histoire du Cardinal Duc de Richelieu, tome V, page 360.
[45] Lettres d'Alexandre de
Campion, pages 353-354.
[46] Comte de Beauchamp, Louis
XIII d'après sa correspondance avec le Cardinal de Richelieu.
[47] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VII, page 276.
[48] Voir Abbé de Pure, Vie du
Maréchal de Gassion, tome II, pages 180-191 et chapitres XVII et XVIII. —
Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, tome III, pages 346-350.
— Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, tome VII, pages 843-845.
[49] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VI, pages 780-783.
[50] Mémoires du Duc de Bouillon.
[51] Voir Père Griffet, Histoire
du Règne de Louis XIII, tome III, pages 351-354.
[52] Comte de Beauchamp, Louis
XIII d'après sa correspondance avec le Cardinal de Richelieu, page 496.
[53] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu.
[54] Mémoires du Duc de Bouillon.
[55] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VIII, page 375.
[56] Sur la Rille.
[57] Sépulture de la branche de
Bourbon-Soissons.
[58] Mémoires de Puységur,
tome I, pages 286-288. Voir aussi Père Griffet, Histoire du Règne de Louis
XIII, tome III, pages 368-370.
[59] Mémoires de Puységur,
tome I, pages 289-290.
[60] Voir Père Griffet, Histoire
du Règne de Louis XIII, tome III, pages 372-373.
[61] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VI, page 870.
[62] Voir F. des Roberts, Campagnes
de Charles IV, tome II, page 255.
[63] Archives de Besançon.
[64] Père Griffet, Histoire du
Règne de Louis XIII, tome III, page 333.
[65] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VI, page 871.
[66] Père Griffet, Histoire du
Règne de Louis XIII, tome III, page 333.
[67] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VI, page 871.
[68] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VII, page 878.
[69] Père Griffet, Histoire du
Règne de Louis XIII, tome III, page 340.
[70] Archives de M. le Comte H. de
Lestrange.
[71] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VI, pages 915-916.
[72] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VII, page 854.
[73] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VII, page 855.
[74] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VII, page 865-866.
[75] Voir A. Bazin, Histoire de
France sous Louis XIII, tome VII, page 313.
[76] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VII, page 875.
[77] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VII, page 877-878.
[78] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VII, pages 881-882.
[79] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VII, pages 881-882.
[80] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, tome VII, page 839.
[81] Père Bougeant, Histoire des Guerres et des Négociations qui précédèrent le traité de Westphalie, tome I, page 411.