Si le cardinal se félicitait de sa prudence ; s'il rendait grâces à Dieu de lui avoir permis de chasser les ennemis du Royaume ; s'il espérait que le ciel lui accorderoit son assistance en une cause si juste[1], il savait bien que l'une des premières conditions du succès était l'accommodement de Monsieur et de Monsieur le Comte avec le Roi. Précisément Monsieur avait envoyé l'un de ses gentilshommes dire au Roi que son dessein était de ne s'éloigner jamais de ce qu'il devoit à Sa Majesté. Le 23 novembre 1636, venant de Picardie à petites journées pour gagner sa maison de Rueil et se reposant au château de Presles, non loin de l'Isle-Adam, le cardinal avait mandé à Chavigny : Je suis extrêmement aise que Monsieur soit à Blois et que Monsieur le Comte ne soit point sorti du Royaume. Il faut raccommoder cette affaire avec douceur. Vous avez fort bien fait de ne point faire de commandement à Madame la Comtesse[2], parce que ce n'étoit qu'en cas que Monsieur son fils fût sorti du Royaume, comme nous le croyions tous. Au contraire il lui faut donner toute assurance pour elle et Monsieur le Comte[3]. Bientôt dans sa délicieuse maison des bords de la Loire, ce Gaston que Richelieu appelait dans ses lettres à Chavigny Sa Trop Facile Altesse, put lire ce billet doux du cardinal : Vous méritez une bonne réprimande. Je m'assure que, si j'avais l'honneur d'être auprès de Votre Altesse, elle l'avoueroit ingénument. Les grands et continuels témoignages que vous avez reçus de l'affection du Roi vous ôtent tout lieu de douter de sa bonté, et les preuves que vos serviteurs vous ont rendues, en toutes occasions, de la passion qu'ils ont à votre bien ne peuvent souffrir que vous croyiez qu'ils soient autres qu'ils ont été par le passé. Richelieu avait mis en post-scriptum : Si Sa Majesté a eu l'intention de faire aucun mal à Monsieur le Comte, je veux perdre l'honneur et la vie. Un peu plus bas, Son Éminence ajoutait plaisamment : M. de Bautru vous va trouver de la part du Roi, qui vous dira toutes choses. Je m'amure que vous aurez entière confiance en lui, parce qu'il est un de vos confrères en Belsebuth[4]. En même temps que cette lettre, Monsieur en reçut une autre affectueuse et grave, de la rédaction du cardinal, mais signée du Roi. Louis XIII y assurait Monsieur qu'il le considéroit, non seulement comme son frère, mais comme il feroit un fils unique[5]. Gaston restait froid. Chavigny, arrivé à Blois, constatait que Son Altesse Royale ne s'était ouverte de rien à M. de Bautru et que lui, Chavigny, n'était pas plus heureux. Monsieur et Monsieur le Comte restaient fidèles à la promesse qu'ils s'étaient mutuellement faite de ne jamais consentir à aucun accommodement particulier. Blois et Sedan étaient en conversation constante : il y avait un continuel va-et-vient de domestiques chargés de dépêches confidentielles. Le ministre écrivait tout crument à Chavigny le 30
novembre : Quant à la pensée qu'a Sa Majesté de
faire dévaliser les courriers de Monsieur le Comte qui iront ou viendront,
soit à Blois, soit à Madame la Comtesse, je la tiens très bonne. Reste à
savoir comme il la faut exécuter. Je ne sais pas où les lettres passeront ; à
mon avis elles pourront s'adresser ou à Joui, à Blois, ou au comte de Fiesque
ou à Montrésor. Vous y penserez avec Sa Majesté et pourvoirez aux moyens
nécessaires[6]. Il écrivait
encore : Il commence à m'ennuyer que Bautru ne mande
des nouvelles[7]. Le 1er décembre,
il adjoignit à Bautru le comte de Guiche. A Blois, Chavigny interrogeait Monsieur ; il le priait de lui dire franchement ce qu'il désiroit pour son entière satisfaction et quel étoit le sujet de sa sortie de Paris. — On me tourmente continuellement sur mon mariage, que je crois bon, répondit Gaston, et je ne me tiens point en sûreté à la Cour. — Le Roi donnant son consentement pour votre mariage, ou une place pour votre sûreté, seriez-vous content ? demanda Chavigny. — Oui, dit le prince. Le lendemain 11 décembre 1636, Chavigny est de nouveau près de Monsieur. Il tient à la main une feuille de papier : Ayant l'honneur d'être au Roi, proteste-t-il, domestique de Sa Majesté et le vôtre, je serois ravi de contribuer à renouer la confiance et ôter tout ce qui la peut altérer entre des personnes de si grand poids et pour lesquelles j'ai une extrême passion — Chavigny se servait des termes mêmes du cardinal —. Si Votre Altesse Royale veut signer cet écrit, j'espère de lui rapporter dans peu de quoi la mettre en repos et lui rendre le calme qu'elle se plaint de ne pas avoir eu depuis si longtemps. Par cet écrit, Gaston suppliait le Roi de consentir à son mariage ou de faire juger si ce mariage étoit valable ou non. En ce dernier cas, il demandait une place de sûreté : en tout état de cause, un traitement favorable et raisonnable pour Monsieur le Comte. Gaston lut et signa. L'acte fut contresigné par son secrétaire et Chavigny se hâta de le porter à Noisy, où l'attendait le Roi[8]. Dès le 16, il apportait à Blois la réponse de Louis XIII, un pardon généreusement accordé aux deux princes. Le Roi trouvait bon que Monsieur le Comte demeurât au lieu où il étoit aussi longtemps qu'il ne pourroit garantir son esprit d'appréhension. Pour lui le Roi, il sauroit toujours bien garantir la personne de Monsieur le Comte dans son Royaume, et il laisserait son cousin jouir des émoluments de ses charges et des pensions qu'il lui donna, pourvu qu'il vécût en bon et fidèle sujet, sans intelligence et pratique qui fût contraire à son État[9]. A cette lettre était jointe une promesse rédigée en bonne et due forme, signée de Louis XIII et contresignée de Bouthillier. Sa Majesté consentirait au mariage de Monsieur, rendant dès à présent son frère si libre en cette action qu'il dépendroit de lui d'avoir ou n'avoir luis ladite princesse pour épouse. Sa Majesté désiroit seulement que, s'il en prenoit la résolution, il n'épousât pas les prétentions de la maison de la dite princesse ni les passions du duc Charles de Lorraine contre sa personne, mais demeurât inséparablement lié aux justes intérêts de la Couronne et n'eût aucune intelligence qui pût lui être préjudiciable[10]. Par un troisième acte, Monsieur promettait d'accepter solennellement les conditions du Roi. Cet acte se terminait ainsi : Nous jurons ce que dessus sur les saints Évangiles et nous obligeons à l'observer très religieusement et n'avoir à l'avenir aucune intelligence qui puisse être préjudiciable au repos de ce Royaume[11]. Gaston refusa de signer. Ce refus ne surprit point Richelieu[12]. Le cardinal ne désespère pas de ramener Monsieur par les voies de la douceur : Quoi qu'on en puisse dire, Monseigneur, lui mande-t-il dans une lettre que Chavigny ne lui remettra que s'il le juge à propos, on ne sauroit m'empêcher de croire que vous ne connoissiez enfin ce qui vous est le plus utile et que vous ne voyiez clairement pie toute votre grandeur ne consiste qu'en celle de cet État. Il fait remarquer à Monsieur la bonté du Roi, qui a envoyé un passeport au comte de Fiesque. Celui-ci vient d'être dépêché vers Monsieur le Comte par Gaston. Louis XIII ne veut pas que l'ambassadeur de son frère soit arrêté par les chemins entre Blois et Sedan : procédé bien différent de celui de Monsieur, qui, assure-t-on, retient à Blois et Chavigny et Guiche, résolu de ne pas leur rendre leur liberté avant que le comte de Fiesque soit revenu de son périlleux voyage. Richelieu ne peut croire que Monsieur ose arrêter les hommes du Roi, mais pense aux remèdes pour user de représailles. Il n'est pas impossible que Gaston songe à fuir[13]. Chavigny devra avertir à tue-cheval tous les gens de guerre postés sur la Loire et sur l'Yonne. Les précautions n'étaient pas inutiles : M. de Campion, l'un des fidèles du comte de Soissons, s'était rendu de Sedan à Blois malgré les glaces, les neiges et les embuscades de M. le Cardinal. Apprenant à Blois que les ducs d'Épernon et de La Valette étaient peu disposés à recevoir Monsieur en Guyenne, il avait offert au prince, de la part de son maître, un refuge derrière les remparts de Sedan. Monsieur pourrait de là ménager ses intelligences dans le Royaume. Il fut convenu que Monsieur gagnerait la Principauté ; M. de Campion devait s'assurer d'un passage sur la Marne, d'un autre sur l'Aisne. Tout avait été prévu par le prince lui-même pour le passage de la Seine. Mais lorsque M. de Campion s'en fut allé attendre Gaston à
Condé, un gentilhomme lui apporta de Blois une nouvelle déconcertante :
Monsieur se dérobait : Monsieur avait appris avec un
extrême déplaisir que M. du Hallier étoit avec des troupes sur la rivière de
Seine pour en garder les passages. Chose plus grave, quelques-uns de
ses gentilshommes, qu'il y avait envoyés, avaient été pris par M. du Hallier.
Le comte de Soissons s'apprêtait alors à venir au-devant de Gaston, jusqu'aux
environs de Reims. Il faut demeurer d'accord,
lui écrivit M. de Campion le 3 janvier 1637, que cet
accident est fâcheux et qu'il trouble bien vos projets, et même d'autant plus
que nous sommes incertains si ce retardement est causé par les raisons que
l'on vous dit ou si les émissaires de M. le Cardinal n'ont point gagné sur
l'esprit de Monsieur pour lui donner le dégoût de nous joindre[14]. Monsieur, qui
ne se sentait nullement en sûreté à Blois, était en proie, connue disait
Corneille, Aux rigoureux tourments d'un cœur irrésolu. D'autre part, le cardinal travaillait à gagner doucement Monsieur le Comte[15]. Le Conseil du 11 janvier 1637. Le 11 janvier 1637, au Palais-Cardinal, le Roi tient conseil. M. de Chaudebonne est venu, quelques jours auparavant, lui exposer les nouvelles demandes de Monsieur. Le Roi n'a rien accordé[16]. Il sait de bonne source que, s'il cède quelque chose, c'est un aliment pour de nouvelles brouilleries. Il n'accordera plus rien. La veille (10 janvier), il refusait encore les propositions que Chavigny lui apportait de la part de Richelieu pour tâcher d'adoucir les affaires, pour que l'aigreur n'éloignât pas la paix[17]. En ce Conseil du 11 janvier 1637, le Cardinal explique sa
pensée avec l'abondance, la clarté et la Vigueur qui lui sont ordinaires. L'affaire de Monsieur, dit-il, ne peut aboutir qu'à l'une de (ces) quatre fins :
ou à accommodement sincère et véritable, ou à la détention de la personne de Monsieur,
ou à sa sortie du Royaume, ou à accommodement simulé. Le premier est le
meilleur et celui auquel il faut tendre, si la sincérité s'y peut trouver. Le
second est dangereux et on n'y veut point penser. Le troisième est mauvais
pour la France, mais particulièrement pour Monsieur, qui s'exposeroit à sa
perte, s'il se mettoit entre les mains des ennemis de l'État et qui ne
pourvoit nuire beaucoup, s'il ne s'y mettoit pas. Le quatrième est le pire de
tous et celui qu'il faut éviter à quelque prix que ce soit. Contre ce quatrième, Richelieu accumule argument sur argument
: La présence de Monsieur, avec mauvaise intention,
met en certain cas la sûreté du Roi et de ses serviteurs les plus confidents
en compromis. Elle diminue les forces du Royaume pour le dehors, parce qu'il
les faudroit diminuer pour contenir Monsieur au dedans. Elle empêcheroit Sa
Majesté d'être absolue et troubleroit la levée de ses deniers, parce que
quiconque voudroit désobéir trouveroit un asile. Elle exciteroit les mal
affectionnés à tenter ce qu'ils n'oseroient penser, si Monsieur étoit au
dehors, et il seroit bien difficile d'éviter qu'il ne corrompit à la longue
quelque personne considérable, principalement s'il arrivoit quelque mauvais
événement. Enfin, en cet état, le Roi n'oseroit rien entreprendre de
considérable ni au dehors ni au dedans. Et Richelieu concluait ainsi :
Pour ces raisons, il faut tenter tous les moyens
possibles pour parvenir à un accommodement sincère avec Monsieur. Mais
quelque résolution qu'on prenne, il en faut voir la fin dans huit jours,
parce que la saison commence à nous presser et que telles personnes
pourvoient bien se déclarer au printemps qui ne l'oseroient faire maintenant
; elles craignent qu'on n'ait assez de temps pour les châtier, avant que les
avinées ennemies soient en campagne[18]. Cet accommodement si désirable pourrait consister en ce
que le Roi ne s'opposerait plus au mariage de Monsieur et laisserait Monsieur
le Comte demeurer en son gouvernement, tout cela moyennant les conditions
suivantes : Monsieur et Monsieur le Comte
promettroient par écrit de ne rien entreprendre contre le service du Roi, de
favoriser ses affaires en tout ce qu'il leur seroit possible et de n'avoir
aucune intelligence, dedans ni dehors le Royaume, qui dût être suspecte à Sa
Majesté, et tous deux promettroient séparément que, si l'un manquoit à sa
parole et sortoit de son devoir, l'autre ne l'assisteroit ni favoriseroit
directement ni indirectement mais serviroit
le Roi de tout son pouvoir. Le cardinal indiqua les mesures à prendre au cas où la négociation échouerait : Il faudra en ce cas faire avancer quelques troupes sers Étampes et vers Chartres, renvoyer le marquis d'Alluye à Orléans et donner assez d'ombrage à Monsieur pour qu'il s'en aille d'effroi, sans qu'il puisse dire qu'on l'ait voulu chasser, dont le contraire paraîtra en ce que le Roi a fait garder les passages pour l'en empêcher. Si Monsieur ne s'en va point et s'il ne veut point s'accommoder, il le faut pousser plus ouvertement et le faire sortir du Royaume, le repos de l'État étant préférable à tout[19]. Louis XIII entend ne plus agréer aucun délai, il veut partir sur le coup pour aller droit à Monsieur. Toute la diplomatie du cardinal ne fut pas de trop pour ramener l'esprit du Roi. Dans sa lettre de ce Il janvier, Richelieu avait proposé d'envoyer l'abbé de La Rivière à Monsieur[20]. Louis XIII avait répondu qu'il n'y avait rien à faire de ce côté[21] et le cardinal se rangea sans peine au sentiment du Roi[22]. Le Roi s'approche de Blois. Cependant Gaston abandonnait une Blaisoise, Mlle d'Espinoy,
pour Louison de Tours, cette ravissante et
triomphante Louison Roger qui donna le jour au chevalier de Charny et
qui, entrée plus tard à la Visitation, y devint la Mère Louise[23]. Or, tandis que
Gaston se laissait aller à son penchant amoureux, Louis XIII quittait
Fontainebleau avec ses gardes et la cavalerie dont il avait coutume de se
faire escorter. Avant de partir, il avait écrit au cardinal : Il faut que nous nettoyions le dedans du Royaume cependant
que nous en avons le loisir, et que M. le Cardinal de La Valette et M. de Châtillon
tiennent tête à Monsieur le Comte, cependant que nous pourrons mettre fin à
l'affaire de mon frère le mieux que nous pourrons. Le Roi ne se
souciait nullement d'en être réduit à ne plus quitter son frère d'une semelle
pour le garder auprès de soi et il observait : Peut-être
vaut-il mieux qu'il manque à sa parole donnée authentiquement en allant
joindre Monsieur le Comte, die de nous promener parle Royaume en le suivant,
cependant que Monsieur le Comte, joint avec les Espagnols, entreroit en
Champagne[24]. Cette lettre était datée du 25 janvier 1637. Quelques jours plus tard, Louis XIII était à moins de vingt lieues de Blois. Le marquis de La Force, à qui il avait commandé de raccompagner, écrivait à la marquise le lundi 9 février : Nous sommes en cette ville (d'Orléans) depuis vendredi au soir, où tout s'est passé en allées et venues vers Monsieur. MM. de Chavigny et de Bautru y sont allés deux fois de la part du Roi- et y sont retournés ce matin pour la troisième[25]. Chavigny emportait un mémoire des demandés formulées par Gaston. Ce mémoire, qui venait de passer sous les yeux de Louis XIII, s'en retournait à Blois, tout chargé des annotations royales. Le Roi avait pris connaissance de la première demande de Gaston : L'acquittement des dettes après la paix générale suivant la liquidation qui en sera faite en présence de telle personne qu'il plaira au Roi de commettre. Il avait imposé des bornes au torrent de dépenses qui menaçait de se précipiter, et il avait mis en marge : Jusques à cinq cent mille livres après la paix. Louis XIII avait approuvé la deuxième demande, — en inscrivant en face le mot Bon, — et en ajoutant, que fit valoir dès maintenant toutes les assignations qui avoient été données à Monseigneur. Mais il avait fortement rabattu la demande suivante. Dès maintenant aussi, il plaira au Roi lui donner la somme
de trois cent mille livres pour les bâtiments de Son Altesse et pour les
autres raisons qui ont été représentées par M. de Chaudebonne. Il
n'avait plu au Roi accorder que cent cinquante nulle
livres, qui seroient fournies à divers paiements selon qu'ils seroient effectivement
employés à ses bâtiments. De male Louis XIII avait trop de bon sens pour accorder que, Madame étant en France, on lui donnât une pension à l'épargne pour l'entretènement de sa maison, suivant l'état qui en seroit fait en présence de telle personne qu'il auroit agréable de commettre. On lit en marge cette prudente restriction : Quand le mariage sera célébré et qu'elle sera venue trouver mon frère en France, je lui accorderai volontiers. S'agissait-il d'accorder la liberté aux sieurs du Fargis et du Coudray, aux sieurs de Coville et de La Mothe-Massas, la marge portait : Néant pour le général, Sa Majesté voulant bien élargir le sieur du Fargis après la paix, à condition qu'il demeure au lieu qui lui sera ordonné. Plus bas, Louis XIII avait lu, avec indignation sans doute : Exemption pour les villes de l'apanage et de celle de Tours, à cause de la levée qu'elles ont faite l'année dernière de trois régiments à leurs dépens, suivant la parole que Son Altesse leur en a donnée après avoir eu celle du Roi, ensemble leur continuer les octrois qu'on leur veut ôter. Et il avait annoté avec une sécheresse pleine de prévision et d'autorité : Néant pour la conséquence. Le mémoire comportait une addition. En marge de l'article premier de cette addition, qui demandait les passeports nécessaires pour le retour près Son Altesse de ses serviteurs qui étaient en campagne, après que le traité auroit été signé, Louis XIII avait écrit : Je leur pardonnerai, mon frère se remettant en son devoir. Il était spécifié en outre une
déclaration d'amnistie générale pour tous ceux qui auroient fait quelques
voyages par ordre de Son Altesse, ou par celui de Monsieur le Comte, ou bien
qui auroient été employés pour leur service en quelque manière que ce fût,
comme aussi pour tous ceux que l'on pourroit mécroire d'avoir eu quelque
affection pour les intérêts de Sou Altesse ou de Monsieur le Comte dans
l'occasion présente, sans que les uns ni les autres en pussent être
recherchés à l'avenir et que cela les Pitt éloigner des bonnes grâces de Sa
Majesté. Louis XIII avait inscrit simplement : J'accorde cet article pour les gens de mon frère et pour ceux de
Monsieur le Comte, s'il se remet à son devoir. Suivait un article auquel Gaston tenait fort Monseigneur aura la liberté de demeurer en ses maisons et d'aller où bon lui semblera dans le Royaume et il ne sera pas pressé d'aller à la Cour contre sa volonté et jusques à ce que, de son propre mouvement, il supplie Sa Majesté de lui permettre d'y aller, connue il étoit porté par le traité de Bruxelles. Louis XIII avait jugé la demande injurieuse et il avait écrit : Cet article est ridicule, mon frère avant toujours eu, dans mon Royaume, autant de liberté et de sûreté que moi. Restait le dernier alinéa : Ensuite de ce qu'il plaira au Roi d'accorder des articles ci-dessus, seront mises aussitôt par articles les promesses qui ont été apportées par M. de Léon. Et le Roi d'écrire : Les promesses sont comme on a accoutumé de les faire (c'est-à-dire de valeur relative). Toutes les grâces, d'ailleurs, étaient subordonnées à une condition ajoutée au bas du mémoire : Sa Majesté accorde la réponse aux articles ci-dessus en cas que Son Altesse vienne à la Cour pour demeurer auprès d'elle[26]. Ce fut le Père de Gondren, général de l'Oratoire, un
religieux-doux et affable, chargé pendant quelque temps de diriger la
conscience de Gaston, qui, envoyé auprès de celui-ci le 24 décembre 1636, moyenna une entrevue des deux frères. Et cela,
disent les Mémoires du cardinal, avec tant de
dextérité et de soin, qu'il réussit, par la confiance que Monsieur avait en
lui, dans une négociation où les plus habiles auroient échoué. Bien
que Son Éminence ne fût pas sans craindre de passer
pour dupe, cette réussite la mettait en gaieté : Quand cet accord sera bien cimenté, écrivait-elle à
Chavigny le 3 février, les méchants seront désespérés
et les sots bien étonnés, faxit Deus ut omnia succedant ex voto. Si cela
est, nous aurons bientôt la paix, le Roi sera le plus heureux prince du
inonde et Monsieur le plus content' qui ait jamais été. Après cela, je
voudrois de bon cœur Pour y passer le reste de mon âge... Trouver un ermitage[27]. Quelques jours plus tard, le 9 février, le marquis de La Force se hâtait d'écrire à sa femme : J'ai retenu un jour ce porteur pour vous mander l'entrevue du Roi et de Monsieur, qui se fit hier avec force témoignages d'affection et de contentement. Nous croyions qu'il suivroit le Roi, mais on dit qu'il s'en reva à Blois. Pour nous, nous partons ce matin pour aller coucher à Toury (dix lieues au nord d'Orléans) et demain à Dourdan, s'il plaît à Dieu. Je ne sais s'il n'y avoit point ce matin quelque chose que tout le monde n'entendoit pas, car le Roi devoit partir à huit heures et il ne part qu'à dix ou onze, et M. le Cardinal le doit voir au sortir de sa messe, là où il est. Je crois que nous serons trois ou quatre jours à Dourdan, de là on ira à Saint-Germain[28]. Richelieu préparait maintenant, pour être soumise au Roi, la dépêche générale qui allait être envoyée aux gouverneurs et lieutenants des provinces et armées
touchant l'accommodement de Monsieur. Il mettait sous la plume du Roi
cette ferme et paternelle déclaration : Mon frère
ayant si bien jugé que l'union des cœurs est aussi bien nécessaire en ce
temps que celle des forces du Royaume pour agir plus puissamment contre les
ennemis de la grandeur de cette Couronne et de son repos, il s'est porté de
lui-même à tout ce que j'eusse pu désirer. Il n'a pas plus tôt reconnu sa
faute, que je l'ai oubliée de bon cœur, ajoutant telle foi aux assurances
qu'il m'a données de son affection et de son zèle au bien de cet État, que je
m'en rends caution envers moi-même. Je me suis résolu, sur la supplication de
mondit frère, de pardonner à mon cousin le comte de Soissons la faute qu'il a
commise, non seulement en se retirant à Sedan sans mon congé, mais se
conduisant, depuis ce temps-là tout autrement que je n'eusse pu me promettre.
Ce que je fais tris volontiers, pourvu que mondit cousin se remette dans son
devoir quinze jours après que la déclaration que j'ai faite de mes volontés
sur ces grâces sera publiée[29]. Monsieur le
Comte donnerait-il des mains à cet arrangement ? L'envoyé du comte de Soissons. Vers la fin du mois de juillet 1636, les lecteurs de la Gazette avaient lu cette information : Le cardinal duc est à Charonne, maison du sieur Barentin, où la bonté de l'air, la beauté du lieu et, le bon esprit de l'hôte plaisent fort à Son Éminence[30]. La même Gazette, au milieu du mois de mai 1637, avertissait les mêmes lecteurs que Richelieu, arrivant de Rueil, était revenu en cette maison de Charonne si remarquable, ainsi que l'écrivait un avocat au Parlement, pour les beaux bâtiments et agréables jardins, allées, cabinets, parterres, carreaux, compartiments, bois, fontaines et autres lieux de plaisance[31]. Le 5 mai 1637, le Père Joseph se promenait dans ces
jardins, ayant près de lui un gentilhomme qui n'était autre que M. de
Campion, l'envoyé de Monsieur le Comte. Les deux promeneurs semblaient fort
loin d'un accommodement. Bientôt le cardinal parut, suivi de toute sa cour.
L'envoyé de Monsieur le Comte est aussitôt accablé de caresses, mais dès
qu'il tente d'exposer les affaires de son maître, le cardinal le renvoie au
religieux, qui l'entraîne à quelques pas et lui dit : N'êtes-vous pas satisfait de M. le Cardinal ? Jamais il n'a fait tant
d'honneur à personne qu'à vous. — Il en a
trop fait pour moi et pas assez pour mon maître, répond M. de Campion.
Ne venant que pour les affaires de Monsieur le
Comte, desquelles il ne m'a presque pas parlé, je ne vois rien qui puisse me
donner lieu d'être content. Ces paroles ont été, à dessein, jetées
assez haut. Richelieu les a entendues, il dit : Vous
voulez du solide, Monsieur de Campion, vous en aurez[32]. Sur quoi le gentilhomme se retire. Il y avait longtemps que le Roi et le cardinal avaient fait proposer du solide et que le comte de Soissons le refusait. Non content de n'avoir cédé ni aux sollicitations d'un Jésuite, le Père Binet, vers la fin de décembre ni, vers la fin de janvier, à celles de Bautru, qui lui avait offert la ville de Monzon, le prince rebelle avait encore laissé infructueux un voyage que le comte de Brion avait fait auprès de lui. vers le début de mars, pour lui apporter de nouvelles conditions du Roi : un entier pardon pourvu que Monsieur le Comte reconnût la faute qu'il avait commise en s'enfermant à Sedan ; la permission de vivre hors du Royaume, si bon lui semblait, pourvu qu'il fût en lieux non suspects et qu'il déclarât et jurât sur les saints Évangiles qu'il y vivroit connue un bon et fidèle sujet, sans faire aucune pratique et négociation qui pût être contraire au repos de l'État ni préjudiciable ou suspecte à Sa Majesté. Blâmé par Monsieur, condamné par ses affidés, il avoit commencé à rentrer un peu en lui-même et avoit fait parler avec plus de raison par le comte de Brion et (un Capucin) le Père Hilarion, semblant se vouloir réduire à se contenter que Sa Majesté lui donnât simplement permission de demeurer à Sedan, lui pardonnât le passé et eût agréable de le laisser jouir de son bien et de ses appointements. Ou voit par ce détail de quoi était fait l'écheveau d'ambitions et d'intrigues qui enlaçait en pleine crise la politique de Richelieu[33]. Le Roi avait alors renvoyé les deux ambassadeurs, avec mission de dire qu'il accordait tout, sauf ce qui regardait le séjour à Sedan, où il ne permettrait à Monsieur le Comte de demeurer que jusqu'à la fin de l'année. Partis le 28 mars, ces Messieurs étaient revenus le 6 avril, mais ils avaient rapporté de nouvelles demandes : le comte de Soissons entendait demeurer à Sedan avec l'autorisation du Roi et il supplioit Sa Majesté de lui faire avancer cent mille livres, qui seroient mises entre les mains du gouverneur de la ville pour la subsistance de la garnison. Il réclamait la jouissance de tous ses biens, charges, états, pensions et appointements, qui lui seroient payés tant pour le passé que pour l'avenir. Il prétendait aussi faire les fonctions de ses charges et obtenir les déclarations nécessaires tant pour sa sûreté que de tous ceux qui l'avoient suivi et servi. Enfin, sous prétexte que l'on avait constaté plusieurs cas de peste à Sedan et que le fléau pourrait tellement s'aggraver qu'il seroit impossible d'y demeurer sans un manifeste danger, il supplioit très humblement Sa Majesté de lui vouloir accorder Rocroi avec la subsistance nécessaire à la garnison de ladite place[34]. Je trouve les propositions de Monsieur le Comte bien impertinentes, avait écrit Louis XIII à Richelieu le 17 avril 1637. Le Roi était à Versailles et annonçait qu'il serait le lendemain samedi chez le cardinal, à Rueil, sur les deux heures de l'après-midi : Vous verrez, ajoutait-il, la réponse au bas du mémoire que je vous renvoie dans ce paquet, comme aussi la lettre que me donna hier le Brion[35]. Le cardinal y put lire notamment que le Roi ne voulait rien accorder de plus et que, si la peste augmentoit à Sedan, Monsieur le Comte allât à Neuchâtel Suisse ou à Venise[36]. A. Rueil, Richelieu sut adoucir
l'esprit du Roi. Il fit, expliquent
les Mémoires, condescendre son maître à quelque chose de plus qu'il ne vouloit se relâcher au
commencement. Le 23 avril, le comte de Brion repartit pour Sedan et le
cardinal écrivit au comte de Soissons : Le Roi ne
pouvoit accorder les demandes qui lui avoient été faites de la part du
prince, parce qu'elles étoient préjudiciables à l'autorité de Ça Majesté et à
Monsieur le Comte n'élue ; mais Sa Majesté continuoit en la bonne volonté que
le comte de Brion lui avoit fait connaître qu'elle avoit pour lui. S'il
vouloit envoyer à M4daine sa mère les papiers qu'il avoit vus, qu'il devoit
signer et dont il avoit retenu la copie, Sa Majesté feroit donner aussi à
Madame la Comtesse ceux qui étoient nécessaires pour sa sûreté. On
comprendroit dans la déclaration tous ceux qui l'avoient suivi. On écrirait à
M. et à Mme de Bouillon que le Roi trouvoit bon qu'il demeurât à Sedan
dix-huit mois, si bon lui sembloit. Enfin l'offre de se réfugier en
Suisse ou en Italie était mise par le cardinal en ternies fort courtois. Si la peste augmentoit à Sedan, Monsieur le Comte pouvoit
aller à Neuchâtel, à Venise ou autres pays étrangers non suspects au Roi,
puisqu'il ne vouloit pas présentement revenir à la Cour. Il se pouvoit assurer
que, s'il se conduisoit comme il devoit, il recevroit de plus en plus des
témoignages de la bonté du Roi, qui désiroit avoir réponse définitive dans la
fin de ce mois[37]. C'est quelques jours après cette lettre que, sachant par M. de Brion la volonté du Roi, le prince avoit dépêché le sieur de Campion à Sa Majesté et tenté de demander au cardinal, par la bouche de ce gentilhomme, que le temps de sa demeure à Sedan ou hors du Royaume ne lui fût point limité, et qu'elle le remit dès lors dans l'absolue fonction de ses charges. Lorsque M. de Campion se fut retiré, Richelieu manda à Monsieur le Comte qu'il étoit de sa prudence de ne marchander, pas avec le Roi, et principalement en chose dont la seule prétention étoit odieuse, en tant qu'elle alloit à la diminution de l'autorité royale. Il le conjuroit d'en user ainsi pour son propre bien[38]. Campion, de son côté, ne savait que conseiller à son maitre. Le 4 juin[39], Louis XIII
écrivit à Richelieu : Je trouve bon de remettre
Monsieur le Comte en ses charges, suivant la proposition de Mme de
Longueville (sa sœur) qui est qu'il ne fera servir personne qui ne me soit
agréable ; de plus, je désire que les maîtres d'hôtel et gentilshommes
servants, à qui j'ai promis quartier pour juillet et octobre, les aient et
servent lesdits quartiers ; pour son gouvernement, qu'il n'en fera aucune
fonction. Je désirerois bien, s'il se pouvoit, avoir les promesses par écrit
et qui portassent ce qu'il veut promettre sur les Évangiles. Toutefois, si on
en peut venir à bout autrement, il se faut contenter de sa parole en présence
de quelques témoins qui certifieront par écrit ce que Monsieur le Comte aura
juré sur les Évangiles. Je crois, puisqu'il ne veut rien écrire, c'est qu'il
a intention de tromper ; il en faut courre le hasard[40]. C'est pourquoi,
fort de l'approbation de son maître, le cardinal dépêcha le Père Hilarion à
Sedan, le surlendemain 6 juin. Le religieux trouva le prince intraitable : le
18 juin, après trois audiences orageuses, il reprit le chemin de Paris[41]. L'Hôtel de Venise. L'hôtel de Venise s'élevait rue Saint-Gilles au Marais,
derrière le couvent des Minimes, à deux pas du chemin de la Contrescarpe.
C'est là qu'était logé le comte de Brion, premier écuyer de Monsieur, avec
toute l'écurie de Son Altesse Royale. C'est là que, le 17 juin 1637, vers dix
heures du soir, M. de Campion vint s'enfermer chez Bernard, le valet de
chambre du premier écuyer. Depuis son retour à Paris, il avait déjà eu
l'occasion de se rendre à l'hôtel de Venise. Monsieur venait y coucher deux
fois la semaine afin de causer secrètement avec lui et il arrivait que
l'entretien se prolongeât jusqu'au jour. Ce qui prouve que le Roi n'était pas
trop mal informé, lorsqu'il avait écrit au cardinal le 21 avril : J'ai parlé à mon frère comment il savoit que les ennemis
vouloient entrer du côté de Laon et Soissons ; il n'a pas voulu me le dire
ouvertement, mais j'ai jugé que cela venoit du côté de Sedan[42]. Ce soir-là comme de coutume, le comte de Brion frappa à la porte de Bernard, à minuit. Campion le suivit aussitôt chez Monsieur, qui venait de donner le bonsoir à ses intimes. Demeuré seul avec Gaston, il ne manqua point de constater à son ordinaire que Monsieur ne craignoit rien tant que de s'embarquer avec Monsieur le Comte en affaire derechef. Il ne put s'empêcher de lui dire : M. le Cardinal vous trompe, lorsqu'il assure qu'il souhaite que ce soit vous qui soyez le négociateur de l'accommodement de Monsieur le Comte. Cependant Gaston demeurait sceptique. Et les heures s'écoulaient en vain, la nuit s'acheva sans que Campion eût réussi à convaincre son interlocuteur. Campion retrouva Monsieur dans l'après-midi à Rueil, où le Père Joseph lui avait donné rendez-vous pour être reçu par M. le Cardinal. Ce fut le Capucin qui amena Campion dans la chambre de Son Éminence. Précisément Richelieu s'entretenait avec Gaston : Vous ferez savoir à Monsieur le Comte, s'écria-t-il en se tournant vers Campion, qu'il a de grandes obligations à Monsieur, qui sollicite ses affaires avec chaleur ; et, à dire la vérité, Monsieur le Comte prend les choses avec tant de hauteur que, sans Monsieur, on auroit déjà rompu la négociation. — Le Père Joseph m'assure du contraire, repartit Campion, il me dit tous les jours qu'il n'y a rien à faire tant que Monsieur s'en mêlera. Le religieux de répondre : Je ne l'ai pas dit de la sorte. Sur quoi M. de Campion répliqua froidement : Je pensois l'avoir ouï ainsi. Il fit une révérence et se retira. Il n'avait pas quitté la maison, que Monsieur sortait de la chambre, tout à fait ému. Campion vit bien alors qu'il ne doutoit plus de la mauvaise intention des deux compères. Rentré chez lui, il se hâta d'écrire an comte de Soissons
: Je pense qu'il faut essayer d'avoir la permission
de demeurer toujours à Sedan, en conservant la fonction de votre charge et le
revenu de vos biens et de vos gouvernements, comme vous en demeurâtes lorsque
je vous quittai. Par ce moyen étant en sûreté, vous pourrez prendre votre
temps de nuire à M. le Cardinal, s'il lui arrive quelque désordre, connue il
ne manquera pais d'en user de même envers vous, s'il se voit en état d'y
pouvoir réussir[43]. Le complice de l'attentat manqué d'Amiens n'en ressentait que plus de haine pour Richelieu. Le traité de Monsieur le Comte avec l'Espagne. Ce 18 juin 1637, Louis XIII, à Fontainebleau, lisait la lettre que Richelieu lui avait écrite le même jour : Le Père Hilarion est de retour, disait Son Éminence... Monsieur le Comte prétend bien couvrir son crime, ne traitant pas immédiatement avec les Espagnols, mais avec la Reine mère de Sa Majesté, par les mains de laquelle il doit-recevoir l'argent d'Espagne. Il a levé mille ou douze- cents soldats qui se sont débauchés, auxquels il donne sept sols de prêt tous les jours. Richelieu ne manquait pas de signaler le bruit qui commençait à courir du mariage du comte de Soissons avec la fille du prince d'Orange. Puis il ajoutait : Monsieur le Comte dit que la paix ne se fera que par lui et parle comme si tous les princes de la chrétienté se vouloient fier, en sa probité et capacité, de tous leurs intérêts. Le premier article de la paix doit être que Votre Majesté m'éloigne d'auprès d'elle. Si tous les autres étoient aussi aisés que celui-là la passion que j'ai au repos de la chrétienté me porteroit à en supplier moi-même-Votre Majesté, avec laquelle je ne lairrois pas d'être toujours de cœur, rien ne m'en pouvant jamais séparer[44]. Le Roi répondit immédiatement : S'il
n'y a que Monsieur le Comte qui se mêle de la paix et que le premier article
soit celui que vous me mandez, je ne crois pas que nous ayons la paix tant
que je vivrai. Il faut prendre garde à ce bruit du mariage de Monsieur le
Comte avec la fille du prince d'Orange ; car, si cela étoit, il feroit grand tort à nos
affaires en Hollande. Il faudroit essayer à donner sur les doigts à ces douze
cents hommes que Monsieur le Comte a levés, mander en Champagne d'empêcher le
commerce des blés et des vins qu'on mène à Sedan, étant le seul Heu d'où
Monsieur le Comte et Piccolomini peuvent tirer des vivres, le Luxembourg
étant tout ruiné. Une des dernières phrases de la lettre indiquait
assez que le mécontentement du Roi n'était pas petit : Je voudrois faire saisir les biens de Monsieur le Comte et
le déclarer criminel, si dans un court temps il ne se remet à son devoir[45]. Louis XIII et Richelieu ne tardèrent point à apprendre,
par des lettres interceptées, qu'un traité, out le comte de Soissons ne
paraissait pas, mais dont il était le principal agent, venait d'être conclu à
Bruxelles La Reine mère et le cardinal infant y avaient apposé leurs
signatures, celui-ci ayant pouvoir du Roi Catholique.
Les Mémoires de Richelieu en résument la teneur avec une dédaigneuse
ironie. Il étoit convenu entre eux que le roi
d'Espagne ne feroit ni paix ni !rêve avec la France sans obtenir un
établissement pour la Reine mère et le comte de Soissons dans le Royaume,
avec les satisfactions qu'ils pouvoient raisonnablement désirer, ce que
ladite dame entendoit ne pouvoir jamais être, que le cardinal ne fût mort ou
disgracié et hors du service du Roi. En ce cas, bien que les intérêts de l'Empereur
et des deux Couronnes ne fussent pas encore ajustés, des que ladite dame
auroit mandé qu'elle seroit satisfaite et ceux qui dépendent d'elle, elle
seroit en neutralité avec eux et auroit quatre mois de temps pour travailler
; à terminer les différends d'entre les deux Couronnes, et dès lors aussi
commenceroit une trêve qui dureroit quinze jours, durant laquelle il ne se
ferait aucun acte d'hostilité contre la France. Le cardinal infant
délivreroit présentement cinq cent mille florins, que le cardinal duc
croyait destinés au prince Thomas de Savoie. Le roi
d'Espagne récompenseroit M. de Bouillon de la perte qu'il souffriroit à cause
de la non-jouissance des biens qu'il avoit en France. Il donneroit au comte
de Soissons de quoi subsister selon sa qualité hors du Royaume, en cas qu'il
fût obligé d'y demeurer et le recevroit en sa protection. Et enfin il
entretiendroit la garnison de Sedan, qui étoit de huit cents hommes de pied
et de cent chevaux[46]. Une lettre, écrite au roi d'Espagne par le cardinal infant le lendemain de la signature du traité, dévoilait aux yeux de Richelieu la gravité de l'affairé et tout ce que s'en promettaient les ennemis : la division jetée dans le Royaume, la simple déclaration du comte contre le Roi allumant en Périgord et en Poitou le feu de la rébellion, alors que les paysans en Poitou commençaient à s'assembler sous le nom de Croquants et à s'insurger ; le roi d'Angleterre lui-même sentant naître en son esprit quelque pensée de conquête ; les armées impériales de nouveau encouragées à entrer en France et les Pays-Bas espagnols, que menaçait l'invasion franco-hollandaise, reprenant espérance[47]. L'inquiétude de Richelieu était d'autant plus vive que le Roi semblait mollis frappé du danger : Je crois, répétait Louis XIII le 2 juillet, que Monsieur le Comte fera beaucoup de bruit et peu de mal, comme ça a été toujours mon opinion, M. de Châtillon est en état de l'en empêcher[48]. Et le Roi disait encore, deux jours plus tard : Je persiste toujours dans mon opinion que Monsieur le Comte ne peut renforcer les ennemis que de son train[49]. L'aigreur qu'il ressentait du procédé de M. de Soissons engendrait chez lui un dédain petit-être bien imprudent. L'accommodement. D'où vient donc que, le 11 juillet 1637, M. de La Croisette, gentilhomme qui étoit à M. de Longueville, s'en allait à Sedan apportant tout ce que demandoit Monsieur le Comte ? Rien ne manquait, ni la déclaration par laquelle le Roi oubliait les fautes que le prince avait commises en sa retraite et depuis qu'il était à Sedan, ni le rétablissement en ses charges. Le Roi vouloit qu'il jouit de tous ses biens, appointements et émoluments, — pardonnoit à tous ceux qui l'avoient servi, et abolissoit les crimes par eux commis à ce sujet. M. de La Croisette était aussi porteur d'une promesse particulière du Roi signée de Sa Majesté et d'un secrétaire d'État : Moyennant que Monsieur le Comte demeuràt dans la fidélité et obéissance qu'il étoit convenu de jurer sur les Évangiles, Sa Majesté le feroit jouir, lui et les siens, de l'effet de ladite déclaration, trouvant bon qu'il demeurât encore quatre ans consécutifs dans la ville de Sedan, si bon lui sembloit. Aussitôt que le prince aurait signé l'acte d'obéissance et de fidélité, le Roi feroit payer à la duchesse de Bouillon soixante-quinze mille livres sur ce qui pouvoit être dû pour l'entretènement de la garnison de Sedan, et traiteroit à l'avenir ladite garnison tout ainsi qu'elle l'avoit été par le passé[50]. D'où venait ce déluge de faveurs, alors que, Peu de jours auparavant, le Roi, justement aigri contre Monsieur le Comte, persistoit à ne vouloir en rien se relâcher davantage ? Le revirement était dû, en fait, à la prudence persuasive de Richelieu. Le cardinal avait représenté que tout refuser à Monsieur le Comte, ce seroit finir la guerre pour la recommencer bientôt, car c'était jeter ce prince dans les bras des Espagnols et de la Reine mère, le précipiter dans la conjuration, toujours menaçante à l'intérieur. Louis XIII se rendit aux raisons de Richelieu. Le Roi et le cardinal mettaient toutefois une restriction à l'une des grâces accordées. Cette restriction était, d'ailleurs, conforme à l'usage et à la pratique du Royaume : le prince ne pourrait faire aucune fonction de gouverneur, tant qu'il serait hors de son gouvernement, à plus forte raison hors de France. Monsieur le Comte accepta les conditions du Roi. Le 26 juillet, lorsque Bautru, en compagnie de M. de La Ferté, aumônier de Sa Majesté, vint e prier de prêter serment sur les saints Évangiles, tout se passa le mieux du monde. Le prince transcrivit et signa de sa main le mémoire qui lui avoit été envoyé, il jura sur les Évangiles tous les articles qu'il avait transcrits et l'aumônier attesta, en bas du mémoire, qu'il venait de recevoir son serment[51]. A part soi, Richelieu ne pouvait s'empêcher de constater que le comte de Soissons s'accommodait à des conditions bien moins avantageuses que celles qu'on lui avait proposées en premier lieu, puisqu'on lui avait, au début des négociations, offert Mouzon. Il ne s'en félicitait que plus d'être venu à bout de cet accommodement si difficile et si considérable. Cependant le cardinal n'oubliait pas tous les bruits calomnieux qui avaient couru le mois précédent, celui notamment d'après lequel le mariage de Monsieur le Comte avec Mlle de Combalet avait été l'une des conditions de l'accommodement. Et par une lettre à Chavigny, il prenait soin de démentir ces vilains propos[52]. En cette fin de juillet 1637, d'ailleurs, tous les mauvais bruits s'évanouissaient dans la grande rumeur de ce triomphe de Sedan qui empêchait les Espagnols de tourner nos armes contre nos propres entrailles ; et, comme pour ajouter à l'éclat d'un tel succès, Richelieu était à la veille de rompre un réseau d'intrigues non moins dangereuses, par lesquelles les plus hauts personnages de la Cour s'engageaient dans des intelligences avec l'Espagne. |
[1] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. V, p. 728.
[2] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. V, p. 728.
[3] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. V, p. 694-695.
[4] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. V, p. 695-696.
[5] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. V, p. 697.
[6] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. V, p. 700.
[7] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. V, p. 700.
[8] Mémoires de Nicolas Coulas,
t. I, p. 306.
[9] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. V, page 512.
[10] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. V, p. 714-712.
[11] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. V, p. 715.
[12] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. V, p. 718-720.
[13] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. V, p. 719-721.
[14] Mémoires de Henri de
Campion, p. 323-324.
[15] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. V. p. 717.
[16] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. XVIII, p. 326-329.
[17] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. V, p. 729, et comte de Beauchamp, Louis XIII d'après sa
correspondance avec le Cardinal de Richelieu, p. 290.
[18] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. III, p. 333-335.
[19] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, p. 336-337.
[20] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. V, p. 731.
[21] Comte de Beauchamp, Louis
XIII d'après sa correspondance avec le Cardinal de Richelieu, p. 290.
[22] Mémoires de Nicolas Goulas,
t. I, p. 314-315.
[23] Mémoires de Nicolas Goulas,
t. I, p. 318-319.
[24] Comte de Beauchamp, Louis
XIII d'après sa correspondance avec le Cardinal de Richelieu, p. 291.
[25] Mémoires du Duc de La
Force, Maréchal de France, t. III, p. 442.
[26] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. V, p. 748-750. Le projet, d'accord revu par le Roi et
apostillé par lui, avec notes autographes différentes de celles publiées par
Avenel, fait partie des Archives de M. Gabriel Hanotaux.
[27] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. VII, p. 764.
[28] Mémoires du Duc de La
Force, Maréchal de France, t. III, p. 442-443.
[29] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. V, p. 754.
[30] Gazette, citée par L.
Lambeau, Charonne, t. I, p. 79.
[31] Supplément des Antiquités
de Paris avec tout ce qui s'est fait et passé de plus remarquable depuis
l'année 1610 jusqu'à présent, par D. H. J., avocat en Parlement, ouvrage
imprimé en 1639. L. Lambeau, Charonne, t. I, p. 75-76.
[32] Mémoires de Henri de
Campion, p. 326-330.
[33] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. IX, p. 362-363.
[34] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, t. IX, éd. Petitot, p. 365-366.
[35] Comte de Beauchamp, Le Roi
Louis XIII d'après sa correspondance avec le Cardinal de Richelieu, p. 297.
[36] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. IX, p. 366.
[37] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. IX, p. 366-367.
[38] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. IX, p. 367.
[39] Le même 4 juin, Richelieu,
connaissant par une lettre interceptée les négociations qui se poursuivaient
entre le comte de Soissons et les Pays-Bas espagnols, était d'avis de prendre
au mot Mme de Longueville (Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, P.
782-785).
[40] Comte de Beauchamp, Louis
XIII d'après sa correspondance avec le Cardinal de Richelieu, p. 304.
[41] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. IX, p. 367-370.
[42] Comte de Beauchamp, Le Roi
Louis XIII d'après sa correspondance avec le Cardinal de Richelieu, p.
297-298.
[43] Mémoires de Henri de
Campion, p. 331-334.
[44] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. V, p. 789-790.
[45] Affaires étrangères, Lettres
de Louis XIII au cardinal de Richelieu.
[46] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. IX, p. 370-371.
[47] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. IX, p. 372-375.
[48] Comte de Beauchamp, Le Roi
Louis XIII d'après sa correspondance avec le Cardinal de Richelieu, p. 312.
[49] Comte de Beauchamp, Le Roi
Louis XIII d'après sa correspondance avec le Cardinal de Richelieu, p. 311.
[50] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. IX, p. 376-377.
[51] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. IX, p. 378.
[52] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 791.